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« C’est totalement faux ! » Les coquillages ne captent pas le CO2, ils en émettent. L’Ifremer démystifie une « fake news »
Des scientifiques révèlent que l’idée selon laquelle les élevages de coquillages captent du dioxyde de carbone atmosphérique (CO2) est erronée. En réalité, les coquillages émettent du CO2 en fabriquant leur coquille. L’élevage de coquillages ne contribue donc pas à la lutte contre le réchauffement climatique.
Dans un article publié dans Reviews in Aquaculture, des scientifiques révèlent que les coquillages libèrent du CO2 contrairement à une idée répandue.
« Une fake news, ça se diffuse beaucoup plus vite qu’une vérité. C’est ça qu’on a voulu démystifier« , a déclaré à l’AFP Fabrice Pernet, chercheur en écologie des organismes marins à l’Ifremer, principal auteur de l’article.
Une idée propagée, notamment, par une étude chinoise
M. Pernet s’est intéressé à la question au cours de ses interactions avec la filière conchylicole. « J’avais beaucoup de questions quant au fait d’accorder des crédits carbone à la conchyliculture » pour son rôle supposé de séquestration du CO2, « et je ne comprenais pas qu’on me pose la question« , explique-t-il. « J’ai toujours appris à l’école que les seuls puits de CO2 vivants, c’étaient les plantes, les végétaux. »
Mais l’idée s’est répandue que les coquillages séquestraient du CO2, un peu comme le bois des arbres, car la coquille des huîtres, moules et autres palourdes est constituée de carbone.
Une étude chinoise, publiée en 2011 dans une revue d’écologie marine, et citée plus de 200 fois depuis, a propagé cette idée. Depuis lors, 28 articles scientifiques, sur les 51 examinés par M. Pernet et ses coauteurs, ont repris ce raisonnement.
La calcification libère du CO2, mais « la conchyliculture rend de nombreux services écologiques »
En avril 2022, le Conseil consultatif de l’aquaculture a même recommandé à la Commission européenne d’étudier un mécanisme de paiement de crédits carbone pour la séquestration de CO2 par les coquilles. « C’est totalement faux, ce n’est absolument pas du CO2 qui est utilisé » pour fabriquer les coquilles, mais du bicarbonate provenant de l’érosion des roches, souligne le chercheur.
Loin de stocker du CO2, la calcification, à l’origine de la fabrication de la coquille, en libère dans l’eau et réduit ainsi la capacité de l’océan à absorber celui qui est présent dans l’atmosphère.
L’étude souligne néanmoins que la conchyliculture rend de nombreux services écologiques (clarification de l’eau de mer, régulation de l’azote et du phosphore…) et reste « la manière de produire des protéines animales la moins intensive en carbone« , indique M. Pernet. Mais « l’i-dée, c’est d’éviter de gaspiller de l’argent public pour des sujets qui n’en sont pas« , ajoute-t-il.
Pour réduire les émissions de CO2 de la conchyliculture, les auteurs recommandent ainsi de remettre les déchets de coquilles consommées dans la mer, où elles vont se dissoudre et piéger du CO2. Ou bien de cultiver des algues à côté des coquillages.
Gilbert Achcar Professeur, SOAS, Université de Londres
25 septembre 2024
L’erreur de calcul du Hezbollah
La semaine dernière, nous nous demandions « si l’escalade soudaine de ce que nous avons appelé la “stratégie d’intimidation israélienne” prélude à une agression à grande échelle contre le Liban qui comprendrait des bombardements intensifs aveugles de toutes les zones où le Hezbollah est présent, y compris la banlieue sud densément peuplée de Beyrouth ». Cela nous amena à une autre question : le président américain Biden « fera-t-il suffisamment pression sur Netanyahu pour empêcher une guerre […] ou bien soutiendra-t-il une fois de plus l’entreprise criminelle de son ami, voire même en exprimant regret et rancœur afin d’esquiver le blâme de la manière hypocrite qui est habituellement la sienne et celle de son secrétaire d’État Blinken ? » (« Réflexions stratégiques sur l’escalade de l’intimidation israélienne au Liban », 24/9/2024).
La réponse à ces deux questions interdépendantes ne s’est pas fait attendre : le ministère israélien de l’Agression (faussement appelé ministère de la « Défense ») a annoncé mercredi dernier que son directeur général avait reçu un nouveau paquet d’aide d’une valeur de 8,7 milliards de dollars lors de sa visite au commandement militaire américain au Pentagone.
Le ministère a commenté en disant que cela confirmait « le partenariat stratégique fort et durable entre Israël et les États-Unis et l’engagement à toute épreuve envers la sécurité d’Israël ».
Deux jours plus tard, dans la nuit de vendredi, l’assaut en cours des forces armées sionistes contre le Hezbollah culminait avec l’assassinat du secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, et de plusieurs de ses dirigeants, achevant ce qui s’est avéré être une décapitation systématique du Hezbollah après avoir saboté son réseau de communication, en prélude à de nouvelles étapes sur la voie d’un assaut global sur les zones dominées par le parti, assaut qui a inclus jusqu’à présent des bombardements intensifs et concentrés et l’expansion progressive d’une invasion au sol qui, selon les sources israéliennes, devrait rester « limitée ».
Il devient clair ainsi que l’appel de l’administration américaine à un cessez-le-feu de trois semaines entre le Hezbollah et l’État sioniste, lancé sur incitation française et annoncé conjointement avec Paris, n’était nullement sincère, n’étant accompagné d’aucune pression américaine réelle.
Il convient de noter à cet égard que le Washington Post a publié mercredi dernier une enquête montrant que les opinions au sujet du cessez-le-feu divergeaient au sein de l’administration Biden, certains de ses membres voyant dans l’escalade militaire israélienne « un moyen potentiellement efficace de dégrader le groupe militant libanais ».
La réponse de l’administration à l’assassinat de Hassan Nasrallah, à commencer par Biden lui-même, a été d’applaudir l’opération et d’en faire l’éloge, la décrivant comme « une mesure de justice », et ce en qualifiant le Hezbollah et son secrétaire général de terroristes. Cette réaction a confirmé la complicité militaire et politique totale de Washington dans l’agression en cours contre le Liban, après sa complicité flagrante dans la guerre génocidaire en cours à Gaza.
L’hypocrisie de l’administration Biden a atteint avec cela un nouveau point bas, l’étiquetage du parti libanais comme organisation terroriste contrastant fortement avec les négociations qu’elle mène avec lui depuis plusieurs mois à la recherche de ce qu’elle a appelé une « solution diplomatique » au conflit entre lui et l’État sioniste. Comment Washington pouvait-il négocier avec une « organisation terroriste », par la médiation du président du Parlement libanais Nabih Berri, allié politique (mais pas militaire) du Hezbollah, et chercher un règlement diplomatique avec une telle organisation ?
Cela sans parler du fait qu’il n’y a aucun type d’acte qui pourrait être qualifié de terroriste que l’État sioniste n’a pas commis avec une intensité et une brutalité meurtrière qui surpassent tout ce que Washington a décrit et continue de décrire comme terroriste (en ignorant ce qu’il a lui-même commis, bien entendu).
Voici une fois de plus, après la guerre génocidaire en cours à Gaza, une justification sournoise apportée à une guerre visant à éradiquer une organisation de masse qui a des élus au parlement et supervise un vaste appareil civil quasi-étatique, en la qualifiant dans son ensemble de terroriste, sans même faire de distinction entre son aile militaire et ses institutions civiles.
Contrairement au cas du Hamas, dont l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » a été largement exploitée pour lui coller cette étiquette, le Hezbollah, sous la direction de Hassan Nasrallah, n’a commis aucun acte qui pourrait être qualifié de terroriste au sens d’attaquer délibérément des civils ou des non-combattants israéliens ou américains.
Du coup, on a rappelé les attentats de 1983 qui visaient l’ambassade des États-Unis, et les forces américaines et françaises participant à la « Force multinationale » au Liban, et on a même attribué ces attentats à Hassan Nasrallah, qui n’était pas membre de la direction du parti à l’époque et n’avait que 23 ans ! En réalité, Nasrallah a supervisé la transformation du parti vers l’engagement dans la vie politique libanaise avec sa participation pour la première fois aux élections législatives en 1992, l’année où il a assumé le poste de secrétaire général.
Nous avons montré la semaine dernière comment le calcul du Hezbollah menant à la conduite d’une bataille limitée contre Israël en soutien à Gaza avait commencé à se retourner contre lui, au point où il s’est retrouvé « piégé dans une dissuasion mutuelle, mais inégale » avec l’armée sioniste.
En vérité, le parti est tombé dans le piège que lui avait tendu Israël, en insistant pour continuer à échanger des tirs avec l’État sioniste « jusqu’à un cessez-le-feu à Gaza », alors qu’il devenait clair que le poids de la bataille se déplaçait de la bande de Gaza ravagée vers le Liban. Il aurait été plus indiqué pour le parti d’annoncer publiquement son acceptation de l’appel franco-américain à un cessez-le-feu de trois semaines (d’autant plus qu’il avait un besoin urgent de reprendre son souffle et de restaurer son appareil de direction après l’explosion de son réseau de communication) et la cessation des opérations militaires de sa part, ce qui aurait mis le gouvernement sioniste dans l’embarras et l’aurait exposé à d’intenses pressions internationales pour faire de même.
Ces derniers jours ont montré que la perception par le Hezbollah de la « dissuasion mutuelle » entre lui et l’État sioniste ne tenait pas suffisamment compte de la nature inégale de cette dissuasion (une erreur de calcul similaire à celle du Hamas, bien que beaucoup moins grave), et que sa perception de l’engagement de son parrain à Téhéran à le défendre était également illusoire, l’Iran n’ayant répondu aux attaques répétées qu’Israël a lancées directement contre lui qu’une seule fois, en avril dernier, et cela d’une manière presque symbolique.
Il semble que le Hezbollah ait confirmé sa volonté de revenir à la mise en œuvre de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU de 2006, qui appelle au retrait de ses forces au nord du fleuve Litani, reconnaissant ainsi l’inégalité des forces entre lui et l’État sioniste et acceptant la condition imposée par la médiation américaine. Cette volonté a été confirmée par le Premier ministre libanais par intérim, Najib Mikati, à l’issue de sa rencontre avec Nabih Berri. Il convient dès lors de s’interroger sur l’utilité d’insister pour continuer à se battre jusqu’à ce qu’un cessez-le-feu soit conclu à Gaza, offrant ainsi au gouvernement sioniste un prétexte pour intensifier son assaut contre le Liban, et contre le Hezbollah en particulier.
Des EPR en bord de mer : la mauvaise idée du gouvernement
Dans le Nord, la centrale nucléaire de Gravelines est « un château de sable en bord de mer », selon un rapport de Greenpeace. Situés à proximité, deux futurs EPR pourraient ainsi être mis à rude épreuve par la montée des eaux.
Gravelines (Nord), envoyée spéciale
Le point de vue a tout d’une dystopie industrielle. Sur la gauche, six réacteurs nucléaires de 900 mégawatts ronronnent dans la brume automnale, sans aucun panache de fumée pour les signaler — ils se refroidissent via les eaux fraîches de la mer du Nord. En face, sur l’étendue couleur opale, une tripotée de tankers venus du bout du monde glisse sur l’horizon. À droite, un vaste terrain sablonneux où des pelleteuses démantèlent le cadavre métallique d’une gigantesque cuve. Nous sommes sur le site de la centrale nucléaire de Gravelines, dans le Nord, qui se fait littéralement lécher les réacteurs par la mer. À la voir ainsi campée face à l’eau, elle illustre à merveille les défis de l’industrie de l’atome face aux risques de submersion et d’élévation du niveau des océans.
Selon un rapport de Greenpeace, publié jeudi 3 octobre, cette centrale s’apparente à « un château de sable en bord de mer ». Avec la montée inexorable des eaux, d’environ 1 mètre d’ici à la fin du siècle, elle pourrait bien être régulièrement encerclée par l’eau lors des plus hautes marées. De quoi faire s’arracher les cheveux des garants de la sûreté nucléaire. Mis en service entre 1980 et 1985, les six réacteurs du plus grand site nucléaire d’Europe de l’Ouest ont déjà passé quatre visites décennales et poursuivent leur rénovation.
Sylvain Vité, responsable de l’ancrage territorial de la centrale, précise que « près de 4 milliards d’euros ont été consacrés à des améliorations décidées dans le cadre du Grand carénage » — un programme démarré en 2014 par EDF pour moderniser les centrales existantes et pousser leur exploitation jusqu’à 60 ans. « Au total, plus de 200 modifications majeures ont été apportées pour chaque réacteur depuis 2021. »
Une digue en cas de submersion
À la suite du retour d’expérience de Fukushima, le site s’est également doté de diesels de secours (des groupes électrogènes) flambant neufs, installés en hauteur dans des forteresses de béton surmontées de grilles orangées. Leur bon fonctionnement est vital en cas de rupture d’approvisionnement électrique sur place. Enfin, la centrale a été ceinturée pour devenir « une île » en cas de submersion marine. La digue en remblai et/ou béton armé a été renforcée, une clôture d’acier a été surélevée côté canal d’amenée — le canal qui amène l’eau de mer qui va refroidir les réacteurs jusqu’au site.
Le site a même été récemment encerclé par un mur de 35 millions d’euros, doté de portes éclusières peintes en bleu Klein. Cette « protection périphérique anti-inondation » semble être la réponse cardinale à l’élévation du niveau des eaux. Elle place le parking des travailleurs en sécurité. « EDF fait ce qu’elle peut avec les réacteurs existants, c’est de l’amélioration continue, convient Pauline Boyer, auteure du rapport et chargée de campagne nucléaire. Elle doit protéger le site des aléas jusqu’à son démantèlement. » Cependant, l’autrice du rapport se place dans le temps long.
Car le site de Gravelines est pressenti pour accueillir deux EPR2 d’une puissance de 1650 MW chacun, ce qui fait l’objet d’un débat public. Ils doivent être érigés sur l’ancien site de réserves stratégiques de TotalEnergies, lequel est actuellement en fin de démantèlement. Dans le dossier des maîtres d’ouvrage, les plans proposent de surélever la construction sur une plateforme en béton, à plus de 11 mètres au-dessus du niveau de la mer et d’opérer deux ans de travaux publics pour terrasser et renforcer le banc de sable censé les accueillir. « Cela constituerait la principale mesure de protection des nouveaux réacteurs contre les inondations », dit Pauline Boyer.
« On ajoute une vulnérabilité supplémentaire aux populations »
Pourquoi 11 mètres et pas 14 comme la vague qui frappa la centrale de Fukushima sur la côte est du Japon ? « La sismicité de la zone est très faible, le risque de tsunami d’une telle importance est quasi-nul », rassure-t-on chez EDF. « Quoi qu’il en soit, la construction de deux réacteurs nucléaires “en altitude” au bord d’une mer montante et sur une zone exposée à la submersion augmente le risque de voir la centrale isolée régulièrement en une île, avec tous les risques que cette situation implique pour le fonctionnement de la centrale, la sûreté nucléaire, la population et l’environnement », détaille le rapport de Greenpeace.
« Évidemment, on ne déplace pas ce qui est déjà construit, mais on peut aussi ne pas construire sur des zones potentiellement sujettes à de grosses submersions, dit Pauline Boyer à Reporterre. On ajoute une vulnérabilité supplémentaire aux populations. »
Un polder de 100 000 hectares
Le site nucléaire de Gravelines est situé au cœur du delta de l’Aa, un territoire très plat de 100 000 hectares progressivement conquis sur la mer, entre Calais et Dunkerque. C’est un polder abondamment anthropisé avec sept sites Seveso répertoriés à proximité, dont le port méthanier de Dunkerque situé à 5 kilomètres à vol d’oiseau. Le site nucléaire se situe dans un des territoires dits « à risque important d’inondation » (TRI) identifiés dans la cadre de la directive européenne inondations (référence n° 2007/60/CE du 23 octobre 2007).
Sur le site web Delta de l’Aa 2050, le risque de submersion est abondamment documenté et concerne « toute la zone située entre la frontière belge, Saint-Omer, Calais et Dunkerque [qui] est située sous le niveau de la mer à marée haute, à l’exception des dunes et de quelques collines. »« La vulnérabilité n’est pas seulement liée à la faible altitude des terres, elle est également associée à la forte anthropisation de ces espaces où les zones tampons de régulation des inondations et de protection naturelle contre l’érosion (marais maritimes, prairies inondables, dunes, etc.) ont bien souvent été détruites », développe Pauline Boyer.
« Les zones tampons contre les inondations ont été détruites »
Dans ces conditions, est-ce « judicieux » de construire en bord de mer, interroge Pauline Boyer ? L’ingénieure en génie des procédés estime qu’il reste « énormément d’incertitudes, notamment concernant le comportement des calottes glaciaires ». Les dernières hypothèses du Giec, quoique déjà inquiétantes, pourraient bien s’avérer obsolètes : en fouillant dans le rapport de l’Initiative climatique internationale sur la cryosphère — réseau d’experts et de chercheurs —, elle découvre que le niveau de 3 mètres pourrait être atteint d’ici au début du siècle prochain. À cette époque, le démantèlement des deux EPR2 devrait s’amorcer.
Une vigilance accrue doit être de mise
L’inquiétude est donc légitime, voire partagée au plus haut niveau. Dans son rapport de 2022 sur les travaux relatifs au nouveau nucléaire, le gouvernement notait qu’une vigilance accrue doit être de mise. « Certains risques identifiables ne sont toutefois pas intégrés dans le chiffrage d’EDF, notamment les aléas suivants, et devront faire l’objet d’un suivi particulier : […] des évènements climatiques et météorologiques très perturbants (inondations, intempéries, canicules, vagues de froid) ainsi que le risque pandémique, ou plus généralement de situation de crise systémique, qui peuvent être particulièrement préjudiciables à un chantier nucléaire. »
Un autre rapport, de la Cour des comptes cette fois, [1] indique que « les exploitants doivent encore intensifier leurs actions dʼadaptation ». Ce que note l’organisme, c’est que la conception des réacteurs EPR2 en bord de mer exclut le pire scénario du Giec (le SSP5-8.5) qui fait référence à l’instabilité potentielle des calottes glaciaires qui provoquerait une hausse bien plus élevée du niveau de la mer, de l’ordre de 12 à 15 mètres.
Selon la Cour, la marge prévue par EDF de 1 mètre pour ses réacteurs en bord de mer n’inclut pas « une marge à la hauteur des effets » d’un tel scénario.
Dans son rapport, Greenpeace conclut en convoquant une citation pleine de bon sens de Valérie Masson-Delmotte, ex-coprésidente du groupe I du Giec. « La réponse à la montée du niveau de la mer demande une planification à très long terme. Les deux seules choses qui empêchent les risques, c’est de ne pas construire dans les zones qui seront soumises aux risques littoraux, et le repli planifié. Le reste ne fait que faire gagner un peu de temps. »
Petite révolution au Royaume-Uni : le train va redevenir public
Trente ans après la privatisation du rail, une réforme de renationalisation promise par le gouvernement travailliste est en cours au Parlement.
Londres (Royaume-Uni), reportage
Dans la gare de London Paddington, seconde gare la plus fréquentée du Royaume-Uni, les allées et venues sont incessantes. L’horloge affiche 17 heures. Pour les travailleurs non londoniens, c’est l’heure de rentrer chez soi. Sur les panneaux d’affichage, certains trains sont annulés ou retardés. « Cela arrive tout le temps. Les trains ne sont pas fiables et ils sont très chers : j’ai payé 82 livres sterling [98 euros] pour un aller-retour Oxford-Londres dans la même journée car je voyage aux heures de pointe, or le trajet ne dure que quarante-cinq minutes », soupire Suzie sur le quai d’un train desservi par la Great Western Railway.
Cette compagnie ferroviaire sera bientôt renationalisée. Une révolution promise par le gouvernement travailliste élu en juillet dernier. Il souhaite aller vite. Les députés ont voté le projet de loi à la rentrée, qui sera débattu dès octobre chez les Lords. En clair, le texte de loi propose de renationaliser les opérateurs ferroviaires privés à l’expiration des différents contrats et de les fondre dans un seul et même organisme : Great British Railways.
Bilan mitigé de la privatisation
En 1993, le gouvernement conservateur de John Major dénationalisait British Rail, non sans peine quelques années après la frénésie de privatisations thatchériennes. L’objectif : améliorer la performance et réduire le déficit. British Rail a été fragmenté en une centaine d’entreprises privées : le réseau, le matériel roulant, le fret ont été confiés à des sociétés distinctes privées tandis qu’un système de franchises a été créé, distribuant l’exploitation des lignes de chemin de fer régionales à 25 opérateurs.
Au fil des années cependant, une renationalisation s’est amorcée. Dès 2002, après un désastre ferroviaire lié à un mauvais entretien des voies par les trop nombreuses entreprises privées — l’accident de Potters Bar a provoqué plusieurs morts et créé un scandale national —, le réseau ferré (Network Rail) est repassé sous le giron public. L’État a récemment repris « temporairement » le contrôle de cinq opérateurs privés de chemins de fer en raison de leurs performances médiocres ou de leur faillite — un dernier recours prévu dans le contrat. Lors de la pandémie de Covid-19, le gouvernement a injecté plus de 12 milliards de livres sterling (environ 14 milliards d’euros) pour sauver le système. C’est même sous l’ère de Boris Johnson que l’idée de la création du Great British Railways a fait surface, bien que le terme de « nationalisation » fût tabou.
Trente ans après la privatisation, le bilan est mitigé. D’un côté, les défenseurs du modèle assurent que le nombre de kilomètres-passagers a presque doublé, les infrastructures ont été modernisées — toutefois grâce à un soutien massif de l’argent public —, la sécurité sur les voies est devenue exemplaire, les sociétés sont devenues rentables. Les détracteurs pointent en revanche un manque de vision globale, un système trop complexe pour les usagers qui doivent utiliser plusieurs applications selon la ligne qu’ils prennent, des prix fluctuants et exorbitants — parmi les plus élevés d’Europe, qui ont augmenté de 20 % en termes réels en trente ans —, des retards voire des annulations fréquents. Ainsi, de mars 2023 à mars 2024, 681 trains ont en moyenne été chaque jour annulés.
Les exploitants, dont font d’ailleurs partie des entreprises ferroviaires publiques étrangères comme SNCF via Keolis et Deutsche Bahn via Arriva, sont accusés par les syndicats de faire du profit sur le dos des contribuables britanniques. S’agissant des sociétés louant le matériel roulant, l’organisation de régulation ferroviaire indique qu’elles ont versé plus de 400 millions de livres de dividendes (480 millions d’euros) à leurs actionnaires en 2022-2023, et ce en pleine crise du coût de la vie.
Une réforme populaire
La renationalisation du rail est très populaire chez les Britanniques : aujourd’hui, 76 % la soutiennent. « C’est une excellente idée, réagit Rebecca dans la gare de Saint-Pancras. Le système actuel est absurde. Je dois me rendre à Londres trois fois par semaine et je ne conduis pas. De Kettering, où j’habite [à 80 kilomètres au nord de Londres], un aller coûte environ 70 livres [84 euros] lors des heures de pointe. Mais si je prends mon train à Northampton, pas très loin, je paierais moitié moins cher, car il s’agit d’une compagnie différente. »
Janine, elle, « espère que l’accent sera moins mis sur le profit que sur le service ». Jusqu’à récemment, cette salariée dans l’associatif payait « de [s]a poche » 5 500 livres sterling (6 600 euros) pour un pass annuel qui lui permettait de voyager autant qu’elle le souhaitait sur la South Western Railway, « mais uniquement entre les stations de Winchester et de Londres et, le matin, [elle avait] rarement une place assise ».
D’autres sont toutefois sceptiques quant à un véritable changement. « Il ne faut pas s’attendre à une transformation radicale, mais à une amélioration constante, prévient Christian Wolmar, spécialiste du rail. Moins d’acteurs s’assoiront autour d’une table pour prendre des décisions sur la stratégie, les investissements, les tarifs, etc. Mais partageront-ils la même vision, parviendront-ils à faire baisser les prix ? Les chemins de fer seront un peu moins chers à exploiter, mais pas gratuits. »
« Pass climat »
Pour les écologistes, la nationalisation des trains ne va pas assez loin. Ils réclament un « pass climat » qui permette un déplacement illimité au prix de 49 livres (59 euros) par mois. Un rapport intitulé « Fare Britannia », que Greenpeace a commandé à Greengauge 21, souligne qu’un tel système générerait plus de 100 millions de voyages supplémentaires en train par an, économiserait 40 millions de trajets en voiture et réduirait les émissions d’environ 380 000 tonnes de carbone. Avec toutefois un manque à gagner pour l’État.
Or, le gouvernement ne promet pas des prix plus bas dans l’immédiat, mais « une garantie du meilleur tarif ». « Nous examinerons plus tard l’ensemble du fonctionnement de la billetterie, souligne Rachael Maskell, députée Labour du York Central. Ce que nous voulons garantir, c’est la qualité du service. Nous souhaitons que plus de personnes prennent le train et abandonnent leur voiture. L’argent qui va actuellement dans les poches des actionnaires reviendra à l’État pour être réinvesti dans les chemins de fer. » Une fois que les dix contrats privés restants arriveront à expiration — le dernier, West Coast, se terminera en 2032 —, s’ils ne sont pas rompus avant, les contribuables économiseront 2,2 milliards de livres (2,6 milliards d’euros) par an, selon les estimations du gouvernement.
British Rail ne ressuscitera pas sous son ancienne forme. Par exemple, Great British Railway continuera de louer le matériel roulant et les sociétés de fret resteront privées. « Il ne s’agit pas de recréer une grande organisation étatique, observe Christian Wolmar, car toutes les structures ont été démantelées. C’est en fait une renationalisation partielle. » Toujours est-il que le vent du changement promis par le Premier ministre Keir Starmer souffle sur le pays. Avec en ligne de mire d’autres grands chantiers de nationalisation : l’eau et l’énergie.
« Israël se tourne maintenant contre le Liban pour sécuriser sa frontière nord »
Depuis le 23 septembre, les bombardements de l’armée israélienne sur le Liban ont entraîné la mort de plus de 1 500 personnes, le départ vers la Syrie de 100 000 personnes et le déplacement d’un million de personnes, sur les quelque 5 millions d’habitantEs du Liban. Entretien avec Gilbert Achcar, militant libanais et professeur à l’université de Londres.
Il y a tout à craindre que les attaques de mi-septembre au Liban aient lancé une nouvelle séquence de la guerre commencée en octobre 2023 à Gaza…
Depuis qu’Israël a en gros achevé le stade le plus intensif de sa destruction à Gaza, il se retourne maintenant contre le Liban, contre le Hezbollah, pour sécuriser sa frontière nord. Il le fait en ne laissant au Hezbollah d’autre choix que de capituler et se retirer loin de la frontière ou de subir une guerre totale. Ils ont commencé une escalade progressive de la violence qui a maintenant abouti à la décapitation du Hezbollah, y compris l’assassinat de son chef Hassan Nasrallah, et refusent toute proposition de cessez-le-feu. Une capitulation pure et simple de l’organisation étant peu probable, il faut se préparer à la continuation de l’escalade, y compris l’intervention de troupes au sol dans des opérations ponctuelles, le tout visant à infliger le plus grand dégât possible à l’organisation et démanteler son infrastructure.
En quoi ce qui a lieu aujourd’hui est différent des conflits précédents : 2006, 1982 ?
En 1982, Israël avait envahi la moitié du Liban jusqu’à la capitale Beyrouth, investie par les troupes israéliennes en septembre. Très vite, la résistance, lancée au départ par les communistes, a fait reculer l’armée israélienne qui s’est cantonnée à une portion du Sud-Liban pendant plusieurs années (18 ans d’occupation) jusqu’à devoir l’abandonner en 2000. Israël a subi une défaite politique à cet égard. Autant la guerre avait marqué un point pour l’État Israël vis-à-vis de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) qui avait dû évacuer Beyrouth en 1982, autant Israël s’est montré vulnérable face à la résistance qui s’est développée au Liban. En 2006, Israël avait tenu compte des leçons de 1982 et n’envisageait donc pas d’occupation permanente. Il y a eu une incursion de troupes qui se heurtèrent à une résistance farouche, plus coûteuse que prévu. Cette guerre-là s’est aussi soldée par un fiasco pour Israël, au sens où le Hezbollah, loin d’être détruit, en est ressorti plus fort à terme puisqu’il a reconstitué son arsenal et l’a très considérablement amplifié. La leçon que l’armée israélienne a tirée de 2006, c’est de ne pas prendre de risque quand ils interviennent dans des zones peuplées comme Gaza ou le Liban, surtout les zones urbaines, mais de tout détruire avant d’entrer, ce qui s’est traduit par l’effroyable destruction de Gaza et le caractère génocidaire de la guerre menée contre l’enclave. Au Liban, ils n’en sont pas encore arrivés à ce stade, mais ils menacent ouvertement de transformer des parties du Liban en un autre Gaza.
Après la mort d’Hassan Nasrallah, que représente aujourd’hui le Hezbollah au Liban ?
L’organisation a été très affaiblie non seulement par l’assassinat de Nasrallah, mais aussi par le démantèlement de son réseau de communication interne et l’assassinat de plusieurs de ses cadres militaires. L’organisation a été véritablement décapitée. Elle va se reconstituer et tenter de reconstituer son arsenal bien qu’Israël rende la chose de plus en plus difficile en bombardant en Syrie les voies de transport par lesquelles l’armement peut arriver d’Iran au Hezbollah.
Sur le plan politique, c’est également un affaiblissement considérable de l’organisation. Le Hezbollah conserve certes sa base sociale, dont une grande partie dépend financièrement de l’organisation. Mais il y a dans la population libanaise une forte désaffection qui avait commencé avec l’intervention du Hezbollah en Syrie auprès du régime Assad. Cette intervention a beaucoup changé l’image du Hezbollah au Liban et dans la région : du combat contre Israël, l’organisation était passée au combat en défense d’un régime sanguinaire. Le Hezbollah est apparu plus que jamais comme étant avant tout un auxiliaire de l’Iran. Aujourd’hui, une grande partie de la population libanaise reproche au Hezbollah d’impliquer le Liban dans la guerre avec Israël au nom de la solidarité avec Gaza, même si c’est de façon limitée, en pointant du doigt le fait que la Syrie, qui est censée faire partie du même « axe de la résistance » et qui a certainement beaucoup plus de moyens que le Hezbollah, ne fait rien du tout. De même, l’Iran, leader du même « axe », ne fait pas grand-chose, au-delà des discours. Une seule fois, en représailles contre l’assassinat de dirigeants iraniens à Damas en avril dernier, l’Iran a lancé contre Israël des missiles et drones avec un préavis qui a contribué à en rendre l’impact négligeable.
Beaucoup au Liban demandent donc « pourquoi nous, petit pays, le plus faible de la région, devrions-nous subir des conséquences pour le compte de l’Iran ? » Ce type d’argument est devenu très fort aujourd’hui. Le Hezbollah revendiquait jusqu’ici le fait qu’il constituait une sorte de bouclier, une garantie sécuritaire pour le Liban face à Israël, mais cet argument est battu en brèche par la démonstration que fait Israël de manière spectaculaire de sa grande supériorité militaire, technologique et en renseignements.
Effectivement, avec le risque de voir le Liban détruit…
Une partie du Liban plutôt, parce qu’Israël vise spécifiquement le Hezbollah, les régions où il est présent. Il joue sur les clivages confessionnels et même les clivages au sein des chiites qui sont divisés au Liban en deux camps alliés, mais bien distincts : le Hezbollah d’une part et Amal de l’autre. Le mouvement Amal ne s’est pas impliqué dans le combat en cours contre Israël et ne dépend pas de l’Iran comme le Hezbollah. Israël joue donc là-dessus et vise spécifiquement les régions et zones contrôlées par le Hezbollah. Il y a fort à craindre que la menace de transformer cette partie du Liban en Gaza bis soit mise en œuvre.
Comment construire la solidarité pour les anticapitalistes et anticolonialistes alors que nous ne partageons pas les projets politiques des forces en présence ?
Il faut toujours concevoir la solidarité comme indépendante et critique. La notion de « solidarité inconditionnelle » ne me semble pas utile. La solidarité avec une force dont on ne partage pas le profil doit toujours être critique au sens où il faut se solidariser avec la victime contre l’oppresseur principal, sans oublier pour autant que cette victime peut à son tour être dans une position d’oppression vis-à-vis d’autres.
S’il y avait demain une offensive d’Israël et des États-Unis contre l’Iran, il faudrait se mobiliser puissamment contre celle-ci en tant qu’agression impérialiste, sans pour autant soutenir « inconditionnellement » le régime iranien et encore moins le soutenir contre sa population si elle se soulevait à l’occasion. De la même façon, en 1990-1991, il fallait se mobiliser contre l’agression impérialiste contre l’Irak, sans pour autant soutenir le régime de Saddam Hussein, et encore moins sa répression sanguinaire des populations du sud et du nord du pays qui se sont soulevées à l’occasion. Il ne faut tomber ni dans un travers ni dans l’autre. Il y a des personnes à gauche qui, au nom de la nature du Hezbollah comme organisation confessionnelle et intégriste inféodée au régime iranien des mollahs, en viennent à adopter des attitudes neutres, qui frisent parfois même le soutien à Israël. Cela doit être fortement combattu : il ne faut pas du tout hésiter à se mobiliser contre l’agression israélienne, celle d’un État colonial, oppresseur et prédateur. Quelles que soient les directions politiques dominantes en face, la résistance à l’agresseur colonial est juste. Mais il ne faut pas tomber dans l’autre travers qui consiste à faire du Hezbollah ou du Hamas — ou même bien pire, les Houthis du Yémen qui sont l’équivalent des Talibans — des champions progressistes. Il s’agit de forces, qui sur le plan social et culturel peuvent être tout à fait réactionnaires, et de dictatures brutales comme le sont les régimes syrien et iranien.
Propos recueillis par Fabienne Dolet, le 30 septembre 2024
« L’enseignement agricole renvoie à l’agriculture et à la ruralité, mais c’est une idée reçue »
À quoi ressemble l’enseignement agricole ? Quels sont ses liens avec les syndicats majoritaires et la vision productiviste qu’ils défendent ? Quelle est la place des savoirs agroécologiques au sein des enseignements ? Éléments de réponse avec Joachim Benet Rivière, sociologue de l’enseignement agricole technique et des formations professionnelles, au Gresco (Groupe de recherches sociologiques sur les sociétés contemporaines) à Poitiers.
Qu’est-ce qui caractérise l’enseignement agricole français ?
De prime abord, l’enseignement agricole renvoie à l’agriculture et à la ruralité. Mais c’est une idée reçue. Ce terme continue de masquer la réalité et n’a d’agricole que le nom.
Pour le comprendre, il faut revenir à son histoire. Dans les années 1960, l’enseignement agricole avait deux fonctions : former les agriculteurs et former les enfants d’agriculteurs, éloignés des établissements généraux et professionnels, à d’autres métiers. Et ce afin d’assurer la modernisation. Les lycées agricoles ont donc répondu à ces fonctions et se sont tout de suite ouverts à d’autres formations, en particulier pour les filles.
Aujourd’hui, la majorité des filières ne sont pas agricoles. 40 % des élèves du secondaire y suivent des formations de services à la personne, issues des formations ménagères de l’époque. Les élèves qui ont des parents agriculteurs ne représentent quant à eux que 10% des effectifs. L’enseignement agricole s’ouvre donc sur de nouveaux secteurs et de nouveaux publics, avec le développement de la formation technique, scientifique et des passerelles avec l’enseignement supérieur.
L’enseignement agricole remplit également une autre fonction : la remobilisation scolaire pour des jeunes éloignés de l’école. C’est le cas dans les classes de quatrième et troisième, mais aussi dans les CAP (Certificat d’aptitude professionnelle) et les MFR (Maisons familiales rurales).
Enfin, l’enseignement agricole s’inscrit dans une logique de transmission familiale, avec la culture du terroir et un attachement au milieu local.
Vous expliquez que, contrairement aux idées reçues, l’enseignement agricole a un lien fort avec le milieu urbain et périurbain. Pour quelles raisons ?
L’enseignement agricole vient du milieu urbain, de l’Île-de-France, avec la création de formation d’horticulteurs au 19e siècle. On connaît notamment l’École du Breuil qui forme, encore aujourd’hui, les jardiniers de la ville de Paris. Les espaces périurbains, avec leurs grandes surfaces disponibles, étaient aussi disposés à accueillir des établissements.
Ensuite, comme on pensait que les paysans avaient un retard culturel, les lycées agricoles avaient un rôle d’élévation du niveau scolaire des enfants d’agriculteurs [Ils ont d’ailleurs toujours une spécificité : les cours d’éducation socioculturelle]. En rapprochant les élèves de la ville, des activités culturelles, on imaginait qu’ils rattraperaient ce retard.
Et puis, certaines institutions comme Les Apprentis d’Auteuil ont mis en place des lycées agricoles pensés comme centre d’apprentissage pour les jeunes urbains. Historiquement, ils avaient des annexes pour les envoyer dans les campagnes. A contrario, les MFR ont essayé de transposer leur modèle pédagogique dans le milieu urbain.
Parmi les raisons, on peut aussi citer le développement de l’agriculture urbaine et l’implantation de l’enseignement agronomique en milieu urbain.
Lycées, MFR, quelles sont les différents types d’enseignement agricole et donc de pédagogie ?
Les lycées publics et privés reposent sur le même modèle que les lycées professionnels, avec un apprentissage pratique et un stage de dix semaines. Une exploitation agricole dans l’établissement permet aux élèves d’expérimenter. Les savoirs scientifiques constituent les savoirs les plus importants.
A contrario, les MFR ont une pédagogie basée sur l’alternance. Les élèves passent la moitié de l’année scolaire dans l’entreprise. Ce modèle est plus proche de celui de l’apprentissage. Les savoirs pratiques y sont les plus importants. Les MFR accueillent plus d’élèves éloignés de l’école que les lycées agricoles. Elles ont joué pleinement ce rôle de remobilisation scolaire.
Autre spécificité, l’enseignement agricole public est rattaché au ministère de l’Agriculture et non à l’Éducation nationale. Pourquoi ?
C’est une spécificité, mais à déconstruire. Certes, il y a un attachement à avoir un enseignement indépendant par rapport à l’Éducation nationale. Et le ministère de l’Agriculture a un intérêt à garder cela car la majorité de ses effectifs sont dédiés à l’enseignement agricole.
Mais l’enseignement agricole est une institution carrefour, comme le disait le sociologue François Cardi. Il est sous la tutelle du ministère de l’Agriculture, mais on peut y trouver des formations de l’Éducation nationale. Le diplôme le plus important de l’enseignement agricole, c’est d’ailleurs le bac pro.
Ensuite, l’une des raisons qui explique cette spécificité, c’est que l’enseignement agricole est lié aux politiques agricoles. Avec un point important, la présence de la FNSEA [le premier syndicat agricole français] dans la gestion politique des lycées. Leurs représentants sont présents dans les conseils d’administration. Le président est souvent un membre du syndicat. L’enseignement agricole privé a un modèle de gestion plus autonome, mais a la crainte d’être avalé. Il y a donc une combinaison d’intérêts entre le ministère, les syndicats et les établissements privés.
La présence de la FNSEA au sein des établissements n’oriente-t-elle pas l’enseignement agricole vers un modèle plus productiviste ?
Historiquement, les politiques agricoles se sont faites en cogestion avec la FNSEA. Mais il y a une omerta sur la place de ce syndicat au sein de l’enseignement agricole. Les établissements n’en parlent pas trop et c’est donc difficile de voir comment s’exerce cette influence. Par exemple, les commissions qui établissent les référentiels de formation réunissent des syndicats agricoles. Mais on constate une opacité sur les discussions de construction de ces référentiels.
Dans le milieu agricole, ce sont plutôt les formations pour adultes qui vont valoriser un autre modèle. Il y a un clivage historique entre les formations initiales orientées vers le productivisme et les formations pour adultes qui s’adressent à des personnes en reconversion, non issues du milieu agricole, et qui sont promotrices d’agroécologie. Celles-ci ont notamment permis le développement de l’agriculture biologique.
Dans quelle mesure la formation agricole initiale, dans le secondaire, prend-elle en compte les enjeux agroécologiques ?
On constate une introduction progressive aux savoirs agroécologiques. Les formations initiales et pour adultes convergent vers une réduction des produits chimiques. Dans la formation initiale, cela se traduit par l’expérimentation de nouvelles techniques sur les exploitations agricoles des établissements.
Toutefois, les élèves sont réticents à l’égard de ces techniques, jugées moins efficaces dans la logique productiviste. Dans leur représentation, l’agroécologie est vécue comme une injonction politique car elle est associée à l’écologie. Les élèves sont très attachés à l’idée de « nourrir tout le monde ». Ils ne sont pas hostiles en tant que tel à l’agroécologie, mais ils souhaitent avant tout nourrir le monde.
Et puis, il y a le modèle enseigné et les expériences pratiques rencontrées lors de stage. Celles-ci viennent contredire les enseignements agroécologiques. Les élèves se retrouvent confrontés à différents modèles ce qui complexifie leur formation.
Comment mieux transmettre ces savoirs agroécologiques à ces futurs agriculteurs et agricultrices ?
Il existe tout un débat et des désaccords chez les chercheurs pour savoir comment transmettre ces nouvelles connaissances. Il faut déjà revenir au fait que l’agroécologie est souvent associée à la transition écologique, une notion de politique publique floue. La transition agroécologique, c’est une manière de dire qu’il n’y a pas de transformation radicale, pas de rupture. Cela va dans le sens d’un renforcement du modèle conventionnel qui serait plus durable.
Souvent la réponse apportée aux problématiques écologiques est de l’ordre technologique et numérique. Dans l’agroéquipement, par exemple, cela passe essentiellement par la machine pour limiter le gaspillage d’eau ou d’intrants chimiques. C’est presque une caricature de penser l’agroécologie à travers les grandes machines. Ça ne répond pas aux enjeux écologiques et ça maintient les agriculteurs dans une forme de dépendance. Mais c’est la réponse de l’agro-industrie fournie aux élèves. Des formations existent pour permettre de retrouver de l’autonomie par rapport aux agro-industriels, comme celles de l’Atelier paysan, mais elles concernent les adultes.
L’une des questions, c’est donc de savoir comment on appelle les élèves à repenser leur rapport au vivant. Cela se fait à travers l’éducation socioculturelle notamment, par le biais des enseignements. Des artistes se rendent aussi parfois en résidence dans les lycées agricoles. C’est un espace de réflexion pour les élèves mais cela reste marginal dans leur emploi du temps
Enfin, il existe un débat sur la présence des filles qui aurait permis de développer l’agroécologie. C’est un débat dangereux. Les garçons et les filles auraient construit un rapport au vivant différent alors que c’est le produit d’une éducation et d’une socialisation. Le discours selon lequel les filles et les femmes ont une autre conception du vivant peut les essentialiser.
Parlons du genre justement. L’enseignement agricole, réputé majoritairement masculin, intègre-t-il désormais pleinement les filles ?
La part des filles est plus importante dans l’enseignement agricole que dans les lycées professionnels. Elles représentent presque 50 % des effectifs, un poids important.
Toutefois, elles sont majoritairement présentes dans des filières ou certaines spécialisations qui préparent moins aux métiers agricoles : dans les formations de services à la personne, les filières hippiques ou l’horticulture.
A contrario, dans le bac pro équipement, qui forme les réparateurs et les commerciaux, on trouve 98 % de garçons. Il y a donc une ouverture importante aux filles dans l’enseignement agricole, mais au sein des filières, on retrouve la même ségrégation de genre que dans l’enseignement professionnel.
Ensuite, on constate un problème au niveau des politiques publiques, qui pensent la mixité du côté des filles. Celles-ci ont tendance à mettre en avant le portrait de femmes agricultrices alors qu’on a rarement des politiques de communications qui incitent les garçons à investir des filières majoritairement féminines.
Enfin, la plus grande présence de femmes est une réponse à la crise du renouvellement mais les filles s’autocensurent contrairement aux garçons. Elles sont également plus souvent en difficulté pour trouver des maîtres de stage dans les filières majoritairement investies par des hommes.
Enfin, l’enseignement agricole est très lié à la politique, dont le paysage est en plein bouleversement. Comment l’avancée de l’extrême droite influe-t-elle sur la formation agricole ?
L’enseignement agricole accueille des élèves en situation de vulnérabilité : élèves en situation de handicap, jeunes placés en familles d’accueil, migrants allophones, etc. Cela résulte d’une histoire issue du catholicisme social qui a proposé des formations à des élèves fragiles ou démunis. Ces derniers représentent une ressource, une solution pour répondre à la crise de recrutement des métiers agricoles. Mais ces populations sont aussi les plus directement visées par les politiques d’extrême droite. Une politique d’extrême droite bouleverserait donc les fondements de l’enseignement agricole.
Guerre au Proche-Orient : à Beyrouth, une cantine solidaire nourrit les déplacés
L’armée israélienne intensifie ses bombardements contre le Hezbollah, au Liban, tuant des centaines de civils. À Beyrouth, une cantine autogérée se mobilise pour nourrir les personnes déplacées, réfugiées dans la capitale.
Des volontaires de toutes nationalités hachent des oignons, coupent des carottes et préparent une marmite de riz pendant qu’un drone de surveillance israélien bourdonne dans le ciel de Beyrouth. Une activité fébrile règne dans la station-service reconvertie qui accueille Nation Station, une cuisine associative qui distribue habituellement des repas aux personnes les plus démunies de Geitaoui, un quartier à l’est de la ville.
Depuis une semaine, l’association est mobilisée pour faire face à l’escalade de la guerre entre le Liban et Israël : des dizaines de volontaires, jeunes pour la plupart, s’activent pour nourrir des déplacés venant du Sud-Liban et de la banlieue sud de Beyrouth, réfugiés dans la capitale libanaise.
« On fait des journées de presque douze heures en cuisine pour préparer 400 repas trois fois par jour », explique Sélène, une jeune volontaire franco-libanaise. « Être dans l’action et s’engager, ça fait passer un peu la tension et l’anxiété constante qu’on ressent à cause de la guerre », dit-elle à Reporterre. Depuis deux semaines, Israël enchaîne les attaques sur le Liban : explosions des bipeurs et walkies-talkies, bombardements massifs sur le Sud-Liban et la vallée de la Bekaa, frappes aériennes contre les dirigeants du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth qui ont tué le dirigeant du mouvement islamiste, Hassan Nasrallah, le 27 septembre… Et maintenant des opérations terrestres à la frontière, comme l’a affirmé l’armée israélienne.
400 petits-déjeuners
Plus de 1 500 personnes ont été tuées par Israël au Liban, 7 000 blessées et un million déplacées, dont une majorité de civils, dans cette « nouvelle phase » de sa guerre contre le mouvement politique et armé chiite, le Hezbollah. Des dizaines de milliers de personnes ont trouvé refuge dans des écoles à Beyrouth, mais beaucoup dorment aussi dans les rues et les places publiques de la capitale. Malgré le chaos qui règne, des associations tentent d’assurer un minimum de solidarité avec les victimes de la guerre. « Nous avons été créés en 2020 après l’explosion du port de Beyrouth : être réactif en temps de crises est dans notre ADN », explique Jenitta Hebbo, 25 ans, gérante des opérations de l’association Nation Station.
Le lendemain, à 9 h 30, après avoir passé des heures à préparer des sandwichs pour le petit-déjeuner, Jenitta et Sélène se rendent en voiture à Dekwaneh, un quartier voisin de Beyrouth. Là-bas, des centaines de personnes déplacées ont trouvé refuge dans une école d’hôtellerie. Ce sont les volontaires de la branche libanaise d’Action contre la faim (ACF) Espagne qui y distribuent les 400 petits-déjeuners préparés par Nation Station.
« Nous nourrissons notre propre communauté, nos familles, alors nous donnons 1 000 % de notre énergie pour aider notre pays », explique Abdallah Sanan, gérant de la distribution des repas, à Reporterre d’une voix fatiguée, mais déterminée. Lui-même est originaire de Nabatiyeh, une ville moyenne du sud du Liban, qu’il a fui alors que les missiles israéliens pleuvaient sur la région, faisant des centaines de morts civils, touchant des mosquées et des hôpitaux.
Seuls ses canaris ont pu être sauvés
Autour de lui, une certaine tension règne et la crainte des espions israéliens est grande : les journalistes ne sont pas autorisés à prendre des photos des déplacés ni à leur parler, sauf pour quelques exceptions. Mahmoud, 56 ans, est l’un de ceux qui ont accepté de témoigner de leur exode forcé. Sa maison, dans le village frontalier d’Aita al-Jabal, a été bombardée peu après son départ, le 23 septembre dernier. « La maison, les champs, tout a disparu », soupire l’ouvrier agricole, qui gagnait son salaire en cultivant des champs de tabac autour de sa maison. Il a seulement réussi à sauver ses canaris, qui gazouillent dans leurs cages posées dans la cour de l’école. « Je les ai amenés parce que ce serait mal de les abandonner — ils auraient été tués dans le bombardement », soupire-t-il..
L’armée israélienne affirme viser des armes cachées au sein de la population civile, mais Mahmoud affirme qu’« Israël ne fait pas de différence entre les civils du Sud-Liban et les combattants : pour eux, nous sommes tous coupables ». Alors que l’État hébreu a annoncé avoir effectué des opérations terrestres contre les villages frontaliers dans la nuit, la perspective pour les agriculteurs et les déplacés du Sud-Liban de retrouver un jour leurs champs et leurs collines s’amenuise.
Après le passage de l’ouragan Hélène, Trump et Harris éludent la question climatique
Après le passage et les 110 morts de l’ouragan Hélène aux États-Unis, les candidats à l’élection présidentielle cherchent à tirer profit de la catastrophe. Sans pointer du doigt la responsabilité du changement climatique.
Des centaines de personnes sont encore portées disparues. Quelques jours après l’arrivée de l’ouragan Hélène sur les côtes de la Floride jeudi 26 septembre, le bilan est considérable dans le sud-est des États-Unis. Il a touché terre en catégorie 4, sur une échelle de 5. À mesure qu’il progressait vers le Nord, il a rétrogradé en « tempête tropicale », mais les conséquences en ont quand même été désastreuses.
Plus d’une centaine de personnes sont mortes dans les États de Floride, de Géorgie et de Caroline du Sud, ainsi que dans le Tennessee et la Caroline du Nord. De nombreuses routes ont été coupées, des quartiers inondés, et des villes presque détruites. Dans certaines régions, les opérations de secours cherchaient encore ce lundi 30 septembre, par tous les moyens possibles, à accéder aux sinistrés.
Six cents personnes étaient portées disparues le 30 septembre, selon l’administration de Joe Biden. Le président a annoncé se rendre en Caroline du Nord mercredi 2 octobre. La campagne présidentielle s’est aussi invitée dans ce déluge. Donald Trump était lundi à Valdosta, dans le sud de la Géorgie. L’État est un des plus touchés, avec la Caroline du Nord.
Des « swing states » particulièrement touchés
Les deux sont des « swing states », des États pivots, où une victoire est importante, sinon essentielle, pour les candidats. Devant des bâtiments en ruine, le candidat républicain ne cache pas sa casquette « Make America Great Again », son slogan de campagne, vissée sur sa tête. Fidèle à lui-même, il a aligné les mensonges, accusant le président Joe Biden d’être en train de « dormir », une allusion à son âge, et de ne pas avoir réagi à cette catastrophe. Il a affirmé que le gouverneur de Géorgie, Brian Kemp, un Républicain, « a appelé le président sans avoir de réponse ».
Le gouverneur a contesté ces faits, expliquant que le président Joe Biden l’avait appelé la veille pour lui proposer de l’aide — chaque État, dirigé par son gouverneur, est en première ligne pour gérer de tels scénarios climatiques, et l’État fédéral, dirigé par Washington, peut venir en aide avec ses ressources financières et logistiques.
Donald Trump s’en est également pris au gouverneur démocrate de Caroline du Nord, Roy Cooper, l’accusant de « délibérément ne pas aider les gens dans les zones républicaines ». « Ce qui me met en colère [c’est qu’il] sous-entend que nous ne faisons pas tout ce qui est possible. […] C’est faux et c’est irresponsable », a déclaré en réponse Joe Biden. « Notre nation est avec vous, et notre administration continuera de faire tout ce qu’elle peut », a déclaré Kamala Harris. La vice-présidente s’est également entretenue avec les autorités fédérales de gestion de telles crises.
« La crise climatique en action »
Même s’il est difficile d’évaluer la part exacte du changement climatique dans de telles catastrophes climatiques, ces événements — et leur puissance — en sont bel et bien une conséquence. « Ne vous trompez pas : les ravages inimaginables qu’on voit à travers le sud-est [des États-Unis] sont la crise climatique en action. Tant que nous maintenons le statu quo sans limites de l’utilisation des énergies fossiles, ces désastres seront plus fréquents, plus graves, et plus mortels », a déclaré le président de l’organisation environnementale Sierra Club, Ben Jealous.
Sauf qu’aucun des deux candidats n’a évoqué le changement climatique dans ses prises de paroles. Ce n’est pas surprenant de la part de Donald Trump, qui a maintes fois répété son attachement aux énergies fossiles, et son souhait d’abattre les régulations contre les entreprises polluantes. Mais Kamala Harris n’a pas davantage souligné le rôle du changement climatique. Depuis plusieurs mois, la candidate démocrate a plus que lissé son discours sur l’environnement, pour paraître moins radicale aux yeux des électeurs indécis. Reste à savoir si les personnes sinistrées, elles, en tiendront rigueur aux candidats.