Deux ans de « dialogue social » : les confédérations syndicales accompagnent la politique anti-ouvrière de la gauche (Lutte Ouvrière)
La politique du gouvernement
S’il est un domaine, l’un des rares, où l’arrivée de la gauche au pouvoir a provoqué un changement, c’est dans celui des relations entre organisations patronales, organisations syndicales et gou- vernement, et cela visiblement à la grande satisfaction de tout ce petit monde.
L’un des reproches que les confédérations syndicales adressaient à Sarkozy et à son gouvernement était, dans la deuxième partie du mandat, de les ignorer. Dans la deuxième partie uniquement, car il faut se souvenir que le début du mandat de Sarkozy a été ponctué lui aussi d’une multitude de sommets sociaux, de rencontres entre gouvernement, syndicats et patronat. Ainsi c’est Sarkozy qui a organisé en 2009 les États généraux de l’industrie que la CGT réclamait à cor et à cri. Ainsi encore, au cours des neuf premiers mois de 2009, le leader de la CGT, Bernard Thibault, était allé neuf fois à l’Élysée. Cela lui valut à l’époque, et à juste titre, l’interpellation des travailleurs en lutte de Continental, qui n’ont pas eu cet honneur d’avoir la visite et le soutien de la direction de la confédération.
C’est à partir de 2010 que le gouvernement a imposé un autre type de relations aux syndicats. Ainsi, en pleine crise financière, la réforme des retraites de 2010 fut une démonstration, à destination des financiers et des spéculateurs, de la capacité du gouvernement à faire payer d’une manière inflexible les couches populaires. Il était alors hors de question de négocier la moindre virgule, et cela quel que soit le nombre de manifestants et de manifestations au printemps et à l’automne de cette année-là. C’est cette attitude que les confédérations syndicales et en particulier la CGT reprochaient au gouvernement, tandis que la CFDT approuvait la réforme. Et c’est cela qui justifiait les nouveaux appels à manifester des confédérations syndicales. Elles exigeaient que le gouvernement ouvre enfin de « réelles » négociations, qu’au moins il les reçoive pour discuter ne serait-ce que des à-côtés comme la pénibilité, comme elles le demandaient, sentant bien que, sur la durée de cotisation, il n’y aurait rien à discuter.
Dans ses relations avec les syndicats, le PS au pouvoir a donc adopté une attitude assez différente du gouvernement précédent. Dès la période électorale terminée, la « méthode » de Hollande, saluée avec enthousiasme par les syndicats et les organisations patronales, a consisté à les mettre au centre d’un certain nombre de décisions, au travers de l’ouverture de toute une série de négociations, à les associer à sa politique au travers d’accords avec le patronat, accords ensuite traduits en lois, les amenant ainsi à cautionner auprès des salariés la série d’attaques antiouvrières qui allait suivre. Le mandat de Hollande s’est ainsi ouvert sur la première conférence sociale, les 9 et 10 juillet 2012 – la deuxième eut lieu en juillet 2013. Lors de cette grand-messe, le gouvernement voulait, disait-il, « ériger le compromis en méthode du dialogue social ».
Lors du discours d’ouverture, Hollande disait vouloir « inscrire dans la Constitution » le dialogue social, affirmant qu’« il n’y aura pas de lois qui pourront être votées par le Parlement sans qu’il y ait eu une phase de concertation ». Bref, il donnait des gages aux syndicats : nous vous écouterons, nous discuterons avec vous, aidez-nous, soyez responsables. Mais les discussions étaient pour le moins cadrées. Rien que le menu des discussions annoncé lors de cette conférence sociale, notamment le « redressement des comptes publics » et la « détérioration de la compétitivité », laissait déjà présager de la suite.
Discuter et négocier avec le patronat et ses représentants, cela occupe les directions syndicales. Elles sont satisfaites. Elles ont l’impression de compter. Elles sont accueillies dans les salons, le gouvernement prend soin d’elles, modifie à la marge quelques textes pour que les chefs syndicaux puissent vendre tel ou tel accord à leur base. Mais qu’est-ce que cela change pour les travailleurs sur le fond, alors que le patronat, maître de l’économie, a en fait l’essentiel du pouvoir, et qu’en définitive, par cette puissance sociale et économique, c’est sa politique qui s’applique ? Pour les capitalistes, c’est tout bénéfice, car la caution de tout ou d’une partie significative des organisations syndicales contribue à désarmer et démoraliser un peu plus les travailleurs. C’est aussi pour cela que le patronat salue depuis près de deux ans la « méthode » Hollande.
Une tendance de fond Syndicats et patronat sont d’autant plus satisfaits que la multiplication des négociations au niveau national et interprofessionnel en annonce d’autres, entreprise par entreprise. Il y a une dizaine d’années, il y a eu les négociations sur le temps de travail, entreprise par entreprise, avec possibilité de déroger aux 35 heures. Puis il y a eu l’introduction il y a cinq ans des négociations annuelles obligatoires sur les salaires. Il y aura bientôt les négociations sur la « qualité de vie » au travail et la formation professionnelle. Et il y aura les négociations sur les accords de compétitivité généralisés dans le cadre de l’Accord national interprofessionnel (ANI) sur la flexibilité, de janvier 2013.
Ces négociations entre patronat et syndicats correspondent à une orientation générale qui s’impose depuis près d’une vingtaine d’années. Elles permettent en effet au patronat de limiter au minimum le cadre législatif et de remettre en cause, entreprise par entreprise, les conditions de travail et de salaire des travailleurs, d’en augmenter ainsi l’exploitation, en gagnant quasiment à tous les coups, grâce à un rapport de force d’autant plus grand que le patronat choisit le moment et le périmètre de la négociation, et qu’il pratique un chantage systématique aux licenciements.
Ces négociations permettent aussi au patronat, et ce n’est pas un détail, d’essayer de s’associer les équipes de militants syndicaux, d’en faire des « partenaires » qui serviront de relais auprès des travailleurs pour faire passer ses arguments et sa politique. L’énergie des militants syndicaux est ainsi absorbée dans des réunions sans fin, et est bien moins consacrée à l’organisation des travailleurs et à leurs luttes. De quoi donner aux représentants syndicaux les moins conscients, hors de tout contrôle réel des travailleurs, l’illusion d’être associés à la gestion de l’entreprise. Entre 1983 et 1999, le nombre d’accords locaux est passé de moins de 2 000 par an à plus de 6 000. Et en 2011 il est monté à plus de 33 000. Et tous les syndicats, s’ils sont représentatifs, signent : la CGT, qui en signe le moins, a néanmoins signé 84 % d’entre eux en 2011 là où elle existe ; la CFDT, qui en signe le plus, 93 %. Dans les entreprises, il n’est plus rare de voir les syndicats CGT suivre les consignes confédérales et signer pour 40 euros d’augmentation salariale, correspondant strictement à ce que le patronat avait décidé de lâcher.
Des organisations syndicales bienveillantes La « méthode » Hollande a donc pour but de développer la négociation, pour attacher des organisations ouvrières complaisantes et complices au char gouvernemental. Complaisantes et complices, car elles ne sont pas dupes. Ainsi, fin août 2012, le journal patronal Les Échos pouvait dire que les syndicats se déclaraient à l’attention du gouvernement « bienveillants mais vigilants ». Le journaliste signalait : « La CFDT a retrouvé son statut d’interlocuteur privilégié perdu sous Nicolas Sarkozy et veut s’appuyer sur sa proximité idéologique avec le PS pour peser de l’intérieur sur les réformes. La CGT devrait aussi continuer, comme la FSU, de s’en tenir à des critiques mezzo voce pour mieux pousser ses priorités, en particulier sur la politique industrielle. » Et, au total, les organisations syndicales ont eu la satisfaction de participer à toute une série de négociations dont la liste s’est allongée parallèlement aux attaques contre le monde du travail.
Elles ont ainsi négocié avec le patronat sur la « qualité de vie au travail », sur la formation professionnelle, sur le contrat de génération, sur les retraites complémentaires, sur les retraites elles-mêmes, et sur la flexibilité, au travers de l’ANI, signé par le patronat, la CFDT, la CFTC et la CGC. Et quand ces négociations ne sont pas prévues, elles les demandent. Ainsi, après l’annonce du « pacte de responsabilité » au début de janvier 2014, CGT, CFDT, FSU et UNSA se sont empressées de publier un communiqué dans lequel elles exigeaient non pas le retrait de ce cadeau de 35 milliards d’euros, mais que soient négociées avec elles les conditions d’attribution des aides aux entreprises. Ce qui, en soi, est déjà une approbation de ces mêmes aides et un soutien implicite à la politique gouvernementale. (…)
Conclusion Une des conséquences dramatiques de l’orientation de la CGT est la démoralisation croissante des travailleurs qui, à force de fausses mobilisations, ont l’impression de ne pouvoir rien faire. À cela s’ajoute le recul de la conscience politique et sociale des militants syndicaux, qui sont emmenés sur le terrain de la négociation et du compromis avec le patronat. Cette politique hypothèque aussi l’avenir car, même si la CGT changeait de politique, en faisant le choix, comme elle l’a fait en 1995, en 2003 et en 2010, d’essayer de mobiliser les travailleurs à un moment où le pouvoir voulait contourner les organisations syndicales, il n’est même pas certain qu’elle y réussirait.
Car il lui faudrait aller d’abord contre les idées et les pratiques qu’elle implante elle-même au jour le jour dans le monde du travail. En ce sens, en abandonnant ouvertement le terrain de la lutte de classe pour celui du compromis social et du tapis vert, la CGT hypothèque aussi son propre avenir, en ressemblant de plus en plus à une CFDT avec laquelle elle est de plus en plus en concurrence frontale, comme deux boutiquiers vendant la même camelote sur la même place. Sur le fond, la collaboration des confédérations syndicales avec le gouvernement et avec le patronat n’est que la manifestation de leur intégration croissante au capitalisme.
Les confédérations syndicales ont, et en fait depuis longtemps, renoncé à défendre les intérêts politiques et matériels des travailleurs, à organiser leurs luttes, à leur expliquer qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Mille liens humains, financiers, politiques rattachent les confédérations syndicales à la société bourgeoise et aux multiples institutions que la bourgeoisie a construites pour les y associer.
En renonçant à combattre le capitalisme, les confédérations syndicales n’ont finalement pas d’autre choix que d’accompagner la politique antiouvrière des gouvernements, de droite ou de gauche. Elles le font soit ouvertement comme la CFDT, soit honteusement, mais de moins en moins honteusement, comme la CGT. Mais elles le font. Aussi les militants ouvriers, s’ils doivent militer syndicalement pour avoir le contact avec les travailleurs les plus conscients, à la base, ne peuvent pas se contenter de militer syndicalement.
Aujourd’hui, les confédérations syndicales ne font qu’accompagner les politiques antiouvrières, mais demain, si la bourgeoisie l’exige, elles lui fourniront, comme par le passé, des ministres s’il le faut pour endiguer la montée ouvrière. C’est précisément pour cela que l’existence d’un parti révolutionnaire est vitale. Les travailleurs se heurteront inéluctablement aux bureaucraties syndicales avant de se heurter à la bourgeoisie elle-même et à son appareil répressif. Le rôle d’un parti révolutionnaire est d’offrir une politique aux plus conscients des travailleurs pour déjouer ces pièges, démasquer les faux amis, affronter les vrais ennemis. Construire ce parti, former des militants ayant la confiance du plus grand nombre de travailleurs à travers la lutte quotidienne contre l’exploitation, à l’intérieur des syndicats ou en dehors quand les tempêtes sociales les dépassent, voilà le programme des révolutionnaires.
Extraits source: Bellaciao
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