
Jusqu’en 1996, les radiations autour des têtes nucléaires à l’Ile-Longue (Finistère) n’étaient pas prises en compte. Des techniciens demandent la reconnaissance de maladies professionnelles.
Pas de périmètre, pas de mesures de rayonnements, pas de formation. Le constat est alarmant. De 1971 à 1996, les techniciens travaillant autour des têtes nucléaires de l’Ile-Longue, en rade de Brest, le faisaient sans aucune pro- tection. Cette base héberge les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), garants de la dissuasion française. Les ogives nucléaires qui arment les missiles y sont livrées en pièces détachées, puis assemblées sur place. Elles ont une puissance de plusieurs dizaines de fois la bombe d’Hiroshima.
«Jamais de mesures»
Ces têtes contiennent plusieurs kilos de plutonium à l’état solide et du tritium à l’état gazeux. Selon les témoins, ces matières radioactives ne sont pas entourées d’une enceinte de protection (en plomb par exemple), mais seulement couvertes d’une coque en matériau composite, laissant passer rayons gamma et rayonnements neutroniques. « Pendant 25 ans, j’ai fait des manipulations sur les têtes nucléaires, sans qu’il n’y ait jamais de mesures », raconte Jean-Luc Caoren, appareilleur à la pyrotechnie de l’Ile-Longue (entreprise DCN, aujourd’hui DCNS). « Quand le missile embarquait à bord du sous-marin, on travaillait plusieurs heures à environ 1,5 m de la tête, pour fixer une membrane ».
Trois maladies reconnues
Il souffre aujourd’hui d’un lymphome qu’il tente de faire reconnaître comme maladie professionnelle. Un parcours du combattant. Car le lymphome ne fait pas partie des trois seules maladies officiellement reconnues comme liés à la radioactivité : leucémie, cancer des os et cancer broncho-pulmonaire. «Ce tableau des maladies professionnelles reconnues n’a pas été réactualisé depuis 30 ans», plaide son avocate Cécile Labrunie. «Il n’y a jamais réellement eu de recherches globales depuis celles sur les survivants d’Hiroshima». Certes, le cancer n’a jamais de signature évidente. Mais 18 maladies sont reconnues comme «radio-induites» dans le cas des victimes d’essais nucléaires. Hier, le dossier de Jean-Luc Caoren était défendu devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale à Brest, pour qu’un nouveau collège de médecins examine son cas.
« Comme des demeurés »
Le plus surprenant, c’est que dans le même temps, à l’Ile-Longue, les personnels travaillant autour des chaufferies nucléaires (pour la propulsion) étaient formés, suivis médicalement et portaient des dosimètres. Le gendarme qui surveillait l’embarquement des missiles portait aussi un appareil de mesures. Mais pour les techniciens de la bombe, rien. « La chefferie nous a toujours dit « il n’y a rien qui crache » », raconte Pierre Guéguen, contrôleur de 1971 à 1997. Jean-Luc Caoren est amer : « Au début, on était content d’avoir du travail. Mais en fait, on était là comme des demeurés ». Les premiers suivis spécifiques sont arrivés en 1997. Avant, selon Francis Talec, « environ 100 personnes ont été exposées dans l’ignorance des risques et sans protection ». L’association Henri Pézerat, qui défend les victimes, a recensé 10 malades, souffrant de leucémie pour la plupart. En 2004, la faute inexcusable de DCN a été démontrée après un décès. Depuis, l’État a reconnu quatre malades. Par ailleurs, 19 personnes vont tenter de faire reconnaître leur préjudice d’anxiété.
Sébastien PANOU Nucléaire samedi 08 juin 2013
http://www.ouest-france.fr/region/bretagne_detail_-Armes-atomiques-des-techniciens-longtemps-sans-protection_40779-2200507_actu.Htm
Le tribunal des affaires de Sécurité sociale (Tass) de Brest étudiait, hier, le dossier d’un ancien ouvrier de l’Ile Longue souffrant d’un lymphome et qui travaillait sur les missiles à têtes nucléaires.
« Nous passions des heures à travailler à un mètre au-dessus de ces charges avant le départ des sous-marins en mission. Et jusqu’en 1996, nous n’avions aucun dosimètre sur nous pour mesurer la radioactivité qui, pour moi, ne pouvait pas traverser la ferraille », dit Jean-Luc Caouren, salarié de DCNS, dont le dossier était étudié, hier, par le tribunal des affaires de Sécurité Sociale de Brest. Son cancer, un lymphome, diagnostiqué en 2010, n’est pas reconnu comme maladie professionnelle par le tableau 6 des cancers radio induits du régime général de la Sécurité Sociale qui ne comprend que le cancer des os, le cancer broncho-pulmonaire et la leucémie.
Dossier retoqué
Son dossier a été retoqué par le collège de trois médecins du Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Son avocate, Me Cécile Labrunie, du cabinet Teissonnière, a sollicité hier, devant le Tass la désignation d’un second Comité régional qui étudierait à nouveau le dossier de M. Caouren. « La liste des maladies radio induites figurant dans la loi d’indemnisation des vétérans des essais nucléaires en comporte 18, on y trouve le lymphome dont souffre mon client. Aux États-Unis, 29 localisations de cancers radio induits sont admises », argumente-t-elle.
Dosimètre pour le gendarme
Soutenu par l’antenne de Brest de l’Association des irradiés des armes nucléaires et leurs familles, Jean-Luc Caouren est un ancien appareilleur qui a assuré l’installation des missiles à charge nucléaire sur les sous-marins à l’Ile Longue durant 15 ans. « Au moment où nous n’étions pas équipés de dosimètres, le gendarme délégué pour surveiller les opérations de chargement en avait un lui ! La tête nucléaire était montée sur place comme un jeu de construction », précise un adhérent de l’association qui a aussi travaillé dans ce secteur de l’Ile Longue. « Lorsque nous avons été équipés de dosimètres à bulles, en 1997, j’ai eu la surprise de voir un jour apparaître une bulle et j’ai commencé à avoir peur. On ne savait pas combien de radioactivité on prenait. Dès que j’ai pu, j’ai quitté l’Ile Longue. Au fil des années, j’ai vu disparaître des collègues de travail qui n’ont pas profité de leur retraite ». Depuis la première re- connaissance, en 2002, comme maladie professionnelle de la leucémie d’un irradié de l’Ile Longue, neuf autres dossiers sont instruits ou en cours, dont cinq reconnaissances pour leucémies ou cataracte. « Dans ces dix dossiers, il y a quatre décès. Nous allons engager une procédure pour préjudice d’anxiété pour 19 de nos adhérents qui ont été irradiés. Nous ignorons le nombre de victimes au total », dit Francis Talec, président de l’association Henri Pézerat. Le Tass a mis en délibéré, au 6 septembre, la demande de Jean-Luc Caouren.
http://www.letelegramme.com/ig/generales/regions/finistere/irradies-de-l-ile-longue-une-nouvelle-procedure-08-06-2013-2129370.php
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