
Les Français descendent dans la rue pour leurs retraites
La volonté du gouvernement de faire passer une réforme dure qui augmente l’âge de la retraite suscite les plus grandes manifestations en France depuis 2010.
Quelle mouche a piqué Emmanuel Macron ?
Si les Razzie awards (les anti-Oscars) de la politique existaient, ils devraient en donner un au président français ou à celui qui a eu l’idée de présenter une réforme difficile des retraites en pleine crise énergétique et inflationniste.
L’inconscience du gouvernement macroniste a conduit à la plus grande mobilisation en France depuis 2010. Une vague de protestations qui reflète non seulement le rejet généralisé de l’augmentation de l’âge minimum de départ à la retraite de 62 à 64 ans (avec 42 ou 43 ans de cotisations), mais aussi les difficultés du président français à reprendre le fil de ses réformes néolibérales.
Les syndicats ont réussi à surmonter la léthargie sociale qui règne dans le pays voisin depuis la pandémie. Après un automne marqué par une forte inflation (6,7 % en France) et des manifestations réclamant des hausses de salaires peu étendues – malgré le succès des arrêts de travail dans certaines entreprises, comme Total et la SNCF -, les grèves massives des 19 et 31 janvier ont pris le macronisme par surprise.
Entre 2,8 millions de personnes -selon les organisations syndicales- et 1,27 million -selon la police- ont manifesté lors du second tour de cette impulsion sociale. Même lors des grandes manifestations de 1995 et 2010, le nombre de manifestants n’avait pas été aussi élevé, selon les forces de sécurité.
72% des Français s’opposent à la réforme
« C’est l’une des plus grandes mobilisations en France depuis les années 1990″, a déclaré à CTXT le politologue Dominique Andolfatto, spécialiste du monde syndical. Le front uni des syndicats, allant de la modérée CFDT aux plus militants CGT et Sud-Solidaires, prépare deux nouvelles grèves générales pour les 7 et 11 février. La deuxième semaine de ce mois devrait être une semaine clé dans la lutte contre cette mesure impopulaire. Jusqu’à 72% des Français s’y opposent, selon le dernier sondage de l’institut Elabe. « Personne ne veut de cette réforme. Plus les jours passent, plus l’opposition grandit », a rappelé le leader de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon.
« Si nous sommes trop nombreux, ils renonceront à la réforme ».
« Au lieu de toucher aux retraites, Macron devrait s’occuper de la crise énergétique et de la lutte contre le changement climatique », déclare Sabrina, 45 ans, qui a voté pour le leader centriste lors de la dernière élection présidentielle. Malgré cela, ce conseiller clientèle dans une entreprise d’électricité a fait le déplacement du Nord-Pas-de-Calais à Paris pour participer à une manifestation le 31 janvier qui a débordé les rues de la rive gauche. L’une des nouveautés de ces manifestations est leur caractère festif. La violence policière et les émeutes des black-blocs ont, pour l’instant, brillé par leur absence. La force de la foule a prévalu sur les tactiques d’agitation à courte vue.
L’une des nouveautés de ces manifestations est leur caractère festif.
Pour Sabrine Farouzi, 60 ans, les mobilisations actuelles lui rappellent celles de 1995, lorsqu’une vague de grèves avait contraint le conservateur Jacques Chirac à renoncer à faire passer de 37,5 à 40 ans la durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein. « Si nous continuons à être nombreux, ils finiront par renoncer à la réforme », estime cette éducatrice en maternelle, qui serait directement concernée par la mesure, puisqu’elle doit entrer en vigueur progressivement cet été, en repoussant l’âge de la retraite de trois mois chaque année jusqu’à atteindre 64 ans en 2030. .
« Le gouvernement devrait défendre notre système de retraite comme un modèle à imiter pour les autres pays européens, au lieu d’essayer de l’aligner sur celui de ses voisins », ajoute M. Farouzi. Outre le report de l’âge légal de départ à la retraite, le texte exige 43 ans de cotisations pour bénéficier d’une pension complète à partir de 2027. Huit ans plus tôt que dans la législation actuelle (2035).
La réforme mettra fin à l’une des spécificités du système de retraite français. En combinant un âge de la retraite relativement bas (62 ans) et une longue période de cotisation (42 ans), le moment du retrait de la vie active est adapté à la carrière de l’individu. En d’autres termes, ceux qui ne sont pas allés à l’université et qui ont commencé à travailler plus tôt – souvent dans les professions les plus exigeantes physiquement et dont l’espérance de vie est plus courte – peuvent prendre leur retraite plus tôt, tandis que ceux qui sont allés à l’université ont tendance à prendre leur retraite à 65 ou 66 ans. Ou même plus tard.
Réduire les pensions pour diminuer l’impôt sur les sociétés
Le gouvernement justifie ce sacrifice, notamment pour les personnes modestes, par le déficit que le système de retraite accumulera en 2030, de quelque 13 milliards d’euros. « Cela représentera 3 % des dépenses totales en matière de pensions. Ce n’est pas un montant énorme », affirme l’économiste Henri Sterdyniak de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
« La dramatisation d’un tel déficit par le gouvernement est peu crédible, après avoir réduit les impôts de quelque 40 milliards ces dernières années (notamment sur les entreprises et les revenus moyens et élevés) et avoir annoncé récemment une augmentation de 100 milliards des dépenses militaires », ajoute ce membre du groupe keynésien Les Économistes Atterrés.
Selon M. Sterdyniak, considéré comme l’un des principaux experts des retraites en France, cette mesure controversée « est en fait due à la volonté de M. Macron de montrer aux marchés financiers et à la Commission européenne que son gouvernement continue à adopter des réformes ».
En d’autres termes, qu’il continue à réduire les dépenses publiques et sociales, à diminuer les pensions et les allocations de chômage », dont la durée maximale a récemment été réduite de 25%. Le gouvernement estime que la réforme des retraites rapportera environ 12 milliards d’euros aux caisses publiques. Ces ressources, qu’il a reconnues dans la dernière loi de finances, serviront à financer une réduction d’impôt de 15 milliards d’euros pour les entreprises.
En échange de ce sacrifice, le gouvernement promet de porter les pensions les plus basses à 1 200 euros pour ceux qui ont cotisé pendant une carrière complète (42 ou 43 ans). Ce ne sera qu’ »un petit pas en avant ». Sur les 6 millions de retraités pauvres en France, seuls 1,8 million ont une carrière complète », rappelle l’économiste de l’OFCE.
Cependant, cette hausse des pensions les plus basses a été utilisée par le gouvernement, notamment par le premier ministre, Élisabeth Borne, pour vendre la réforme comme une initiative de « justice » et de « progrès social ». Une étrange stratégie de communication qui a échoué. En réalité, la mesure est devenue l’étincelle pour le déclenchement d’une indignation plus généralisée.
La « pédagogie de la servitude » de Macron.
Malgré une pression sociale croissante, Macron reste inflexible. Le relèvement de l’âge minimum de la retraite à 64 ans est « non négociable », selon le Premier ministre Borne. Le gouvernement s’oppose également à la proposition de la gauche d’organiser un référendum sur le texte impopulaire, dont l’examen commencera le 6 février à l’Assemblée nationale. « La motivation du gouvernement avec cette réforme est d’imposer une pédagogie de la servitude », a prévenu l’essayiste Emmanuel Todd dans une interview à la web-télévision QG.
La France a rejoint le Royaume-Uni sur la liste des pays européens où les mobilisations sont importantes.
La plus grande vague de protestations depuis 2010 laisse Macron à la croisée des chemins. D’une part, s’il cède et retire le texte, il renoncera à son ADN d’incarnation du thatchérisme à la française, d’être le président qui a approuvé les réformes néolibérales que ses prédécesseurs Hollande, Sarkozy et Chirac n’ont pas osé mettre en œuvre. En revanche, s’il maintient la mesure contre la volonté d’une grande majorité de Français, il quittera son second mandat politiquement affaibli, de la même manière que Sarkozy a été affaibli après les manifestations massives contre le passage de l’âge minimum de la retraite de 60 à 62 ans.
Après l’imprudence du leader centriste qui a fait passer cette (contre) réforme en pleine guerre en Ukraine, la France a rejoint le Royaume-Uni sur la liste des pays européens à forte mobilisation.
Malgré des différences évidentes – la situation du NHS est plus dramatique que la précarité des soins de santé français – les deux cas présentent des similitudes significatives : la lassitude de leurs sociétés face à la détérioration du niveau de vie et des services publics, ainsi que la tentative de leurs gouvernements respectifs de revenir sur la voie de l’orthodoxie économique.
Macron et Rishi Sunak ont respectivement 45 et 42 ans, mais ils sont prisonniers de la vieille idéologie néolibérale. Ce sont deux vieillards incapables d’entreprendre le changement idéologique de la deuxième décennie du 21è siècle.
Enric Bonet 4/02/2023
https://ctxt.es/
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