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Trappes, les musulmans et le racisme d’Etat (Noël Mamère)
Trappes, la ville de Jamel Debbouze et d’Omar Sy, ne rigole plus avec ses humoristes. Des centaines d’habitants ont attaqué le commissariat, à coups de pierres, symbole pour ces jeunes Français, issus de la colonisation, de l’atteinte à leur dignité. Le motif de cette poussée de violence ? L’exigence de libérer un homme qui avait osé protester contre l’interpellation de sa femme par des policiers ; elle portait le voile intégral, les policiers voulaient contrôler son identité.
Ces faits posent d’emblée trois questions :
- Où est passée la police de proximité promise par la gauche qui devait remplacer les BAC et autres compagnies de CRS dans les quartiers dits sensibles ?
- Pourquoi interpeller en plein ramadan une jeune femme voilée, sachant que durant cette période, un tel geste peut être interprété comme une provocation à l’égard des populations musulmanes ?
- Enfin, la loi sur le voile intégral est-elle pertinente ?
Des lois productrices de discriminations
J’ai fait partie des rares députés qui ont toujours considéré les différentes lois sur le voile comme productrices de discriminations et de vio- lences potentielles. Nous y sommes. Si l’on ajoute à cela le refus de Manuel Valls d’appliquer la promesse de François Hollande d’en finir avec le contrôle au faciès, une telle conjonction ne pouvait que produire le type d’émeute à laquelle nous venons d’assister. Les déclarations mar- tiales du ministre de l’Intérieur, les vociférations de Christian Estrosi, Hortefeux et Le Pen n’y changeront rien. La révolte de Trappes nous oblige aussi à réfléchir sur la vague d’islamophobie qui s’est emparée de notre pays. Le ministre de l’Intérieur, cette dernière semaine, dénon- çait la multiplication des faits anti-musulmans dans plusieurs villes de la périphérie parisienne, à Chanteloup-les-Vignes et à Argenteuil. A Marseille, la question du voile revient au centre de l’actualité et avec elle, celle de la place des musulmans dans la société.
Le boomerang du racisme d’Etat
Au nom de l’universalisme, on a trop longtemps eu tendance à nier le rôle de la religion dans la société française. L’Etat a fait de l’Islam – deuxième religion de France – un culte discriminé sans que le législateur tente de résoudre les problèmes vécus au quotidien par les fidèles (comme les carrés musulmans au sein des cimetières, la régulation du marché de la viande hallal ou la construction des mosquées). Sous prétexte de combattre les signes religieux ostentatoires, on a privilégié la seule lutte contre le voile et inventé de nouvelles discriminations pour des femmes qui se voient doublement mises à l’index : en tant qu’arabe et musulmane, ne pouvant plus travailler dans certains établis- sements, et stigmatisées dans tous leurs actes quotidiens. De fait, un racisme d’Etat, utilisant l’amalgame entre musulmans, islamistes, terro-ristes et immigrés, s’est lentement insinué dans la société française, préparant le terrain à des conflits de civilisations à l’échelle des territoires. Le moment est venu pour la France de prendre cette question à bras-le-corps. Si on ne lui donne pas de réponse autre que répressive, elle va nous revenir au visage comme un boomerang.
Trente ans après la marche pour l’égalité
Le problème que nous rencontrons se joue dans le cadre franco-français, dans un pays qui a érigé la laïcité en dogme. Mais – et c’est là toute la difficulté – il est marqué par un contexte international où l’islam politique a pris le pouvoir dans plusieurs sociétés musulmanes, à la faveur des printemps arabes. Dans ces sociétés, comme la Tunisie ou l’Egypte, les classes moyennes refusent à juste titre ce qu’elles considèrent comme un dévoiement théocratique de leur révolution. Elles ont raison et nous les soutenons. Mais cette solidarité ne doit pas nous faire oublier qu’en France, ce sont des populations discriminées qui se revendiquent de l’Islam. Il faut donc refuser tout amalgame entre les deux situations et tracer les chemins d’un dialogue pour parvenir à apaiser les tensions. Malheureusement, en temps de crise morale, économique et sociale, il est tellement plus facile pour de nombreux responsables politiques d’utiliser les musulmans comme des boucs émissaires, que de trouver les mots d’apaisement et de prendre le temps de comprendre pourquoi on en est arrivés là. Mais Trappes, trente ans après la marche pour l’égalité et contre le racisme, nous oblige aussi à reconsidérer la politique de la ville menée par les gouvernements de droite et de gauche. Depuis novembre 2005 et les révoltes urbaines généralisées, rien n’a été fait pour répondre aux préoccupations des habitants des quartiers populaires.
L’américanisation des banlieues françaises
L’Etat a démontré son incapacité à apporter des réponses à la lutte contre le chômage des jeunes, aux questions d’éducation et de formation, à l’enclavement des quartiers et à la relégation des habitants. Cette inertie a favorisé la fuite d’une partie de ses habitants a créé, malgré le dis- cours ambiant sur la mixité sociale, des ghettos où sont concentrées des populations en fonction de leur appartenance ethnique et reli- gieuse. Or, de nouveaux conflits urbains dessinent le portrait d’une France séparée. Cette américanisation des banlieues françaises est en contra-diction absolue avec le rappel intangible des principes républicains, rabâchés par ceux qui croient encore vivre sous la Troisième République.
La vulgate anticommunautariste n’est qu’un prêt-à-penser inutile pour comprendre notre société multiculturelle. Il faudra un jour dépasser cette contradiction :
- ou accepter une certaine logique communautaire, en s’appuyant sur les forces vives de « l’empowerment », c’est à dire la capacité des populations à faire surgir en leur sein de nouvelles élites urbaines, comme aux Etats-Unis ou en Afrique du Sud ;
- ou appliquer l’égalité réelle des droits, ce qui suppose un investissement sans commune mesure avec nos capacités actuelles. Mener les deux de front, c’est possible et cela porte un nom : la société du bien vivre ensemble.
Holyfest : mariage de pop-rock, évangélisation et argent public (FA56)
Le holyfest est un festival chrétien de rock, pop et variantes de musiques dites actuelles… qui se déroule à Arradon, au sein de l’Uni-versité catholique de l’ouest (UCO), près de Vannes fin juin. La première édition a eu lieu le dernier week-end de juin 2012.
D’emblée constatons qu’il se déroule la semaine qui suit le festival de metal Hellfest basé à Clisson (44) et contre lequel des ligues catholiques, de l’UMP, du MPF (de Villiers) et autres barrés de la même eau bénite, se dressent… au motif d’affront à leur religion, d’apologie du blasphème. Parmi ces gais lurons, on retrouve Riposte catholique, la très à droite AGRIF (Alliance Générale contre le Racisme et pour le respect de l’Identité Française et chrétienne) et, plus surprenant sans doute, le syndicat CFTC habituellement plus modéré… qui se font un film sur les paroles de certains groupes… lesquelles ne sont évidemment pas à prendre au premier degré (même si nous-mêmes ne raffolons pas du délire sataniste)… Rodés à toutes les manœuvres pour arriver à leurs fins (la soumission de l’ensemble du corps social à leur croyance, à leur Morale, et… à leur clergé), les cathos militants savent jouer sur tous les fronts : la demande d’interdiction d’un côté, l’élaboration « d’alternative » de l’autre. Ainsi, près de Vannes, de jeunes chrétiens entendent, disent-ils, « dépoussiérer l’image de l’Eglise« . Aussi, ont-ils organisé ce holyfest mélangeant, comme son nom l’indique, culte et musique. Ce festival a réuni 1000 participants en 2012. Considéré par ses organisateurs comme un succès, ce nombre est pourtant à mettre en perspective avec celui attendu et déclaré dans la presse les jours précédents : 1500 festivaliers (Ouest-France du 30/6/2012) ! Il leur manque donc un tiers de spectateurs et spectatrices par rapport à l’objectif mais ce serait tout de même un succès… (Télégramme du 2/7/2012). Bizarre… Si Jésus a multiplié les pains, la tendance festivalière actuelle semble être plutôt à la division ou à la soustraction…
Mais cet échec est étonnamment une réussite financière car il n’y a pas eu de déficit malgré une fréquentation espérée surévaluée.
Comment l’expliquer ? Non pas par un miracle mais par une subvention de l’évêché (rien à redire) mais aussi… du Conseil général du Morbihan (!), y compris donc de notre part, contribuables morbihannais… (OF du 1/10/2012) Encore une fois, c’est une collectivité publique qui s’assoit sur la laïcité (on ne le répétera jamais assez, la Loi dit « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte« ). Il serait intéressant de savoir si la décision a appartenu à sa seule présidence (l’UMP F. Goulard) ou, s’il y a eu un débat entre conseillers, quelle fut alors la position de « l’opposition de gauche » (1)… Mystère pour le moment. Or avec ses prières, louanges et messes, comment ne pas y voir une entreprise cultuelle, religieuse ? L’Eglise de France ne s’y trompe d’ailleurs pas car elle suit de près ce que Mgr Centène – évêque de Vannes - estime rejoindre « l’œuvre de la nouvelle évangélisation »… (payée partiellement avec nos impôts donc). (OF du 5/4/2012). Dans cet esprit, il s’agit bien, pour les organisateurs, de « séduire les non initiés » (Télég 01/10/2012). Nos jeunes font ça bien. Il y a des stands : les très à droite Scouts de France, Scouts d’Europe, les Scouts unitaires de France, mais aussi l’aumônerie du Morbihan et bien d’autres joyeux drilles. Et même des conférences (sont-elles suivies de débats ?) : «Chrétiens en politique, mission impossible ?» avec l’incontournable Marc Le Fur, député UMP des Côtes d’Armor, (cf. notre article), «Les dérives de la culture jeune… Mythe ou réalité ?» avec un « expert reconnu sur la nouvelle religiosité et les courants magiques » (!?) ; «L’Église doit-elle avoir honte de son passé ?»… (Télég du 29/6/2012) Il serait curieux de voir comment sont traitées guerres, croisades, tortures faites au nom de leur Dieu durant de nombreux siècles, sans compter les condamnations et enfermements…
Si on peut en rire, soyons néanmoins vigilant-e-s : le groupe de pop-louange Glorious (tête d’affiche 2012), interviewé dans OF du 29 juin 2012, déclare « Le Vatican ne nous a pas donné de mission, il nous a juste invités pour nous regarder et mesurer le phénomène. Il faut savoir que la France est très regardée par Rome. Tout le monde croit que la religion est morte mais ce n’est pas vrai, elle mute. » Cette année, la messe du festival sera diffusée en direct sur France 2, qui consacrera 1h30 d’émission au holyfest… A défaut d’une intervention divine, un p’tit coup de pouce du « service public » de télévision ne se refuse pas… Mais ne nous inquiétons pas outre-mesure, car l’impiété se glisse partout jusque dans les collèges et lycées cathos : «Dans mon lycée (le foyer Jean-Paul-II à Sainte-Anne-d’Auray), il y a très peu de croyants, constate Sylvain Gilardeau. Rares sont ceux qui savent que Sainte-Anne est un lieu de pèlerinage. » A Saint-François Xavier de Vannes, une lycéenne constate dépitée « dans ma classe de 30 élèves, nous ne sommes que deux à (…) aller » aux « messes proposées par le lycée » ! Que de brebis égarées jusque dans les réserves catholiques morbihannaises ! (Télég du 29/6/2012) Mais on peut néanmoins se demander si nos jeunes vaticanesques sont aussi assidus qu’ils le prétendent. Ainsi, l’ancien directeur d’une école confessionnelle de Vannes s’indigne (OF du 12/07/2012) : « Les jeunes organisateurs ont répété, comme un leitmotiv, dans leurs interviews, qu’ils voulaient dépoussiérer une image de l’Église « un peu vieillotte, celle du chant grégorien ». « Je ne ferais pas l’injure à ces jeunes de penser qu’ils ne mettent jamais les pieds à l’église le dimanche. « Depuis 50 ans au moins – ils n’étaient donc pas nés – dans nos paroisses, on ne chante plus en grégorien, sauf quelques rares îlots « de résistance » (…). « Immortel grégorien qui porte naturellement à la prière, ce qui ne semble pas être le cas de la musique du concert HolyFest, car les jeunes doivent se réunir dans le silence la nuit pour prier. » Et paf, en plein dans l’auréole ! Heureusement – pour les clergés – que nombre d’élu-e-s des différentes collectivités locales jusqu’à l’appareil d’Etat compensent cette désaffection, contournent la Loi sur la laïcité, en leur attribuant des deniers publics.
« Il n’existe qu’une seule chose au monde plus désuète que l’anticléricalisme : le cléricalisme. » Cavanna
(1) On se rappelle qu’en 1996, les conseillers généraux de gauche (PS et PCF) avaient aussi voté les crédits pour la route dite « du Pape », entre Pluneret et Ste Anne d’Auray, à l’occasion de la venue de Jean-Paul 2 à Ste Anne d’Auray…
A Voltaire qui déclarait : « Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer« ,
Bakounine répondait « Et si Dieu existait, il faudrait s’en débarrasser« …
complété récemment par Jean-Marc Raynaud : « Ce n’est pas parce que Dieu n’existe pas qu’il ne faut pas s’en débarrasser » !
Danger : La droite sort dans la rue
Ceux qui avaient oublié que la hiérarchie catholique était une force réactionnaire, pour ne se préoccuper que de l’islam, peuvent prendre la mesure de leur aveuglement.
La mobilisation contre le mariage pour tous est là pour le démontrer. Elle a été au départ préparée par l’appareil de l’Eglise catholique qui a recueilli des fonds, affrété des cars, etc. La liaison avec l’UMP était évidente. Le mouvement a démarré en novembre 2012. En avril 2013, il se poursuit par des mani- festations quasi quotidiennes, au moins à Paris. Cela prouve qu’il faut en finir avec cette laïcité à deux vitesses de ceux qui traquent le moindre foulard et votent sans problème des subventions aux écoles dites libres, voire, au mépris de la loi, s’arrangent pour financer la construction d’églises. Le dossier de notre revue apporte une contribution, à compléter ultérieurement, à l’analyse des rapports entre religions et réaction mais aussi, parfois, résistance sociale. Il est ainsi en phase avec l’actualité. L’offensive réactionnaire a conduit à des agressions contre des homosexuels. A terme, elle peut être porteuse de dangers encore plus lourds. Comme l’écrit Le Monde daté du 17 avril : « Une génération de droite se construit ». Une mobilisation de rue s’est développée, tenace et déterminée, et ce ne n’est pas la gauche qui en est à l’origine mais la droite et l’extrême droite unies à des courants catholiques.
Hollande, l’arroseur arrosé
Certes, le gouvernement s’est piégé lui-même. Hollande, au départ, avait cru faire un bon coup en faisant traîner le débat sur le mariage. Il espérait que la droite parlementaire allait se ringardiser sur un terrain où elle était minoritaire dans l’opinion. D’ailleurs, même le Front national avait hésité : Marine Le Pen n’avait pas participé à la première grande manifestation sur le sujet. Mais la ténacité d’un groupe, au départ restreint, a fait gonfler les mobilisations. Il faut y ajouter que Valls n’a pas été aussi dur et menaçant avec eux que, par exemple, avec les travailleurs de GoodYear. Certains des manifestants font preuve d’un sens tactique remarquable en mettant notamment en avant le mot d’ordre « Hollande arrête avec le mariage, occupe-toi du chômage ». Et effectivement, beaucoup de gens, y compris parmi ceux favorables au mariage pour tous, ont quelque part le sentiment que Hollande a escamoté les débats parlementaires sur le traité budgétaire et l’ANI (accord fl exibilité) et ne fait rien sur le chômage. La crise capitaliste continue. Si on ne peut parler de crise de régime, il existe bien une crise politique. Le discrédit du PS est considérable tandis que l’affaire Cahuzac écarte du devant de la scène médiatique bien d’autres affaires touchant la droite. Travailleurs, chômeurs, retraités n’attendent plus que des coups de ce gouvernement. Dans une telle situation, les hésitants, les déçus, les désorientés, comme l’a montré l’Histoire, tendent à se rallier au camp qui manifeste le plus d’énergie. On ne peut exclure que soit en train de se préparer une relève politique qui amalgamerait la droite et une partie de l’extrême droite. C’est à ces défis qu’il faut faire face.
Construire une opposition de gauche
Cette situation confirme la nécessité de construire une opposition de gauche au gouvernement, à la droite et à l’extrême-droite sur les terrains social et politique. Il faut aussi reprendre la rue. Une mobilisation coordonnée des entreprises en lutte contre les licenciements serait un point d’appui. Mais cela ne se décrète pas. Il faut donc travailler à renforcer des mobilisations sur tous les terrains où des braises existent, avec le plus de visibilité possible, et en prise avec les préoccupations immédiates de ceux et celles qui souffrent de l’austérité. Il faut aussi une propagande unitaire ou de parti largement compré-hensible qui démonte les mécanismes de la crise et la politique gouvernementale. Face au Front national, la priorité est de le dénoncer comme antisocial et pas seulement comme raciste. Il faut enfin expliquer inlassablement que des alternatives existent et pourraient être mises en place par un gouvernement aussi fidèle aux intérêts des exploités que Sarkozy et Hollande le sont aux intérêts des exploiteurs. Ce qui suppose, bien sûr, d’en finir avec la Ve République.
Après celle du 1er mai, le NPA a participé à la manifestation du 5 mai. Mais il ne le fera pas sur le mot d’ordre de VIe République qui déconnecte social et politique. Clémentine Autain, membre de la coordination du Front de gauche, pousse cette logique à l’extrême dans Le Monde daté du 19 avril. Elle énumère une série de mesures à prendre pour « une issue émancipatrice aux désordres actuels » puis conclut : « Le préalable, c’est de lancer un processus constituant pour la VIe République ». Plutôt que de leur organisation et de leurs luttes, les travailleurs, les chômeurs, les retraités, devraient ainsi attendre leur salut d’une hypothétique constituante…
Dimanche 12 mai 2013 Publié dans : Revue Tout est à nous ! 43 (mai 2013) Par Henri Wilno
Blasphème et blasphème (Le Jour d’Algérie)
A Dacca, au Bangladesh, 200 000 personnes sont sorties manifester le dimanche 5 mai, dans un immense brouhaha, paralysant une bonne partie de la ville. Quelques jours auparavant, le 24 avril, il y avait eu l’effondrement d’un immeuble abritant des ateliers textiles qui a fait un millier de morts parmi les ouvriers, pour un premier bilan. Nous aurions pu conclure, sans hésiter, que les deux événements sont liés et que la manifestation a été naturellement produite par une vague de colère, contre les criminelles conditions de travail infligées aux travailleurs. Très violente, elle a fait au moins 37 morts, un poste de police, des véhicules et des magasins ont été incendiés.
Cela peut paraître surréaliste, mais son moteur n’avait rien à voir avec le sort des victimes du mépris patronal, qui sont royalement ignorées, contre toute attente. La foule a envahi la rue, à l’appel du Allama Shah Ahmad Shahi, pour réclamer notamment une nouvelle loi sur le blasphème, pour que «les athées soient pendus» et pour la fin de la mixité entre hommes et femmes. Des préoccupations, à tous points de vue, bien plus importantes pour Hefazat-e-Islam, l’organisation concernée. Les patrons Bengalais peuvent être tranquilles et leurs clients occidentaux de même.
Les affaires peuvent continuer à l’abri du bruit religieux qui couvre les râles des enfants soumis à une exploitation inhumaine, au milieu des produits toxiques interdits par la réglementation internationale, durant plus de 14 heures par jour, pour quelques dollars par mois, sans jours de congé, sans sécurité sociale et sans même un simple contrat de travail.
Ce blasphème à l’encontre de l’humanité, contre la vie et contre la dignité, n’est pas à l’ordre du jour des fatwas et ne le sa probablement jamais. Allama Shah Ahmad Shahi et Hefazat-e-Islam ne pouvaient pas ne pas mesurer l’ampleur de la tragédie qui a frappé leurs concitoyens. Mais, ils n’ont de toute évidence pas été sensibles à l’ambiance macabre et à l’émotion qui a envahi la ville. Sinon, avec leur capacité de mobilisation, ils auraient pu lourdement peser en faveur d’une remise en cause de l’esclavage institutionnalisé, du moins introduire, dans leur plate-forme de revendications, un point qui concernerait la barbarie qui règne sur le marché du travail.
Alors nous en venons à renforcer notre compréhension de l’apparent paradoxe qui fait que les pays de l’OTAN préfèrent des gouvernements islamistes pour les «indigènes» quand, dans le même temps, ils développent l’islamophobie chez eux.
Youssef al-Qardaoui, le muphti de l’alliance atlantique, n’est décidément pas une exception isolée. Il n’est que la tête de proue d’une entreprise, qui provoque des questionnements chez certains «démocrates», du fait de l’incompatibilité, communément admise, entre le discours de Washington et de ses satellites et les alliances avec la Confrérie des Frères musulmans et le Wahhabisme. Tout est cohérent, pour qui sait voir. Le Hamas palestinien s’engage contre la Syrie aux côtés de l’OTAN, par Qatar, où son chef jouit d’un exil doré, et Al Saoud interposés, au nom de ce «printemps» dont rêve désormais tout Frère en mal de pouvoir. A l’instar de notre MSP * national qui s’est découvert une vocation d’opposant.
Source : Le Jour d’Algérie du 10-11 mai 2012 Par Nazim Rochd
* MSP (Mouvement de la société pour la paix), parti politique islamiste algérien se revendiquant des Frères musulmans et prônant un « islam modéré ». (Note LCR-Web)