« Envoyé spécial » : comment la filière maraîchère bretonne a recours à des travailleurs africains souvent sans papiers, et sous-payés
Les migrants venus d’Afrique, souvent sans titre de séjour, sont devenus un rouage essentiel de la filière maraîchère bretonne. Dans les environs de Lannion, aucun des producteurs qui les emploient n’a accepté de répondre aux questions d’ »Envoyé spécial », mais une inspectrice du travail a souhaité dénoncer l’hypocrisie qui règne, selon elle, dans le secteur.
En Bretagne, de juillet à octobre, c’est la récolte des célèbres cocos de Paimpol. Comme les étudiants et les retraités français n’y suffisent plus, les maraîchers ont de plus en plus souvent recours à des travailleurs étrangers. Dans ce champ près de Lannion où s’est rendue une équipe d’ »Envoyé spécial », assis sur une chaise sept heures par jour à ramasser les haricots, des Maliens, Camerounais, Guinéens… tous les travailleurs sont africains.
« Les Africains, eux, ils ne connaissent pas de sot métier. Vous, les Français, vous avez honte peut-être de travailler dans les cocos, mais nous, on ne choisit pas. »
Un travailleur agricole africain employé dans un champ de haricots en Bretagne
Ils affirment être déclarés par le propriétaire du champ qui les emploie, mais aucun ne semble avoir de papiers français. Seraient-ils employés illégalement ?
Toute la filière maraîchère bretonne a recours à ces travailleurs africains, afghans ou syriens, devenus des « saisonniers permanents ». Aucun producteur local ne veut le reconnaître ouvertement, et tous ceux que les journalistes ont contactés ont refusé de répondre à leurs questions.
La coopérative locale a même prévenu certains maraîchers, par SMS, de la présence d’une équipe d’ »Envoyé spécial » cherchant à « récupérer des informations concernant la main-d’œuvre étrangère », avec ce conseil : « Soyez vigilants et renvoyez vers la coopérative ». Laquelle a elle aussi décliné les demandes d’interview…
Seule une inspectrice du travail a accepté de s’exprimer, sous couvert d’anonymat. Elle veut dénoncer l’hypocrisie qui règne, selon elle, dans le secteur : « Tout le monde ferme les yeux. Il n’y a pas que les services de l’Etat, c’est les agriculteurs, c’est tout le monde. »
« Il n’y a pas de main-d’œuvre française qui veut faire ce travail, parce que ce n’est pas rémunérateur. » Une inspectrice du travail qui témoigne anonymement dans « Envoyé spécial »
L’inspectrice ne nie pas que les agriculteurs déclarent leurs salariés, mais sans avoir les moyens de vérifier leur identité. Ce qui n’est pas facile, précise-t-elle, car ces travailleurs étrangers « ne sont pas forcément sans titre, mais ils ont des ‘alias’ … » (ils utilisent par exemple la carte d’identité d’un proche).
Des travailleurs maintenus dans la précarité
D’après elle, beaucoup de producteurs ont intérêt à maintenir dans la précarité ces travailleurs étrangers, souvent sous-payés, voire exploités. « Comment voulez-vous revendiquer dans ces conditions-là ? » demande-t-elle. Si on lui donne 500 euros au lieu des 1 200 euros dus (l’ouvrier de cueillette est censé percevoir l’équivalent du smic, voire davantage, selon le poids des denrées récoltées), « il est obligé d’accepter. A qui il va aller se plaindre ? On va lui dire ‘Mais c’est même pas vous, Monsieur, c’est votre alias !’ C’est un no man’s land. »
Extrait de « Sans papiers mais pas sans travail », un reportage à voir dans « Envoyé spécial » le 7 décembre 2023.
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À Nantes, la bataille pour sauver un « poumon vert » du béton
La métropole de Nantes envisage de construire 2 700 logements dans le quartier de Doulon. Militants et riverains s’opposent à la bétonisation de l’une des dernières zones fertiles de la ville. Nantes, reportage
En cette fin novembre, ni la pluie incessante ni les ronces n’entament le moral de la petite troupe qui s’affaire autour de carottes de terre. Objectif : vérifier la présence d’une zone humide, ce qui pourrait permettre de sauver cette friche. Car ce champ situé à Doulon, un quartier du nord-est de Nantes, sera bientôt voué aux tractopelles et aux grues si rien n’est fait.
Nantes Métropole a obtenu un permis pour construire 2 700 logements d’ici 2035 sur une superficie de 180 hectares. La première phase des travaux devrait débuter en 2024 sur cette parcelle de 4 hectares que longe le ruisseau des Gohards. Au total, 50 hectares vont être urbanisés. Plusieurs fermes urbaines ont déjà été installées, une école construite et 190 arbres abattus fin février 2023.
Les indices repérés pourraient confirmer la présence d’une zone humide et permettre aux opposants de faire valoir de nouveaux arguments juridiques contre le projet.
Penchée sur un prélèvement de terre, Lætitia explique d’une voix douce : « Quand vous voyez des traces couleur rouille comme ici, cela veut dire qu’il y a un phénomène d’oxydoréduction ; quand il y a des traces plutôt gris-bleuté, ça signifie que cette partie de la terre est en contact permanent avec l’eau. » Cette écologue, membre de Scientifiques en rébellion, est venue partager ses connaissances naturalistes avec le collectif Sauvons les Gohards.
Les indices repérés pourraient confirmer la présence d’une zone humide et permettre aux opposants de faire valoir de nouveaux arguments juridiques contre le projet. « Le tribunal administratif de Nantes [qui a rejeté le recours des opposants contre le permis de construire en juillet] reconnaît lui-même qu’il y a un doute sérieux sur la présence d’une zone humide sur le terrain », explique Margot Medkour, l’une des fondatrices de Nantes en commun. Son mouvement soutient le collectif d’opposants, tout comme Extinction Rebellion Nantes ou encore la section CGT Mairie de Nantes.
Un futur quartier sans voiture
Depuis plus d’un an, militants et riverains se démènent pour sauvegarder cette zone fertile travaillée par des générations de maraîchères et maraîchers. Assise à la table de sa salle à manger, Lucette, octogénaire dont le jardin jouxte le terrain, se souvient : « J’habite dans cette maison depuis quarante-cinq ans. Je n’ai connu qu’un seul maraîcher. Il est parti en 1982 et, depuis, le terrain a été laissé à l’abandon. » Chênes rouges, robiniers, arbustes en tout genre ont prospéré ; une faune variée s’est installée. Avec la période de Covid, de nombreux riverains ont découvert l’existence de ce coin de nature qui reste, depuis, très fréquenté par les promeneurs et les joggeurs. « C’est vraiment mon poumon vert », insiste Lucette, qui s’est aussi engagée dans la lutte.
« Partout, la nature sera présente, avec la création d’un grand verger et de jardins partagés propices au loisir et à la rencontre », promet pourtant la Ville sur son site. Que reprochent donc les opposants à ce futur quartier « sans voiture, pensé en relation étroite avec la nature » ? Les riverains pointent d’abord la hausse inévitable du trafic routier avec l’arrivée de plusieurs centaines de nouveaux habitants, qui n’est pas prise en compte. « La route en direction de Sainte-Luce est déjà fortement embouteillée aux heures de pointe. Le chronobus est plein à craquer tous les matins avec le lycée. Or, le projet ne prévoit pas de transports en commun supplémentaires », s’étonne Esther Le Cordier, de Nantes en commun.
Lutte contre la politique d’artificialisation de la Ville
Autre élément inquiétant, selon eux : les promoteurs vont bétonner une zone où s’écoule une partie des eaux qui descendent du quartier de Bottière-Chesnaie, sans tenir compte d’une possible hausse des précipitations liée au dérèglement climatique. Une partie des logements seraient par ailleurs construits sur des zones humides ou inondables. Plus globalement, les militants s’opposent à « la politique d’artificialisation et de bétonisation » de la métropole de Nantes.
Esther Le Cordier cite les projets similaires développés ces dernières années dans d’autres quartiers, notamment sur l’Île de Nantes. « Sur le papier, tout semblait beau, mais ce qu’on voit aujourd’hui, c’est l’absence d’une vie de quartier, des îlots de chaleur l’été, une gentrification… »
Pour elle, le projet Doulon-Gohards n’est pas destiné aux gens du quartier. Certes, il prévoit bien les 25 % de logements sociaux obligatoires ainsi que 30 % de logements dits « à prix abordable », mais sans qu’on connaisse pour l’heure ce prix. « Quant au reste, ce sera du logement privé à prix libre, trop cher pour une bonne partie des Nantais », estime la militante. Pourquoi ne pas construire ces logements sur des espaces déjà bétonnés et non utilisés ? s’interroge-t-elle encore. Un contre-projet est en cours d’élaboration.
Le champ des possibles
L’espace naturel réensauvagé des Gohards mérite mieux pour ses défenseurs. Ils proposent de lui redonner sa fonction première de terre nourricière. « La Ville nous demande de faire du maraîchage au coup par coup, explique Raynald Guibert, jardinier à la Ville de Nantes et élu CGT. Or, nous sommes paysagistes, pas maraîchers. Nous n’avons ni les compétences ni la formation. Ce que nous voulons c’est qu’on professionnalise ce travail. » Pour lui, ce terrain à Doulon est l’endroit idéal pour développer une véritable production maraîchère, situé entre le site de stockage du matériel de la Ville et la cuisine centrale des écoles, crèches et Ephad.
Tous veulent croire que ce champ puisse devenir celui des possibles : accueillir une graineterie afin de produire sa propre semence, réserver des carrés au maraîchage pédagogique, commémorer l’histoire matrimoniale du lieu… « Nantes célèbre beaucoup l’industrie, généralement aux mains des hommes. Pourquoi ne pas en faire autant avec le maraîchage, qui était souvent exercé par les femmes ? » s’interroge Raynald, tout en concluant : « Ce n’est pas une utopie ! » Pour imaginer cet autre avenir, ils ont prévu de se retrouver le 9 décembre aux Gohards, lors de la journée d’action « Doulon résiste au béton ».
Fabienne Loiseau et NnoMan Cadoret (photographies) 8 décembre 2023
Stellantis – Rennes : l’entreprise pompe l’argent public
La direction de l’usine d’automobile de La Janais à Rennes, du groupe Stellantis, vient de programmer une nouvelle semaine d’arrêt de la production fin novembre, après une autre au début du mois. Pour se justifier, elle invoque le manque de pièces.
Cela fait des mois que les travailleurs vivent au rythme des journées et maintenant des semaines annulées au dernier moment, à la volonté des patrons. Cela se couple avec des cadences de travail très élevées les jours où l’usine est ouverte, avec des pauses amputées, des quarts d’heure et des demi-heures supplémentaires…
Les travailleurs peuvent être contents de souffler, mais perdent un peu de salaire, qui est alors payé en grande partie par l’État. Quant aux intérimaires, ils ne touchent rien.
Dopé par les aides de l’État, Stellantis organise sa production en fonction du profit maximum.
Pour la fabrication de ses crêpes, la marque Whaou! utilise entre autres du lait et du beurre. Elle travaille historiquement avec cet élevage intensif situé à Plouzévédé dans le Finistère à quelques kilomètres de la commune de Plouédern où sont fabriquées les crêpes. Ces vaches produisent plus d’1 000 000 litres de lait par an pour la marque Whaou!.
Ces images très récentes de l’élevage historique fournissant la marque de crêpes industrielles Whaou! montrent des animaux détenus dans des conditions déplorables.
Les vaches pataugent dans leurs excréments, certaines sont blessées : une vache présente une corne fracturée entraînant un saignement abondant au niveau de la tête, d’autres ont les sabots si longs qu’elles ne peuvent pas se déplacer normalement.
Des veaux sont séparés de leur mère et sont enfermés dans de minuscules enclos aux barreaux métalliques. Les animaux n’ont jamais accès à l’extérieur, ils vivent dans un environnement insalubre, en plein courant d’air, et dans des bâtiments détériorés. Les génisses affamées, futures vaches laitières de l’élevage, sont nourries avec de la paille jetée à même lisier qui leur fait office de litière.
L’insalubrité de l’élevage a déjà été reconnue par la préfecture : une mise en demeure par arrêté préfectoral a été publiée en mai 2022. 18 mois plus tard, l’établissement n’est toujours pas mis aux normes. L214 porte plainte pour sévices graves et mauvais traitements.
Effets du glyphosate sur la santé : ce qu’on sait et ce qui fait débat
Le dissensus se creuse entre agences réglementaires et institutions scientifiques sur la toxicité du pesticide glyphosate. Un vote décisif a lieu jeudi 16 novembre pour l’interdire ou renouveler son autorisation au niveau européen.
L’autorisation du glyphosate sera-t-elle renouvelée pour toute l’Europe le 16 novembre ? L’usage légal de cette substance active du Roundup, l’herbicide le plus utilisé au monde et dont les effets délétères sur la santé sont de plus en plus documentés, arrive à échéance le 15 décembre 2023. La dernière autorisation remonte à 2017. `
L’Union européenne avait alors autorisé pour cinq ans la substance, en se basant sur un rapport de l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques (BfR) qui assurait que le caractère cancérogène du glyphosate était « improbable ». Problème : de larges parties du rapport sont des copiés-collés de documents de Monsanto, le fabricant du glyphosate, comme l’a dévoilé Le Monde.
En décembre 2022, la Commission proroge d’un an l’autorisation du glyphosate, jusqu’au 15 décembre 2023. Cette décision est prise pour permettre à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) de terminer son examen. « L’évaluation de l’impact du glyphosate sur la santé humaine, la santé animale et l’environnement n’a pas identifié de domaine de préoccupation critique », indique l’EFSA dans ses conclusions en juillet 2023. C’est sur cette base que la Commission européenne a proposé mi-septembre de renouveler l’autorisation pour dix ans, assurant que celle-ci pourrait être révisée à tout moment si de nouvelles évaluations le justifient.
Le 13 octobre, lors d’un vote à huis clos au sein du « Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux », les représentants des 27 États membres ont échoué à s’entendre sur la proposition de la Commission. La majorité qualifiée requise pour valider le texte – soit les représentants de 15 États sur 27 représentant au moins 65 % de la population européenne – n’a pas été atteinte. Un nouveau vote est donc prévu ce jeudi 16 novembre. Si celui-ci n’aboutit toujours pas à une majorité suffisante pour soutenir la proposition, la Commission pourra alors décider seule de prolonger l’autorisation. Seule une majorité qualifiée d’États opposés au texte pouvant permettre de le bloquer.
Qu’est-ce que le glyphosate ?
Le glyphosate est une substance présente dans de nombreux herbicides, active pour éliminer les « mauvaises herbes ». En 1974, l’entreprise états-unienne Monsanto met sur le marché la première formulation commerciale contenant la molécule, sous le nom Roundup. La multinationale de l’agrochimie le présente comme un produit inoffensif et presque naturel.
Évolution des quantités de glyphosate vendues en France
Source : BNVD. Mai 2022.
À l’époque, les conseillers agricoles, embauchés par des coopératives agricoles, incitent les agriculteurs français à remplacer le travail du sol, qui permettait de retirer les mauvaises herbes mécaniquement, par des herbicides, symbole de progrès. Pourquoi refuser un produit qui réduit le temps de travail et le coût de production ? Comme le rappelle le journaliste Stéphane Foucart dans son dernier essai, Un mauvais usage du monde. Politique du glyphosate et des OGM [1], le glyphosate est « le vaisseau amiral des pesticides ».
Très efficace, peu coûteux, le glyphosate est aujourd’hui le deuxième pesticide consommé en France après le soufre.
Les ventes de glyphosate ont augmenté de 50 % entre 2009 et 2018, pour atteindre près de 10 000 tonnes vendues en 2018. Les ventes de glyphosate ont néanmoins amorcé une baisse de 14 % entre 2020 et 2021, passant de 8645 tonnes à 7765 tonnes. Le produit est utilisé principalement dans les grandes cultures, céréales et vignes, et l’arboriculture.
Où en est son interdiction en France ?
Il faut bien distinguer la substance, le glyphosate, des produits utilisés par les agriculteurs, comme le Roundup. Le glyphosate est toujours associé à d’autres molécules appelées adjuvants, qui le rendent plus efficace, en lui permettant de mieux pénétrer dans la plante notamment. L’Union européenne statue sur les substances autorisées tandis que les agences nationales délivrent des autorisations pour les produits commerciaux. En France, la loi Labbé – du nom du sénateur écologiste Joël Labbé – interdit les pesticides de synthèse dans les espaces publics depuis 2017 et chez les particuliers depuis 2019. Pour l’agriculture, l’interdiction est sans cesse repoussée.
Alors qu’Emmanuel Macron avait annoncé en 2017 la sortie du glyphosate au plus tard d’ici 2020, il est depuis revenu sur son ambition. Désormais, le gouvernement évoque de simples « progrès significatifs » pour encadrer les pesticides. Le 13 octobre 2023, la France s’est contentée de s’abstenir sur le renouvellement de l’autorisation du glyphosate pour dix ans.
Que dit la science sur le lien entre glyphosate et cancer ?
En 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), une agence intergouvernementale de recherche sur le cancer qui dépend de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), déclare le glyphosate probablement cancérigène pour l’homme. Selon une disposition du règlement européen [2], un pesticide classé cancérogène probable ou avéré ne peut être autorisé.
Suite à cette déclaration du Circ, des agences réglementaires du monde entier cherchent à évaluer le risque associé au glyphosate. Mais de la France à la Nouvelle-Zélande, en passant par le Japon et le Canada, les avis des agences nationales et européennes sont quasi unanimes : le risque cancérigène du glyphosate est improbable. Le 30 mai 2022, l’Agence européenne des produits chimiques (EChA) estime que le glyphosate n’est ni cancérogène, ni mutagène, ni toxique pour la reproduction. Elle ne juge le produit dangereux que pour les yeux des utilisateurs et toxique pour les organismes aquatiques – deux caractéristiques n’entraînant pas le rejet automatique de la demande d’autorisation.
Le Centre international de recherche sur le cancer est donc seul face à la dizaine d’agences réglementaires. Faut-il alors innocenter le glyphosate ? Un rapport scientifique publié le 30 juin 2021 contrebalance cette position. Mandaté par le gouvernement français, l’Institut national de recherche médicale (Inserm) a réalisé une synthèse des effets sur la santé des pesticides, et notamment du glyphosate. Sa conclusion est que « la présomption de lien entre le glyphosate et le LNH [lymphome non hodgkinien, soit un cancer du système lymphatique] est moyenne ». Autrement dit, l’Inserm reconnaît que des éléments sur les risques cancérigènes du glyphosate existent.
Quelles études sont prises en compte ?
Une différence majeure explique ces avis divergents. Le Circ et l’Inserm se basent sur des études publiées dans des revues scientifiques, relues par des pairs, alors que les agences réglementaires, nationales ou européennes, fondent leur avis surtout sur des études non publiées, commandées ou réalisées par les fabricants de pesticides. « L’EFSA ne prend pas suffisamment en compte la recherche académique » a reconnu le 8 novembre dernier un responsable de l’Autorité européenne de sécurité des aliments [3].
L’effet génotoxique du glyphosate, c’est-à-dire sa capacité à endommager l’ADN, est au cœur de la controverse. C’est un mécanisme majeur dans le développement de cancer. Comme l’on peut s’y attendre, ces deux types d’études n’arrivent pas aux mêmes résultats. Seulement 1 % des études industrielles révèle un effet génotoxique contre 70 % des études scientifiques publiées dans des revues à comité de relecture [4].
Quelle crédibilité accorder à ces études industrielles ? L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a donné accès à celles sur lesquelles elle s’est fondée pour renouveler l’autorisation du glyphosate en 2017. Deux scientifiques autrichiens indépendants ont passé au crible l’ensemble des études de génotoxicité jusqu’ici gardées secrètes. Résultat ? Sur les 53 études, seulement deux études sont fiables selon eux d’un point de vue scientifique [5].
« Si vous soustrayez les études qui ne sont pas fiables et celles qui sont d’une importance mineure, alors il ne reste rien », pointe Helmut Burtscher, biochimiste à l’ONG environnementale autrichienne Global 2000. « Les agences nationales ou européennes ne semblent pas examiner de près la qualité des études de l’industrie », dénonce Nina Holland, de l’ONG Corporate Europe Observatory – qui œuvre à Bruxelles pour rendre visibles les actions de lobbying des grandes entreprises.
« Les études universitaires sont tellement peu prises en compte qu’à la fin, seules les études de l’industrie, avec des conclusions diamétralement opposées, sont intégrées », déplore François Veillerette, de l’association Générations futures [6].
Quels composants et molécules sont étudiés ?
Le poids des études industrielles n’est pas le seul facteur de clivage entre les agences réglementaires et le Circ. « Si tout le monde regarde la même chose, tout le monde ne le regarde pas sous le même angle », précise Luc Multigner, chercheur en épidémiologie à l’Inserm. Alors que le Circ prend en compte les études réalisées sur les produits commercialisés, c’est-à-dire des formulations à base de glyphosate, les agences réglementaires se concentrent généralement sur la substance pure. Cette différence n’est pas anodine : « Les produits utilisés sont bien plus dangereux que les molécules actives », souligne Joël Spiroux de Vendômois, président du Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (Criigen).
Si le glyphosate est appelé « molécule active », les autres composants, considérés comme neutres par les industriels, sont loin d’être inoffensifs. Combinés dans un même produit, leur effet toxique se renforce : c’est ce qu’on appelle l’« effet cocktail ». Des chercheurs ont fait la comparaison : des formulations Roundup se sont montrées 10 à 1000 fois plus toxiques que le glyphosate seul [7].
Le problème est que les adjuvants ne sont ni indiqués – secret industriel oblige – ni véritablement évalués. « Ce sont toujours les substances dites actives qui sont testées et pas les produits utilisés par les agriculteurs », dénonce Joël Spiroux de Vendômois. Si les substances isolées sont testées pendant deux ans, temps nécessaire pour observer les effets à long terme, « les produits finis ne sont testés que quelques jours sur la peau ou les conjonctives et sans bilan sanguin à la recherche de pathologies éventuelles », détaille le chercheur.
En 2016 par exemple, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation a retiré du marché 132 formulations associant le glyphosate à un coformulant, le POE-Tallowamine. « Des risques inacceptables, notamment pour la santé humaine, ne pouvant être exclus pour ces produits, indique alors l’agence. Ces produits éminemment toxiques n’auraient jamais pu être mis sur le marché si les Roundup qui en contenaient avaient été testés dans leur globalité pendant deux ans », regrette Joël Spiroux de Vendômois.
Les agriculteurs utilisant du glyphosate ont-ils plus de risques de développer un cancer ?
« Des éléments soulignent un potentiel génotoxique, c’est évident », reconnaît Luc Multinger, coauteur de l’expertise de l’Inserm. Mais ces dommages à l’ADN entraînent-ils réellement des cancers chez les personnes exposées ? Un type de cancer du système immunitaire est particulièrement associé au glyphosate : les lymphomes non hodgkiniens (LNH). À ce sujet, des chercheurs américains ont suivi une cohorte de plus de 50 000 agriculteurs et n’ont observé aucun lien entre l’exposition au glyphosate et la survenue de ce cancer.
Mais l’étude indépendante d’une ampleur inédite du consortium AGRICOH vient contrebalancer ces premiers résultats. Elle a pris en compte trois études de cohorte différente, soit plus de 300 000 agriculteurs en tout, dont les 50 000 agriculteurs des États-Unis. Résultat ? L’exposition au glyphosate augmente de 36 % le risque de développer le type LHN le plus courant.
Au vu de la littérature, l’Inserm a fait évoluer sa position depuis sa dernière expertise en 2013. La présomption de lien entre glyphosate et LNH est passé de « faible » à « moyenne ». Pourquoi pas forte ? « Nous avons porté un jugement au vu des données existantes, mais elles ne sont pas suffisamment précises, souligne Luc Multigner. Par exemple, nous ignorons les quantités réellement utilisées par les agriculteurs. Mais attention, ce n’est pas parce que les données n’existent pas, que le risque n’existe pas », souligne le chercheur en épidémiologie.
Ainsi, de nouveaux liens avec d’autres types de cancers ont été mis en avant dans la dernière expertise de l’Inserm, comme les myélomes multiples et les leucémies, alors qu’ils n’étaient pas visibles en 2013, par manque d’études. En clair, plus des connaissances sont produites, plus les liens peuvent être affirmés avec certitude.
Quels sont les autres effets sur la santé ?
« Malheureusement, les pesticides ne provoquent pas que des cancers, mais toute une série de pathologies », rappelle Joël Spiroux de Vendômois. Le glyphosate n’échappe pas à la règle. Si les études se sont focalisées sur le caractère cancérigène du glyphosate, les liens avec d’autres pathologies sont beaucoup moins connus. L’Inserm considère aussi le risque que le glyphosate cause des problèmes respiratoires chez les agriculteurs, avec « une présomption de lien faible compte tenu du nombre limité d’études ».
Le glyphosate est par ailleurs suspecté d’être un perturbateur endocrinien, c’est-à-dire une substance qui dérègle l’activité hormonale, et provoque ainsi des effets néfastes sur la santé humaine, comme des troubles de la reproduction. Comme pour le risque cancérigène, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a conclu à ce sujet que « le glyphosate n’a pas de propriétés de perturbation endocrinienne sur la base des informations disponibles ». L’Inserm a évité la controverse en évoquant la question en quelques lignes seulement dans sa récente synthèse : « Des études expérimentales suggèrent des effets délétères en lien avec un mécanisme de perturbation endocrinienne. »
Une étude réalisée sur des rats montre que même à des doses considérées comme sûres dans l’alimentation, l’herbicide à base de glyphosate induit des effets endocriniens et perturbe le développement [8]. Une autre étude a montré pour la première fois que l’effet perturbateur endocrinien des herbicides pouvait être dû, non seulement au glyphosate, mais aussi aux coformulants contenus dans les produits commerciaux [9].
L’hypocrisie des doses journalières admissibles
Eau, air, alimentation : le glyphosate est présent partout. Plus de 40 % des femmes enceintes en Bretagne ont du glyphosate dans les urines, à une concentration moyenne de 0,2 microgramme/litre [10], c’est-à-dire le double de la concentration autorisée dans l’eau potable. L’alimentation est une des premières sources d’exposition pour la population générale. Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, « l’exposition de la population française via l’alimentation est inférieure à 1 % de la dose journalière admissible (DJA) [la dose considérée comme sans risque pour la santé, ndlr]. » Est-ce une garantie de sécurité ?
« La question n’est pas quel est le risque avec des résidus de glyphosate, mais quel est le risque quand je mange tous les jours des produits avec de nombreux pesticides », dit Pierre-Michel Périnaud, médecin généraliste et président de l’association Alerte des médecins sur les pesticides. Cette dose de référence est calculée à partir de la substance pure et seule, ignorant le double effet cocktail : non seulement le glyphosate agit en synergie avec des coformulants, mais aussi avec les résidus des autres pesticides. Une étude a exposé des rats à six pesticides, chacun à des doses inférieures à la DJA. Alors que ces doses sont supposées être des garanties de sécurité, les rats ont développé des problèmes de reproduction et de diabète [11].
À partir de la dose journalière admissible et des bonnes pratiques agricoles, l’Union européenne fixe des limites maximales de résidus autorisés pour chaque aliment. Selon l’Efsa, en 2016, « 97 % des échantillons d’aliments prélevés dans l’Union européenne se situaient dans les limites légales ». Les limites légales de glyphosate dans les aliments sont 20 à 30 fois supérieures à celle autorisée dans l’eau potable, il est donc très rare que les taux dépassent ces seuils. En plus, l’Union européenne augmente parfois les limites maximales de résidus pour répondre aux besoins de l’agriculture industrielle et du commerce international.
Ainsi, le taux résiduel autorisé a été multiplié par 200 pour le soja en 1997 et par 100 pour les lentilles en 2012, passant de 0,1 mg/kg à 10 mg/kg, ce qui est deux fois supérieur à la norme internationale. La raison ? Permettre l’importation de lentilles traitées au glyphosate depuis le Canada et les États-Unis.
Interdiction d’une formulation
Le Criigen a remporté en juin 2021 en France une bataille juridique contre Bayer/Monsanto et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses). La cour administrative d’appel de Lyon a confirmé l’interdiction d’une formulation commerciale, le Roundup pro 360, qui avait été autorisée par l’Anses. La cour a décidé cette interdiction en raison du principe de précaution. Selon le président du Criigen, cette décision devrait conduire au retrait de « tous les produits à base de glyphosate compte tenu des nombreuses données scientifiques montrant les impacts sanitaires et environnementaux de ces herbicides ».
Les renouvellements des autorisations de mise sur le marché de Touchdown System 4 et Touchdown Forêt, deux produits à base de glyphosate, ont aussi été annulés par le tribunal administratif de Montpellier en mai 2023. Certains risques concernant l’impact sur les pollinisateurs n’auraient pas été évalués, indique le tribunal. Le comité de recherche indépendant appelle à réformer en profondeur l’expertise réglementaire : pour que l’évaluation soit fondée sur les produits utilisés par les agriculteurs et sur des études indépendantes de l’industrie. Une campagne intitulée « Secrets Toxiques » a ainsi été lancée, afin que des études de toxicité à long terme soient réalisées pour chaque pesticide mis sur le marché.
En mars 2022, les experts du Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) ont également rendu un avis qui établit, pour la première fois en France, un lien de causalité entre malformations et exposition prénatale au glyphosate.
« Notre approche est fondée sur la science et les avis des scientifiques. L’autre point cardinal, c’est qu’on ne transige pas avec la santé publique », a déclaré la Première ministre Élisabeth Borne en février 2023. En octobre dernier, la France s’est finalement prononcée en faveur d’un renouvellement de l’autorisation du glyphosate pour sept ans. La position de la France est « une politique de gestion dans laquelle on n’édicte pas d’interdiction sans solution, mais partout où il est possible de réduire les usages au niveau européen, il faut le faire », a justifié le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau. Quel qu’en soit le coût.
Symposium
Histoire sociale des langues de France : dix ans après
La Bretagne linguistique, CRBC, Brest, 23 & 24 novembre 2023
À l’été 2023, un touriste qui vient à Brest chercher un peu de fraîcheur ne manque pas de la trouver. S’il est attentif aux pratiques langagières, il entendra, dans les rues, parler bien des langues. Le français, bien sûr et surtout, avec peut-être quelques caractéristiques de phonologie ou de vocabulaire propres à ce que l’on caractérise parfois comme le parler brestois1, un des idiomes parmi d’autres de ce que l’on appelle le français2. Il entendra aussi du berbère ou de l’arabe, du portugais, parlés par des immigrés installés à la pointe du Finistère dans les années 70 ou bien par leurs enfants et petits-enfants nés à Brest. Il croisera des Antillais parlant créole, souvent venus en métropole.
Et puis, s’il tend bien l’oreille, il entendra parler breton.
S’il tend bien l’oreille car, de nos jours, le breton se pratique majoritairement dans la sphère privée3, entre pairs que ne sépare aucune limite symbolique ou institutionnelle4 : sous ses formes monarchiques, impériales ou républicaines, l’État a justement œuvré pour que la pratique des autres langues de France soit majoritairement cantonnée à cette sphère de l’intime, la domination symbolique subie par ces locuteurs, avec son lot habituel de représentations épilinguistiques négatives, expliquant alors l’arrêt de la transmission au sein des familles5 – cela a pu être vrai pour le breton, mais aussi pour le berbère, le portugais ou le créole.
Pour autant, s’il prend le tram brestois, notre touriste entendra une voix de femme lui annoncer en breton, dans une phonologie très proche du français, qu’il lui faut descendre à l’arrêt Liberté s’il souhaite se rendre à la gare. De même, il verra partout dans la ville des panneaux signalétiques bilingues : le breton a bel et bien une valeur symbolique6, qui dépasse la seule fonction de communication.
À Brest, le français se porte donc bien, en effet. Et il en est de même ailleurs sur le territoire de la République7. Mais qu’en est-il des autres langues parlées sur ce même territoire ? Que peut-on dire des pratiques langagières en France ? Qui parle quoi, comment et pourquoi ?
Il y a dix ans, l’Histoire sociale des langues de France avait tenté de répondre à ces questions dans une somme qui avait fait date. On y trouvait la mise en lumière du paysage sociolinguistique de la France, selon trois objectifs affichés :
l’équilibre entre la production et la réception : qu’en est-il de la pratique de telle et telle
langue ?
l’absence de réification : ce ne sont pas les langues qui sont en contact, mais bel et bien les locuteurs de ces langues ;
la recherche d’un « compromis entre une grammaire historique et une histoire externe de la langue » (p. 31).
Alors que les gouvernements successifs rendent l’école publique de plus en plus exsangue, les établissements privés semblent gagner du terrain. Une minorité de parents pro-public ne désarment pas. Qui sont-ils et pourquoi bataillent-ils ?
Lorsque Emma quitte la région parisienne pour s’installer en Loire-Atlantique avec ses trois enfants, alors scolarisés en maternelle, la question du lycée semble loin. Elle est active à la FCPE (Fédération des conseils de parents d’élèves), puis le temps passe, les enfants grandissent, et l’entrée au lycée se profile à l’horizon. Or, l’offre publique à proximité est rare. « En arrivant à Nantes, j’ai découvert la puissance du privé. C’était un choc pour nous. C’est aberrant que ces établissements soient subventionnés. Une offre privée par conviction religieuse, pourquoi pas, mais pas avec notre argent ! »
En France, en moyenne un élève sur cinq est scolarisé dans le privé. En Loire-Atlantique cette proportion grimpe à 40 % des effectifs, soit presque un élève sur deux ! D’où la surprise d’Emma. Les établissements privés sous contrat sont à 96 % catholiques et sont grandement dépendants des subventions publiques, à hauteur de 73 %.
Emma et d’autres parents du coin s’engagent donc dans un combat pour l’ouverture d’un lycée public proche de chez eux, au nord de Nantes. « On avait quitté la Seine-Saint-Denis avec pas mal de culpabilité, en se disant si on part, si plein de gens partent, qu’adviendra-t-il de la mixité ? On était pris en étau entre nos angoisses et nos convictions. » Emma fait partie de ces parents pro-public qui refusent d’envoyer leurs enfants dans des établissements privés, même sous contrat avec l’État.
La bataille du lycée public d’Emma sera victorieuse et de courte durée : la Région, politiquement à gauche à l’époque, avait déjà réservé le terrain où s’érige le nouveau lycée public. Son fils y est aujourd’hui en seconde. « Ce mouvement a créé de véritables liens sur le territoire. La puissance du tissu associatif est très précieuse. Il y a beaucoup de bonheur à voir ses enfants entrer dans un lycée pour lequel on s’est battus. »
« Le privé, c’est un séparatisme qui creuse les inégalités »
Pour Emma, comme pour d’autres, l’offre scolaire en France devrait être exclusivement publique. La réalité est tout autre : malgré une baisse démographique, donc des effectifs, le privé, lui, ne désemplit pas. Dans certaines académies, comme à Paris, ces effectifs sont même en hausse. La mixité sociale, elle, décroît. « Le privé sous contrat accueille deux fois plus d’élèves socialement très favorisés que les établissements publics et deux fois moins d’élèves défavorisés. (…) Le privé concentre les familles très favorisées », observe Djéhanne Gani, professeure d’allemand et rédactrice en chef du Café pédagogique, à partir des données publiées par le ministère de l’Éducation nationale.
Ce véritable entre-soi fait bondir Emma. « Le privé, c’est une forme de séparatisme qui creuse encore plus les inégalités », estime-t-elle. Jean, père de deux filles, est lui toujours en Seine-Saint-Denis. Il a fait partie de ces parents mobilisés en 2014 contre la situation très dégradée de l’école dans son département : professeurs absents non remplacés, vacataires introuvables, contractuels embauchés au pied levé, locaux en piteux état. Un « ministère des Bonnets d’âne » avait alors vu le jour, en plein cœur de Saint-Denis, un lieu investi le plus gaiement et médiatiquement possible pour protester contre ces situations récurrentes et honteuses. Pas sûr que tout cela se soit beaucoup amélioré.
« Oui, on obtenait des choses, mais au détriment d’autres écoles moins mobilisées, donc à quoi bon ? » Lui n’a jamais cédé aux sirènes du privé pour autant. « Je n’aborde pas ça sous l’angle moralisateur ou militant. Seulement, il n’y a aucune raison que la scolarité se passe mieux dans le privé. Ma fille était dans une classe de 12 élèves, ce ne serait jamais le cas dans le privé. » Jean apprécie l’impact de la mixité sociale, les classes moins bondées, les arrivées de professeurs « jeunes et dynamiques ». « Le point noir du public, c’est le non-remplacement des enseignants. Personne n’est prêt à sacrifier l’éducation de ses enfants », reconnaît-il.
Le confort des enfants, l’argument phare, la raison pour laquelle certains pourraient être amenés à s’asseoir sur leurs convictions favorables à une école publique. « On joue sur les peurs des parents, alors ces derniers flippent, ils anticipent les problèmes », explique Jean. Il l’assure, « autour de moi, ceux qui regrettent leur stratégie éducative sont ceux qui ont mis leurs enfants dans le privé ».
Les leviers de la résistance
Alors qui sont ces parents qui tiennent, contre vents et marées ? Ceux qui font face aux discours des autres parents, qui tentent d’argumenter leur choix du privé. Ceux qui font face aux actions d’un gouvernement qui désosse méthodiquement un peu plus chaque jour l’« école de la République » sans réellement l’avoir fréquentée – depuis 2005, six des dix ministres de l’Éducation nationale ont été scolarisés dans le privé, dont l’actuel ministre Gabriel Attal.
La sociologue de l’éducation Agnès van Zanten, directrice de recherche au CNRS et autrice de Choisir son école, a enquêté sur cette minorité de parents pro-publics. Sans surprise, ce sont des personnes évoluant dans les professions intermédiaires ou supérieures, ou bien dans les sphères intellectuelles. Enseignants, chercheurs, soignants, travailleurs sociaux, « qui auraient les moyens sociaux comme économiques » de quitter le public pour le privé.
« Ceux qui le font tout de même sont moins dans un évitement social que dans un évitement scolaire, observe la chercheuse. Les parents engagés dans un évitement scolaire tiennent principalement compte du “niveau” de chaque établissement et des résultats scolaires des autres enfants, qu’ils peuvent imparfaitement évaluer en tenant compte des résultats au baccalauréat des lycées, et à un moindre degré, au brevet des collèges pour ces derniers. » Si l’établissement public du secteur est considéré comme ayant un niveau satisfaisant tout en étant très très mixte socialement, ces parents ne l’éviteront pas.
À la différence de ceux qui pratiquent un « évitement social », sensibles évidemment aux résultats scolaires, « mais aussi aux caractéristiques sociales du public des établissements, plus difficiles à appréhender objectivement, car les catégories socioprofessionnelles des parents ne sont pas divulguées », explique Agnès van Zanten. « Entre deux établissements ayant des résultats comparables, ils vont choisir celui, souvent privé, plus sélectif socialement. »
C’est dans cette logique que les parents pro-publics ne veulent pas entrer. « En plus de la dimension des valeurs, constate Agnès van Zanten, les parents pro-public ont une plus grande confiance dans leur capacité à aider leur enfant si l’école du quartier “faillit” à sa mission. Jusqu’à la fin du collège, ils peuvent ainsi pallier les failles du public. Enfin, ils croient davantage à la capacité de leurs enfants à résister à des influences potentiellement négatives. »
Ce sont des parents avec une sensibilité de gauche, résume la sociologue, qui souhaitent préserver l’école publique et ses idéaux d’égalité et de mixité sociale en y envoyant leurs enfants. Ils deviennent en quelque sorte des « militants » de l’école, « convaincus que la qualité de l’école dépend en grande partie de son degré de mixité sociale, et “font campagne” auprès des autres parents des classes moyennes et supérieures pour les convaincre de rester à l’école publique ». « Ces parents pensent surtout que la mixité sociale est favorable à la cohésion sociale, car ils craignent souvent, sur un plan pédagogique, que les enseignants ne soient pas en mesure de bien faire avancer tous les enfants dans des classes hétérogènes », analyse la chercheuse.
Contourner la carte scolaire
La bascule vers le privé, quand elle a lieu, se joue à l’entrée au lycée, antichambre de l’orientation et des études supérieures. Là, des parents peuvent changer leur cartable d’épaule. « Ils vont être moins enclins au risque à ce moment-là, car ça devient plus “sérieux”, et vont considérer qu’ils ont “payé leur tribut” à l’école publique avant », conclut la sociologue.
Pour Laurent Gutierrez, enseignant-chercheur en sciences de l’éducation à l’université Paris-Nanterre, « les parents qui ne mettraient jamais leur enfant dans le privé sont un épiphénomène ». Ce qui va réellement attirer les parents vers un établissement plutôt qu’un autre serait l’offre de formation. Le choix des options, la réputation du lieu et des personnes qui le dirigent, la question des effectifs, tout cela va prendre le pas sur la question privé-public. « On appelle ça “l’effet parcours”, et ceux qui ont les bonnes informations vont savoir profiter au mieux du système », assure le chercheur.
Ainsi, les classes moyennes et supérieures vont parfaitement s’accommoder des différentes stratégies pour contourner la carte scolaire par exemple. « L’école publique va alors devoir s’adapter à la situation de l’offre scolaire locale, analyse Laurent Guttierez. S’il n’y a pas de plus-value, les gens vont voir ailleurs. De nombreux parents choisissent le privé pour les offres de formation et les options. L’école est devenue un marché. »
Emmanuelle, dont la fille est scolarisée en CM1 dans le 12e arrondissement de Paris, se dit « militante de gauche avec des convictions très fermes ». Pour autant, elle confie elle-même avoir pu douter, en entendant des rumeurs de violences ou de « moins bon niveau scolaire » sur l’école publique de son quartier. Adhérente à la FCPE, elle a finalement choisi d’échanger avec d’autres, notamment ceux issus des quartiers populaires, puis de regarder de plus près les données de niveau et autres statistiques des établissements locaux.
Rien, dans les chiffres et constats, ne venait confirmer les on-dit. « Alors on se pointait aux réunions d’information de l’école maternelle avec ces données solides, se souvient-elle. Mais j’ai vite constaté qu’aucun argument rationnel et établi ne permettait aux gens de changer d’avis. On me rétorquait : boulevard dangereux, pollution… Les gens de gauche se cherchent des arguments, car ils n’assument pas ! » Moins de violence, meilleur encadrement, professeurs mieux formés…
La liste des raisons tourne souvent en boucle lors de l’autopersuasion parentale. « Les parents qui mettent leurs enfants dans le privé s’appuient uniquement sur des représentations », estime Laurent Gutierrez, qui a formé des enseignants pendant 15 ans, à l’INSPE (Institut national supérieur du professorat et de l’éducation) comme à l’ISFEC, l’institut de formation de l’Enseignement catholique. L’enseignant-chercheur insiste sur le fait qu’« il y a de très bons professeurs, et des moins bons, dans le public comme dans le privé ! »
Éducation holiste ou individualiste ?
Derrière la palanquée d’arguments maintes fois entendue, ce qui, au fond, va différencier les parents pro-public des autres est la conception même de l’école. « Pour la FCPE, l’école publique est un projet de société », résume ainsi Grégoire Ensel, président national de la FCPE. Camille Roelens, philosophe de l’éducation à l’université Lyon 1, constate que la volonté de défense des services publics est quelque chose de très présent en France, bien plus que dans les autres démocraties. Et rappelle que l’école, aussi loin qu’à l’époque antique, a toujours eu « une fonction collective ».
« La question est : qu’est-ce qui fait que mon enfant n’est pas seulement mon enfant, mais l’enfant d’une société, d’un monde, d’une planète ? Le parcours scolaire de mon enfant va-t-il servir le service public ? Ce schéma holiste – où l’intérêt du groupe prévaut sur celui de l’individu – se retrouve jusqu’à une période récente. » Force est de constater que, ultralibéralisme et individualisme obligent, nous n’en sommes plus là.
Le nombre de parents impliqués dans la défense de l’école publique paraît minime, alors même que celle-ci semble en grande difficulté. « L’intérêt collectif est quelque chose de viscéral pour nous, assure Grégoire Ensel. L’école est, pardonnez-moi l’expression un peu éculée, le cœur battant de la République. On a envie de lui consacrer du temps. » Reste qu’y consacrer du temps peut sembler secondaire pour des parents qui auront pour priorité la réussite de leurs enfants, même si cela signifie, à tort ou à raison recourir au privé. Le président de la FCPE ne leur en tient pas rigueur. « Se battre pour l’école se fait sur un temps long. Et je pense que la société a perdu de vue le projet qu’elle avait pour l’école publique. »
Nara Cladera, professeure des écoles et cosecrétaire fédérale de Sud Éducation, s’est longtemps battue pour de petites écoles rurales, puis pour les REP+ du Val-de-Marne. Elle observe que les parents défendant l’école publique ne correspondent pas « à un seul profil », mais sont des personnes qui veulent être « là où le lien social se tisse », dans une même préoccupation de défendre les conditions d’apprentissage de leur enfant. « La bourgeoisie, elle, n’a pas besoin de l’école publique. Or, la défendre, c’est défendre l’école pour toutes et tous. Ceux qui ont cette vision collective sont ceux qui ont besoin des services publics. »
La sociologue Agnès van Zanten avait également relevé cette tendance dans ses recherches : « Les parents pro-public sont généralement des personnes sensibilisées à l’importance de tous les services publics. In fine, ce sont ces parents-là qui rendent encore possible la mixité à l’école. Ce sont eux qui “portent” l’école publique. »
Or aujourd’hui, « l’individualisme démocratique », dixit Camille Roelens, pénètre toutes les sphères de la société. Le système de sélection et de tri en place donne la sensation aux parents qu’ils n’ont d’autre choix que de se plier à ce fonctionnement pour « sauver » leur enfant d’un parcours moyen ou chaotique et d’un avenir incertain.
« Il y a un moment où les parents se disent qu’ils ne peuvent pas ou plus embarquer leur enfant dans leurs valeurs politiques. Mais il est à noter que ce n’est pas seulement l’école publique qui est frappée par la “décroyance”, mais bien tous les projets collectifs : partis politiques, religions, syndicats, observe le philosophe. Il faut donc se poser une question essentielle : ça donne quoi, sur le long terme, une vision holistique ou individualiste de l’école ? »
Nous commençons aujourd’hui à en avoir un aperçu. Le questionnement est certes d’ampleur, mais le débat sur l’école publique est la matrice d’un autre, encore plus vaste, puisqu’il s’agit bien ici de définir le type de société dans laquelle nous souhaitons évoluer à l’avenir.
Laurie Debove Photographie: Sea Shepherd France 2 novembre 2023
Dérogations pour permettre la pêche l’hiver : le gouvernement risquel’extinction des dauphins au mépris de la science
Fin octobre, un rapport de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) a mis en cause le rôle des filets de fond dans la mort des cétacés.
La bataille pour sauver les dauphins du Golfe de Gascogne continue. A l’encontre de l’avis des scientifiques, du Conseil d’État et de l’Union Européenne, le gouvernement français accorde de nombreuses dérogations pour maintenir la pêche l’hiver dans le Golfe de Gascogne, alors que les captures accidentelles de cétacés menacent leur survie.
La survie de l’espèce en jeu
Depuis 1990, on estime que la pêche a causé la mort de 90 000 dauphins en Atlantique nord-est. La survie de l’espèce est en jeu, à tel point que 1 500 scientifiques s’étaient réunis pour demander la fermeture temporaire des zones de pêche les plus meurtrières.
Un avis suivi par la Commission Européenne et le Conseil d’État qui a ordonné au gouvernement, en mars 2023, de fermer chaque hiver les zones de pêche les plus destructrices pour réduire drastiquement les captures de Dauphins et petits cétacés.
Sea Shepherd France, France Nature Environnement et l’association de Défense des Milieux Aquatiques, les trois associations à l’origine du recours devant le Conseil d’État, attendaient donc avec impatience de voir comment le gouvernement allait réguler la situation.
Alors que le CIEM (Centre International d’Exploration Marine) et le Conseil d’État recommandaient de fermer les pêcheries 3 mois l’hiver et un mois l’été, le gouvernement a retenu une fermeture limitée à 30 jours l’hiver. Encore plus préoccupant, il autorise par de nombreuses dérogations la poursuite de la pêche.
« Cette décision arrive sans surprise mais elle me révolte, car cette année on a battu les records de 2019 et 2020 de 50% ! Fin juin, il y avait 1400 dauphins officiellement échoués sur la plage. Dans ce contexte, que l’État persiste à dire que les dispositifs acoustiques (pingers) sont suffisants, alors qu’il n’y a jamais eu autant de pingers et autant d’échouages, c’est aberrant ! » réagit Philippe Garcia, Président de l’association de de Défense des Milieux Aquatiques, pour La Relève et La Peste
Dans la même lignée, l’État permet aux bateaux équipés seulement de caméras de pouvoir continuer à pêcher, bien que les vidéos n’empêchent en rien les captures accidentelles. Le gouvernement justifie cette décision par l’importance de collecter des données sur l’ensemble de l’année.
Or, les données existent déjà et dressent un tableau de plus en plus alarmant sur la situation. Un constat dressé par le CIEM qui a baissé le plafond de 4900 dauphins échoués menaçant la survie de l’espèce il y a quelques années, à 950 actuellement.
Une décision politique
Fin octobre, un rapport de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) a mis en cause le rôle des filets de fond dans la mort des cétacés.
« A l’époque, on pensait que les chaluts pélagiques provoquaient le plus de dégâts. Le rapport de l’Ifremer démontre la responsabilité des filets tramails et des filets pêche-tout. Avec l’amélioration des techniques sur les nylons, les fabricants ont créé des filets qui flottent de plus en plus haut dans la colonne d’eau, jusqu’à plusieurs mètres de hauteur, là où avant ils montaient de seulement 80cm. Cette innovation technologique a entraîné d’immenses dégâts chez les cétacés qui se font prendre au piège » explique Philippe Garcia, Président de l’association de de Défense des Milieux Aquatiques, pour La Relève et La Peste
Dans son rapport, l’Ifremer reconnaît notamment qu’on ne connaît ni la longueur ni la hauteur des filets, donc nous n’avons actuellement aucune idée de la surface totale des filets immergés dans le Golfe de Gascogne.
Les filets sont non seulement plus performants, mais ils sont aussi de plus en plus nombreux au fur et à mesure que les poissons disparaissent. Une problématique mondiale : en 2019, une étude de l’université de Tasmanie et du CSIRO pointait ainsi qu’il y a deux fois plus de bateaux pour 80 % de poisson en moins.
La pêche industrielle est devenue une véritable « économie de l’extinction » : pour résoudre le problème de raréfaction des poissons et de la biodiversité marine, on aggrave les causes du problème en pêchant toujours plus.
Alors que la FAO estime que les populations de poisson vont totalement s’effondrer d’ici 2048, sauver les cétacés d’une potentielle extinction est le premier jalon d’un combat vital pour protéger l’Océan de notre aveuglement.
« Les dauphins sont les ambassadeurs de l’océan. Ils ont un capital sympathie énorme et devraient nous alerter de façon bien plus efficace que le sort des soles ou les merlus sur lesquels c’est bien plus difficile de sensibiliser l’opinion. C’est aussi pour cela que c’est une sorte de ligne rouge : si on n’y arrive pas, là, sur la question des dauphins, c’est foutu pour tout le reste » nous expliquait Lamya Essemlali, la présidente de Sea Shepherd France, en mars 2021
Pour indemniser les pêcheurs à quai en hiver, l’argent existe pourtant déjà. Une enveloppe européenne alloue 6 milliards d’euros pour la pêche sur cinq ans, dont 570 millions d’euros uniquement pour la France. Cette somme n’a été utilisée qu’à moitié lors du dernier versement.
Les associations n’ont pas dit leur dernier mot pour enrayer l’hécatombe. Un recours sur le fond est toujours en cours d’instruction. Elles vont également attaquer en justice l’arrêté publié par le gouvernement et demander à ce que toutes les dérogations soient suspendues en urgence pour « empêcher une véritable boucherie ».
Journées d’actions contre Lafarge et le monde du béton
Du 9 au 12 décembre 2023 : Appel international à des journées d’actions contre Lafarge et le monde du béton
1001 raisons de détester Lafarge-Holcim
Lafarge-Holcim nous asphyxie : à Bouc-Bel-Air proche de Marseille, il brûle des pneus pour faire tourner ses fourneaux, à Cimencam (Cameroun) les cheminées ne sont pas filtrées, à Barroso (Brésil) la ville est fréquemment recouverte d’une fine couche de poussière extrêmement polluante, etc, etc… Leurs usines, partout dans le monde, tuent directement en provoquant des cancers chez les riverain.es vivant à proximité mais aussi indirectement via la pollution de l’air et les conséquences du changement climatique qu’il engendre car le processus de fabrication du ciment est un des principaux postes d’émissions de CO2 au niveau mondial (8% des émissions en 2022).
Lafarge-Holcim empoisonne les rivières : en plein cœur de Paris, il déverse ses eaux usées dans la Seine, dans l’état de New-York, leur usine cause une immense pollution de la rivière Hudson, etc, etc… Particules de ciment, liquides de traitement et autres microfibres en plastique transforment les rivières du monde entier en décharges à ciel ouvert, causant la mort des poissons et de leurs habitats.
Lafarge-Holcim détruit les sols et les fonds marins : le béton est le plus grand consommateur de sable au monde. Le sable est la deuxième ressource la plus exploitée après l’eau, et dont Lafarge est un des principaux bénéficiaires. De Saint-Colomban (44) à l’Inde, des côtes bretonnes à celles du Maroc, cette exploitation est un désastre aux multiples préjudices : pollution des nappes phréatiques, disparition de plages et d’îles entières, érosion, destruction d’écosystèmes marins comme terrestres, artificialisation de terres…
Lafarge-Holcim coule littéralement le monde sous le béton. Il produit cette matière grise indispensable à tous les grands projets nocifs et absurdes (JO, Grand Paris, ex-aéroport de Notre-Dame-des-Landes, Bure, Stocamine…) et participe partout à la destruction des terres agricoles, zones humides et forêts ainsi qu’aux déplacements des populations qui les accompagnent. Par ses champs d’influence sur tous les grands projets publics et privés, il fait en sorte que le béton soit utilisé en tous lieux car c’est l’essence même de ses profits.
Lafarge-Holcim est une entreprise mafieuse, prédatrice et néocoloniale, profitant très souvent des services secrets des États pour étendre son empire. En France, elle est toujours mise en examen pour complicité de crimes contre l’humanité et financement du terrorisme, au vu et au su du gouvernement français. En cause, le maintien forcé de l’activité de l’usine de Jalabiya en pleine guerre civile, en payant grassement Daesh et en mettant en danger la vie de ses employé.es syrie.nes. Un épisode qui rappelle que l’entreprise avait, parmi bien d’autres, collaboré avec les nazis pour construire rien de moins que le mur de l’Atlantique.
Qui dit mieux ?
Luttons contre le béton !
Les luttes locales qui se battent ici contre l’extension d’une carrière, là contre la pollution de l’air d’une cimenterie, ou encore là-bas contre l’extraction de sable marin sont nombreuses. De Saint-Colomban dans les Pays de la Loire à la ZAD de la Colline en Suisse, ces luttes sont de plus en plus fortes et vivantes. On voit même des coalitions émerger, à l’image de « Fin de Carrières 44 ». À ces luttes se joignent des actions qui se multiplient depuis quelques années. Par Extinction Rebellion, Youth For Climate, les Soulèvements de la terre ou des groupes autonomes et sans nom, on ne compte plus les visites inopinées dans les centrales à béton, les bloquant parfois pour une journée, parfois plus.
Le cycle de ces actions et de ces luttes locales ouvre le débat pour imaginer un monde émancipé des bétonneurs.
Mais comme ce monde marche littéralement sur la tête, cette entreprise bénéficie de toutes les faveurs des institutions. Et ce sont des militant.es qui sont actuellement poursuivi.es par l’arsenal policier et judiciaire des États. En France, c’est notamment à la Sous-Direction Anti-Terroriste (SDAT) qu’a été confiée l’enquête contre l’intrusion dans une cimenterie à Bouc-Bel-Air. 31 personnes ont été mises en garde-à-vue jusqu’à 96 heures. Deux sont actuellement mises en examen. En Suisse, les occupant.es de la ZAD de la Colline ont subi également une répression faite de surveillance, de fichage et de procès. Une personne a été emprisonnée près de 3 mois.
La but de cette criminalisation est de freiner toute critique et toute velléité d’actions contre Lafarge-Holcim ou contre toute autre entreprise du béton. Le message vise à faire peur. Heureusement, ces accusations n’ont pas mis à l’arrêt le front anti-béton. À Lyon, à Foix ou encore à Saint-Colomban, de nouvelles mobilisations collectives ont vu le jour cette année.
Du 9 au 12 décembre, concentrons nos forces contre Lafarge-Holcim et le monde du béton
Ce 10 décembre 2023, cela fera un an que 200 personnes se seront introduites dans la cimenterie de Bouc-Bel-Air, un des cinquante sites industriels les plus polluants du pays, pour la mettre à l’arrêt. Joyeux Anniversaire. Ce 10 décembre, dont les magnifiques images ont réchauffé la fin d’année 2023, est devenu une date emblématique de la lutte contre le béton. Une idée est donc apparue. Pour marquer d’un vent de résistance cet anniversaire, par solidarité envers les arrêté.es, pour affirmer qu’il est toujours possible de critiquer, en acte, Lafarge et consorts, et pour montrer la diversité et la multiplicité de celles et ceux qui se battent contre le béton : du 9 au 12 décembre, lançons les journées d’action contre Lafarge et le monde du béton !
Ces 4 jours seront l’occasion d’unir les forces des luttes locales, des organisations climat, des coalitions de paysan.nes et de travailleur.euses, des comités locaux des Soulèvements, non pas en un point, mais partout sur le territoire. Avec plus de 150 centrales à béton rien qu’en France et uniquement pour Lafarge-Holcim, il y a forcément un bétonneur près de chez vous ! Manifestation publique devant les grilles d’une usine, banderoles à l’entrée d’une carrière de sable, messages peints, intrusion en blouse blanche ou en bleu de travail, occupation des malaxeurs pour faire sécher le béton, blocage des barges pour freiner l’approvisionnement… À 10, à 100, à 1000, de nombreuses formes sont possibles, imaginables, accessibles. Leur multiplication permettra d’agir concrètement, collectivement et joyeusement contre l’empire du béton.
D’une même voix, nous voulons porter un message clair : le règne de Lafarge-Holcim et des autres conglomérats du béton n’est plus une fatalité. Leurs exactions doivent cesser pour que cesse l’intoxication de ce monde. Les gouvernements actuels doivent enfin arrêter de les couvrir. D’autres manières de construire et d’habiter le monde sont possibles.
Du 9 au 12 décembre, agissons tous.tes ensemble contre Lafarge-Holcim et le monde du béton !
Au mépris de l’écologie, le port de Lorient veut importer du poisson depuis Oman
Lorient s’associe au Sultanat d’Oman pour construire un immense port donnant sur l’océan Indien. Des poissons seront importés par avion, provoquant le rejet des pêcheurs locaux et des écolos.
« Cela paraît pathétique de se rendre jusqu’à Oman pour chercher du poisson », s’étonne Laurent Tréguier, patron du chalutier Côte d’ambre. Également président du groupement de gestion des pêcheurs-artisans de Lorient, ce pêcheur spécialisé dans la langoustine est, comme beaucoup de ses collègues, plus que circonspect sur le projet de construction d’un mégaport au Sultanat d’Oman. Soutenu par la région Bretagne et, surtout, par la communauté de communes Lorient Agglomération, un consortium franco-omanais va en 2024 poser la première pierre d’un port de pêche international à Duqm, sur la mer d’Arabie.
Le port de Lorient-Keroman (un nom prédestiné à ce partenariat, baptisé Ker’Oman), via sa société de gestion, investit lui aussi dans ce projet dantesque et exotique de 25 hectares, soit cinq fois sa taille. Une fois l’ensemble portuaire terminé, vers 2026, le mégaport ambitionne — selon Lorient Agglomération — de recevoir et de traiter près de 200 000 tonnes de produits de la mer annuellement. Ensuite, ce seront 500 000 tonnes d’ici une décennie, voire 1 million de tonnes à plus long terme.
De Lorient au Moyen-Orient
Pourtant premier port de pêche en France en valeur et second en volume, le port de Lorient-Keroman voit baisser d’année en année les quantités de produits de la mer qui y sont débarqués. Les raisons sont multiples : les zones de pêche perdues avec le Brexit, le plan de sortie de flotte ou encore l’augmentation du prix du gazole. Ainsi, environ 26 000 tonnes de produits de la mer étaient pêchées en 2013, contre environ 18 000 aujourd’hui.
« L’activité pourrait être en danger demain et le devoir des élus est de trouver des solutions pour l’avenir, explique Pascal Le Liboux, vice-président de Lorient Agglomération chargé de l’économie. Il va s’agir de compenser la baisse de ressources par d’éventuelles importations. Dans un premier temps, nous pensons exporter du savoir-faire et de la technicité à Oman, mais ce qui est remis en cause par les écologistes, et cela peut s’entendre, c’est la partie importation. »
Les poissons qui seront importés sont sensiblement les mêmes que dans les eaux européennes.
Une polémique est effectivement apparue localement à partir d’un article de Ouest-France, où l’on pouvait lire que « l’approvisionnement en produits de la mer en provenance d’Oman pourrait permettre aux acheteurs du port de Lorient d’avoir du poisson frais arrivé en avion-cargo ». Écologistes et pêcheurs locaux ont tout de suite été d’accord sur le non-sens d’un tel débarquement de marchandises. D’autant que les poissons évoqués sont sensiblement les mêmes que dans les eaux européennes, à majorité de types pélagiques, comme du thon, du maquereau et de la sardine.
« Aujourd’hui, tout le monde cherche du poisson et le marché est plus dans une logique de demande que d’offre », explique à Reporterre Maurice Benoish, qui possède lui-même 25 % de Ker’Oman et qui en est président. Dans la plaquette du projet téléchargeable sur le site de Lorient Agglomération, la communauté de communes vante le projet aux entreprises bretonnes avec notamment « un environnement économique et fiscal propice ».
Des poissons volants… par avion ?
« Évidemment que la partie importation en avion a fait réagir, mais transporter du poisson surgelé en cargo, cela fait déjà un peu moins polémique. Les modes de transport sont donc encore à définir », explique Pascal Le Liboux, de Lorient Agglomération.
Outre son activité de pêche, le port de Lorient voit transiter près de 80 000 tonnes de produits de la mer par an à travers ses mareyeurs et ses transformateurs, qui ne verraient pas d’un mauvais œil de nouvelles importations. Maurice Benoish, le directeur de Ker’Oman, pousse plus loin le raisonnement : « Le transport par avion de poissons par Paris existe et il en arrive tous les jours de Dakar, de Mauritanie… On peut avoir un avis sur le bilan carbone de ces poissons, mais, quand on envoie un charter de touristes à l’étranger, c’est pire. Là, au moins, on nourrit les gens. »
Pour l’instant, le poisson provenant d’Oman n’est pas vendu sur les étals des poissonniers français, mais si les pêcheurs de Lorient s’en inquiètent, les élus écologistes du Morbihan aussi. « Selon nos calculs, le bilan carbone de ces marchandises serait dix fois supérieur à celui d’un poisson classique », affirme Damien Girard, qui est notamment élu Les Écologistes (anciennement Europe Écologie-Les Verts) de Lorient et de Lorient Agglomération. Vent debout contre le projet, il réclame avec son équipe le désengagement de Lorient Agglomération et du port de Lorient du projet.
Au-delà de la question du transport de marchandises, la structure portuaire envisagée à Oman est tellement hors norme que les conséquences de son activité sur la vie sous-marine dans les eaux omanaises se posent également. « J’ai demandé les études sur le fait que la ressource doit être soutenable, confirme Damien Girard. Comme seule réponse, on m’a dit qu’elle s’avérait quasi inépuisable et que les Omanais étaient hypersensibles sur ce point. Très bien, mais où sont les études ? »
Interrogé quant aux garanties de la bonne gestion de la biomasse sous-marine au large d’Oman, Pascal Le Liboux tient à rassurer : « Nous avons des engagements de la part d’Oman sur les techniques de pêche. Ils ont compris que pour capitaliser sur cet énorme investissement, ils se doivent de préserver la ressource. »
Conditions sur le chantier
L’énorme chantier de Ker’Oman devrait démarrer en novembre et avec lui le travail d’ouvriers, originaires pour une partie d’entre eux d’Inde ou du Bangladesh, selon Maurice Benoish. « Nous avons vérifié que les conditions sociales y étaient bonnes, c’était un des points importants lors de l’attribution des aides publiques », assure le directeur de Ker’Oman.
Rappelons tout de même que le Sultanat d’Oman est pointé du doigt pour les conditions de travail d’une partie de sa population, étrangère principalement, notamment par Amnesty International dans un rapport accablant de 2022. « Pour les ouvriers du port, des algecos ont été installés, car il fait très chaud. Ils sont climatisés, avec des toilettes, une salle de repos, etc. », ajoute Maurice Benoish.
Face aux précautions affichées, les pêcheurs de Lorient se sentent les grands oubliés du projet Ker’Oman. La pilule ne passe pas au sein d’une profession déjà en crise, car la société de gestion du Port de Lorient investisseuse à Oman est dirigée par Olivier Le Nezet. Ce dernier est aussi président du Comité national des pêches maritimes, président du Comité régional des pêches de Bretagne ou encore président du Comité départemental des pêches maritimes du Morbihan… En clair, c’est le patron des pêcheurs en France.
« Il tient un double discours, car il se bat avec nous, les pêcheurs, contre le poisson d’importation et, en même temps, il va favoriser avec ce projet le poisson d’importation, dénonçait David Le Quintrec, patron du navire Izel Vor II, à quai fin octobre. Que ce soit certains armateurs et bon nombre de pêcheurs en Bretagne, cela nous révolte. »
Un mégaport et des sociétés privées
À la suite d’un appel d’offres lancé en 2020 par le Sultanat d’Oman, Marsa Al Duqm Investments va construire et gérer pendant vingt-huit ans le mégaport de Duqm. Ce consortium est détenu à 70 % par des sociétés du sultanat et 30 % par la SAS Ker’Oman… elle-même composée de trois associés privés (dont Maurice Benoish) à parts égales (25 %), plus la société d’économie mixte Lorient-Keroman, entreprise gestionnaire du port de pêche de Lorient. Le projet a reçu des aides de la région Bretagne et, surtout, de la communauté de communes Lorient Agglomération, avec respectivement 250 000 euros et 475 000 euros versés sous forme d’avances remboursables.
Avec ce port, la ville de Duqm compte se développer en exploitant les eaux poissonneuses de l’océan Indien et participer à la diversification économique du sultanat, qui cherche à réduire sa dépendance aux hydrocarbures. Près de 200 millions d’euros vont permettre de construire les infrastructures ; environ 70 à 80 millions d’euros serviront aux « superstructures » (de type halle à marée, dock flottant, terminal frigorifique, etc.).
Keroman vient du breton et du gallois « ker » : forteresse (Cardiff) et du latin « romain ». Les garnisons romaines étaient formées en Bretagne de citoyens « maures » …