Changeons le système, pas le climat !
Les « événements naturels extrêmes » se multiplient partout dans le monde : inondations, montée des rivières (sans précédent en Europe depuis… le XIIIe siècle), sécheresses, ouragans, etc. D’ici quelques dizaines d’années, on risque d’atteindre le point de non-retour, le dépassement des 2°C de réchauffement, et le déclenchement d’un processus incontrôlable.
Le changement climatique, c’est maintenant ! Les conséquences ? Fusion des glaces polaires et élévation du niveau de la mer avec la submersion des principales villes de la civilisation humaine, réduction dramatique de l’eau potable, désertification, incendies détruisant les dernières grandes forêts… Selon les scientifiques, si l’on dépasse les 350 ppm (parties par million) de gaz à effets de serre, on ne pourra pas empêcher le dépassement des 2°C. Or, dans l’hémisphère Nord – le cœur du système capitaliste – les 400 ppm sont atteints pour la première fois depuis… le pliocène, une ère géologique datant d’il y a quelques millions d’années !
Toujours plus vite vers la catastrophe L’accumulation de gaz carbonique, la montée de la température, la fonte des glaciers polaires et des « neiges éternelles », la désertification des terres, les sécheresses, les inondations : tout se précipite et les bilans des scientifiques, à peine l’encre des documents séchée, se révèlent trop optimistes. Concernant les prévisions, on penche maintenant, de plus en plus, pour les fourchettes les plus élevées. On ne parle plus – ou de moins en moins – de ce qui va se passer à la fin du siècle, ou dans un demi-siècle, mais dans les dix, vingt, trente prochaines années. Il n’est plus seulement question de la planète que nous laisserons à nos enfants et petits-enfants, mais de l’avenir de cette génération-ci ! Un exemple, assez inquiétant : si la glace du Groenland fondait, le niveau de la mer pourrait monter de six mètres : cela veut dire l’inondation, non seulement de Dacca et d’autres villes maritimes asiatiques… mais aussi de New York, Amsterdam et Londres. Selon Richard Alley, glaciologue de la Penn State University, la fusion de la calotte du Groenland, qu’on avait l’habitude de calculer en centaines d’années, pourrait se produire en quelques décennies (1). Cette accélération s’explique, entre autres, par des effets de rétroaction (feed-back). Quelques exemples : la fonte des glaciers de l’Arctique – déjà bien entamée – en réduisant l’albédo, c’est-à-dire le degré de réflexion du rayonnement solaire (il est maximum pour les surfaces blanches) – ne peut qu’augmenter la quantité de chaleur qui est absorbé par le sol ; des scientifiques ont calculé que la réduction de 10 % de l’albédo de la planète aurait l’effet équivalent d’une augmentation de cinq fois du volume de CO2 dans l’atmosphère (2). La montée de la température de la mer transforme des surfaces immenses des océans en déserts sans plancton ni poissons, ce qui réduit leur capacité à absorber le CO2. Ce phénomène s’est accéléré, selon une étude récente, quinze fois plus vite que prévu dans les modèles existants (3) !
Les « scénarios du pire » D’autres rétroactions sont possibles, encore plus dangereuses. Jusqu’ici peu étudiées, elles ne sont pas incluses dans les modèles du GIEC (Groupe d’experts sur l’évolution du climat pour l’ONU), mais risquent de provoquer un saut qualitatif dans l’effet de serre. 400 milliards de tonnes de carbone sont pour le moment emprisonnées dans le pergélisol (permafrost), cette toundra congelée qui s’étend du Canada à la Sibérie. Si les glaciers commencent à fondre, pourquoi le pergélisol ne fondrait-il pas lui aussi ? En se décomposant, ce carbone se transforme en méthane, dont l’effet de serre est bien plus puissant que le CO2. Des quantités astronomiques de méthane se trouvent aussi dans les profondeurs des océans : au moins un trillion de tonnes, sous forme de clathrates de méthane. Si les océans se réchauffent, la possibilité existe que ce méthane soit libéré dans l’atmosphère, provoquant un saut dans le changement climatique. Tous ces processus commencent de façon très graduelle, mais à partir d’un certain moment ils peuvent se développer par sauts qualitatifs. La menace la plus inquiétante, de plus en plus envisagée par les chercheurs, est donc celle d’un runaway climate change, d’un glissement rapide et incontrôlable du réchauffement. Il existe peu de scénarios du pire, c’est-à-dire si l’augmentation de température dépasse les 2 ou 3 degrés : les scientifiques évitent de dresser des tableaux catastrophiques, mais on sait déjà les risques encourus. À partir d’un certain niveau de la température, la Terre sera-t-elle encore habitable par notre espèce ?
La discussion de ces « scénarios du pire » n’est pas un vain exercice apocalyptique : il s’agit de réels dangers, dont il faut prendre toute la mesure. Ce n’est pas non plus du fatalisme : les jeux ne sont pas encore faits, et il est encore temps d’agir pour inverser le cours des événements.
1. Cité par Fred Pearce, The Last Generation, Reading, Eden project books, 2006, p. 83, 90.
2. Calcul d’experts du Scripps Institution of Oceanography de San Diego, Californie, cité par Fred Pearce, The Last Generation, p168.
3. Article du journal le Monde du 5 février 2008 p. 8.
Dimanche 23 juin 2013 Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 200 (20/06/13)