A cannes, ken loach écrabouille la concurrence (rue 89)
Ken Loach et « Jimmy’s Hall »Politique et festif
Il fêtera ses 78 piges le 18 juin prochain, mais n’a rien perdu de sa fougue et de son inspiration. Ken Loach, habitué parmi les habitués du Festival de Cannes (Palme d’or en 2006 pour « Le Vent se lève »), fait son retour en compétition avec « Jimmy’s Hall ».
Un film qui, contrairement à ce qui a été annoncé un peu partout ces derniers mois, ne sera pas son dernier ; le cinéaste, un rien lassé par les difficultés rencontrées dans l’univers sans pitié de la production, ayant encore des choses à dire et à mettre en scène. Il le prouve aujourd’hui avec ce film historique et évidemment politique, qui confirme sa place toujours éminente parmi les cinéastes « engagés » et parmi les cinéastes tout court.
Dans « Jimmy’s Hall », Ken Loach retrace l’histoire authentique de Jimmy Gralton, un leader communiste irlandais qui, après des années d’exil aux Etats-Unis (exil dont l’explication sera dévoilée dans plusieurs flashbacks), revient sur ses terres d’origine au début des années 30.
Irlande, terre sans pitié Indépendante depuis une décennie, l’Irlande du Sud continue néanmoins d’être violemment agitée par des conflits entre, d’un côté, l’Eglise toute puissante et les potentats locaux et, de l’autre, les idéalistes qui croient en une révolution sociale et politique radicale.
Jimmy Gralton est évidemment l’un de ces derniers. Dans son comté de Leitrim, il œu- vre à la réouverture d’un dancing qui accueille ceux qui souhaitent s’amuser malgré le con- texte glacial de la prude Irlande, mais aussi s’instruire et apprendre, puisque l’endroit tient tout à la fois lieu de boîte de nuit et d’université populaire sauvage. Le succès est énorme et les autorités politiques comme ecclésiastiques ne voient pas d’un bon œil ce contre-pouvoir influent.
L’éducation, Karl Marx et le jazz (Gralton a ramené un gramophone et des disques de son « séjour » américain) contre l’obscurantisme, les diktats moraux de l’église et le grand ca- pital omnipotent. Dans « Jimmy’s Hall », Ken Loach, fidèle à lui-même et toujours accom- pagné au scénario de son compère Paul Laverty, met en scène un conflit d’hier (l’Irlande des années 30, donc), mais ne s’abîme jamais dans la vignette historique ou les académismes du biopic.
Amour, joie, subversion Comme à son excellente habitude, le cinéaste, malgré sa sym- pathie plus qu’évidente pour Jimmy, ne cède pas (ou peu) à la tentation de l’hagiographie et du « film à message ». Au plus près de ses personnages, le cinéaste, de la même manière que dans ses fictions contemporaines, filme avec une intensité de chaque scène les senti- ments et élans de ses protagonistes : des êtres de chair et de sang qui luttent, s’aiment, s’unissent et, à l’occasion, font la fête pour oublier leurs innombrables emmerdements.
Hymne à la jeunesse, à la croyance en des lendemains plus justes et à l’esprit de résistance, « Jimmy’s Hall », admirablement mis en scène et interprété (Barry Ward, alias Gralton, peut viser le prix d’interprétation), s’impose avec une saine simplicité comme l’une des fictions les plus stimulantes d’une compétition cannoise qui, malgré ses sommets (« Winter Sleep » de Nuri Bilge Ceylan, « Deux jours, une nuit » des frères Dardenne, « Foxcatcher » de Bennett Miller), ne donne pas que des raisons de s’enthousiasmer. La preuve par deux.
“Jimmy’s Hall” : Ken Loach fait valser la tyrannie (Télérama)
Le 20/05/2014 à 17h43- Mis à jour le 22/05/2014 à 14h32 Pierre Murat
Ah, le Ken ! S’il n’existait pas, il faudrait l’inventer. C’est le seul cinéaste à n’avoir jamais renié ses opinions politiques : à gauche toute, depuis plus de quarante ans ! Communiste, il a été, communiste, il reste. Avec lui, les traditions perdurent. C’en est réconfortant.
L’Irlande, il l’a déjà filmée, notamment dans un thriller de ses débuts, plutôt méprisé, à tort : Secret défense. Et bien sûr, dans Le vent se lève, pas un de ses meilleurs films, mais récompensé par la Palme d’or 2006. Grande nouveauté dans Jimmy’s Hall : l’IRA, souvent défendue par le cinéaste contre l’impérialisme anglais, n’est pas vraiment à la fête. Elle serait même du côté des oppresseurs. Presque à l’égal du clergé, vous vous rendez compte ? En fait, Ken, tendre anar, déteste autant l’Eglise que l’Etat, surtout s’ils se montrent réactionnaires…