Archive | Luttes paysannes et alimentation

04 mars 2025 ~ 0 Commentaire

Cameroun (Reporterre)

 

Au Cameroun, la révolte des travailleurs du sucre

Au Cameroun, la révolte des travailleurs du sucre

Une grève dans une filiale camerounaise du géant français Castel a été violemment réprimée en février, causant la mort d’un ouvrier et d’un policier. Depuis, la situation reste précaire.

« On n’avait jamais perdu de camarade jusqu’ici, mais voilà, c’est arrivé. Cela montre bien que la situation va de mal en pis », s’indigne un membre du Syndicat des travailleurs saisonniers de la filière canne à sucre (Strascas), au Cameroun. Le 4 février, un mouvement de grève des ouvriers de la Société sucrière du Cameroun (Sosucam) a été violemment réprimé par les forces de sécurité à Nkoteng, dans le centre du pays, tournant au drame : un employé d’une vingtaine d’années, Gaston Djora, a été tué par balle et un policier a succombé à ses blessures.

Tous les Camerounais connaissent la Sosucam, installée dans le département de la Haute-Sanaga, à une centaine de kilomètres au nord de Yaoundé : ils consomment son sucre depuis des décennies. Créée en 1964, l’entreprise appartient à 26 % à l’État du Cameroun et à 74 % au groupe français Somdia, lui-même propriété de la multinationale française Castel, principal producteur de vin dans le monde. Il contrôle aussi 80 % du marché de la bière au Cameroun.

La Sosucam produit annuellement environ 100 000 tonnes de sucre. Elle possède deux usines et 25 000 hectares de plantations de canne à sucre, réparties sur plusieurs arrondissements : Mbandjock, Nkoteng et Lembe-Yezoum. Près de 8 000 personnes travaillent sur ces sites, dont 90 % sont des saisonniers, employés comme manœuvres pendant la campagne sucrière (novembre-mai), et parfois aussi pendant l’intercampagne (juillet-août). Une grande partie d’entre eux, soit environ 3 500 personnes, sont dans les champs pour planter, glaner ou couper, les autres officient dans les usines et le transport des récoltes.

« Travailler sans être payé, ce n’est pas possible »

Pour ces saisonniers, originaires pour beaucoup du nord du pays, une région défavorisée, les conditions de travail sont très pénibles : « Aucune couverture médicale, pas de logement décent pour certains, salaires très bas, manque d’équipements de protection, non-respect du cadre légal limitant le travail temporaire », a résumé dans un rapport de 2023 le Strascas, qui rend aussi compte d’entraves à ses activités et d’accidents du travail récurrents.

Lorsque la grève a débuté le 26 janvier, le salaire mensuel de base d’un manœuvre agricole était de 56 000 francs CFA (85 euros) — une somme ne permettant pas de vivre décemment. Au niveau national, le salaire minimum garanti pour les ouvriers agricoles est de 45 000 francs CFA (69 euros).

En février 2022, les saisonniers avaient déjà fait grève pour dénoncer des licenciements abusifs et leurs conditions de travail. Il y avait eu des violences. L’entreprise, déjà mise en cause pour des problèmes environnementaux et sociaux par les populations riveraines, avait dû suspendre les licenciements. Elle avait aussi augmenté de 75 francs CFA (0,11 centime d’euro) une « prime de coupe », parfois donnée en fin de journée aux coupeurs de canne (elle était ainsi passée de 0,27 à 0,38 centime d’euro), et accordé une « prime de campagne » de 15 000 francs CFA (23 euros).

Cette année, les ouvriers se sont révoltés en raison d’un changement dans les dates et modalités de paie, un retard de paiement, et des rétrogradations inexpliquées d’échelons sur la grille salariale ayant entraîné des baisses de salaire. « Le travail est très dur et l’est de plus en plus. Travailler sans être payé, ce n’est pas possible. Les gens se sont rassemblés pour dire : “Pas de travail s’il n’y a pas d’argent ! Trop, c’est trop” », explique à Reporterre le président du Strascas, Mahamat Zoulgue.

Ils ont ramassé « des gars en ville pour les mettre de force dans des bus »

Le mouvement a commencé à Mbandjock, suivi par 2 000 personnes, et s’est propagé le 29 janvier à Nkoteng avec 1 500 grévistes supplémentaires. « Les premiers jours, tout était calme, on se rassemblait le matin, puis chacun rentrait chez lui », témoignent des saisonniers, pour qui « cette crise couvait depuis longtemps ». Au bout de quelques jours, la direction de la Sosucam a renoncé à changer le système de paiement des salaires. Mais elle n’a pas répondu aux revendications concernant le niveau de la rémunération, si bien que les grévistes n’ont pas repris le chemin des plantations.

La situation a fini par dégénérer le 4 février à Nkoteng, lorsque les forces de sécurité ont entrepris, selon des témoignages, de « ramasser des gars en ville pour les mettre de force dans des bus qui devaient les conduire aux champs. La population a dit non et s’est levée comme un seul homme. C’est à ce moment-là que la police a commencé à tirer avec de vraies balles et que l’un des nôtres est tombé ». Durant les affrontements, un policier a reçu un coup mortel à la tête, un nombre indéterminé de personnes ont été blessées, et des champs de canne à sucre ont été incendiés.

« Ce qui était à l’origine une réclamation relative à la date de paiement des acomptes d’une partie du personnel, à laquelle il a été répondu favorablement, est devenue progressivement une entrave au travail accompagnée de tensions et heurts urbains et échappant totalement au cadre de l’entreprise », a commenté la Sosucam dans un communiqué.

Disant avoir mené une « concertation » avec « les délégués du personnel, les présidents des syndicats, les représentants désignés des manœuvres agricoles coupeurs », elle a ensuite annoncé, le 7 février, une augmentation du salaire de base des coupeurs de canne de… 1 000 francs CFA (1,5 euro). Elle a invité dans la foulée les employés à reprendre le travail. « La reprise en marche ! » a-t-elle posté les jours suivants, en lettres capitales, sur son compte LinkedIn, avec une vidéo de camions chargeant des tiges de canne à sucre — sans faire aucune allusion à l’ouvrier et au policier tués.

Pression et chantage

Si une partie des travailleurs sont retournés dans les champs, plusieurs centaines d’autres sont restés chez eux. « On ne peut pas se satisfaire des mesures annoncées par Sosucam », commente un membre du Strascas, qui revendique 450 adhérents et 2 000 sympathisants. « Nous n’avons pas été invités aux présumées réunions de concertation. Pourtant, nous avions écrit pour dire que notre syndicat souhaitait participer. La direction a préféré discuter avec des syndicats qui lui sont inféodés », précise un autre.

Le 15 février, la compagnie, qui a dit avoir comptabilisé treize jours d’arrêt de production, 970 hectares de plantations partis en fumée et une perte de plus de 5 milliards de francs CFA (7,6 millions d’euros), a adressé une note aux « collaborateurs de Sosucam » pour constater « un taux d’absentéisme élevé ». Ajoutant : « Seront considérés comme démissionnaires et remplacés » ceux qui n’auront pas repris le travail « sous vingt-quatre heures ».

Quelques jours après, elle a été obligée de lancer une campagne de recrutement pour trouver 600 ouvriers agricoles. « La répression et le remplacement des travailleurs saisonniers absents ne sauraient être une option pour trouver des solutions durables à la crise », laquelle « reste la même, irrésolue et latente », a réagi le Strascas, qui réclame un « dialogue inclusif » et plaide pour un salaire de base d’au moins 70 000 francs CFA (107 euros) pour les manœuvres agricoles.

« Nous ne baissons pas les bras »

« Les travailleurs ont toujours la même colère », constate un syndicaliste, qui s’exprime comme d’autres sous anonymat par crainte de représailles. « Dans cette société, rien ne change jamais. Même pour obtenir une augmentation symbolique de 5 francs CFA [moins de 1 centime d’euro], on est obligé de faire grève. Jusqu’à perdre un camarade… » soupire un autre.

Les saisonniers ont reçu l’appui de la députée européenne Marina Mesure, membre de La France insoumise (LFI), qui a demandé à la Commission européenne d’examiner la situation au regard de la directive européenne adoptée en 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises — la maison mère de la Sosucam étant installée dans un État membre de l’Union européenne, la France. Contacté par message électronique, le groupe Castel n’a pas réagi.

Les autorités camerounaises, elles, n’ont guère manifesté d’empathie pour les employés de la société : s’il a parlé de la nécessité d’un « dialogue franc et sincère », le ministre du Travail et de la Sécurité sociale, Grégoire Owona, a fustigé des « mouvements sociaux sauvages ».

« Nous ne baissons pas les bras, répond Mahamat Zoulgue, le président du Strascas. Le combat continue pour trouver des solutions. »

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03 mars 2025 ~ 0 Commentaire

Contre-Salon ( FR3 )

paysans

Salon de l’agriculture. Dans les campagnes, des « contre-salons » pour les paysans qui ne s’y reconnaissent pas

Alors que la fin du Salon de l’agriculture se profile porte de Versailles à Paris, des agriculteurs, paysans, proposent leur propre événement, ne se reconnaissant pas dans le grand rassemblement parisien. Des « contre-salons », à l’initiative de La Confédération paysanne. Cette année, un Gaec de maraîchers installés à Romillé, au nord de Rennes, accueille les visiteurs.

« Faut-il replanter des haies, comment lutter contre les attaques d’insectes… » les questions fusent, devant les rangs de choux, de salades, de navets, d’oignons ou d’ail.

Bien loin de la Porte de Versailles à Paris et du salon de l’agriculture, porte ouverte dans une ferme maraîchère, pour une autre approche. Les visiteurs ont fait le choix de ne pas aller à Paris, ce sont des voisins, des clients de la ferme, des curieux.

« Une histoire de sens » pour les visiteurs

Luc est venu chercher des conseils. Ce restaurateur rennais rêve de produire lui-même ses légumes, « C’est plus une histoire de sens, de ressentir une exploitation et de rencontrer et de pouvoir échanger avec des gens qui se sont lancés récemment, et qui ne sont pas forcément du secteur, ça inspire », reconnaît-il.

Un couple, à côté, qui se dit assez urbain et loin de la terre, comprend que de la cultiver est assez technique, et ils apprécient « le rapport avec le local, avec ce qui se fait autour de nous, les jeunes qui s’installent, de nouvelles techniques aussi », avancent-ils, « et puis on arrive à un âge où on se pose plus de questions, on a plus le temps et plus les moyens aussi, donc on va faire plus attention (à notre façon de consommer) », précise encore la dame. 

Et pour eux, peu importe la bannière syndicale, en l’occurrence la Confédération paysanne.

« D’autres agricultures possibles »

Ce Gaec certifié en bio, installé à Romillé, près de Rennes, en Ille-et-Vilaine, fait vivre trois personnes depuis bientôt deux ans. Un retour à la terre, sur deux hectares et demi, pour des cultures de plein champ ou sous serre. L’idée pour les trois associés, c’est de respecter le vivant et le paysan. Un modèle qui, selon les gérants, est invisible au Salon de l’agriculture. « Ici, il faut venir en bottes, s’amuse Vincent Robine, l’un des trois maraîchers, ça a plus de sens et c’est l’occasion de faire venir les gens sur nos fermes, pour qu’ils comprennent ce qu’on fait et nos problématiques. »

« Le salon à Paris, poursuit-il, c’est la vitrine d’une agriculture, mais pas de l’agriculture. C’est d’ailleurs l’objet de ces ‘salons à la ferme’, c’est de montrer qu’il y a d’autres agricultures possibles, c’est celles-là qu’on a envie de promouvoir. » C’est-à-dire des fermes à taille humaine, en lien avec les habitants du territoire, pour des productions locales et des pratiques respectueuses de l’environnement. « On n’a pas la même définition de souveraineté alimentaire que certains, assure encore le jeune maraîcher, et l’idée, c’est que les citoyens et les citoyennes aient une autonomie et la décision sur le modèle agricole qui les nourrit. »

« Il faudrait revenir vers des fermes à taille humaine »

« On est représentatif d’une génération qui n’est pas issue du milieu agricole, poursuit Pierre Lebrun, son associé et on est quand même nombreux à faire le pas de revenir vers une agriculture. Il y a tout un mouvement de gens comme nous qui retrouvent du sens dans ce métier », ajoute le jeune agriculteur, en précisant

« Et il y a tout de même un souci dans l’évolution du paysage agricole, c’est que la grosse majorité des terres vont vers un agrandissement, alors qu’il faudrait revenir vers des fermes à tailles humaines. Il y a de moins en moins d’agriculteurs, parce qu’un agriculteur tient un nombre d’hectares de plus en plus important. Et le mouvement ne s’inverse toujours pas, c’est ça qui est un peu malheureux ! »

Les organisateurs le savent bien. Ceux qui poussent la porte sont acquis à leur cause, au bio et au local. Reste à sensibiliser tous les autres. Alors, ils se tiennent prêts à rouvrir leur ferme, avec ou sans salon à Paris.

(Avec Charles Lemercier)  Krystel Veillard 02/03/2025

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23 février 2025 ~ 0 Commentaire

Redon (FR3)

eau e

« On retrouve des pesticides épandus il y a plus de 20 ans ».

Forte mobilisation pour la qualité de l’eau à Redon

2 000 manifestants se sont rassemblés samedi 22 février 2025, place de Bretagne à Redon, pour réclamer une eau potable sans pesticides. •

Cela peut surprendre… Redon, ville inondée il y a quelques semaines, a rassemblé samedi 22 février plus de 2 000 personnes qui appellent à préserver les ressources en eau. Toutes demandent à limiter l’utilisation des pesticides, notamment dans le secteur agricole.

« Si aujourd’hui c’est l’eau qui nous rassemble, c’est parce que tout d’abord la ville est née dans l’eau et que polluer l’eau est un long suicide collectif ». Un discours choc pour dire la colère. Des défenseurs de l’environnement mais aussi des agriculteurs et les fédérations de pêcheurs en rivière de trois départements, tous décidés à renforcer les règles qui protègent les captages d’eau potable. Car le constat est alarmant : selon l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, moins de 8% des cours d’eau du bassin de la Vilaine sont en « bon état écologique ».

Moins de 8% des cours d’eau en « bon état écologique »

Tous espèrent renforcer leur protection face aux pollutions industrielles et agricoles. « On est ici aujourd’hui pour lutter contre les pesticides sur les zones de captage. On retrouve encore des pesticides qui sont interdits et qui ont été épandus il y a plus de 20 ans. Mais il y a des solutions à adopter rapidement », affirme une manifestante.

« Avec les inondations, tous les produits, les traitements qui ont été mis dans les champs, ils sont partis où ? », questionne un Redonnais.

« Le taux de cancers actuellement, c’est bien dû à l’environnement »

De son côté, Denis, ancien ouvrier agricole dont le cancer de la prostate a été reconnu comme maladie professionnelle, redoute un retour en arrière concernant l’utilisation des pesticides : « Tout ce qui est en train de se passer au niveau des lois d’orientation agricole, ce n’est pas bon pour la santé environnementale, ni pour la santé des citoyens. Et les taux de cancers qu’il y a actuellement, ce n’est pas dû au vieillissement de la population, c’est bien dû à l’environnement ». 

Protéger la Vilaine et ses affluents, voilà l’objectif. De nouvelles règles sont actuellement débattues, en vue de les intégrer au schéma d’aménagement et de gestion de l’eau. Un document important, soumis au vote des élus locaux et des chambres d’agriculture auprès desquelles ces manifestants veulent peser. 

(Avec Myriam Thiebaut)

Laurence Postic  23/02/2025

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22 février 2025 ~ 0 Commentaire

SALON (Reporterre)

 

Jacques Caplat : «<small class="fine d-inline"> </small>Le Salon de l'agriculture présente une vision fantasmée<small class="fine d-inline"> </small>»

Jacques Caplat : « Le Salon de l’agriculture présente une vision fantasmée »

Alors que le Salon de l’agriculture s’ouvre à Paris, l’agronome Jacques Caplat alerte sur l’impasse dans laquelle se trouve l’agro-industrie. Pour en sortir, il prône la multiplication des actions locales.

Jacques Caplat est agronome et ethnologue. Il est aujourd’hui coordinateur des campagnes agriculture et alimentation pour l’association Agir pour l’environnement. Son dernier ouvrage, Agriculture industrielle, on arrête tout et on réfléchit (Rue de l’échiquier, 2025), est paru vendredi 21 février.


Reporterre — Le Salon de l’agriculture ouvre ces portes à Paris samedi 22 février. Mais de quelle agriculture parle-t-on ?

Jacques Caplat — Lors du Salon, l’agriculture industrielle se met en scène, en accordant une place aux agricultures de marge — les races anciennes, les petits producteurs. Mais il s’agit là d’une version fantasmée. C’est une imposture profonde, une image construite pour rendre acceptable et valoriser un système agricole qui se trouve en réalité très éloigné de ce qu’on voit porte de Versailles.

Quand on parle d’agriculture industrielle, on parle d’une agriculture basée sur une production de masse, standardisée, uniformisée et fondée sur une logique d’accumulation capitaliste des moyens de production. Avoir toujours plus de terre, de cheptel, de machines. Cette dimension économique est essentielle pour comprendre ce modèle. Ensuite, il y a des choix techniques forts, qui reposent sur l’idée que le vivant est un adversaire. Les pesticides et les engrais de synthèse en sont un des principaux aspects.

Dans votre livre, vous racontez le basculement de l’agriculture européenne, puis mondiale, vers l’industrialisation. Quels ont été selon vous les moments clés de cette transformation ?

Le mouvement des enclosures, commencé au XVIe siècle en Grande-Bretagne, peut être considéré comme un moment fondateur. Il a conduit à la transformation d’espaces jusque-là communs en propriétés privées. C’est le début des grands domaines aristocratiques et de la spécialisation agricole.

Le développement du chemin de fer constitue une autre étape majeure. Il a rendu possible l’approvisionnement des villes à longue distance. Plus besoin de tout produire près de chez soi. Le chemin de fer a accéléré la spécialisation des régions dans des productions — le blé dans la Beauce, l’élevage dans l’Ouest, etc. — qui ont ensuite été massifiées.

« Le système agroalimentaire fait tellement partie du paysage que même les paysans n’arrivent plus à le remettre en cause »

La mise en branle de l’industrialisation remonte donc au milieu du XIXe siècle, même si la généralisation de ce modèle s’est faite après la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1950, il était idéologiquement et politiquement possible de faire table rase du passé, et ainsi de pousser le basculement du monde paysan vers ce nouveau système agroalimentaire.

Vous documentez avec précisions les ravages de l’agriculture industrielle sur les écosystèmes, mais aussi sur les paysans. On en vient à se demander à qui profite le crime : qui a intérêt à faire perdurer cette industrialisation mortifère ?

Elle profite à l’économie agroalimentaire mondiale, en particulier aux grandes multinationales de la semence et des pesticides. Aujourd’hui, il va de soi qu’il faut produire pour le marché mondial, il va de soi que la transformation se fait dans de grandes usines et la commercialisation dans des grandes surfaces… Le système agroalimentaire fait tellement partie du paysage que même les paysans n’arrivent plus à le remettre en cause.

Au lieu de se dire « c’est absurde », on se dit « je n’ai pas le choix ». Les règles économiques s’imposent aux paysans, qui, pour s’y plier, combattent le vivant, détruisent la biodiversité, polluent l’eau… Le monde paysan est pris en tenaille entre l’amont et l’aval, c’est-à-dire entre les industries de la chimie et des semences d’un côté et l’industrie agroalimentaire et la grande distribution de l’autre.

Selon vous, l’industrialisation de l’agriculture n’a rien d’inéluctable. Pourtant, l’actualité — avec les attaques contre les « normes environnementales », les bons scores de la Coordination rurale et de la FNSEA aux élections professionnelles — montre une forte résistance au changement dans le monde agricole… Qu’est-ce qui vous permet de rester optimiste ?

Ce constat s’explique notamment par le fait que la majorité des paysans ont intériorisé l’idée qu’il n’y avait pas d’alternative. Donc la solution, c’est justement de montrer qu’on peut faire autrement. Il faut mettre à bas l’édifice industriel et capitaliste. Ceci se fait en développant toutes les initiatives qui s’inscrivent dans une logique opposée : le morcellement, la décentralisation, la déspécialisation de la production.

Quand on évoque les solutions qui existent — les Amap, les semences paysannes, la bio —, cela donne souvent l’impression d’un patchwork foisonnant… mais pas très cohérent. Pourtant, il y a une cohérence profonde : toutes ces alternatives sont une facette de la désindustrialisation agricole. Arrêter d’accumuler, stopper le gigantisme, lutter contre l’uniformisation…

« On a rendu l’alimentation moins chère au prix d’une ruine économique pour certains et d’une dégradation de l’environnement »

J’ouvre le livre par une citation d’Élisée Reclus, grand géographe du XIXe siècle, mais aussi anarchiste [1]. Car prendre le contre-pied de l’agriculture industrielle implique une logique anarchiste. Nous devons créer une sorte de foisonnement de possibles, par la mise en réseau d’initiatives locales.

Autre signe inquiétant, la crise de l’agriculture biologique, qui perdure depuis plusieurs années. A-t-on perdu la bataille ?

La crise de la bio vient de l’agro-industrie. La bio pouvait exister tant qu’elle restait une pratique marginale. Dès qu’elle a atteint un seuil, elle est devenue dangereuse, et l’agro-industrie a décidé de la tuer.

Il n’y a pas de crise de la bio d’un point de vue structurel. Les grandes surfaces ont créé une saturation de l’offre bio, puis elles ont retiré massivement des produits des rayons. Il y a eu ensuite un effet d’emballement.

Le problème, c’est que l’agro-industrie rend la bio chère. Tout le système des aides et des charges sociales favorise les exploitations industrielles et renchérissent le prix de la bio.

La massification de la production n’a-t-elle cependant pas fait baisser les prix de l’alimentation ?

C’est une imposture ! La massification a permis de baisser les prix en appauvrissant certains paysans, certains pays. On a rendu l’alimentation moins chère au prix d’une ruine économique pour certains et d’une dégradation sans précédent de l’environnement. À très court terme, oui, on paye moins cher pour manger de la merde. Mais on paye par nos impôts la dépollution de l’eau, les soins médicaux des maladies liées aux pesticides, la reconstruction des maisons balayées par les inondations, parce que les sols agricoles ne retiennent plus l’eau.

Est-il possible de nourrir le monde avec une agriculture paysanne respectant les écosystèmes ?

C’est même la seule qui soit capable de le faire. L’agriculture industrielle n’y est jamais parvenue, des millions d’humains souffrent aujourd’hui de la malnutrition. La faim est un problème de pauvreté, pas un problème agronomique ; ce n’est pas une question de volume — on produit assez — mais une question d’accès.

« Les trois quarts de l’élevage actuel n’ont plus de raison d’être : les élevages hors-sol, les fermes usines n’ont aucune justification »

C’est d’autant plus vrai que l’agriculture industrielle est en train de se prendre le mur climatique. Car pour être performante, cette agriculture vise à reproduire sur le terrain un modèle théorique, qui nécessite d’artificialiser les champs. Dit autrement : pendant 10 000 ans, les paysans ont adapté les plantes et les animaux au milieu dans lequel ils vivaient.

Depuis 150 ans, l’agro-industrie cherche à adapter le milieu aux plantes et aux animaux issus d’une sélection réductionniste menée par des agronomes sur la base de modèles théoriques. Et ça, ça ne marche plus avec les aléas climatiques — sécheresse, inondations, gel tardif. Résultat, les rendements moyens de l’agro-industrie s’effondrent.

L’agriculture de demain aura-t-elle un autre choix que d’être écologique ?

Je pense que oui. Mais l’argument de l’inéluctabilité est dangereux. Car sans anticipation, cette transformation se fera au prix de milliards de morts.

Quelle place pour l’élevage dans une agriculture postindustrielle ?

Je fais une distinction entre élevage et consommation de produits animaux. On peut imaginer d’élever des animaux sans les exploiter d’un point de vue alimentaire, de ne pas retirer les veaux à leurs mères, par exemple, ou de créer des « maisons de retraite » comme il en existe déjà pour les poules pondeuses.

« On ne construira une alternative au capitalisme que par une multitude d’actions et de diffusions locales »

Mais nous avons besoin d’animaux, car il n’existe pas d’autre manière pour produire du fumier et entretenir les prairies. Les prairies sont un point chaud de la biodiversité, les laisser disparaître serait une catastrophe pour le vivant. Et sur le plan agronomique, il est impossible de pratiquer des cultures sans pesticides et sans engrais de synthèse si l’on ne dispose pas d’élevage pour intercaler des prairies entre les cultures et apporter des engrais organiques.

Ceci étant dit, dans cette perspective, les trois quarts de l’élevage actuel n’ont plus de raison d’être : les élevages hors-sol, les fermes-usines, n’ont aucune justification. Il nous faut moins d’animaux, mieux répartis sur le territoire.

Les alternatives à l’agriculture industrielle existent, vous l’avez dit. Seulement, elles restent largement minoritaires. Quels moyens d’action sont à notre disposition pour qu’elles deviennent majoritaires ?

Chacun peut agir à son niveau. Il faut bien sûr agir pour changer le cadre — national, européen — qui écrase et oriente tout. Ceci peut se faire par le vote, par les mobilisations sociales. Mais à côté du « grand soir » — aléatoire et plutôt mal barré en ce moment — il y a les « petits matins ». On ne construira une alternative au capitalisme néolibéral que par une multitude d’actions et de diffusions locales. Il faut ébranler le colosse par la base, le morceler, le fragmenter, jusqu’à ce qu’il s’effondre.

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17 février 2025 ~ 0 Commentaire

Exporter (Reporterre)

 

Exporter au lieu de nourrir, le «<small class="fine d-inline"> </small>scandale<small class="fine d-inline"> </small>» de l'agriculture française

Exporter au lieu de nourrir, le « scandale » de l’agriculture française

Première surface agricole de l’UE, la France peine à nourrir sa population : elle préfère exporter, dénonce un rapport de Terre de liens. Un « scandale » orchestré par l’agro-industrie.

« Un scandale made in France. » Voilà comment l’association Terre de liens résume l’usage des terres agricoles en France. Dans un rapport sur la souveraineté alimentaire, publié le 17 février, elle décortique les paradoxes de l’agriculture française en se penchant sur les usages des terres agricoles.

Verdict : la France a beau être la première surface agricole de l’Union européenne, elle compte 11 millions de personnes en précarité alimentaire (17 % de sa population). Pire, elle doit importer un tiers de ses fruits et légumes pour répondre à sa consommation.

Selon l’association, qui reprend les données du bureau d’études Solagro, 43 % des terres agricoles sont actuellement dédiées à l’exportation. Avec ses 28 millions d’hectares de surfaces agricoles utiles (SAU), le pays dispose pourtant de suffisamment de terres pour subvenir à ses besoins.

Or, « plus de la moitié des surfaces céréalières, fruitières et maraîchères, et un quart des surfaces d’élevage produisent finalement pour l’exportation », détaille Terre de liens. En contrepartie, la part des terres consacrée à nourrir la population française est réduite à 2 100 m2 par habitant, là où 4 000 m2 seraient nécessaires.

Une alimentation « accro aux importations »

En parallèle, la France doit importer toujours plus de denrées alimentaires destinées à la grande distribution ou à l’industrie de la transformation. « Depuis vingt ans, nos importations ont doublé. On importe un tiers des fruits et légumes qui sont consommés en France, un tiers de la volaille, un quart de la viande de porc, tous ces produits que nous savons produire en France », dénonce Coline Sovran, coautrice du rapport de Terre de liens.

L’association appelle le gouvernement « à mettre en cohérence la production agricole avec les besoins alimentaires », alors qu’est actuellement en débat la loi d’orientation agricole censée répondre à la colère des agriculteurs et que 16 % des Français déclarent ne pas avoir assez à manger [1].

La structure, qui a fait de la préservation des terres agricoles son combat, estime que la souveraineté alimentaire passera par la reterritorialisation des filières. Elle plaide pour que les collectivités locales disposent d’une compétence « alimentaire », afin que soit inscrite dans leurs missions la réinstallation d’infrastructures de transformation à échelle locale : meuniers pour les farines, moulins pour les huiles, abattoirs de proximité pour la viande, etc.

Une agriculture transformée

70 % de la production agricole est en effet destinée à être transformée. « Même si les terres agricoles ne leur appartiennent pas, les agro-industriels, qui achètent les matières premières et les transforment, influencent la vocation des terres agricoles », pointe Coline Sovran.

L’association dénonce le rôle de la Politique agricole commune (PAC) dans l’industrialisation de l’agriculture. En subventionnant les fermes à l’hectare, elle a contribué à leur agrandissement pour répondre aux exigences de l’agro-industrie. De quoi rendre encore plus dépendants les agriculteurs de leurs acheteurs et transformateurs.

« Les agriculteurs sont également dépendants des coopératives », ajoute Noël Michot, producteur de blé et maraîcher dans la plaine de l’Aunis, venu témoigner lors d’une conférence de presse, le 11 février. « Elles leur disent quelles cultures mettre en place pour assurer leur écoulement. »

Ce paysan a vu son territoire se « céréaliser » pour répondre aux attentes des coopératives tournées vers l’exportation avec le port de la Palisse, à La Rochelle. « Aujourd’hui, avec des tonnes de matières premières à écouler, les agriculteurs ne peuvent plus faire de la vente en direct pour la consommation locale. »

Coûts cachés

Le modèle agricole industriel est aussi fortement dépendant des importations d’engrais de synthèse, de semences, de pesticides ou encore de pétrole, consommés massivement par les agriculteurs pour rester compétitifs sur le marché international, pointe Terre de liens. La foncière déplore que « ces coûts cachés » ne soient pas pris en compte dans le calcul du solde commercial sur les produits agroalimentaires (la différence entre les exportations et importations), évalué à 5,3 milliards d’euros en 2023 par le ministère de l’Économie.

« La France consomme chaque année 8,5 millions de tonnes d’engrais minéraux, pour un coût estimé à 5,7 milliards. Ces engrais sont fabriqués à partir de minerais et de gaz qui viennent principalement de pays situés hors de l’UE (Russie, Maroc, Algérie, Égypte) », écrit Terre de liens.

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15 février 2025 ~ 0 Commentaire

Champs de Bataille

 

Vincent Gibelin Hebdo L’Anticapitaliste

Delcourt, 2024, 192 pages, 23,75 euros. Vendredi 14 février 2025 à 14h00.

L’Histoire enfouie du remembrement, ( Inès Léraud et Pierre Van Hove)

On connait la rigueur et la pugnacité d’Inès Léraud, qui dans une œuvre multiforme — radio, BD, cinéma — a dépeint les liens entre la pollution des algues vertes et l’agrobusiness. Elle revient ici, avec son complice Pierre Van Hove, pour documenter un épisode méconnu de l’histoire de nos campagnes : le remembrement.

On prend les mêmes…

Là encore, l’histoire commence immédiatement après la Deuxième Guerre mondiale, avec le plan Marshall. Il faut reconstruire l’Europe, avec des capitaux étatsuniens et pour le plus grand profit des capitalistes américains (le deal, c’est les dollars contre le marché européen).

L’agriculture ne doit pas faire exception. Il faut rationaliser, il faut rentabiliser, c’est l’avènement des « exploitations agricoles ». Le modèle, c’est celui des grandes fermes américaines. En France, le bon élève, c’est la Beauce. Il va falloir s’aligner, redresser le territoire biscornu des bocages qui empêche de profiter en ligne droite ! C’est qu’il faut augmenter le rendement à l’hectare, ouvrir le marché aux tracteurs !

Finis les chevaux — ils seront abattus et ­mangés ! —, finis les talus, défoncés, rasés au bulldozer, finis les méandres des multiples petits ruisseaux. Pour y parvenir, la classe politique de la 4e puis de la 5e République déploient des trésors de conviction « progressiste » — tu es contre, c’est de l’obscurantisme —, de professions de foi productivistes. On y retrouve de Gaulle et ses amis, des socialistes, des élus locaux sincèrement convaincus et des carriéristes sans vergogne.

Résistances !

Comme souvent, cette histoire est celle de l’acceptation (l’enjeu) de mesures venues d’en haut, mal expliquées — quand elles le sont — présentées aux paysans bretons ou d’ailleurs, comme un progrès ­incontournable, qui sont mises en place par l’État pour leur bien. Et gare à celleux qui résistent !

Et c’est là un des aspects les plus intéressants de l’ouvrage, Inès Léraud et Pierre Van Hove, s’appuyant sur le travail de Léandre Mandard — le régional de l’étape, doctorant en histoire contemporaine — rendent justice à ces femmes et ces hommes qui se sont battuEs ! L’histoire de la résistance au remembrement est encore plus mal connue que celle du remembrement lui-même.

C’est que la politique des pouvoirs publics a été de monter les unEs contre les autres, les habitantEs des campagnes, envoyant les flics contre les opposantEs, allant jusqu’à interner les plus récalcitrants dans des établissements psychiatriques peu regardants !

Ironie de l’histoire : à l’occasion des inondations qui affectent la Bretagne en janvier 2025, si nombre de commentaires pointent l’artificialisation des sols, la destruction des talus, le redressement et la canalisation des cours d’eau, ajoutant l’urbanisation débridée, la plupart rechignent à nommer le remembrement au titre des causes évidentes et les plus dévastatrices…

Vincent Gibelin

https://lanticapitaliste.org/

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15 février 2025 ~ 0 Commentaire

Engrais (Reporterre)

 

Engrais chimiques : comment l'agriculture française finance la guerre de Poutine

Engrais chimiques : comment l’agriculture française finance la guerre de Poutine

Énorme importatrice de gaz naturel liquéfié et d’engrais azotés russes, la France renfloue les caisses de Poutine, analyse un rapport des Amis de la Terre. Une solution : changer de modèle agricole pour stopper cette dépendance.

« L’addiction de notre modèle agricole aux engrais chimiques participe à financer la guerre de Poutine », dénonce un rapport des Amis de la Terre France publié le 14 février. Il attire l’attention sur un phénomène peu connu : alors que l’Union européenne dans son ensemble diminue depuis 2021 ses importations de produits fossiles de Russie, la France marche à contre-courant.

L’UE s’est engagée via son plan « REPowerEU » à s’affranchir du gaz russe d’ici 2030. Certes, les importations de gaz par gazoducs ont globalement baissé de moitié en Europe comme en France. Mais dans le même temps, la France est devenue le premier pays importateur de gaz naturel liquéfié (GNL) russe d’Europe, avec 6,21 milliards de mètres cubes en 2024. Cela représente près d’un tiers des importations totales françaises de GNL, ce qui fait de la Russie le deuxième fournisseur après les États-Unis.

Ce combustible liquide ne sert pas uniquement la consommation intérieure, mais est ensuite réexporté depuis les terminaux méthaniers de Dunkerque et Montoir-de-Bretagne. [1]

« Les engrais de synthèse sont du gaz fossile sous une autre forme »

Premier importateur de GNL, la France est aussi le premier consommateur d’engrais azotés — — dont la production est énergivore et très dépendante des combustibles fossiles — dans l’Union européenne. Comment fabrique-t-on l’ammoniac à la base de ces fertilisants ? En séparant l’hydrogène du méthane pour le combiner avec de l’azote aérien, chauffé à très hautes températures en brûlant du gaz. Ce qui fait dire aux Amis de la Terre que « les engrais de synthèse ne sont rien d’autre que du gaz fossile sous une autre forme ».

Selon la note de l’ONG, les volumes importés par la France depuis le début de l’invasion russe en Ukraine ont augmenté de 86 % passant de 402 000 tonnes de produits finis en 2021 à 750 000 tonnes en 2023. Et les données provisoires officielles pour 2024 laissent entrevoir un niveau encore très élevé.

La « dépendance croissante » de la France à la Russie

D’après les estimations de l’ONG, près de 210 milliards d’euros ont été versés par les économies européennes à la Russie depuis le début de la guerre pour l’ensemble des énergies fossiles, dont la moitié environ pour le gaz. De l’argent qui est ensuite taxé par l’État russe, et alimente son budget militaire. En l’absence de dispositif de sanction européen, le gouvernement russe a également mis en œuvre ses propres taxes douanières sur les engrais exportés. S’y ajoutent les financements privés des oligarques du gaz à destination de compagnies militaires privées.

Cette dépendance n’inquiète en tout cas pas seulement les écologistes puisque même l’Unifa, lobby des industriels français de la fertilisation, s’alarmait le 27 janvier que « cette tendance poursuivie en 2024 place l’agriculture française sous une dépendance croissante vis-à-vis de la Russie, qui fournit désormais un jour sur sept les besoins en nutriments du secteur agricole français ».

Message reçu par la Commission européenne qui a proposé de taxer ces importations, avec une augmentation progressive du taux actuel (6,5 %) à 100 % d’ici trois ans.

Mais c’est tout le problème d’une dépendance à une production. Soit les prix des engrais vont augmenter — et donc l’effet retombera sur le monde agricole —, soit la France deviendra dépendante d’un autre pays. Les États-Unis par exemple, dont le gouvernement d’extrême droite amorce une guerre commerciale.

Quelles solutions ? Si la dépendance au gaz peut rapidement être réduite en diminuant les consommations et investissant dans la rénovation énergétique et la mise au rebut des chauffages fossiles, le problème des produits azotés est plus épineux.

En finir avec les engrais chimiques

« Sortir des engrais, ça veut dire accepter à terme de baisser les niveaux de production », dit Manon Castagné, chargé de mission agriculture aux Amis de la Terre. Qui note que le modèle agro-industriel qui utilise fortement ces engrais fait peser de « vrais risques sur la souveraineté alimentaire » en France.

Pour parvenir à sortir de notre dépendance, sans que ce soit subi et violent pour les producteurs, il faut sans plus attendre « concentrer les efforts vers les modèles agricoles qui se passent des engrais, en bio notamment, favoriser la production de légumineuses, qui fixent l’azote, et surtout travailler sur le régime alimentaire ».

Car une grande part des céréales produites à l’aide d’engrais azotés servent avant tout à l’alimentation des élevages en agriculture conventionnelle. Baisser notre pression sur la consommation de produits carnés, c’est aussi diminuer les surfaces nécessaires pour nourrir les animaux et donc mécaniquement les besoins en intrants.

Des pistes connues depuis longtemps, mais qui en plus de réduire les émissions carbone de l’agriculture et la pollution des cours d’eau, auraient désormais comme vertu de tarir l’économie de guerre russe.

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14 février 2025 ~ 0 Commentaire

Pollution

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Pollution. « C’est un peu l’affaire du siècle en Bretagne », L’État sera-t-il condamné pour son « inaction » dans la lutte contre les marées vertes

L’État doit-il être condamné pour le manque de résultats dans la lutte contre les algues vertes ? À l’instar de sa condamnation pour la pollution de l’air, qui a fait grand bruit, l’association Eau et Rivières de Bretagne veut mettre l’État devant ses responsabilités. Réponse d’ici à un mois.

L’association de défense de l’environnement Eau et Rivières de Bretagne (ERB) a demandé au tribunal administratif de Rennes, ce jeudi 13 février 2025, de condamner l’État à lui verser 3,2 millions d’euros de dédommagements pour le « préjudice moral » que lui a causé son « inaction » à lutter contre les « marées vertes ».

L’association a aussi sollicité les juges pour qu’ils forcent l’administration à prendre toutes mesures utiles pour lutter contre la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole, avec une astreinte d’un million d’euros par mois de retard. Elle s’est inspirée pour cela de l’action engagée devant la justice administrative à Paris par Les Amis de la Terre, qui sont parvenus à faire condamner l’État à une astreinte de 10 millions d’euros pour son inaction continue contre la pollution de l’air.

Les limites d’un modèle agricole

« C’est un peu l’affaire du Siècle en Bretagne », a ainsi commencé par résumer le rapporteur public. Après avoir rappelé la genèse de l’incontestable modernisation de l’agriculture bretonne dans les années 1960 pour répondre à l’exode des jeunes – qui s’était traduite par la constitution d’une filière intégrée avec ses abattoirs et ses conserveries de poisson – le magistrat a d’abord souligné que la Bretagne était devenue la première région agricole de France et un leader européen, au vu des chiffres éloquents du dossier.

Pour autant ce modèle agricole présente des limites, a-t-il aussitôt enchaîné : les déjections animales et les compléments chimiques ont entraîné un développement accéléré des algues vertes. Le phénomène – documenté par des enquêtes journalistiques – génère ainsi des coûts pour la société et pour l’environnement.

Huit baies particulièrement touchées

« Aujourd’hui, on observe une amélioration de la qualité des eaux, mais cette tendance masque des diversités », a aussi resitué le rapporteur public. Eau et Rivières de Bretagne s’est pour cela concentrée sur les huit baies bretonnes, particulièrement touchées par les algues vertes, comme celle de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) ou de Douarnenez (Finistère).

Sous la pression de directives européennes, qui astreignent la France à une obligation continue et systématique de la qualité de ses eaux, l’État a donc mis en place des plans avec des actions pour atteindre un bon état des eaux d’ici à 2015 au départ. Une échéance reportée à 2027 par le biais de plusieurs générations de programmes du même type.

« Absence de volonté d’infléchir une situation déjà dégradée »

Les autorités environnementales ont ainsi fait état de progrès limités et sans pouvoir les attribuer à ces différents Programmes d’action régionale (PAR) ; il y a même un risque de recul et il est donc impératif de relever significativement les objectifs. La septième génération de PAR en Bretagne n’offre ainsi pas de rupture avec les six précédentes et n’est pas en adéquation avec les attentes. « Cette absence de volonté d’infléchir cette situation déjà dégradée conduit à une impasse », a résumé le rapporteur public en citant les propos des différents avis émis.

Pour remédier à ces défaillances graves et récurrentes de l’État à lutter contre la pollution des eaux – qui sont peut-être alimentées par la puissance de la filière agroalimentaire bretonne – il a donc proposé aux juges de donner six mois à l’État pour prendre les mesures utiles demandées par Eau et Rivières de Bretagne dans les huit baies les plus touchées. Le rapporteur public a enfin suggéré d’allouer 3 000 € à l’association de défense de l’environnement, en lieu et place des 3,2 millions d’euros qu’elle réclame.

À Lire aussi sur le sujet : « Donnons-nous le courage de faire mieux pour l’entretien de nos rivières ». Quand l’importance de l’eau refait surface

« Exaspération et lassitude »

« L’association n’a pas démérité, en usant de toutes les voies possibles et inimaginables », a toutefois insisté Me Samuel Delalande, l’avocat d’Eau et Rivières de Bretagne. « Les salariés et bénévoles ont passé un temps infini à travailler sur ces dossiers au cours des dernières décennies. » Le montant réclamé se justifie par « l’exaspération et la lassitude » d’ERB, dont la multiplicité des activités depuis 1969, son caractère désintéressé et son niveau de compétence technique a déjà été reconnu par plusieurs décisions de justice antérieures.

« Dans les faits l’État a mis en œuvre de nombreuses mesures et s’efforce de continuer à le faire avec les moyens dont il dispose », a déclaré pour sa part l’une des deux représentantes de la préfecture de région Bretagne. « Certes, les effets positifs doivent encore être évalués, mais juger les carences au regard de dires antérieurs nous semble prématuré. Il est hasardeux de dire que l’action de l’État est constitutive d’une carence fautive. Il n’appartient pas au juge de se substituer aux pouvoirs publics. »

« Caractère abusif, voire fantaisiste » du montant réclamé par Eau et Rivières de Bretagne

Le montant de l’indemnisation réclamé par Eau et Rivières de Bretagne pour son « préjudice moral » présente en tout état de cause « un caractère abusif, voire fantaisiste ». « À titre de comparaison, seul 1 € a été alloué aux Amis de la Terre dans l’Affaire du Siècle », a-t-elle comparé. Le délai de six mois proposé par le rapporteur public paraît insuffisant, a ajouté la seconde représentante des services de l’État lors de l’audience. « Sans parler du temps politique, ce délai ne permet pas de dérouler un Programme d’actions régional. »

Les contrôles de routine des agriculteurs bretons sont par ailleurs compliqués, pas efficaces et coûteux pour le contribuable, a-t-elle conclu en citant des données de l’INRAE et de l’université Paris-Saclay. Le tribunal administratif de Rennes, qui a mis son jugement en délibéré dans cette affaire particulièrement importante, se prononcera dans un mois.

SG/GF (PressPepper)

Stephane Grammont et Press Pepper

14/02/2025

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12 février 2025 ~ 0 Commentaire

La Confédération Paysanne

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11 février 2025 ~ 0 Commentaire

Dérives (Reporterre)

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Destructions d’espèces protégées : l’État « ouvre la porte à toutes les dérives »

Le projet de loi d’orientation agricole discuté au Sénat prévoit que seules les atteintes jugées intentionnelles aux espèces protégées pourront être sanctionnées pénalement. Un recul très grave, selon les écologistes.

Loutre, hérisson, mésange bleue, androsace des Alpes… Ces espèces protégées n’en auront peut-être bientôt plus que le nom. Après avoir été adoptée par l’Assemblée nationale en mai 2024, la loi d’orientation agricole est en cours d’examen au Sénat.

Son article 13, introduit par amendement par le gouvernement, prévoit que seules les atteintes « intentionnelles » ou consécutives à une « négligence grave » aux espèces protégées seront passibles de poursuites pénales.

Après les attaques contre l’Agence bio et l’Office français de la biodiversité (OFB), cette mesure constitue une nouvelle offensive contre l’environnement de la part des sénateurs Les Républicains, avec l’appui du gouvernement.

Cette disposition est « un permis de détruire la biodiversité »

Que se passera-t-il si cet amendement est adopté ? En distinguant les « atteintes intentionnelles » aux espèces protégées des « actes de bonne foi », cette disposition est « un permis de détruire la biodiversité », dénonce Laure Piolle, chargée des questions agricoles à France Nature Environnement (FNE) : il faudra prouver que la destruction de la nature a été volontaire et réfléchie pour condamner le contrevenant. Or, en droit, prouver que la personne avait l’intention de tuer une espèce est très difficile.

« La plupart du temps, la destruction de l’espèce est un dommage collatéral », ajoute Laure Piolle. Quant à la négligence grave, celle-ci est très rare, « ce sont les négligences simples comme les imprudences ou les manquements à une obligation de prudence qui sont retenues ».

« L’une des pires régressions en matière de droit de l’environnement de ces dernières années »

Ainsi, « en cas d’atteinte aux espèces protégées ou à leur habitat, cet article remplace les poursuites pénales par une sanction administrative d’une amende de 450 euros maximum ou un stage de citoyenneté », résume Laure Piolle. Si un agriculteur tue une mésange bleue après avoir taillé une haie, utilisé un pesticide ou épandu du lisier, il faudrait prouver que c’était intentionnel, ce qui est quasiment impossible et il ne risquerait donc aucune poursuite.

Pire, le texte ne concerne pas uniquement les agriculteurs mais tout le monde. « Si un industriel pollue une rivière, il pourra plaider qu’il ne l’a pas fait exprès et ne sera pas condamné », dit Laure Piolle. Même chose pour un chasseur qui abattrait une espèce protégée qu’il aurait confondue avec une espèce gibier ou un particulier qui provoquerait la mort d’un hérisson après avoir répandu des produits pour éliminer les rongeurs sur son terrain.

« Cette mesure met en danger toute la biodiversité, c’est l’une des pires régressions en matière de droit de l’environnement de ces dernières années, déplore Laure Piolle. Le gouvernement envoie un message d’impunité : puisqu’il n’y a pas de sanction, c’est la porte ouverte à toutes les dérives. »

Les personnes qui porteraient atteinte à des espèces protégées comme la mésange bleue seraient bien moins susceptibles de répercussions judiciaires, déjà rares aujourd’hui, si cette loi était adoptée telle quelle. © P-O. C./ Reporterre

À l’instar de FNE, 38 associations de protection de l’environnement ont publié une pétition contre cette mesure, qui a déjà recueilli plus de 40 000 signatures.

Si la réglementation actuelle punit la destruction d’une espèce protégée d’un maximum de cinq ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende, « ces condamnations sont rares, dans la grande majorité des cas, le contrevenant est seulement convoqué par l’Office français de la biodiversité (OFB) », dit Arnaud Gossement, avocat spécialiste en droit de l’environnement. Selon le débat parlementaire, en 2022, seuls 136 agriculteurs ont été impliqués dans une procédure en lien avec le droit de l’environnement.

Un article contraire au droit européen ?

Cette disposition est surtout une « fausse promesse faite aux agriculteurs car l’article 13 de la loi d’orientation agricole est contraire au droit européen », affirme Arnaud Gossement. La destruction des espèces protégée et de leur habitat est encadrée par la directive européenne du 11 avril 2024 qui précise que ce délit peut être sanctionné, même lorsqu’il n’est pas intentionnel.

Or, en vertu du principe de hiérarchie des normes, le droit européen prime sur le droit national. Ainsi, « cet article pourra être attaqué par une association environnementale devant le Conseil d’État qui n’aura d’autre choix que d’appliquer le droit européen », pressent-il.

« L’État répond de manière démagogique aux problèmes des agriculteurs »

Pour Arnaud Gossement, « avec cette mesure, l’État répond de manière démagogique aux problèmes des agriculteurs. Ce dont ils ont besoin avant tout, c’est d’être mieux accompagnés, pas de bénéficier d’une sorte d’impunité ».

Mais pour le sénateur écologiste Daniel Salmon, « en réintroduisant la notion de négligence grave pouvant conduire à une sanction pénale, les sénateurs Les Républicains ont fait en sorte que le texte soit difficilement attaquable au niveau européen ». Selon lui, « tout va dépendre de quelle version sera finalement adoptée par les sénateurs ». Le texte devrait être voté par le Sénat le 18 février, soit quatre jours avant l’ouverture du Salon de l’agriculture à Paris.

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