Archive | Luttes écolos en Bretagne

02 juin 2023 ~ 0 Commentaire

maïs (jdd)

Land-Grab

Climat, sécheresse, pesticides… C’est quoi le problème avec le maïs ?

Épouvantail de « l’agrobusiness » pour les uns, bouc émissaire injustement accusé pour les autres, le maïs enflamme les débats. Adaptation au dérèglement climatique, consommation d’eau, impact de l’élevage… Il est au cœur des dilemmes qu’affronte l’agriculture française actuellement.

L’extrait vidéo a été visionné plus d’un million de fois sur Twitter. Invitée de Public Sénat le 14 avril, la députée La France insoumise Aurélie Trouvé déclare : « Je voudrais donner un chiffre qu’on oublie parfois : 25 % de l’eau consommée en France est consommée par le maïs. » Cette ingénieure agronome de formation, ancienne activiste altermondialiste, dénonce un « agrobusiness du maïs » : « En soixante ans, on a remplacé les prairies par le maïs et le soja pour nourrir les bêtes. […] On ne peut pas continuer avec ce modèle agricole. »

Rapidement, ses propos déclenchent une bataille de chiffres sur les réseaux sociaux. L’Association générale des producteurs de maïs (AGPM), affiliée à la FNSEA, répond en remettant ce pourcentage en perspective, sans le contester. Les articles de fact-checking se multiplient. Ils concluent que le calcul de la députée est hâtif et que l’ordre de grandeur est surévalué. Il n’empêche : « Environ 18 % de l’eau consommée l’est pour le maïs », rectifie Alain Charcosset, directeur de recherche à l’Inrae, généticien et spécialiste du maïs.

Le maïs en France, c’est environ 11 % de la surface agricole utile, 40 % de la production destinée à l’export, un excédent commercial d’1 milliard d’euros et de hauts rendements. Mais c’est aussi – tous nos interlocuteurs le confirment – un sujet inflammable. Car les épis jaune vif figurent parmi les cultures les plus secouées par la crise environnementale.

La guerre de l’eau

Première controverse : l’eau. « Contrairement à ce que l’on croit, le maïs valorise très bien l’eau, martèle Franck Laborde, président de l’AGPM. Il en faut environ 450 litres pour produire un kilo de maïs, contre 590 litres pour un kilo de pommes de terre ou 900 litres pour un kilo de soja. »

Le problème est ailleurs. Comme le sorgho ou le tournesol, ses graines sont semées au printemps et les plantes atteignent leur phase reproductive et leur taille maximale en juillet. Résultat, « le maïs a besoin d’eau à une période où les précipitations peuvent être inexistantes », indique Alain Charcosset. Et où les conflits sur la ressource sont de plus en plus aigus.

Tant que le pays était bien arrosé, ce calendrier ne gênait pas. Mais la ressource en eau a diminué de 14 % ces dernières décennies, selon le ministère de la Transition écologique, et le réchauffement climatique rendra les précipitations moins régulières.

Avec la sécheresse de 2022, la récolte de maïs grain et semences a été la plus faible depuis 1990 et la production de maïs pour le fourrage a reculé, selon Agreste, le service statistique du ministère de l’Agriculture. Entre risque hydrique et cours en baisse, les semis pour 2023 sont au plus bas depuis trente ans.

La France, premier producteur européen de maïs en 2022 (source : Maiz’Europ’).

  • Maïs fourrage (plante entière) et ensilage (en silos) : 1,4 million d’hectares. Destiné à l’alimentation animale (ovins et bovins).
  • Maïs grain : 1,27 million d’hectares. Destiné à l’alimentation animale, à l’alimentation humaine (semoulerie, amidonnerie) et à l’industrie (bioéthanol, bioplastiques).
  • Maïs semence : 84 500 hectares.
  • Maïs doux : 23 800 hectares. Destiné à l’alimentation humaine.
  • Pop-corn : 9 000 hectares.

Dans ce contexte, l’irrigation irrite. Alain Charcosset tempère : « En 2020, 23 % des cultures de maïs étaient irriguées et cette proportion est en baisse. Donc la majorité des parcelles ne sont pas irriguées… Mais parmi les surfaces agricoles irriguées, il y a beaucoup de maïs ! »

Ingénieur agronome au sein de l’association Solagro, Sylvain Doublet appelle à changer la focale. « Quand on regarde de plus près, on s’aperçoit que les surfaces de maïs irriguées sont souvent situées autour de l’Adour-Garonne, le bassin le plus exposé au changement climatique en France », pointe-t-il.

Le Sud-Ouest est la région phare de la céréale jaune, qui nourrit aussi toute la filière volaille. « L’irrigation pose un impact majeur sur le fonctionnement du cycle de l’eau dans cette région, affirme-t-il. Plus les années climatiquement compliquées s’enchaînent, plus ça devient tendu. Parce que ces agriculteurs ont investi et ne peuvent plus faire demi-tour. »

S’adapter… ou tout changer ?

Le maïs pourra-t-il résister ? Franck Laborde en est convaincu et mise sur des variétés plus résistantes, une irrigation plus performante et le stockage de l’eau en hiver, controversé.

L’une des pistes les plus prometteuses consiste à semer plus tôt avec « des variétés à floraison précoce qui font l’essentiel de leur cycle avant les périodes de stress hydrique », souligne Alain Charcosset. « Il restera en France des régions adaptées à la culture du maïs », assure le généticien.

Mais quid des régions les plus exposées au réchauffement comme le Sud-Ouest ? Et avec quels rendements ? « Dans certains territoires, le manque d’eau peut, à la marge, modifier des assolements », reconnaît Franck Laborde à demi-mot, même si ce maïsiculteur et éleveur des Pyrénées-Orientales insiste sur l’importance économique et culturelle des épis jaunes dans sa région et invite à « ne pas balayer tout d’un revers de main ». « Sous 40 °C, la génétique ne pourra pas tout faire, avertit Sylvain Doublet. Les défis environnementaux sont tels que, cette fois, cela ne suffira pas. »

La bataille des pesticides

Car la nouvelle donne environnementale amène d’autres nuages sur les parcelles, notamment la nécessité de réduire la consommation de produits phytosanitaires. L’Union européenne veut la diviser par deux d’ici à 2030. Un défi pour le maïs, même s’il ne figure pas parmi les cancres.

Selon les données de l’Agreste, en 2017, respectivement 1 et 25 % des surfaces de maïs grain ont été traitées avec des fongicides (contre les champignons) et des insecticides, contre 94 et 23 % pour le blé tendre par exemple. « C’est l’une des espèces les plus propices à l’agriculture biologique, complète Alain Charcosset, car elle développe peu de maladies. »

En revanche, 98 % des parcelles ont reçu un herbicide, comme pour le blé. La filière s’est élevée contre l’interdiction du S-métolachlore. Au sein de l’AGPM, Franck Laborde s’explique : « C’est l’une des seules molécules autorisées comme herbicide du maïs. Sans ce produit, nous n’avons pas de solution efficace et nous subirons une distorsion de concurrence au niveau européen. »

Le carburant de l’élevage

Les rejets de carbone, justement, c’est le troisième point noir. Parce que cette plante fait carburer l’élevage français, responsable d’environ 14 % des émissions nationales de gaz à effet de serre.

En fourrage ou en silos, il complète l’herbe que broutent les bovins. Selon l’Agreste, 24 % du fourrage utilisé en France est du maïs. Quant au maïs grain, 62 % des stocks consommés en France sont destinés à l’alimentation des ruminants, des volailles et des porcs.

 Dire qu’il faudrait produire moins de maïs en France pour moins irriguer et employer moins d’herbicides, ce serait mentir au consommateur . Franck Laborde

Pour Sylvain Doublet, le maïs est « la clé de voûte des filières d’engraissement des animaux, un système hyper optimisé dont l’objectif est de produire le plus possible dans le moins de temps possible ».

« Elles sont très dépendantes de la combinaison maïs/soja qui permet des croissances rapides », précise-t-il. D’après l’Agreste, le maïs pèse pour 16,2 % des aliments composés donnés au bétail, derrière le blé (22,3 %), suivi des tourteaux de soja (11,3 %). De quoi occasionner d’autres émissions de CO2, puisque « ce soja est lié à la déforestation au Brésil », ajoute l’ingénieur agronome.

Entre pression sur la ressource en eau et empreinte carbone de l’élevage, est-il raisonnable de continuer à cultiver autant de maïs ? La question est mal posée pour Franck Laborde. « Dire qu’il faudrait produire moins de maïs en France pour moins irriguer et employer moins d’herbicides, ce serait mentir au consommateur, prévient-il. Cela reviendrait à importer plus depuis l’est de l’Europe ou le Brésil, en fermant les yeux sur les conditions de production locales. »

Pour Sylvain Doublet, au contraire, « la porte de sortie, c’est de produire moins mais mieux ». Moins de viande, mais en prairies, et convertir les parcelles de maïs en cultures destinées à l’alimentation humaine. Dans un récent rapport, la Cour des comptes suggérait également de réduire le cheptel bovin.

Dans l’étude prospective Afterres 2050, Solagro imagine quel paysage agricole concilierait environnement, souveraineté alimentaire et santé. Il aboutit à une forte diminution des surfaces de maïs ensilage (qui passeraient d’1,2 million d’hectares en 2020 à 0,4 million en 2050) et un recul léger du maïs grain (d’1,4 à 1,2 million). Une condition pour que ça fonctionne : un régime alimentaire moins carné, sous peine de booster les importations de viande et de détruire la filière nationale. Dans ce climat tendu, cette menace met tout le monde d’accord.

Aude Le Gentil 02/06/2023

https://www.lejdd.fr/

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01 juin 2023 ~ 0 Commentaire

cochons (splann! médiapart)

cochons
À Plouvorn, 80.000 cochons, de l’ammoniac et des nitrates

Avec sa concentration record de méga-porcheries, la commune finistérienne de Plouvorn est un symbole de l’intensification de l’élevage et de ses conséquences. Enquête sur un coin de Bretagne où rien n’échappe aux cochons. Ni l’eau, ni l’air, ni la mairie.

  • Plouvorn, dans le Finistère, est une capitale du porc industriel français. 80 % des élevages sont des Installations classées pour l’environnement (ICPE), c’est-à-dire qu’ils dépassent les 2.000 animaux. Malgré cela, un projet gigantesque se prépare.
  • La commune est la plus émettrice d’ammoniac en Bretagne, un gaz précurseur de particules fines dangereuses pour la santé. La qualité de l’eau n’est pas meilleure et le point de captage d’eau potable est fermé depuis 2007 pour cause de pollution.
  • Le poids de l’élevage porcin se fait sentir dans le quotidien des habitants : interdictions très régulières de la baignade dans le plan d’eau, élus sous pression, menaces sur des lanceurs d’alerte… Le porc s’immisce partout, du drapeau des supporters de l’équipe de foot jusqu’à la mairie.

Plouvorn est une petite commune qui n’a jamais fait parler d’elle. Pourtant « le village aux 100.000 cochons » est un champion national de l’élevage intensif. Sur les routes étroites qui mènent au bourg, le long de champs remembrés de choux et de pommes de terres, des semis-remorques transportent chaque jour des centaines de porcs vers l’abattoir.

A Plouvorn il y a 2.900 habitants et près de 80.000 porcs. Vingt-huit fois plus de cochons que d’habitants, quand la Bretagne, région reine de l’élevage porcin, compte 5 cochons pour 1 habitant en moyenne. En France, près de la moitié des cochons élevés de façon industrielle le sont dans le Finistère. Et Plouvorn est un rouage incontournable du système. « Ici, on fait du porc vite et pas cher et on le met sur le quai », résume Alain*, un éleveur du coin.

« Avant c’était un territoire pauvre, les paysans avaient peu de terre, donc ils ont fait du hors-sol pour produire beaucoup sur de petites surfaces. Ici, on leur a toujours dit produisez, produisez, produisez », retrace l’agriculteur. Ce virage productiviste, pris entre la fin des années 1960 et le milieu des années 1970, a radicalement transformé le paysage local. De la multitude de petites fermes, dix-sept exploitations porcines ont survécu. Dans le Léon libéral-conservateur qui a accouché du leader agricole Alexis Gourvennec, elles ont atteint des proportions sans commune mesure à l’échelle nationale.

Parmi les vingt plus grandes porcheries de France, trois se situent à Plouvorn, selon des données du ministère de la Transition écologiques exploitées par Greenpeace dans un rapport publié en mai. L’ONG réclame un moratoire sur la construction d’élevages classés à risque pour l’environnement – soit les élevages de plus de 2.000 têtes dans le secteur porcin. À Plouvorn, 80 % des exploitations explosent les compteurs. Et la course au gigantisme continue.

13 piscines olympiques de déjections animales

Chaque année ou presque, de nouvelles demandes d’extension sont déposées auprès des services de l’État. 1.742 places en plus en 2016 pour l’un, 3.040 l’année suivante pour un autre. Le dernier projet en date a été déposé en 2020 par la société Calarnou. Le but : 14.000 places supplémentaires de porcs à engraisser.

Si ce projet se concrétisait, cette porcherie deviendrait la deuxième plus grosse de France avec une production annuelle de 45.600 porcs charcutiers. Talonnant la SA Kerjean, établie dans la commune voisine de Taulé.

Un avis publié par la Mission régionale d’autorité environnementale (MRAE) en décembre 2020 décrit toute la démesure du projet. 33.000 m³ de lisier seraient produits chaque année, soit 13 piscines olympiques de déjections animales, que l’éleveur promet de transformer à 98 % en compost en vue d’une exportation « hors de Bretagne ». Ce qui laisserait encore chaque jour 1.800 litres de lisier à épandre sur des terres locales déjà saturées en azote.

À ce jour, aucune autorisation n’a été accordée, indique la préfecture du Finistère. Le dossier – celui qui a été analysé par l’Autorité environnementale – a été retoqué, mais un second est en cours de constitution, selon une source préfectorale. Un permis de construire calibré pour cet agrandissement a bien été déposé en mairie à l’automne 2021. Interrogé, le maire de Plouvorn, Gilbert Miossec, nie son existence, en dépit d’échanges de courriels prouvant le contraire, consultés par Mediapart et Splann !. Quant à l’éleveur, il n’a pas répondu à nos questions.

Le prix environnemental de l’élevage intensif

Plouvorn est un pilier du secteur porcin, mais le revers de cette médaille est un désastre écologique. La plupart des indicateurs environnementaux sont au rouge. A commencer par l’ammoniac. Ce gaz, issu des effluents d’élevage, contribue à la formation de particules fines dans l’air, deuxième cause de mortalité évitable dans le pays. (Lisez notre enquête « Bol d’air à l’ammoniac ».) Dans un palmarès dressé par le collectif Bretagne contre les fermes-usine, Plouvorn occupe la première place des communes les plus émettrices. Elles atteignent 178 tonnes par an, selon les données de Géorisques. Soit deux fois plus que la commune classée en deuxième position. Dans un rayon de 20 kilomètres, quatre autres communes figurent dans le top 10.

Des données qui ne semblent pas inquiéter le maire de la commune, Gilbert Miossec. « Il faut arrêter de stigmatiser les éleveurs, de gros efforts ont été faits sur le plan technique pour réduire les émissions. Ce n’est pas le problème le plus important ».

Et pour cause, il y en a d’autres. « Il y avait une belle rivière à Plouvorn, l’Horn, qui a été complètement flinguée. On avait du saumon, de la truite, des anguilles… Il ne reste presque plus rien », s’inquiète un pêcheur local, photographies à l’appui. Il a assisté à plusieurs épisodes de pollution de la rivière, notamment des déversements d’effluents agricoles. Un projet de recherche est en cours, mené par un laboratoire de l’Université de Bretagne occidentale, pour évaluer précisément l’état de ce cours d’eau. Les premières conclusions des scientifiques font état d’un « hydrosystème altéré » par diverses pollutions liées à l’agriculture intensive.

Selon les données de l’Observatoire de l’environnement en Bretagne, la rivière présente – outre d’importants taux de pesticides et de phosphore – des taux trop élevés de nitrates. Une conséquence directe de l’agriculture intensive. Les nitrates sont issus de l’épandage des lisiers ou de déversements accidentels. Ils sont à l’origine des proliférations d’algues vertes en Bretagne. Dans la commune de Plouvorn, la conséquence la plus directe est la fermeture du point de captage d’eau potable en 2007.

Depuis, l’eau est prélevée dans un ruisseau, le Coatoulzac’h, qui peine, avec son faible débit, à assurer cette fonction. Au cœur d’un Finistère pluvieux, les gestionnaires de l’eau en sont venus à craindre des pénuries d’eau. « L’Horn va être de plus en plus nécessaire. Dans un contexte de sécheresses récurrentes, il s’agit d’une ressource indispensable », peut-on lire dans le compte rendu de la dernière assemblée générale du syndicat mixte de l’Horn, le gestionnaire local de l’eau potable. Mais la reconquête de ce point de captage est un chemin de croix.

Des millions investis mais toujours pas d’eau potable

Les premières actions pour faire baisser les nitrates dans l’Horn datent de 1989. Durant les quinze dernières années, plus de sept millions d’euros d’argent public ont été investis pour améliorer la qualité de l’eau, en particulier en faisant évoluer les pratiques agricoles. Dernier dispositif en date : le paiement pour service environnemental, qui consiste à rémunérer les agriculteurs pour leurs bonnes pratiques. 39 des 70 exploitants agricoles situés sur ce bassin sensible ont signé, soit 40 % des terres concernées.

Il y a des résultats : les taux de nitrates dans l’Horn ont été quasiment divisés par deux par rapport à la fin des années 1990, lorsqu’ils dépassaient les 100 mg/l – un chiffre record dans les bassins algues vertes. Ils restent toutefois très insuffisants. Aujourd’hui l’Horn n’est toujours pas descendue sous la barre réglementaire des 50 mg/l qui permettrait la réouverture du point de captage. L’eau reste impropre à la consommation. « Ce qui pose un sacré problème d’argent fichu par les fenêtres », dénonce la conseillère régionale EELV, Christine Pringent.

Guy Pennec, président de la commission locale de l’eau, bon connaisseur du dossier, préfère souligner « un vrai dynamisme et un engagement fort » dans certains secteurs agricoles comme le maraîchage ou la filière bovine. En revanche, pour les élevages hors-sol, en majorité des porcheries, « c’est plus compliqué. Nous sommes démunis vis-à-vis de l’agro-business ».

Une analyse partagée, avec moins de pincettes, dans un rapport de la cour régionale des comptes : « Les pratiques actuelles en élevage intensif sont un obstacle à la réduction des fuites de nitrates, les enjeux économiques interdisent des évolutions de systèmes, voire des aménagements même marginaux, comme en témoignent les obstacles à la reconstitution de ceintures bocagères, haies et talus ».

Pour les observateurs de l’environnement, les projets d’extensions de porcheries vont à contre-courant de ces ambitions de reconquête de l’Horn. « Il faut sanctuariser ce bassin versant », réclame Jean-Yves Kermarrec, président de l’APPMA locale (Association agréée de pêche et de protection des milieux aquatique). « Les très grosses exploitations sont de plus en plus contrôlées. Mais, à Plouvorn, avec une telle concentration, l’environnement est déjà trop sous pression. De ce point de vue, il faudrait ralentir », estime aussi un inspecteur de l’environnement du département.

Baignade interdite

Il n’est plus possible de boire l’eau de Plouvorn. S’y baigner est aussi devenu dangereux. La commune dispose pourtant d’un appréciable plan d’eau. « La qualité de cet espace intergénérationnel est reconnue par les habitants qui le qualifie de « convivial » et « magnifique ». C’est le seul espace naturel public à Plouvorn », explique la chercheuse Mallorie Boderiou dans un mémoire réalisé sur ce sujet en 2017. Il est alimenté par l’Argens, un affluent de l’Horn, qui jouxte les terres d’épandages de plusieurs élevages, dont celui de Calarnou.

La baignade y a été interdite 46 jours l’été dernier en raison d’une prolifération des cyanobactéries. Ces micro-algues donnent une couleur verte à l’eau et peuvent – en trop grande quantité – provoquer des troubles digestifs, neurologiques ou cutanés chez les baigneurs. Des interdictions avaient aussi été décidées les années précédentes sur ce site qui figure parmi les plus pollués aux cyanobactéries en Bretagne, selon les données de l’Agence régionale de santé.

Ce phénomène est lié à trois facteurs : une eau stagnante, la chaleur et la présence de nutriments – tels que les nitrates et phosphates. « Des cyanobactéries, il y en a dans tous les plans d’eau, ce n’est pas obligatoirement lié aux productions agricoles », insiste le maire de Plouvorn. Mais, dans cette eau, on trouve aussi d’autres traces de l’activité des élevages voisins, notamment des streptocoques fécaux ou des escherichia coli – signes de contamination fécale – en quantité alarmante à certaines périodes de l’année.

« C’est un bassin qui a été construit dans les années 1970. Aujourd’hui, on ne ferait pas un lieu de baignade ici, alimenté par une rivière qui traverse une zone d’agriculture intensive. À mon sens, il faudrait le fermer et l’option est sur la table », indique une source proche de ce dossier très sensible dans la commune. Une réunion a récemment eu lieu en mairie avec les représentants de l’État et la municipalité. Une étude doit être lancée pour trouver des solutions moins radicales. Par exemple, la mise en place d’une zone tampon entre l’Horn et le plan d’eau afin de limiter la diffusion des pollutions dans la zone de baignade.

Quand la filière porcine tient les rênes de la politique locale

Plus de poissons à pêcher, risque de pénurie d’eau potable, interdiction de la baignade, les conséquences de l’élevage sont de plus en plus directes pour les habitants. À Plouvorn, toutefois, personne ne questionne trop fort l’intensification de l’élevage. « C’est même l’omerta », estime Claude*, une mère de famille arrivée sur la commune il y a une vingtaine d’années. « Lorsqu’on parle, on a toujours peur des répercussions. Critiquer un arasement de talus par un agriculteur se fait la peur au ventre. »

Les éleveurs porcins sont impliqués dans toutes les strates de la vie locale. Et d’abord à la mairie. Elu en 2020, le maire, Gilbert Miossec est un ancien technicien de Prestor, devenu Evel Up – une importante coopérative porcine, très influente à Plouvorn. Plusieurs élevages en sont membres, notamment la société Calarnou qui projette la giga-extension.

Avant lui, François Palut, propriétaire de Calarnou jusqu’à sa retraite, avait les rênes de la mairie. Ancien président de la coopérative Léon-Tréguier – aujourd’hui Evel Up -, il s’est aussi exprimé dans les médias contre L214 ou les portiques écotaxes en tant que président de l’Association pour le maintien de l’élevage en Bretagne (AMEB), un lobby pro-agriculture intensive. Interrogé par Splann ! et Mediapart, l’éleveur retraité insiste sur la nécessité des grands élevages « car il faut bien nourrir le monde ».

Si l’on remonte encore peu : la mairie a été tenue pendant 42 ans, de 1966 à 2008, par Jacques de Menou, figure politique de la droite finistérienne (RPR) et compagnon de route de l’éleveur porcin Alexis Gourvennec, leader syndical et homme d’affaires charismatique, connu pour ses actions violentes et sa vision ultra-libérale de l’agriculture. « La question se pose de qui gère ce territoire ? Et pour moi c’est l’agro-industrie », dénonce un habitant qui souhaite garder l’anonymat.

Malgré une part d’emplois liés au secteur agricole passée de 27 % à 17 % entre 2008 et 2019, l’industrie porcine demeure aussi un marqueur identitaire. En témoigne ce cochon à l’air conquérant et cigare à la bouche choisi comme mascotte par les jeunes supporteurs de L’Avant Garde de Plouvorn, lors du récent périple du club en Coupe de France de football. Réunis au sein d’une association, l’Apporc, les éleveurs savent se rendre incontournables dans les moments festifs. « Ils donnent des coups de mains aux associations locales, offrent des maillots de foot ou des cochons grillés, font visiter leurs élevages aux enfants de l’école. C’est sympa mais c’est aussi une manière d’assurer l’acceptabilité de la filière », résume ce Plouvornéen. L’Apporc a reçu le prix de la communication du Comité régional porcin, en 2012.

Une opposition muselée

Plouvorn a néanmoins connu un sursaut démocratique en 2020. Pour la première fois depuis des décennies, une opposition politique s’est présentée aux élections municipales, menée par Philippe Bras, président de l’association des pêcheurs du pays de Morlaix, mobilisé contre les pollutions de rivière « d’origine agricole et urbaines ». Elle a recueilli 44 % des voix après une campagne à couteaux tirés dont le climat délétère ne s’est jamais apaisé. Plusieurs élus de l’opposition témoignent de coups de pression réguliers sur eux ou leurs proches – de courriers anonymes jusqu’à des menaces de mort. Sept plaintes ont été déposées depuis moins de trois ans. Certaines ont été classées et d’autres sont encore en cours d’instruction. « Quand je sors, je suis toujours sur mes gardes », explique l’un des plaignants. En janvier 2021, lors d’un conseil municipal, les élus de l’opposition ont révélé publiquement l’existence de courriers diffamatoires reçus au domicile de deux d’entre eux. Leur motion de soutien a été adoptée par l’ensemble du conseil municipal… Mais cette motion de soutien a finalement été annulée quelques mois plus tard au motif que « la protection fonctionelle n’est pas automatique ».

Mais le pourrissement de la vie démocratique ne s’est pas arrêté là. De nouvelles menaces ont visé le leader de l’opposition et une lanceuse d’alerte en 2022 et 2023. Dans un courrier envoyé au procureur en novembre, cette dernière décrit un climat « de crainte, si ce n’est une peur quotidienne ». Parmi les plaintes que Splann ! et Médiapart ont pu consulter, certaines soulignent des altercations avec un membre influent de la FDSEA du Finistère ainsi que des menaces de mort proférées en public par un éleveur à la retraite.

Questionner ce modèle agricole demeure complexe. Pour les élus comme pour les journalistes. Le 24 mai, la puissante Union des groupements de producteurs de viande de Bretagne (UGPVB), alertée par l’enquête menée par Splann ! et Médiapart , adresse une lettre de mise garde à ses adhérents.

« Après échange avec Michel Bloc’h et Jacques Crolais [président et directeur de l’organisation, NDLR], nous tenions à vous informer que des journalistes militants cherchent actuellement à contacter un certain nombre d’acteurs de la filière en prévision d’articles à charge contre la profession ». La responsable de la communication de l’organisation « invite » les éleveurs de Plouvorn à « éviter le piège » et à la « vigilance quant à ces sollicitations qui visent tout simplement à dénigrer notre agriculture ». En d’autres termes, silence dans les champs.

* Le prénom a été modifié

Kristen Falc’hon, Floriane Louison (Mediapart) | 01 06 2023

https://splann.org/plouvorn

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20 mai 2023 ~ 0 Commentaire

climat (courrier inter)

climat

Lors des cinq prochaines années, la planète fera face à des chaleurs record

Selon des recherches effectuées par l’Organisation météorologique mondiale, qui fait partie des Nations unies, entre 2023 et 2027, les chances que la planète connaisse une année de chaleur record sont de 98 %. La conséquence des effets combinés du réchauffement global et du phénomène dit “El Niño”. 

Les résultats inquiétants de cette étude ont été publiés mercredi 17 mai, et ils ont rapidement été relayés par de nombreux médias à travers le monde, parmi lesquels El País. “Les chances que le record de température établi en 2016, année marquée par un phénomène El Niño exceptionnellement fort, soit dépassé au cours d’au moins une des cinq prochaines années sont de 98 % ”, écrit le journal espagnol, qui rapporte ainsi le principal résultat du rapport de l’Organisation météorologique mondiale des Nations unies (OMM).

El Niño est un phénomène de réchauffement des eaux du Pacifique qui a pour conséquence d’élever les températures moyennes de la planète, et, comme l’explique le quotidien madrilène, en 2016, celui-ci était à son apogée, ce qui a contribué à faire de cette année-là la plus chaude jamais enregistrée depuis la fin du 19è siècle (période à laquelle on enregistre les premières mesures fiables).

“Des températures à des niveaux sans précédent”

Un record qui devrait donc être battu, a prédit Petteri Taalas, secrétaire général de l’OMM, dans un communiqué dont El País relaie cet extrait : “Un épisode El Niño, qui a un effet réchauffant, devrait se développer dans les mois à venir. Couplé au changement climatique causé par les activités humaines, il portera les températures mondiales à des niveaux sans précédent… Cela aura des répercussions considérables sur la santé, la sécurité alimentaire, la gestion de l’eau et l’environnement. Nous devons nous y préparer.”

À cette sonnette d’alarme s’en ajoute une autre, note de son côté la BBC, puisque la recherche en question a également révélé que “la probabilité que nous dépassions le seuil de 1,5 °C de réchauffement [par rapport à l’ère préindustrielle] d’ici à 2027 est désormais estimée à 66 %”.

Il s’agit d’un seuil qui “est devenu un symbole des négociations internationales sur le réchauffement climatique, précise le média britannique, puisque, dans le cadre de l’accord de Paris signé en 2015, les pays participants ont accepté de ‘poursuivre leurs efforts’ afin de limiter le réchauffement mondial à 1,5 °C”.

Toutefois, ce n’est pas là qu’une affaire de symbole puisque, comme le détaille ensuite le site d’information, “si le niveau du réchauffement planétaire se situait au-delà de ce seuil chaque année pendant dix ou vingt ans, les effets du réchauffement climatique seraient nettement plus sensibles avec notamment de plus longues canicules, des tempêtes et des incendies plus violents”.

Des objectifs encore à notre portée

Heureusement, tempère tout de même l’étude, nous n’en sommes pas encore là. Car si le dépassement de ce seuil est désormais probable, il devrait être seulement temporaire et non continu, ce qui n’engendrerait donc pas encore le “scénario catastrophe” cité plus haut.

Mieux, sur le moyen terme, “le dépassement [temporaire] du seuil de 1,5 °C dans les cinq années à venir ne rendrait pas impossible d’atteindre l’objectif fixé par l’accord de Paris”, rassure la BBC. Le site du média britannique conclut : “Comme l’affirment les scientifiques, nous avons encore les moyens de limiter le réchauffement en réduisant drastiquement nos émissions polluantes.”

Courrier international

17 mai 2023

https://www.courrierinternational.com/

Commentaire:

Y a pas à s’en faire! Tout va s’arranger!

 

 

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15 mai 2023 ~ 0 Commentaire

algues vertes (fr3)

algues-vertes-2

« L’ association de défense des victimes des marées vertes », créée par les piliers de la lutte contre les algues vertes

La Cour d’appel de Rennes devra statuer le 24 mai prochain sur la responsabilité de l’employeur de Thierry Morfoisse, chauffeur décédé après avoir transporté des kilos d’algues vertes en juillet 2009 dans les côtes d’armor. L’accident du travail a été reconnu par le tribunal de Saint-Brieuc en 2018 mais pas la faute inexcusable de l’employeur. C’est dans ce contexte que vient d’être créée  » l’association de défense des victimes des marées vertes », pour leur apporter leur soutien, face à la justice.

Le décès de Thierry Morfoisse est dans toutes les mémoires, comme celui de Jean-rené Auffray, Jogger mort en 2016, le long de la rivière du Gouessant, entre Hillion et Morieux, dans la baie de Saint-Brieuc. Un périmètre où les algues vertes sont présentes depuis des années, avec leur corollaire :  les risques d’exposition aux rejets dans l’air d’hydrogène sulfuré, produits par la décomposition des algues vertes, due aux excédents d’azote d’origine agricole .

Depuis une vingtaine d’années, des associations pionnières comme « Haltes aux marées vertes » et « Sauvegarde du Trégor-Goëlo-Penthièvre » montent au front pour dénoncer ce phénomène. Mais c’est jusqu’à présent sur le volet de la défense de l’environnement et de la faune qu’elles menaient leur combat. Une étape à été franchie ce samedi 13 mai,  avec  la création de » l’association de défense des victimes des marées vertes », regroupant plusieurs associations déjà existantes sur la question, mais souhaitant cette fois-ci apporter leur expertise aux victimes.

Avec cette nouvelle structure, on veut se regrouper indépendamment de notre combat pour la protection de la nature. On a vocation à s’occuper des victimes des algues vertes, comme sont soutenues les victimes de l’amiante ou des pesticides. Il est temps de s’en occuper. Yves-Marie Le Lay Secrétaire ‘Association des victimes des marées vertes »

Membre de cette nouvelle association, Alain Plusquellec est un riverain de la plage de la Grandville, sur la commune d’Hillion. Une fois de plus, il constate que les algues vertes sont de retour sur le rivage en ce début mai. Il a autrefois assisté au balai des camions qui chargeaient des remorques remplies d’algues pour dépolluer le site. Il connait les odeurs nauséabondes et la pollution olfactive dû à leur décomposition.

Les algues vertes dénaturent le paysage mais c’est aussi un risque pour la santé des personnes. On le voit encore, quand les touristes arrivent dans le secteur, à cause des odeurs, ils font demi-tour, même si les plages ne sont pas interdites.

Alain Plusquellec Membre « Association de défense des victimes des marées vertes »

Cette nouvelle structure voit le jour quelques mois avant la sortie sur les écrans du film :’ » les algues vertes’ » le 12 juillet prochain .

13/05/2023 Catherine Jauneau

https://france3-regions.francetvinfo.fr/

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14 mai 2023 ~ 0 Commentaire

jancovici (rmc)

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03 mai 2023 ~ 0 Commentaire

el niño (france info)

Climat : le monde doit se préparer à des températures records provoquées par El Niño, avertit l’ONU

Selon l’Organisation météorologique mondiale, le phénomène a 80% de chance de se développer d’ici à la fin septembre.

Le phénomène météorologique El Niño a de fortes probabilités de se former cette année et pourrait faire grimper les températures jusqu’à battre de nouveaux records de chaleur, dans un contexte de réchauffement climatique. C’est la mise en garde lancée mercredi 3 mai par l’Organisation météorologique mondiale (OMM), qui dépend de l’ONU. Elle estime désormais qu’il y a 60% de chances qu’El Niño se développe d’ici à la fin juillet et 80% de chances d’ici à la fin septembre.

El Niño est un phénomène climatique naturel généralement associé à une augmentation des températures, une sécheresse accrue dans certaines parties du monde et de fortes pluies dans d’autres. Il s’est produit pour la dernière fois en 2018-2019 et a laissé la place à un épisode particulièrement long de La Niña, qui provoque les effets inverses, notamment une baisse des températures. En dépit de cet effet modérateur, les huit dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées. Sans La Niña, la situation de réchauffement aurait pu être pire.

Un « nouveau pic du réchauffement climatique »

La Niña « a agi comme un frein temporaire à l’augmentation de la température mondiale » provoquée par notre consommation de charbon, de pétrole et de gaz, a déclaré le chef de l’OMM, Petteri Taalas. « Le développement d’El Niño conduira très probablement à un nouveau pic du réchauffement climatique et augmentera les chances de battre des records de température », a-t-il averti.

A ce stade, il n’est pas possible de prédire l’intensité ou la durée du Niño qui se profile. Le dernier en date était considéré comme faible, mais celui d’avant, entre 2014 et 2016, était puissant et il a eu des conséquences désastreuses. L’OMM souligne que 2016 a été « l’année la plus chaude jamais enregistrée en raison du ‘double effet’ d’un Niño très puissant et du réchauffement provoqué par les gaz à effet de serre liés à l’activité humaine ». Les effets d’El Niño sur les températures se font en général sentir l’année suivant l’émergence du phénomènemétéorologique. Son impact se fera donc sûrement plus ressentir en 2024.

Climat : le monde doit se préparer à des températures records provoquées par El Niño, avertit l’ONU

Selon l’Organisation météorologique mondiale, le phénomène a 80% de chance de se développer d’ici à la fin septembre.
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Climat : on vous explique pourquoi le retour du phénomène météo El Niño, attendu d’ici à l’automne, est redouté

Il pourrait « alimenter un nouveau pic des températures mondiales », a prévenu Petteri Taalas, secrétaire général de l’Organisation météorologique mondiale de l’ONU.

Les météorologues et les climatologues du monde entier sont sur le qui-vive. Selon les prévisions de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), dévoilées mercredi 3 mai, il y a désormais 60% de chances que le phénomène El Niño se développe d’ici à la fin juillet et 80% d’ici à la fin septembre. Certains scénarios anticipent même un « super El Niño » à venir. Franceinfo revient sur ce phénomène météorologique pour tenter d’y voir clair.

C’est quoi, El Niño ?

Il s’agit d’un phénomène météorologique qui se traduit par une hausse de la température de la surface de l’eau, dans l’est du Pacifique. Il survient de façon cyclique mais irrégulière, tous les trois à sept ans, et provoque des catastrophes climatiques, en particulier des vagues de sécheresse et des précipitations supérieures à la normale.

Le phénomène atteint généralement son intensité maximale vers la fin de l’année, d’où le nom El Niño, qui désigne aussi l’enfant Jésus, en espagnol. Son impact est mondial, explique à France 24 Jérôme Vialard, océanographe et directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement.

« C’est un phénomène tellement puissant qu’il a une influence sur le climat sur tout le globe. » Jérôme Vialard, océanographe France 24

Le journaliste de France Télévisions Nicolas Chateauneuf avait présenté le phénomène en 2016, sur le plateau du « 20 Heures » de France 2. Il expliquait alors qu’avec El Niño, la chaleur du Pacifique équatorial n’était pas poussée vers l’Asie et l’Australie, mais qu’elle restait plutôt proche de l’Amérique latine.

El Niño est à différencier de La Niña, qui a plutôt tendance à faire baisser la température des océans. Selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM), ce phénomène-là est en train de se terminer. En cours depuis 2020, cet épisode a été « exceptionnellement long et persistant », note l’OMM. Généralement, on observe une alternance entre La Niña et El Niño avec, entre les deux, des conditions neutres.

Que sait-on de son retour ?

Rien n’est certain. Nous en sommes encore au stade des probabilités. Mais elles penchent vers un retour d’El Niño. « Aujourd’hui, on observe déjà des signaux climatiques forts, qui montrent un réchauffement important de l’océan Pacifique équatorial », explique à Nouvelle-Calédonie La 1ère Thomas Abinun, climatologue à Météo France.

« C’est un signal qu’on surveille, parce que ce réchauffement de l’océan pourrait conduire à une survenue d’un épisode El Niño, à partir du second semestre. »

Thomas Abinun, climatologue à Météo France Nouvelle-Calédonie La 1ère

Ce constat est partagé sur l’ensemble de la planète. Selon l’OMM, les chances qu’El Niño se développe sont estimées à 60% d’ici à juillet et 80% d’ici à fin septembre. De son côté, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (Noaa) écrit, dans son bulletin de suivi publié le 24 avril, qu’il y a 62% de risques que le phénomène réapparaisse d’ici l’été. Un chiffre qui frôle les 90% d’ici la fin de l’année.

« Vous pouvez comparer cela à un pistolet chargé, résume auprès du quotidien britannique The Guardian Axel Timmermann, spécialiste du climat à l’université de Busan (Corée du Sud). « Le chargeur est plein mais l’atmosphère n’a pas encore appuyé sur la détente. »

Mais pourquoi parle-t-on d’un potentiel « super El Niño » ?

Le Bureau australien de météorologie rapporte que certains modèles de prévision suggèrent l’apparition possible d’un « super El Niño » pour cette année. Si le phénomène classique correspond à une augmentation de la température du Pacifique équatorial de 0,8°C par rapport à la normale, un « super El Niño » se caractérise par une augmentation d’au moins 2°C. Ces températures plus élevées entraîneraient des effets plus puissants.

Un tel phénomène est rare. Les spécialistes n’en dénombrent que trois lors des quarante dernières années : 1982-1983, 1997-1998 et 2015-2016. « Les températures en 2016 et, dans une moindre mesure, en 2015, avaient été poussées à la hausse par un phénomène El Niño exceptionnellement puissant », relevait en 2017 l’Organisation météorologique mondiale (OMM).

Il faut néanmoins souligner le niveau élevé d’incertitude et tous les scénarios évoqués doivent être pris avec une grande prudence. « Nous avons besoin de deux ou trois mois de plus pour avoir une idée plus fiable de ce qui va suivre », a prévenu Alvaro Silva, consultant à l’OMM.

Quelles pourraient être les conséquences sur le climat mondial ?

Impossible d’être précis à ce stade. El Niño « risque d’alimenter un nouveau pic des températures mondiales », avance Petteri Taalas, le secrétaire général de l’OMM. Les précédents épisodes avaient fait grimper le mercure partout dans le monde. Il faut donc s’attendre aux mêmes conséquences, d’autant que les huit dernières années (2015-2022) ont déjà été les plus chaudes jamais enregistrées sur la planète, alors que La Niña a tendance à faire baisser la température des océans.

S’il s’agit de phénomènes naturels, l’OMM rappelle qu’El Niño et La Niña s’inscrivent « dans un contexte de changement climatique induit par l’homme, qui fait augmenter les températures mondiales, affecte le schéma des pluies saisonnières et rend notre climat plus extrême ». Autrement dit, le phénomène pressenti pour l’année 2023 ne va faire que s’additionner au réchauffement climatique d’origine humaine, un réchauffement si fort que même La Niña n’a pas réussi à l’estomper.

Au-delà de l’augmentation globale des températures, les conséquences liées à El Niño sont différentes selon les zones du globe. Pour l’Amérique du Sud, il peut s’agir de pluies diluviennes avec des risques de glissements de terrain et un océan qui ne permet plus aux pêcheurs de vivre. Du côté de l’Australie, le phénomène pourrait induire un risque de sécheresse accru, augmentant aussi les risques d’incendies. La problématique de la sécheresse concerne également le continent africain et une partie de l’Asie avec une potentielle baisse des rendements de l’agriculture et une hausse des risques de famine. L’OMM illustrait déjà toutes ces conséquences dans une vidéo publiée il y a sept ans.

Un potentiel « super El Niño » cumulé à l’actuelle accélération du réchauffement climati-que pourrait donc engendrer des conséquences encore plus importantes. C’est pour cela que la surveillance est minutieuse. « Le suivi de l’oscillation entre les deux phases aide les pays à se préparer à leurs impacts potentiels », explique l’OMM.

Louis San 03/05/2023

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03 mai 2023 ~ 0 Commentaire

thons (lutte ouvrière)

thon

Thons, requins et aigrefins

Le 5 février, une majorité des membres de la commission des thons de l’océan Indien (CTOI) se prononçait pour l’interdiction annuelle, trois mois durant, de la pêche industrielle au thon dans leur région. Il s’agit évidemment de tenter de protéger une ressource, et même une espèce, menacée par la surpêche.

Chaque année, 4,5 millions de tonnes de thon sont capturées. Dans un marché mondial partagé entre quelques groupes, les armateurs européens, principalement français et espagnols, ont un quasi-monopole sur les th ons de l’océan Indien. Pour y faire passer leurs captures annuelles de quelques dizaines de tonnes dans les années 1990 à 400 000 aujourd’hui, ces capitalistes des mers ont usé de tous les moyens, techniques comme politiques.

Les thons sont attirés par des dispositifs de concentration du poisson (DCP), des radeaux dérivants équipés de balises, voire de dispositifs signalant l’arrivée du poisson. Lorsqu’une masse suffisante est réunie, attirée par la présence du plancton concentré par le radeau, le navire fait route vers le DCP, l’entoure d’un filet géant, une senne, et remonte des dizaines de tonnes d’un seul coup. Dans l’opération, d’autres espèces de poissons, des cétacés et des thons juvéniles, c’est-à-dire qui ne se sont pas encore reproduits, sont sacrifiés allègrement. On comprend que, dans ces conditions, l’océan Indien se dépeuple rapidement. De plus, chaque navire larguant plusieurs centaines de DCP à chaque campagne, l’océan est envahi de milliers de ces déchets flottants, éventuellement dangereux pour la navigation des petits bateaux.

Les thons sont débarqués dans les conserveries des Seychelles, de l’île Maurice et de Madagascar, qui emploient 20 000 travailleurs, payés naturellement au tarif local – le salaire moyen varie de l’équivalent de 60 euros à Madagascar à 470 euros aux Seychelles, îles dont le niveau de vie, le plus élevé de la région, ne repose que sur le tourisme et le thon. Les exportations de ces usines vers l’Union européenne sont détaxées, car le poisson est pêché par des armements européens. L’Union européenne a en fait organisé elle-même ce marché, ses règlements et la CTOI où, jusqu’ici, elle imposait sa loi et l’exclusivité de la ressource pour ses armateurs.

Elle a subventionné les armements, envoyé un représentant permanent dans les îles de la région, balisé le terrain dans les moindres détails. Pour plus de sûreté, le syndicat des armateurs européens au thon, Europêche, avait recruté comme porte-parole l’ancienne fonctionnaire responsable des pêches à la Commission européenne et fait savoir que les crédits de l’UE aux États riverains dépendaient de leurs votes. Ces États riverains constituent en effet, avec l’Union européenne et les territoires français, l’essentiel des membres de la CTOI. Mais, visiblement, ils n’ont pas réussi à tous les acheter cette fois-ci, et leur type de pêche est, sinon proscrit, du moins mis publiquement en accusation.

Les ONG de défense de l’environnement, au premier rang desquelles Bloom et Greenpeace, dénoncent depuis des années le massacre des thons de l’océan Indien, la ruine de la petite pêche locale et, avec un peu moins de fougue toutefois, les conditions de travail des travailleurs de ce secteur. C’est grâce à leur travail que de grands médias, comme la télévision publique française ou le journal Le Monde, ont fait connaître cette situation.

Ces ONG, présentes sur place mais surtout dans les grandes métropoles, auprès des États, de l’ONU et de la Commission européenne, crient victoire. C’est prématuré et surtout très hypocrite. En effet, pour les 100 000 petits pêcheurs de l’océan Indien, rien n’est réglé, car l’interdiction temporaire ne concerne que les eaux internationales, bien au-delà des zones de pêche de leurs embarcations. Leur voix risque d’avoir moins de portée que les protestations d’Europêche. Les représentants des armateurs européens, qui ont même le culot de prétendre défendre les emplois des travailleurs des conserveries, hurlent à la faillite. Pourtant, non seulement rien n’est encore fait, mais les armateurs et l’UE ont la possibilité de faire appel, ce qui suspendrait automatiquement l’interdiction de pêcher. La question est donc bien loin d’être réglée mais, quand bien même le serait-elle, il y a anguille, ou plutôt thon et même banc de thons, sous roche.

En effet Bloom, Greenpeace et les autres ONG qui bataillent contre les DCP et les filets géants militent pour la pêche dite durable, c’est-à-dire à la ligne. C’est en fait un autre type de travail industriel. Des bateaux sont spécialement conçus pour que des dizaines de travailleurs lancent simultanément des lignes à l’arrière, remontent les thons à une cadence infernale sur le pont derrière eux, pendant que d’autres les décrochent, les tuent et les stockent, en attendant qu’un bateau transbordeur vienne récupérer les prises. Comme dans l’océan Indien, les bancs sont repérés par les moyens les plus modernes, du satellite au sonar.

Ce type de pêche, qui a certes l’avantage de ne presque pas capturer d’autres espèces, se pratique surtout dans le Pacifique, pour des volumes encore plus importants que ceux de l’océan Indien. Cette pêche a la préférence intéressée des importateurs américains, dont la chaîne géante de supermarchés Walmart, et des importateurs britanniques et de leurs relais politiques, associatifs et médiatiques.

Sa promotion est assurée par une ONG, International Pole and Line Foundation (Fondation internationale de la canne à pêche), regroupant des armateurs, des chaînes commerciales, « durables » et classiques, des conserveries, etc. Ce sont des capitalistes de la même eau, et même de plus gros calibre que les armateurs de l’UE auxquels ils interdisent de fait de pénétrer leurs zones de pêche et leurs marchés. Les prétextes sont écologiques, cela va de soi, et étayés par une série de labels, tous plus verts et durables les uns que les autres.

Mais, alors que des prolétaires modernes opèrent sur les bateaux usines de l’océan Indien, les pêcheurs « à la ligne » du Pacifique sont bien souvent des travailleurs forcés, comme le montre une enquête de 2020, réalisée par le Business and Human Rights Ressource Center, intitulée « L’esclavage moderne dans la chaîne de production du thon du Pacifique ». Les coûts de main-d’œuvre de ce type de pêche représentant 30 à 50 % du total, les armateurs sont amenés à les réduire de plus en plus, d’autant que la rentabilité de la pêche au thon diminue avec la ressource.

Les cas de travail forcé, de quasi-esclavage, de mauvais traitements, de disparitions se multiplient dans ces pêcheries. Cela concerne des travailleurs du Sud-Est asiatique et des entreprises qui sont souvent thaïlandaises ou de droit thaïlandais, mais dont les capitaux sont américains ou britanniques et dont la pêche est labellisée durable. De plus, comme dans l’océan Indien, les pêcheurs des îles du Pacifique accusent les grands armements de les réduire à la famine en vidant leur mer. Entre le filet et la ligne, où est alors la pêche durable ?

Les considérations écologistes, quelle que soit par ailleurs leur légitimité, ne sont plus là que le travestissement publicitaire du combat pour dominer un marché. Le progrès technique, ligne ou filet, ne sert qu’à saccager plus définitivement la nature et à exploiter plus férocement le travail, faisant cohabiter le repérage par satellite et le quasi-esclavage. On ne sait ce qui est le plus révoltant, de cette criminelle course au profit ou des mensonges qui l’accompagnent.

Lutte de Classe n°231 – avril 2023

https://mensuel.lutte-ouvriere.org//

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30 avril 2023 ~ 0 Commentaire

haies (le huff’)

terres

Le nombre de haies dégringole en France, et c’est un mauvais choix face au changement climatique

Le nombre de haies sur le sol français ne cesse de diminuer. Elles sont pourtant un moyen triplement efficace de lutter contre le changement climatique.

Dans les villes, les jardins et surtout dans les champs, les haies continuent chaque jour de disparaître à une vitesse impressionnante. Pourtant elles sont très efficaces pour lutter contre la sécheresse, les inondations et la perte de biodiversité dans les campagnes françaises. Pour inverser la tendance, le ministère de l’agriculture veut « construire un pacte en faveur de la haie ». Réel changement ou mesure de façade ?

Depuis 1950, la France a éliminé 70 % de ses haies. Cela représente 1,4 million de kilomètres de végétation détruite, soit l’équivalent de deux allers-retours entre la Terre et la Lune. C’est le résultat des directives d’après guerre et des nombreux remembrements agricoles, périodes au court desquelles les parcelles françaises ont été mises en commun pour former des champs plus grands et gagner en productivité. Les arbustes qui les séparaient ont été arrachés à tour de bras.

Deux fois plus d’arrachage de haies qu’il y a dix ans

Un déboisement de massif… qui se poursuit aujourd’hui. Selon un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), depuis 2017 la France perd en moyenne 23 500 km de haies par an. Problème : c’est deux fois plus que ce que l’on arrachait dix ans en arrière. Si bien que le CGAAER estime que « l’état des haies françaises est globalement médiocre » et met en garde le gouvernement sur ses choix agricoles.

Car si la haie était autrefois démodée, elle apparaît aujourd’hui comme une solution face à bon nombre de défis posés par le changement climatique, à commencer par la sécheresse qui préoccupe déjà plusieurs régions en ce mois d’avril. « La haie permet de retenir l’eau et de la faire pénétrer dans les sols, jusqu’aux nappes phréatiques, plutôt que de la laisser ruisseler sur les terrains et provoquer de l’érosion », indique Luc Abbadie, écologue. Plantées perpendiculairement aux pentes, ces rangées de végétation limitent à la fois les risques de crues et de sécheresse.

« Face aux aléas climatiques de plus en plus intenses et fréquents, les haies et les arbres représentent une vraie solution », indique donc le rapport du CGAAER. Car ces enfilades de végétation réduisent aussi les extrêmes de températures et permettent de stocker du CO2, premier gaz à effet de serre responsable du changement climatique. Autre point essentiel : les haies favorisent la biodiversité. Pourquoi alors continuer de les décimer ?

Passée de mode, la haie va-t-elle faire son retour ?

C’est d’abord une question de mentalité : depuis soixante ans le fait d’arracher les haies est présenté aux agriculteurs comme un signe de modernité et de rentabilité pour leurs parcelles. Or cette image tend à changer dans le monde agricole, justement à cause des effets du changement climatique.

« Ces quatre dernières années, les agriculteurs ont dû faire face à des aléas climatiques de plus en plus intenses. Ils sont nombreux à se rendre compte que les haies sont une partie de la solution », constate Sylvie Monier, agronome et directrice de la Mission haies Auvergne-Rhône-Alpes. Difficile en effet de passer à côté de certains constats : « on voit par exemple dans les vignes que les haies sont efficaces pour couper les vents caniculaires du sud, qui viennent brûler les feuillages des cultures ».

« Certes les haies diminuent le rendement car elles occupent de la place sur les parcelles mais comme elles protègent contre les évènements climatiques les plus durs on gagne en sécurité et stabilité des récoltes, c’est un calcul à faire », explique Luc Abbadie.

La France métropolitaine compte aujourd’hui autour de 750.000 km de haies : c’est 70 % de moins qu’en 1950.

Pour autant, il n’est pas rentable immédiatement de planter une haie : pour les agriculteurs il faut compter une dizaine d’années pour amortir ce choix. En 2021, le gouvernement lançait en ce sens un programme intitulé « Plantons des haies ». 50 millions d’euros investis pour aider les agriculteurs à planter 7000 km de haies sur la période 2021-2022. « Un soutien utile mais éphémère », constate le CGAAER dans son rapport.

Au regard des 23 500 km de haies perdues chaque année, cet objectif de plantation paraît une goutte d’eau dans l’océan. Le CGAEER souligne que plutôt de planter, il faudrait déjà arrêter d’arracher. « Il devrait y avoir un principe fort aujourd’hui de garder ce qui est en place », estime Luc Abbadie, écologue. Depuis 2015, la PAC a interdit l’arrachage de haie. Une règle qui n’est pas respectée sur le territoire français, faute de contrôles et de sensibilisation.

Pourtant, « si nous décidons de protéger aujourd’hui les haies, nous verrons une nette différence dans vingt ans », insiste Sylvie Monier, agronome et conseillère en agroforesterie. Une solution relativement simple à mettre en place, mais « la reconquête de la haie dépendra pour beaucoup des moyens que l’État pourra mobiliser pour financer des projets », prévient le rapport du CGAAER.

29/04/2023 Maëlle Roudaut

https://www.huffingtonpost.fr/

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30 avril 2023 ~ 0 Commentaire

autoroute (rouen)

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24 avril 2023 ~ 0 Commentaire

faim (basta)

faim (basta) dans Altermondialisme
  • Neuf millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté : le retour de la faim en France ?

    « Sans des structures comme les Restos du cœur, il y aurait peut-être des émeutes de la faim », estime la chercheure Bénédicte Bonzi. Elle dénonce le développement d’un marché de la faim qui conforte le système agro-industriel.

La demande en aide alimentaire a triplé depuis dix ans. Il est difficile d’avoir des données précises sur le nombre exact de bénéficiaires, en raison notamment des doubles inscriptions – les banques alimentaires indiquent avoir accueilli 2,4 millions de personnes en 2022 contre 820 000 en 2011, sans compter les autres réseaux de distribution comme les Restos du cœur. Une chose est sûre : la proportion de personnes qui n’y ont pas recours et qui ne demandent rien est importante. Neuf millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Pour ces personnes-là, la nourriture est potentiellement une variable d’ajustement.

Les visages de la pauvreté sont multiples. Il y a beaucoup d’accidents de vie – maladies, accidents du travail, divorces, licenciements, alcoolisme – qui font basculer dans une spirale dont on se relève difficilement. Et quand on retombe, on n’essaie plus de se relever, on espère survivre à aujourd’hui.

Il y a également les personnes en attente de papier et qui ne peuvent pas travailler. Dans les « nouveaux publics », on remarque beaucoup plus de personnes âgées qui n’arrivent pas à s’en sortir avec l’augmentation des charges. Pour maintenir un toit sur la tête, elles n’ont plus d’argent pour manger… « Nouveaux venus » aussi, des travailleurs pauvres qui n’y arrivent plus.

Les étudiants sont apparus pendant le covid, car ils n’avaient plus accès aux petits boulots. Leur présence semble rester d’actualité. Les files s’allongent, sans possibilité d’en sortir, à l’heure où tout augmente sauf les revenus. Sans des structures comme les Restos du cœur, il y aurait beaucoup d’explosion de violences, de tensions, peut-être des émeutes de la faim.

« Des acteurs économiques ont développé un marché de la faim »

Ce mal-être est amplifié par le fait que des acteurs économiques ont développé un marché de la faim. À partir du moment où il est possible de récupérer de l’argent avec la détresse alimentaire des personnes, on rentre dans une logique de marché sous forme de défiscalisation et d’échanges. De grosses commandes sont faites pour nourrir les personnes qui n’ont pas les moyens de se nourrir. Tout un marché s’est développé pour fournir des produits très peu chers et de qualité insuffisante. Ce système participe d’une surproduction agricole.

Il y a deux aspects. D’une part, l’aide alimentaire est entrée dans la loi de modernisation agricole, ce qui crée un débouché en direction de l’alimentation des pauvres. Quand on parle d’accessibilité pour tous, cela interroge ! Par ailleurs, la loi Garot adoptée en 2016 visant à lutter contre le gaspillage alimentaire, n’incite pas à produire moins.

Car celui qui produit trop peut donner une partie de sa production auprès d’associations caritatives et récupérer la défiscalisation [1]. Cela n’incite pas à être dans des quantités justes ni à donner au bon moment, dans un contexte de concurrence internationale favorisant une production à moindre coût.

Les plats distribués sont constitués majoritairement de produits de la gamme la moins chère possible, d’invendus et d’invendables. Les bénéficiaires de l’aide apparaissent comme une variable d’ajustement chargée d’absorber des surplus de production et de permettre des déductions fiscales.

« Violence alimentaire »

La violence alimentaire, c’est la prise de conscience pour les bénévoles et professionnels comme pour les bénéficiaires, que l’aide alimentaire est incapable de répondre au droit à l’alimentation. Ce droit n’est pas du tout garanti en France. La violence du système alimentaire est structurelle et se ressent dans toutes les étapes de l’aide alimentaire. Elle crée des inégalités très fortes avec des conséquences sur la santé et le mental des personnes bénéficiaires – les bénévoles n’en sortent pas non plus indemnes.

L’observation fine du terrain renseigne ces violences psychologiques : on voit les personnes qui baissent les yeux, les attitudes au moment du contrôle… Être toujours dans l’aide abîme la confiance en soi. C’est une violence un peu diffuse : faire la queue tous les jours, c’est pesant, comme ne jamais pouvoir choisir… L’accumulation de petits actes du quotidien rythmés par le fait de revenir sans cesse les impacte fortement, et cela entraîne des demandes et des réponses à côté de ce que veulent vraiment ces personnes.

« Transformer tout le système alimentaire »

Grâce à l’énergie des bénévoles et des professionnels, l’aide alimentaire crée une forme de résistance. Ils ont la tête dans le guidon, font face à des personnes qui font tout pour survivre, mais ils ne sont pas là pour cogérer la pauvreté : ils sont là pour agir contre les injustices. Ils ont beaucoup de désillusions quant à ce que l’État peut apporter et ils bricolent une société parallèle. Les structures bénévoles ont bien d’autres demandes que de faire des ramasses et de passer par le Fonds européen d’aide aux plus démunis. Ils aspirent à servir des produits frais, en quantité, sans avoir à se poser la question des stocks ! Ils jonglent comme ils peuvent.

Transformer l’aide alimentaire, c’est s’autoriser à transformer tout le système alimentaire – système agricole compris – d’un bout à l’autre de la chaîne. Cela implique de sortir l’alimentation du marché pour faire démocratie, de socialiser l’alimentation et protéger les personnes des dérives du système agro-industriel.

Cela induit des réponses structurelles aux inégalités sur toute la chaîne, en donnant les moyens économiques à chacun·e de faire autrement et en le décidant démocratiquement avec de nouveaux espaces de discussion pour se réapproprier, se réancrer dans le système alimentaire : quel type de semence, d’élevage, de distribution, de transformation voulons-nous ? 

Il s’agit de ne plus laisser cette question à des experts, mais d’assumer que nous sommes toutes et tous experts, et d’être davantage dans l’éducation populaire pour que les choses changent. Depuis des années, des résistances liées à l’aide alimentaire sont à l’œuvre dans le monde paysan et les milieux populaires. La rencontre de ces résistances sera déterminante dans la transformation historique, ou non, du système alimentaire. Il nous faut sortir des logiques de jugements pour faire ensemble.

Bénédicte Bonzi est docteure en anthropologie sociale, chercheuse associée au LAIOS (laboratoire d’anthropologie des institutions et des organisations sociales). Aujourd’hui, elle accompagne les collectivités dans leurs transitions alimentaires chez Auxilia Conseil. Elle a mené pendant plusieurs années, dans le cadre d’une thèse, des travaux de recherches en lien avec les associations d’aide alimentaire.

Propos recueillis par Sophie Chapelle

21 avril 2023  Bénédicte Bonzi

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