Quelle interprétation donner à une élection où deux tiers des inscrits ont boudé les urnes ? Quoique difficilement lisibles du fait d’une abstention jamais vue, le premier tour du scrutin régional donne lieu à des enseignements paradoxaux à gauche. Témoignant de sa faiblesse structurelle face à une droite forte et bien implantée, il a aussi montré que, dans certaines régions, un chemin vers la victoire n’est pas impossible, si les différentes formations s’allient dans la cohérence au second tour.
Dimanche soir, les différentes formations tendaient néanmoins à s’autoproclamer plus victorieuses que leur voisine. Le PS se maintient dans les cinq régions qui lui restent et devrait conserver ses bastions dimanche prochain.
Il est ainsi loin devant en Occitanie et en Nouvelle-Aquitaine (où Alain Rousset brigue un cinquième mandat), et dans une moindre mesure en Bretagne, en Centre-Val de Loire ou en Bourgogne-Franche-Comté (même si la présidente sortante y est talonnée par le Rassemblement national).
« Les gens se sont raccrochés à ce qu’ils connaissaient, la gauche résiste », s’est félicité Stéphane Le Foll, maire PS du Mans. Si à un an de la présidentielle, et alors que la gauche reste en mal de leadership, cette élection régionale revêtait une dimension nationale, certains, comme le maire d’Alfortville (Val-de-Marne) Luc Carvounas, ont eu tôt fait de déduire qu’en tant que « première force politique à gauche », le PS aura « une responsabilité pour rassembler le bloc social écologiste pour 2022 ».
Voilà pour le verre à moitié plein. Pour le reste, sur la totalité du pays, le PS voit son score national régresser d’au moins 7 points par rapport à 2015 (passant de 23,5 % au premier tour il y a six ans à 15,8 % aujourd’hui) , et n’arrive en tête à gauche que dans les régions où le parti est sortant.
Autre déconvenue : dans la très symbolique région Île-de-France, la liste d’Audrey Pulvar, soutenue par Anne Hidalgo, putative candidate socialiste à la présidentielle, rassemble autour de 11 % de suffrages. Elle arrive de peu devant sa concurrente de La France insoumise (LFI), Clémentine Autain, mais derrière Julien Bayou, secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), premier du trio à près de 14 %.
La région sera observée à la loupe la semaine prochaine : « En Île-de-France, le rassemblement de la gauche [PS, LFI et le PCF– ndlr] se fera sans difficulté autour de Julien Bayou au second tour, indiquait, dimanche soir, à Mediapart, Alain Coulombel, porte-parole des Verts. Valérie Pécresse est à 34 % et nous aussi : avec une belle liste d’union, c’est jouable, s’il y a une triangulaire », ajoutait-il, sans toutefois rappeler qu’en 2015, le « total gauche » était de près de 6 points supérieur à celui de 2021
. « Maintenant, il nous revient de créer la surprise d’ici dimanche », a déclaré, Julien Bayou, qui, contrairement à la campagne du premier tour, peut espérer lancer une dynamique sur cette hypothèse de victoire.
Mais là encore, le détail des résultats doit inviter à une interprétation nuancée. Si le scrutin francilien peut procurer quelques satisfactions aux écologistes, il ne doit pas pour autant masquer un score globalement décevant. Loin de la « vague verte » des municipales – qu’il fallait déjà relativiser –, les Verts, qui avaient fait des régionales une étape décisive dans leur opération de conquête du pouvoir et de l’hégémonie à gauche, ne font que renouer avec leur score de 2010, totalisant autour de 13 % des voix au niveau national.
Il y a quelques mois encore, Yannick Jadot ou Éric Piolle, deux des « présidentiables » du parti, affirmaient pouvoir emporter trois, voire quatre régions. Désormais, seul Matthieu Orphelin, ex-député LREM, passé auparavant par EELV, et parti aujourd’hui à la tête d’une alliance insolite avec LFI, semble en position de force les Pays de la Loire où il devance le candidat socialiste.
Un processus de « remplacement » de la social-démocratie par l’écologie là où le PS n’est pas sortant, observé aux municipales l’an dernier, qui se confirme dans certaines régions, comme en Auvergne-Rhône-Alpes où Fabienne Grebert devance la socialiste Najat Vallaud-Belkacem.
« Vu l’abstention, on peut difficilement tirer un enseignement national de ce scrutin. La seule chose qu’on peut dire, c’est que si on part séparés, on sera trop faibles pour atteindre le second tour de la présidentielle », avance Alain Coulombel.
L’union, martingale de la victoire ? Peut-être, mais pas dans toutes les situations, comme en témoigne le résultat dans les Hauts-de-France. La seule liste unitaire de gauche de l’Hexagone au premier tour, qui rassemble, derrière l’écologiste Karima Delli, huit formations (de LFI au PS, en passant par le PCF et Génération·s), faisait figure d’exemple à suivre. Elle n’a totalisé que 18 % des voix. Soit dix points de moins que le total gauche en 2015, et le même score du seul candidat du PS de l’époque, Pierre de Saintignon.
Parasitée par les élections départementales, qui ont eu lieu le même jour, où les gauches s’affrontent sur des dizaines de cantons, la campagne dans le Nord n’est pas à la hauteur des espérances, même si la gauche retrouvera des sièges dans l’hémicycle régional qu’elle avait quitté, six ans durant, après s’être retirée en 2015 pour faire barrage au Front national. « Mais il n’y a plus de risque RN, donc on entre dans une autre campagne », souligne-t-on dans l’entourage de la candidate.
En revanche, en Paca, le risque RN est toujours là, ce qui n’a pas manqué de susciter des tensions. Comme un autre signal que l’union n’est pas une mince affaire, les bisbilles sont apparues publiquement entre Verts et socialistes dès dimanche soir – quand on aurait pu espérer des médiations privées préalables.
En cause, le maintien ou non de la liste de Jean-Laurent Félizia, le candidat EELV d’union de la gauche (hors LFI), crédité de 15 % des voix face à la droite et à l’extrême droite en Paca. Dans la nuit de dimanche à lundi, la direction des Verts a annoncé qu’elle retirerait le logo au tournesol à Jean-Laurent Félizia s’il maintenait sa candidature au second tour.
Enfin, alors que La France insoumise ambitionnait, elle aussi, « remplacer » la « vieille gauche » lors de sa campagne présidentielle de 2017, elle ne tire aucun profit de l’affaiblissement général de la gauche.
Au contraire. En Bretagne, Nouvelle-Aquitaine et Occitanie, où le mouvement de Jean-Luc Mélenchon présentait des candidats « autonomes » ( en alliance avec le NPA dans les 2 dernières), aucune des têtes de liste ne se qualifie au second tour, toutes réalisant des scores aux alentours de 5 %.
Seule Clémentine Autain sort honorablement de sa campagne en région parisienne, l’une des places fortes du mouvement – près de la moitié des députés du groupe parlementaire sont issus de Seine-Saint-Denis (93). Alliée aux communistes, elle recueille un peu plus de 10 % des suffrages, soit presque 4 points de plus que le Front de Gauche en 2015.
Dimanche, à 20 h 05, Jean-Luc Mélenchon est apparu en direct de son QG de campagne dans le 10è arrondissement parisien, pour un discours sombre et bref.
Insistant sur cette nouvelle « grève des urnes » et le « désastre démocratique » révélé par l’abstention, il a regretté, en filigrane, les divisions de la gauche – et parfois le refus des autres partis de faire coalition avec LFI, comme en Paca (et Bretagne ) –, et l’absence d’accord national entre les partis. Il a aussi appelé à ne « pas donner de région » au Rassemblement national.
mardi 22 juin 2021 Pauline Graulle tiré de médiapart.fr
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