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07 mars 2025 ~ 0 Commentaire

Féminicides ( Basta)

Une manifestation des femmes avec des pancartes "Stop féminicides"
Manifestation du 8 mars 2020 à Paris. CC BY 2.0 Deed Jeanne Menjoulet 

Contre les féminicides : un combat mondial

À travers la planète, des hommes tuent des femmes et des filles parce qu’elles sont femmes et filles. Le féminicide est un phénomène mondial. De la Colombie à la Grande Bretagne, des médias disent « ça suffit » et appellent les autorités à agir.

Portrait de Rachel Knaebel
L’édito international de Rachek Knaebel. Pour découvrir notre revue de presse « Chez les indés – International », inscrivez-vous ici.

Le 8 mars, c’est la journée internationale des droits des femmes. Mais c’est tous les jours que des femmes et des filles sont victimes de féminicides. En France, en 2023, il y a eu 93 féminicides et 319 tentatives recensées. Et 135 féminicides en 2024. Mais le phénomène est, évidemment, mondial, et alerte les médias.

« Entre janvier et décembre 2024, 886 femmes ont été victimes de féminicides en Colombie, selon l’Observatoire colombien des féminicides. C’est l’année avec le plus grand nombre de cas depuis 2018 », lorsqu’un registre réalisé par la société civile a commencé, signale la revue féministe latino-américaine Volcánicas. « Les autorités colombiennes ont signalé que 44 de ces féminicides concernaient des filles », ajoute la média. Ce qui « nécessite des mesures institutionnelles urgentes pour garantir leur vie », pointe la revue.

Filles et adolescentes en danger en colombie

« La nuit du 18 janvier, la Plaza de la Libertad de Chiquinquirá, Boyacá (un département de Colombie), était remplie de ballons et de bougies blanches. Des chants demandent que justice soit faite après la disparition d’une jeune fille », rapporte le site dans un reportage. Il s’agit en de Laura Valentina Páez Velandia, 9 ans.
Elle a disparu le 16 janvier, « au milieu d’une promenade de routine ». Son corps a été découverte cinq jours plus tard. Un homme a été mis en cause et arrêté.

Autonomie mise à mal

Certaines régions du pays sont plus touchées que d’autres par ces meurtres, qui ont des effets sur toute la société. « Ces cas de féminicides représentent également une violence symbolique à l’égard d’autres filles et adolescentes, qui voient leur autonomie mise à mal lorsque leurs amies, leurs voisines ou des filles et adolescentes du même âge qu’elles se font assassiner », dit Natalia Escobar, de l’Observatoire colombien pour l’égalité des femmes.

« La violence contre les filles, les adolescentes et les femmes continue d’augmenter et les mesures institutionnelles pour la prévenir font toujours défaut », accuse aussi Volcánicas. Le cas de l’Argentine donne raison à la revue. Là, le gouvernement du président Milei a annoncé « qu’il abrogerait le crime de féminicide du code pénal, ce qui constitue un revers majeur dans la lutte contre la violence fondée sur le genre », notait une chercheuse dans la revue The Conversation fin janvier.

Des autorités qui prennent ces morts au sérieux devraient déjà enquêter précisément sur le phénomène. Et pendant des années, les données ont manqué. Le quotidien britannique The Guardian révèle ainsi cette semainequ’au Royaume Uni, près d’une femme sur dix décédée aux mains d’un homme au cours des 15 dernières années « était une mère tuée par son fils ».

Des mères tuées par leurs fils

C’est ce que montre un rapport publié début mars par une organisation de la société civile : « Les données analysant la mort de 2000 femmes tuées par des hommes depuis 2009 ont donné un aperçu sans précédent du fléau caché qu’est le matricide, avec plus de 170 mères tuées par leurs fils. »

Le rapport conclut que la mauvaise santé mentale a joué un rôle dans 58% des cas de matricide. Selon Karen Ingala Smith, cofondatrice du groupe Femicide Census, les femmes sont souvent amenées à « payer le prix » des échecs de l’État, les fils en souffrance psychique n’ayant pas été pris en charge par le système de santé et social.

« La violence masculine à l’encontre des mères est une réalité largement méconnue mais brutale, dit elle. Ce que nous voyons dans ces chiffres n’est que la partie émergée de l’iceberg. Il s’agit des femmes qui ont été tuées, mais il y a bien d’autres victimes cachées qui vivent leur vie dans la détresse la plus totale. »

Les gouvernements doivent agir

Les chiffres analysés par l’organisation britannique montrent par ailleurs que sur l’ensemble des 2000 cas de féminicides étudiés, « 90 % des meurtriers sont des membres de la famille, des partenaires ou des connaissances de la victime, tandis que 61 % des femmes ont été tuées par un partenaire actuel ou ancien. Environ 80 % des meurtres ont été commis au domicile de la victime ou de l’auteur. 61% des femmes ont été tuées par un partenaire actuel ou ancien, 9% des femmes ont été tuées par leur fils, 6% par d’autres membres de la famille, 15% par d’autres hommes qu’elles connaissaient et 10% par quelqu’un qu’elles ne connaissaient pas. »

Les nouvelles statistiques sur les cas de mères tués par leurs fils « ont conduit à des appels au gouvernement pour qu’il prenne des mesures spécifiques afin de lutter contre le matricide, et d’apporter un soutien aux victimes », écrit The Guardian. Le gouvernement du Royaume-Uni, et les autres à travers le monde, entendront-ils enfin ces appels ?

7 mars 2025 Rachel Knaebel

https://basta.media/

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27 février 2025 ~ 0 Commentaire

PKK (El Diario)

kurdes

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 Le chef de la milice kurde du PKK en Turquie demande à ses partisans de déposer les armes
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Les combats entre la Turquie et le Parti des travailleurs du Kurdistan, considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis et l’UE, ont commencé en 1984 et ont fait environ 40 000 morts.
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La Turquie, en suspens sur une éventuelle fin du conflit avec le PKK après quatre décennies de combats
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Abdullah Öcalan, leader du Parti des travailleurs du Kurdistan – déclaré organisation terroriste par l’UE, les États-Unis et la Turquie – a appelé à déposer les armes depuis la prison où il est emprisonné depuis 26 ans.
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Dans une lettre adressée au parti politique pro-kurde DEM (Parti de l’égalité et de la démocratie), Öcalan a déclaré qu’il assumait la « responsabilité historique » de cet appel et a demandé à tous les groupes de faire de même et au PKK de se dissoudre.
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 Le DEM a rendu visite au leader en prison ce jeudi et lui a ensuite transmis son message. Le parti pro-kurde a formé un groupe de contact connu sous le nom de Délégation Imrali (du nom de l’île où Öcalan est emprisonné) et a rendu visite à trois reprises au fondateur du PKK, un événement rare en 26 ans d’isolement.
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La dernière visite à Imrali remonte à presque quatre ans. Öcalan a fondé le PKK en 1978 avec une base séparatiste marxiste-léniniste et en 1984, le groupe a commencé une lutte armée contre le gouvernement turc pour créer un État kurde.
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Öcalan est en prison depuis 1999 et le conflit entre les forces de sécurité turques et le PKK a fait environ 40 000 morts en quatre décennies. Dans les années 1990, le PKK a modifié son objectif en faveur d’une plus grande autonomie du peuple kurde au sein de la Turquie et a défini son idéologie comme un « confédéralisme démocratique ».
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Les négociations entre Öcalan et la Turquie ont débuté l’année dernière et l’un des premiers signes publics a été la déclaration du leader ultranationaliste Devlet Bahceli. Le président du Parti du mouvement nationaliste (MHP), dans un virage à 180 degrés, a invité le fondateur du PKK à s’adresser au Parlement turc pour annoncer le démantèlement de l’organisation et ouvrir la possibilité de sa libération après plus de 25 ans de prison. .
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« L’appel lancé par M. Devlet Bahceli, ainsi que la volonté exprimée par le président [Recep Tayyip Erdogan] et les réponses positives d’autres partis politiques, ont créé un environnement dans lequel j’appelle à déposer les armes », a expliqué Öcalan dans sa lettre. .
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De même, il salue tous ceux qui « croient à la coexistence » et qui attendent cet appel, sur lequel des spéculations circulent depuis des semaines. «Les deux précédents dialogues d’Ankara avec le PKK (2009-2011 et 2013-2015) ont lamentablement échoué, entraînant de nouvelles violences et érodant la popularité du président. Cette fois, Erdogan s’est montré plus calculateur lorsqu’il s’agit de publier des mises à jour sur la diplomatie du PKK », a récemment noté l’analyste Soner Cagaptay, chercheur sur la Turquie au groupe de réflexion du Washington Institute et auteur de plusieurs livres sur Erdogan. .
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Öcalan n’a pas officiellement dirigé le PKK depuis des décennies, mais il est considéré comme le principal dirigeant de l’organisation et ses dirigeants ont déclaré publiquement qu’ils écouteraient les messages d’Öcalan et agiraient en conséquence. .
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La Turquie, en suspens sur une éventuelle fin du conflit avec le PKK après quatre décennies de combats Pourtant, les experts ont exprimé des doutes quant à la concrétisation de son message. «Certains anciens dirigeants soupçonnent peut-être que la Turquie ne fera pas de concessions similaires à l’assignation à résidence proposée à Öcalan. .
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En fait, certains craignent probablement d’être tués par l’Organisation nationale de renseignement turque (MIT), même si on leur promet une amnistie à court terme en exil. « Des commandants plus âgés pourraient également s’opposer à la dissolution complète ou immédiate du PKK sans atteindre aucun de leurs objectifs initiaux, un résultat qui pourrait suggérer qu’ils ont gâché leur vie en vain », affirme Cagaptay.

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 Javier Biosca Azcoiti 27 février 2025

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12 février 2025 ~ 0 Commentaire

Palestine Québec

Palestine Québec dans International

Voici les informations sur les soirées d’information organisées par la Coalition du Québec URGENCE Palestine :

« PALESTINE, une histoire qui n’a pas commencé le 7 octobre 2023 : LES RACINES DU GÉNOCIDE À GAZA » : une série de cinq soirées d’information organisées par la Coalition du Québec URGENCE Palestine

Pour contribuer à mieux comprendre la situation de la Palestine au-delà du discours dominant et à développer la solidarité, la Coalition du Québec URGENCE-Palestine a préparé une série de CINQ SOIRÉES D’INFORMATION. Ces soirées porteront sur l’histoire de la dépossession du peuple palestinien, les enjeux géopolitiques qui l’ont traversée, la constance de la complicité du Canada, et les mouvements de la résistance palestinienne.

Ces soirées seront offertes par webinaire ET en présentiel à la salle A-4180, Département de géographie, UQAM, Montréal. Les soirées seront enregistrées et rendues disponibles par la suite sur la chaîne Youtube de la Coalition.

26 février, 19 h : De la naissance du sionisme à la Nakba (1897-1949)
Avec Dyala Hamzah et Yakov Rabkin

Le projet sioniste et la colonisation de la Palestine. Le plan de partition de la Palestine, la Nakba et la création de l’État d’Israël.
Pour s’inscrire au webinaire de la première soirée, vous pouvez déjà remplir ce formulaire.

12 mars, 19 h : Du nettoyage ethnique au génocide (1967- 2025)
La colonisation et l’occupation étendues à toute la Palestine et l’instauration d’un régime d’apartheid. L’échec des processus de paix. Le blocus et les guerres d’Israël à Gaza, jusqu’au génocide actuel.

2 avril, 19 h : La Palestine au cœur d’enjeux géopolitiques complexes
Le peuple palestinien pris dans un imbroglio d’intérêts géopolitiques et d’enjeux régionaux qui font aussi obstacle à l’autodétermination. L’impunité israélienne au mépris du droit international.

23 avril, 19 h : L’hypocrisie de la politique canadienne
Le soutien inconditionnel du Canada à Israël depuis sa création. Collaborations militaires, économiques, culturelles, etc. Un mouvement de solidarité avec la Palestine qui peine à se faire
entendre.

14 mai, 19 h : Les mouvements de résistance palestinienne
Les racines de cette résistance. Son développement à vaste échelle depuis 1967. Lutte armée, Intifada, BDS, Grande marche du retour, organisation de la société civile. Les divisions entre l’Autorité palestinienne et le Hamas.

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12 février 2025 ~ 0 Commentaire

Sarko

Sans titre 1

France :P rocès de Nicholas Sarkozy.

Infamie ou simulacre de condamnation ?

Les déboires de l’ancien Président, Nicolas Sarkozy, n’en finissent pas ! Jugé depuis le 6 janvier et jusqu’au 10 avril par le Tribunal de Paris pour corruption, recel de détournement de fonds publics, financement illégal de campagne et association de malfaiteurs, il est sous bracelet électronique.

A force de s’abreuver cupidement et goulûment de la puissance de son pouvoir népotique et d’en faire un passe-droit contre la Loi, l’ex chef d’Etat, Nicolas Sarkozy, 70 ans, réfute de clore sa carrière politique tel un vulgaire justiciable. Un roturier de la Droite française, tombé du haut ! Lui qui, en 2005 en déplacement à Bobigny, en qualité de ministre de l’Intérieur, signait et persistait de « nettoyer la cité au Kärcher ! ».

Quel mépris à la personne humaine des quartiers défavorisés !

Anéanti, l’homme traine aujourd’hui sa déchéance politique comme un forçat son boulet. Débouté par la Cour de Cassation, il s’en prend à la Justice française et la menace par la saisine de la Cour européenne des Droits de l’Homme.

Factuellement, il demeure le seul Président français condamné, ce vendredi 7 février 2024, par le Parquet de Paris à porter un bracelet électronique dans « l’affaire des écoutes ». Un scandale politicofinancier sur fond d’un non-dit, à savoir la liquidation préméditée du leader libyen Mouammar Kadhafi et des témoins du sérail. L’opération aurait été ourdie par l’ex chef de l’Etat, un Philosophe notoirement islamophobe et quelques sbires.
Ce procès dans lequel Sarkozy est condamné à 1 an de prison ferme, va durer 4 mois au Tribunal de Paris. Hier, face à la présidente, Mme Nathalie Gavarino, le prévenu – accablé par les témoignages des responsables libyens faisant état d’un financement de sa campagne présidentielle – a nié en bloc tout versement pécuniaire libyen de sa 1ère campagne électorale de 2007.

A la barre, il déclare : « Je confirme que je n’ai reçu aucun financement libyen. Jamais ! Jamais ! Jamais, je n’ai reçu un centime de Kadhafi. Les innocents ont le droit de s’indigner  ».

Furibond, il balaie d’un revers de main la rencontre avec le fils du dirigeant libyen, Seif El Islam : « Je ne l’ai jamais rencontré ni échangé avec lui. Ce ne sont que des ragots  ».

Déployant son art de plaidoirie d’ancien Avocat maîtrisant le Droit, il défie la juge et bat en brèche les témoignages à charge des sept dignitaires libyens : «  L’idée d’un virement de 50 millions d’euros qui ne laissent pas de trace, est une idée baroque ! Qu’est-ce que c’est ces gens-là ? Quelle est leur crédibilité ? 50 millions à Genève, ça n’a aucun sens. C’est même gênant pour la Justice française, que des gens racontent n’importe quoi ! » s’insurge-t-il.

Excédé, Sarkozy perd ses nerfs : «  Je me défends depuis 3h30 sur des témoignages d’hurluberlus et je dois maintenant répondre sur des comptes Cactus de Monsieur Gaubert avec lequel je n’ai plus de rapport depuis 1995 et un compte de Monsieur Takieddine, c’est fort de café ».

Décidemment certains élus de la République nous rappellent fidèlement les Hold-Up du Western américain. Ils se partagent le magot et disparaissent dans la nature, chacun leur côté !

Les cols blancs de la Droite sévissent ainsi depuis des années. Leurs démêlés nauséabonds avec la Justice s’inscrivent dans la légitimé de dinosaures véreux, réhabilités avec suffisance !

Outre les 12 prévenus mis en cause dans cette sordide et avilissante entreprise, digne de la Camorra cilicienne, deux anciens Ministres, et non des moindres, de la même famille, Claude Guéant et Brice Hortefeux, sont soupçonnés d’avoir pris part à un « Pacte de Corruption ».

Une ignominie qui n’a pas empêcher Sarkozy de narguer le Peuple en s’adonnant à un footing, escorté par des gardes du corps.

D’où le déchaînement des réseaux sociaux : «  Il mérite la prison sans ménagement de peine. Mais il a encore des amis très puissants qui le protègent » peut-on lire. « Sarko, prison à vie pour l’assassinat de Kadhafi ! ». « Nous avons été gouvernés par des voyous !  » écrit une citoyenne.

Nicolas Sarkozy avait touché le Graal de la notoriété à lui donner le tournis. Il se délectait du Pouvoir comme l’oiseau-mouche le nectar de la fleur. Futé comme un renard, il s’est édifié et consolidé un Empire relationnel à faire plier la République. Bourgeoisie française, puissants Industriels, patrons de médias, lui déroulaient le tapis rouge en pleine disgrâce. Brûlé par le feu de la culpabilité, il pond un ouvrage « Le temps des combats » pour le chevet de ses amis (es) intimes et promet de reprendre vie dans ses cendres, tel un Phénix.

Piégé par l’affront, Sarkozy ne remettra pas de sitôt !

O.H
INFOLETTRE mardi 11 février 2025  Omar Haddadou

https://www.pressegauche.org/Infamie-ou-simulacre-de-condamnation

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10 février 2025 ~ 0 Commentaire

Climat (Médiapart)

Climat (Médiapart) dans Crise

Illustration : Justine Vernier pour Mediapart.

Climat : le réchauffement approche du point de bascule irréversible

Pour la première fois, la température moyenne du globe sur une année a dépassé de 1,5 °C les températures préindustrielles. Un seuil au-delà duquel des pertes irréversibles et des crises à répétition sont à prévoir, comme le soulignent les chercheurs depuis des décennies.

L’année 2024 restera-t-elle dans les annales comme « l’année du dépassement » ? Le moment où l’humanité a franchi le seuil symbolique d’un réchauffement de plus de 1,5 °C par rapport à la période préindustrielle ? Ce seuil, considéré comme une « barrière de sécurité », les chefs d’État s’étaient engagés à ne pas le dépasser en 2015, lorsqu’ils ont signé l’accord de Paris. À la lecture des derniers bilans climatiques, le constat est implacable.

Les dix années les plus chaudes jamais enregistrées se trouvent toutes dans la dernière décennie 2015-2025. Avec une température moyenne mondiale de 15,10 °C, l’année 2024 a gagné 0,12 °C par rapport à 2023, qui était jusqu’alors en haut du podium.

Trois saisons sur quatre (hiver, printemps, été) ont connu des pics inédits. Et 2024 rafle aussi la médaille d’or de la journée la plus chaude jamais mesurée : il a fait 17,16 °C le 22 juillet sur l’ensemble du globe.

À ces tristes records s’en ajoute désormais un nouveau : après avoir consolidé six jeux de données internationales, l’Organisation météorologique mondiale a annoncé que la température moyenne à la surface du globe durant l’année 2024 a dépassé de 1,55 °C (avec une marge d’incertitude de ± 0,13 °C) la moyenne de la période 1850-1900.

Ce dépassement ponctuel ne signifie pas que nous ayons échoué à atteindre les objectifs de l’accord de Paris, peut-on lire dans tous les bilans récemment publiés sur le climat 2024 (celui de Copernicus – le programme d’observation de la Terre de l’Union européenne, mais aussi celui de la Nasa ou encore du Service météorologique du Royaume-Uni). Pour confirmer que ce seuil est bel et bien dépassé, il faut attendre « au moins deux décennies », insistent les expert·es.

Un délai jugé trop long par certains climatologues, qui pointent « le risque de retarder la reconnaissance et la réaction au point de franchissement ». Dans un article publié en décembre 2023, dix d’entre eux proposaient une autre manière de déterminer le moment où ce seuil serait franchi, « en combinant les observations des dix dernières années avec les projections ou prévisions des modèles climatiques pour les dix prochaines années ».

Alors, bien sûr, le climat se mesure sur des décennies, et non sur quelques mois. Sauf qu’en réalité, d’après les données européennes, ce dépassement serait antérieur à 2024 : tous les mois depuis juillet 2023, à l’exception de juillet 2024, ont dépassé ce seuil de 1,5 °C. Et vu le rythme actuel du réchauffement (+ 0,2 °C par décennie depuis 1971 sans aucun signe de ralentissement, bien au contraire), la probabilité de dépasser 1,5 °C durant les deux prochaines décennies est quasi certaine.

D’autant plus qu’un autre record est attesté pour 2024 : celui du taux de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère, qui atteint désormais 422 parties par million. En outre, contrairement aux multiples engagements des États, ce taux augmente de plus en plus rapidement. « En Europe, nos émissions ont diminué, mais globalement, elles continuent d’augmenter à un taux plus important que les années précédentes », détaille Laurence Rouil, directrice du programme de surveillance de l’atmosphère pour Copernicus.

 Des conséquences déjà visibles

« On n’est clairement pas dans les clous pour tenir ce seuil de 1,5 °C », reconnaît Wolfgang Cramer, impliqué dans les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) depuis 1992. Ce directeur de recherche au CNRS fait le lien entre ce réchauffement et les nombreux événements climatiques extrêmes qui ont marqué 2024, comme les inondations dans la région de Valence, en Espagne, en octobre 2024.

De fait, ces fortes températures de l’air se traduisent inévitablement par des records de chaleur dans les océans, ainsi que par des quantités record de vapeur d’eau dans l’atmosphère. Or, ce sont là les ingrédients parfaits pour nourrir les phénomènes de précipitations extrêmes et le développement de cyclones.

Ailleurs, ce réchauffement entraîne des périodes de sécheresse de plus en plus longues, créant les conditions idéales pour des départs de feux. On a bien sûr en tête les incendies de Los Angeles, en ce début d’année. Mais l’année 2024, comme 2023, est également marquée par de nombreux mégafeux de forêt, en particulier sur le continent américain.

Et ces énormes incendies nous plongent dans un cercle vicieux dangereux. Car non seulement ces forêts et ces prairies qui partent en fumée n’absorberont plus une partie du carbone de l’atmosphère pour croître, comme elles le faisaient jusqu’alors, mais en plus, le carbone qu’elles avaient patiemment accumulé dans les troncs, les tiges, les feuilles ou les racines finit par être relargué dans l’atmosphère.

«  2024 apparaît effectivement comme une année où la végétation n’a pas joué autant son rôle de puits de carbone, par comparaison avec les années précédentes, signale Laurence Rouil. Et l’on considère désormais que ces mégafeux représentent environ 20 % des émissions totales de CO2. »

 2024 : année hors norme ?

Bref, on voit mal comment 2024 pourrait ne pas représenter la première année d’un dépassement appelé à durer. À moins, comme le soulignent certains, qu’elle ne reste dans les annales comme une année « hors norme ». Car au-delà de nos émissions de gaz à effet de serre, plusieurs facteurs plus conjoncturels se sont combinés pour amplifier le réchauffement.

C’est d’abord le cas de l’oscillation australe El Niño, qui modifie les courants marins tous les deux à sept ans. Apparu en juin 2023, ce phénomène climatique naturel surnommé « l’enfant terrible du Pacifique » a contribué jusqu’à l’été 2024 aux températures inhabituelles et aux événements extrêmes. Il a désormais cédé la place à La Niña, censée faire baisser – un peu – le mercure. Sauf que ce n’est pas ce qui est actuellement observé : le mois de janvier 2025 a été encore plus chaud que celui de 2024…

C’est aussi le cas du Soleil, qui connaît des pics d’activité tous les onze ans. Débuté en 2019, son cycle a atteint son maximum l’an passé, expliquant notamment les fréquentes aurores boréales observées jusqu’à nos latitudes. Ce surcroît d’énergie solaire ne participerait toutefois que de quelques dixièmes de degré au réchauffement terrestre, estiment les chercheurs et chercheuses.

D’autres facteurs de variabilité internes sont également pointés du doigt, même si l’on comprend encore mal leur impact sur le réchauffement exceptionnel de ces deux dernières années : le pouvoir réfléchissant des nuages bas qui semble diminuer ou encore les fluctuations naturelles de l’océan Atlantique.

«  Les années 2023 et 2024 ont connu une conjonction rare de variabilités climatiques naturelles qui est venue se superposer à l’influence directe des activités humaines,confirme Valérie Masson-Delmotte, du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement à Paris. La part du réchauffement attribuable uniquement aux conséquences des activités humaines est évaluée à 1,3 °C pour 2024. »

 Moins de pollution, mais plus de réchauffement ?

Une dernière « spécificité » actuelle pour le moins étonnante est notée par les climatologues. Il y a quatre ans, une réglementation internationale a permis de réduire de plus de 80 % la teneur en soufre dans le fioul utilisé par les navires. De manière ironique, ce progrès sur le plan de la pollution pourrait « expliquer en partie la hausse rapide des températures mondiales au cours des douze derniers mois », a conclu une équipe internationale de chercheurs et de chercheuses en décembre 2024.

En effet, en s’accumulant dans les basses couches de l’atmosphère, les particules de soufre renvoient une partie du rayonnement solaire vers l’espace, diminuant d’autant la quantité qui nous parvient. Elles ont donc un pouvoir refroidissant pour notre planète. En les réduisant, on pourrait donc paradoxalement augmenter – de moins de 0,1 °C – la température, en particulier dans les régions très fréquentées par les navires (Atlantique Nord et Pacifique Nord).

 Et maintenant ?

«  L’avenir est entre nos mains – une action rapide et décisive peut encore modifier la trajectoire de notre climat futur », souligne Carlo Buontempo, directeur du service Copernicus pour le changement climatique, dans le rapport 2024 des faits climatiques marquants.

Certains travaux évalués par le Giec montrent qu’il est encore possible de revenir sous ce seuil de 1,5 °C d’ici à 2100, même après l’avoir dépassé. Pour cela, il faudrait atteindre un zéro émission nette vers 2050, c’est-à-dire un état d’équilibre où la quantité de CO2 émise est équivalente à celle réabsorbée par les écosystèmes. Mais il faudrait aussi être capable de retirer du CO2 de l’atmosphère et le stocker de manière durable. « Ce qui pose de multiples questions de faisabilité, de coût, de risques, dit Valérie Masson-Delmotte. Ce n’est pas du tout certain qu’on en soit capable. »

Ces techniques dites d’émissions négatives regroupent des approches aussi diverses que le reboisement, l’agroforesterie, les « aspirateurs » à CO2, jusqu’aux projets de géo-ingénierie controversés comme la fertilisation des océans. Des solutions qui pourraient aussi devenir un prétexte pour ne pas réduire radicalement nos émissions de gaz à effet de serre. Ce que la chercheuse anglaise en politiques environnementales Rebecca Willis nomme la « dissuasion par l’atténuation ».

«  Nous ne pouvons pas être sûrs qu’une baisse de température après un dépassement soit réalisable dans les délais prévus aujourd’hui », alertait une équipe internationale de climatologues en octobre 2024 dans la revue Nature. En outre, « du point de vue de la justice climatique, le dépassement entraîne des impacts socioéconomiques et des pertes et dommages liés au climat qui sont généralement irréversibles et qui frappent plus durement les populations pauvres ».

 Points de bascule

L’enjeu est donc de limiter au maximum ce dépassement, en agissant avant tout sur nos émissions, répètent inlassablement les scientifiques. Chaque dixième de degré en plus compte, chaque choix importe. Une planète à + 2,5 °C en 2100 (comme l’anticipent 77 % des expert·es du Giec interrogé·es par le Guardian) n’est pas du tout la même chose qu’une planète à + 1,5 °C durant quelques décennies.

Car plus le mercure grimpe, plus on s’approche des points de bascule irréversible. Sont souvent cités : la fonte des calottes glaciaires – et donc l’élévation du niveau des mers et océans –, le dégel du permafrost, la disparition des barrières de corail. Mais aussi des perturbations des courants marins, des extinctions d’espèces en chaîne. Sans parler de l’excès de mortalité chez les humains, lié à la chaleur, aux événements extrêmes, aux maladies émergentes, etc. Seul espoir dans ce tableau noir : que ces points de bascule climatique se traduisent un jour en points de bascule politique.

samedi 8 février 2025,  BARNEOUD Lise

 

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09 février 2025 ~ 0 Commentaire

Afrique du Sud

 

Photo
Dessin de Yaser Abo Hamed, Australie/Cartoon Movement

Les corps émaciés remontés de l’enfer de Stilfontein, dans le nord-ouest du pays, attestent de manière choquante du succès de la stratégie de l’État sud-africain, déterminé à forcer les mineurs illégaux à “se rendre ou à mourir de faim”.

La catastrophe était prévisible – déjà une soixantaine de morts et ce n’est pas fini [à la date du 27 janvier, on compte 88 morts]. Mais ce bras de fer entre l’État et les activités minières clandestines est le fruit d’une histoire complexe. Et résoudre les problèmes qui ont conduit à cette tragédie ne sera pas facile.

Comme tant d’autres drames qui ont marqué l’histoire de l’industrie minière sud-africaine, cette catastrophe fait payer un lourd tribut aux travailleurs noirs pauvres des pays voisins qui, pendant des générations, ont été exploités pour enrichir d’autres personnes grâce aux ressources de l’Afrique du Sud.

L’arme de la faim

Les faits sont les suivants : début novembre, le service de police sud-africain (Saps) dit avoir arrêté 565 mineurs illégaux, les zama zamas [surnom des mineurs illégaux], dans le Nord-Ouest, dans le cadre de l’opération Vala Umgodi.

Dans un communiqué publié à l’époque, les policiers déclarent que les zamas remontent de la mine “poussés par la faim et la déshydratation. Les forces de l’ordre empêchent les habitants qui vivent à l’extérieur de ces mines désaffectées de porter de la nourriture, de l’eau et des produits de première nécessité aux mineurs illégaux. Grâce à cette volonté de l’État, ces mineurs illégaux sont contraints de remonter à la surface.”

L’objectif de la police était de les faire “mourir de faim” – ce sont les termes qu’elle a employés – et les résultats effroyables de cette stratégie sont désormais tangibles.

Couper l’accès à la nourriture et à l’eau est une tactique mise en place pendant des années afin de freiner l’extraction minière illégale de l’or. Il y a plus de dix ans, [la compagnie minière sud-africaine] Harmony Gold a interdit de descendre de la nourriture dans ses exploitations afin d’empêcher ses employés de faire passer en contrebande des vivres aux mineurs illégaux qui s’infiltrent dans les mines en activité et les puits désaffectés, comme celui qui se trouve près de Stilfontein.

“Il faut deux choses pour survivre sous terre : de la nourriture et de l’eau. Vous pouvez toujours trouver de l’eau au fond d’une mine, mais interdire la nourriture est très efficace”, avait alors déclaré Graham Briggs, ancien directeur général de Harmony Gold, à Reuters, en 2012.

Une stratégie rodée

Les syndicats avaient validé cette décision à condition qu’un repas copieux et gratuit soit fourni aux mineurs qui remontent à la surface à la fin de chaque période de travail. Cette politique avait été élaborée en concertation avec les syndicats par une société minière légitime afin

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03 février 2025 ~ 0 Commentaire

Soirée Débat

Soirée-débat : multinationales, quelles régulations alors que le monde brûle

Que serait un monde totalement dominé par les intérêts des multinationales ? Et comment agir pour l’éviter. A l’occasion de la sortie du livre collectif Multinationales, Basta! Et l’Observatoire des multinationales vous invitent à une soirée-débat.

Soirée Débat dans Altermondialisme

Cet article est publié dans le cadre de notre partenariat avec Observatoire des multinationales.

À l’occasion de la sortie du livre collectif Multinationales. Une histoire du monde contemporain, à paraître le 13 février,

Basta!, l’Observatoire des multinationales et les éditions La Découverte vous invitent à une soirée-débat :

Que serait un monde totalement dominé par les intérêts des multinationales ? Et comment agir maintenant pour l’éviter

Couverture du livre Multinationales, la planète Terre coiffée d'un chapeau symbolisant le capitalisme
Multinationales, le livre
La Découverte

Les multinationales sont devenues incontournables. Actrices majeures et souvent directement responsables des crises écologiques et sociales qui fracturent le monde d’aujourd’hui, elles réussissent souvent – par obstruction ou par force d’inertie – à bloquer toute action politique ambitieuse pour y faire face. Avec l’accélération des phénomènes de concentration, leur pouvoir est-il en passe de devenir hors de contrôle ? Où en est-on des efforts de régulation à leur égard – sur la fiscalité, le numérique, le climat ou le devoir de vigilance par exemple ? Tandis que l’extrême droite ne cesse de monter, que l’intelligence artificielle suscite de multiples interrogations, quelles sont les voies alternatives qui émergent ?

En présence de Sophie Binet (secrétaire générale de la CGT), Lucie Pinson (Reclaim Finance) et d’auteurs et autrices du livre dont notamment Aurore Gorius (journaliste aux Jours), Annie Thébaud-Mony (sociologue) et Dominique Plihon (économiste), ainsi que les codirecteurs du livre Olivier Petitjean (Observatoire des multinationales) et Ivan du Roy (Basta!).

Mercredi 5 février de 19H à 21H30
Académie du climat – Salle des mariages
2 Pl. Baudoyer, 75004 Paris
(Métro Hôtel de Ville, Saint Paul ou Pont Marie)

Pour participer à l’événement, s’inscrire ici

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18 décembre 2024 ~ 0 Commentaire

Lénine ( Inprecor )

Lénine ( Inprecor ) dans Altermondialisme

L’évolution de la pensée de Lénine sur la question nationale

Nous nous proposons d’analyser l’évolution de la pensée politique de Lénine sur la question nationale, sa spécificité et sa place stratégique, ainsi que les différentes options qu’il propose pour sa résolution démocratique (sécession, fédération, autonomie).

Nous distinguons essentiellement trois phases principales, liées à différentes périodes historiques, cas spécifiques et débats – notamment avec Rosa Luxemburg, mais aussi avec l’austro-marxisme, le Bund et des membres de son propre parti – jusqu’à ses réflexions et propositions finales sur la construction conflictuelle de ce qui sera la nouvelle URSS. Nous considérons que l’analyse de ses réflexions et propositions est toujours pertinente pour aborder cette question, si controversée mais bien réelle dans de nombreux conflits qui traversent notre planète.

De la IIe Internationale à la lutte contre la menace de guerre

Évidemment, nous partons du fait que Lénine aborde cette question dans le cadre général établi par les réflexions de Marx et Engels à ce sujet, ainsi que par les vifs débats qui ont lieu au sein de la IIe Internationale et, en particulier, les formules qui deviennent des références de principe, comme celles d’Engels en 1847 (« Une nation ne peut pas devenir libre et en même temps continuer à opprimer d’autres nations » 1 et surtout en 1882 lorsqu’il soutient que « le prolétariat victorieux ne peut imposer un bonheur quelconque à un autre peuple, sans saper ainsi sa propre victoire » 2. C’est une vision d’abord évolutionniste de l’histoire – qui fait confiance au dépassement progressif des antagonismes nationaux à mesure que l’on avance vers le socialisme, comme ils le soutiennent dans le Manifeste communiste – accompagnée d’une défense ouverte du droit à l’indépendance de la Pologne et de l’Irlande, et qui s’ouvre progressivement à une conception multilinéaire de l’histoire à mesure qu’ils manifestent un intérêt croissant pour l’étude des sociétés non-occidentales 3.

Leur position sur des conflits comme ceux de la Pologne et de l’Irlande influencera les débats de la IIe Internationale et se reflétera dans le consensus obtenu au congrès de Londres de 1896, qui déclare que l’Internationale « s’affirme pour le droit complet à l’autodétermination de toutes les nations ; et il exprime sa sympathie aux ouvriers de tout pays qui souffrent à l’heure actuelle sous le joug de l’absolutisme militaire, national ou autre ». C’est cependant une résolution qui est adoptée « au milieu de l’incompréhension et de l’indifférence totales » 4.

C’est également la position qui se maintiendra au sein du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) lors de son deuxième congrès en 1903 (dont l’article 9 défend le « droit à l’autodétermination de toutes les nations, y compris celles qui se trouvent aux frontières de l’État »). Lénine assume clairement cette orientation, comme le montre son article « Le problème national dans notre programme », publié le 15 juillet 1903 : il y défend le droit à l’autodétermination, entendu comme le droit à la séparation, sans pour autant être favorable à ce que son parti défende cette option et en précisant, dans une polémique avec les dirigeants du PSP polonais, qu’il ne faut soutenir la séparation « que dans des cas particuliers, exceptionnels ». Il n’est pas non plus favorable à la fédération, sauf, là aussi, dans des cas isolés, contrairement à Kautsky, partisan d’un État centralisé « non impérialiste ». De la même façon, il est partisan du centralisme démocratique au sein du parti par opposition aux propositions fédérales des sociaux-démocrates de la périphérie de l’Empire tsariste5 ou à celles d’autonomie du Bund.

De la « Grande Guerre » à la Révolution russe de 1917

C’est surtout à partir de 1913 que Lénine aborde cette question de manière plus approfondie, considérant qu’on est clairement entré dans une phase historique différente de celle qu’avaient connue Marx et Engels et que la distinction entre « nations avec histoire » et « sans histoire » n’a plus de sens. Il affirme qu’il faut défendre l’égalité des droits des nations et donc également les droits des minorités nationales au sein des États existants, sans se résigner à considérer leurs frontières comme naturelles.

Ainsi, dans « La classe ouvrière et la question nationale » 6, en mai 1913, Lénine affirme que :

« Seul, de nos jours, le prolétariat défend la liberté véritable des nations et l’unité des ouvriers de toutes les nations. Pour que des nations différentes puissent, dans la liberté et la paix, vivre unies ou bien se séparer (lorsque cela les arrange davantage) en formant des États distincts, il faut la démocratie complète dont la classe ouvrière se fait le champion. Pas le moindre privilège pour aucune nation, pour aucune langue. Pas la moindre vexation, pas la moindre injustice à l’égard d’une minorité nationale. Tels sont les principes de la démocratie ouvrière. »

Ces réflexions apparaissent plus systématiquement dans son article « Notes critiques sur la question nationale », écrit entre octobre et décembre 1913. Il y présente la Suisse comme un exemple de respect et de pratique du multilinguisme, tout en réaffirmant sa défense du droit à l’autodétermination, entendu comme droit à la séparation et non au fédéralisme ou à la décentralisation, puisqu’il réaffirme la nécessité d’un État fondé sur le centralisme démocratique. Dans cet article, il polémique également avec le Bund, rejetant l’idée d’une « culture nationale » juive et, contrairement à Otto Bauer 7, d’une « autonomie nationale-culturelle » comme option à revendiquer, bien qu’il reconnaisse que « la nation hébraïque » est « la plus opprimée et la plus persécutée » 8.

La même année, il manifeste un intérêt croissant pour cette question à partir de l’impact de la révolution russe de 1905 sur les peuples de l’Est, comme le montre son article « L’éveil de l’Asie » 9. Il y affirme que : « À la suite du mouvement russe de 1905, la révolution démocratique a gagné toute l’Asie : Turquie, Perse, Chine. Une fermentation grandit aux Indes anglaises [et aussi] et dans l’Inde néerlandaise ».

Plus tard, dans son article « Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes » (février-mai 1914) 10, il polémique avec Rosa Luxemburg en insistant sur la défetnse du droit à l’autodétermination comme droit à la séparation et à « la formation d’États nationaux indépendants », tout en précisant que le prolétariat subordonne les revendications nationales aux intérêts de la lutte des classes. Cela implique la nécessité d’une tactique différenciée vis-à-vis de la bourgeoisie de la nation opprimée :

« Pour autant que la bourgeoisie d’une nation opprimée lutte contre la nation qui opprime, nous sommes toujours pour [le droit de séparation], en tout état de cause et plus résolument que quiconque, car nous sommes l’ennemi le plus hardi et le plus conséquent de l’oppression. Pour autant que la bourgeoisie de la nation opprimée est pour son propre nationalisme bourgeois, nous sommes contre. Lutte contre les privilèges et les violences de la nation qui opprime ; aucune tolérance pour la recherche de privilèges, de la part de la nation opprimée » 11.

De même, contrairement à l’opinion de la révolutionnaire polonaise, Lénine considère comme légitime le soutien du mouvement ouvrier suédois à l’indépendance de la Norvège – obtenue par référendum en 1905 – en s’appuyant sur la position de Marx sur les questions polonaise et irlandaise, tout en continuant à prôner « la fusion des travailleurs de toutes les nations ».

Ces considérations se reflètent au sein de l’Empire tsariste et, concrètement, dans la crise qui s’ouvre dans le contexte de la « Grande guerre » inter-impérialiste. Dans ce contexte, il convient de noter l’intérêt de Lénine pour les relations russo-ukrainiennes, comme en témoigne son discours du 27 octobre 1914 à Zurich. Il y affirme que « Ce que fut l’Irlande pour l’Angleterre, l’Ukraine l’est devenue pour la Russie : exploitée à l’extrême, sans rien recevoir en retour » 12. « Ainsi, autant les intérêts du prolétariat international en général que ceux du prolétariat russe en particulier, exigent que l’Ukraine reconquière son indépendance étatique qui seule lui permettra d’atteindre le développement culturel indispensable au prolétariat. »13.

De ce fait, reprenant la dénonciation de l’Empire russe comme « prison des peuples », dans « Le socialisme et la guerre » (juillet-août 1915) 14, il caractérise le tsarisme comme un « impérialisme militaire et féodal », allant jusqu’à affirmer que : « Nulle part au monde la majorité de la population du pays n’est aussi opprimée » qu’en Russie. C’est pourquoi la défense du droit à l’autodétermination, c’est-à-dire à la séparation, apparaît comme une tâche inéluctable des partis sociaux-démocrates des pays oppresseurs, bien qu’elle doive être insérée sur la voie de « la formation plus libre, plus sûre et, par suite, plus large et plus généralisée, de grands États et de fédérations entre États, ce qui est plus avantageux pour les masses et correspond mieux au développement économique ».

De même, dans son article « La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes », janvier-février 1916 15, de nouveau face à Rosa Luxemburg, il considère la Norvège comme un exemple démontrant que le droit à l’autodétermination est « réalisable » sous le capitalisme sans avoir à attendre la conquête du socialisme. Il présente d’ailleurs cette même expérience de défense de « l’entière liberté de propagande en faveur de la séparation et la solution de ce problème par la voie d’un référendum au sein de la nation qui se sépare », bien qu’il soit contre cette option, car :

« Plus le régime démocratique d’un État est proche de l’entière liberté de séparation, plus seront rares et faibles, en pratique, les tendances à la séparation, car les avantages des grands États, au point de vue aussi bien du progrès économique que des intérêts de la masse, sont indubitables, et ils augmentent sans cesse avec le développement du capitalisme ».

Dans le même article, il n’exclut pas de défendre le droit à l’autodétermination même lorsqu’une autre « grande » puissance peut s’en saisir :

« Le fait que la lutte contre une puissance impérialiste pour la liberté nationale peut, dans certaines conditions, être exploitée par une autre “grande” puissance dans ses propres buts également impérialistes, ne peut pas plus obliger la social-démocratie à renoncer au droit des nations à disposer d’elles-mêmes, que les nombreux exemples d’utilisation par la bourgeoisie des mots d’ordre républicains dans un but de duperie politique et de pillage financier, par exemple dans les pays latins, ne peuvent obliger les social-démocrates à renier leur républicanisme ».

C’est également dans cet article qu’il développe la distinction entre trois grands groupes d’États et de pays : 1, les pays avancés d’Europe occidentale et des États-Unis (où chacune de « ces “grandes” nations opprime d’autres nations dans les colonies et à l’intérieur du pays ») ; 2, l’Europe de l’Est (où ces mouvements nationaux légitimes se forment dans des contextes de déclin des empires) ; et 3, les États semi-coloniaux et toutes les colonies (où les mouvements anticoloniaux se forgeront progressivement et doivent être soutenus). Une différenciation qu’il réaffirme, toujours dans la polémique avec Rosa Luxemburg principalement, dans « Une caricature du marxisme et à propos de “l’économisme impérialiste” » (août-octobre 1916) 16.

Rosa Luxemburg, quant à elle, soutient dans La question nationale et l’autonomie (1908) que l’entrée dans la phase impérialiste implique « le développement du grand État », condamnant ainsi l’ensemble des mini et micro-nationalités à la faiblesse politique. Il est donc illusoire, selon elle, de revendiquer leur autodétermination, puisqu’elles n’ont aucune possibilité de l’exercer face aux États impérialistes. Une thèse partagée par Karl Radek, Boukharine, Görter et d’autres marxistes radicaux (y compris Trotsky, qui maintient une position ambiguë). Cette position est contrée par Lénine, qui critique leur confusion entre le « problème de la libre détermination politique des nations dans la société bourgeoise, de leur indépendance en tant qu’État » et « la question de leur autonomie et de leur indépendance économiques » 17. La révolutionnaire polonaise considère au contraire que la tâche centrale est de mettre au premier plan les luttes de classe, anticoloniales et anti-impérialistes. Sur la base de cette position et de son analyse critique du mouvement nationaliste polonais, Rosa Luxemburg rejette fermement non seulement la défense du droit à l’autodétermination de la Pologne, mais aussi la position des sociaux-démocrates russes dans leur résolution de 1903.

Malgré ses réserves, la social-démocrate polonaise ne nie pas pour autant la nécessité pour les travailleurs de défendre « les objectifs démocratiques et culturels du mouvement national, c’est-à-dire l’établissement d’institutions politiques qui garantissent, par des moyens pacifiques, le libre développement de la culture de toutes les nationalités vivant ensemble dans le même État ». Plus tard, cependant, elle soutient les peuples des Balkans contre l’Empire turc, qu’elle considère comme non viable, et en arrive même en 1915 à défendre le droit à l’autodétermination, bien qu’elle ne le considère pas comme viable dans le cadre de l’État capitaliste. En résumé, on pourrait conclure que la révolutionnaire polonaise est tombée dans une conception économiste du problème national, ne comprenant pas que « la libération nationale des peuples opprimés est une exigence […] de toutes les masses populaires, prolétariat compris » 18.

Au contraire, nous avons vu que Lénine réaffirme dans ses articles successifs la défense du droit à l’autodétermination, c’est-à-dire à la séparation. Il établit pour cela une distinction claire entre nations oppressives et nations opprimées, ainsi qu’entre les différentes tâches des sociaux-démocrates dans les premières et dans les secondes : alors que dans les premières l’accent doit être mis sur le droit à la séparation, dans les secondes il doit l’être sur l’engagement à la libre union, bien que l’analyse au cas par cas soit toujours nécessaire.

Toujours en débat avec la majorité de ceux qui ont même rompu avec la IIe Internationale, comme le rappelle Kevin B. Anderson 19, Lénine insistera sur l’importance stratégique des mouvements nationaux anti-impérialistes. La classification par Lénine en trois groupes de pays découle précisément de l’analyse plus large et plus profonde développée dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (janvier-juin 1916) qui l’amène, par opposition aux positions développées notamment par Kautsky (qui cache le fait que l’Alsace-Lorraine est une annexion par l’Allemagne), à souligner la pertinence de la question nationale et coloniale, comme on peut le voir lorsqu’il affirme que :

« L’impérialisme est l’époque du capital financier et des monopoles, qui provoquent partout des tendances à la domination et non à la liberté. Réaction sur toute la ligne, quel que soit le régime politique, aggravation extrême des antagonismes dans ce domaine également : tel est le résultat de ces tendances. De même se renforcent particulièrement l’oppression nationale et la tendance aux annexions, c’est-à-dire à la violation de l’indépendance nationale (car l’annexion n’est rien d’autre qu’une violation du droit des nations à disposer d’elles-mêmes) » (souligné par moi).

Une autre étape importante se trouve, en juillet 1916, dans son article « Bilan d’une discussion sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes » 20. Dans cet article, comme le titre l’annonce, il fait le point sur les débats des années précédentes, insiste sur les cas de la Norvège et de l’Alsace (contre l’annexion) et réfute les arguments de ceux qui se limitent à défendre le droit à l’autodétermination pour les seules colonies. En outre, il met particulièrement l’accent sur son soutien résolu à l’insurrection irlandaise de Pâques 1916 contre ceux qui, dans ses propres rangs, comme Karl Radek, la critiquent en la considérant comme le simple « putsch » d’un « mouvement nationaliste purement urbain et petit-bourgeois ». Pour Lénine en revanche, ce soulèvement populaire devient un exemple clair de ce qu’il avait déjà souligné dans son ouvrage sur les conséquences de la crise impérialiste dans le contexte de la « Grande Guerre », puisqu’il « démontre néanmoins que des foyers d’insurrections nationales, surgies en liaison avec la crise de l’impérialisme, se sont allumés à la fois dans les colonies et en Europe ; que les sympathies et les antipathies nationales se sont exprimées en dépit des menaces et des mesures de répression draconiennes. » (21, souligné dans l’original).

Toujours en juillet 1916, le leader bolchevique écrit À propos de la brochure de Junius22, en référence au texte publié par Rosa Luxemburg la même année « La crise de la social-démocratie » et signé sous le pseudonyme de Junius. Dans son commentaire, on observe à nouveau des visions différentes de l’avenir des guerres de libération nationale. Ainsi, après avoir loué cet ouvrage comme « un excellent ouvrage marxiste, [dont] il est tout à fait possible que les défauts aient, jusqu’à un certain point, un caractère fortuit », il poursuit en soulignant que « le principal de ces défauts [...] est le silence de l’auteur sur le lien entre le social-chauvinisme [...] et l’opportunisme ».

Il considère qu’« étendre le jugement porté sur la guerre actuelle [il se réfère à la Grande Guerre commencée en 1914] à toutes les guerres possibles à l’époque de l’impérialisme » reviendrait à « oublier les mouvements nationaux contre l’impérialisme » (souligné dans l’original). Contre cette position, il soutient donc que « des guerres nationales ne sont pas seulement probables, mais inévitables à l’époque de l’impérialisme, de la part des colonies et des semi colonies » et que « même en Europe, on ne peut considérer que les guerres nationales soient impossibles à l’époque de l’impérialisme ». Ces dernières, insiste-t-il, sont non seulement inévitables, mais aussi « progressives, révolutionnaires », bien que leur succès dépende de divers facteurs, dont « une conjoncture internationale particulièrement favorable » (soulignés dans l’original).

À nouveau, on peut voir derrière cette controverse des conceptions différentes des conséquences de l’entrée dans la nouvelle étape impérialiste et la Grande Guerre, qui impliquent des divergences sur la question nationale et la place de la revendication du droit à l’autodétermination, ainsi que sur la tactique qui peut en découler, non seulement dans les colonies, dont la révolutionnaire polonaise soutient les luttes, comme le reconnaît Lénine, mais aussi en Europe. Les développements futurs donneront, à notre avis, raison au leader bolchevique.

De la révolution russe à la fondation de l’URSS

L’argumentation développée par Lénine contribue à jeter les bases de la position adoptée par le Congrès du parti bolchevique en plein processus révolutionnaire, en mai 1917, alors que les différents peuples de l’Empire russe se mobilisaient également pour leurs droits nationaux :

« À toutes les nations composant la Russie doit être reconnu le droit de se séparer librement et de se constituer en États indépendants. Nier ce droit et ne pas prendre des mesures propres à garantir son application pratique équivaut à soutenir la politique de conquêtes ou d’annexions » 23.

Avant son adoption, dans son « Discours sur la question nationale » (24), polémiquant avec des camarades de son propre parti, le leader bolchevique déclara devant ce Congrès :

« Si la Finlande, la Pologne, l’Ukraine se séparent de la Russie, nous n’y verrons aucun mal. Quel mal y aurait-il à cela ? Chauvin qui le dira. Il faut être fou pour continuer la politique du tsar Nicolas. La Norvège s’est bien séparée de la Suède… »

Plus précisément, dans le cas de l’Ukraine, en juin de la même année, il se demande s’il ne vaudrait pas mieux que les travailleurs d’Ukraine optent pour la séparation de leur pays et rejoignent ensuite la Russie dans le cadre d’une fédération socialiste. Une position sur laquelle il reviendra plus tard, en mars 1919, se montrant favorable à l’acceptation de l’option d’une Ukraine indépendante si le Congrès des Soviets de ce pays en décidait ainsi 24.

Tout cela n’empêche pas Lénine de rester très critique à l’égard de toutes formes de nationalisme et même de concepts tels que la culture nationale, mais en s’élevant en même temps contre les politiques assimilationnistes du nationalisme grand-russe dans des domaines tels que la langue, en donnant à nouveau l’exemple de la Suisse comme solution démocratique. Il postule ainsi le refus des privilèges de toute nation au détriment des autres, tout en luttant toujours pour insérer ces revendications démocratiques dans un projet socialiste dominé par la classe ouvrière.

La Déclaration des droits des peuples de Russie de novembre 1917 sous-tend ainsi la recherche d’une alliance avec les mouvements de libération nationale en énonçant des principes très clairs sur cette question :

« 1. Égalité et souveraineté des peuples de Russie. 2. Droit des peuples de Russie de disposer d’eux-mêmes, jusqu’à séparation et constitution d’un état indépendant. 3. Suppression de tous privilèges et limitations, nationaux ou religieux. 4. Libre développement des minorités nationales et groupes ethnographiques, habitant le territoire russe. »

Une prise de position qui, une fois de plus, sera sévèrement critiquée par Rosa Luxemburg 25, qui considère qu’au lieu de cette revendication, qui contribuerait à « la désintégration de l’État russe », ils auraient dû reconnaître l’Assemblée constituante, marquant aussi son désaccord avec la politique agraire adoptée par les bolcheviks. Cela reflète ses profondes divergences non seulement sur la question nationale, mais aussi sur la démocratie et la politique d’alliances avec les mouvements de libération nationale et la paysannerie que devraient, selon elle, mener les bolcheviks russes.

Le débat sur le droit à l’autodétermination se poursuit également au sein du bolchevisme. Il s’est manifesté lors du Congrès du parti de 1919, où Lénine a ouvertement polémiqué avec Boukharine, qui opposait à ce droit celui de « l’autodétermination des travailleurs ». Lénine lui répond en ces termes :

« Notre programme ne doit pas parler d’autodétermination des travailleurs, parce que c’est faux. Il doit dire ce qui est. Puisque les nations se situent aux différentes étapes entre le Moyen Âge et la démocratie bourgeoise, puis entre celle-ci et la démocratie prolétarienne, ce point de notre programme est absolument juste. Nous avons décrit sur ce chemin de très nombreux zigzags. Il faut reconnaître à chaque nation le droit d’autodétermination, ce qui contribuera à l’émancipation des travailleurs. » 26.

Il est bien connu que dans ces années d’encerclement impérialiste de la Russie, l’intérêt du bolchevisme était centré sur l’espoir d’une extension de la révolution à d’autres pays européens, et en particulier à l’Allemagne. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils étaient insensibles à la nouvelle vague de mobilisations qui s’annonçait dans la périphérie orientale de la Russie. C’est ce qu’affirme Lénine dans son « Rapport au Congrès des organisations communistes des peuples de l’Est », tenu en novembre et décembre 1919 27, tout en insistant sur la nécessité d’« extirper tous les vestiges de l’impérialisme grand-russe pour lutter sans réserve contre l’impérialisme mondial », comme il l’a fait en novembre 1919 en s’adressant aux communistes du Turkestan.

Cette orientation se retrouve aussi bien dans son « Première ébauche des thèses sur les questions nationale et coloniale » 28 que dans les thèses du deuxième congrès de l’IC (juillet 1920). Cependant, Lénine y défend la fédération comme la voie souhaitable sur le chemin de l’unité des différents peuples qui se sont libérés de l’Empire tsariste.

Dans son « Rapport de la Commission nationale et coloniale » pour le deuxième Congrès de l’Internationale communiste, tenu en septembre 1920, le leader bolchevik réaffirme l’importance des mouvements de libération dans les pays « arriérés », tout en préservant l’indépendance politique des communistes et en soutenant ouvertement l’hypothèse selon laquelle les peuples de ces pays ne devraient pas nécessairement passer par le stade capitaliste.

C’est précisément en septembre 1920 que le premier Congrès des peuples de l’Est se réunit à Bakou. Des discussions animées ont eu lieu entre les dirigeants de l’Internationale communiste et d’autres organisations communistes de l’Est concernant, entre autres, le rôle de la lutte de ces peuples dans le cadre d’une stratégie révolutionnaire mondiale, ainsi que sur les relations avec le panislamisme. Ces discussions se poursuivront lors des congrès successifs, notamment lors du quatrième congrès de l’IC (novembre 1922), sur le front unique anti-impérialiste et les relations avec les bourgeoisies des pays coloniaux, ainsi que sur la « question noire » en Amérique et son rôle dans la lutte pour l’émancipation des peuples d’Afrique. Un traitement spécifique de ces débats dépasse le cadre de ce travail 29.

Cependant, l’application des principes établis sous le nouveau régime est rapidement affectée par divers conflits – notamment ceux de la Géorgie et la Pologne – qui mettent en lumière, déjà violemment, le poids du nationalisme grand-russe au sein du nouveau régime – et du « Parti ». Ainsi, à partir de 1920, s’imposera peu à peu la tendance à remplacer le « droit à la sécession » par le « droit à l’union » 30.

En effet, les tensions entre bolcheviques vont s’aggraver, par exemple lorsqu’en septembre 1922 les communistes géorgiens s’opposent à la création artificielle d’une République socialiste soviétique de Transcaucasie, formée par l’union de l’Azerbaïdjan, de l’Arménie et de la Géorgie, et défendent l’indépendance de leur pays. C’est à eux que Lénine, à qui l’information avait été cachée jusqu’à la fin de 1922, apporte son soutien, et c’est déjà à ce moment-là que Staline, profondément mécontent, en vient à qualifier la position de Lénine de « libéralisme national » 31 tandis que ce dernier déclare à son tour « la guerre à la vie et à la mort » contre le « chauvinisme grand-russe » qu’il voit représenté par Staline.

Cette confrontation entre ces deux positions est clairement exprimée dans la contribution « La question des nationalités ou de “l’autonomie” » 32, rédigée par Lénine les 30 et 31 décembre 1922. Il y critique l’« irritation » de Staline contre le « fameux social-nationalisme », l’accusant précisément de cela et soutenant que le rôle de l’internationalisme de la soi-disant « grande » nation doit être de compenser l’inégalité réelle. Lénine fait alors un nouveau pas en avant vers une approche pratiquement confédérale :

Aussi l’internationalisme du côté de la nation qui opprime ou de la nation dite « grande » (encore qu’elle ne soit grande que par ses violences, grande simplement comme l’est, par exemple, l’argousin) doit-il consister non seulement dans le respect de l’égalité formelle des nations, mais encore dans une inégalité compensant de la part de la nation qui opprime, de la grande nation, l’inégalité qui se manifeste pratiquement dans la vie. […] Quatrièmement, il faut introduire les règles les plus rigoureuses quant à l’emploi de la langue nationale dans les républiques allogènes faisant partie de notre Union, et vérifier ces règles avec le plus grand soin. […] Et il ne faut jamais jurer d’avance qu’à la suite de tout ce travail on ne revienne en arrière au prochain congrès des Soviets en ne maintenant l’union des républiques socialistes soviétiques que sur le plan militaire et diplomatique, et en rétablissant sous tous les autres rapports la complète autonomie des différents commissariats du peuple. (33, souligné par J.P.).

Une proposition qui, dans le même article, s’accompagne d’un espoir renouvelé pour la lutte des peuples opprimés qui s’étend à l’Est contre l’impérialisme34. Mais non sans exprimer sa crainte que « nous ruinions [aux yeux de l’Orient] notre autorité par la moindre brutalité ou injustice à l’égard de nos propres allogènes. ». Il concluait ainsi par un nouvel avertissement à ses camarades pour éviter « les rapports impérialistes à l’égard des nations opprimées ».

Comme on le sait, la santé de Lénine se détériore dans les mois qui suivent, mais il ne cesse pas pour autant de manifester son malaise face à la politique de Staline à l’égard des nationalités, cherchant à obtenir le soutien de Trotsky, comme le rappelle Moshe Lewin :

Entre-temps, comme Lénine le lui a demandé, Trotsky rédige un vigoureux mémorandum à l’intention des membres du Politburo, dans lequel il affirme que les tendances hyper-étatistes doivent être résolument rejetées, et critique les thèses de Staline sur la question nationale. Il souligne qu’une partie importante de la bureaucratie centrale soviétique voit dans la création de l’URSS le moyen de commencer à éliminer toutes les entités politiques nationales et autonomes (États, organisations, régions). Une telle attitude doit être combattue en tant que comportement impérialiste et anti-prolétarien. Le Parti doit être averti que, sous l’égide des “commissariats unifiés”, il s’agit en fait d’ignorer les intérêts économiques et culturels des républiques nationale 35.

Néanmoins, Trotsky avait manqué l’occasion de présenter son mémorandum critique au 12e Congrès du parti en avril, bien que, comme le rappelle également Lewin, « nous savons qu’il est passé très vite à une opposition déclarée à Staline. […] La maladie ou une extrême fatigue ont-elles joué un rôle dans ce délabrement de l’intelligence politique de Trotski, dont la suite des événements allait offrir d’autres exemples ? Sans doute est-ce une explication possible » 36. Des voix critiques se sont fait entendre lors de ce congrès, comme celles de Skrypnik, Rakovsky et Mirsaïd Sultan-Galiev.

Plus tard, la Constitution adoptée en 1924 reconnait formellement (chapitre 4, article 5) aux Républiques de l’Union « le droit de se séparer librement de l’Union », mais il en sera autrement. Staline finira par nier le droit à la séparation et mettra en œuvre en URSS un projet fondé sur l’hégémonie du nationalisme grand-russe dans le cadre d’un centralisme bureaucratique étatique. Un projet qui atteindra son apogée lors de la « Grande Guerre patriotique » contre le nazisme, mais qui n’atteindra cependant pas l’objectif de la formation d’un nouvel homo sovieticus qui aurait surmonté les différences nationales entre les divers peuples de l’URSS.

Quelques enseignements de son évolution

Au cours de l’étude de l’évolution de la pensée politique de Lénine, je crois que l’on peut distinguer plusieurs étapes. Dans la première, il part du cadre de référence établi par Marx et Engels, ainsi que des débats qui se développent au sein de la IIe Internationale, pour supposer que la classe ouvrière doit aussi s’atteler à la tâche de rechercher une solution démocratique à la question nationale par la reconnaissance du droit à l’autodétermination des nations opprimées. Il comprend ce droit comme le droit à la séparation ou à la sécession vis-à-vis de l’État dont les nations opprimées font partie, rejetant les formules alternatives telles que la fédération ou l’autonomie nationale-culturelle, et soutenant que les marxistes doivent être, sauf dans les cas résultant d’une analyse concrète de chaque situation concrète, opposés à la séparation. Il insère cette orientation dans une stratégie basée sur la centralité stratégique de la classe ouvrière, sur l’internationalisme prolétarien et, par conséquent, sur le rejet des nationalismes, tout en sachant établir une distinction entre ceux des nations oppressives et ceux des nations opprimées et en proposant des tâches différentes pour les marxistes dans les unes et les autres.

À partir de 1913, au milieu des discussions au sein de la IIe Internationale sur la caractérisation de la phase impérialiste et l’attitude à tenir face à la Grande Guerre, Lénine considère que l’impérialisme exacerbera de plus en plus les contradictions nationales, distingue trois groupes différents de pays dans lesquels se pose la question nationale et coloniale, et aborde quelques cas concrets d’Europe occidentale et sous l’Empire tsariste russe, en débattant ouvertement avec d’autres positions, en particulier celle de Rosa Luxemburg. Les cas de la séparation de la Norvège de la Suède en 1905 et de l’insurrection irlandaise de 1916, ainsi que ceux qui se manifestent déjà en Russie, comme en Pologne, en Finlande, en Ukraine et en Géorgie, sont les plus significatifs de ces débats. À leur égard, il réaffirme sa défense du droit à l’autodétermination et à la sécession si ces peuples le souhaitent, bien qu’il considère que le cadre le plus souhaitable du point de vue des classes ouvrières des nations opprimées et oppressives serait celui d’un fédéralisme que l’on pourrait appeler de libre adhésion.

Enfin, après le triomphe de la Révolution russe en octobre 1917, la mise en œuvre de cette doctrine est promue, comme en témoigne la Déclaration des droits des peuples de Russie, mais le nouveau régime a très vite été confronté à la guerre civile et à l’éclatement de divers conflits nationaux et coloniaux à l’intérieur de ses frontières. C’est alors qu’il entre en confrontation de plus en plus ouverte avec le nationalisme grand-russe qui se manifeste au sein de son propre parti, dirigé par Staline. Contre cette tendance au renforcement de l’État central, Lénine, dans ses derniers écrits, se prononce en faveur d’un projet confédéral incluant le droit de séparation. La reconnaissance de ce droit dans la Constitution de l’URSS ne peut cependant pas cacher sa négation dans la pratique par un régime de plus en plus centralisé et bureaucratisé. C’est également à cette époque, bien qu’il l’ait déjà souligné après la révolution russe de 1905, que Lénine met l’accent, déjà dans le cadre de la Troisième Internationale et face à la frustration précoce des attentes révolutionnaires en Europe, sur le rôle de plus en plus important que vont jouer les mouvements de libération nationale des peuples de l’Est ; même si une certaine ambiguïté persiste dans l’utilisation de termes tels que « pays civilisés » et « pays arriérés », bien qu’il évoque déjà l’hypothèse que ces derniers n’ait pas nécessairement à passer par la phase capitaliste.

Après ce bref aperçu, il n’est pas difficile de comprendre, d’une part, le rejet radical par l’actuel dirigeant de la Russie, Vladimir Poutine, de l’héritage des thèses de Lénine sur la question nationale – et sa façon de les déformer en prétendant notamment et entre autres que c’est Lénine qui aurait « inventé » la nation ukrainienne, comme l’a rappelé Etienne Balibar dans la session des Journées léninistes que nous avons partagée37 – et, d’autre part, sa défense du vieux nationalisme grand-russe, dont Staline a été un fidèle continuateur.

Il semble évident que, bien que nous nous trouvions dans une époque très différente de celle qu’a vécue Lénine – dans laquelle nous assistons à une « polycrise » aux dimensions multiples, surdéterminée par une crise écosociale et climatique qui remet en question l’avenir de la vie humaine sous un capitalisme du désastre, il existe néanmoins des similitudes dans la persistance des relations d’oppression nationale et coloniale de nombreux États sur d’autres peuples à l’extérieur et à l’intérieur de leurs frontières. Le cas le plus tragique aujourd’hui est sans aucun doute le génocide que subit le peuple palestinien de la part d’un État colonial et raciste, avec la complicité des grandes puissances euro-étatsuniennes, raison pour laquelle on se doit d’exiger la reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Nous nous devons également de faire référence à l’injuste invasion russe de l’Ukraine et, par conséquent, à la nécessité de soutenir le droit du peuple ukrainien à l’autodéfense et à l’autodétermination, sans pour cela omettre de critiquer la part de responsabilité que la stratégie d’expansion de l’OTAN a jouée dans ce conflit.

Parce qu’en effet, nous assistons à une crise géopolitique mondiale dans laquelle l’ancien système impérial, sous l’hégémonie des États-Unis, est en déclin relatif et dans laquelle de nouvelles puissances mondiales et régionales émergent, avec la Chine en tête, et luttent pour une reconfiguration de l’ordre mondial actuel. Dans ce contexte, et dans le contexte de la fin de la « mondialisation heureuse », les conflits nationaux, à la fois entre les États et entre les États et les peuples qui revendiquent leur droit à décider de leur avenir, n’ont de cesse de se manifester dans différentes parties du monde.

C’est pourquoi, face aux différents cas qui se présentent à nous, il est nécessaire de suivre le conseil de Lénine de procéder à l’analyse concrète de chaque situation spécifique, mais toujours en partant, comme le recommandait également le leader bolchevique, d’une position internationaliste, opposée à tous les impérialismes, en défense du droit à l’autodétermination de tous les peuples et selon laquelle, par conséquent, « aucun peuple qui en opprime un autre ne peut être libre ».

Le 14 mars 2024

https://inprecor.fr/

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17 décembre 2024 ~ 0 Commentaire

Taiwan (Pierre Rousset)

chine micro

La crise sud-coréenne vue de France

Pierre Rousset Hebdo L’Anticapitaliste – 733 (12/12/2024)

L’imposition, le 3 décembre, de la loi martiale par le président Yoon Suk Yeol a été rapidement mise en échec. Une bonne nouvelle, mais pas seulement.

Les raisons qui ont poussé le président Yoon à initier un putsch fort mal préparé restent obscures (comme la décision par Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale dans une conjoncture fort peu propice).

Mobilisation contre les actes illégaux

La mauvaise nouvelle est que l’armée (ou une fraction de l’état-major) a commencé par soutenir le président, alors même qu’il agissait dans l’illégalité (la Constitution exige l’accord des députéEs). Des forces spéciales dotées de moyens considérables (blindés, hélicoptères) devaient investir le Parlement et arrêter des dirigeants d’opposition. Le nombre de soldats impliqués dans l’opération était limité, ce qui explique que, confrontés à une situation imprévue, ils aient pu être débordés.

La bonne nouvelle est que cette tentative de putsch a été contrée en un temps record grâce à la résistance farouche des fonctionnaires et du personnel d’opposition sur place, ainsi qu’à une mobilisation citoyenne massive venue leur porter secours en pleine nuit, réunissant les générations, beaucoup de jeunes, activistes ou syndicalistes. Cela a permis à 190 éluEs de pénétrer dans le Parlement et d’abroger la loi martiale, avec le soutien d’un petit nombre de membres du parti gouvernemental.

Les ressorts de cette mobilisation montrent la vivacité de la démocratie sud-coréenne où le souvenir des temps de la dictature ne s’est pas dissipé. L’intervention de l’armée montre que sa stabilité n’est pas aussi assurée autant qu’il pouvait le paraître (la loi martiale n’avait pas été imposée depuis 1979). Les mobilisations se poursuivent aujourd’hui, pour la démission ou la destitution du président Yoon. Le premier intéressé s’y refuse, mais elles peuvent durer des jours, des semaines, voire des mois, comme ce fut le cas par le passé.

Crise économique, baisse du budget et corruption du pouvoir

Pourquoi cette crise intervient-elle aujourd’hui ? La Corée du Sud a longtemps connu un développement rapide, grâce à une politique interventionniste de l’État, favorisant la formation de conglomérats, que le Japon et les États-Unis ont à la fois tolérés et intégrés pour des raisons en particulier de géopolitique : la division de la péninsule coréenne, la proximité de la Chine et de la Russie.

Elle exporte aujourd’hui massivement de l’électronique, s’impose comme le deuxième producteur de semi-conducteurs (en particulier les circuits imprimés de stock­age de mémoire).

Cependant, après la crise du Covid et dans un marché mondial moins porteur, la croissance s’essouffle. La situation économique de la population se dégrade, ainsi que la qualité des services publics. Le couple présidentiel est crédité de nombreuses affaires de corruption. La crise politique a éclaté alors que le Parlement devait réduire le budget dont le président Yoon peut user à discrétion, au nom de la sécurité nationale.

Bref, la Corée du Sud fait face à une situation qui, par-delà ses spécificités, n’est pas étrangère à celle de nombreux pays occidentaux. Elle a quelque chose à nous dire, particulièrement en France où l’armée occupe une place majeure au cœur de notre régime, où la macronie (entre autres) manifeste bien peu de respect pour l’institution parlementaire ou le résultat des urnes. Il ne faut pas porter sur ce pays d’extrême orient un regard « exotique ». Ses turbulences valent avertissement.

Pierre Rousset

https://lanticapitaliste.org/

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17 décembre 2024 ~ 0 Commentaire

Calvary Church (Aus)

climatologues interrogation températures
L’écran de l’église Cavalry à Woodland Hills affiche une température de 121 degrés Fahrenheit (49,4 degrés Celsius), le 5 septembre 2024 en Californie © AFP/Archives Frederic J. BROWN

Les climatologues s’interrogent sur la succession de records de températures du globe

Paris (AFP) – Que la planète se réchauffe depuis des décennies à cause des gaz à effet de serre émis par l’humanité, c’est entendu. Mais que les températures mondiales aient battu tous les records, et de loin, en 2023 puis encore en 2024, voilà qui donne du fil à retordre aux climatologues.

La communauté scientifique l’a démontré: notre combustion des énergies fossiles et la destruction des espaces naturels sont responsables du réchauffement de long terme du climat, dont la variabilité naturelle influence aussi les températures d’une année sur l’autre.

Néanmoins, les causes d’une surchauffe aussi forte que celle des années 2023-2024 font l’objet d’un grand débat parmi les climatologues, certains émettant l’idée que le climat se réchauffe différemment ou plus vite qu’attendu.

Plusieurs hypothèses alimentent la recherche: moins de nuages, et donc moins de réflexion des rayons solaires, un recul de la pollution de l’air, elle aussi réflectrice du soleil, et des puits de carbone naturels, océans et forêts en tête, qui absorbent moins de CO2.

Les études se multiplient, mais il faudra encore un an ou deux pour établir l’influence précise de chaque facteur.

[À lire aussi La hausse des concentrations de gaz à effet de serre éloigne l’humanité de l’objectif de cantonner le réchauffement climatique à 1,5 degré]

« J’aimerais savoir pourquoi » 2023 et 2024 ont enchaîné les records « mais je ne le sais pas », a reconnu en novembre Gavin Schmidt, directeur de l’Institut Goddard d’études spatiales de la NASA. « Nous sommes encore en train d’évaluer et de déterminer si nous assistons à un changement dans le fonctionnement du système climatique ».

 « Terrain inconnu »

Pour le climatologue Richard Allan, de l’université britannique de Reading, « la chaleur mondiale record de ces deux dernières années a propulsé la planète en terrain inconnu », a-t-il déclaré à l’AFP.

Ce qui s’est produit « est exceptionnel, à la limite de ce nous pouvions attendre sur la base des modèles climatiques existants », a abondé Sonia Seneviratne de l’ETH Zurich en Suisse.

« Néanmoins, la tendance générale au réchauffement à long terme n’est pas inattendue, compte tenu de la quantité d’énergies fossiles brûlées », explique la climatologue à l’AFP. L’humanité n’a pas encore entamé le déclin des émissions, même si le pic se rapproche.

La variabilité naturelle du climat pourrait expliquer en partie l’observation. 2023 a en effet été précédé par le rare enchaînement de trois années successives de l’épisode naturel La Niña, qui a masqué une partie du réchauffement en intensifiant l’absorption de l’excès de chaleur par les océans.

Lorsqu’El Niño, le phénomène opposé, a pris le relais en 2023, avec une intensité très forte, cette énergie a été restituée, poussant le thermomètre mondial à des niveaux inconnus depuis 100.000 ans selon les paléoclimatologues.

Sauf que le pic d’El Niño, en janvier 2023, est passé depuis longtemps et que la chaleur perdure.

« Le refroidissement est très lent », reconnaît le climatologue Robert Vautard. « On reste dans les marges relativement attendues » des projections, mais si « les températures ne redescendent pas plus franchement en 2025, il faudra se poser des questions », avertit ce haut-responsable du Giec.

 Déclin des nuages

Parmi les pistes d’explications se trouve l’obligation en 2020 de passer à des carburants plus propres pour le transport maritime. Cette mesure a réduit les émissions de soufre, qui augmentaient la réflexion de la lumière du soleil par la mer et les nuages et participaient à refroidir le climat.

En décembre, une étude évaluée par des pairs a ainsi postulé que le déclin des nuages de basse altitude a permis à davantage de chaleur d’atteindre la surface du globe.

Les cycles solaires ou l’activité volcanique ont aussi pu jouer un rôle. Toutes ces hypothèses ont alimenté les débats en décembre lors d’une conférence organisée par Gavin Schmidt à l’American Geophysical Union.

Certains craignent toutefois que les scientifiques passent à côté d’autres facteurs ou tardent à détecter un emballement du réchauffement climatique.

« Nous ne pouvons pas exclure que d’autres facteurs aient amplifié les températures… le verdict n’est pas encore tombé », avertit Sonia Seneviratne.

En 2023, les puits de carbone ont subi un « affaiblissement sans précédent », selon une vaste étude préliminaire publiée à l’été. La toundra arctique émet désormais plus de CO2 qu’elle n’en stocke, a rapporté en décembre l’observatoire américain NOAA.

Et les océans, premier puits de carbone et régulateur primordial du climat, se réchauffent à un rythme que les scientifiques « ne peuvent complètement expliquer », selon Johan Rockström, de l’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact du climat (PIK).

« Serait-ce le premier signe d’une perte de résilience de la planète ? Nous ne pouvons pas l’exclure », a-t-il déclaré le mois dernier.

https://www.goodplanet.info/

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