Affaire Ferrand
Proche parmi les proches d’Emmanuel Macron, le Finistérien Richard Ferrand défendra mercredi une candidature critiquée pour présider le Conseil constitutionnel, avant un vote parlementaire au suspense inhabituel.
« Le choix amical et affectif je le comprends, mais le choix politique est très risqué », résume une macroniste historique au sujet de la proposition faite par Emmanuel Macron pour succéder à Laurent Fabius, en fin de mandat le 8 mars.
Député de 2012 à 2022, Richard Ferrand retrouvera mercredi matin l’Assemblée pour une audition devant la commission des Lois, avant d’aller devant celle du Sénat.
Aguerri par plusieurs mandats nationaux et locaux, et surtout une présidence de l’Assemblée (2018-2022) comme les deux derniers patrons du « Conseil », Richard Ferrand, 62 ans, est l’un des rares à avoir réellement l’oreille d’Emmanuel Macron, qu’il a aidé à entrer à l’Élysée.
Certains opposants jugent que cette proximité disqualifie Richard Ferrand, également désavantagé par l’affaire des Mutuelles de Bretagne et une mise en examen pour « prise illégale d’intérêts », purgée en 2022 lorsque la Cour de cassation a confirmé la prescription de faits, de toute façon « pas établis » selon lui.
D’autres, y compris des juristes, lui reprochent un pedigree juridique trop faible pour présider une institution comme le Conseil constitutionnel, déjà jugée trop politique par certains élus.
« Ce n’est pas le président qui fait l’analyse juridique », écarte un ancien ministre socialiste, qui se demande davantage si Richard Ferrand, issu lui aussi du PS, saura « représenter l’institution ».
Vote à bulletin secret
La procédure de nomination est clémente : sa candidature ne serait retoquée que si trois cinquièmes des parlementaires des deux commissions votaient contre.
Mais l’accident est possible : en 2023 le Parlement rejetait Boris Ravignon (LR), choix d’Emmanuel Macron pour diriger l’agence de la transition écologique, un mini-séisme.
Le scrutin se déroule à bulletin secret, renforçant l’incertitude. D’autant que personne ne sait combien de voix seront nécessaires.
Si les 122 commissaires s’expriment, 74 devront voter contre pour enrayer la nomination (les oppositions détiennent une soixantaine de sièges). Mais ce sont les trois cinquièmes des voix « exprimées » qui compteront, et chaque abstention dans la fragile alliance macronie-LR abaisserait le couperet.
Une candidature controversée
Ex-président du groupe macroniste à l’Assemblée, Richard Ferrand ne s’est pas fait que des alliés dans son propre camp, mais peut espérer recueillir l’essentiel des voix EPR, MoDem et Horizons.
« Je pense qu’aucune voix ne manquera, il a été un grand président de l’Assemblée nationale », estime Roland Lescure, vice-président macroniste de l’Assemblée, lui aussi marcheur de la première heure.
Mais à droite, le patron des députés LR Laurent Wauquiez a répété dimanche sur BFMTV que la candidature de Richard Ferrand « pose problème », en attendant que son groupe, jusqu’ici « très réservé » sur cette nomination et plutôt enclin à s’y « opposer », ne tranche officiellement mardi.
Les parlementaires de gauche voteront massivement contre, et le soutien du RN est improbable quand Marine Le Pen décrie la « dérive » de nommer des politiques au Conseil constitutionnel.
Le rôle prépondérant du Sénat
Moins fracturée, la commission des Lois au Sénat, dominée par l’alliance LR-centristes, a tout d’une faiseuse de roi. « Le sujet est entre les mains des sénateurs LR », commente un proche d’Emmanuel Macron. Des cadres du bloc central à l’Assemblée espèrent que l’influent patron LR du Sénat Gérard Larcher, ou le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, ex-sénateur, pèseront.
Le résultat « ne sera pas aussi beau qu’il l’attend peut-être. Mais je pense qu’il passera », anticipe l’un d’eux.
« Il n’y aura pas de consigne de vote » au Sénat, avertit une source parlementaire sénatoriale LR, anticipant un « résultat serré ». Interrogé par franceinfo, le sénateur LR Max Brisson « pense que ça ne passera pas ».
En cas de rejet, et si aucune solution n’est trouvée avant le départ de Laurent Fabius, c’est le doyen d’âge Alain Juppé qui devrait présider le Conseil par intérim.
Dans l’ombre de la candidature de Richard Ferrand, l’entrée au Conseil de deux autres parlementaires sera examinée mercredi, uniquement par leurs chambres respectives.
Le sénateur (LR) Philippe Bas, candidat de Gérard Larcher, passera très vraisemblablement l’obstacle, auréolé d’un CV copieux et d’une connaissance pointue de la Constitution.
La députée Laurence Vichnievsky (MoDem), ex-juge d’instruction et candidate de Yaël Braun-Pivet, bénéficie d’une réputation de parlementaire compétente et indépendante, mais part avec moins de certitudes face à une commission plus éclatée politiquement qu’au Sénat.
Rappel du rôle du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel est composé de neuf membres nommés pour neuf ans. Les membres sont désignés par le président de la République et les présidents des assemblées parlementaires (Assemblée nationale et Sénat). Sur son site internet, le Conseil constitutionnel précise qu’il a été institué par la Constitution de la Ve République, en 1958 et qu’en tant que « régulateur du fonctionnement des pouvoirs publics et juridiction aux compétences variées, il a notamment la charge du contrôle de conformité de la loi à la Constitution ».
Le Conseil constitutionnel a, entre autres, la mission de « veiller à la régularité de l’élection du Président de République, d’examiner les réclamations et de proclamer les résultats de cette élection (article 58 de la Constitution), de même qu’il est chargé de veiller à la régularité des opérations de référendum ».
17/02/2025
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1. Qui est qui ?

- Richard Ferrand. Député socialiste du Finistère, il a été le premier parlementaire à rejoindre le mouvement d’Emmanuel Macron en 2016. Il a été directeur général des Mutuelles de Bretagne de 1998 à 2012, avant d’y conserver un poste de chargé de mission de 2012 à 2017. Conseiller général du Finistère de 1998 à 2011 (avec la vice-présidence de 2004 à 2011), il est conseiller régional de Bretagne depuis 2010.
- Sandrine Doucen. Avocate, compagne de Richard Ferrand.
- Françoise Coustal. Ex-femme de Richard Ferrand, elle est artiste plasticienne.
- Emile Ferrand. Fils de Richard Ferrand, il a été embauché par son père en tant qu’assistant parlementaire entre janvier et avril 2014. Il était alors âgé de 23 ans.
- Joëlle Salaün. Proche collaboratrice de Richard Ferrand, elle lui a succédé en 2012 à la direction des Mutuelles de Bretagne.
- Hervé Clabon. Compagnon de Joëlle Salaün, il a été embauché par Richard Ferrand en tant qu’assistant parlementaire.
2. Une société sur-mesure pour une opération immobilière rentable
C’est Le Canard enchaîné qui a révélé l’information en premier, le 24 mai : alors que les Mutuelles de Bretagne cherchaient un endroit pour relocaliser l’un de leurs centres de soin dans le centre de Brest, Richard Ferrand a organisé l’achat de locaux rue George-Sand par sa compagne Sandrine Doucen, pour qu’elle les loue aux Mutuelles dans la foulée. Mme Doucen étant absente et l’affaire se faisant pressante, Richard Ferrand a signé en son nom propre le compromis de vente des locaux, avec comme condition qu’une société civile immobilière (SCI) se substitue à lui avant la vente.
Avant même de créer la SCI, Sandrine Doucen a soumis son offre au conseil d’administration des Mutuelles de Bretagne, qui l’ont choisie début 2011 parmi les trois propositions sur la table. Dans la foulée, elle a créé la SCI Saca et a finalisé avec elle l’achat des locaux, qu’elle a commencé à louer aux Mutuelles.
Les Mutuelles assurent avoir fait leur choix sans l’intervention de Richard Ferrand (qui était alors directeur général) et jurent que l’offre de Sandrine Doucen était la mieux-disante. Or, si la proposition de Mme Doucen était effectivement la moins chère, cela ne tenait pas compte du coût important des travaux que les Mutuelles ont dû prendre à leur charge par la suite (184 000 euros).
La SCI Saca appartient aujourd’hui à Sandrine Doucen (99 % des parts) et à la fille qu’elle a eue avec Richard Ferrand (1 %). Les loyers de ces locaux brestois ont permis à la SCI d’acquérir en 2013 un appartement de 353 000 euros à Paris.
A la suite de ces révélations, le parquet national financier (PNF) a précisé que ces faits n’entraient pas dans son « champ de compétence ». Après avoir dit qu’il n’ouvrirait pas d’enquête préliminaire, le parquet de Brest a annoncé jeudi qu’il revenait sur sa décision pour étudier la situation « après analyse des éléments complémentaires (…) révélés par différents organes de presse ».
3. Des contrats pour les proches de M. Ferrand
Outre la SCI propriétaire de locaux loués aux Mutuelles de Bretagne, Le Monde a révélé que la compagne de Richard Ferrand, Sandrine Doucen, a bénéficié de plusieurs contrats pour des consultations juridiques régulières. Elle a également été embauchée pendant plusieurs mois en 2000, avant de passer le concours d’avocat.
De son côté, l’ancienne épouse de Richard Ferrand, l’artiste plasticienne Françoise Coustal, a obtenu plusieurs marchés d’aménagement de locaux gérés par le réseau mutualiste – alors dirigé par son ex-mari – à partir de 2002. Parmi ceux-ci figure un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) à Guilers (Finistère), qui a bénéficié d’une subvention de 1,66 million d’euros de la part du conseil général du département, dont M. Ferrand était le vice-président. Gilbert Montfort, alors responsable de ces subventions, a déclaré au Monde n’avoir jamais eu vent de la présence de Mme Coustal dans le projet mais a assuré que M. Ferrand n’avait pas participé à la décision budgétaire sur l’Ehpad.
4. Des assistants parlementaires non déclarés
Quand il a été élu député, en 2012, Richard Ferrand a embauché Hervé Clabon comme assistant parlementaire. Militant PS, chauffeur de taxi dans le Finistère, il est également le compagnon de Joëlle Salaün, qui est devenue la directrice générale des Mutuelles de Bretagne lorsque M. Ferrand a commencé à siéger à l’Assemblée.
Depuis janvier 2014 et la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) après l’affaire Cahuzac, les députés doivent déclarer le nom de leurs collaborateurs. Or, dans sa déclaration d’intérêts datée du 25 janvier 2014, M. Clabon n’apparaît pas. Richard Ferrand assure que ce dernier a été contraint de quitter son poste quelques jours avant pour raisons de santé. Pourtant, des articles de presse postérieurs à cette date mentionnent M. Clabon comme assistant parlementaire, tout comme les newsletters du député Ferrand envoyées jusqu’en 2017.
Cette déclaration ne mentionne pas non plus le fils de Richard Ferrand, Emile, qui a travaillé en tant qu’assistant parlementaire de janvier à mai 2014 et aurait dû être déclaré à la HATVP à ce moment-là.
5. Conflit d’intérêts sur la loi sur les mutuelles ?
A son arrivée à l’Assemblée nationale, Richard Ferrand a démissionné de sa fonction de directeur général des Mutuelles de Bretagne, mais a conservé un poste de « chargé de mission », rémunéré 1 250 euros par mois. La première loi que M. Ferrand a défendue – déposant la proposition avec sept autres députés socialistes – concerne… les mutuelles, en leur permettant de mettre en place des réseaux de soins « fermés », plus avantageux pour leurs adhérents – et incitant les clients potentiels à rejoindre les mutuelles et leurs réseaux.
Le député assure avoir « toujours tenu à conserver une activité professionnelle quels qu’aient été [ses] mandats » et se défend de tout mélange des genres. La HATVP décrit pourtant un conflit d’intérêts comme « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».
Vendredi 13 octobre, le procureur de Brest a annoncé qu’il classait sans suite les plaintes déposées contre Richard Ferrand. « Les infractions d’abus de confiance et d’escroquerie ne sont pas constituées, faute d’un préjudice avéré », a précisé le parquet.
Conseil constitutionnel : à une voix près, le parlement approuve la nomination de Richard Ferrand comme président

Publié le 19/02/2025 à 14h36
Une approbation fragile à une voix près et avec l’abstention du RN : Richard Ferrand, proposé par Emmanuel Macron, est en route pour devenir le prochain président du Conseil constitutionnel, même si des parlementaires l’appellent déjà à renoncer.
La candidature de l’ancien député breton, fidèle historique du chef de l’Etat, a été approuvée mercredi par un vote dans les commissions des Lois des deux chambres du Parlement.
Trente-neuf parlementaires ont voté pour et 58 contre. Mais il aurait fallu 59 voix contre pour atteindre les 3/5e des suffrages exprimés nécessaires pour entraver la nomination.
Pour LR et LFI, un « deal » ou « accord secret » avec le RN
Les oppositions n’ont pas manqué de fustiger cette nomination au cordeau. La cheffe des parlementaires insoumis Mathilde Panot a dénoncé un candidat « parrainé » par le Rassemblement national et s’est interrogée: « Quel est leur accord secret ? »
« Nous appelons le président de la République à ne pas procéder à sa nomination. Nous appelons Richard Ferrand à ne pas accepter cette nomination », a lancé la sénatrice écologiste Mélanie Vogel. Sa collègue socialiste Marie-Pierre de la Gontrie suggère un « nouveau candidat » ou « un autre président à désigner au sein du conseil actuel », évoquant par exemple l’ex-Premier ministre Alain Juppé.
Le député Les Républicains (LR) Olivier Marleix a de son côté pointé une « très faible adhésion qui fragilise l’institution du Conseil constitutionnel qui n’en a certainement pas besoin », et lui aussi évoqué un « deal secret entre Marine Le Pen et le président Macron ».
Les députés RN, qui avaient assuré ces derniers jours qu’ils prendraient leur décision après l’audition de Richard Ferrand, ont choisi de s’abstenir, se disant rassurés par certaines prises de position.
Face aux inquiétudes du RN, soucieux que le Conseil constitutionnel n’empiète pas sur les prérogatives du peuple et du Parlement, Richard Ferrand a estimé que l’institution devait se garder de tendre « un gouvernement des juges, ni constituant, ni législateur ». « Il faut que chaque institution reste à sa place », a-t-il insisté.
Gauche et droite contre
La candidature de l’ancien député (2012-2022) était attaquée à gauche comme à droite pour sa proximité avec Emmanuel Macron, pour sa compétence juridique jugée trop faible, ou en raison de sa mise en examen pour « prise illégale d’intérêts » dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne – la justice a conclu à un non-lieu pour prescription.
« Je ne suis pas un professionnel du droit c’est vrai, mais comme vous un serviteur de la République », a fait valoir M. Ferrand devant les parlementaires, se dépeignant en « homme libre ».
Lors de l’audition, Mathilde Panot avait vilipendé cette candidature. « Nous nous opposons à votre nomination comme à Emmanuel Macron, qui ne saurait en aucun cas prétendre, comme vous le suggérez, à un troisième mandat », a-t-elle lancé, dans une allusion à une interview de M. Ferrand datant de 2023 où il regrettait « à titre personnel » la limitation du nombre de mandats présidentiels consécutifs.
Un troisième mandat consécutif pour M. Macron, cela « n’a jamais été ma pensée, ni mon désir », a-t-il assuré.
Olivier Marleix (LR) avait lui enchaîné les uppercuts, interrogeant Richard Ferrand sur son indépendance, ses compétences juridiques et sa « moralité ».
Richard Ferrand, a aussi été interrogé sur une question qui agite les parlementaires, concernant l’article 11 de la Constitution, qui limite le champ des questions qui peuvent être soumises à un référendum direct.
Il a botté en touche, soulignant au Sénat qu’il n’y avait « pas d’exemple de jurisprudence » où le Conseil constitutionnel se serait saisi d’une hypothèse de référendum, tout en précisant que « ce n’est pas fermé », mais refusant de se prononcer en amont de sa nomination.
Défait aux législatives de 2022 dans le Finistère
Sorti du jeu politique par la petite porte après une défaite aux législatives de 2022 dans le Finistère, Richard Ferrand revient sur le devant de la scène, et succédera prochainement à Laurent Fabius, qui arrivera en fin de mandat début mars.
Autre nomination actée mercredi, le sénateur LR Philippe Bas, candidat du président du Sénat Gérard Larcher, a convaincu sans surprise les membres de la commission des Lois du Sénat de l’envoyer au Conseil constitutionnel, fort d’un CV copieux et d’une connaissance pointue de la Constitution.
La députée MoDem Laurence Vichnievsky, ex-juge d’instruction proposée par la présidente de l’Assemblée de Yaël Braun-Pivet sera auditionnée en commission des Lois de l’Assemblée à 15H00. Elle part avec moins de certitudes dans une commission plus éclatée que celle du Sénat.