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13 février 2023 ~ 0 Commentaire

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Ces enfants ukrainiens que Moscou enlève pour les « dénazifier »

Des milliers de mineurs auraient été enlevés par la Russie avec peu d’espoir pour leurs familles de les retrouver.

Du haut de ses 15 ans, Nastya a déjà vécu mille vies. L’adolescente ukrainienne, séparée de sa famille dans les premiers mois de la guerre, a été déportée dans un camp dit « de filtration » en Crimée, péninsule annexée par la Russie en 2014, avant de rejoindre Kherson, dans les territoires ukrainiens occupés à l’est du pays.

Là-bas, Nastya a été violemment frappée à la tête, forcée à apprendre le russe et une « nouvelle histoire ». Les autorités lui ont également fait miroiter la possibilité d’obtenir gratuitement un appartement dans les montagnes de l’Oural, à ses 18 ans, si elle adoptait la nationalité russe…

La jeune fille, sweat-shirt jaune poussin et cheveux noir de jais, a accepté que son histoire soit rendue publique lors d’une table ronde organisée mercredi par l’ambassade des États-Unis à Kiev. Pour elle, l’histoire se finit bien : Nastya est miraculeusement revenue en Ukraine cette semaine. Après l’avoir cherchée pendant des mois sans relâche, sa mère a fini par la retrouver grâce aux réseaux sociaux.

« Une campagne d’État »

D’autres n’ont pas cette chance. Selon Lesia Zaburanna, députée ukrainienne, au moins 16 000 enfants ont été recensés comme « déportés » en Russie ou dans les territoires occupés par les forces russes.

Des dizaines de milliers d’autres pourraient être concernés, volés à leurs parents à des barrages ou enlevés dans des maternités, des orphelinats ou des centres sociaux d’aide à l’enfance. Le phénomène, qui a débuté en 2014 après l’annexion de la Crimée et les premiers ­combats dans le Donbass, s’est amplifié depuis l’invasion du reste du pays l’an dernier.

« Les Russes les kidnappent, leur lavent le cerveau et leur donnent des armes en les manipulant pour qu’ils se battent du côté russe, assure la parlementaire, originaire de Kiev. Il sera très difficile de retrouver et d’identifier ces enfants, car la Russie leur octroie la nationalité russe et les fait adopter. » En gratifiant parfois d’un pécule les familles candidates…

Pour Mykola Kuleba, président de l’ONG Save Ukraine, qui a pris en charge Nastya, ces enlèvements sont orchestrés « au plus haut niveau politique » dans ce qui s’apparente à une « campagne d’État ». Pour preuve : en mai 2022, ­Vladimir Poutine en personne a promulgué un décret présidentiel pour faciliter la naturalisation de ces mineurs.

« Pour chaque soldat russe tué, sept ou huit enfants ukrainiens doivent être déportés et rééduqués, détaille l’humanitaire. Cela permet au gouvernement de raconter une histoire aux Russes ordinaires, en leur disant que “la nation sauve les enfants ukrainiens des nazis”. »

16 000 enfants ont été recensés comme « déportés » en Russie

La commissaire russe aux droits de l’enfant et égérie conservatrice du régime, Maria Lviva-Belova, a elle-même mis en pratique la propagande nationale en annonçant en octobre avoir accueilli dans son foyer un garçon kidnappé à Marioupol. « Des dispositions ont été prises pour permettre à des familles russes de pouvoir adopter ces enfants plus facilement, au mépris du droit international », confirme Amnesty International dans un rapport paru l’an dernier à ce sujet qui associe ces rapts à des « crimes contre l’humanité ».

L’association française Pour l’Ukraine, pour leur Liberté et la Nôtre ! a de son côté déposé fin décembre, sur les mêmes bases argumentaires, un dossier auprès de la Cour pénale internationale (CPI) afin de solliciter l’ouverture d’une enquête pour « génocide ».

Camille Neveux 13/02/2023

https://www.lejdd.fr/

 

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03 février 2023 ~ 0 Commentaire

donbass (essf)

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Hanna Perekhoda : « Les villes du Donbass furent des incubateurs de la loyauté au projet impérial russe puis soviétique. »

Le Courrier d’Europe centrale : Depuis 2014, la guerre fait rage dans un territoire dont le nom est devenu familier des habitants d’Europe de l’ouest comme du monde entier : le Donbass. Pourtant, son histoire reste mal connue, et sujette à de nombreux clichés. Historiquement, pourriez-vous nous présenter ce territoire qu’est le Donbass, et nous dire ce qu’il a de si singulier ?

Hanna Perekhoda : L’utilisation du terme « Donbass » est en soi assez problématique, parce qu’il désigne une région géologique et économique : le bassin houiller de la rivière Donets. Lorsqu’on dit Donbass, en fait on parle d’une région qui ne correspond à aucune réalité administrative, toutefois souvent ce vocable est utilisé pour parler du territoire de de l’oblast de Donetsk et de Lougansk en Ukraine.

En 1917, le mot Donbass désignait un territoire qui ne coïncide qu’en partie avec deux oblasts. Le Donbass se trouve dans ce qu’on appelait le champ sauvage c’est-à-dire la région steppique qui était très faiblement peuplée jusqu’au 19e siècle : un espace frontalier entre l’empire russe et l’empire ottoman, où les rares habitants étaient essentiellement des cosaques: un groupe militaire chargé de protéger ces frontières épaisses, ces marches entre l’Empire russe, la Pologne et l’Empire ottoman. Ce vaste champ sauvage avait été conquis par la Russie principalement au 18è siècle. Par la suite on y a aussi découvert des gisements de charbon, de fer et de matières premières, découvertes qui ont déterminé le futur de cette région.

À partir de la seconde moitié du 19è siècle, on assiste au développement industriel très intensif du Donbass. L’industrialisation de l’Empire russe a beaucoup augmenté la demande de charbon pour les chemins de fer comme pour l’économie, faisant ainsi du Donbass la base industrielle principale de toute l’Empire.

Avant la révolution de 1917, environ 80% du charbon russe est extrait de cette région, où se concentrent également un grand nombre d’investissements étrangers, notamment français et belges. Ces investissements ont permis que l’industrie locale s’équipe des dernières techno-logies, menant à l’implantation, dans le Donbass, d’usines parmi les plus modernes au monde pour l’époque. Mais ces îlots de modernité sont au cœur d’un océan de grande pauvreté paysanne, avec des modes de vie comparables à ceux du 17e siècle.

Le Donbass est devenu un cas d’école de ce que Trotski nommait à l’époque le « développement inégal et combiné » c’est-à-dire cette coexistence de réalités moderne et prémodernes, et qui a fait de la région un réservoir de conflits sociaux qui ont pesé dans la chute de l’empire tsariste en 1917.

Ce territoire est âprement disputé par la Russie et l’Ukraine dès la révolution (1917) et la guerre civile (1920-24 . Est-ce seulement pour des raisons économiques ?

La question que je me posais au début de mes recherches sur l’histoire de la région à partir de 1917 état de savoir pourquoi la frontière actuelle entre la Russie et l’Ukraine passe là où elle passe et pas 300 km plus à l’est ou à l’ouest. Pourquoi et à quelle époque s’impose cette idée que le Donbass et plus généralement les territoires de l’est et du sud de l’Ukraine actuelle sont des territoires qui doivent faire partie de l’Ukraine ? Quand est-ce que la représentation de l’Ukraine comme l’espace politique tel qu’on connaît aujourd’hui devient vraiment une évidence pour les acteurs politiques ?

Après 1917 ce n’est pas seulement le Donbass, mais toute la partie est et sud de ce qui est aujourd’hui l’Ukraine, qui deviennent un territoire dont l’appartenance est ambiguë. Il n’y a rien évident à tracer les frontières d’un nouvel espace politique là où il n’y avait qu’un empire continental. Et dans cet empire continental, l’Ukraine en tant qu’espace politique n’a pas été délimité de quelque manière que ce soit.

Le mouvement national ukrainien en 1917, qui était représenté par ce qu’on appelle la Rada centrale, un organe quasi parlementaire à Kyiv, fait face à un autre acteur, le gouvernement provisoire de la Russie en place à Petrograd après la chute de tsarisme.

On a aussi des acteurs économiques qui avaient leurs intérêts en Ukraine notamment à l’est. Le mouvement national ukrainien revendiquait une autonomie politique pour l’Ukraine, mais pour tous les territoires ethniques ukrainiens, ce qui incluait justement ce territoire du sud et de l’est. Mais le gouvernement provisoire considérait au contraire que l’Ukraine en tant qu’entité politique autonome devait se limiter aux territoires de la région de Kyiv, pour laisser le sud et l’est sous le contrôle direct de la Russie, car ce sont des territoires riches en matières premières, et donc importantes pour l’économie de l’empire.

Mais le gouvernement provisoire et la Rada sont balayés par la révolution bolchevique et la guerre civile. Ce sont donc les bolcheviks qui vont devoir résoudre ce problème de frontière entre l’Ukraine et la Russie quelques années plus tard.

À partir de 1917 il y avait justement un clivage dans le parti bolchevique qui opposait deux groupes. Tout d’abord il y avait ceux qui voyaient l’Ukraine soviétique de la même manière que le mouvement national ukrainien, comme un espace politique qui doit inclure les terres où les Ukrainiens sont en majorité, avec une délimitation du territoire qui se rapproche des frontières qu’on connaît aujourd’hui.

Et il y avait ceux pour qui l’espace politique ukrainien devait être divisé au moins en trois entités subordonnées directement à la Russie : un territoire autour de Kyiv, un territoire au sud, la région d’Odessa, et à l’est autour de Kharkiv et du Donbass. Cette division territoriale en trois parties était en vigueur dans l’empire tsariste, c’est la division en gouvernorats généraux. Et en 1917 les bolcheviks reproduisent ces mêmes structures. Dans leur géographie mentale, leur représentation des espaces politiques, on remarque la persistance des structures administratives institutionnelles et idéelles préexistantes.

Au moment où les bolcheviks à Petrograd et à Moscou prennent le pouvoir, ceux de Kyiv n’arrivent pas à en faire autant en Ukraine. Ils sont en position de faiblesse par rapport aux forces nationales ukrainiennes, et ils finissent par comprendre que pour contrecarrer le projet nationaliste ukrainien ils doivent aussi adopter un certain discours national auquel ils s’opposaient jusque-là.

Cela les amène à voir ces trois pôles comme un espace politique commun, comme étant l’Ukraine, alors que jusque-là les bolcheviks ne se posait même pas la question de ce qu’est l’Ukraine, de ses frontières, etc. Cette nouvelle manière de se représenter l’espace politique ukrainien était le résultat d’une défaite politique subie sur ce territoire.

Mais lorsqu’ils ont commencé à imiter les discours nationalistes, pour des raisons purement stratégiques et politiques, les bolcheviks ont malgré eux commencé à donner de la légitimité à l’idée de l’État-nation ukrainien tel qu’il était défini par le mouvement national, y compris dans sa dimension territoriale, et en insistant sur le fait que le Donbass, le sud et l’est de ce territoire font partie de l’Ukraine.

Mais les bolcheviks des régions plus urbanisées sont moins confrontées aux paysans Ukrainiens et n’ont pas suivi les mêmes processus d’adaptation. Beaucoup d’entre-eux restent empreints de l’idéologie de la lutte des classes et d’universalisme, et ne veulent pas que l’État socialiste soit organisé selon un principe de délimitation nationale perçu comme une relique du passé.

Leur idée est que l’État soit organisé selon des critères de pertinence économique et donc en écartant toute question de frontières nationales, de revendications des peuples opprimés comme les Ukrainiens. Pour eux, la révolution socialiste rendait obsolète toute cette problématique. Ils faisaient preuve de leur loyauté politique à la Russie socialiste et révolutionnaire, à Moscou et Petrograd où les ouvriers ont pris le pouvoir.

Le discours de ces bolcheviks insiste justement sur le fait que même si ces cités de l’Empire russe avaient été des métropoles colonialistes, symboles de l’oppression, ce sont désormais des capitales de la révolution socialiste et que c’est cela qui les rend encore plus légitimes à décider du sort des périphéries comme l’Ukraine, l’Asie centrale, le Caucase ; en un tour de main, la révolution socialiste aurait fait de la Russie oppressive l’incarnation de l’émancipation.

Cette conviction était partagée – en 1917 et en 1918 – par la grande majorité des bolcheviks en Ukraine. Ils ne construisaient pas leur projet politique en opposition à l’Empire en tant que tel. Leur problème ce n’était pas l’Empire, leur problème c’était le tsarisme, l’autocratie, la monarchie, etc.

En un certain sens, leur but était de proposer une meilleure version de l’Empire, un État universaliste et bien plus capable de gérer les tensions sociales ou ethniques, et de mieux préserver l’intégrité de l’espace politique de l’ancien Empire russe. Cet empire régénéré serait ainsi capable d’endosser sa nouvelle mission civilisatrice, mais une mission cette fois opposée à celle de l’époque tsariste.

Malgré le fait qu’ils soient des révolutionnaires porteurs d’une volonté de rupture radicale avec le passé, ils restent paradoxalement conservateurs dans leur rapport à l’empire. Cela se traduit par le maintien d’une conception hiérarchique des relations entre l’Empire et les périphéries, entre des élites dites éclairées – le parti, l’avant-garde de la révolution, les bolchéviques – et le peuple. C’est le maintien de ces hiérarchies qui va rendre cette rupture avec le passé impérial très temporaire. Ceci explique que le renversement rhétorique s’opère assez facilement à l’époque du stalinisme, lorsqu’on écarte le discours anti-impérialiste au profit d’un discours grand-russe.

On peut donc imaginer qu’il y a eu un choc très violent pendant la guerre civile entre les populations urbaines et rurales dans cette partie de l’Ukraine…

Il y avait en effet cette opposition au niveau territorial, mais également au sein du parti bolchévique. Mais les bolcheviks l’emportent dans la guerre civile car ils sont une des rares forces politiques à savoir s’adapter et à tirer des leçons de leurs défaites. Le dogme qui les motive en 1917, ils ne l’abandonnent pas, mais ils font un certain nombre de concessions, opèrent un changement de stratégie et de pratiques sur le terrain. Cela leur a permis de gagner plus d’influence sur la population locale que les autres forces politiques.

C’est dans cette confrontation avec la population locale paysanne et avec leurs revendications – à la fois sociales et nationales – que les bolcheviks deviennent de plus en plus convaincus par ce projet d’Ukraine unitaire dans un cadre national.

Ils renoncent donc au projet de partition de l’espace politique ukrainien en plusieurs régions. Ce projet unitaire s’impose donc d’abord pour des raisons de nécessité politique et militaire, pour faire concurrence aux autres forces politiques et gagner de l’influence sur la population locale. Il s’impose à plus long terme en particulier après les défaites militaires répétées des Rouges, surtout en 1919, lorsqu’ils sont chassés d’Ukraine en raison de l’hostilité de la population locale paysanne.

Les bolcheviks commencent à comprendre que la souveraineté ukrainienne n’est pas juste un moyen de battre les nationalistes ukrainiens à leur propre jeu ou de leur faire concurrence. Mais c’est une condition nécessaire de la survie même de leur pouvoir dans les périphéries. À partir de ce moment, plus personne dans le parti ne remet en question l’appartenance du Donbass et d’autres parties du sud et de l’est de l’Ukraine à ce territoire unitaire.

Une autre raison – rarement explicitée – est que le parti et le gouvernement bolchévique voyaient le Donbass comme un outil, un moyen de sécuriser ou d’imposer le contrôle sur le reste de l’Ukraine. Les autres parties du territoire étaient à dominante paysanne. Le Donbass était le seul territoire urbain habité par un prolétariat dont les bolcheviks se réclamaient. La présence du Donbass dans ce territoire unitaire permettait de contrebalancer le poids politique d’une population de paysans ukrainiens potentiellement peu loyale, comme on l’a vu pendant la guerre civile.

Dans les siècles précédents, pour affermir le pouvoir impérial, on installait une population loyale de colons dans les périphéries ; au 19e siècle on favorisait la conversion des autres peuples à l’orthodoxie afin d’amener les populations locales à endosser ce rôle de colon qui sécurise les confins de l’empire.

À partir de la seconde moitié du 19e siècle cette stratégie laisse place à la russification linguistique et culturelle. Et dès 1917 le pouvoir bolchévique s’est appuyé sur la population urbaine, ouvrière et russophone pour intégrer les populations locales à ce mode de vie et à cette nouvelle culture à la fois urbaine et impériale. Les villes du Donbass deviennent à la fois des incubateurs et des bastions de cette loyauté au projet impérial. Pour reprendre l’expression de Lénine, utilisée dans une autre situation, la Donbass serait une « courroie de transmission » entre cette périphérie à la loyauté douteuse et la métropole.

Selon vous, y a-t-il d’autres cas de persistance de ces structures impériales dans un temps long ?

On peut faire de nombreuses comparaisons avec d’autres situations impériales. La première que j’ai en tête, c’est celle qu’on peut dresser entre la relation Ukraine-Russie et Irlande-Grande-Bretagne. La Grande-Bretagne est une ancienne puissance impériale, avec un passé colonial comme la France ou la Russie. Les analogies ne sont jamais complètement justes, et il y a évidemment des différences notables entre les unionistes nord-irlandais et les pro-russes du Donbass, mais je pense que le schéma général de ces relations est assez comparable.

L’Irlande du Nord comme le Donbass étaient des régions à forte concentration d’industries lourdes au sein d’un territoire essentiellement agricole et différente culturellement et linguistiquement. En Irlande du Nord comme dans le Donbass le dynamisme économique était au service de la métropole, et non pas du reste du territoire, qui restaient des périphéries impériales.

La grande différence, c’est l’importance des institutions. D’un côté on a un système britannique relativement démocratique, avec le système de checks and balances, une séparation des pouvoirs, qui empêchait à l’époque la Grande-Bretagne de s’engager dans une répression complète et extensive sur tout le territoire irlandais ou de se lancer dans une guerre indiscriminée contre les populations civiles.

En Russie on a un clan mafieux qui s’est emparé du pouvoir et qui prend en otage la moitié du continent européen. La comparaison montre que lorsqu’il n’y a pas un contrôle démocratique minimal les croyances, les identités, les idées et les passions des dirigeants politiques jouent un rôle tout à fait disproportionné. Les passions des dirigeants de la Grande-Bretagne ne jouaient pas un rôle aussi important dans leur politique.

Dans le cas de la politique que la Russie mène vis-à-vis de l’Ukraine, et pour parler justement de la persistance de ces structures impériales, l’identité nationale, la vision du monde et la perception de soi-même des classes politiques russes actuelles et passées s’est formée dans le déni et le rejet de la subjectivité des Ukrainiens.

Être russe cela signifie nier que les Ukrainiens existent. Cette compréhension de soi s’est diffusée de la classe politique à la population. Une telle vision d’eux-mêmes et de l’Ukraine et des Ukrainiens est un produit du 19e siècle, d’une époque de transformations sociales et nationales en Europe. C’est une période de révolutions qui menacent justement d’atteindre la Russie où les élites politiques essaient de préserver leur pouvoir autocratique dans un monde en pleine mutation. La Russie devient ainsi un bastion de l’autocratie et de la monarchie qui se donne pour mission de protéger – non seulement la Russie – mais aussi toute l’Europe du désordre démocratique.

C’est dans ce contexte que l’Ukraine vraiment devient, au 19e siècle, un des principaux champs de bataille dans lequel la Russie se définit par rapport à l’Occident. C’est à partir de ce moment-là qu’on a deux récits nationaux qui se forment : le récit national russe et le récit national ukrainien. Dans le récit russe, dans le schéma impérial russe, il n’y a de place pour l’identité ukrainienne que subordonnée à la Russie.

Le récit ukrainien se développe dans ce contexte de révolution démocratique et nationale, avec l’idée de plus en plus forte que l’Ukraine ne peut survivre qu’en dehors de la Russie, parce que la Russie nie son droit à l’existence. Ces deux récits qui se forment sont en contradiction totale, s’excluent mutuellement. Et c’est là qu’on peut voir, une nouvelle fois, la persistance de structures idéologiques impériales dont on voit une nouvelle traduction dans la guerre actuelle. Ce conflit a ainsi – et il faut vraiment le prendre au sérieux – un potentiel génocidaire, parce qu’on a un déni de l’existence de l’autre.

L’idée de la russité, avec son messianisme, son anti-occidentalisme et la négation de la subjectivité ukrainienne, s’est formée donc au 19e siècle, dans un contexte politique très précis. Toutefois ces idées finissent par être perçues comme des vérités absolues et immuables, propres à une identité russe, éternelle et ahistorique. C’est en cela que la guerre a aussi une dimension culturelle.

Ces idées du 19e siècle trouvent leur expression dans les œuvres littéraires et artistiques, dans l’historiographie, et sous cette forme anachronique elles sont transmis à l’ensemble de la population aujourd’hui, par le biais de l’éducation et de la culture de masse. Nous ne devons pas sous-estimer le rôle de cet imaginaire impérial et colonial. À force d’analyser le conflit actuel dans une perspective strictement géopolitique, pétrie d’abstraction et de présentisme, on se condamne à ne pas voir que les relations entre la Russie et l’Ukraine sont marquées par une très longue histoire de domination impériale et coloniale.

Poumon industriel de l’Empire russe puis de l’Union soviétique, le Donbass fut avant tout la courroie de transmission du pouvoir impérial et post-impérial dans une périphérie traitée avec suspicion. Entretien avec Hanna Perekhoda, par Gwendal Piégais.

Hanna Perekhoda est doctorante et assistante à l’Institut des Études politiques à l’Université de Lausanne. Ses recherches portent sur l’histoire de l’Ukraine.


samedi 28 janvier 2023, PEREKHODA Hanna, PIÉGAIS Gwendal

Article publié avec le soutien de Heinrich Böll Stiftung | Bureau Paris – France.

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30 janvier 2023 ~ 0 Commentaire

30 janvier 1933 (contretemps)

hitler

La victoire d’Hitler n’avait rien d’inéluctable

Le 30 janvier 1933, il y a exactement 90 ans, Hitler parvenait au pouvoir par la voie légale. Nommé chancelier par le président conservateur Hindenburg, il forma un gouvernement composé de membres du parti nazi (NSDAP) et de divers partis de droite. Ayant obtenu le soutien du capital et de la plupart de ses représentants politiques traditionnels, il parvint à asseoir durablement son pouvoir sur la société allemande en écrasant rapidement toute l’opposition ouvrière – communistes, socialistes, syndicalistes, anarchistes.

Le KPD

Les communistes sont la seule organisation de la classe ouvrière qui organise une résistance extraparlementaire aux nazis tout en s’opposant à la campagne d’austérité du gouvernement, mais ils échouent également. Leur échec est dû en grande partie à leur incapacité à développer une analyse claire du fascisme et à comprendre la menace qu’il représente.

Le Comité central a abusé de l’expression « fascisme » au point de la vider de son sens. En ce qui les concerne, l’État allemand était devenu fasciste en 1930, lorsque le cabinet présidentiel de Hindenburg avait pris le pouvoir. En effet, la direction du KPD considérait tous les autres partis parlementaires comme des variantes du fascisme, déclarant à ses membres que « combattre le fascisme signifie combattre le SPD tout autant que combattre Hitler et les partis de Brüning ».

Le KPD importe cette position de Moscou, en se basant sur la théorie du « social-fascisme » selon laquelle le fascisme et la social-démocratie ne sont pas opposés mais fonctionnent en fait comme des « frères jumeaux », comme Staline l’avait autrefois soutenu. Dans le contexte d’une crise capitaliste profonde, c’était la social-démocratie qui – en empêchant les travailleurs de lutter contre le capitalisme – constituait pour le KPD l’ « ennemi principal ». Suivant cette ligne, la direction rejette toute coopération avec le SPD, même lorsqu’il s’agissait de combattre les nazis :

« Les social-fascistes savent que pour nous, il ne peut y avoir de collaboration avec eux. En ce qui concerne le parti des Panzerkreuzer, les policiers-socialistes et ceux qui ouvrent la voie au fascisme, il ne peut y avoir pour nous qu’une lutte à mort ».

De nombreux communistes approuvent ce genre de phrases aux accents radicaux, car le KPD est de plus en plus un parti de chômeurs. L’organisation communiste avait presque cessé d’exister dans les entreprises. À l’automne 1932, seuls 11 % des membres du KPD étaient des travailleurs salariés.

Ainsi, la plupart des communistes ne connaissaient plus les sociaux-démocrates comme des collègues de travail, mais seulement comme des partisans de la stratégie du moindre mal et d’événements tels que le « Mai sanglant » du 1er mai 1929, lorsque la police sous le commandement du social-démocrate Karl Friedrich Zörgiebel avait violemment réprimé une manifestation organisée par le KPD.

Le refus catégorique de la direction du SPD de collaborer avec les communistes accentue le blocage. À l’époque, le SPD est rongé par une ferveur anticommuniste, assimilant souvent le communisme au nazisme. Le président du parti, Otto Wels, déclare ainsi lors du congrès du parti à Leipzig en 1931 que « le bolchevisme et le fascisme sont frères. Ils sont tous deux fondés sur la violence et la dictature, quelle que soit leur apparence socialiste ou radicale »

Plutôt que d’offrir à la majorité de la population une alternative politique, la politique du KPD consistant à diriger l’essentiel de sa colère contre le SPD l’a conduit dans les bras de la droite, du moins pendant un certain temps. L’exemple le plus notoire de ce phénomène s’est produit en 1931, lorsque le KPD soutient un référendum populaire contre le gouvernement prussien du SPD, initié par les nazis et d’autres forces nationalistes.

Le Front uni

Ces politiques désastreuses ont été vivement critiquées par divers communistes de l’opposition. Léon Trotsky et August Thalheimer revêtent une importance particulière. Thalheimer avait été l’un des fondateurs de l’ « Opposition de droite » au sein du Parti communiste, qui avait rompu avec le parti en 1929. Trotsky, l’un des dirigeants les plus connus de la Révolution russe et désormais un communiste dissident de premier plan, dirigeait ses partisans depuis son exil sur l’île turque de Büyükada. Tous deux accordent une attention particulière à l’évolution de la situation en Allemagne.

Le parti de Thalheimer soutient que la montée du fascisme ne peut être arrêtée que par « une offensive générale, globale et planifiée » de la classe travailleuse. L’outil organisationnel nécessaire à cette offensive était le front uni. Trotsky était d’accord, affirmant que les deux partis étaient également menacés par le nazisme et devaient donc lutter ensemble. La nécessité objective du front unique signifie que la théorie du social-fascisme doit être abandonnée. Tant que le KPD refusera de le faire, il ne parviendra pas à se rapprocher des partisans du SPD :

« Ce genre de position – une politique de gauchisme criard et vide – bloque d’avance la route du parti communiste vers les travailleurs sociaux-démocrates ».

L’appel à un front uni ne pouvait pas s’adresser exclusivement aux membres du parti, mais impliquait nécessairement des négociations entre les directions également. Un pur « front uni par en bas » n’aboutirait pas, car la majorité des membres du parti veulent combattre le fascisme, mais veulent le faire avec leur direction. Les communistes ne peuvent espérer se lier uniquement avec des travailleurs sociaux-démocrates prêts à rompre avec leurs dirigeants.

L’importance d’organiser l’unité d’action la plus large possible au sein de la classe travailleuse primait sur les autres préoccupations. Cela ne signifiait pas, cependant, que les communistes devaient modérer ou adoucir leurs revendications politiques. Au contraire, c’est dans le contexte d’une action unifiée de la classe ouvrière que les communistes peuvent le mieux prouver leur crédibilité en tant qu’antifascistes :

« Nous devons aider les travailleurs sociaux-démocrates en action – dans cette situation nouvelle et extraordinaire – à tester la valeur de leurs organisations et de leurs dirigeants en ce moment, où c’est une question de vie ou de mort pour la classe ouvrière. »

Pour garantir cela, le front uni devait consister en une action politique, et non en une collaboration parlementaire, et ne pouvait être construit qu’autour d’un point central – dans ce cas, la lutte contre le fascisme. Il était de la plus haute importance que les communistes conservent leur indépendance politique et organisationnelle au sein du front. Le slogan de Trotsky – « Marchez séparément, mais faites la grève ensemble ! Convenez seulement comment frapper, qui frapper et quand frapper ! […] A une condition, ne pas se lier les mains » – résumait bien cette approche.

Les appels de Trotsky et de Thalheimer en faveur d’un front uni sont bien accueillis par les travailleurs et les intellectuels, car le désir populaire d’unité face à la menace nazie croissante est naturellement répandu. Ce désir se retrouve dans l’ « Appel urgent à l’unité » lancé par trente-trois intellectuels publics bien connus, dont Albert Einstein, à l’approche des élections de 1932, appelant le KPD et le SPD à « faire enfin un pas vers la construction d’un front ouvrier uni, qui est nécessaire non seulement dans le cadre du parlement, mais aussi pour une défense au-delà ».

Dans les petites villes de Bruchsal et d’Oranienburg où les partisans allemands de Trotsky avaient une certaine influence politique, ils parvinrent à créer des comités antifascistes comprenant à la fois des sociaux-démocrates et des communistes. Dans de nombreux autres endroits où aucun trotskyste n’était présent, les militants communistes et sociaux-démocrates locaux ont tout simplement ignoré leurs dirigeants et ont commencé à travailler ensemble, comme l’ont prouvé de récentes recherches dans les archives.

Joachim Petzhold, par exemple, a étudié les rapports internes du ministère de l’Intérieur de l’été 1932, concluant que « de nombreux communistes voulaient s’unir aux sociaux-démocrates contre le fascisme ». Il note le « décalage entre la direction du parti et les membres du parti » à cet égard. Cette divergence est visible dans un rapport de police de juin 1932, dans lequel il est écrit que « lors des confrontations sanglantes avec les nationaux-socialistes… le front uni est régulièrement déployé en pratique malgré les antagonismes entre les deux partis marxistes, et ce sont souvent les communistes qui sont les plus rapides et les plus entreprenants dans cette activité ».

Un autre passage du même rapport note la chose suivante :

« l’activité pratique du front uni se produit dans tout le Reich. Les délégués syndicaux du SPD collaborent avec leurs collègues du KPD, les membres du Reichsbanner (une milice ouvrière dirigée par le SPD) se présentent comme délégués de leurs camarades aux réunions communistes ; les membres du Front de fer à Duisbourg discutent de la tactique du front uni dans le bureau du KPD. Les cortèges funéraires et les enterrements unifiés sont monnaie courante partout, tout comme les manifestations inter-partis en réponse aux marches nationales-socialistes. Les sociaux-démocrates participent aux nombreuses conférences antifascistes organisées par le KPD ; les responsables syndicaux déclarent que la main tendue de fraternité du KPD ne peut être repoussée ».

Des mouvements en faveur de l’unité de la classe ouvrière se produisent également dans le sud de l’Allemagne. En juillet 1932, par exemple, le dirigeant local du SPD, Reinbold, propose une trêve aux communistes : « Mettre de côté ce qui nous divise est une exigence juste étant donné la gravité de notre époque ». Les dirigeants locaux du KPD dans les villes d’Ebingen et de Tübingen font des offres similaires au SPD et aux syndicats à la même époque.

En décembre 1931, des cas isolés de listes électorales communes SPD-KPD se produisent dans le Wurtemberg. L’exemple le plus marqué d’unité pratique a lieu dans la petite ville d’Unterreichenbach, où le KPD se dissout et s’associe au SPD local pour fonder un parti ouvrier uni.

Unis par la défaite

Malgré ce type de dynamiques locales enthousiasmantes, le KPD est déjà profondément stalinisé. Tous les courants d’opposition ont été expulsés depuis longtemps, si bien que les loyalistes du Comintern contrôlent le parti et dictent sa ligne contre la volonté des membres si nécessaire. La ligne de Moscou consiste à s’accrocher à la théorie du social-fascisme jusqu’à la fin.

Lorsque le président Hindenburg nomme Hitler chancelier le 30 janvier, des millions de travailleurs allemands sont prêts à se battre. Des manifestations éclatent dans tout le pays tandis que les représentants des usines se réunissent à Berlin pour coordonner une réponse à l’appel du SPD à la lutte commune. Malheureusement, les dirigeants syndicaux ont de nouveau appelé à la retenue. Le Vice-président de l’ADGB déclare : « Nous voulons réserver la grève générale comme une mesure de dernier recours ». Le leader Theodor Leipart ajoute :

« Nous voulons souligner que nous ne sommes pas dans l’opposition à ce gouvernement. Cependant, cela ne peut – et ne pourra – pas nous empêcher de représenter également les intérêts de la classe ouvrière vis-à-vis de ce gouvernement. ”L’organisation, pas la manifestation” est notre devise ».

Seul le KPD appelle à une grève générale, exhortant toutes les organisations de la classe travailleuse à construire un front uni « contre la dictature fasciste de Hitler-Hugenberg-Papen ». Malheureusement, ces coalitions n’ont été réalisées que dans quelques petites villes comme Lübeck. Dans l’ensemble, le KPD est incapable d’acquérir une influence substantielle dans le mouvement ouvrier organisé. Ses années d’isolationnisme politique l’ont conduit trop loin dans le désert.

Après janvier, il est trop tard, Hitler et les nazis ont déjà vaincu le mouvement ouvrier le plus puissant du monde. Le KPD, le SPD et les syndicats ont été sommairement mis hors la loi et décimés. Leurs membres se sont retrouvés, souvent pour la dernière fois, côte à côte dans les premiers camps de concentration érigés par le nouveau régime.

Bien que les procès de Nuremberg aient permis de traduire en justice certains des criminels nazis les plus notoires, ils ont également réduit l’horreur du fascisme aux actions de quelques individus particulièrement malfaisants, tout en intégrant cette horreur dans un récit de culpabilité nationale collective. Dans un tel récit, personne et tout le monde est en faute. « Personne » dans le sens où le blâme est attribué aux hauts fonctionnaires et à leurs laquais, mais « tout le monde » parce que le fascisme nécessite une base collective de soutien de masse, ce qui fait de tous ceux qui vivaient sous le régime des collaborateurs potentiels.

Au lieu de nous soumettre à cette double impasse analytique, nous devrions nous réapproprier une vision de l’histoire qui reconnaît la nature conflictuelle et contestée du changement social. Le fascisme n’est jamais inévitable : il est le résultat d’une confrontation entre des forces sociales radicalement antagonistes. Partout où il y a des fascistes, il y aura probablement des anticapitalistes et d’autres militants de gauche pour les combattre. C’était vrai en Allemagne en 1933, lorsque la gauche a été défaite et que la barbarie nazie a vaincu, et cela reste vrai dans l’Europe d’aujourd’hui, marquée par une nouvelle crise économique et une polarisation politique.

Marcel Bois 30 janvier 2023

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August Thalheimer

THALHEIMER August

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28 janvier 2023 ~ 0 Commentaire

australie (slate)

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En Australie, la date de la fête nationale est une gifle donnée aux peuples autochtones

Célébrant l’arrivée de la première flotte britannique venue établir une colonie pénitentiaire en 1788, les festivités du 26 janvier morcèlent la nation. Au point qu’un changement de date n’est pas à exclure.

En Australie, la fête nationale est célébrée ce jeudi 26 janvier. Depuis 1994, cet «Australia Day» est un jour férié commun à tous les États du pays. Mais pour combien de temps encore? Car le choix d’une telle date est loin de faire l’unanimité et n’a d’ailleurs jamais permis d’inclure tous les habitants dans les festivités.

Cette date historique commémore en effet, pour les uns, l’arrivée de la flotte britannique destinée à fonder la première colonie pénitentiaire du pays, à Sydney, en 1788, mais marque aussi, pour les Aborigènes d’Australie, premiers habitants connus du pays, le début d’une colonisation violente et forcée.

«C’est une idée très étrange d’utiliser le jour de l’invasion d’un pays comme date d’une fête nationale. Y compris pour les personnes qui ne sont pas autochtones, ça semble bizarre», affirme la professeure Jakelin Troy, directrice de recherche à l’Université de Sydney et membre du peuple Ngarigo des Snowy Mountains (sud-est de l’Australie). «C’est un jour qui a été choisi par un nombre très limité de représentants et de descendants de bureaucrates, qui voulaient célébrer le fait d’avoir réussi à prendre le pays sans aucune tentative d’accord et sans aucune reconnaissance de leur souveraineté.»

Fête nationale ou «jour de deuil»?

L’«Australia Day» est donc logiquement perçu de manière négative par les Aborigènes et les Insulaires du détroit de Torrès, les deux grands ensembles de peuples autochtones d’Australie. Certains nomment ce jour «Invasion Day», quand d’autres évoquent un «Survival Day», célébrant la résistance des cultures autochtones parvenues à survivre à l’invasion.

Se réappropriant cette date, alors que certaines villes organisaient déjà des festivités pour l’anniversaire de l’arrivée de la première flotte britannique, l’Aboriginal Progressive Association avait organisé, dès 1938, à Sydney, le premier «Day of Mourning» («jour de deuil»), contre-manifestation aborigène dénonçant les festivités du 26 janvier.

Ce 26 janvier 2023, Sydney, la plus grande ville du pays, se partagera donc encore entre célébrations de l’Australia Day, manifestation pour les droits des Aborigènes et marquant l’«Invasion Day», et contre-festival célébrant les cultures autochtones, Yabun. Chaque année, les marches de l’Invasion Day prennent de l’ampleur dans les grandes villes quand les festivités de l’Australia Day, elles, s’essoufflent.

Si les Australiens qui profitent du jour férié restent nombreux, peu sont finalement ceux qui semblent réellement attachés à la signification du choix de cette date, plutôt qu’une autre. C’est peut-être pour cela que les événements publics organisés dans les grandes villes voient leur fréquentation diminuer d’année en année. En septembre 2022, la mairie de Melbourne révélait ainsi dans un rapport que seuls 12.000 participants avaient été dénombrés en 2019 et, pire, 2.000 en 2020, lors de la dernière édition avant la pandémie de Covid-19, contre 72.000 en 2018.

«Qui célèbre l’invasion, le meurtre et le vol?»

L’appel à déplacer la fête nationale est soutenu par certains politiques. Voix importante des peuples autochtones, la sénatrice aborigène Lidia Thorpe appelle notamment à remplacer l’Australia Day par un jour de deuil pour les communautés autochtones. «Qui célèbre l’invasion, le meurtre et le vol ce 26 janvier?», interrogeait-elle sur Twitter le 8 janvier dernier. Sur les réseaux sociaux, de nombreux comptes affichent aussi leur soutien à l’abandon de cette date, à l’aide du hashtag #changethedate.

Dans certaines régions, des actions politiques se mettent en place. Chaque mois de janvier, le gouvernement de l’État du Victoria organise normalement une parade. Mais cette année, le Premier ministre de l’État, Daniel Andrews, a annulé l’événement en toute discrétion –cette fois, le Covid-19 n’y est pour rien. Une décision qui a été saluée par le coprésident de l’Assemblée des premiers peuples du Victoria, Marcus Stewart.

«C’est un pas en avant, c’est positif, mais nous avons encore un long chemin à parcourir, a-t-il déclaré. Nous devons créer une fête que nous pouvons tous célébrer, et non qui nous éloigne les uns des autres.» Il a également rappelé que cette parade était ressentie chaque année par les autochtones «comme une gifle, et a remué le couteau dans la plaie».

Une idée de jeunes?

Les entreprises commencent, elles aussi, à se positionner et, pour certaines, à prendre leurs distances avec l’Australia Day. La direction de l’enseigne de supermarchés Woolworths et celle de l’un des principaux opérateurs téléphoniques du pays, Telstra, laissent notamment le choix à leurs employés de travailler ou non ce jeudi 26 janvier.

«Pour de nombreux peuples des Premières Nations, l’Australia Day est un rappel douloureux de la discrimination et de l’exclusion qu’ils subissent. Cette date marque un tournant, la mort de nombreuses personnes, la dévalorisation d’une culture et la destruction de liens entre gens et lieux», a justifié sur LinkedIn la PDG de Telstra, Vicki Brady le 23 janvier, avant d’ajouter que malgré tout, «pour beaucoup de gens, cette journée est aussi l’occasion de passer du temps avec leurs amis et leur famille et de célébrer les nombreuses choses dont nous pouvons être fiers en tant que communauté».

Un sondage réalisé en janvier 2022 par l’Université Deakin montre toutefois que les Australiens ne partagent pas majoritairement l’idée d’un changement de date de leur fête nationale: 60% des personnes interrogées avaient même affirmé vouloir continuer à célébrer la fête nationale le 26 janvier. Ce chiffre varie cependant selon les catégories d’âge.

Si seulement 23% des personnes nées avant 1945 souhaitent un changement de date, les millennials (nés entre 1986 et 2002) sont en effet 53% à l’appeler de leur vœux. Une différence qui s’explique notamment, selon Jakelin Troy, par la reconnaissance progressive de l’histoire des peuples autochtones, avant la colonisation britannique.

«On n’évite plus le terme “invasion” dans beaucoup d’écoles. Aujourd’hui, on enseigne plutôt le fait que l’Australie était déjà peuplée, qu’on était déjà là, reprend la linguiste. Les gens comprennent et les jeunes peuvent être embarrassés à l’idée de célébrer cet événement. Je pense que c’est pour ça qu’ils prennent moins part aux festivités.»

Une fête pour «célébrer ce qu’est réellement ce pays»

Trouver une autre date n’est pas la priorité du gouvernement australien d’Anthony Albanese, qui doit notamment se charger, en 2023, d’organiser un référendum sur l’intégration d’une voix autochtone dans la Constitution. Mais si cela devait arriver, Jakelin Troy indique que les options ne manquent pas. La fête nationale devra cependant, pour elle, avoir du sens et «célébrer ce qu’est réellement ce pays». À savoir «un lieu hybride, mais un endroit qui appartient fondamentalement aux Aborigènes et Insulaires du détroit de Torrès».

«Autour de moi, beaucoup de personnes aborigènes parlent du Mabo Day», reprend la professeure de l’Université de Sydney. Certaines communautés aborigènes célèbrent déjà, chaque 3 juin, ce Mabo Day, soit l’abandon par l’Australie de la notion de Terra Nullius, une décision de justice reconnaissant que le pays était bien peuplé lors de l’arrivée des Britanniques.

Peut-être que cela arrivera: selon un autre sondage, réalisé par l’institut Ipsos en 2021, 49% des Australiens pensent que la date de leur fête nationale sera amenée à changer dans les dix prochaines années.

Léo Roussel — Édité par Natacha Zimmermann — 26 janvier 2023 à 9h06

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26 janvier 2023 ~ 0 Commentaire

crimée (anticapitalist)

criee

Noman Çelebicihan

La République populaire de Crimée

La révolution de février, écrit Vladyslav Starodubtsev, est devenue une période de possibilités pour les nations de l’Empire. Les Tatars de Crimée ont saisi cette possibilité et l’ont utilisée autant qu’ils le pouvaient.

Hryhoriy Potemkin a écrit en 1794 : « Retirez les Tatars de Belbek, Kacha, Sudak, Uskut, de l’ancienne Crimée, et généralement des régions montagneuses ; parmi les Tatars qui vivent dans les steppes, personne ne doit être laissé derrière ; et si l’un des Maures souhaite partir, il doit être immédiatement ajouté à la liste appropriée et recevoir l’ordre de partir dans les 24 heures. » Cette note explique beaucoup de choses. Ainsi, la grande réinstallation a commencé. Selon des sources turques, sur les 1,5 million de Tatars qui vivaient en Crimée au 18e siècle, il en restait 250 000 au début du 20e siècle. Les Tatars de Crimée ont beaucoup souffert de l’impérialisme russe, et en 1917, le mouvement national tatar a eu une chance de se libérer.

La révolution de février est devenue une période de possibilités pour les nations de l’Empire. Les Tatars de Crimée ont saisi cette possibilité et l’ont utilisée autant qu’ils le pouvaient.

En 1917, les cercles révolutionnaires de l’intelligentsia tatare de Crimée ont créé le parti tatar ou, comme on l’a appelé plus tard, le Milliy Firqa[1] (également appelé parti du peuple et parti socialiste tatar). Il s’agissait d’un parti démocratique, musulman et d’orientation socialiste, qui prônait une république parlementaire démocratique, avec la liberté de réunion, de syndicats, d’activités de parti, la liberté et l’inviolabilité individuelles, et la liquidation des successions. Il accordait également une grande importance à la liberté nationale, à l’égalité des langues, des cultures et des peuples. Il soutenait notamment la lutte pour l’autonomie ou l’indépendance de tous les peuples asservis de Russie et préconisait de larges garanties pour toutes les nationalités habitant la Crimée.

Milliy Firqa a été construit comme un parti centralisé qui n’autorisait que les membres musul-mans comme un parti national pour représenter leurs intérêts. L’un des principaux objectifs déclarés était l’établissement d’une société sans classes et d’un État ou d’une autonomie régie par une interprétation démocratique de la charia.

Noman Çelebicihan était l’un des dirigeants et fondateurs du parti, un ardent socialiste, un poète et un avocat. Çelebicihan a donné son caractère au parti et est devenu le symbole d’une révolution naissante dans la péninsule.

La Crimée possède un grand nombre de fleurs, de couleurs et d’arômes différents. Ces fleurs représentent les nations qui vivent en Crimée : Tatars de Crimée, Russes, Juifs, Grecs, Allemands et autres. La tâche du Kurultai est de rassembler tout le monde et, en en faisant un merveilleux bouquet, de transformer la Crimée en une véritable Suisse culturelle. Le Kurultai national ne s’occupera pas seulement des musulmans, mais aussi des autres nations, il les invitera à coopérer, et il avancera au même rythme qu’eux. Notre nation n’est que l’initiatrice dans cette affaire Noman Çelebicihan

Les Tatars de Crimée ont formé leurs bataillons nationaux dans l’armée et ont commencé à créer des centres culturels et politiques légaux. Cependant, ces actions sont mal accueillies par le gouvernement russe.

Le gouvernement de Kerensky (proche des socialistes révolutionnaires) s’oppose à ce mouvement des Tatars de Crimée et le 23 juin, Çelebicihan est arrêté (par le contre-espionnage de Sébastopol) pour « activités illégales ». Cette arrestation a porté un coup fatal au sentiment national des Tatars de Crimée. Après avoir recueilli plus de 5 000 signatures de protestation, il est rapidement libéré.

La révolution de février a renversé l’ancien régime, et notre peuple s’est rallié à la bannière rouge. Mais les mois ont passé, et nous ne voyons toujours ni science, ni connaissance, ni art, ni industrie, ni ordre, ni justice. De plus, l’ordre s’est encore détérioré, et tous nos espoirs ont été anéantis. Tout autour de nous, il y a un vide terrifiant qui donne à réfléchir. Nous attendions une solution aux problèmes de la part des autorités centrales (de Russie). Cependant, de là, du gouvernement provisoire, seule l’anarchie est venue, et toute la région (la Crimée) a plongé dans l’obscurité et le conflit. À cet égard, nous avons dit : « Nation ! N’attendez plus rien du gouvernement central, prenez votre destin en main ! ».

Le 2 octobre 1917, le deuxième congrès musulman de toute la Crimée à Simferopol a décidé d’organiser des élections au Kurultai, parlement des Tatars de Crimée. Lors des élections qui se sont tenues dans la seconde moitié de novembre, 76 députés ont été élus au parlement, dont 4 femmes. L’élection de femmes députées dans une république musulmane a été considérée comme un symbole de progrès social dont les membres du premier parlement de Crimée étaient fiers.

Le Kurultai reconnaît l’égalité générale des personnes comme base et affirme l’égalité des droits des hommes et des femmes et confie l’élaboration et l’adoption de la loi correspondante sur l’égalité au Parlement. Article 18 de la Constitution de la République populaire de Crimée.

Kurultai des Tatars de Crimée

Quelque temps plus tard, le 13 décembre 1917, Kurultai a proclamé la République populaire de Crimée, fondée sur les idéaux de libération nationale, d’égalité sociale et de démocratie.

La décision de déclarer la RPC était également soutenue par les membres ukrainiens et tatars de Crimée du Conseil des représentants du peuple.

Il s’agissait de la première république turque, de la première république musulmane à accorder l’égalité des droits aux femmes et de la première république socialiste du monde musulman. La plupart des membres élus du Parlement étaient membres du parti Milliy Firqa, et ont commencé à réaliser leur programme, comprenant des réformes politiques, culturelles et économiques.

Dans son programme, Milliy Firqa a déclaré la socialisation des usines et des fabriques : « …En ce qui concerne la question du travail, Milliy Firqa est totalement solidaire des demandes des sociaux-démocrates… », réformes politiques et foncières.

La majorité des Tatars de Crimée étaient des paysans, dont près de la moitié étaient sans terre. C’est pourquoi le programme du parti militait pour la liquidation de la propriété foncière waqf (église) : 87 614 acres de terre ont été transférés à l’État et loués aux paysans les plus pauvres. « Toutes les terres appartiennent aux communautés » (jamaats) : chaque personne se voit garantir autant de terres qu’elle peut cultiver. Les terres administratives, ecclésiastiques et foncières pouvaient être aliénées sans compensation.

Mais malheureusement, la vision de la République ne tiendra pas longtemps.

Bientôt, les bolcheviks, se considérant comme le successeur légal de toutes les terres précédemment détenues par l’Empire russe, ont déclaré la guerre à la République populaire de Crimée et ont complètement occupé la péninsule de Crimée. Ils capturent Noman Çelebicihan et, le 27 janvier, le chef du gouvernement national de Crimée, est emprisonné à Sébastopol. Comment il a été torturé ou interrogé par les nouvelles autorités bolcheviques – nous ne le savons pas, mais peu après, le 23 février 1918, il a été fusillé et son cadavre a été jeté dans la mer Noire.

La République populaire de Crimée est devenue un exemple frappant de la lutte d’un peuple asservi pour ses droits, son État et sa liberté. La république n’a pas duré longtemps, et la population de Crimée a subi un sort difficile – régimes d’occupation russes, troupes françaises et allemandes. Le parti Milliy Firqa a été persécuté par toutes les forces en présence : le gouvernement provisoire, les bolcheviks, les Blancs et les forces françaises.

L’aile gauche du parti décide de collaborer avec les bolcheviks et adopte la plate-forme soviétique, mais après la vague de répression, elle est finalement interdite par les bolcheviks en 1920.

1) Résolution (à adopter) rejetant l’accord avec le groupe dans son ensemble comme une relique nuisible et inutile. 2) Commencer une campagne contre « Milliy Firqa » avec une agitation orale et écrite 3) Publier un pamphlet dirigé contre « Milliy Firqa » .

Le 30 novembre 1920, résolution du RKP(b) sur Milliy Firqa.

Cela signifiait l’interdiction complète du parti.

Cependant, l’héritage de cette république éphémère, mais ambitieuse et courageuse, est toujours vivant.

[1] Certains historiens ont tendance à parler de Milliy Firqa comme d’un parti distinct, créé en 1919, mais la plupart s’accordent à dire qu’il s’agissait d’une nouvelle période de développement du parti tatar, et non d’un nouveau parti.

26 Jan 2023

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13 janvier 2023 ~ 0 Commentaire

grèce (courrier)

Sophie_de_Grece

Les aristocrates grecs, espagnols, danois…

Mort de Constantin II, le dernier roi de Grèce

Le dernier roi de Grèce (1964-1974) est mort dans la soirée du 10 janvier, à 82 ans. Le média d’opinion “Protagon” revient sur un règne court mais mouvementé, qui a marqué la fin de la monarchie dans le pays.

“Un grand chapitre de l’histoire contemporaine grecque s’est refermé, sans bruit”, décrit Protagon pour évoquer la mort de Constantin, 82 ans, roi de Grèce entre 1964 et 1974. Couronné à l’âge de 23 ans, il fut le dernier roi de Grèce. Sans regret, commente le média d’opinion :

“La monarchie était-elle un cancer ? Sans aucun doute. C’était un anachronisme, une trahison des rêves des héros de la révolution de 1821, un incroyable gaspillage de ressources quand le peuple était affamé.”

Mais, reprend Protagon, “qu’on le veuille ou non, [Constantin] était une personnalité du 20è siècle, mais aussi le visage d’une période mouvementée et d’une tragédie nationale”. Une référence à l’instabilité politique qui a prévalu dans le pays au cours de la seconde partie du siècle dernier et, surtout, à l’accession au pouvoir des Colonels (1967-1974) à la faveur d’un coup d’État. Or, dénonce Protagon, “il n’a rien fait pour les empêcher de prendre le pouvoir en avril 1967”.

13 millions d’euros

À la chute de la dictature et au retour d’exil de Constantin, la fin de la monarchie est actée par référendum : 70 % des Grecs se prononcent en faveur de l’établissement d’une république parlementaire et mettent ainsi fin à la dynastie danoise instaurée en 1863 par l’arrière grand-père de Constantin II, Georges I.

“Il n’a jamais accepté sa destitution”, assure le média grec, rappelant les paroles de l’ancien roi dans une interview télévisée en 2016 :“Je ne suis pas l’ancien roi Constantin, je suis le roi Constantin, point final.”

Protagon rappelle en outre l’existence d’un projet ourdi entre 1975 et 1977 visant à faire assassiner le Premier ministre de l’époque, Konstantinos Karamanlis, afin de faire revenir Constantin au pouvoir.

Son rapport avec l’État grec restera conflictuel, Constantin réclamant et obtenant plus de 13 millions d’euros de réparation de la part de l’État qui avait confisqué les biens de la famille royale. “Impénitent jusqu’au bout, son règne a beaucoup coûté”, conclut le média grec.

Courrier international  11 janvier 2023

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12 janvier 2023 ~ 0 Commentaire

socialistes (le télégramme)

becassine

Élection du Premier secrétaire ce jeudi : que pèse le Parti socialiste en Bretagne ?

Le nombre de militants socialistes qui voteront pour l’élection de leur Premier secrétaire sera une donnée particulièrement scrutée.

Le premier tour de l’élection du Premier secrétaire du PS se déroule ce jeudi. L’occasion de tenter de mesurer ce que pèse encore la gauche socialiste en Bretagne.

Que pèse aujourd’hui le PS en Bretagne ? 2,2 %, répondront les plus sévères, en rappelant le résultat d’Anne Hidalgo à la dernière présidentielle dans la région. Infiniment plus, nuanceront ceux qui ont la carte politique bretonne en tête. La gauche socialiste peut en effet compter sur trois sénateurs et trois députés.

Elle dirige la région Bretagne, ainsi que deux départements (les Côtes-d’Armor et l’Ille-et-Vilaine). Elle est au pouvoir à Rennes et à Brest. Et si elle a perdu Lorient lors des dernières municipales, elle a reconquis Quimper, Saint-Brieuc et Morlaix (*). Pas si mal pour une force politique qui a été percutée de plein fouet par le big-bang macroniste de 2017.

À l’échelle de la Bretagne, le PS reste une force structurée, même si elle est très dépendante des grandes villes et de ses bastions traditionnels

« À l’échelle de la Bretagne, le PS reste une force structurée, même si elle est très dépendante des grandes villes et de ses bastions traditionnels », observe l’historien François Prigent, auteur d’une thèse sur les réseaux socialistes en Bretagne. Il rappelle toutefois qu’on est loin de l’époque où les Bretons représentaient 10 % du groupe socialiste à l’Assemblée nationale et trustaient les postes ministériels.

C’était au début du quinquennat Hollande, à l’époque du premier gouvernement Ayrault. « La Bretagne était alors au cœur de la gauche socialiste, au même titre que le Sud-Ouest. Depuis, le PS est en reflux et retrouve une forme d’étiage dans la région », analyse François Prigent.

Le grand basculement des années 70

S’il garde malgré tout de solides positions, le PS le doit encore assez largement au grand basculement politique des années 70. Longtemps restée terre de mission pour les socialistes, la Bretagne était alors devenue cette région « en haut à gauche » de la France, selon la formule de Charles Josselin, l’homme qui avait fait tomber dès 1976 le conseil départemental des Côtes-d’Armor (qu’on appelait alors Côtes-du-Nord) dans l’escarcelle du PS breton.

Ce dernier avait réussi à cette époque une efficace synthèse entre socialisme démocratique, république laïque et réseaux catholiques. Parfaitement en phase avec les mutations de la société bretonne, d’où les succès électoraux qui s’étaient enchaînés (des victoires à Rennes, Nantes et Brest lors des municipales de 1977 jusqu’à la conquête du conseil régional par Jean-Yves Le Drian en 2004).

L’enjeu des classes moyennes et populaires

Pour le Parti socialiste, l’un des principaux défis sera précisément de se reconnecter aux classes moyennes et populaires qui ont tendance à lui tourner le dos, notamment dans ces secteurs périurbains où progresse le vote Rassemblement national. Et de redevenir, pour reprendre un tweet posté cette semaine par l’ancienne ministre Marylise Lebranchu, un parti capable de parler « aux Français qui rament, qui ne trouvent plus de services publics, qui sont mal payés ou ont de petites retraites, et ne croient plus en (lui) ».

Sauf que, pour l’instant, le PS paraît surtout empêtré dans des querelles stratégiques, renvoyant l’image d’un parti divisé entre ceux qui voient la Nupes comme la seule planche de salut et ceux qui, à l’instar du maire de Brest François Cuillandre, considèrent cette alliance, née à l’occasion des dernières législatives, comme mortifère pour les socialistes.

Querelles stratégiques

Ces débats ne sont toutefois pas une première. « Dans un système partisan où il n’y a pas une gauche, mais des gauches, ces questions d’union ont toujours été centrales. On peut trouver une forme d’analogie avec l’époque du programme commun, quand les débats internes portaient sur les relations avec le Parti communiste.

Il y avait alors des dissonances entre les anciens de la SFIO et les nouveaux militants », rappelle François Prigent, qui ne voit pas, non plus, comme une franche nouveauté le fait que certains élus socialistes, comme le président de la région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, ou la maire de Rennes, Nathalie Appéré, semblent jouer davantage leur partition personnelle que celle du parti.

« En Bretagne, le socialisme a toujours été l’agrégation de réseaux à bases multiples, et donc aussi à géométrie variable », note l’historien. Sans doute une des clés de son implantation durable dans la région.

(*) Si l’on prend en compte l’ensemble de la Bretagne historique, la gauche socialiste dirige également les villes de Nantes et de Saint-Nazaire, le conseil départemental de Loire-Atlantique et compte deux sénateurs dans ce département.

Martin Vaugoude le 12 janvier 2023

https://www.letelegramme.fr/

Note:

Le PSU, option bretonne et de gauche « anti-libérale, a disparu, ont le retrouve dans Ensemble

Lire aussi:

Le Parti socialiste unifié en Bretagne

Un Front populaire en demi-teinte : le Finistère des années 1934-1936 (Jean Paul Sénéchal ex LCR)

1964, naissance de l’Union démocratique bretonne

 

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08 janvier 2023 ~ 0 Commentaire

ordre nouveau (contretemps)

ordre nouveau (contretemps) dans A gauche du PS b8a-001

Ne pas céder un pouce de terrain aux fascistes. L’exemple de la lutte contre Ordre nouveau

Lorsque l’extrême droite fasciste refit surface en France quelques années après la Seconde Guerre mondiale, la gauche révolutionnaire se dressa pour lui faire face. Ce fut notamment le cas dans les années qui suivirent mai-juin 68, durant lesquelles la Ligue communiste, animée notamment par Alain Krivine et Daniel Bensaïd (fondateur de la revue Contretemps), mena une bataille continue contre Ordre nouveau. Cette lutte antifasciste culmina le 21 juin 1973 lors de l’attaque du meeting fasciste qui devait se tenir à la Mutualité. L’historien Jean-Paul Gautier revient sur cette séquence dans un extrait de son livre Antifascisme(s), récemment paru aux éditions Syllepse.

Ligue communiste vs Ordre nouveau

Durant les années 1970-1973, le devant de la scène de l’extrême droite est occupé par Ordre nouveau (ON). Qualifié « d’Ordre nazi », il éclipse tous les autres groupuscules d’extrême droite et focalise l’action des antifascistes. Ordre nouveau va devenir la bête noire de la Ligue communiste, qui n’épargne pas les autres groupuscules. À chaque initiative d’Ordre nouveau, la LC organise des contre-manifestations radicales. Se met ainsi en place un processus d’agres-sion/riposte. L’affrontement physique avec l’extrême droite apparaît pour certains mouvements d’extrême gauche comme un des axes de construction. C’est le cas pour Révolution et la Ligue communiste, particulièrement en visibilité sur ce terrain.

D’autres groupes d’extrême gauche se cantonnent soit à une analyse simplement théorique, soit cette thématique est quasiment absente de leur problématique. Les partis de gauche refusent de s’y associer pour « ne pas leur faire de publicité ». La Ligue communiste se positionne comme favorable à une violence prenant le caractère d’exemplarité c’est-à-dire en lien avec ce que les gens peuvent accepter comme niveau de violence, comme pratique de la violence, le but étant de créer une dynamique qui peut faire que cette violence soit reprise.

Ordre nouveau, comme son ancêtre Occident, recourt systématiquement à l’usage de la violence. Sa première apparition est l’appel à une réunion au cinéma Saint-Lambert, à Paris dans le 15e arrondissement avec comme slogan « France réveille-toi ! Face au marxisme, face au régime, camarade au combat pour un ordre nouveau ».

Le 10 décembre 1969, la salle de cinéma est plastiquée. Ordre nouveau tient une réunion de protestation en plein air devant le cinéma. La première apparition d’ON sent le soufre. Ordre nouveau se replie sur la Mutualité et organise un meeting, à ambition européenne, le 26 février 1970 sur le thème « Europe libère-toi ! », avec la participation de représentants de mouvements d’extrême droite portugais, italien, allemand, suédois. Le meeting est interdit par le gouverne-ment. Pour Ordre nouveau, « le fer est croisé. Nous n’allons plus nous arrêter. » François Duprat déclare qu’entre les « bolches » et Ordre nouveau, « c’est eux ou nous ».

Ordre nouveau met sur pied, en 1972, une structure clandestine, le Groupe d’intervention nationaliste (GIN), qui est chargée des actions violentes contre des militants d’extrême gauche, leurs locaux, le vol de fichiers et des attentats[1]. Ordre nouveau entend « nettoyer l’université de la chienlit gauchiste puisque le gouvernement se refuse à assumer cette responsabilité ». L’affrontement physique, parfois très violent, se localise sur certains lieux : les campus universitaires (Nanterre, facultés parisiennes, Rouen…), sur les marchés parisiens comme celui de Convention dans le 15e arrondissement de Paris, des Abbesses dans le 18e… Il peut prendre la forme de « nettoyage » des bastions de l’extrême droite, d’actions contre les réunions, contre les manifestations de rue.

Les mois de mars et d’avril 1973 voient la mobilisation de dizaines de milliers lycéens pour protester contre la « loi Debré » qui réforme le régime des sursis d’incorporation[2]. L’agitation dans les lycées se double d’une contestation étudiante, suite au projet de réforme du premier cycle. Face à la mobilisation de l’extrême gauche, Ordre nouveau, qui vient de lancer le Front de la jeunesse, décide de contre-attaquer et appelle à une manifestation le 3 avril 1973.

Dans un premier temps, la manifestation est convoquée au métro Sèvres-Babylone puis finalement elle se rassemble au métro Duroc. L’extrême gauche, emmenée par la Ligue communiste, attaque la manifestation du Front de la jeunesse. Les heurts sont violents et de nombreux blessés sont à compter dans les rangs de l’extrême droite. François Duprat, tirant le bilan de cette manifestation, la qualifie de « manifestation massacre ». La mobilisation contre Ordre nouveau connaît deux grands moments de mobilisation.

Le 9 mars 1971, Ordre nouveau tient meeting au Palais des sports. Des mouvements d’extrême gauche diffusent un tract : « Le meeting d’Ordre nouveau n’aura pas lieu[3] ». De violents affrontements éclatent entre les contre-manifestants et la police à laquelle se joint le service d’ordre d’Ordre nouveau. France-Soir titre « Atmosphère néonazie au meeting d’Ordre nouveau ». La Ligue communiste continue ses interventions contre Ordre nouveau et entend riposter à toutes les interventions de l’extrême droite et la chasser du paysage politique.

Les militants de la Ligue communiste qui ont entrepris de continuer le combat contre le fascisme et ses organisations, combat abandonné par le Parti communiste, ne laisseront pas impunément se déverser la propagande raciste et nazie d’Ordre nouveau. Comme au marché Abbesses, au meeting fasciste rue du Renard, au marché Convention ou au meeting nazi du palais des Sports, nous riposterons à chaque provocation fasciste et comme ces anciens résistants FTP et déportés qui étaient présents avec nous porte de Versailles pour affirmer à nos côtés la continuité du combat antifasciste, nous crierons « Le fascisme ne passera pas » car nous l’empêcherons de passer et nous écraserons impitoyablement la « peste brune » dès qu’elle reparaîtra sur les marchés de nos quartiers.

Le 21 juin 1973, Ordre nouveau décide de tenir à la Mutualité un meeting sur le thème : « Halte à l’immigration sauvage ! » qui apparaît comme une véritable provocation pour l’extrême gauche et qui permet, une fois de plus, de démontrer que le racisme est un terreau privilégié pour le développement et l’expression du fascisme. La Ligue communiste décide d’interdire physi-quement ce meeting[4]. Le but est clair : « Meeting fasciste, meeting interdit ! » Alain Geismar, dans les colonnes du Monde, se solidarise avec la Ligue communiste : « Nous les empêchons [les nazis] de s’exprimer par tous les moyens. Si on en avait fait autant, il y a quarante ans… »

Le 20 juin se déroule une manifestation en « Défense des libertés » appelée par la gauche institutionnelle qui demande aux pouvoirs publics d’interdire ce meeting. La Ligue communiste participe à cette manifestation, même si elle considère que sa portée est limitée. La gauche refuse de s’associer à une contre-manifestation le jour du meeting.

Seuls La Cause du peuple, Révolution, le Parti communiste marxiste-léniniste-Humanité rouge, l’Alliance marxiste révolutionnaire s’associent à l’initiative de la Ligue communiste pour interdire physiquement le « meeting raciste ». Lutte ouvrière, l’Alliance des jeunes pour le socialisme (POI blog) et le Parti socialiste unifié refusent de participer à cette action.

L’idée de départ était d’occuper la salle de la Mutualité avant les fascistes, mais la salle était protégée par la police. Le 21 juin, 4 000 à 5 000 manifestants équipés se retrouvent place Monge. La Ligue communiste prend la direction des opérations[5]. Les affrontements sont violents avec la police qui bloque l’accès à la Mutualité et qui recule face aux charges des manifestants[6]. Un groupe de manifestants attaque le local d’Ordre nouveau. Aux lendemains de la manifestation, la question qui se pose est de savoir quelle va être la réponse du pouvoir.

Depuis le mois d’avril 1973, le gouvernement a la Ligue communiste dans le collimateur et la dissolution du mouvement était déjà à l’ordre du jour. La problématique, pour la direction de la Police judiciaire, est la suivante : « Doit-on attendre que les violences imputables à la Ligue communiste prennent une nouvelle ampleur avant d’agir contre ses dirigeants[7] ? » Le 28 juin, le gouvernement dissout la Ligue communiste et Ordre nouveau, qui est considéré comme une organisation qui « entretient des relations étroites avec des partis néofascistes ou néonazis étrangers. Ces relations ne laissent aucun doute sur le but que les dirigeants d’Ordre nouveau poursuivent ».

Les dirigeants d’Ordre nouveau ne sont pas inquiétés par la justice. Il n’en va pas de même pour les dirigeants de la Ligue communiste[8]. Le local et la librairie de la Ligue communiste, situés 10 impasse Guéménée, sont saccagés par la police. Pierre Rousset et Alain Krivine sont arrêtés. La Ligue communiste est, elle, tombée dans un piège le 21, victime d’une provocation du pouvoir ? Fallait-il ne rien faire le 21 juin ?[9] Ce qui est sûr, c’est que dans les modalités d’organisation de la manifestation, il a manqué à la Ligue communiste un soutien de masse, un parapluie démocratique et elle s’est trouvée isolée.

Alain Krivine considère que la Ligue communiste est tombée dans un piège. La police était sous-équipée, mal informée par le centre de commandement. Pour lui, Raymond Marcellin a eu la volonté de souder la police contre l’extrême gauche et d’aider au développement d’un syndicalisme policier d’extrême droite pour contrer la Fédération autonome des syndicats de policiers (FASP). Il justifie, lors de sa conférence de presse avant son arrestation, le choix de son organisation :

Nous sommes jeunes, mais nous avons plus de mémoire que les vieux. Nous ne voulons pas que ce qui s’est passé il y a quelques décennies se reproduise. Avec les fascistes, il y a toujours eu les mêmes réactions ; ils ne sont pas dangereux, il sera toujours temps d’agir… et puis un beau jour, il est trop tard. Pas de liberté d’expression pour les racistes et les antisémites ! Et comme toutes les organisations ouvrières et démocratiques traditionnelles ne prennent pas leurs responsabilités, les révolutionnaires ont dû le faire[10].

Daniel Bensaïd dénonce la provocation et le piège tendu par le ministre de l’intérieur :

Marcellin a voulu utiliser la Ligue pour ramener la peur du rouge au couteau entre les dents, c’est son rôle de ministre de l’intérieur […]. La provocation démasquée, Marcellin apparaît comme le suspect n° 1 de l’affaire, comme un casseur assermenté, comme le coupable possible[11].

L’ensemble de la gauche, y compris le Parti communiste, se solidarise contre la dissolution de la Ligue communiste. Le 4 juillet se tient un meeting au Cirque d’hiver. La Ligue communiste y est privée de parole. Jacques Duclos, membre du bureau politique du PCF y prend la parole :

Parlant au nom du Parti communiste français, le grand parti révolutionnaire de notre temps, j’élève une vigoureuse protestation contre l’arrestation d’Alain Krivine et la dissolution de la Ligue communiste dont chacun sait que nous n’approuvons ni la politique, ni les plans d’action qu’elle préconise.

Un appel, signé par des organisations d’extrême gauche, est publié :

Nous exigeons l’abrogation du décret de dissolution de la Ligue communiste. La levée de toutes les inculpations des dirigeants ou militants de la Ligue communiste et de ceux qui seraient poursuivis à la suite du 21 juin. La libération immédiate de tous les emprisonnés politiques et notamment Pierre Rousset et Alain Krivine. Nous appelons à la constitution d’un comité national sur la base de cet appel pour engager la lutte et faire échec à la répression[12].

Daniel Bensaïd considère que Raymond Marcellin a été en quelque sorte l’arroseur arrosé, tout en insistant sur les limites du soutien et l’attitude du PCF :

Marcellin avait misé sur les divisions du mouvement ouvrier en espérant les aggraver. La réponse n’a jamais été aussi unitaire, même si les exclusives demeurent. Et Marcellin n’imaginait pas cette succession d’orateurs, porte-parole du Parti socialiste, du Parti communiste, du Parti socialiste unifié, de la Confédération générale du travail, de la Confédération française et démocratique du travail, de la Fédération de l’éducation nationale, prenant tous la défense de la Ligue dissoute et réclamant la libération d’Alain Krivine.

 

Pourtant, le Parti communiste était resté ferme sur un point : aucun responsable de la Ligue dissoute ne devait prendre la parole. C’eût été dépasser les limites du tolérable, légaliser les « gauchistes » en les côtoyant à la tribune[13].

L’action de son service d’ordre a conféré une certaine aura à la Ligue communiste. Henri Weber le reconnaît lorsqu’il déclare que « avoir un bon SO qui manœuvrait comme à la parade et qui était efficace ça conférait un prestige important dans le milieu lycéen et étudiant[14] ». La Ligue communiste et son service d’ordre interviennent également en direction des entreprises pour protéger des distributions de tracts face aux interventions de milices privées et de syndicats fascistes, comme la Confédération française du travail (CFT) puis la Confédération des syndicats libres (CSL) qui assurent une partie du maintien de l’ordre au sein des usines et qui tentent de briser les grèves, particulièrement chez Peugeot, Simca et Citroën :

La lutte contre l’oppression patronale dont les travailleurs de Citroën sont victimes ne doit pas se limiter à une lutte de pétitions, à des meetings symboliques, à des procédures judiciaires interminables, mais doit être un combat frontal avec la CFT-Citroën[15].

Section française de la 4e Internationale, la Ligue communiste se mobilise contre les régimes fascistes : la Grèce des colonels, l’Espagne de Franco et le Portugal de Salazar et Caetano. Après juin 1973, l’antifascisme reste une référence capitale, pour le Front communiste révolutionnaire[16], puis pour la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) qui succèdent à la Ligue communiste et pour une partie de la jeunesse étudiante et lycéenne.

Une rubrique régulière y est consacrée dans l’hebdomadaire Rouge, qui annonce les mobilisations contre l’extrême droite[17]. La LCR va poursuivre ses activités contre le GUD, le Front national, le Parti des forces nouvelles, les solidaristes et les néonazis de la Fédération d’action nationaliste européenne[18]. Ainsi, lors de la campagne pour les élections européennes de 1978, elle appelle à une manifestation unitaire à Paris, place d’Italie, « Contre le meeting nazi. Tous, ce soir dans la rue ! » La liste de l’Eurodroite avec les Espagnols de Fuerza Nueva, les Italiens du MSI et les Français du Parti des forces nouvelles tenaient meeting à la Mutualité.

Dans le climat de division qui ravage la classe ouvrière depuis plusieurs mois, il n’est pas indifférent qu’ait pu pour la première fois se réaliser l’unité sur une action précise […]. On peut remarquer le chemin parcouru depuis le 21 juin 1973 où l’extrême gauche s’était retrouvée seule dans son action contre un meeting raciste, l’unité des organisations ouvrières ne se faisant qu’après pour protester contre la dissolution de la Ligue communiste et l’emprisonnement de certains de ses dirigeants […]. Malgré les exclusives scandaleuses lancées par le PCF et la CGT contre l’extrême gauche, ce soir, la LCR sera massivement dans la rue[19].

Au niveau international, la Ligue communiste révolutionnaire (section française de la 4e  Internationale) continue de se mobiliser contre la dictature en Espagne[20], au Portugal. Elle soutient, en Amérique du Sud, les mouvements révolutionnaires qui luttent contre les dictatures militaires. Elle se mobilise, à travers les comités Chili, contre le coup d’État du général Pinochet au Chili en septembre 1973.

En 1979, à la suite de l’assassinat de Pierre Goldman, la Ligue communiste révolutionnaire participe massivement aux obsèques de Pierre Goldman, où sont présentes une trentaine d’organisations syndicales et de partis et d’associations. Elle est signataire de l’appel unitaire lancé le 21 septembre : « Les organisations soussignées dénoncent la responsabilité du pouvoir dont la politique contribue à réveiller les nouveaux démons du fascisme, du racisme et de l’antisémitisme. »

Les signataires entendent « tout mettre en œuvre pour riposter aux violences, provocations et attentats fascistes et assurer l’unité la plus large[21] ». La Ligue communiste révolutionnaire participe au meeting central à la Mutualité le 2 octobre. À la veille de l’élection présidentielle de 1981, l’antifascisme n’est plus un élément de mobilisation de la gauche institutionnelle par manque d’adversaires. Faute de recueillir les 500 parrainages nécessaires, le Front national et le Parti des forces nouvelles se retrouvent dans l’impossibilité de participer à la joute électorale. La Ligue communiste révolutionnaire développe évidemment une analyse aux antipodes de celles de la gauche parlementaire.

Jean-Paul Gautier 30 décembre 2022

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04 janvier 2023 ~ 0 Commentaire

femmes médecins (the conversation)

medicaments

La disparition progressive des femmes médecins du Moyen Âge, une histoire oubliée

La plupart des « sorcières » persécutées en Europe à partir du 15è siècle étaient en réalité des sages-femmes et des guérisseuses, héritières d’une longue tradition d’exercice laïc de la médecine, plus pragmatique que théorique.

Mais pour raconter l’histoire de ces expertes (avant qu’elles soient totalement évincées), les chercheurs se heurtent à plusieurs obstacles : les informations sont peu nombreuses et disparates, fragmentées en de nombreuses sources très différentes ; sources biographiques, par exemple, mais aussi sources économiques, judiciaires, administratives.

Quelquefois ne subsistent que des prénoms ou des noms, comme ceux des femmes inscrits à l’Ars Medicina de Florence (un traité médical), ou celui de la religieuse apothicaire Giovanna Ginori, inscrite sur les registres fiscaux de la pharmacie dans laquelle elle travaillait pendant les années 1560.

Ces recherches permettent néanmoins de mieux comprendre comment les femmes ont peu à peu été exclues de la médecine, de sa pratique et de ses études, de par un système institutionnel et hiérarchique totalement dominé par les hommes.

La Scola Salernitana

Il faut d’abord évoquer la plus célèbre École de Médecine active au début du Moyen Âge, celle de Salerne, la Scola Salernitana. Elle comptait dans ses rangs plusieurs femmes médecins : Trota (ou Trotula), pionnière de la gynécologie et chirurgienne, Costanza Calenda, Abella di Castellomata, Francesca di Romano, Toppi Salernitana, Rebecca Guarna et Mercuriade, qui sont assez connues et aussi celles qu’on nommait les mulieres salernitanae.

Contrairement aux femmes médecins de l’École, les mulieres travaillaient à un niveau plus empirique. Leurs remèdes étaient examinés par les médecins de l’École, qui décidaient ou non de les accepter, comme en témoignent le manuel Practica Brevis de Giovanni Plateario et les écrits de Bernard de Gordon. A Salerne se croisaient savants chrétiens, juifs et musulmans ; différentes cultures y cohabitaient, faisant de l’École un lieu exceptionnel, vivier de rencontres et d’influences scientifiques.

Des femmes accusées d’exercer illégalement

Cependant, dès 1220, la situation se complique car nul ne peut plus exercer la médecine s’il n’est pas diplômé de l’Université de Paris ou s’il n’a pas obtenu l’accord des médecins et du chancelier de l’Université, sous peine d’excommunication.

Citons l’exemple de Jacoba Felicie de Alemannia. Selon un document produit par l’Université de Paris en 1322, elle traitait ses patients sans connaître « vraiment » la médecine (c’est-à-dire sans avoir reçu d’enseignement universitaire) et était passible d’excommunication ; elle devait par conséquent payer une amende. Les actes du litige décrivent le déroulement d’un examen médical prodigué par cette femme : on apprend qu’elle analysait visuellement l’urine, prenait les pouls, palpait les membres du malade, et qu’elle soignait des hommes. C’est l’un des rares témoignages qui mentionne le fait que les femmes soignaient aussi des hommes.

Le procès de la jeune médecin a lieu pendant une période où l’on dénonçait et condamnait celles et ceux qui n’étaient pas diplômés de l’université. Avant elle, Clarice de Rouen avait été excommuniée pour l’exercice de la profession de médecin pour la même raison – avoir soigné des hommes – tandis que d’autres femmes expertes en médecine furent à nouveau condamnées en 1322 : Jeanne la converse de Saint-Médicis, Marguerite d’Ypres et la juive Belota.

En 1330, les rabbins de Paris sont également accusés d’exercer illégalement l’art de la médecine, ainsi que quelques autres « guérisseurs » qui se faisaient passer pour des experts sans l’être (selon les autorités) : on les taxait d’imposture, même s’ils étaient compétents. En 1325, le pape Jean 22, opportunément sollicité par les professeurs de l’Université de Paris après l’affaire Clarice, s’adresse à l’évêque de Paris Stephen en lui ordonnant d’interdire aux ignorantes de la médecine et aux sages-femmes l’exercice de la médecine à Paris et dans les environs, en insistant sur le fait que ces femmes pratiquaient des sortilèges.

La formalisation des études

L’interdiction progressive de la pratique de la médecine pour le genre féminin a lieu parallèlement à la formalisation du canon des études, le début de contrôle minutieux par les hiérarchies d’enseignants et par les corporations, marginalisant toujours plus les femmes médecins.

Elles continuent pourtant d’exister et d’exercer – parmi les italiennes on connaît les Florentines Monna Neccia, mentionnée dans un registre fiscal, l’Estimo de 1359, Monna Iacopa, qui a soigné les pestiférés en 1374, les dix femmes inscrites à la corporation des médecins de Florence – l’Arte dei Medici e degli Speziali – entre 1320 et 1444, ou les Siennoises Agnese et Mita, payées par la Ville pour leurs services en 1390, par exemple.

Toutefois, pratiquer la médecine devient très risqué pour elles, les soupçons de sorcellerie se faisant de plus en plus pesants.

Malheureusement, les sources officielles manquent de données au sujet des femmes médecins, car elles exerçaient dans une société dans laquelle seuls les hommes accédaient aux plus hautes fonctions.

Malgré tout, le cadre historique que l’on peut reconstituer montre l’existence non seulement de femmes qui étaient expertes et pratiquaient l’art de la médecine, mais aussi de femmes médecins qui ont étudié, souvent à titre non officiel – la plupart étaient instruites par leur père, leur frère ou leur mari.

Les femmes médecins dans les sources littéraires

Les sources non institutionnelles, comme les textes littéraires, sont très précieuses. Par exemple, Bocacce évoque une femme médecin dans le Decameron. Le narrateur, Dioneo, parle d’une certaine Giletta di Nerbona, une femme médecin intelligente qui parvint à épouser l’homme qu’elle aimait – Beltramo da Rossiglione – en récompense d’avoir guéri le roi de France d’une fistule à la poitrine. Boccacce fait dire à Giletta, qui perçoit bien le manque de confiance du souverain en elle, en tant que femme et jeune femme :

« Je vous rappelle que je ne suis pas médecin grâce à ma science, mais avec l’aide de Dieu et grâce à la science de Maître Gerardo Nerbonese, qui fut mon père et un célèbre médecin de son vivant ».

Boccace nous présente donc une femme experte en médecine d’une manière simple et naturelle : c’est peut-être un signe du fait qu’il se référait à des situations plus communes et connues par son public de lecteurs qu’on ne le croit généralement. Ce que dit Giletta au reflète une réalité de l’époque pour les femmes qui pratiquaient la médecine : ce qu’elle sait, elle l’a appris de son père.

Il existe en particulier beaucoup de données concernant les femmes médecins juives, actives en particulier dans le Sud de l’Italie et en Sicile, qui apprenaient l’art médical dans leur familles.

L’Université de Paris a joué un rôle très important dans le processus historique de normalisation et d’institutionnalisation de la profession médicale. Dans son article « Les femmes et les pratiques de la santé dans le Registre des plaidoiries du Parlement de Paris, 1364–1427 », Geneviève Dumas a bien montré l’importance des sources judiciaires parisiennes du 14è et 15è siècle, parce qu’on y trouve la mémoire des femmes qui ont été condamnées pour avoir pratiqué illicitement la médecine ou la chirurgie. Dumas a publié deux procès : celui qui a été mené contre Perette la Pétone, chirurgienne, et contre Jeanne Pouquelin, barbier (les barbiers étaient aussi autorisés à pratiquer certains actes de chirurgie).

Tandis que l’enseignement de la médecine à l’Université de Paris devenait la seule formation valable en Europe et que l’École de Salerne perdait en influence, les femmes ont été peu à peu exclues de ces professions.

La disparition progressive des femmes médecins est à mettre en relation avec les interdictions ecclésiastiques, mais aussi avec la professionnalisation progressive de la médecine et avec la création d’institutions de plus en plus strictes telle que les Universités, les Arts et les Guildes, fondées et contrôlées par des hommes.

En Europe, il faudra attendre le milieu du 19è siècle pour que les premières femmes médecins diplômées puissent exercer, non sans essuyer de vives critiques.

Isabella Gagliardi Professeur Associé d’Histoire du christianisme, Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH)

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03 janvier 2023 ~ 0 Commentaire

dreyfus (socialist worker)

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L’affaire Dreyfus – un coup monté qui a alimenté une crise  

Une vicieuse injustice antisémite a divisé la société française en deux à la fin du 19è siècle. Il y a 125 ans ce mois-ci, le romancier Emile Zola s’est élevé contre cette injustice. Charlie Kimber se penche sur les enjeux politiques de l’affaire Dreyfus.

L’affaire Dreyfus a donné lieu à des débats importants pour les socialistes. Les classes dirigeantes en difficulté cherchent des boucs émissaires. Et la condamnation du capitaine Alfred Dreyfus pour espionnage en 1894 était parfaite pour l’élite en crise au sommet de la société française. Dreyfus était juif et vilipendé comme représentant des « étrangers » sapant tout ce qui était noble en France.

Quelques années auparavant, une affaire de corruption massive liée à la construction du canal de Panama a discrédité des pans entiers de la classe dirigeante française.  Deux des nombreu-ses personnalités impliquées dans la distribution de pots-de-vin étaient juives. Cela s’ajoute à la saleté antisémite déversée par une grande partie de la presse et des politiciens. Les crimes apparents de Dreyfus ont ajouté à ce poison.

Reconnu coupable par une cour martiale secrète d’avoir vendu des secrets militaires à l’Alle-magne, le tribunal condamne Dreyfus à la prison à vie.  Comme il ne veut pas reconnaître sa culpabilité, Dreyfus est envoyé dans la colonie pénitentiaire de l’île du Diable, en Amérique du Sud. Les autorités ont débarrassé un rocher stérile de trois kilomètres de long et de 500 mètres de large de toute forme de vie, à l’exception des gardes, afin de contenir Dreyfus seul. Il vivait dans une hutte de pierre sous une surveillance perpétuelle.

Il n’est pas étonnant, disait-on, que l’Allemagne ait vaincu la France lors d’une récente guerre lorsque des éléments aussi traîtres sont au cœur de l’État.  L’affaire pouvait être utilisée pour unir le peuple contre un ennemi extérieur et saper encore davantage le souvenir de la révolte ouvrière de la Commune de Paris de 1871. Presque personne ne doute de la condamnation.

Mais toutes les preuves contre Dreyfus étaient fausses, et peu à peu, sa famille, puis un cercle plus large de partisans, ont commencé à saper le récit officiel. Des sections de la gauche et certains libéraux prennent la défense de Dreyfus.  Tous les éléments pourris de la société s’unissent pour dire que Dreyfus est coupable et pour salir ses partisans en les traitant d’antipatriotes.

La droite a prétendu à tort que derrière les appels à la libération de Dreyfus se cachait un « syndicat » clandestin composé de Juifs, de socialistes et d’étrangers. Ce syndicat était censé corrompre les juges et soudoyer les témoins. Il visait à briser la confiance de la nation dans l’armée, à révéler ses secrets et, lorsqu’elle était sans défense, à ouvrir ses portes à l’ennemi allemand.

L’historienne Barbara Tuchman a écrit qu’il était « personnifié par les caricaturistes sous la forme d’un gros personnage juif portant des bagues et des chaînes de montre et arborant une expression de malveillance triomphante ». Cette question a dominé la vie politique pendant deux ans, de l’été 1897 à l’été 1899. Léon Blum, qui deviendra plus tard Premier ministre socialiste, écrit qu’il s’agit d’une « véritable guerre civile » et « d’une crise humaine non moins violente que la révolution française ».

Le 13 janvier 1898, le romancier Emile Zola, l’un des écrivains les plus traduits au monde, publie un article de 4 000 mots intitulé « J’Accuse » dans le journal libéral L’Aurore. Il s’est vendu à 300 000 exemplaires, dont une partie a été remise aux partisans de l’armée pour être brûlée dans les rues.  Il a l’audace d’attaquer nommément tant de personnes influentes qu’elles seront obligées de le poursuivre en justice pour diffamation, obligeant ainsi à un examen public de l’affaire.

Il écrit :  » J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir dissimulées pour des motifs politiques et pour sauver la face de l’état-major.  « J’accuse le général Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendus complices du même crime, le premier sans doute à cause de ses préjugés religieux, l’autre peut-être par cet esprit de corps qui vise à faire du bureau de la guerre un sanctuaire qu’il ne faut pas attaquer. »

Zola désignait les vrais coupables des délits d’espionnage et dénonçait « l’obsession du « sale juif » qui est le fléau de notre temps. »  Il fait de l’affaire une affaire internationale et amène les assignations que Zola avait espéré provoquer. La réaction est si violente que Zola est rapidement condamné pour diffamation criminelle et doit fuir en Angleterre pour échapper à la prison. Mais de plus en plus de gens se rendent compte que l’armée a piégé Dreyfus.

Un grand mouvement social, la Ligue des droits de l’homme, organise des réunions publiques dans tout le pays.  Il organise une pétition de masse pour la libération de Dreyfus, que chacun doit décider de signer ou non. Des villages entiers la soutiennent tandis que d’autres la refusent unanimement.

La pression exercée par une campagne de plus en plus importante dans les rues a forcé la tenue d’une deuxième cour martiale à la fin de l’année 1899, qui a vu la libération de Dreyfus de sa prison insulaire.  De façon sensationnelle, le second procès réitère l’ancien verdict, car l’idée d’admettre son innocence est trop déstabilisante pour les militaires.

Mais pour mettre fin à l’agitation, le président passe un accord pour gracier Dreyfus. Il faudra encore de nombreuses années pour que le nom de Dreyfus soit complètement blanchi. L’affaire divise les socialistes, non pas en raison d’un quelconque soutien à l’antisémitisme, mais en raison des forces de classe impliquées.

Jules Guesde est associé au slogan « Construire le socialisme et rien que le socialisme ». Il a déclaré que l’affaire n’était qu’un désaccord entre les éléments dirigeants, ce qui n’était pas pertinent pour les socialistes.  Après tout, dit-il, quelles que soient leurs différences, toutes les figures centrales faisaient partie d’une armée qui avait écrasé la Commune.  Les syndicalistes de premier plan et certains anarcho-syndicalistes considèrent que tout cela n’est qu’une mystification et une distraction bourgeoises.

Mais un autre socialiste de premier plan, Jean Jaurès, soutient que les travailleurs doivent se saisir de toutes les questions de démocratie. Et il ajoutait : « Qui est le plus menacé aujourd’hui par l’arbitraire des généraux, par la violence glorifiée des répressions militaires ? Qui ? Le prolétariat.

« Ils ont donc un intérêt de premier ordre à punir et à décourager les illégalités et les violences des cours martiales avant qu’elles ne deviennent une sorte d’habitude acceptée par tous. » Selon lui, les divisions au sommet pourraient être utilisées pour affaiblir la classe dirigeante.

Jaurès était soutenu par la révolutionnaire germano-polonaise Rosa Luxemburg. Dans l’un de ses premiers ouvrages, elle défendait ce point. D’une certaine manière, elle préfigurait ce que le révolutionnaire russe Vladimir Lénine allait mettre en avant quelques années plus tard. Elle écrivait : « Le principe de la lutte des classes impose l’intervention active du prolétariat dans tous les conflits politiques et sociaux de quelque importance qui se déroulent au sein de la bourgeoisie. »

Selon Luxemburg, l’affaire implique « le militarisme, le chauvinisme-nationalisme, l’antisémitisme et le cléricalisme ». Luxemburg tonnait qu’il serait « totalement incompréhensible de ne pas entrer en lutte avec ces ennemis ». Et elle ajoute plus tard : « L’ennemi de la classe ouvrière, le militarisme, était complètement exposé et il était nécessaire de diriger toutes les lances contre lui. »

Mais elle soutenait également que les socialistes devaient aborder l’agitation autour de Dreyfus comme « une lutte de classe clairement caractérisée qui la différencie des autres factions du mouvement ». Jaurès et Luxemburg avaient raison de dire que les révolutionnaires doivent être des tribuns des opprimés plutôt que de simples syndicalistes. L’oppression détruit des vies, mais elle est aussi un couteau sous la gorge de l’unité de la classe ouvrière.

Mais ce n’est pas la fin du débat socialiste sur l’affaire Dreyfus. Moins d’un an après la publi-cation de J’accuse, le premier ministre conservateur offre un poste de ministre à l’un des partisans socialistes de Jaurès, Alexandre Millerand.

Il avait décidé que c’était le meilleur moyen de mettre fin à l’affaire et d’élargir le soutien à son nouveau gouvernement. Millerand était censé être « l’équilibre » de la nomination du général Gallifet, le bourreau de la Commune, comme ministre de la guerre.  C’est le premier exemple d’un socialiste entrant dans un gouvernement ouvertement capitaliste, ce qui, une fois encore, divise fortement la gauche. Jaurès défend la démarche comme une suite logique de l’affaire Dreyfus et comme une étape transitoire du régime commun capitaliste-ouvrier.

Mais Luxemburg fait appel à certains des plus grands théoriciens du mouvement socialiste européen pour s’opposer à Jaurès. Selon elle, le rôle de classe d’un gouvernement ne change pas à cause d’un changement de personnalités. Luxemburg argumente : « L’entrée d’un socialiste dans un gouvernement bourgeois n’est pas, comme on le pense, une conquête partielle de l’État bourgeois par les socialistes, mais une conquête partielle du parti socialiste par l’État bourgeois. »

C’était un signe avant-coureur des arguments qui allaient balayer les partis sociaux-démocrates, de type travailliste, sur la révolution ou la réforme.  Ils se sont presque tous adaptés à l’État bourgeois et, en 1914, au début de la guerre mondiale, ils se sont ralliés à leur propre classe dirigeante pour soutenir le massacre des travailleurs d’autres pays.

Les avertissements de Rosa Luxemburg concernant Millerand étaient tout à fait corrects. Le gouvernement qu’il rejoint refuse de poursuivre ceux qui ont fait condamner Dreyfus et Millerand leur donne un camouflage radical. Il abandonne l’exigence de justice comme prix à payer pour rester dans le cabinet.

Charlie Kimber

https://socialistworker.co.uk/

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