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17 septembre 2024 ~ 0 Commentaire

L’Orchestre Rouge (Contretemps)

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La mise en place de l’Orchestre rouge

Chris Den Hond : Comment expliquez-vous que régulièrement l’histoire de l’Orchestre rouge refait surface et qu’à ces occasions vous êtes traité de menteur et Léopold Trepper d’imposteur ? 

Gilles Perrault : Effectivement, cette hargne est étonnante.  Est-ce parce que les gens de l’Orchestre rouge apparaissent comme des communistes sympathiques ? Ils ont été à la fois persécutés par Hitler et par Staline. Dans ces conditions, il est difficile de les soupçonner de complicité avec l’un ou avec l’autre. En fait, pour moi, l’Orchestre rouge, c’est comme une brigade internationale. Il est composé de toute sorte de gens. La tolérance règne dans cette organisation, le sectarisme n’y a pas sa place. Quand il a été recruté par Trepper, Alfred Corbin, qui dirigea la Simex, une société qui servait de couverture à l’Orchestre rouge à Paris, ne savait pas qu’il entrait dans un réseau soviétique. Au bout de quelque temps, par honnêteté, Trepper a joué cartes sur table : Je suis un agent soviétique, nous travaillons contre les Allemands, les nazis. Évidemment, le brave patriote d’Alfred Corbin tomba des nues. Il leva les bras au ciel : « Qu’est-ce que vous me racontez là ! Je n’ai jamais fait de politique. » Il confia à Trepper que le seul journal qu’il lisait, c’était Le Canard Enchaîné. C’était un type sans aucune affiliation politique. Il gagnait sa vie grâce à un élevage de volaille. Et comme son élevage battait de l’aile, si je puis dire, il a été bien content que Trepper lui propose un travail bien payé. Malgré son « apolitisme », Trepper l’embauche. Mes parents, qui étaient tous les deux avocats, démocrates-chrétiens, bourgeois, eux, ont travaillé pour un réseau britannique. Je leur ai dédié mon bouquin – à Georges et Germaine Peyroles, c’est mon nom d’état civil – parce qu’après tout, ils auraient très bien pu collaborer au réseau de Trepper. Ils jouaient dans un autre orchestre mais n’auraient eu aucun problème à jouer dans celui de Trepper.

Je voudrais faire un petit rappel chronologique. Pour ça, on va laisser tomber le « Grand Chef » et le « Petit Chef » et on va même oublier un peu l’Orchestre rouge, parce que tous ces noms-là, ce sont les Allemands qui les ont donnés. Trepper récusait complètement ce nom de « Grand Chef ». Aucun ancien de l’Orchestre rouge ne m’a déclaré : « On l’appelait le Grand Chef. » Trepper n’utilise pas non plus ce surnom dans ses mémoires. Je dois reconnaître que j’ai un peu contribué à cette dénomination qui l’irritait en l’utilisant moi-même. Le Grand Chef, ça vient d’où ? Dans la maison rue des Atrébates, à Bruxelles, il y a une malheureuse femme qui est terrorisée quand les gens de l’Abwehr se pointent et demandent : « Alors qui venait là ? » Et la pauvre de répondre : « Il y avait le Grand Chef. » C’est elle qui va appeler Trepper le Grand Chef. Et il y avait le Petit Chef, c’était Kent. Les Allemands vont reprendre ces termes et baptiser ce réseau d’espionnage soviétique en Europe de l’Ouest « l’Orchestre rouge » – Rote Kapelle en allemand.

C’est en 1937 que le général Ian Berzine, le chef du GRU, les services de renseignement de l’Armée rouge, « la maison chocolat » comme on disait – l’immeuble à Moscou était couleur chocolat –, envoie Léopold Trepper à Bruxelles. Trepper a déjà une longue habitude de la clandestinité. Pourquoi Bruxelles ? Parce qu’à cette époque-là, les Belges ne condamnent l’espionnage que s’il est dirigé contre la Belgique. Si on espionne contre l’Allemagne ou contre l’Angleterre, la justice belge n’intervient pas. Staline veut que Trepper mette en place un réseau en Belgique et en Hollande pour fournir à Moscou des renseignements concernant la Grande-Bretagne, l’impérialisme britannique. Pour Staline, l’ennemi principal, c’était l’impérialisme britannique. Il faut admettre que les services britanniques, eux aussi, ont monté beaucoup d’opérations contre la jeune Union Soviétique. Trepper est plutôt satisfait de cette mission. Il a 35 ans et en URSS, ce sont les années de terreur qui commencent. Lui et sa femme Luba sont logés dans un hôtel à Moscou. Ils ne s’endorment pas avant cinq heures du matin. Les rafles, se déroulent pendant la nuit. Et elles ont lieu toutes les nuits. C’est donc un soulagement d’être envoyé en mission à l’étranger. Ça va certainement lui sauver la vie.

Trepper est entré dans la clandestinité à 17 ans. A Bruxelles, il va créer un réseau efficace en utilisant une couverture commerciale. D’abord sous le nom du Roi du caoutchouc, puis de Simexco. C’est très intelligent de fonder une société qui fait des affaires principalement avec les Allemands et qui, en même temps, finance un réseau d’espionnage dirigé contre eux.

En 1939, l’Allemagne nazie et l’Union soviétique signent un pacte de non-agression. Un choc. Mais ça ne trouble pas trop Trepper. Il sait que tôt ou tard, il y aura une explication avec l’Allemagne. En plus, le général Berzine, l’homme qui l’a envoyé à Bruxelles, pense également que le danger numéro un pour l’Union soviétique ce n’est pas l’impérialisme britannique mais bien l’Allemagne nazie. Trepper installe son réseau et commence à envoyer des renseignements à Moscou.

En 1940, l’armée allemande mène un Blitzkrieg, une guerre éclair, qui, en six semaines, bouscule et écrase l’armée française, considérée à l’époque comme la meilleure du monde. C’est la stupeur. Sur le front, à l’intention de leurs alliés, les Allemands organisent des tournées en voiture pour leur démontrer comment ils ont procédé. Grâce à son amitié avec le consul roumain, Trepper se retrouve dans l’une de ces voitures, ce qui lui permet d’adresser à Moscou un rapport sur les méthodes de la guerre éclair. Les mêmes méthodes qui vont être appliquées un an plus tard contre l’URSS. C’était donc des informations cruciales que Trepper a transmis au Centre. Et puis, bien sûr, Trepper révèle à Moscou qu’Hitler prépare l’opération Barbarossa, la rupture du pacte germano-soviétique et l’invasion de l’URSS. Il en annonce même la date – le 22 juin 1941 – fournie par l’une de ses relations, un ingénieur d’origine tchèque. Mais, à Moscou, on refuse de le croire. Staline dit : « Je m’étonne qu’un vieux routier du renseignement comme Otto (le nom de Trepper à Moscou) se laisse abuser par la propagande anglaise. » Pour Staline, il s’agit d’une intoxication britannique. Il est persuadé que l’affrontement avec les Allemands ne se produira pas avant 1944 ou 1945. Il refuse donc d’écouter les avertissements donnés par les autres agents qui confirment l’information de Trepper. Que ce soit ceux venant du Tchèque Benes, de Rado qui opère en Suisse ou de Richard Sorge en poste au Japon. Ce fut un désastre pour l’Armée rouge. Les Soviétiques enquillent défaites sur défaites. Ils perdent des centaines de milliers d’hommes et des centaines de milliers d’autres sont faits prisonniers.

Et puis tout d’un coup arrive un message chiffré de Moscou : « Prenez contact. » Le message contient trois adresses et trois noms à Berlin. On est en décembre 1941. C’est un an plus tard que la Gestapo va arrêter les Berlinois. Mais à ce moment-là, Trepper est effaré, il ignore tout de ces Berlinois. Et il sait que n’importe quel chiffre aussi sophistiqué soit-il, sera cassé tôt ou tard. En conséquence, c’est incroyablement risqué d’envoyer des télégrammes sur lesquels figurent des adresses, même chiffrées. Les Allemands enregistrent tous les messages. Ils ont de bons « casseurs de codes ». Ils les mettent au travail. Trepper fait ce qu’on lui demande. Il envoie Kent à Berlin qui prend contact avec les trois groupes. Pourquoi Moscou envoie-t-il ces télégrammes ? Parce qu’à Berlin, des communistes ou des sympathisants communistes ou en tous les cas des antinazis convaincus travaillaient pour Moscou. Du temps du pacte germano-soviétique, c’était facile. Ils transmettaient leurs renseignements directement via l’ambassade soviétique. Moscou avait donné trois émetteurs à ces Berlinois, mais personne ne savait les utiliser. C’est vrai que c’est compliqué. Il faut changer les données tous les jours. Et comme personne ne s’attendait à la rupture de ce pacte germano-soviétique – puisque Staline refusait d’y croire –, on ne les avait pas formés. Pourtant, des renseignements très précieux arrivent de Berlin, du ministère de l’Économie et du Ministère de l’Air. Ils sont fournis par Arvid Harnack, conseiller du ministre de l’Économie, par Harro Schulze-Boysen, fils d’un amiral, qui est comme chez lui au ministère de l’Air. Tout Berlin connaissait Schulze-Boysen. Trepper, lui, ignore tout du groupe berlinois mais la Gestapo, elle, va relier les deux réseaux et appeler le groupe berlinois, « le groupe berlinois de l’Orchestre rouge ». Bientôt, il est convenu avec Kent que les renseignements passeront par les émetteurs de Trepper en Hollande et en Belgique. Ils seront apportés par des courriers et transmis à Trepper de la main à la main. Ça ne passe plus par les ondes. Trepper accepte évidemment. La conséquence, c’est que ses émetteurs en Belgique et en Hollande sont débordés par le flot de renseignements à transmettre. Les pianistes travaillent durant 3 à 4 heures d’affilée, ce qui est extrêmement dangereux. La radiogoniométrie allemande est très performante. Les Allemands utilisent la méthode de triangulation en employant des camionnettes qui tournent sans arrêt dans les rues. La triangulation définit le quartier où est placé l’émetteur, puis le groupe d’immeubles, puis des agents circulant à pied, avec des valises contenant un détecteur, finissent par repérer la maison dans laquelle se trouve l’émetteur.

Et lorsque la Gestapo ou l’Abwehr (c’était surtout l’Abwehr qui opérait en Belgique et en Hollande) font irruption dans les appartements, ils trouvent des documents qui, en attente d’être chiffrés, n’ont pas encore été transmis. Et, horreur et consternation, ils découvrent que ces informations viennent de Berlin. Ceux qui, à Berlin, renseignent sur les rouages de la machine de guerre nazie sont dans le « ventre de la bête immonde. » Berlin est immédiatement prévenue. Alors, les Allemands créent le Sonderkommando, le commando spécial Rote Kapelle, chargé d’éradiquer « cette pourriture juive à l’ouest », comme l’appelle Himmler. Vous voyez le processus. C’est comme ça que les émetteurs de Trepper sautent les uns après les autres, uniquement parce que les types sont sacrifiés. Mais ils ne sont pas sacrifiés pour rien. En décembre 1941, après la bataille de Moscou et avant la bataille de Stalingrad, les hommes et femmes de l’Orchestre rouge réussissent à passer ce message crucial : « En tout état de cause, l’offensive de printemps n’aura pas lieu pour prendre Moscou ou pour aller au-delà de Moscou si Moscou tombe, mais aura lieu à l’extrémité sud du front, vers la Crimée, vers Bakou et le pétrole et vers Stalingrad. » Donc les Soviétiques sont prévenus de l’attaque allemande contre Stalingrad. Les pianistes ont été sacrifiés pour faire passer l’information.

Ainsi, au départ on a un petit réseau de renseignement soviétique en Belgique et en Hollande. Ce réseau devient d’un coup très important à cause de la jonction avec les Berlinois pour cause d’impréparation totale de la part de Staline. Il aurait fallu former les radios berlinois qui sont complètement débordés et du coup, hop, on sacrifie les uns après les autres les pianos et les pianistes de Trepper.

Le Jeu radio entre Bruxelles, Berlin et Moscou

Chris Den Hond : C’est le début du fameux Funkspiel ? 

Gilles Perrault : Oui. Le Funkspiel est une expression allemande qui signifie Jeu radio. C’est une opération de contre-espionnage mise en place par la Gestapo lors de la Seconde Guerre mondiale. Elle consiste à utiliser les émetteurs radio des opérateurs clandestins capturés pour dialoguer à leur place directement avec Londres ou Moscou.

Les pianistes de Trepper sont arrêtés et emprisonnés à la prison de Saint-Gilles de Bruxelles. Il le sait parce qu’il a des informateurs. Il sait aussi que ces pauvres diables ont été retournés et que maintenant ils travaillent pour les Allemands. Sur le plan du renseignement, les Allemands ont été archi-battus, notamment par les Britanniques, mais ils ont eu des succès avec le Funkspiel. C’est eux qui l’ont inventé. Dans le cadre de l’opération Pôle Nord, ils ont pratiquement réussi à neutraliser la résistance hollandaise avec ce « Jeu radio ». Ils ont retourné des pianistes et ont pu attirer des gens, qui, parachutés, étaient attendus et immédiatement arrêtés.

Donc, Trepper prévient Moscou. « Attention ! » Et Moscou répond : « Otto, gardez   votre sang-froid. Tout va bien. L’émetteur continue à nous envoyer de très bons renseignements. » Trepper en conclut qu’il y a un problème. Puis, un deuxième émetteur est retourné. Trepper recommence à alerter Moscou et obtient la même réponse : « Conservez votre sang froid. » Pour Trepper si Moscou a confiance dans les messages envoyés par les pianistes retournés – et lui sait qu’ils le sont –, il faut qu’ils contiennent des choses authentiques, vérifiables et substantielles. C’est l’éternel problème du contre-espionnage : il faut mélanger le vrai et le faux sinon l’ennemi n’y croit pas. Trepper mesure combien Moscou est dans l’erreur.

À partir de ce moment-là il va tout faire pour essayer de convaincre les Soviétiques que ses pianistes ont été retournés. Quand il sera arrêté, le 24 novembre 1942 à Paris chez le dentiste Maleplate, il s’écrira : « Catastrophe ! ». Il avait organisé sa propre disparition. Il était parti en Auvergne pour soi-disant y mourir. Le caveau était prêt et il aurait été dans la clandestinité de l’au-delà. Maintenant, il sait que des heures difficiles vont suivre. Pourtant, quand je lui ai posé la question pourquoi il n’avait pas disparu, il m’a répondu : « Je voulais savoir ce qui se passait, ce que préparaient les Allemands ».

Chris Den Hond : Le Centre à Moscou aurait dû s’apercevoir que les pianistes étaient retournés, parce qu’en cas d’arrestation, il y a un code, non ? Comment ça fonctionne ? 

Gilles Perrault : Ça s’appelle le security check, la vérification de sécurité. On convient avec chaque pianiste que dans un message chiffré le dernier ou l’avant dernier groupe de chiffres, si tout va bien, contient une faute. Et, au contraire, s’ils sont arrêtés et retournés, les pianistes n’introduisent pas de faute. Trepper est convaincu que les pianistes ont utilisé le security check. Donc, Moscou aurait dû se méfier. Dans des ouvrages publiés à Moscou et que j’ai lus en traduction, on voit qu’il y a eu une période entre juin et décembre 1941 où il y a eu du flottement au Centre. On sait maintenant que la gestion du renseignement à Moscou a été assez incertaine à ce moment clé. Les pianistes retournés n’avaient pas glissé de fautes dans le dernier ou avant dernier groupe de chiffres. Cela aurait dû alerter le Centre. C’est terrible qu’il ne s’en soit pas aperçu.

Mais le security check est une procédure compliquée. Les Anglais, par exemple, avaient répondu à un pianiste retourné, qui avait oublié exprès de mettre une faute dans l’avant dernier ou le dernier chiffre : « Attention mon vieux, dans votre dernier message, vous avez oublié le security check ». Évidemment, les Allemands qui surveillaient les pianistes retournés, trouvaient facilement la faille. Ce fut pareil avec les pianistes de Trepper.

Trepper, arrêté, trahit-il ?

Gilles Perrault : Selon les détracteurs de l’Orchestre rouge, Léopold Trepper, le Grand Chef, est une loque qui balance tout le monde. Il se met à table avec la Gestapo pour sauver sa misérable vie. C’est écrit dans les documents de la Gestapo. J’ai eu sous les yeux les documents où il est écrit « Trepper, la loque. »

Trepper avait deux bras droits : Katz et Grossvogel, des vieux compagnons qu’il connaissait depuis son séjour en Palestine. Les documents de la Gestapo prétendent qu’il a dénoncé Katz. Après l’avoir arrêté chez le docteur Maleplate, rue de Rivoli, la Gestapo exige de Trepper qu’il lui livre Katz. « Trepper a téléphoné à Katz, il lui a donné rendez-vous au métro Madeleine, à deux pas de la rue des Saussaies où nous avons procédé à son arrestation. » Trepper aurait balancé Katz, selon ces documents de la Gestapo. Mais aussi Kent, qui était avec sa maîtresse qu’il adorait, Margarete Barcza à Marseille et qui sont arrêtés par la police française de Vichy. Trepper aurait balancé les braves gens de la Simex dont Alfred Corbin qui finira guillotiné à Berlin. Il aurait balancé le légendaire Harry Robinson. Vraiment, si c’est vrai, c’est effrayant.

Reprenons ces accusations une par une.

Trepper aurait dénoncé Katz ? Katz est un vieux compagnon de Trepper. Ils se sont connus en Palestine dans le groupe « Unir les juifs et les Arabes contre l’occupant britannique ».  Une initiative qui a foiré. Ils se retrouvent à Paris et ils marchent ensemble. Katz avait une grande affection et une grande admiration pour Trepper. Ce que le Sonderkommando a toujours ignoré concernant Katz, et ce que les rescapés ont appris 20 ans après – grâce à nous –, c’est que Katz avait accompagné Trepper au rendez-vous chez le docteur Maleplate. Ils avaient mis au point un dispositif de sécurité. C’étaient des vieux routiers de la clandestinité. Katz suivait Trepper à distance de façon à le couvrir en cas de besoin. C’était une sorte de garde du corps. Katz voit Trepper entrer dans l’immeuble du docteur Maleplate, il va l’attendre dans un café un peu plus haut dans la rue de Rivoli. Il attend. Le temps passe et Trepper ne réapparaît toujours pas. Katz cherche le numéro du dentiste dans l’annuaire téléphonique et l’appelle. C’est la Gestapo qui répond à Katz : « Monsieur Gilbert (un des noms de Trepper) n’est pas venu au rendez-vous ». Katz avait vu Trepper entrer dans l’immeuble. Il se lève et il fout le camp. Il téléphone à Georgie De Winter, la jeune et ravissante maîtresse de Trepper, et lui donne rendez-vous au café Le Chien Qui Fume. Un café qui existe toujours. Là, il retrouve Georgie et lui annonce : « C’est pratiquement sûr que Trepper a été arrêté. Il faut faire très attention. » Ensuite Katz va à la clinique où sa femme est en train d’accoucher et lui raconte que Trepper est tombé.

Ça, les rédacteurs du rapport de la Gestapo ne le savaient pas. Si Trepper avait téléphoné à Katz à partir de la rue des Saussaies, le siège de la Gestapo, et dit à Katz : « Rendez-vous à la station du métro Madeleine. », il est évident que Katz n’y serait pas allé. Donc, cette histoire que Trepper aurait donné Katz est bidon. Complètement bidon ! Un mensonge de la Gestapo. De plus, on a le témoignage de Georgie De Winter qui nous a confirmé que Katz l’avait effectivement informée que Trepper avait été arrêté. Et aussi de Madame Katz. Dans les années 1970, revenant à Paris après avoir gagné son procès, Trepper est allé à l’appartement des Katz et où Mme Katz habitait toujours. Elle l’a très bien reçu, ne manifestant aucune rancune à son égard.

Trepper aurait-i livré Kent, le « petit chef », son adjoint ? D’abord, Kent n’était pas du tout l’adjoint de Trepper. Kent était à Marseille avec Margarete Barcza, qui l’avait rendu fou d’amour. Une passion physique. Ce qui a probablement permis à la Gestapo de le faire chanter. Kent trahira. Que propose la Gestapo à Kent ? Les nuits pour elle, les jours pour nous. Ça en dit long sur la passion de Kent. Comme on en a apporté la preuve, il a été arrêté le 12 novembre 1942 à Marseille par des flics français. Une semaine avant, le 8 novembre, les Américains avaient débarqué en Afrique du Nord, et du coup, la Wehrmacht avait envahi la zone sud. À l’aube, la police de Vichy arrête les deux amants et les refile à la Gestapo. Il n’y a aucun doute sur la date. Qu’est-ce que ça signifie ? Trepper a été arrêté douze jours après. Si c’est Trepper qui a donné Kent, ça voudrait dire qu’il l’aurait fait avant même d’avoir été arrêté.

Quand les gens de la Simex sont arrêtés le 18 novembre, Trepper est toujours dehors. Comme je l’ai dit, il a été arrêté le 24 novembre. Nous avons les témoignages écrits des survivants de la Simex. Il n’y a pas de doute sur la date de leur arrestation qui se produit avant et pas après l’arrestation de Trepper. Là aussi, l’accusation que Trepper aurait donné les gens de la Simex est une pure construction de la Gestapo.

Enfin, toujours selon le dossier de la Gestapo, Trepper aurait donné Henri Robinson, dit Harry. Les deux hommes se connaissaient et ne s’appréciaient pas. Robinson était un Kominternien, un de ceux qu’on appelait les Komi-voyageurs de la révolution. Trepper s’en méfiait parce que l’un et l’autre étaient connus des services de police.

La lutte contre les réseaux soviétiques n’a pas commencé avec Hitler mais sous la République de Weimar. Harry Robinson et Léopold Trepper avaient travaillé en temps de paix. En temps de guerre, c’est différent. Harry était un homme de grande culture et considérait Trepper comme un rustre. C’est vrai que Trepper n’était pas un homme cultivé. Il militait depuis l’âge de 17 ans dans le Parti communiste polonais, le seul parti qui acceptait les juifs. Il n’avait pas vraiment eu le temps de se cultiver.

Trepper n’ignorait pas que les Kominterniens avaient des dossiers dans différents services de police en Europe. Ce qui représentait un danger pour tout le monde. Il reprochait à Robinson de manquer de vigilance. Et il avait raison. Quand le Sonderkommando a arrêté Robinson et perquisitionné son domicile, il est tombé sur les doubles en clair de tous les messages qu’Harry avait envoyé à Moscou. Terrifiante inconséquence. L’émetteur de Robinson était tombé en panne. Il émettait vers l’ambassade soviétique à Londres, et Londres était relié à Moscou. Mais pourquoi la Gestapo aurait-elle obligé Trepper à assister à l’arrestation de Robinson ?

Au cours de mon enquête, lorsque j’ai rencontré Heinrich Reiser, le numéro 2 du Sonderkommando, dans son village en Allemagne de l’Ouest, il m’a prévenu : « Monsieur, si vous voulez comprendre quelque chose à l’affaire de l’Orchestre rouge, vous ne devez accorder aucun crédit aux documents de la Gestapo. » J’avais noté ça dans un coin de ma tête. À cette époque, j’étais au tout début de mon enquête, je ne comprenais pas cet avertissement. Mais il avait raison. N’oublions pas que Reiser comme numéro 2 du Sonderkommando savait de quoi il parlait.

Le « Grand Jeu » : la paix séparée, objectif de la mise en scène de la Gestapo

Gilles Perrault : Pourquoi le Sonderkommando a-t-il monté cette mise-en-scène ? Pourquoi faire assister Trepper à l’arrestation de Harry Robinson ? Pourquoi les Allemands prétendent-ils que Trepper a livré Harry ? C’est tout simple. Trepper, le « Grand Chef » est inconnu à Berlin. Aucun des flics ne connaît Trepper, il n’a jamais opéré en Allemagne. Mais, par contre, Berlin détient des piles de dossiers sur Harry Robinson. Et, si Trepper livre Harry Robinson, ça signifie que le Sonderkommando a mis la main sur quelqu’un d’important. Bingo ! La Gestapo détient un Grand Chef et un Orchestre rouge gigantesque. Trepper devient le grand chef de l’espionnage soviétique en Europe de l’Ouest – aussi bien à Berlin, qu’en Hollande, en Belgique, en France ou encore en Suisse. Alors que Rado, l’agent soviétique qui opère en Suisse, par exemple, est totalement autonome. Trepper connait l’existence de son réseau mais il n’a aucune autorité sur lui. Autrement dit, il y a une mise-en-scène hâtive montée par les agents Gestapo qui savent bien que Berlin ne va pas vérifier les dates d’arrestation falsifiées. Le Sonderkommando, pour rendre crédible ce Grand Jeu aux yeux de ses chefs à Berlin, va fabriquer un Orchestre rouge démesuré, avec un véritable Grand Chef, un homme doté de responsabilités énormes et qu’il tient bien en main. C’est essentiel pour faire fonctionner un Funkspiel. Non mais, quand on fait endosser à Trepper l’arrestation de gens qui ont été arrêtés avant lui, on se fout du monde, là, non? Bourgeois se fout du monde. Il prétend que le Grand Jeu n’a jamais existé. Mais bien sûr que le Grand Jeu a existé.

La directive de Himmler, chef des SS au Sonderkommando Rote Kapelle était : « Nettoyez-moi cette pourriture juive à l’Ouest. » Pour y arriver, les nazis vont jouer un « Grand Jeu » avec les gens de l’Orchestre rouge qu’ils ont arrêtés. C’est une tentative de l’Allemagne, convaincue que la guerre est perdue, de signer une paix séparée, soit avec l’Est, soit avec l’Ouest.

Le 24 novembre 1942, le jour de l’arrestation de Trepper, est un clin d’œil de l’Histoire car c’est précisément le jour où l’Armée rouge lance une contre-offensive décisive à Stalingrad. Très intelligemment, les Soviétiques mettent le paquet contre les supplétifs des Allemands. D’abord, contre un contingent roumain qui, battu, démoralisé, fout le camp. Puis, ils se chargent du contingent italien que les nazis avaient mis sur le front sud, mais même sur le front sud, à Stalingrad, il faisait très froid. Ça a été la débandade. Dès lors, la 6e armée de Von Paulus est encerclée. Hitler avait décrété l’interdiction de lâcher Stalingrad, ville symbolique. Il se fondait sur les engagements de Goering qui lui avait assuré que la Luftwaffe assurerait le ravitaillement de la 6e armée avec des parachutages. Mais Goering a été incapable de le faire. Cela a sonné le glas des troupes nazis. Ensuite, en juillet-août 1943, la bataille de Koursk va opposer les forces allemandes aux forces soviétiques. Il s’agit de la plus grande bataille de chars de l’Histoire. Elle se termine par un échec pour les Allemands. À partir de Stalingrad, la Wehrmacht commence à battre en retraite, retraite qui s’achèvera avec la chute de Berlin et le drapeau rouge hissé sur le Reichstag.

Ce n’est certainement pas l’Orchestre rouge qui est à l’origine de la défaite nazie à Stalingrad. Quand je taquinais Trepper en lui disant : « Au fond, c’est vous qui avez permis la victoire de Stalingrad », ça l’agaçait. « Mais non ! », répliquait-il. « Les vainqueurs de Stalingrad, ce sont les soldats soviétiques. Tous ceux qui ont accepté de mourir dans les ruines de Stalingrad. » Il avait raison. Mais n’oublions pas que les généraux allemands eux-mêmes ont déclaré : « Nous avions l’impression que l’adversaire était perché sur nos épaules et lisait nos cartes. » Donc, ça commence à mal tourner pour les Allemands. Il leur faut trouver une issue.

Chris Den Hond : Et ça serait la tentative allemande pour une paix séparée, c’est ça? 

Gilles Perrault : Évidemment, dans des cercles haut placés du commandement nazi, on pousse assez tôt à la conclusion d’une paix séparée, soit avec l’est, soit avec l’ouest. Bien sûr que la Gestapo est composée de tueurs sanguinaires, de barbares, des crétins au front bas, deux centimètres sous la casquette, mais il n’y a pas que cela. A partir de 1939, la Kripo, la Kriminal Polizei, l’équivalent de notre police judiciaire, a été fusionnée avec la Gestapo dans l’Office central de la sécurité du Reich (RSHA) sous la responsabilité de la SS. À la Kripo, il n’y a pas que des fanatiques. C’est comme si en France le Quai des Orfèvres, la police judiciaire, avait été versée dans la SS. Le commissaire Maigret aurait eu une casquette à tête de mort sur le crâne. Karl Giering faisait partie de ces gens qui avaient été flics sous le Kaiser, sous la République de Weimar et qui continuent à l’être sous Hitler. Les Allemands vont chercher à créer chez Staline, comme chez les alliés occidentaux, la crainte que l’autre camp traite avec le Reich pour obtenir une paix séparée. Et après tout, ce n’était pas si stupide que ça puisque, contre toute attente, en 1939, Staline avait signé avec Hitler le pacte germano-soviétique. Alors pourquoi ne recommencerait-il pas ?

André Fontaine, un ancien directeur du journal Le Monde dont le témoignage au procès Trepper [procès en diffamation contre le préfet de police Jean Rochet] a été essentiel, disait que le Grand Jeu, mené par les Allemands, constituait les prolégomènes de la Guerre Froide. Prenons comme exemple le fameux « bobard du Caire » publié dans la Pravda. On y annonce que des pourparlers ont commencé entre des envoyés de Hitler et des responsables occidentaux pour envisager une paix séparée. À ce moment-là, Le Caire est aux mains des Alliés. Les nazis ont aussi diffusé des interrogatoires d’aviateurs alliés qui avaient sauté de leur avion après avoir été abattus par des batteries antiaériennes allemandes. Ils étaient supposés conseiller : « Il ne faut pas tuer le mauvais cochon. Staline est pire que Hitler. »

Quand le préfet Jean Rochet brandit le dossier de la Gestapo complètement bidon – celui que nous avons démonté –, et qu’en face André Fontaine déclare : « Bien sûr que le Grand Jeu a existé. » Cela a un poids extraordinaire lors du procès de 1972. De fait, le Grand Jeu a bel et bien existé. Il a été mis en place pour éviter la défaite allemande en suscitant la crainte chez les Occidentaux que Staline leur refasse le coup du pacte germano-soviétique. Et en espérant que les Occidentaux se disent : « N’attendons pas ça, traitons directement avec les Allemands. » Et que Staline ait la hantise d’une paix séparée entre les nazis et les Occidentaux, une paix dirigée contre l’URSS. Le Grand Jeu sert à attiser la méfiance réciproque. Dans ce contexte d’intoxication, c’est un miracle que l’alliance entre Occidentaux et Soviétiques – donc l’accord de Yalta – stipulant qu’ils restent alliés jusqu’à la capitulation sans condition du Reich a tenu. Mais il est tout à fait normal que des gens comme Karl Giering aient tenté un coup comme ça.

L’évasion de Trepper : la preuve par le message trilingue

Gilles Perrault : Trepper a réussi un exploit extraordinaire. Il est emprisonné rue des Saussaies, aux mains de la Gestapo, du Sonderkommando, il est surveillé nuit et jour mais il réussit quand même à écrire un très important message qui apporte la preuve que la Gestapo a volontairement faussé ses propres rapports.

Mais avant qu’il n’écrive ce message trilingue, les nazis proposent à Trepper le Grand Jeu. On ne lui demande pas de trahir, on ne lui demande pas de livrer Katz et Grossvogel. On lui propose : « Voilà, nous, les Allemands, on va vers la défaite. Il faut qu’on signe la paix, soit avec l’Est, soit avec l’Ouest. Aidez-nous. » Et Trepper feint d’accepter. Himmler, en apprenant son arrestation, ordonne : « Mettez-le au fond d’une cave et chargez-le de chaînes. » On ne l’a pas chargé de chaînes mais il était quand même menotté et surveillé nuit et jour. Et il a réussi le miracle d’écrire un rapport dans lequel il raconte tout ça. Il prévient la Gestapo : « Si vous voulez que le Centre de Moscou, le GRU, (les services secrets de l’Armée rouge), croient que je suis toujours en liberté, il faut qu’on me voie dans les rues de Paris. » Donc on le promène dans Paris. Trepper a des rendez-vous dans des lieux qu’il connait. Il est surveillé, mais pas de trop près. Et il réussit à rédiger le message trilingue en yiddish, en polonais et en russe. Je l’ai questionné à ce sujet : « Pourquoi en trois langues ? » « Parce que s’ils découvraient le message, il faudrait trouver trois traducteurs. » C’est Trepper, c’est très juif, c’est très juif-communiste. C’étaient des types toujours habités par l’espoir d’une solution de dernière minute. Si vous conduisiez Trepper au poteau d’exécution, vite fait, il bâtissait un plan au cas où les douze balles le rateraient. « Trilingue, ça me faisait gagner une heure, peut-être deux. » Une petite marge avant de se prendre une balle dans la nuque après une bonne séance de torture. Mais il a réussi à faire passer le message sous les yeux de la Gestapo. Un jour, escorté de types de la Gestapo, Trepper entre dans une chocolaterie du Châtelet où une certaine Juliette travaille comme serveuse. Elle a le contact avec Jacques Duclos, le chef du Parti communiste français clandestin. Duclos est recherché par toute la Gestapo. Trepper donne le message à Juliette. Si le Sonderkommando avait fouillé Trepper, avant de l’emmener se promener, il se serait pris une balle dans la nuque. C’était sacrément risqué quand même. Trepper souffle à Juliette : « Transmets le message et disparais. » C’est ce qu’elle a fait. Elle a transmis le message à Duclos qui l’a envoyé à Moscou.

À l’époque, j’étais jeune et peut-être un peu fou. J’ai fait confiance à Trepper. Je n’avais que sa parole. Cette histoire d’un type qui était surveillé nuit et jour et qui arrivait à écrire un message et à le transmettre à Duclos était incroyable. Mais je lui ai fait confiance. Et on a retrouvé le message après l’explosion de l’Union soviétique. Un ami du journaliste Patrick Rotman, qui a écrit Le Grand Jeu avec Trepper, a fouillé dans les archives qui ont été ouvertes peu de temps après la fin de l’URSS – et refermées peu de temps après d’ailleurs. Il a retrouvé le message trilingue. Il a bel et bien existé et a été transmis par Duclos. Duclos l’a fait envoyer par les radios du Parti communiste qui appartenaient au réseau du Komintern. Comme le message était trop long, il l’a fait porter à Londres et de là il a été transmis à Moscou. Il y a donc un petit problème de date, mais il n’y a pas de doute que le message a bel et bien existé et que Moscou l’a reçu. Et Trepper m’a dit : « En transmettant ce message, j’ai remis le Centre en selle. » Le Centre était tombé du cheval parce qu’il s’était laissé intoxiquer. Ils ne croyaient toujours pas que les « pianistes » de l’Orchestre rouge avaient été retournés par la Gestapo.

À partir de la réception par Moscou du message trilingue de Trepper, le ton des messages envoyés par le Centre change. Moscou est de nouveau maître du jeu. C’est évident que le Grand Jeu a existé et c’est le résultat d’un exploit extraordinaire de Trepper. Il était convaincu d’avoir fait le job et il avait raison. Après la guerre, Moscou lui a fait ce reproche : « Quand même, vous avez accepté de marcher avec la Gestapo, de faire semblant de marcher avec eux sans être sûr de pouvoir nous prévenir. » Et ça c’est vrai. Trepper a pris un risque, un grand risque, mais il a réussi. Alors, bien sûr que l’évasion de Trepper est authentique et son message envoyé à Moscou l’est aussi.

Je vais vous démontrer que si Trepper avait trahi, son attitude après son évasion serait complètement aberrante. Marchons donc dans l’hypothèse de Bourgeois. Trepper s’évade le 13 novembre 1943. Si l’évasion est montée de toutes pièces et s’il a trahi, il devrait disparaître. Il pratique la clandestinité depuis très longtemps, il sait disparaître, il sait s’évaporer d’autant qu’il a des faux papiers. S’il a trahi, on n’entendra plus parler de lui. Eh bien non ! Il ne choisit de disparaître, de se faire oublier, non, il cherche à toutes forces à reprendre le contact avec le Parti communiste clandestin. Il contacte ses amis Suzanne et Claude Spaak – le frère du futur premier Premier ministre belge, Paul-Henri Spaak qui est réfugié à Londres. Comme son autre frère Charles, Claude Spaak est scénariste. Sa femme, Suzanne, est très active dans le sauvetage des enfants juifs. Une femme admirable. Trepper prend contact avec Claude Spaak. Il a un ami, le docteur Léon Chertok – qui deviendra un psychiatre mondialement connu. C’est un résistant très actif de la MOI, la Main d’œuvre immigrée, une organisation communiste dont Trepper a fait partie avant la guerre. Spaak sait que Chertok joue un rôle dans la résistance communiste. Il le fait venir chez lui et lui raconte l’histoire de Trepper et le Grand Jeu. Chertok, ahuri, l’écoute et éclate de rire « Vous avez été victime d’un affabulateur de haut vol. Ça ne tient pas debout ces histoires-là. Ce type aurait trompé la Gestapo ? Méfiez-vous. » Mais Claude Spaak insiste : « Transmettez s’il vous plaît, transmettez. » Et Chertok transmet l’information. Il revient 48 heures après et confirme : « Tout est exact. Tout ce que vous m’avez raconté est exact et je suis chargé d’organiser un rendez-vous avec l’un des chef, Kowalski, de la MOI pour que le Parti communiste s’occupe de lui (Trepper). » On voit que Trepper cherche par tous les moyens à retrouver le contact avec le PCF et, grâce à Léon Chertok, il va y parvenir.

Il y aura des péripéties, le rendez-vous n’aura pas lieu. Mais si jamais Trepper avait trahi, le Parti communiste ne lui aurait pas pardonné. Un exemple : le groupe de la MOI qu’on voit sur l’Affiche rouge avait un commissaire politique qui s’appelait Davidovitch. Il avait été arrêté par la Gestapo et s’était évadé. Mais il y avait certaines choses qui clochaient dans le récit de son évasion. Alors on l’a cuisiné, pas torturé, cuisiné seulement. Et Davidovitch a fini par avouer : « Oui, j’ai accepté de collaborer avec la Gestapo et ils m’ont relâché à condition que je ramène Duclos. Mais je n’avais pas l’intention de le faire. » « Certes », lui ont répondu ses camarades du PC français, « mais pourquoi tu ne nous l’a pas dit tout de suite ? » Davidovitch a pris une balle dans la nuque. Le Parti communiste ne plaisantait pas avec ceux qui flanchaient.

Si le PCF avait des doutes à propos de Trepper, il ne l’aurait pas traité comme il l’a fait. C’est Duclos qui a transmis à Moscou le rapport trilingue. Duclos sait que Trepper est complètement kasher. Léon Chertok et l’avocat communiste Charles Lederman vont témoigner au procès Trepper-Rochet en 1972. Les juges connaissent Lederman comme le numéro deux des avocats du PCF et donc quand il affirme : « Trepper est des nôtres. On vous le garantit kasher. », ça veut dire que le Parti communiste apporte sa caution à Trepper. Oui, il y a eu des dégâts. Guillaume Bourgeois dit : « Trepper a été inconséquent, il a fait arrêter beaucoup de monde. » Parce que c’était la panique. Chez les nazis du Sonderkommando Rote Kapelle, c’est la panique. Ce Grand Chef qu’ils avaient monté en épingle et qui était censé les aider dans le Grand Jeu, les a doublés. D’ailleurs Berlin n’a jamais été averti de l’évasion de Trepper. Ça en dit long sur la crainte des membres du Sonderkommando. Ils n’ont pas osé et ils ont tout fait pour essayer de récupérer Trepper en augmentant la répression. La Gestapo a mis des flics français sur le coup. Trepper avait sa photo dans chaque commissariat de police « Terroriste très dangereux, armé ». Ils ont mis le paquet. Ils ont arrêté des tas de gens. Certains veulent donner l’impression que toutes ces arrestations, c’est à cause de l’évasion de Trepper. C’est absolument faux.

Trepper à Moscou : l’impossible trahison

Gilles Perrault : Après la Libération, une délégation soviétique s’installe à Paris. Trepper s’y présente et demande son rapatriement en Union soviétique. On est en janvier-février 1945, la guerre n’est pas terminée. Il y en a encore pour six mois de guerre mais Trepper insiste pour être rapatrié immédiatement. C’est de la folie ! S’il avait collaboré avec la Gestapo, il fallait qu’il disparaisse. Finalement, il va rentrer avec le premier avion qui atterrit à Paris, venant de Moscou via le Caire ou Alger. C’est l’avion qui ramène Maurice Thorez qui a passé toute la guerre en Union soviétique. Thorez va entrer dans le gouvernement du général de Gaulle. Staline avait demandé à de Gaulle : « Oui, je vais vous rendre Thorez, vous voulez le fusiller ? » « Non »avait répondu De Gaulle, « je veux en faire un ministre. » Est-ce que Trepper repart avec ce premier avion pour se jeter dans la gueule du loup ? Non, il rentre en Union soviétique parce qu’il veut demander des comptes. Depuis Barbarossa, depuis le scepticisme de Moscou à propos des pianistes retournés, il veut comprendre. « Pourquoi n’avez-vous pas cru mes messages quand je vous annonçais qu’Hitler s’apprêtait à rompre le pacte et à envahir l’Union soviétique ? » D’abord, Trepper a droit à une grande réception. Puis on le prévient : « Si tu viens pour demander des explications, ça ne va pas se terminer autour d’une table. Ça se passera ailleurs. » Trepper ne tient pas compte de l’avertissement. Et très vite il se trouve à la prison de la Loubianka. Pourquoi ? Non pas parce qu’il a trahi, comme le prétend Bourgeois, mais parce que Staline ne pouvait pas laisser en liberté quelqu’un qui affirmait : « Le génial petit père des peuples n’a pas cru nos avertissements et cela a entraîné un désastre pour l’Armée rouge. »

Si on fait la liste des gens, membres de l’Orchestre rouge, qui ont pris, comme Trepper, dix ans d’emprisonnement à la Loubianka et même dans les camps sibériens, c’est bien la preuve que ces gens n’ont pas été arrêtés à cause d’une pseudo-trahison, mais bien parce que Staline voulait les empêcher de raconter leur expérience. Toute personne ayant agi à l’Ouest et qui était retournée en URSS était de toute façon a priori suspecte. Rado et Klausen, par exemple, n’ont simplement pas pu trahir.

Rado est le patron du réseau suisse « Les Trois Émetteurs Rouges », encore un nom donné par les Allemands qui le rattachent à l’Orchestre rouge. Les trois émetteurs du réseau suisse donnaient au Centre des renseignements tout à fait formidables. Rado était un géographe très connu, un communiste, opérant sous le pseudonyme de Dora (l’anagramme de Rado). Rado n’a jamais été arrêté. S’il avait été arrêté, cela l’aurait été par la police suisse qui n’avait pas précisément la réputation de torturer à mort ses prisonniers pour les faire parler. Il se retrouve dans l’avion avec Trepper. Rado aussi va ramasser dix ans de prison et de camp sibérien – jusqu’à la mort de Staline. Et pour la même raison que Trepper. Staline ne pouvait pas laisser courir dans les rues de Moscou quelqu’un susceptible de dire : « Voilà, je vous avais prévenu ! » Rado, lui aussi, avait prévenu le Centre des préparatifs de l’opération Barbarossa.

Et Max Klausen alors ? Il est le pianiste de la radio de Richard Sorge au Japon qui avait également prévenu Moscou de l’imminence de l’attaque nazi contre l’Union soviétique. Staline n’a rien fait pour sauver Sorge. Il a laissé les Japonais le pendre. Son pianiste, Max Klausen, était un communiste allemand, un technicien, un excellent pianiste. Il n’a donné personne. Quand le Japon capitule, Klausen rentre d’abord en Union soviétique, puis part en RDA. Et, comme Rado, il se tape dix ans de prison et n’est libéré qu’après la mort de Staline. Vous voyez le topo ? En aucun cas, Klausen, Rado, Trepper et d’autres ne sont emprisonnés à la Loubianka pour trahison. Donc les documents exploités par Bourgeois sont de faux documents. De même que les documents de la Gestapo étaient complètement fabriqués pour présenter « un Grand chef » qu’on tient par les couilles, et qui accepte devant tout le monde qu’on peut marcher, de même, les documents produits par Moscou sont complètement bidons là aussi. Ils sont fabriqués pour justifier la détention de Trepper et couvrir Staline.

Duclos a été fidèle. À chaque voyage qu’il a fait à Moscou pendant la période stalinienne, il ne savait pas que Trepper était emprisonné. Il demandait de ses nouvelles et on lui répondait : « Le camarade est en mission à l’étranger. » Duclos devait se douter de quelque chose quand même.

C’est une commission et un juge d’instruction soviétiques qui vont juger les agents de l’Orchestre rouge après la guerre. Il s’agit de justifier la détention de Trepper. Et ce n’est pas moi qui affirme que le travail de ce juge d’instruction est complètement bidon, ce sont les Soviétiques eux-mêmes qui l’affirment. Dès la mort de Staline, une nouvelle commission travaille sur les dossiers Rado, Klausen, Trepper, Kent. On est en 1955, c’est encore l’Union soviétique, il y a toujours le KGB et le GRU, les services secrets de l’Armée rouge. Pourtant, à la fin de ses travaux, la commission ne déclare pas : « Dix ans passés, il est temps d’oublier, il est temps de pardonner. » Pas du tout. Elle déclare : « Le dossier qui a abouti à la condamnation du camarade Trepper est dénué de fondement. » Trepper est donc exonéré de toutes les charges. Ce sont donc les Soviétiques eux-mêmes qui déclarent que le dossier qui aboutit à la condamnation de Trepper est dénué de tout fondement. Il s’agit d’une réhabilitation complète à la suite de ce travail de contre-enquête. Encore une fois, c’est pas du tout une amnistie, c’est un acquittement total. C’est bien évident que le document produit du vivant de Staline était totalement biaisé.

La fin de Trepper

Gilles Perrault : Le dernier épisode est le plus beau. Quand Trepper est libre, quand on a réussi à le faire sortir de Pologne, il part pour Londres le 2 novembre 1973 et s’installe en Israël en 1974, où décide-t-il aller finir ses jours ? En Israël ! On a envie de crier à Trepper : « Si jamais tu as collaboré avec la Gestapo, Israël n’est pas une bonne destination pour les anciens Gestapistes ou les collaborateurs de la Gestapo ! » Les seuls Gestapistes qui ont foulé le sol d’Israël y arrivaient menottés et ils y ont fini pendu. On peut penser ce qu’on veut d’Israël, et en ce moment il est difficile de penser du bien des institutions israéliennes avec tout ce qui se passe, mais on est obligé de reconnaître que les agents du Mossad sont des bons professionnels qui savent très bien ce qui s’est passé en Europe pendant l’occupation. Donc Trepper le « Gestapiste » risque de finir pendu ? Trepper n’est pas fou, il sait très bien ce qu’il fait. Il ne risque rien parce qu’il n’a jamais collaboré avec la Gestapo. En Israël, il est accueilli en héros. Et lorsqu’il meurt, c’est le général Sharon lui-même qui va épingler sur le drapeau israélien la médaille d’honneur de la bataille antifasciste. Bourgeois ne parle jamais de ça.

Chris Den Hond : Et Anatoli Gourevitch surnommé Kent ? 

Gilles Perrault : Kent, c’est différent. Lui, il a trahi. C’est ce que nous a dit aussi Margarete, sa femme. Dans sa dernière lettre, Kent écrit à sa femme : « Si tu lis cette lettre, c’est que je suis mort. J’ai trahi mon pays. » Mais c’est compliqué. Toutes ces histoires sont compliquées. Malgré sa trahison, Kent a réussi un exploit tactique. Il a ramené le successeur de Karl Giering, Heinz Pannwitz (de son vrai nom Heinz Paulsen) à Moscou. Pannwitz n’a rien à voir avec une quelconque « aile gauche de la SS ». Pannwitz est un officier supérieur SS, membre du conseil criminel Kriminalrat, un petit voyou intellectuel, une petite crapule. J’ai passé des heures avec Pannwitz. Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire dans ce métier ! J’ai rompu le pain avec lui. À la fin de la guerre, Pannwitz est le seul SS qui veut se rendre à Moscou. Après la défaite nazie, la plupart des anciens de la Gestapo et les SS choisissent d’aller à l’ouest où ils vont toucher leur pension. Mais Pannwitz était en poste à Prague au moment où Reinhard Heydrich a été tué par des parachutistes tchèques, envoyés de Londres.Heydrich était un homme au cœur de fer, selon Hitler qui l’adorait. En guise de représailles, Heinz Pannwitz a fait du zèle et a ordonné un massacre. Les hommes, les femmes, les enfants du village d’origine de l’un des parachutistes ont tous été assassinés dans l’assaut qu’ont donné les troupes nazies après l’attentat. À la radio de Londres, on promet la corde à Pannwitz après la libération de la Tchécoslovaquie. Donc si c’étaient les occidentaux qui capturaient Pannwitz, il finissait pendu. Alors, il a préféré se rendre à Moscou avec Kent.

Kent restera en prison à Moscou plus longuement que Trepper. Nous avons également soutenu la cause de Kent et ce n’est pas Trepper qui a insisté pour prolonger l’emprisonnement de Kent après la mort de Staline. Bourgeois dit que c’est Trepper, c’est pas vrai. Ce sont les services secrets de l’Armée rouge, le GRU, qui ont demandé que Kent croupisse en prison dix ans de plus. Il a finalement été réhabilité en 1990 par Gorbatchev.

Chris Den Hond : Il y a un personnage qui a joué un rôle important et douteux dans la capture des membres de l’Orchestre rouge : Abraham Rajchman. Quel a été son rôle exact ? 

Gilles Perrault : Lorsque Trepper est arrêté, il ne reste que des miettes du réseau que dirigeait Trepper en France, en Belgique, en Hollande. Il ne reste que quelques personnes réfugiées à Lyon après la destruction du réseau belge. L’homme qui les a trahis, c’est Abraham Rajchman. C’est un vieux routier du Komintern. Abraham Rajchman était un fabriquant de faux papiers qui avait commencé à espionner avant la guerre et qui était connu de la police belge. Il s’était lié avec l’inspecteur Matthieu de la police belge. Matthieu a collaboré avec la Gestapo et a vendu Rajchman. Le Centre et le GRU avaient d’abord interdit à Trepper tout contact avec Rajchman. Et puis, nécessité faisant loi – il fallait des faux papiers –, le Centre lui avait ordonné de reprendre contact avec Rajchman. Et Rajchman a trahi. Trepper m’a confié : « Gilles, Abraham Rajchman, a été probablement l’homme du réseau le plus sauvagement torturé par la Gestapo. Donc je me refuse à porter un jugement sur lui. » C’est pour des phrases comme ça que j’ai aimé Trepper. Les SS avait mis une longue corde à Rajchman. Ça veut dire qu’il circulait librement, mais il fallait qu’il ramène des prises. Et quand j’ai dit à Reiser : « Vous avez pris des risques avec Rajchman en le laissant circuler tout seul, il pouvait disparaître. », il m’a répondu : « On tenait sa femme en otage. » Donc Rajchman n’était pas vraiment libre. Sa femme aurait payé sa disparition. Rajchman a été lourdement condamné après la libération par la justice belge. Il a fait de nombreuses années de prison.

Le procès de Trepper contre Jean Rochet

Gilles Perrault : Alors, pour finir cette histoire, on va se projeter en 1972. Trepper a été libéré, il est revenu à Varsovie. Il est devenu président de la communauté juive de Pologne. Ils ne sont plus que 75 000 rescapés. Les juifs en Pologne étaient 2 millions en 1940. Et puis il y a eu la campagne antisémite en Pologne après la guerre des 6 jours en Palestine. La femme de Trepper est partie, ses enfants aussi, il est resté tout seul. La Pologne ne voulait pas qu’il s’en aille puisqu’il détenait des secrets d’État. Alors, avec mon ami, Daniel Soulez-Larivière, avocat, on a lancé une campagne – ça été un travail de deux ans, à temps complet – pour contraindre la Pologne à laisser sortir Trepper.

Ça a marché très fort. On a créé des comités en Grande-Bretagne, en France, en Belgique, en Hollande, en Suisse. En Belgique, ça marchait particulièrement bien. Et puis, Le Monde a publié une lettre du préfet Jean Rochet concernant Trepper et l’Orchestre rouge. Le préfet Rochet, un anticommuniste fanatique, était le directeur de la DST, le contre-espionnage français. Il accusait Trepper d’avoir collaboré avec la Gestapo après son arrestation. Pour moi, ce fut un choc. J’ai dit à Soulez-Larivière : « C’est un tremblement de terre, un coup terrible. Un préfet français, directeur de la DST qui affirme que Trepper a collaboré avec la Gestapo ! »  Et les conséquences n’ont pas tardé à se faire sentir : les comités se sont vidés. Je me rappelle du coup de téléphone de Daniel Meyer, le président de la Ligue des Droits de l’Homme. Il me dit : « Cher Gilles Perrault, croyez-bien que je vous conserve toute ma sympathie personnelle, mais là j’engage toute la Ligue, si je maintiens ma signature. » Et il poursuit : « Je suis obligé de me retirer du comité. C’est le directeur de la DST qui dit que Trepper a collaboré. Il a des dossiers. Je suis obligé de quitter le comité de soutien à Trepper parce qu’il ne peut quand même pas écrire n’importe quoi. »

J’ai téléphoné à Trepper et lui ai dit : « C’est le coup de massue. Si on ne bouge pas, on est mort. Il faut que vous assigniez le préfet Jean Rochet en diffamation. On a 90% de chances de perdre le procès, parce que demander à un tribunal français de condamner un préfet français, directeur du contre-espionnage français pour le compte de quelqu’un qui était incontestablement un ancien agent soviétique, c’est un peu difficile. » Tout le monde nous a affirmé : « Vous perdrez ce procès. C’est le procès ingagnable. » Les seuls combats perdus, sont ceux qu’on refuse de livrer, donc il fallait y aller. Mais on y est allé la mort dans l’âme. En plus, lors du procès en diffamation, Trepper n’était pas présent, la DST ayant maintenu son interdiction d’entrer sur le territoire français. Ça a fait mauvais effet. Ce n’était pas fairplay. Alors le 26 octobre 1972, j’étais assis à la place de Trepper dans la 17ème chambre, une chambre prestigieuse du tribunal de Paris qui traite les procès en diffamation. Et le préfet Rochet était là avec le gros dossier de la Gestapo et il était sûr de son coup. Il s’exprimait avec une arrogance incroyable. Mais nous avions beaucoup travaillé. Et nous lui avons fait exploser son dossier à la gueule. J’ai fait confiance à Trepper pour le rapport trilingue bien qu’il n’avait pas encore été révélé lors du procès de 1972. On s’attendait tous à ce qu’on m’attaque sur l’existence du rapport trilingue. « Qu’est-ce que c’est que cette histoire de fou ? Un prisonnier, surveillé nuit et jour, arrive à rédiger un long rapport au crayon en trois langues et à le passer sans être pris, ce sont des contes de Perrault ! » C’était l’expression à la mode à l’époque. Mais c’est Jean Rochet lui-même qui nous a filé des éléments du dossier qu’il communiquait au tribunal et qui justifiaient l’existence du Grand Jeu. Et on a gagné le procès ingagnable. Jean Rochet a été condamné pour diffamation. Puis, en 1973, la Cour d’appel de Paris annule le jugement et se déclare incompétente.

Les détracteurs de l’histoire de l’Orchestre rouge se basent surtout sur les rapports de la Gestapo et sur les documents soviétiques produits sous l’ère de Staline. Ces documents sont une déformation complète de la vraie histoire pour des raisons politiques et idéologiques. Moi je me suis basé sur des témoignages des survivants de l’Orchestre rouge. Enfin, après la disparition de l’Union soviétique, des archives sont devenues accessibles, avant d’être refermées, mais elles n’ont finalement pas révélé des choses nouvelles.

Je crois que ce récit devrait convaincre celles et ceux qui doutent. Mais c’est pas moi qui doit convaincre ni qui que ce soit, c’est l’évidence des faits enfin, encore une fois!! Cette histoire de l’Orchestre rouge est une histoire extraordinaire, qui traversera les siècles.

https://www.contretemps.eu/

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17 septembre 2024 ~ 0 Commentaire

Entretien avec Gilles Perrault (Contretemps)

Le journaliste et écrivain Gilles Perrault est décédé le 3 août dernier dans le village du Cotentin où il s’était installé depuis 1961. Auteur de plusieurs dizaines d’ouvrages (romans, reportages, enquêtes, essais), son nom reste lié à quelques-uns d’entre eux, qui connurent un grand retentissement et suscitèrent des controverses importantes.

C’est notamment le cas du Pull-over rouge (1978) consacré à l’affaire Christian Ranucci, un ouvrage qui joua un rôle important dans le débat qui conduira à l’abolition de la peine de mort. Un homme à part (1984) abattu en 1978 par un commando d’extrême droite lié aux services français restitue la figure du grand révolutionnaire internationaliste Henri Curiel. En 1990, dans Notre ami le roi, Perrault dresse un portrait implacable du régime tyrannique de Hassan II et souligne les liens qui unissent l’establishment français et le monarchie marocaine. Le livre provoque une crise politico-diplomatique franco-marocaine et contribue à la libération de plusieurs détenus politiques en 1991.

L’entretien qui suit est consacré à L’Orchestre rouge (1967), dont la parution a révélé au grand public l’histoire de ce réseau de renseignement actif avant et au début de la Deuxième Guerre mondiale, composé de militant-es communistes chevronné-es, juifs-ves pour la plupart, et dont plusieurs dizaines furent décapité-es, fusillé-es ou pendu-es par les nazis. 

« Les bolchéviques ne nous sont supérieurs que dans un seul domaine : l’espionnage », affirmait Adolf Hitler qui, informé de l’existence de l’Orchestre rouge – ainsi surnommé par ses services – ordonna à la Gestapo et à l’Abwehr, le service de renseignement de l’état-major allemand, de le détruire. Hitler avait raison de craindre l’Orchestre rouge puisque ce sont ses « pianistes » (les opérateurs radios) avec leurs « boîtes à musique » (leurs émetteurs) qui ont communiqué à Moscou la date de l’opération « Barbarossa », nom de code de l’attaque allemande contre l’Union soviétique le 21 juin 1941… mais Staline ne voulut pas les croire. 

L’ouvrage de Perrault, traduit dans plusieurs langues, devient rapidement une référence obligée aussi bien pour les historiens que pour des milliers de militant.e.s. Au cours de notre entretien, son auteur nous avait confié cette anecdote : « un type du MIR au Chili avait lu mon livre et connaissait l’histoire de l’évasion de Trepper à la pharmacie. Il a dit à ses tortionnaires : « Je parle tout de suite, je connais un dépôt d’armes, j’accepte de vous y conduire. » Il savait que c’était un immeuble à double issue. Il rentre dans l’immeuble, les gars l’attendent dehors. Il fonce et sort par l’autre issue. Il s’échappe, arrive à sortir du Chili et gagne la Suède. Merci Trepper ! ».

Mais revenons à l’histoire de l’Orchestre rouge. Comme tout récit sur les services de renseignement, la saga de ce réseau contient sa part d’ombre, celle où pullulent les faux-semblants, où mentir, tricher, tromper l’ennemi s’impose si l’on veut mener à bien sa mission… et sauver sa peau. Alors, pourquoi revenir maintenant sur cette histoire vieille de près de 80 ans ? Parce que, comme le souligne Perrault, lorsque certains instillent le doute sur la loyauté de Trepper et l’efficacité du réseau, il est nécessaire de rétablir la vérité.

La première remise en cause du rôle de Trepper date de 1955. Elle est due à David J. Dallin qui publia Soviet Espionage. Dans les années 1970, il est accusé d’avoir été un traître par le préfet de police de l’époque, Jean Rochet, sur la base des archives de l’Abwehr (les services de renseignements allemands). Ces dénonciations aboutissent à un procès en diffamation, qui condamne Rochet. En 2015, sur la base des mêmes matériaux, mais complétés de ceux venant des archives soviétiques (Trepper avait été condamné sous l’ère stalinienne comme la quasi-totalité des communistes ayant agi à l’Ouest et commis l’erreur de rentrer en URSS à la fin de la guerre), la même thèse est reprise par Guillaume Bourgeois, dans La véritable histoire de l’Orchestre rouge puis, en 2019, par Merry Hermanus avec L’Orchestre rouge, les derniers secrets : Léopold Trepper aurait trahi pour sauver sa vie, donné son réseau et collaboré avec la Gestapo.

Le Grand Jeu n’aurait jamais existé. Trepper aurait aussi contribué au démantèlement de la structure clandestine du Parti communiste français et dénoncé tous les agents restés en liberté susceptibles de prévenir Moscou, conduisant ainsi à l’échafaud une vingtaine de Belges et de Français. Ces graves accusations se trouvent déjà dans les rapports de la Gestapo, mais Gilles Perrault avance, preuves à l’appui, que les documents de la police politique du Reich ainsi que ceux du service de renseignement soviétique, qui vont dans le même sens, sont truqués. Se baser sur des rapports mensongers ne peut que conduire à de fausses conclusions.

Toutefois, depuis la parution des ouvrages de Bourgeois et de Hermanus, Perrault n’avait pas répondu publiquement à ses détracteurs, ce que certains avaient interprété comme une dérobade. Durant l’été 2020, à plusieurs reprises, nous l’avons donc rencontré dans sa maison en Normandie, près d’Utah Beach et des longues plages d’Omaha Beach, celles où eut lieu le 6 juin 1944 le débarquement des troupes alliées. A l’issue de ces longues heures d’entretien, Gilles Perrault concluait par ces mots « Je crois que ce récit devrait convaincre celles et ceux qui doutent. Mais c’est pas moi qui doit convaincre qui que ce soit, c’est l’évidence des faits enfin, encore une fois ! ».

Chris Den Hond

https://www.contretemps.eu/lorchestre-rouge-gilles-perrault-entretien/

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16 septembre 2024 ~ 0 Commentaire

L’Orchestre Rouge ( Viento Sur )

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Sur la tombe de Léopold Trepper
Michel Warschawski 06/juil/2017 |
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Sur la tombe de Léopold Trepper A l’initiative de mon jeune ami, le documentariste Eran Torbiner, nous sommes allés il y a quelques semaines nous rassembler sur les tombes de Léopold Trepper et de sa compagne et complice Luba Brojde.
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Il fallut toute l’habileté d’Eran pour trouver l’emplacement de leurs tombes dans l’immense cimetière juif de Jérusalem. Le même jour, toujours ému, je raconte à ma fille Talila, une jeune femme cultivée et érudite, ce que je viens de faire.
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Talila n’avait jamais entendu parler de Léopold (Leib) Trapper ou de l’Orchestre Rouge. J’ai tout de suite découvert que pour la jeunesse israélienne de sa génération, le nom du chef de l’Orchestre Rouge ne signifiait absolument rien.
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J’assume l’entière responsabilité du manque de transmission à mes enfants, mais l’ignorance généralisée de leur génération – ainsi que, d’autre part, de celle qui les précède – est un problème de société et un échec du système éducatif israélien. .
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Échec? Plutôt une option : un juif communiste qui était aussi un espion soviétique n’est pas un exemple pour la jeunesse israélienne. L’Orchestre Rouge était un réseau d’espionnage soviétique actif pendant la Seconde Guerre mondiale en France, en Belgique, aux Pays-Bas et au Danemark sous occupation nazie, mais aussi à Berlin, au cœur du régime.
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Il est admis que peu de réseaux d’espionnage furent aussi efficaces que l’Orchestre Rouge, dont les agents avaient réussi à infiltrer la machine de guerre allemande et ainsi recueillir des informations de première main.
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L’amiral Canaris, chef du contre-espionnage nazi, fait le point sur les dégâts causés par l’Orchestre rouge, déclarant qu’« au moins 200 000 soldats ont succombé à cause de l’activité de l’Orchestre rouge ».
Si Staline et les bureaucrates de ses services d’espionnage avaient eu davantage confiance dans ce réseau composé essentiellement d’internationalistes juifs (deux caractéristiques peu appréciées à Moscou), ils n’auraient pas eu à payer le prix colossal de l’invasion allemande de 1941 : Trepper et ses amis Ils avaient transmis à leurs patrons la date exacte de l’opération Barbarossa, mais à Moscou ils pensaient qu’il s’agissait d’une opération d’empoisonnement britannique.
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La réalité de l’Orchestre Rouge dépasse toute fiction, y compris l’évasion de Trepper des bureaux de la Gestapo lorsque son réseau a été dévoilé. Mais il ne s’agissait pas d’espions classiques : Trepper et ses camarades étaient avant tout des militants communistes pour qui l’antifascisme était viscéral, et le fait qu’ils soient majoritairement juifs faisait de leur combat un combat personnel contre le nazisme.
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Cela explique en partie la méfiance qui régnait entre les membres du réseau et les services d’espionnage moscovites et les règlements de comptes après la guerre. En 1945, Trepper fut appelé à Moscou où il se rendit avec d’autres hérauts de la lutte antinazie à bord de l’avion personnel de Staline.
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Mais ce n’était pas la médaille du héraut de l’Union soviétique qui l’attendait, mais les cachots de la sinistre Loubianka, où il passa dix ans. Par rapport aux autres qui ont été presque tous assassinés, on peut dire que cela ne s’est pas mal passé du tout.
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À la suite de la vague d’antisémitisme en Pologne en 1968, Trepper a quitté son pays pour se rendre en France, puis en Israël, où il a vécu avec Luba dans un modeste appartement social du quartier Kiryat Hayovel de Jérusalem, où j’ai rencontré lui deux fois.
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Lors de ses funérailles en 1982, il n’y avait qu’une douzaine de personnes – essentiellement des voisins – et, évidemment, aucun représentant officiel de l’État d’Israël. Eran a vérifié Waze : il n’y a pas de rue portant le nom de Trepper ou de l’Orchestre Rouge.
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À une quinzaine de kilomètres de Jérusalem, un petit bosquet a été planté du nom de « L’Orchestre Rouge », avec des stèles portant les noms de certains de ses membres. Trepper, Hillel Katz, Zocha [Yehudith Kafri] et leurs compagnons sont les véritables hérauts du peuple juif au XXe siècle, et non Joseph Trumpeldor ou Meir Hartzion.
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Mais qui en parle dans les médias ou dans les programmes scolaires ? Post sur Facebook, par Michel Warchawski le 07/06/2017 La dernière publication en espagnol du passionnant roman de Gilles Perrault, L’Orchestre Rouge, vient des éditions Txalaparta. ISBN : 978-84-8136-197-1 La référence peut être trouvée sur http://www.txalaparta.eus/libro/3752/la-orquesta-roja/ ndt Traduction : Faustino Eguberri pour vent du sud
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Et la vie de Trepper par lui même: Trepper  » Le Grand Jeu » Albin Michel
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07 septembre 2024 ~ 0 Commentaire

Colons Nazis (Reporterre)

En Allemagne, des «<small class="fine d-inline"> </small>colons ethniques<small class="fine d-inline"> </small>» veulent blanchir les campagnes

En Allemagne, des « colons ethniques » veulent blanchir les campagnes

Derrière une façade d’amoureux de la nature, des militants d’extrême droite, inspirés du mouvement völkisch, achètent des fermes dans l’est de l’Allemagne et diffusent leur idéologie. Un « colonialisme ethnique ».

« Ils veulent diffuser leur poison partout, dans les écoles, les associations… », s’inquiète une habitante de Leisnig, 8 000 habitants dans l’est de l’Allemagne. Des « völkische Siedler », ou « colons ethniques », se sont installés dans cette petite ville et sa périphérie depuis une décennie.

Située en Saxe, avec ses nombreuses bâtisses en ruine, son kebab installé en face de la mairie et son centre historique vieux de presque 1 000 ans, la petite ville est typique de la région. Et c’est là que des partisans de l’extrême droite allemande venus de l’ouest ont élu domicile — entre cinq et sept familles, qui s’ajoutent aux militants d’extrême droite de la région.

Leur but : quitter l’ouest où la présence d’immigrés et d’Allemands d’origine étrangère leur est insupportable pour s’installer dans des zones rurales et blanches à l’est, de façon à y conserver la « substance ethnique » allemande. Le tout, sous les apparences d’amoureux de la nature en recherche de liens avec le vivant.

« Derrière la façade inoffensive d’agriculteurs bio attachés à la tradition se cache en réalité la croyance en la prétendue supériorité du peuple allemand et une vision du monde raciste et antisémite », écrivait, en 2021, le gouvernement au sujet de ces « colons ethniques ». Dans les faits, ces derniers rachètent des fermes mais ne les cultivent pas forcément.

Des « colonies ethniques » ou « völkisch » sont présentes dans presque tous les Länder du pays, avec une prédilection pour l’est. L’extrême droite tire profit du destin difficile de l’ex-République démocratique allemande (RDA), en partie désertée après l’unification du pays et où beaucoup de fermes et de maisons abandonnées ne coûtent presque rien.

L’arrivée de nouvelles familles est perçue de manière positive dans les villages vieillissants, d’autant que ces nouveaux voisins ont de nombreux enfants et se montrent attentifs aux autres : ils vont aux enterrements en signe de solidarité, proposent leur aide, s’engagent comme pompiers volontaires…

Quant à leur idéologie, elle ne pose pas forcément problème à l’est du pays où le parti d’extrême droite AfD fait ses scores les plus hauts, comme lors des élections régionales le 1er septembre : en Saxe et en Thuringe, il a recueilli plus de 30 % des suffrages.

Traditions germaniques

Là, dans un entre-soi confortable, ces représentants de l’extrême droite la plus radicale peuvent vivre selon des traditions « germaniques » et penser en termes de générations plutôt que d’échéances électorales. Comme l’expliquent les journalistes Andrea Röpke et Andreas Speit dans leur livre consacré à cet accaparement des terres (Völkische Landnahme, Ch. Links Verlag, 2019), ces colons ethniques s’inscrivent dans la continuité du mouvement völkisch, apparu à la fin du XIXe siècle outre-Rhin et précurseur du nazisme : il prône une identité enracinée, lie terre, peuple et sang dans un élitisme racial et donc un rejet de l’étranger.

À Leisnig, l’affaire a commencé il y a une décennie : la famille Strauch a installé sa maison d’édition dans un village en périphérie. Y sont vendus des affiches représentant des soldats des Waffen-SS en action sur le front de l’est, des cartes de l’Empire allemand d’avant 1945 ou des livres sur le 3e Reich et la Seconde Guerre mondiale. En 2019, les lieux ont été perquisitionnés dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour incitation à la haine.

Sont aussi arrivés Christian Fischer et sa famille. Sous ses allures de gendre idéal, il est un ancien cadre de l’organisation désormais interdite des Jeunesses allemandes fidèles à la patrie (inspirées des Jeunesses hitlériennes) — il a été condamné en 2010 à douze mois de prison avec sursis pour incitation à la haine.

Jusqu’en 2023, il était aussi le porte-parole de Réinvestir l’Allemagne centrale (Zusammenrücken nach Mitteldeutschland), une initiative visant à promouvoir l’installation de familles d’extrême droite à l’ouest et proposant un réseau d’aide pour y parvenir. En 2023, l’initiative s’est auto-dissoute après l’interdiction par le ministère de l’Intérieur d’une autre structure proche, la Artgemeinschaft, « une association néonazie, raciste, xénophobe et antidémocratique qui compte environ 150 membres », selon le ministère, et dont faisaient partie des habitants de Leisnig.

Une stratégie politique subtile

Dans un premier temps, les nouveaux arrivés se sont faits discrets à Leisnig, privilégiant un engagement politique dans les grandes villes voisines de Chemnitz ou Dresde. Lutz Giesen, actif sur la scène néonazie depuis longtemps et lui aussi nouvel arrivant à Leisnig, a par exemple déclaré la manifestation organisée annuellement par l’extrême droite à Dresde en mémoire du bombardement de la ville par les Alliés en février 1945. À Leisnig même, ils ont commencé par s’investir dans la vie civile : associations, crèches, écoles de leurs enfants ou collecte de dons pour les victimes des inondations à Ahrtal.

C’est à la faveur de la crise sanitaire que les colons ethniques ont commencé à occuper la place principale de Leisnig, en 2021. Sous le slogan « Nous voulons vivre », ils ont organisé des manifestations régulières pour s’opposer aux mesures gouvernementales anti-Covid.

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« La peur crée l’obéissance. » Les militants d’extrême droite ont organisé des manifestations régulières pour s’opposer aux mesures gouvernementales anti-Covid. Site d’extrême droite leisnig.info

Dans la foulée, ils ont créé le site Leisnig.info, décliné sur les réseaux sociaux et sous forme d’un bulletin d’information papier. Présenté comme un média « indépendant », cette plateforme est en réalité un outil servant à promouvoir leur idéologie et à nommer avec nom et prénom leurs opposants politiques.

Alliance entre « nazis d’ici » et « colons ethniques »

« Ils sont plus subtils et plus malins que les néonazis d’ici qui étaient actifs dans les années 1990. Ils ont une véritable stratégie pour diffuser leur idéologie et mettre à mal la démocratie », remarque un habitant de Leisnig. Originaire de la région, il a connu les violences physiques perpétrées par des néonazis dans les « années battes de baseball » (Baseballschlägerjahre).

Cet opposant, qui souhaite rester anonyme (comme tous ceux interrogés par Reporterre), ne manque pas de rappeler que les colons ethniques ont créé des contacts solides avec les « nazis d’ici ». Notamment à travers le parti d’extrême droite des Freien Sachsen (Saxons libres), qui aspire à l’indépendance du Land de Saxe et regroupe sous un même toit divers groupes extrémistes et néonazis.

En juin dernier, plusieurs de ces acteurs ont été élus aux élections locales sous l’égide des Freien Sachsen : Lutz Giesen est entré au conseil départemental (Kreistag) de Saxe centrale (Mittelsachsen). Christian Fischer a été élu au conseil municipal (Stadtrat) de Leisnig, en compagnie d’un autre candidat des Freien Sachsen. « Leur but va être d’empêcher le bon fonctionnement du conseil municipal et de ralentir ce qu’ils peuvent. Ils ne cherchent pas à gagner quoi que ce soit, mais à détruire », analyse une habitante de Leisnig.

En face, une alliance citoyenne s’est constituée pour informer — la population ainsi que les entreprises — sur l’idéologie portée par ces nouveaux venus. Constituée d’un noyau d’une dizaine de personnes, elle a remporté de petites victoires (les vendeurs de biens immobiliers scrutent désormais le profil des acheteurs potentiels), mais pas de quoi mettre un terme au processus enclenché.

« Les autorités allemandes ne prennent pas la mesure du problème que représente l’extrême droite, ou le minimise, regrette Kerstin Köditz, députée de gauche radicale (Die Linke) au Parlement de Saxe. Et pour nous, dans les espaces ruraux, ça va devenir très compliqué si nos habitants progressistes partent à cause de l’arrivée de colons ethniques ou assimilés. Dans ces endroits, on ne va pas réussir non plus à attirer des personnes issues de l’immigration. Mais on a besoin d’habitants pour faire vivre les campagnes ! »

« Les autorités minimisent le problème que représente l’extrême droite »

Un constat partagé parmi les habitants que nous avons interrogés, dans ce pays qui manque cruellement de main d’œuvre. L’une d’elles propose de s’inspirer de la stratégie de ces opposants politiques : « On ne va pas résoudre le problème en partant ou en se cachant », explique celle qui a emménagé là, entre autres, par choix militant.

« Après tout, les nazis ont quitté l’ouest, car c’était inconfortable pour eux. Il faut faire en sorte que ce soit la même chose ici. Ce sera une belle raison de parler de Leisnig dans les journaux, si on y arrive. »

Leisnig (Allemagne), reportage

https://reporterre.net/

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31 août 2024 ~ 0 Commentaire

André Léo

Dernière mise à jour : 1 Fructidor 232 (19 Août 2024)
Dernière mise à jour : 1 Fructidor 232 (19 Août 2024)

Bienvenue sur le site du Comité Trégor-Argoat

La brochure « Les Communards des Côtes-du-Nord » Version 2 est désormais disponible au prix de 12 Euros – Il suffit de nous contacter.

Ouverture de la bibliothèque du Comité le 3ème samedi de chaque mois. Pour l’instant une quarantaine d’ouvrages sur les Communes de Paris et de Province peuvent être prêtés sur demande (voir règlement ci-après)

Dernière mise à jour : 1 Fructidor 232 (19 Août 2024)

Dernière mise à jour : 1 Fructidor 232 (19 Août 2024)

L’année 2024 est l’année de la communarde André LEO (1824-1900)

http://www.andreleo.com

 » La loi du capital tend de plus en plus à concentrer le pouvoir en un petit nombre de mains ; elle crée fatalement une oligarchie … elle est donc non seulement anti-égalitaire, mais aussi anti-démocratique ; elle sert les intérêts de quelques-uns contre l’intérêt de tous.  »

André Léo (La Guerre sociale)

L’humanité, après une transformation sociale devenue inévitable, (rentrera) dans la phase de civilisation supérieure, où il n’y aura plus ni misère, ni servitude, ni ignorance populaire. Car le socialisme est le dernier mot de la Révolution, par la réalisation des principes écrits, si vainement proclamés depuis près d’un siècle ; l’incarnation dans les faits sociaux de cette liberté, de cette égalité, de cette fraternité, restées jusqu’ici à l’état d’abstractions.

Extrait de la revue Le socialisme progressif n° 1, 1er janvier 1878, [p. 1] « Notre programme », revue créée par André Léo et Benoit Malon

https://commune-1871-tregor.over-blog.com/

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30 août 2024 ~ 0 Commentaire

Ukraine (ESSF)

ukraine

1917 : le drapeau ukrainien flotte sur le Kremlin

« Pendant les journées de février [1]… les soldats ukrainiens de la garnison de Petrograd ont été les premiers à se ranger du côté de la révolution, car nous avions suffisamment souffert de la persécution des Ukrainiens sous l’ancien régime » déclarera plus tard un soldat ukrainien stationné dans la capitale russe. Il fait partie des 30 000 soldats ukrainiens qui constituaient 1/5e de la garnison de la ville [2] et on estime que la communauté ukrainienne comptait à Petrograd 100 000 âmes. Le milieu militaire ukrainien est fortement politisé. Le Parti révolutionnaire ukrainien (RUP) devenu Parti ouvrier social-démocrate ukrainien (USDRP), a lancé depuis 1913 un travail révolutionnaire clandestin dans les unités militaires de la capitale russe. Surtout dans les régiments de garde. « Le travail dans les régiments Izmailovsky, Semenivskyi, Moscou, Zaliznychy et Preobrazhenskyi de la Garde était particulièrement bien organisé… le travail a commencé dans le régiment Volynskyi et dans certains autres… Les gardes du Premier régiment de mitrailleuses disposaient également de cercles de l’USDRP, où le travail révolutionnaire était également mené avec brio » explique Mykhaïlo Avdienko [3], l’un des dirigeants du parti, qui a lui-même servi dans le régiment d’Izmail. Selon son témoignage, le journal illégal de l’USDRP Notre Vie a contribué au travail révolutionnaire dans l’armée et parmi les ouvriers de la ville, ainsi qu’au front. Il a été publié dès 1915 et imprimé clandestinement à … l’état-major général de l’armée russe. Selon Oleksandr Lototskyi, chef du Conseil national ukrainien de Petrograd, « l’élément ukrainien le plus important dans la capitale et ses environs se trouvait au sein de l’armée. Les régiments de gardes étaient principalement, et certains presque exclusivement, composés d’Ukrainiens – qui avaient des traditions cosaques… dans les quartiers de la ville où se trouvaient des casernes… on pouvait toujours entendre la langue ukrainienne ».

Le jour de l’anniversaire du poète ukrainien Taras Chevtchenko, le 9 mars, une grève générale éclate à Petrograd. Les organisations de travailleurs ukrainiens de l’USDRP étaient présentes dans les usines plus importantes. Par exemple, dans l’une des plus importantes, Poutilov, l’organisation du parti comptait environ 400 membres qui participent activement au soulèvement ouvrier.

Le régiment Volinskyi, composé principalement d’Ukrainiens, est un des premiers à rejoindre les manifestations. Les étudiants ukrainiens forment un comité révolutionnaire qui déclare le jour de l’abdication de Nicolas 2 « « Dans la lutte de libération de ces derniers jours, les manifestations ukrainiennes ont joué un grand rôle en la personne des soldats ukrainiens des régiments qui ont rejoint le soulèvement. Les citoyens russes se souviendront un jour avec gratitude que dans les rangs de l’armée qui ont combattu pour liberté ainsi que les larges masses démocratiques de Petrograd, [étaient] composées en grande partie des fils… de la nation ukrainienne [4] ».

Le 22 mars 1917, la section de Petrograd de l’Association progressiste ukrainienne (TUP) exige dans une déclaration l’autonomie nationale-territoriale de l’Ukraine. Trois jours plus tard, les Ukrainiens de la ville organisent une manifestation pour commémorer l’anniversaire de Chevtchenko, à laquelle participent 30 000 civils et soldats. Le centième anniversaire de Chevtchenko avait déjà été célébré en 1914 dans la capitale du tsar mais par un « anniversaire silencieux », anniversaire interdit en Ukraine. Le comité organisateur de la célébration était composé principalement de jeunes révolutionnaires ukrainiens. L’USDRP soutient l’initiative et, selon Mykhaïlo Avdienko, fait venir 12 000 soldats et ouvriers. Mais en ce 22 mars 1917, célébrer l’anniversaire de Chevtchenko prend un sens particulier en cette période révolutionnaire. On peut en finir avec l’oppression russe, les droits nationaux de l’Ukraine peuvent être reconnus. Petro Kovaliv, diplomate écrira depuis Genève 20 ans après les événements : « Plus de 20 000 soldats ukrainiens se sont rassemblés… De nombreux rubans jaunes et bleus. De nombreux détachements de soldats de différents régiments ont apporté des drapeaux jaunes et bleus. Lorsque cette masse s’est alignée sur la Perspective Nevski, le spectacle était extrêmement majestueux et émouvant ». Après la cérémonie commémorative en l’honneur de Taras Chevtchenko, une manifestation parcourt la Perspective Nevski jusqu’au palais Tauride, où siège traditionnellement le Parlement russe. Le journal Russkaya Volya en rend compte ainsi : « Sous l’ordre des organisateurs, toute une masse immense de manifestants, atteignant 20 000 personnes, sans se mêler aux spectateurs, entourés d’une forte chaîne [de jeunes], commence à affluer sur la Perspective Nevski. Sur d’immenses drapeaux, des inscriptions sont sur fond jaune-bleu : « Vive l’Ukraine libre »…. L’orchestre joue la marche de Khmelnitski ». Le journal Rech décrit aussi la manifestation : « Les manifestants ont chanté des chants ukrainiens, tristes, envoûtants. Des orchestres militaires ont joué un mélange de musiques ukrainiennes. Des cris incessants de « hourra » ont été entendus. Une foule de plusieurs milliers de personnes est entrée dans la cour du palais et s’est tenue ici en rangées. Le représentant du comité exécutif du Conseil des députés ouvriers et soldats [Mykola Sokolov] a salué les manifestants au nom du Conseil. » Pendant la marche, toute la Perspective Nevski était recouverte de drapeaux ukrainiens et un grand portrait de Chevtchenko était porté devant. Cinq jours plus tard, le 30 mars, puis le 3 avril 1917, des délégations d’Ukrainiens de Petrograd, qui avaient alors organisé un comité national ukrainien, rendent visite au prince Lvov, premier ministre et ministre de l’intérieur du moment du gouvernement provisoire nouvellement créé. Ils demandent la nomination d’Ukrainiens à tous les postes de direction en Ukraine, la création d’un commissaire aux affaires ukrainiennes au sein du gouvernement provisoire, la satisfaction des besoins culturels et éducatifs et l’introduction de la langue ukrainienne dans l’administration des églises, des tribunaux et des écoles d’Ukraine. La nécessité de libérer les milliers d’Ukrainiens de Galicie et de Bucovine arrêtés et déportés est également discutée. Le Premier ministre tergiverse. Les nouvelles de l’effondrement du régime tsariste sont parvenues à Kyiv le 13 mars 1917 et déclenchent l’enthousiasme. Le 17 mars, le nouvel organe de la souveraineté ukrainienne, la Rada, est formé. Cette effervescence nationale inquiète le tout nouveau gouvernement provisoire russe. L’empire est menacé par ces poussées nationalitaires. Fin mai 1917, la Rada reçoit le soutien du premier congrès militaire ukrainien.

Congrès militaires panukrainiens

L’ukrainisation spontanée des unités militaires a effectivement commencé après la Révolution de Février, lorsque des conseils et comités de soldats ont commencé à apparaître en masse dans l’armée russe. Dans les régiments dominés par les Ukrainiens, ces derniers insistent pour faire reconnaître leurs unités comme ukrainiennes. Lorsque le 6e corps d’armée, commence à recevoir des quantités massives de recrues ukrainiennes, et que des officiers ukrainiens y ont été transférés à leur propre demande une vive résistance de la part des officiers russes s’y oppose. Ailleurs, l’ukrainisation a été menée avec des résultats variables [5]. Le 9 mars 1917, une réunion des militaires ukrainiens se tient à Kyiv, au cours de laquelle, en particulier, il est décidé de fonder un comité d’organisation militaire ukrainien dirigé par le colonel Glynsky, dont le but est de former des unités militaires ukrainiennes. Le 16 mars, lors d’une réunion des représentants de la garnison de Kyiv, le Club militaire ukrainien du nom de Pavlo Poloubotok est créé, et est dirigé par Mykola Mikhnovskyi [6]. Dans la charte du club, adoptée deux jours plus tard, il était indiqué qu’il « vise à unir et à se lier d’amitié dans une seule famille tous les soldats, médecins et responsables militaires du gouvernement de la nation ukrainienne sous le mot d’ordre : Russie fédérale – Ukraine autonome ». Des rassemblements similaires de représentants des Ukrainiens dans l’armée et de la marine ont également eu lieu en d’autres endroits. Le 6 mai, la session de la Rada accepte « la proposition du club militaire de convoquer un congrès des militaires ukrainiens représentant les unités, départements et organisations militaires ukrainiennes de l’arrière, du front et de la flotte ».

Le 1er Congrès militaire ukrainien se tient du 18 au 21 mai 1917 à Kyiv dans les locaux du Musée pédagogique. Environ 900 délégués de diverses unités militaires de tous les fronts, des flottes de la Baltique et de la mer Noire, ainsi que des garnisons d’Ukraine, représentant 1,5 million militaires ukrainiens, y participent. Le congrès est ouvert par le président de la Rada ukrainienne, Mykhaïlo Hrouchevsky, ensuite élu président d’honneur du congrès. Sont notamment discutées les questions suivantes : analyse des événements en cours, des positions du Gouvernement provisoire, des activités des Conseils des députés ouvriers et soldats, ainsi que de l’élaboration d’une stratégie d’action commune ; le problème de l’ukrainisation de l’armée et de la formation d’unités ukrainiennes. Parmi les autres questions traitées, celles de la terre et l’éducation tiennent une place importante. Dans la résolution concernant la première, il est déclaré que « le droit de propriété des terres et des ressources souterraines dans l’Ukraine autonome devrait appartenir exclusivement au peuple, et les conditions de répartition de ces terres entre les personnes qui y travaillent seront élaborées et déterminées » par la Rada ukrainienne, « sur la base de la justice et de l’égalité de toutes les personnes vivant sur le territoire de l’Ukraine ». Concernant le deuxième point, il est souligné que « l’éducation dans les écoles d’Ukraine » devrait être en langue ukrainienne et qu’elle devrait être assurée aux frais de l’État. Un Comité militaire général ukrainien, composé de 18 personnes et dirigé par Simon Petlioura est élu. Le comité doit coordonner ses actions avec l’état-major russe. En 1917, deux autres congrès similaires eurent lieu à Kyiv.

Le drapeau bleu-jaune flotte sur le Kremlin

Deux jours après la cérémonie commémorative de Chevtchenko, le Club militaire ukrainien de Moscou est créé « où les militaires ukrainiens doivent se réunir, comme dans leur maison natale, pour échanger des opinions, développer des tactiques, soutenir les revendications de leur peuple avec leur autorité et leurs forces armées ». Bientôt, un délégué du Club sera envoyé au Congrès national ukrainien, qui se tient à Kyiv du 6 au 8 avril 1917. Le Club envoie également ses félicitations à ce congrès :

« Nous, Ukrainiens – enseignants, soldats et officiers de la garnison de Moscou – saluons le Congrès ukrainien. Nous souhaitons entendre dans ses résolutions la volonté inébranlable du peuple ukrainien… Nous osons vous assurer que les Ukrainiens de la garnison de Moscou répondront sans crainte aux attaques de l’ennemi… Vive l’Ukraine libre. Combattez et vous gagnerez »

Lorsque la révolution atteint Moscou, les Ukrainiens locaux organisèrent « une immense manifestation avec le drapeau ukrainien près du monument de Gogol sur le boulevard qui porte son nom » (près de l’Arbat) et mènent « un travail parmi les Ukrainiens » notamment parmi les soldats stationnés dans les casernes de Moscou. Lors d’une des réunions, il est décidé de ne porter qu’un seul drapeau rouge… L’idée de « porter deux drapeaux – rouge et jaune-bleu » a été rejetée, car la majorité des socialistes « n’ont pas voulu entendre parler du drapeau national de l’Ukraine ». Plus tard, ils rejoindront les bolcheviks. Ce n’est que le jour même de la manifestation qu’« une partie de la jeunesse socialiste la plus orientée vers le nationalisme », a attaché des rubans jaunes et bleus au drapeau rouge. « Laissons, Moscou voir manifester les fils de l’Ukraine nouvellement ressuscitée » argument les jeunes révolutionnaires. Et les étudiants ukrainiens de brandir fièrement des symboles nationaux, dont l’usage était interdit sous le régime tsariste. De juillet à fin octobre 1917, « des unités ukrainiennes montaient la garde dans la garnison, et principalement au Kremlin », se souvient Smovsky. Et plus loin, il ajoute : « Puis sur la tour du Kremlin, à la place du drapeau du tsar à trois couleurs (noir-jaune-blanc), le drapeau ukrainien bleu-jaune a flotté jusqu’au moment où les bolcheviks ont pris Moscou ». Autrement dit, au lieu du drapeau de la famille Romanov, qui a abdiqué le trône, flottait sur le Kremlin le drapeau national ukrainien [7].

La Rada à Petrograd

À la fin mai 1917, la Rada décide de se rendre à Petrograd présenter ses revendications aux nouvelles autorités russes. Sa délégation de dix personnes, dirigée par Volodymyr Vynnytchenko [8], est accueillie à la gare par des représentants militaires ukrainiens de la garnison de Petrograd, accompagnés comme il se doit d’un orchestre militaire. Deux unités de soldats ukrainiens forment un garde d’honneur aux représentants ukrainiens. La délégation est porteuse de neuf revendications dont la reconnaissance du principe de l’autonomie de l’Ukraine et la participation de représentants ukrainiens aux négociations de paix, notamment en ce qui concerne la question des territoires ukrainiens en Galicie. La formation d’unités distinctes de l’armée ukrainienne à l’arrière et, dans la mesure du possible, au front est également exigée. Les délégués au congrès exigent que le gouvernement provisoire déclare immédiatement l’autonomie nationale et territoriale de l’Ukraine et soutienne à l’unanimité la Rada ukrainienne « le seul organe compétent, appelé à résoudre toutes les questions concernant l’ensemble de l’Ukraine [9] ».

« La délégation ukrainienne découvre rapidement que le principe de la « préservation de l’unité de l’État russe » guide les décisions non seulement des Cadets, mais aussi de la nouvelle direction russe en général. Il a fallu trois jours à la délégation pour organiser une réunion avec le comité exécutif du Soviet. Lorsqu’ils se rencontrèrent enfin, le Soviet évita de prendre position sur la question ukrainienne et renvoya la délégation au gouvernement provisoire. La délégation ukrainienne était particulièrement frustrée par le fait que « pas un seul » journal de la « démocratie révolutionnaire » russe (c’est-à-dire des socialistes) ne publia le mémorandum de la Rada. Les membres du gouvernement provisoire ont écouté poliment les demandes et les explications de la délégation, et ont ensuite transmis l’ensemble du problème à une commission d’experts judiciaires chargée d’examiner les aspects juridiques du problème ». Cette commission mit en doute la validité juridique de pratiquement toutes les demandes ukrainiennes et, après quelques réunions, la délégation quitte Petrograd les mains vides » déplore Wolodymyr Stojko [10].

La chute du gouvernement provisoire quelques mois plus tard, avec la prise du pouvoir par le parti bolchevique n’ouvrira pas de meilleures perspectives à l’Ukraine. Il est vrai que dans ce parti le texte de référence sur la question nationale était signé… par un certain Joseph Staline [11].


 mercredi 21 août 2024 LE TRÉHONDAT Patrick

https://www.europe-solidaire.org/

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26 août 2024 ~ 0 Commentaire

Tran To Nga (NPA)

Nous réclamons toujours la justice pour Tran To Nga !

Ce 22 août, le tribunal de la Cour d’Appel de Paris a rendu sa décision de justice. Elle a jugé irrecevables les demandes de Tran To Nga, allant dans le sens du Tribunal d’Évry qui avait rejeté la plainte en 2021.

Cette Franco-Vietnamienne de 82 ans a intenté une action en justice pour faire reconnaître la responsabilité d’entreprises américaines dans la fabrication de l’arme chimique déversée pendant la guerre du Vietnam.

Journaliste pour le journal Giai Phong, du Front de libération du sud Vietnam, elle a 24 ans lorsqu’elle est touchée par l’agent orange. Cela va impacter durablement sa santé et celles de ses descendant.e.s. Elle est atteinte d’un diabète de type II, d’une tuberculose et d’un cancer du sein. Sa première fille, née en 1969, est décédée d’une malformation cardiaque au bout de 17 mois. Ses deux autres filles, ainsi que ses petits-enfants, sont atteintEs de pathologies graves précise le Collectif Vietnam Dioxine.

Ce dernier déclare qu’il y a environ 3 millions de victimes de l’agent orange au Vietnam, au Cambodge et au Laos. C’est l’un des premiers écocides de l’histoire, une catastrophe humaine et environnementale.

Le Collectif Vietnam Dioxine, fondé il y a 20 ans, lutte pour la reconnaissance des victimes de l’agent orange. Ses militant.e.s se mobilisent pour une écologie décoloniale et soutiennent Tran To Nga dans son combat, jusqu’à son dernier souffle.

Selon la Cour d’Appel, les demandes se heurtent à l’immunité de juridiction. Cette dernière permet aux multinationales de se protéger puisqu’elles étaient soi-disant contraintes par le gouvernement des États-Unis de l’époque. Or, ce gouvernement est inattaquable.

Le combat ne s’arrête pas là, les avocats de Tran To Nga, Me William Bourdon et Bertrand Repolt, ont déclaré : « Le combat porté par notre cliente ne s’arrête pas avec cette décision. Nous faisons, bien entendu, un pourvoi en cassation. Dans cette affaire qui est une affaire de principe, les juges ont endossé une attitude conservatrice à rebours de la modernité du droit et contraire au droit international et au droit européen. C’est la Cour de cassation qui tranchera. La bataille judiciaire continue. »

Tran To Nga s’exprime : « Ce n’est pas que mon combat, c’est aussi celui de millions de victimes », confirmant sa volonté de se battre « jusqu’au bout», car « c’est le dernier combat de ma vie ».

Comme d’habitude, la justice française, capitaliste et coloniale, sert les intérêts des grandes puissances et ignore par lâcheté politique les vraies victimes. Combien de temps allons-nous laisser les multinationales mpoisonner  les corps et  lesterres ? Combien de temps allons-nous laisser l’impunité au racisme environnemental ?

Le NPA – l’Anticapitaliste soutient Tran To Nga dans sa lutte et milite pour une justice décoloniale et la fin de l’immunité pour les entreprises empoisonneuses.

 22 août 2024.

https://npa-lanticapitaliste.org/

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23 août 2024 ~ 0 Commentaire

Catherine Ribeiro (France Info)

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Catherine Ribeiro, chanteuse libre et indomptable, est morte à 82 ans

Considérée comme l’héritière de Léo Ferré, la chanteuse engagée s’est éteinte à Martigues.

Figure française de la musique expérimentale des années 1970, la chanteuse Catherine Ribeiro est décédée dans la nuit de jeudi 22 à vendredi 23 août 2024 à l’âge de 82 ans, dans une maison de retraite à Martigues, a annoncé vendredi son entourage à l’AFP.

Après des débuts comme actrice, cette artiste engagée, esprit libre, rebelle et sans compromission, a navigué durant sa carrière entre rock progressif et chanson française, connaissant un grand succès sans jamais lorgner du côté du show-business.

Née le 22 septembre 1941 à Lyon, fille d’immigrés portugais, Catherine Ribeiro débute sa carrière comme actrice. Elle joue notamment aux côtés du cinéaste Jean-Luc Godard dans le film Les Carabiniers (1963).

Puis, elle enregistre quelques chansons chez Barclay, ce qui lui vaut de figurer sur la légendaire photo des stars yéyés prise en avril 1966 par Jean-Marie Périer pour le journal Salut les Copains. Mais elle choisira une autre voie que celle d’idole des jeunes.

De chanteuse yéyé à « prêtresse de la chanson française »

Car entre-temps, en décembre 1962, sur le tournage des Carabiniers de Godard, elle a rencontré le compositeur et musicien expérimental Patrice Moullet. Pas suffisant pour la sauver de ses démons au moment de traverser une phase de doute, marquée par une mère violente, rongée par un sentiment d’échec.

Après une tentative de suicide en avril 1968, Catherine Ribeiro passe de nombreuses semaines à l’hôpital et doit « réapprendre à parler, à marcher, à écrire », confiera-t-elle à Libération en février 2013. En 1969, avec Patrice Moullet, elle fonde et anime le groupe qui s’appellera bientôt Alpes. Son compagnon compose et joue des instruments dont il est l’inventeur, le cosmophone (un instrument électroacoustique) et le percuphone. Ribeiro écrit les textes.

Leur premier album ne porte pas encore le nom d’Alpes, mais s’intitule Catherine Ribeiro + 2 bis, du nom de l’adresse du studio où ils répètent, au 2 bis quai du Port, à Nogent-sur-Marne où le couple fréquente par ailleurs la première communauté hippie de France.

« Il faut savoir qu’aucune maison de disques ne voulait d’un nom de groupe à l’époque », expliquait Catherine Ribeiro à Libération pour justifier la mise en avant de son seul nom. Ils devront se résoudre à se rebaptiser après des passages de la police dans la communauté où circule de la drogue. « Alpes s’est imposé : pour admirer le sommet d’une montagne, il faut lever le regard, c’est solaire. »

Leur formation inclassable aurait pu rester confidentielle, mais sa participation au festival pop d’Aix-en-Provence en 1970 leur apporte un coup de projecteur inattendu et une toute nouvelle notoriété.

« Nous avons éclairé nos spectacles exclusivement à la bougie jusqu’en 1974, contait Catherine Ribeiro à Libération. Ça donnait une lumière fragile et apaisante. Sans courant d’air, les bougies tenaient une heure et demie. Sinon, on finissait dans l’ombre. » Plus d’une fois, la chanteuse craint de voir sa longue chevelure noire s’embraser sur scène…

Les grands médias la snobent, la scène est son refuge

Alpes est boudé par les grands médias qui se méfient des textes subversifs et libertaires de Ribeiro. Même leur maison de disques Philips n’assume pas, imposant au groupe la mention « Les textes de ces chansons n’engagent que leur auteur » sur les pochettes des albums Paix et Âme debout, se souvenait la chanteuse, amère. « C’est terrible de m’avoir fait ce coup-là. »

Alors la scène sera leur terrain d’expression, sans entraves. Alpes remplit les salles. De sa voix grave, profonde, poignante, Catherine Ribeiro assène ses indignations et ses revendications, comme dans la chanson Tous les droits sont dans la nature, dont une performance a été immortalisée à l’occasion d’un de leurs rares passages à la télévision.

Jusqu’en 1982, le groupe Alpes enregistre une dizaine d’albums, dont Paix (1972), considéré comme leur disque le plus abouti et le plus accessible, et donne des centaines de concerts. Entre-temps, Ribeiro et Moullet se séparent, mais ils continuent de faire de la musique ensemble. Dans les années 1980, la chanteuse s’installe dans les Ardennes.

Parallèlement à sa carrière musicale, Catherine Ribeiro, artiste humaniste, s’engage avec ferveur pour de multiples causes : la Palestine, les réfugiés qui fuient la dictature militaire au Chili, ceux qui échappent au franquisme en Espagne…

La « pasionaria rouge »

La « prêtresse de la chanson française » soutient le mouvement anarchiste, ce qui lui vaut un autre surnom, celui de « pasionaria rouge ». Mais elle n’adhère à aucun parti, préférant le bouddhisme au militantisme politique.

En 1977, Catherine Ribeiro participe à la première édition du Printemps de Bourges. Cinq ans plus tard, en mai 1982, elle se produit durant trois semaines à Bobino. Parmi ses admirateurs dans le public, se faufile le président François Mitterrand.

Ribeiro décline en revanche une série de quinze dates à l’Olympia pour préserver ses cordes vocales d’un gros volume sonore qu’elle ne pense pas pouvoir assumer sur la durée. Parallèlement à son parcours avec Alpes, Ribeiro sort en 1977 un album hommage à Édith Piaf, Le Blues de Piaf, distingué par le Grand Prix de l’Académie Charles-Cros, puis un disque consacré à Jacques Prévert, Jacqueries, en 1978.

En 1992, la chanteuse célèbre à nouveau des grands noms de la chanson française à l’auditorium du Châtelet, un concert immortalisé par un album live, L’Amour aux nus. L’année suivante, après un passage aux Francofolies, elle enregistre son dernier album studio, Fenêtre ardente. Quelques années plus tard, Ribeiro et Moullet reforment Alpes avec un nouvel effectif, mais le projet de sortir un album n’aboutit pas. En janvier 2008, Catherine Ribeiro chante dans un Bataclan plein à craquer. Auparavant, un concert à Palaiseau, en région parisienne, a donné lieu à un ultime album live.

Retirée du monde, mais toujours engagée

Dans les années 2010, Catherine Ribeiro a quitté Sedan et posé ses valises du côté de l’Allemagne. En octobre 2017, s’associant au mouvement #metoo de libération de la parole face aux violences sexuelles, elle s’exprimait sur Facebook et accusait un homme de radio et de télévision de l’avoir agressée, rappelait France Inter.

« J’ai été violée en 1962 et je me suis tue. Si j’avais parlé, cet homme était capable de m’attaquer en justice (…). Je n’ai mis le mot VIOL qu’à 60 ans. Pour moi, jusqu’à sa mort et après : le dégoût, la honte, la répulsion et plus tard, la colère sont toujours présents. »

Ces dernières années, Catherine Ribeiro avait pris ses distances avec toute vie publique, devenant insaisissable, ne répondant aux médias que par téléphone. En mai 2013, interrogée par Le Point sur son éclipse, elle avait répondu :

« Je sais, c’est hallucinant pour quelqu’un qui a fait six fois la Fête de l’Humanité devant 120 000 personnes, mais marcher en ville me fait peur. » Elle travaillait alors sur l’écriture d’une autobiographie. Elle s’était déjà racontée au travers d’un livre, L’Enfance, paru en 1999 aux éditions de L’Archipel, épuisé à ce jour.

Au milieu des années 2000, neuf albums du groupe Alpes ont fait l’objet d’une réédition en coffret. Une belle occasion de (re)découvrir une artiste ardente et insoumise.

Annie Yanbekian 23/08/2024

https://www.francetvinfo.fr/

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21 août 2024 ~ 0 Commentaire

Marseille (CNRS)

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Marseille libérée !

La Libération de la France ne se résume pas au « D-Day », ce fameux 6 juin 1944 qui vit près de 156 000 soldats (américains, anglais, canadiens essentiellement) prendre d’assaut cinq plages de la côte Normande pour chasser les Allemands de l’Europe de l’Ouest.

Cette période démarre en fait dès novembre 1942, avec le débarquement des Alliés en Algérie, puis la libération de la Corse en 1943, et se poursuit avec le débarquement de l’armée française (la « Première Armée »), en Provence le 15 août 1944. Il faudra ensuite presque un an de combats pour que tout le territoire français soit libéré, avant la capitulation allemande le 8 mai 1945.

Tandis que ce qui était encore « l’empire français » envoie des bataillons de milliers de soldats pour débarquer en Provence puis libérer les villes de Toulon, Marseille et Lyon, l’armée française ne fournit qu’une mince contribution au débarquement de Normandie.

Mais notre mémoire collective retient surtout l’image, il est vrai spectaculaire, du débarquement allié. « En fait, jusqu’aux guerres de décolonisation, le débarquement de Provence n’est pas complétement oublié », remarque Claire Miot, historienne au Centre méditerranéen de sociologie, de science politique et d’histoire1 et autrice du livre La Première Armée française, de la Provence à l’Allemagne (1944-1945), paru aux éditions Perrin.

« On célèbre la France libérée par son empire, les troupes coloniales défilent sur les Champs Élysées… Cela change avec la guerre d’Algérie, car à partir de là deux mémoires se télescopent. Il devient difficile de célébrer le général Salan, qui fut à la tête du 6e régiment de tirailleurs sénégalais lors du débarquement en Provence, et libéra notamment Toulon, mais participa ensuite au putsch des généraux à Alger (1961) et devint chef de l’Organisation armée secrète (OAS), luttant pour le maintien du statu quo de l’Algérie française ! »

De plus, seuls une minorité des soldats de la première armée sont des métropolitains. L’immense majorité vient de l’empire, notamment d’Afrique du Nord. Comment mettre à l’honneur des hommes qui ont sauvé le pays mais contre une partie desquels on vient de se battre pour conserver nos colonies ?

« Enfin, le symbole de la libération de la capitale, Paris, est plus fort que celui de la libération d’une ville de province », poursuit Claire Miot. Le film Indigènes, réalisé par Rachid Bouchareb en 2006, redonne leur juste place aux combattants coloniaux, et incite le président Jacques Chirac à accélérer le règlement de la question du niveau de leurs pensions, d’un montant nettement inférieur à celles des soldats nationaux. Mais il faudra attendre le 70e anniversaire de la Libération pour que le président François Hollande place au cœur de ses discours le débarquement de Provence et les soldats colonisés.

Dix jours de combats intenses

Hitler a ordonné à ses troupes de « se battre jusqu’à la mort » pour tenir Toulon et Marseille, ces ports essentiels par lesquels passe le ravitaillement en hommes et en matériel des alliés. Il faudra dix jours de combats très rudes pour libérer la ville. Mais Julia Pirotte ne documente que la première journée, celle du 21 août, durant laquelle seuls les résistants sont à l’œuvre, appuyés par une partie de la population civile insurgée. D’où l’absence des soldats de la première armée sur ces photos.

Car au-delà de l’enjeu militaire, la libération de Marseille représente un fort enjeu politique. Depuis la fin du mois de mai, les grèves se multiplient. La SFIO (parti socialiste) est majoritaire dans la région et les alliés, tout comme De Gaulle, se méfient d’une insurrection qui pourrait porter au pouvoir les communistes, très engagés dans la Résistance.

L’armée n’est pas encore entrée dans Marseille qu’à l’appel de la CGT, une grève générale est déclenchée le 19 août, et le 21 août 1944, les résistants prennent d’assaut la préfecture. « Le Comité départemental de libération est divisé entre les “politiques”, représentés surtout par les syndicalistes ouvriers, qui plaident pour le déclenchement immédiat de l’insurrection, et les “militaires” de l’état-major FTP (Francs-tireurs partisans) qui se montrent réticents, arguant du faible nombre d’hommes et d’armes (300 partisans et 280 mitraillettes), loin des 1 600 combattants estimés par les alliés, et en tout cas dérisoires au regard des 35 000  FFI (Forces françaises intérieures) de la région parisienne », commente Claire Miot.

Des barricades sont dressées dans toute la ville, et une grande partie de la population, notamment les femmes s’y relaient pour aider et ravitailler les combattants. Devant ces images trop évocatrices du soulèvement révolutionnaire de la Commune (1871), le général de Lattre de Tassigny, commandant de la première armée, aurait ordonné au général Monsabert, qui a débarqué en Provence à la tête de la 3e division d’infanterie algérienne (DIA), de stopper sa progression sur Marseille. Il aurait préféré attendre que les résistants, en difficulté, demandent l’aide de l’armée régulière, ce qu’ils feront effectivement dès le 22 août. Les troupes de Monsabert entrent alors dans Marseille le 23 août et combattront avec les soldats de la Résistance.

En avril 1944 est constitué, dans la continuité du corps des volontaires françaises créé par De Gaulle à Londres, le corps des AFAT, les « Auxiliaires féminins de l’armée de terre ». « Mais vous remarquerez qu’on les qualifie d’“auxiliaires” et de plus on les recrute toujours explicitement “pour libérer les hommes des fonctions non combattantes” », commente Claire Miot. Elles seront jusqu’à 10 000 dans la première armée, affectées à des emplois administratifs et logistiques : téléphonistes, ambulancières, infirmières, recrutées pour partie dans les rangs de la Résistance, au fur et à mesure de la libération du territoire.

« Les femmes dans la bataille »

Publiée dans le journal Rouge Midi, le 3 septembre 1944, sous le titre « Les femmes dans la bataille », une photo renvoie à l’image traditionnelle des femmes dans une tâche d’aide et de soin aux enfants. Mais dans l’article qu’elle illustre, Julia Pirotte rappelle, presque avec lyrisme, qu’elles ont activement participé à la Résistance, hors de la sphère domestique.

« Je les ai vues au travail, dans l’illégalité, ces centaines de femmes, dans les transports d’armes, dans les renseignements, fabriquant des pièces d’identité. Et puis je les ai vues dans la bataille insurrectionnelle dans des casernes, usines, permanences, distribuant la nourriture aux combattants sous les rafales des balles et des bombes  je les ai vues des milliers et des milliers, femmes de toutes couches et opinions politiques : ouvrières, institutrices, sœurs qui dans un effort commun organisaient hôpitaux et cliniques, lingeries et nurseries, ravitaillement pour la population affamée . »

Par ailleurs, comme le souligne Claire Miot, « il faut bien se rendre compte que durant ces journées, les femmes étaient dehors, dans les rues, sur les barricades, aux côtés des combattants, contribuant à incarner aux yeux de certains le “péril rouge” d’une population en insurrection ».

Après s’être retranchées sur la colline de Notre-Dame-de-la-Garde et dans une partie du Vieux-Port, les dernières forces ennemies présentes à Marseille ne capitulent que le 28 août 1944.

L’armée française perd 1 825 hommes dans la bataille, mais capture près de 11 000 prisonniers. Les 200 tués et 500 blessés parmi la population témoignent aussi de la violence des combats. Un immense défilé est organisé , qui célèbre l’unité de la population face à l’ennemi. Le « péril rouge » s’est éloigné. Résistants, soldats de l’armée régulière, européens, maghrébins, hommes et femmes, tous ont leur place. Ici défilent notamment les « goumiers », soldats volontaires recrutés dans des tribus marocaines considérées par le pouvoir colonial comme naturellement « guerrières ».

Marseille (CNRS) dans A gauche du PS

Les femmes qui défilent ici, le 29 août 1944, viennent d’obtenir le droit de vote, le 21 avril 1944. Julia Pirotte, « collection La contemporaine » © droits réservés ( En réalité jeunesses communistes mixtes)

Julia Pirotte braque encore une fois son objectif sur les femmes, en tête du défilé du 29 août 1944, brandissant des slogans liés à l’actualité et à la politique : « À mort Pétain », « Vive l’école de la liberté ». Peut-être parce que les femmes françaises (de Métropole seulement ) viennent d’obtenir le droit de vote, par une ordonnance du 21 avril 1944 ?

Comme le souligne l’historien Fabrice Virgili, « on a présenté le droit de vote des femmes comme une “récompense” de leur action pendant la guerre, façon de ne pas reconnaître le long combat qu’elles ont mené pour obtenir ce droit élémentaire à la citoyenneté », notamment via le mouvement suffragiste, dont le premier groupe en France fut fondé en… 1876 ! ♦
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Julia Pirotte, photographe et résistante

« Les plus grands jours de ma vie furent l’insurrection de Marseille, écrit-elle en septembre 1944. Comme tant d’autres, j’avais des comptes à régler avec les nazis ; mes parents et toute ma famille étaient morts dans les camps en Pologne et dans les ghettos. J’étais sans nouvelles de ma sœur, prisonnière politique, je ne savais pas encore qu’elle était morte guillotinée. » Dans le regard qu’elle porte sur les combats pour libérer la ville, les femmes et les résistants se trouvent délibérément placés au premier plan. Elle poursuivra après la guerre son travail de photo-reporter engagée, notamment en Pologne, où elle documente le pogrom de Kielce, massacre de survivants de l’Holocauste en juillet 1946. ♦

21.08.2024
Marina Julienne

https://lejournal.cnrs.fr/articles/marseille-liberee

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17 août 2024 ~ 0 Commentaire

Brest 1935 (Bourrasque)

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Août 1935 – Émeutes à Brest : Contexte politique et local

Il y a 80 ans Brest était le théâtre de plusieurs journée d’émeutes contre un ensemble de mesures que l’on qualifierait aujourd’hui « d’austérité » ; l’occasion de revenir sur un épisode méconnu de l’histoire de notre ville. Une série d’articles sera donc publiée, revenant sur le contexte de ces émeutes, faisant une description de ces journées et tentant d’expliquer ce qui s’est déroulé à ce moment. Ceci est la deuxième des six parties de cette série d’articles.

Une crise économique et politique

En 1934, la situation en France est catastrophique, une grave crise économique, comme ailleurs dans le monde, secoue le pays depuis plusieurs années : près d’un million de chômeurs, des salaires et une consommation en baisse…

La crise est aussi politique : ces années sont celles de « la valse des gouvernements » qui ne durent souvent pas plus de quelques mois ; la république est soupçonnée de corruption et n’a pas de stabilité. Le 6 février 1934, suite à une manifestation antiparlementaire et des émeutes organisées par les ligues d’extrême droite, c’est la chute du gouvernement Daladier, qui n’aura pas duré plus d’une semaine à cause d’un scandale politico-économique, l’affaire Stavisky.

Cette crise ne se résoudra que par la formation d’un gouvernement « d’Union nationale », intégrant des figures de la droite parlementaire, qui avait pourtant perdu les dernières élections…

Ce sont ces événements qui pousseront les partis de gauche – Parti Communiste, S.F.I.O et même les tendances les plus centristes des socialistes – à s’unir au sein du Front populaire, laissant de côté leurs différences politiques pour tenter d’obtenir une victoire électorale en 1936, ce qui marquera un tournant réformiste dans les actions de toute la gauche, jusqu’aux plus « radicaux ».

La situation est donc complexe pour le gouvernement, qui a sur les bras une crise à régler avec un système politique instable. Au cours de l’année 1935, et après une énième destitution d’un gouvernement sous la 3e République, Pierre Laval et son gouvernement d’union nationale obtiennent les pleins pouvoirs du Parlement pour prendre les mesures jugées nécessaires au rétablissement économique.

Le gouvernement a maintenant la possibilité légale de promulguer lui-même des « décrets-lois » sans passer par l’approbation de l’Assemblée nationale. C’est une forme de court-circuitage du fonctionnement normal de la démocratie parlementaire pour faire face à une situation de crise.

Concrètement ces décrets-lois sont un ensemble de mesures tentant de répondre à la crise par une « politique déflationniste » : très grossièrement il s’agit de baisser le montant des dépenses en diminuant les salaires mais aussi le prix des biens de consommation.

La réaction des ouvriers brestois

Fin mars 1934, le gouvernement annonce la promulgation prochaine d’un ensemble de décrets-lois instituant une « politique déflationniste » ayant pour but de résister à la dévaluation et sortir de la « crise de la spéculation ». Dans les faits il s’agit de baisser drastiquement le coût des dépenses publiques en diminuant le coût de la dette mais aussi les subventions et le salaire des fonctionnaires.

À Brest, la moitié de la population est composée de fonctionnaires. En effet, les 6,000 ouvriers de l’arsenal sont des ouvriers d’État et sont donc aussi concernés par les diminutions de salaires. C’est pourquoi, dès cette annonce, la C.G.T et la C.G.T.U, alors divisées, organisent plusieurs manifestations et tractages.

Le 11 janvier, la C.G.T. organise seule un meeting et un défilé contre les décrets-lois – la C.G.T.U. appelle tout de même ses militants et sympathisants à le rejoindre. Environ 3,000 personnes y participent.

Fin janvier un nouveau meeting est organisé, une grève d’une heure est décidée à l’unanimité pour le lendemain, le 1er février. Ce matin-là, quelques incidents éclatent dans les ateliers et plusieurs centaines d’ouvriers forment un cortège et parcourent l’arsenal dont ils sortent pour aller jusqu’à la maison du peuple. Mais le préfet maritime fait fermer les portes derrière eux.

Quand, à 13 heures, 4,500 ouvriers de l’arsenal veulent reprendre le travail comme prévu, ils trouvent les grilles fermées. La porte de la Corderie cède sous la poussée de plusieurs centaines d’ouvriers ; porte de Tourville les ouvriers ne parviennent pas à entrer, forment un cortège et parcourent la ville pour aboutir place Wilson où plusieurs orateurs prennent la parole.

À la fin du meeting, des cris retentissent « Aux Croix de Feu, rue Amiral-Linois ! ». De nombreux ouvriers semblent vouloir en découdre avec les différentes organisation d’extrême droite présentes à Brest. Plusieurs centaines de manifestants se dirigent vers le siège des Croix de Feu qui est conspué et caillassé, d’autres se dirigent vers le local de la « Solidarité Française », mais sont bloqués par un peloton de policiers. Quelques bagarres émaillent cette journée mais le lendemain le travail reprend calmement à l’arsenal.

Après ces journées, le mouvement s’élargit au-delà de celui des ouvriers de l’arsenal : les ouvriers du privé, notamment de la métallurgie et du bâtiment, sont réunis par les syndicats, leurs discours sont les mêmes « Non aux décrets-lois », « Non au fascisme ». Localement l’unité d’action entre la C.G.T.(confédérée, PS SFIO) et C.G.T.U.(unitaire PCF et Anars) se profile de plus en plus, annonçant un mouvement d’ampleur et coordonné, mais est toujours refusée par la C.G.T

Le 16 juillet 1935, la machine se met en marche, le gouvernement obtient enfin le droit de promulguer ses décrets-lois diminuant les dépenses publiques. Dès le 19 juillet, un meeting est organisé par la C.G.T. confédérée avec, cette fois-ci, la participation active de la C.G.T.U. Les orateurs parlent avec fermeté et les anarchistes appellent à la grève générale tout de suite. Les discours terminés, un cortège de plus de 3,000 travailleurs se forme. Toute manifestation ayant été interdite par la préfecture, ils se heurtent à un barrage de gendarmes qui est rapidement forcé ; les ouvriers défilent dans la ville sans incident notable.

Le 22 juillet une nouvelle manifestation, toujours interdite, rassemble 15,000 personnes qui défilent sans incident. « Les soviets partout ! » scandent certains ouvriers. (Proches du PCF minoritaires)

Début août les deux C.G.T. discutent et s’organisent séparément, les confédérés refusant toujours l’unité d’action prônée par les unitaires. Les confédérés, qui sont plus nombreux, décident d’une nouvelle manifestation, toujours interdite, qui rassemblera 12,000 personnes le 1er août. Des poursuites judiciaires seront alors engagées contre 17 syndicalistes, « unitaires » comme « confédérés »

C’est dans ce contexte que les ouvriers recevront leur paie quelques jours plus tard, constatant de visu l’amputation de leur salaire …

13 août 2019

https://bourrasque-info.org/

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