La trajectoire déplorable du stalinisme sud-africain 2 (essf)
Quand le mouvement de masse repartit à l’offensive au tout début des années 80, le PC était devenu peu ou prou une sorte de poisson pilote de l’ANC principalement dans les bases ex- térieures en Angola, en Zambie, à Londres. Mbeki, futur président, fut par exemple membre de son comité central. Le PC se posait en représentant, unique évidemment, de la « classe ouvrière » au sein du futur dispositif démocratique. C’est au nom de ce monopole prolétarien qu’il monta en première ligne, entre 1982 et 1986, pour dénoncer (déjà à l’époque) les syndicalistes indépendants qui osaient défier la ligne de l’ANC en défendant une perspective socialiste et l’idée d’un parti des travailleurs sous l’influence de l’exemple brésilien. « Economistes », « gauchistes », « révolutionnaires de salon » constituaient l’arsenal de caractérisations du PC à propos de ces syndicalistes.
Mais, les choses de gâtèrent car le mouvement populaire prenait de l’ampleur. Le syn- dicalisme sud-africain renaissant gagnait en influence en posant la question de l’exploitation sociale des Noirs. Le PC fit alors un virage radical pour se présenter comme le défenseur du socialisme. S’autoproclamant l’unique parti d’avant-garde et représentant du prolétariat, il couvrait ainsi le flanc gauche de l’ANC alors que se multipliaient les grèves dans les mines et les entreprises.
Or, l’ironie voulut que ce virage opportuniste soit pris alors que commençaient les négociations entre Mandela en prison, l’ANC en exil et les grands patrons sud-africains, dans un environnement mondial marqué par la perestroïka de Gorbatchev et les grandes négociations Est-Ouest.
Le PC joua alors un rôle peu reluisant. A l’intérieur, une campagne de boycott scolaire était lancée avec pour mot d’ordre « pas d’éducation sans libération ». Ce mouvement, différemment encadré selon les lieux, pris très vite un cours très anarchique et de nombreux parents commen- cèrent à renâcler en voyant leurs jeunes enfants partir ainsi à l’assaut du système dans un très grand désordre politique et organisationnel. Le PC lui adoptait alors une propagande totalement délirante : parlant de « zone libérées » et de double pouvoir, évoquant l’existence de tribunaux populaires dans les quartiers… Etrange positionnement, alors qu’il était investi dans des négociations au sommet visant tout bonnement à mettre en place une transition pacifiée, très éloignée même des reven- dications de la fameuse Charte de la Liberté.
La fin d’une histoire
C’est dans ce contexte que le PC accéda au pouvoir aux côté de l’ANC, avec moult adhésions croisées entre les deux structures. Il participait d’un côté aux compromis avec le patronat et l’ancien parti au pouvoir et se prévalait, de l’autre, du souffle socialiste né du mouvement populaire des années 80. Et, il apportait avec lui le contrôle total de la direction du COSATU. Le PC autoproclamait le lien indéfectible et organique entre le « parti d’avant-garde » du prolétariat et le syndicat. Raison de plus, n’est-ce pas, pour se faire financer par les cotisations syndicales ! Cette posture hautement sta- linienne, bureaucratique et corruptive est désormais en crise ouverte.
Mais, la direction du NUMSA, désormais sortie de ce piège, aurait tout intérêt à ne pas reproduire le même schéma, entre le futur parti ouvrier qu’elle appelle à construire et la recom- position syndicale en cours. Elle doit elle-même tirer les leçons de son histoire récente, ne pas sim- plement l’expliquer par la trahison du PC et de la direction du COSATU. Une évaluation poussée des phénomènes bureaucratiques est nécessaire, ainsi que du lien soi-disant organique entre parti et syndicat. Attention aux auto-proclamations « marxistes-léninistes » quand on dirige des centaines de milliers d’ouvriers ayant peu de rapport avec l’histoire du communisme européen !
Pour l’heure, la direction du NUMSA invite les forces – que nous pourrions qualifier de gauche radicale – à discuter de l’avenir et de la reconstruction d’un mouvement ouvrier. Elle le fait sans sectarisme, même si la frontière entre syndicat et parti reste très vague dans ses écrits. Elle n’appel- lera donc pas à voter pour la coalition au pouvoir et cesse donc de financer le PC. Tout le monde s’accorde à dire que l’ANC sortira vainqueur mais d’une courte tête cette fois-ci, tant est forte la désillusion et donc l’abstention.
Cette rupture est un événement d’une grande ampleur qui se cumule avec le massacre de Marikana. Quelle que soit sa dynamique future, elle illustre la fin annoncée, lamentable et affligeante, d’un parti stalinien. 13 février 2014 Claude Gabriel