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14 février 2014 ~ 0 Commentaire

La trajectoire déplorable du stalinisme sud-africain 2 (essf)

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Quand le mouvement de masse repartit à l’offensive au tout début des années 80, le PC était devenu peu ou prou une sorte de poisson pilote de l’ANC principalement dans les bases ex- térieures en Angola, en Zambie, à Londres. Mbeki, futur président, fut par exemple membre de son comité central. Le PC se posait en représentant, unique évidemment, de la « classe ouvrière » au sein du futur dispositif démocratique. C’est au nom de ce monopole prolétarien qu’il monta en première ligne, entre 1982 et 1986, pour dénoncer (déjà à l’époque) les syndicalistes indépendants qui osaient défier la ligne de l’ANC en défendant une perspective socialiste et l’idée d’un parti des travailleurs sous l’influence de l’exemple brésilien. « Economistes », « gauchistes », « révolutionnaires de salon » constituaient l’arsenal de caractérisations du PC à propos de ces syndicalistes.

Mais, les choses de gâtèrent car le mouvement populaire prenait de l’ampleur. Le syn- dicalisme sud-africain renaissant gagnait en influence en posant la question de l’exploitation sociale des Noirs. Le PC fit alors un virage radical pour se présenter comme le défenseur du socialisme. S’autoproclamant l’unique parti d’avant-garde et représentant du prolétariat, il couvrait ainsi le flanc gauche de l’ANC alors que se multipliaient les grèves dans les mines et les entreprises.

Or, l’ironie voulut que ce virage opportuniste soit pris alors que commençaient les négociations entre Mandela en prison, l’ANC en exil et les grands patrons sud-africains, dans un environnement mondial marqué par la perestroïka de Gorbatchev et les grandes négociations Est-Ouest.

Le PC joua alors un rôle peu reluisant. A l’intérieur, une campagne de boycott scolaire était lancée avec pour mot d’ordre « pas d’éducation sans libération ». Ce mouvement, différemment encadré selon les lieux, pris très vite un cours très anarchique et de nombreux parents commen- cèrent à renâcler en voyant leurs jeunes enfants partir ainsi à l’assaut du système dans un très grand désordre politique et organisationnel. Le PC lui adoptait alors une propagande totalement délirante : parlant de « zone libérées » et de double pouvoir, évoquant l’existence de tribunaux populaires dans les quartiers… Etrange positionnement, alors qu’il était investi dans des négociations au sommet visant tout bonnement à mettre en place une transition pacifiée, très éloignée même des reven- dications de la fameuse Charte de la Liberté.

La fin d’une histoire

C’est dans ce contexte que le PC accéda au pouvoir aux côté de l’ANC, avec moult adhésions croisées entre les deux structures. Il participait d’un côté aux compromis avec le patronat et l’ancien parti au pouvoir et se prévalait, de l’autre, du souffle socialiste né du mouvement populaire des années 80. Et, il apportait avec lui le contrôle total de la direction du COSATU. Le PC autoproclamait le lien indéfectible et organique entre le « parti d’avant-garde » du prolétariat et le syndicat. Raison de plus, n’est-ce pas, pour se faire financer par les cotisations syndicales ! Cette posture hautement sta- linienne, bureaucratique et corruptive est désormais en crise ouverte.

Mais, la direction du NUMSA, désormais sortie de ce piège, aurait tout intérêt à ne pas reproduire le même schéma, entre le futur parti ouvrier qu’elle appelle à construire et la recom- position syndicale en cours. Elle doit elle-même tirer les leçons de son histoire récente, ne pas sim- plement l’expliquer par la trahison du PC et de la direction du COSATU. Une évaluation poussée des phénomènes bureaucratiques est nécessaire, ainsi que du lien soi-disant organique entre parti et syndicat. Attention aux auto-proclamations « marxistes-léninistes » quand on dirige des centaines de milliers d’ouvriers ayant peu de rapport avec l’histoire du communisme européen !

Pour l’heure, la direction du NUMSA invite les forces – que nous pourrions qualifier de gauche radicale – à discuter de l’avenir et de la reconstruction d’un mouvement ouvrier. Elle le fait sans sectarisme, même si la frontière entre syndicat et parti reste très vague dans ses écrits. Elle n’appel- lera donc pas à voter pour la coalition au pouvoir et cesse donc de financer le PC. Tout le monde s’accorde à dire que l’ANC sortira vainqueur mais d’une courte tête cette fois-ci, tant est forte la désillusion et donc l’abstention.

Cette rupture est un événement d’une grande ampleur qui se cumule avec le massacre de Marikana. Quelle que soit sa dynamique future, elle illustre la fin annoncée, lamentable et affligeante, d’un parti stalinien. 13 février 2014 Claude Gabriel

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12 février 2014 ~ 0 Commentaire

Retour sur la classe ouvrière et le mouvement ouvrier en france et aux usa 1(essf)

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Grève des sardinières de Douarnenez, 1924: « Pemp real a vo! » (On aura nos 25 centimes)
Au-delà du mythe

Apprécier l’importance et le sens des évolutions actuelles suppose que l’on dépoussière un peu le passé qui nous sert généralement de point de repère, même implicite, et que l’on revienne sur une histoire qu’on a parfois tendance à idéaliser.

C’est souvent le résultat d’une confusion :

un «prolétariat  » dont on ignore délibérément la diversité au point de le ramener à une sorte d’image d’Epinal, celle de l’ouvrier qualifié en bleu de chauffe, travaillant à Renault-Billancourt, conscient, organisé, le plus souvent politisé par le PCF, disposant d’une place et d’un statut reconnu dans la société, porteur d’un projet même malgré lui, le socialisme, qui d’ailleurs semblait existait pour de vrai en URSS… Sous cet angle, la comparaison peut paraître cruelle, puisqu’on ne sait plus très bien aujourd’hui si le prolétariat existe encore, après l’avoir longtemps confondu avec les ouvriers d’industrie, eux-mêmes devenus très minoritaires  : à peine plus de 20 % de la population active. Quant au prétendu socialisme à l’Est…

Le résultat est donc paradoxal  :

la classe ouvrière serait devenue une sorte de «  classe invisible  », à rebours de la période antérieure qui faisait d’elle la référence incontournable des étudiants de 68, au point de la mythifier. Est-ce à dire que de «  tout  », elle serait devenue «  rien  »  ? C’est probablement le résultat d’une distorsion, un peu la même qui nous fait parfois confondre le fonctionnement «  normal  » du capitalisme avec celui des «  Trente glorieuses  ». Or la classe ouvrière a rarement été à l’image de cette «  parenthèse enchantée  ».

Avant c’était mieux  ? Politisation et précarisation au XIXe siècle

L’une des originalités du prolétariat en France au XIXe siècle est d’avoir émergé très lentement, même si la révolution industrielle a été relativement précoce [1]. Les ouvriers de juin 1848 qui revendiquent pour la première fois le drapeau rouge et la «République sociale» n’étaient guère différents des sans-culottes de la Révolution française, ni d’ailleurs des communards près de 25 ans plus tard. Paris regroupait alors un prolétariat à la fois extrêmement nombreux, dispersé, divisé en de multiples «métiers» souvent rivaux, la tradition des «corporations» du Moyen-âge étant loin d’avoir disparu. Bien des «chefs d’ateliers» et «chefs d’équipe» avaient un statut ambigu, recrutant eux-mêmes «leurs» compagnons qui devaient souvent fournir leurs propres outils.

Et pourtant, dès cette époque, quelque chose avait changé :

ce sont notamment en 1863 les premières «candidatures ouvrières» après une longue période de répression, puis la création de la Première Internationale en 1864, dans un contexte de grèves dures et longues comme celle de milliers d’ouvriers bronziers pendant plusieurs semaines à Paris en 1867, répartis sur des centaines d’ateliers et pourtant organisés en « chambres syndicales ».

La Révolution française explique en grande partie cette originalité.

La révolution agraire a longtemps freiné l’exode rural, faisant de la France le pays par excellence de la petite bourgeoisie rurale: pendant très longtemps, si le paysan consent à venir travailler comme ouvrier en ville, c’est temporairement et pour gagner quelques sous afin de préserver son bout de propriété menacé par l’hypothèque. Mais en sens inverse, le souvenir des «  grandes journées révolutionnaires  » a aussi durablement inscrit l’idée que pour changer son sort, il faut faire de la politique. «  Qui a du fer a du pain  », rappelait fièrement Auguste Blanqui, et ce n’était pas qu’un slogan pour initiés.

Dans les années 1880, lorsque Jaurès fait ses premiers pas de la république vers le socialisme,

les concentrations ouvrières, comme les mines dans le Nord ou la métallurgie au Creusot, sont encore exceptionnelles. Dans beaucoup d’usines, le travail saisonnier est la règle  : seule une petite minorité d’ouvriers qualifiés (en particulier les «  mécaniciens  ») est embauchée à l’année, la majorité vit dans la plus grande précarité, au niveau de son travail mais aussi du logement, habitant le plus souvent un «  garni  » c’est-à-dire une chambre meublée que l’on quitte fréquemment «à la cloche de bois» avant que le propriétaire ne vienne réclamer ses arriérés.

Même dans les années 1920, la grande usine n’est pas encore forcément la référence obligée de la lutte de classe. La première grande grève dirigée en 1924 par le tout jeune Parti communiste – qui en fait un conflit «exemplaire» et un tremplin pour sa première campagne législative dans tout le pays – n’a lieu ni chez monsieur Renault ni chez monsieur Berliet, mais à Douarnenez avec des sardinières (les «Penn sardin»), au fin fond de la Bretagne de Bécassine, dans des conditions autrement plus difficiles que bien des luttes aujourd’hui.

Un rôle de précurseur

Au début du XXe siècle, le tableau du point de vue de l’organisation est pourtant autrement plus encourageant. Car s’il y a une leçon que l’on peut tirer de cette période, c’est bien qu’on peut avoir un prolétariat minoritaire dans la société, dispersé, précarisé, divisé entre de multiples hiérarchies internes [2] et un mouvement ouvrier puissant, dynamique, qui devient une référence incon- tournable d’un point de vue politique.

La CGT dirigée par des militants anarchistes organise des centaines de milliers de prolétaires. Elle revendique fièrement la «  double besogne  » du syndicat, les revendications immédiates et l’expropriation des capitalistes, tout en prônant une forme d’émancipation intégrale qui conduit à rejeter toute forme d’ingérence de l’Etat. Les années 1906-1910 représentent un moment exceptionnel d’affrontement avec la bourgeoisie, mais les défaites ne tardent pas non plus : la première grève générale dans les chemins de fer se solde en 1910 par la révocation de milliers de cheminots, et la deuxième en 1920, dans le contexte de la révolution russe, par des dizaines de milliers.

En 1914, le Parti socialiste dirigé par Jaurès et Guesde compte plus d’une centaine de députés, mais en août, c’est le ralliement à «  l’Union sacrée  » avec la bourgeoisie. A certains égards, le mouvement ouvrier ne s’en est jamais relevé, malgré la Révolution russe et la création d’un jeune parti com- muniste il est vrai rapidement stalinisé. Le processus d’unification de notre camp social a donc été une gageure extraordinaire, et il n’y avait a priori aucune fatalité sociologique pour que s’engage ce processus. Mais à l’inverse, il y a eu très vite, très tôt, des défaites politiques qui ont eu des conséquences durables.

1er janvier 2014 JF Cabral

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12 février 2014 ~ 0 Commentaire

Retour sur la classe ouvrière et le mouvement ouvrier en france et aux usa 2(essf)

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En passant par l’Amérique de Jack London et du «  talon de fer  »

Un détour de l’autre côté de la rive atlantique l’illustre assez bien. Le mouvement ouvrier étatsunien est confronté à deux difficultés supplémentaires  : la dispersion d’un prolétariat qui s’est construit à l’échelle d’un véritable continent, et l’ampleur des affrontements dans un pays où la lutte de classe se marie volontiers avec certaines traditions du Far-West [3]. Il donne pourtant naissance à des organisations et à des méthodes d’intervention extrêmement originales dans leurs tentatives d’unifier un camp social d’autant plus divisé qu’il est constitué d’immigrants de fraiche date. Pensons en particulier aux Industrial Workers of the World (IWW).

Mais là encore, c’est la répression qui scande pour l’essentiel les grandes étapes de cette histoire, plus que la sociologie dont les évolutions sur le long terme n’ont de toute façon rien de mécanique. La première phase est à la fois la plus terrible et la plus méconnue, et cela d’autant plus qu’il n’y a aux Etats-Unis ni répression centralisée au niveau de l’Etat fédéral (sur le modèle d’une «  dictature classique  »), ni essor de mouvements politiques comme le fascisme, du moins à la même échelle qu’en Europe, mais des «  bandes d’hommes armés  » qui pullulent et qui sont d’une efficacité redoutable. A la veille de la Première Guerre mondiale, puis dans les années qui ont suivi face à la peur des «  rouges  », l’objectif n’est rien moins qu’une tentative de destruction physique des organisations du mouvement ouvrier. Il est atteint en grande partie.

Le mouvement qui réapparait durant la grande vague de grève de 1934-1937 a bien des difficultés à s’imposer, du moins si on lit certains récits, comme ceux des ouvriers de l’automobile à Flint ou des chauffeurs-livreurs à Minneapolis [4]. La répression durant le maccarthysme ne laisse debout après 1947 que les formes les plus intégrées et les plus compromises du mouvement ouvrier. Après une renaissance dans les années 1960, le licenciement de milliers de grévistes lors du conflit des aiguilleurs du ciel en 1981 marque une nouvelle étape de régression, où la répression – dans une moindre mesure il est vrai – a joué son rôle.

Vers une reprolétarisation du prolétariat  ?

Si l’on peut parler de «  parenthèse enchantée  » dans la France des «  Trente glorieuses  », c’est pour mieux souligner deux évolutions majeures au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale  : un rapport de forces favorable dans la durée – en s’appuyant notamment sur la place acquise par un mouvement ouvrier largement stalinisé – et la possibilité pour le prolétariat d’occuper une position qui se traduit y compris par une reconnaissance juridique et un véritable statut dans la société capitaliste. La place centrale occupée désormais par le CDI devient un cadre auquel on accole un ensemble de droits qui font du salariat un point de référence pour toute la société, et non le symbole de l’exploitation et de la marginalité sociale.

Ce compromis social est aujourd’hui remis en cause. C’est un drame pour des millions d’individus qui voient leurs conditions de vie parfois bouleversées. C’est aussi un puissant facteur de déstabilisation pour le mouvement ouvrier qui s’était plutôt bien adapté à ce système. Faut-il pour autant tout peindre en noir  ?

En fait, bien des arguments sont réversibles lorsqu’on essaye d’évaluer l’évolution des rapports de force à l’étape actuelle. Parce que chaque situation recèle un certain nombre d’aspects contra- dictoires. Si l’on prend aujourd’hui des milieux apparemment très différents, des informaticiens bac+5 chez Axa ou de jeunes salariés issus des cités à la Poste, ils ont malgré tout quelques points communs  : à trente ans, ils ne sont guère stabilisés sur le plan personnel et professionnel, qu’ils soient prestataires de services avec un assez bon salaire ou en CDD avec tout juste le Smic. Leur situation finit même par engendrer toutes sortes de comportements très cyniques à l’égard de l’entreprise (on l’utilise comme elle nous utilise), avec une très faible adhésion (au métier, à l’entreprise, à toutes ces règles, valeurs, comportements qui ont longtemps façonné les générations précédentes). Cela se fait pour l’essentiel sur un mode individualiste qui rend bien plus difficile leur adhésion aux organisations traditionnelles, voire à toute forme d’organisation collective.

Mais est-ce que c’était mieux avant  ? Quand les jeunes entraient avec un plan de carrière dans une entreprise où ils se voyaient finir leurs jours après avoir payé les traites de leurs maisons individuelles  ? Ou bien calculant leurs points avec comme unique ambition de retourner dans leur région d’origine après avoir passé le concours national de la Poste  ? En adhérant au syndicat comme on adhère à une police d’assurance, à l’image de tout le compromis social qui s’est forgé après 1945, tellement protecteur pour les salariés et… tellement rassurant pour les capitalistes  ?

A bien des égards, la nouvelle période du capitalisme est en train de reprolétariser les prolétaires, peut-être bien plus moralement encore que matériellement. Pas sûr dans ces conditions que les organisations révolutionnaires y perdent, et que cela devrait les détourner de la tâche opiniâtre de s’implanter sur les lieux de travail, comme de miser sur des grèves sans doute plus rares mais plus explosives, potentiellement bien moins contrôlables par des appareils bureaucratiques affaiblis, qui ont fonctionné jusqu’ici comme des carcans et pas seulement comme des points d’appui.

A l’image de juin 36  ?

C’est du moins ce que pourrait suggérer l’anecdote rapportée par Danos et Gibelin dans leur livre Juin 36 [5], au moment de la première rencontre entre patronat et syndicats à Matignon sous l’arbitrage de Léon Blum. Le patronat commence par faire un tableau apocalyptique d’une situation devenue incontrôlable. La CGT en profite pour lui faire la leçon, lui disant en substance  : si vous n’aviez pas passé votre temps à chasser nos militants de vos usines, peut-être que nous n’en serions pas là. Et les patrons, paraît-il, de baisser la tête…

Or la répression en question ne se réduisait pas aux seuls militants. En fait, c’est toute la classe ouvrière que le patronat avait commencé à refaçonner durablement. Face à la crise de 1929, Louis Renault a considérablement accéléré la mise en place du taylorisme dans ses usines. L’enjeu n’est pas simplement de gagner en productivité, il est plus fondamentalement de modifier en profondeur la sociologie ouvrière, et de gouverner autrement l’entreprise. C’est toute l’autonomie au travail qui est mise en cause, comme la fierté d’avoir créé de bout en bout une belle pièce qui justifiait au quotidien le droit de revendiquer une autre organisation de la société parce qu’on était convaincu de créer seul toutes les richesses. Désormais trône le «  bureau d’études  » et avec lui une nouvelle étape de la prise du pouvoir patronal sur un travail de plus en plus aliéné. Ce qui n’empêche pas les révoltes d’éclater.

En 1935 à Billancourt, dans une usine de plus de 30 000 personnes, le Parti communiste qui n’a jamais beaucoup recruté parmi les OS, en est réduit à sa plus simple expression : au mieux une cellule, avec moins d’une dizaine de militants. Une situation qui exprime en condensé – au niveau de la gravité de la crise et de ses différentes conséquences – ce que nous vivons d’une certaine manière aujourd’hui, de manière plus amortie et surtout bien plus étirée dans le temps. Mais cet aspect n’a certainement pas été non plus sans lien avec la suite  : une révolte qui démarre et s’étend sans l’aval des directions syndicales en 1936, puis une difficulté extrême pour Thorez à expliquer qu’«  il faut savoir terminer une grève  ».

Bien sûr, l’histoire ne se répète jamais à l’identique. Et les évolutions actuelles, si elles s’apparentent à certains égards à un retour au passé, créent en même temps une situation inédite. Mais le pire n’est jamais certain. Jean-François Cabral 1er janvier 2014

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12 février 2014 ~ 0 Commentaire

La littérature jeunesse, sous surveillance depuis un siècle (libération)

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Exemple de littérature de jeunesse « saine » de droite : tous à poil, mais surtout pas de filles!

La sortie de Jean-François Copé contre un livre jugé impropre à l’éducation des enfants s’inscrit dans une longue tradition conservatrice.

Régulièrement depuis un siècle, la littérature jeunesse revient au cœur du débat. Jean-François Copé tempêtait dimanche soir sur RTL contre le livre pour enfants Tous à poil ! faisant «partie de la liste des livres recommandés aux enseignants pour faire la classe aux enfants de primaire». Le président de l’UMP jugeait choquante la manière dont ce livre illustré présente sans tabou la nudité aux enfants, et a dénoncé l’attitude du gouvernement qu’il juge «pétrie d’idéologie».

Sa sortie s’inscrit dans un mouvement qui régulièrement dénonce une littérature jugée indigne par une nébuleuse regroupant militants traditionalistes, d’extrême-droite et iden- titaires. Le salon beige, blog qui se présente comme un «quotidien d’actualité par des laïcs catho- liques», dénonce les «bibliothèques idéologiques» qui proposent des ouvrages abordant le thème de la sexualité en dehors d’un cadre hétéronormé. Lundi, le blog a publié un nouveau post contre la bibliothèque municipale de Vertou (près de Nantes), qui ose proposer La princesse qui n’aimait pas les princes, Jean a deux mamans, ou encore Papa porte une robe. Un autre livre, Le Jour du slip, d’Anne Percin, est ces derniers jours régulièrement attaqué pour apologie de l’homosexualité, notamment dans un post du 6 février du blog du mouvement catholique Civitas. En revanche, le Salon beige recommande un guide qui liste les «bons livres». Ecrit par Anne-Laure Blanc, Une Bibliothèque idéale propose des ouvrages qui, selon le blog, «ne déconstruit pas les repères traditionnels de la société et les valeurs ; il vise à éveiller la conscience à des aspirations élevées».

La croisade réactivée de l’abbé Bethléem

Cette démarche n’est pas isolée et loin d’être nouvelle. «Il est rigoureusement interdit [à la littérature] de blesser, d’aveugler, et surtout de souiller et d’égarer» : la phrase pourrait être le credo de Béatrice Bourges, porte-parole du Printemps français. Elle est vieille de plus d’un siècle, puisqu’elle figure dans la préface d’un ouvrage de 1905, Romans à lire et romans à proscrire de l’abbé Louis Bethléem, véritable best-seller à l’époque. Cet intellectuel catholique était parti en croisade pour la défense des bonnes mœurs, qu’il considérait mises en péril par des lectures dangereuses.

Son ouvrage se veut une référence pour «des familles justement alarmées du déver- gondage qui règne dans le roman contemporain». L’abbé Bethléem ne se contentait pas de con- damner sans appel les débauchés que sont Balzac, Dumas, Flaubert ou Hugo (liste non exhaustive). Parce qu’il avait à cœur de préserver l’innocence des enfants, des ouvrages de littérature jeunesse subiront également ses foudres. Ainsi L’Epatant, périodique qui publiait la bande-dessinée Les Pieds nickelés à partir de 1908, était classé par l’abbé parmi les mauvaises publications. Sans parler de son grand combat lancé contre Mickey, accusé de démoraliser les petits Français. L’abbé préconisait plutôt la lecture des premiers albums de Tintin, qui seyaient mieux selon lui à la morale chrétienne.

Les préceptes de l’abbé Bethléem peuvent paraître désuets. Pourtant, ils inspirèrent la loi du 16 juillet 1949 sur «les publications destinées à la jeunesse» qui entendait protéger les enfants contre les publications immorales. L’article 2 stipule que les publications ne doivent contenir «aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés de crimes ou délits ou de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse». Cette loi est toujours d’actualité, et la Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à la jeunesse et à l’adolescence est toujours chargée d’une mission de contrôle. Renseignement pris auprès de la Commission, ses membres n’ont pas examiné Tous à poil. Et n’ont visiblement pas encore jugé utile de le faire.

Juliette JABKHIRO 10 février 2014 à 19:34

http://next.liberation.fr/sexe/2014/02/10/la-litterature-jeunesse-sous-surveillance-depuis-un-siecle_979130

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09 février 2014 ~ 0 Commentaire

La tentation de l’émeute (enklask)

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Théâtre laïque et réaction cléricale (novembre 1934)

La mobilisation actuelle des catholiques traditionalistes et intégristes contre la représentation de la pièce de théâtre « Sur le concept du visage du fils de Dieu » de Romeo Castellucci m’a replongé dans un épisode que j’étudie pour mon travail de thèse. Si je laisse à d’autres le compte-rendu des faits et leur interprétation[1], je ne peux en effet que constater à nouveau une certaine concordance des temps.

Aujourd’hui, ces intégristes et traditionnalistes catholiques tentent d’interrompre les représentations d’une pièce de théâtre, manifestent bruyamment chaque soir et expriment verba-lement et physiquement une violence qui nécessite une présence policière renforcée. Par cette mobilisation, ils prétendent chercher la reconnaissance publique de la douleur provoquée par les paroles proclamées : il s’agit pour eux d’une offense morale causée par le blasphème que repré-senterait l’ensemble de la pièce. Si de telles actions ne sont pas nouvelles et sont de plus présentes dans l’espace public contemporain[2], en novembre 1934 dans le Finistère, des actes similaires se sont déroulés et ont entraîné la réaction des milieux partisans laïque et socialiste.

« Du bruit dans Landerneau » : les coulisses de l’émeute du 29 novembre 1934

Le 29 novembre 1934, la troupe de Jules Sédillot, effectuant une tournée pour le compte du Comité de défense laïque du Finistère, doit jouer deux pièces dans la nouvelle salle du Family que la municipalité socialiste vient tout juste d’inaugurer. C’est tout d’abord la pièce « Mon royaume n’est pas de ce monde » d’André Lorulot qui doit être jouée, puis « La Terre des prêtres » du Breton Yves Le Febvre.

Les deux œuvres sont ouvertement anticléricales, et remettent en cause pour la première les fondements même du dogme et pour la seconde la morale des prêtres. Le soir de la première repré- sentation, la salle est envahie par une foule violente. Les autorités affirment par la suite qu’il a eu près de 3000 manifestants hostiles à la tenue du spectacle. Qui sont les manifestants ? « La mo- bilisation des troupes est parfaite(…) ce sont les «  jeunesses catholiques » qui sont à la base, et à leur tête, elles ont dans chaque commune où existent des sections, le ou les vicaires et quelquefois le recteur. Elles n’ont aucun frais à débourser »[3].

Mais parmi eux, on trouve aussi des membres des ligues d’extrême droite et des con- seillers municipaux de l’opposition au maire socialiste de Landerneau, Jean-Louis Rolland. Il est d’ailleurs pris à partie physiquement et il fait appel à la garde mobile pour tenter de faire restaurer le calme. Mais les affrontements se poursuivent entre forces de l’ordre et catholiques d’un côté  et entre militants de gauche et catholiques de l’autre côté. L’affaire est évoquée à la chambre des députés par Hyppolite Masson, élu Sfio du département et dans la presse nationale, comme le journal La Croix, on s’insurge souvent contre les violences faites contre les militants catholiques.

A gauche : lutte contre les «  cléricaux fascistes »

L’ordre public étant mis en péril, le préfet décide de suspendre la tournée de la troupe, mais à gauche on cherche rapidement les ripostes. C’est avant tout le Comité de défense laïque qui réagit. Il ras- semble tous les partisans de la laïcité, hormis les communistes, et dans le département, cette orga- nisation regroupe près de 10 000 personnes, proches de la Sfio, des radicaux-socialistes ou des libertaires. Véritable structure fondamentale dans la gauche bretonne, ce comité devient d’ailleurs très rapidement le lieu de gestation du Front populaire naissant. Mais ce sont aussi les soutiens de la République qui réagissent et s’estiment menacer par ceux que l’on appelle de plus en plus « les cléricaux fascistes ».

C’est que cet événement pour les militants de gauche du département représente leur « six février », l’acte par lequel l’extrême droite montre sa volonté de prise du pouvoir par la force. Et pour eux, les militants catholiques sont clairement perçus comme des fascistes[4]. C’est donc tout d’abord un traumatisme et une prise de conscience du danger factieux puis la volonté affirmée de riposter à la mesure de l’assaut.  La tournée est donc maintenue, tout en respectant les consignes officielles, à savoir que les lieux de représentation sont modifiés afin d’assurer le bon déroulement des spectacles.

Mais surtout le Comité de défense laïque et la Sfio mettent en place des groupes d’auto-défense et des comités antifascistes. C’est surtout ce dernier aspect qui m’intéresse ici dans le cadre de ma recherche sur le rapport à la violence entretenu par les militants socialistes.

Les coulisses de cette émeute : quelles significations ?

La première chose qu’il est important de retenir ici est l’utilisation du théâtre comme instrument de propagande pour la gauche. En effet, la tournée est scrupuleusement organisée et implique de nom- breux participants, des militants mais aussi des mairies de gauche. Or, il me semble que c’est un champ de recherches novateur que l’étude du théâtre socialiste. On peut disposer de la thèse récente de Marjorie Gaudemer sur « le théâtre de propagande socialiste en France, 1880-1914 »(2009)[5], des travaux de Pascal Ory[6] ou encore dans le cas brestois de l’article récent de Pierre Le Goïc[7]. Mais l’étude des tournées de propagande laïque entre 1918 et 1940, où les membres de la Sfio jouent un grand rôle, reste à faire. On soulignera juste pour le moment qu’à la suite des troubles de la fin de l’année 1934, le Comité de défense laïque reçoit un millier de nouvelles adhésions. (…)

C’est en effet à cause de la mobilisation cléricale qui a cherché à interdire par la force les repré- sentations théâtrales que les militants de gauche vont s’organiser de façon différente. Sous couvert d’ « antifascisme », c’est toute une évolution théorique et dans les pratiques qui se met en place. Qu’en est-il en effet de ces groupes d’auto-défense ? Comment la Sfio et les organisations associées mettent-elles en place de telles organisations, dont le but est avant tout de maintenir la liberté de parole, y compris en utilisant la violence ? (…)

Toujours est-il, et c’est déjà un premier élément de réponse, que les pièces de théâtre sont par la suite  fin 1934 et début 1935 jouées dans de nombreuses villes bretonnes, ce qui montre que la liberté de parole a été maintenue. (…)

http://enklask.hypotheses.org/293

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09 février 2014 ~ 0 Commentaire

Pierre guéguin, de châteaubriant à la première guerre mondiale (enklask)

marc b Pierre Guéguen et Mac Bourhis

Le 22 octobre 1941, les autorités allemandes décidèrent d’exécuter 27 otages pris parmi les détenus du camp de Châteaubriant en représailles de l’attentat contre Karl Hotz à Nantes deux jours auparavant. En tout, près d’une centaine d’otages dans toute la France sont fusillés en repré- sailles à cet attentat organisé par la branche armée de la résistance communiste[1]. Ces otages sont pour une très grande part des communistes, ainsi Guy Môquet, dont certains avaient été arrêtés avant l’occupation allemande.

Deux parmi les 27

Pierre Guéguin, ancien maire communiste de Concarneau et l’instituteur Marc Bourhis ont eux été arrêtés en juillet 1941, quelques jours après le début de l’invasion de l’URSS par l’Allemagne et ils ont été conduits au camp de Choisel près de Châteaubriant. Ils font partie des 27 otages tués le 22 octobre.

Tous deux n’avaient toutefois pas  été accueillis à bras ouvert par les autres détenus. En effet, Marc Bourhis après avoir milité au PCF jusqu’en 1933 s’est rapproché du mouvement trots- kyste comme d’autres instituteurs de la région. Membre du POI, Parti Ouvrier Internationaliste, il a aidé à l’organisation d’un meeting de ce parti à Concarneau en 1937, puis a rejoint les rangs du PSOP, Parti Socialiste Ouvrier et Paysan, de Marceau Pivert. Ce parti dispose d’une toute petite organisation régionale avec des militants essentiellement issus du mouvement syndicaliste enseignant. Un ancien membre de la SFIO, Alain Le Dem, a une influence sur l’ensemble du groupe. Dans le Finistère, le Morbihan et les Côtes du Nord, on peut déceler l’action du PSOP à travers les archives et la presse militante[2].

Bourhis est aussi un ami proche de Pierre Guéguin. Lui aussi eut des difficultés avec les autres otages communistes : militant communiste important de la Bretagne, maire de Concarneau et conseiller général, il avait aussi mené la campagne des législatives de 1936 au nom du Front Popu- laire devenant ainsi malgré sa défaite un partisan de l’union des partis de gauche. En août 1939, il ne suivit pas la ligne officielle du PCF en ce qui concerne le pacte germano-soviétique et condamne publiquement lors d’un conseil municipal le 1er septembre 1939 la politique de l’URSS. Il est aussitôt banni de toutes les organisations communistes et lorsqu’il arrive au camp de Choisel, lui et son ami sont immédiatement mis à l’écart.

La mémoire des deux hommes fut ensuite constamment l’objet d’enjeux plus politiques qu’histo-riques. Le PCF a longtemps refusé avec violence d’accepter la présence d’un trotskyste et d’un communiste critique parmi les fusillés de Châteaubriant. Les organisations trotskystes ont elles souvent annexées Pierre Guéguin faisant de lui un militant qui aurait rejoint leurs rangs. Des témoi- gnages sujets à caution affirment par ailleurs que l’ancien maire de Concarneau s’était en prison rapproché à nouveau du communisme officiel. L’ouvrage de l’historien Marc Morlec, Filets bleus et grèves rouges[3] est revenu plus récemment sur le parcours politique de Pierre Guéguin et sur l’ensemble de la polémique, apportant de nombreux éléments neufs, mais pas forcément toujours d’ailleurs de façon convaincante[4].

Pierre Guéguin et la Première Guerre mondiale

Mais si je m’intéresse au parcours de Pierre Guéguin, c’est avant pour sa participation à la Première Guerre mondiale, son adhésion à la SFIO en 1919, parti qu’il quitte ensuite après la scission de Tours pour le jeune PCF, auquel il reste fidèle jusqu’en 1939 tout en conservant une autonomie, qui lui sera souvent reproché d’ailleurs, par rapport à l’appareil.

Pour connaître son parcours durant ces années, deux sources sont utilisables. Tout d’abord son dossier personnel d’officier et ensuite plusieurs rapports provenant des archives de la gendarmerie du Finistère. En effet, Guéguin est pendant toute l’entre-deux-guerres un officier de réserve et cela inquiète à plusieurs reprises les services de la gendarmerie, car ce lieutenant qui effectue ses pério- des de réserviste, est également un des leaders les plus en vue du communisme breton. (…)

Mais aujourd’hui à l’heure où j’écris ces lignes, la mairie de Concarneau rend hommage à son ancienmaire et à son ami. Parfois le chercheur en histoire doit aussi s’incliner aussi devant la mémoire.

http://enklask.hypotheses.org/789

Commentaire:  Marc Bourhis était trotskiste, leur mise en quarantaine avant leur exécution, prouve bien que Guéguen n’était pas revenu au PCF.

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09 février 2014 ~ 0 Commentaire

Les bonnets rouges, le socialisme et la bretagne (enklask)

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Histoire et mémoire (1900-1940)

(…) Comment cette mémoire des Bonnets rouges a-t-elle été entretenue par la gauche bretonne dans la première partie du XXème siècle ? Ce sera mon interrogation de départ. Celle-ci s’ancre dans un questionnement bien plus large sur les pratiques militantes du milieu partisan socialiste dans ces années et sur l’étude d‘un imaginaire social et d’une mémoire collective des militants de la SFIO en Bretagne. Au final du coup, l’actualité n’est qu’un prétexte pour poursuivre la recherche et peu importe ce que je pense de la situation. L’événement actuel aiguise ma curiosité, mais ce qui prime, c’est une analyse historique.

La révolte de 1675

La révolte des Bonnets rouges de 1675 est un épisode de l’Ancien régime fréquemment étudié en histoire moderne. Au départ, on trouve une réaction hostile et violente à l’instauration d’une nouvelle taxe voulue par le pouvoir royal.

Mais cette révolte du papier timbré est avant tout urbaine et dans les campagnes du Centre-Bretagne, un mouvement concomitant se déroule, les paysans se mobilisant non seulement contre les nouveaux impôts mais aussi contre les abus des seigneurs. Ceux qui portent un bonnet rouge comme signe distinctif entrent en lutte contre une oppression fiscale lointaine mais aussi toute proche.

Quelques meneurs, comme Sébastien Le Balp, font de cette révolte un mouvement collectif assez bien organisé. Une répression sévère est rapidement mise en place par le pouvoir central et laisse des traces nombreuses dans les traditions orales dans cette région. Un très bon résumé de l’histoire de cette révolte est visible dans ce documentaire réalisé sous la houlette de l’historien Alain Croix . Plusieurs études historiques sont également disponibles comme le livre d’Yvon Garlan et de Claude Nières , Les révoltes bretonnes de 1675. Papier timbré et bonnets rouges ( Paris, éditions sociales, 1975) dont l’analyse est influencée par le courant dominant du marxisme à l’époque de la rédaction de l’ouvrage. Car cette révolte de 1675 a été également l’objet d’un débat historiographique important, j’y reviendrai tout à l’heure.

En ce qui concerne la mémoire de cette révolte des Bonnets rouges, quelques études comme celle d’Alain Croix[1], ou plus récemment celle de Gauthier Aubert , donnent de précieux jalons pour comprendre comment cet évènement a pu laisser des traces dans la mémoire collective jusqu’à nos jours.  (…)

Des Bonnets rouges de 1933 ?

 A cette date, l’Action française souhaite organiser un rassemblement à Saint-Goazec dans le centre-Bretagne. La SFIO du Finistère organise la riposte et mentionne la mémoire des Bonnets rouges à cette occasion : « Face aux Camelots du Roy

Notre appel a été entendu. D’excellentes nouvelles nous parviennent de tous les points du dépar-tement et même des Côtes du Nord et du Morbihan. Du Nord comme du Sud, du Trégorrois avancé, de la Montagne rouge comme de la Cornouaille d’avant-garde, tous se préparent à venir contre-manifester (…) Les paysans de Cléden, de Laz, de Landeleau, de Kergloff, de Saint-Hernin, dignes descendants des bonnets rouges ».[4]

Mais c’est la seule évocation de la révolte de 1675, même si les contre-manifestants utilisent tout un vocabulaire contre les royalistes qui peut se rattacher à l’hostilité que manifestaient les bonnets rouges vis-à-vis du pouvoir royal. On trouve même des pratiques similaires au XVIIe siècle puisque lors de la manifestation de 1933 une effigie de Jean III, le duc de Guise, qui est à l’époque le prétendant au trône allié de l’Action française, est exhibée puis brûlée. Des pratiques collectives identiques pouvaient exister à l’époque moderne lors des révoltes paysannes dirigées contre le roi.

Le journal national de la SFIO, Le Populaire, insiste encore davantage sur la mémoire des Bonnets rouges à propos de cet épisode. Ainsi dans l’édition du 1er septembre 1933, on précise qu’il faut réagir à la présence de l’Action française : « Nos amis demandent aux forces antifascistes de se dresser résolument contre la réaction, contre le bellicisme fauteur de guerre. Ils font appel aux descendants de ces Bretons, de ces « bonnets rouges » qui, bien avant la Révolution osèrent se dresser contre l’absolutisme royal et furent massacrés sans pitié. »[5]

Cette évocation de la mémoire des Bonnets rouges est toutefois la seule que j’ai retrouvée jusqu’à présent et cela montre que c’est plutôt parce que la mobilisation a lieu près du lieu d’origine de la révolte de 1675 que cet exemple est ici rappelé, pas forcément parce que c’était un exemple à suivre.

Sans doute, aussi faut-il rappeler qu’à la même période, le mouvement nationaliste breton utilisait cet exemple mais dans un tout autre but : il s’agissait alors de rappeler la volonté autonomiste que les Bretons avaient selon eux en mémoire. Cela peut sans doute expliquer pourquoi les socialistes n’évoquent qu’avec parcimonie cet exemple de mobilisation collective. Pourtant, comme je le rappelle au début de ce billet, la révolte de 1675 devient aussi un enjeu histo- riographique.

Ainsi l’historien soviétique Boris Porchnev publie quelques temps après en 1940 son étude sur « Les buts et les revendications des paysans lors de la révolte bretonne de 1675 » inscrivant les Bonnets rouges dans une analyse marxiste qui allait entraîner un débat historiographique après 1945. Au-delà, la révolte de 1675 sera à nouveau évoquée au sein de la gauche autonomiste à partir de la fin des années 60 comme un épisode précurseur et à valeur d’exemple.

De mon côté, ces quelques indications m’incitent surtout à utiliser plus en avant les recherches de l’historien H. Roderick Kedward qui travaillant sur l’histoire de la Résistance en France a cherché , selon une approche d’anthropologie historique, à comprendre comme la Résistance s’inscrivait dans des continuités avec d’autres contestations collectives des siècles antérieurs. C’est pourquoi cette action collective actuelle que l’on connaît en Bretagne m’aide également de me plonger dans l’imaginaire social des socialistes bretons avant 1940. Dans le prochain billet, retour à Pierre Guéguin.

http://enklask.hypotheses.org/798

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07 février 2014 ~ 0 Commentaire

L’école républicaine, fabrique d’êtres asexués: il y a un siècle déjà (rue89)

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Redonnez-nous l’école publique et on arrête tout! C’est pourtant simple!

Ce n’est pas la première fois que la République est accusée de vouloir, sous le prétexte d’égalité entre les sexes, gommer les différences « naturelles » entre les filles et les garçons.

Cette bataille a été entamée par la droite réactionnaire dès la fin du XIXe siècle. Avec, dans les arguments échangés, des échos savoureux à ce qu’on lit et entend aujourd’hui.

Efféminer les hommes, viriliser les femmes

Au XIXe siècle, la mixité existe dans certains villages ruraux, mais pas dans les villes. Au début du XXe siècle, sous la pression des premières féministes, le débat s’anime sur le sujet. En 1905, le congrès des Amicales d’institutrices et d’instituteurs, qui se tient à Lille cette année-là, critique le principe de la séparation de l’éducation des garçons et des filles et en conclut que cette séparation, anormale, défavorise ces dernières. « Chaque sexe doit conquérir les qualités de l’autre », explique un orateur. Un autre, député et ancien instituteur, met en garde contre le risque de faire « res- sembler les garçons aux filles et les filles aux garçons en les coulant dans le même moule ».

En 1906, le pédagogue Gabriel Compayré rejette la « coéducation » (mixité) des adolescents en ces termes :

« Nous estimons que, de 12 à 18 ans, elle ne peut avoir que des conséquences fâcheuses,si du moins on ne veut pas dénaturer le caractère de chaque sexe, efféminer les jeunes hommes, viriliser les femmes, et détourner les uns et les autres de leur vraie destination dans le monde. »

La coéducation est « immorale »

Après la Grande Guerre, des écoles « géminées » se multiplient : des écoles de filles et de garçons dans lesquelles les élèves sont regroupés par tranche d’âge (l’institutrice s’occupant des petits, l’instituteur des grands) et non par sexe. Le camp clérical, ancêtre de la Manif pour tous, proteste vigoureusement. En témoigne ce communiqué musclé de l’Union des associations catholiques et des chefs de familles, daté de 1935, et exhumé par Johanna Barasz :

« La coéducation et la gémination sont en effet immorales. Par la promiscuité des filles et des garçons, elle excite leurs sens plus tôt qu’on ne le pense, elle enlève aux jeunes filles la réserve et la pudeur et en fait des GARÇONNES dès l’âge de 13 ans. »L’Union des associations catholiques et des chefs de famille vous informe

La conclusion du communiqué est croquignolesque :

« Que sera-ce lorsque, à l’exemple des Soviets, abominables apôtres de la coéducation, la promiscuité des sexes se pratiquera dans l’internat et dans la serre surchauffée des dortoirs, après que dans la journée on aura donné à filles et garçons réunis l’enseignement sexuel avec exercices pratiques de pièces anatomiques articulées ? »

« Bientôt, plus qu’une espèce d’être asexué ? »

Ridicule ? Pas tellement plus que certains éditos qu’on peut lire aujourd’hui, comme celui qu’a signé récemment Yves Thréard, dans Le Figaro, et qui commençait ainsi :

« Homme ou femme en France, ne formerons-nous bientôt plus qu’une espèce d’être asexué (ni mâle ni femelle, ni père ni mère), non identifié (ni Blanc, ni Noir, ni Jaune) et privé de toute vie intime  ? C’est peut-être exagéré, mais c’est à se le demander depuis dix-huit mois que la gauche est au pouvoir. »Pascal Riché | Cofondateur

http://rue89.nouvelobs.com/2014/02/03/lecole-republicaine-fabrique-detres-asexues-y-a-siecle-deja-249593

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06 février 2014 ~ 0 Commentaire

Le vieux fantasme du complot islamiste (lcr.be)

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Si vous croyez que la croyance au complot visant à la domination islamique du monde est un phénomène nouveau, vous vous trompez. Elle est aussi vielle que l’impé- rialisme né il y presque 200 ans.

L’idée d’un tel complot a été inoculée dans les cerveaux européens par la littérature populaire et plus spécifiquement par le roman d’aventure. L’initiateur en est un écrivain et politicien écossais, John Buchan (1875-1940). Ce fils d’un pasteur sans grands moyens fut le défenseur du libre échange, du droit de vote féminin et d’une limitation des pouvoirs de la Chambre des lords, mais par contre un adversaire farouche des réformes sociales introduites par le parti libéral, réformes qu’il considérait comme des incitations à la haine de classe. Après avoir rendu des services à l’Empire comme administrateur colonial en Afrique du Sud et comme fonctionnaire dans les services secrets militaires, il devint le baron Tweedsmuir et termina sa vie comme gouverneur du Canada. Ses lourdes charges ne l’ont pas empêché de produire une vaste œuvre littéraire.

John Buchan est surtout connu pour son roman Les Trente-neuf Marches, publié en de 1915 et adapté à l’écran par Alfred Hitchcock en 1935. Son héros, l’aventurier Richard Hannay, entamera un an plus tard sa carrière d’agent secret dans le roman Greenmantle (1916), traduit sous le titre Le Prophète au manteau vert. Le vert est la couleur emblématique de l’islam.

L’islam n’était pas étranger au colonialisme britannique. L’Inde comptait (et compte) une grande population de culture islamique et celle-ci était majoritaire dans les possessions de Sa Majesté au Moyen-Orient. Obéissant à la règle que pour régner il faut diviser, le pouvoir colonial manipulait les islamistes contre le Congrès à majorité hindou et au Moyen-Orient contre la domination ottomane. Rappelez-vous Lawrence d’Arabie. Puisqu’on projette facilement ses propres vices sur les autres, les Britanniques pensaient que leurs concurrents impérialistes faisaient de même: convoitant l’Inde et l’Afghanistan, le tsar ne pouvait qu’inciter les populations coloniales, dont les musulmans, à la révolte contre les Britanniques.

L’Égypte où passait et passe toujours le canal de Suez était la pièce maîtresse dans le contrôle britannique de la route maritime vers l’Inde. La chute de la ville soudanaise de Khartoum en janvier 1885 qui coûta la vie au général Gordon avait fortement ébranlé Londres. Le mahdi, c’est-à-dire le libérateur envoyé par Dieu, avait osé prendre les armes contre la civilisation occidentale, menaçant le pouvoir britannique en Égypte. Dans le roman Le Prophète au manteau vert le héro part en 1915 pour une mission secrète contre le Kaiser et son allié ottoman qui ourdissent un complot pour soulever les musulmans contre l’Empire britannique. Le « prophète » du roman a des allures de mahdi. Notez que les musulmans, tout comme les « jaunes » d’ailleurs, ne sont pas supposés capables d’initiative. Il faut des « blancs » pour les diriger, en l’occurrence un Allemand, ou tout au moins un madhi, un illuminé fanatique, une sorte de Bin Laden.

Citons le John Buchan : « La terre écume d’un pouvoir incohérent et d’une intelligence inorganisée. Réfléchissez au cas de la Chine. Là vous avez des millions de cerveaux agiles obnubilés par les arts de la tromperie. Ils n’ont pas de direction, pas de force motrice, ce qui fait que la somme de leurs efforts est futile, et le monde se moque de la Chine. » Quand ce géopoliticien écossais écrivit ces lignes la Chine avait engendré Mao Zedong.

Si la Russie tsariste était un allié de la Grande-Bretagne en 1915, la situation était différente après la révolution d’octobre 1917. La Russie était devenue un ennemi et les bolchéviques ne pouvaient, selon Whitehall, que continuer les manipulations inaugurées par le tsar, mais cette fois-ci contre le monde de la libre entreprise. Il est vrai que les communistes avaient tout intérêt d’avoir les populations musulmanes de leur côté pendant la guerre civile dans laquelle la Grande-Bretagne, la France et le EUA intervenaient militairement du côté des Blancs et n’hésitaient pas d’inciter les musulmans contre les Rouges.

Les bolchéviques avaient compris qu’un appel aux peuples coloniaux de se libérer pouvait changer les rapports de forces en leur faveur. L’Internationale communiste organisa en 1920 le 1er congrès des peuples de l’Orient à Bakou (Azerbaïdjan). Ils y firent même preuve d’un certain opportunisme, mais aussi d’une certaine mentalité colonialiste selon G. Safarov, l’envoyé de Lénine en Asie centrale. La majorité des délégués au congrès était de culture musulmane. Zinoviev, le président du Komintern appelait à la guerre sainte contre l’impérialisme, « ce qui provoqua un enthousiasme extraordinaire et les délégués  brandirent sabres et revolvers aux cris de ‘Djihad’, ‘Vive l’insurrection de l’Orient !’, et ‘Vive la IIIe Internationale !’ » Pour protéger leurs arrières, les Soviétiques signèrent en 1921 des accords avec l’Iran, avec la Turquie et avec l’Afghanistan.

Tout cela frappa l’Occident impérialiste de stupeur. Les Rouges allaient provoquer le chaos total en Asie et menacer la civilisation, une idée partagée par un certain Winston Churchill qui voyait derrière tout ça un complot ourdi par les communistes et les juifs, lecteur qu’il était des Protocoles des Sages de Sion, cette saloperie antisémite concoctée par les services secrets tsaristes. L’idée que les bolchéviques convoitaient l’Orient n’est toujours pas morte dans la tête de certains historiens. Le journaliste Peter Hopkirk a publié deux livres sur les rivalités russo-britanniques en Asie centrale, d’ailleurs bien documentés sur le plan de l’espionnage et les actions secrètes des deux côtés de la barricade.

Le premier (non traduit) date de 1984 et porte le titre Mettre le feu à l’Orient. Le rêve de Lénine d’un empire en Asie (« Setting the East Ablaze. Lenin’s Dream of an Empire in Asia »). Le deuxième qui date de 1994 est traduit, si je ne me trompe pas, sous le titre Le Grand Jeu («On Secret Service East of Constantinople. The Plot to Bring Down the British Empire ») a comme sujet le complot des Allemands et des Turcs pendant la Ière Guerre mondiale pour détruire l’Empire britannique. Il mentionne d’ailleurs le Prophète au manteau vert.

Croire qu’un empire asiatique faisait partie des rêves de Lénine signifie ne pas comprendre un seul mot des conceptions bolchéviques et de l’Internationale communiste (avant le règne de Staline). Ce n’étaient pas des empires qu’ils voulaient, mais des pays libérés de l’impérialisme. La position de Lénine sur le droit des nations à l’autodétermination en est la preuve concluante… du moins si on n’est un adepte de la théorie du complot. (La semaine prochaine: Blake et Mortimer vivants)

6 février 2014 par Pips Patroons publié également sur le blog du NPA du Tarn

http://www.lcr-lagauche.org/le-vieux-fantasme-du-complot-islamiste/

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06 février 2014 ~ 0 Commentaire

6 et 12 février 1934: la classe ouvrière riposte au danger fasciste (lo)

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Il y a 80 ans, le 6 février 1934 à Paris, 30 000 personnes descendaient dans la rue pour exiger la démission du chef du gouvernement et parvenaient à l’imposer après une nuit d’émeute.

Dans une France durement touchée par la crise, un an après l’accession d’Hitler au pouvoir en Allemagne, la menace fasciste se matérialisait ainsi dans la rue. Heureusement, elle allait entraîner une riposte massive de la classe ouvrière, montrant que celle-ci pouvait ouvrir une autre issue à la crise de la société.

Les manifestations organisées par l’extrême droite s’étaient succédé durant tout le mois de janvier 1934, de plus en plus violentes, amenant le gouvernement radical-socialiste de Camille Chautemps à la démission. L’extrême droite prenait prétexte du dernier scandale politico-financier éclaboussant ce gouvernement : une escroquerie à grande échelle montée par l’affairiste Stavisky, avec la complicité d’hommes politiques haut placés.

Début février, le nouveau chef du gouvernement, le radical Daladier, voulut montrer sa poigne contre cette agitation et limogea le préfet de police Chiappe, connu pour sa complaisance envers l’extrême droite. En riposte, toute l’extrême droite décida de descendre à nouveau dans la rue le 6 février, pour exiger la démission de Daladier.

UNE NUIT D’EMEUTE

Environ 30.000 manifestants se retrouvèrent donc le 6 février place de la Concorde, tout près du Palais-Bourbon, siège de l’Assemblée nationale, où avait lieu la cérémonie d’investiture du gouvernement Daladier par les députés. Les manifestants dénonçaient, pêle-mêle, les « voleurs » du gouvernement, la « Gueuse », c’est-à-dire la République, les francs-maçons, les Juifs, les « métèques »… Il s’agissait, malgré la majorité parlementaire de centre-gauche, d’imposer un gouvernement de droite. Certains envisageaient même la dissolution de l’Assemblée nationale et la constitution d’un gouvernement provisoire.

En soirée, des milliers de manifestants tentèrent de marcher sur le Palais-Bourbon, certains armés de cannes munies de rasoirs et de billes d’acier, destinées à blesser et à faire tomber les chevaux des gardes mobiles. Après plusieurs charges des manifestants contre les forces de police et de gendarmerie, celles-ci durent se replier sur le pont de la Concorde. Menacés d’être submergés, les policiers tirèrent à plusieurs reprises. Des affrontements très violents entre manifestants et policiers, avec échange de coups de feu, allaient continuer durant une partie de la nuit aux abords du Palais-Bourbon.

Cette nuit d’émeute fit quinze morts, dont un policier, et des milliers de blessés, du côté des manifestants comme des policiers et des gendarmes. Dès le lendemain, Daladier démissionnait et cédait la place à Gaston Doumergue, qui composa un nouveau gouvernement marqué à droite, comprenant Pétain au ministère de la Guerre.

LA CRISE EN FRANCE

La crise mondiale, qui avait éclaté en 1929, touchait fortement la France. À partir de 1931, le chômage avait fortement augmenté, les patrons en profitèrent pour accroître l’exploitation et diminuer les salaires. La crise affectait aussi les petits agriculteurs, artisans, commerçants et petits patrons. Ceux-ci perdaient confiance dans le pouvoir en place, dont ils avaient pourtant été les soutiens fidèles, et leur exaspération montait contre le gouvernement radical-socialiste qui se révélait incapable de les protéger de la crise et était éclaboussé par des scandales politiques et financiers. Les regards se tournaient vers l’extrême droite, qui se donnait l’image d’une opposition radicale.

En 1934, celle-ci comptait près de 200 000 adhérents, divisés en plusieurs « ligues » plus ou moins hostiles à la république parlementaire. Ces ligues comportaient des troupes de choc habituées à faire le coup de poing contre les militants de gauche. Les principales étaient l’Action française de Maurras, monarchiste, avec ses Camelots du roi, et les Croix de feu, dirigées par le colonel de La Roque, regroupant beaucoup d’anciens combattants et soutenues par le patron de la sidérurgie De Wendel. D’autres groupes les côtoyaient, comme les Jeunesses patriotes du patron du champagne Taittinger, ou encore Solidarité française, créée en 1933 par un autre capitaliste, le parfumeur François Coty. La plupart de ces ligues ne se revendiquaient pas directement du fascisme italien ou du nazisme allemand, mais l’arrivée d’Hitler au pouvoir en janvier 1933 n’avait pu que les encourager.

LA CLASSE OUVRIERE MOBILISEE

L’émeute du 6 février suscita une émotion dans toute la population, et en particulier dans les rangs des travailleurs. Même si les émeutiers n’étaient pas parvenus à envahir le Palais-Bourbon, ils avaient fait tomber un gouvernement. Dans le contexte de la crise et du renforcement de l’extrême droite, non seulement en France mais dans les pays voisins, chacun pouvait comprendre le danger. Bien des travailleurs ressentaient la nécessité d’une riposte, et celle-ci allait se frayer un chemin.

Le mouvement ouvrier était cependant profondément divisé. Les deux principaux partis se réclamant de la classe ouvrière, le Parti socialiste (SFIO, Section française de l’Internationale ouvrière) et le Parti communiste (SFIC, Section française de l’Internationale communiste), s’étaient séparés en 1920. Le Parti socialiste, réformiste, était largement intégré à l’appareil d’État et avait été le soutien du gouvernement radical. Il comptait 135 000 adhérents en 1933. Le Parti communiste était né dans l’enthousiasme suscité par la révolution russe de 1917, mais avait suivi la dégénérescence stalinienne de l’Internationale communiste. Relayant en France la politique de Staline, il défendait une politique absurde renvoyant dos à dos socialistes et fascistes, la même politique qui, en Allemagne, avait facilité la victoire d’Hitler. Par l’intermédiaire de son association d’anciens combattants l’ARAC, le PC avait par exemple appelé à manifester le 6 février, aux côtés des ligues d’extrême droite, « contre les bandes fascistes, contre le gouvernement qui les développe, et contre la social-démocratie qui, par sa division de la classe ouvrière, s’efforce de l’affaiblir ». La période de répression patronale, particulièrement dure au cours des années 1920, puis les zigzags de la politique stalinienne avaient fait perdre au PC nombre de militants. Il n’avait plus que 28 000 membres en 1933.

« UNITE D’ACTION ! »

Pour les directions du PS et du PC, il n’était pas question d’organiser une réaction unitaire au lendemain du 6 février. Mais, à la base, les initiatives se multiplièrent dans ce sens : des manifestations communes eurent lieu en province, de nombreux ouvriers socialistes participèrent à la manifestation organisée par le seul PC le 9 février à Paris. C’est cette pression de la base qui conduisit le PC et la CGT-U (scission de la CGT liée au PC) à se rallier à l’appel à une grève générale de 24 heures lancé par la CGT (liée au PS)pour le 12 février. La grève générale fut un immense succès dans tout le pays, suivie par quatre millions et demi de travailleurs. Elle s’accompagna de nombreuses manifestations à travers toute la France, qui concernèrent au total un million de personnes. À Paris, la CGT et la CGT-U, appelaient à manifester séparément, mais les deux cortèges se rejoignirent, par la volonté des manifestants, en une foule immense.

Avec cette grève générale et ces manifestations massives, la classe ouvrière redécouvrait sa force. Pendant deux ans, sa mobilisation allait s’amplifier, jusqu’à la grève générale de mai-juin 1936, partie de la base et qui gagna tout le pays. La classe ouvrière à l’offensive faisait ainsi disparaître de la scène politique ces ligues d’extrême droite qui avaient pourtant semblé au bord de la prise du pouvoir en février 1934. Seule la politique des partis de gauche, PS et PC, réunis dans le Front Populaire, allait réussir, après 1936, à faire refluer la mobilisation ouvrière. Valérie FONTAINE

http://www.lutte-ouvriere-journal.org/?act=artl&num=2375&id=25

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