Le 14 avril 1931 (2)
La proclamation de la République
Ces élections municipales constituèrent un succès écra-sant pour le camp républicain dans les grandes villes. La République fut proclamée deux jours plus tard, le 14 avril 1931. L’enthou- siasme populaire éclata en des manifestations monstres. Les prisonniers politiques sortirent de prison dans la liesse générale. Dans l’esprit des paysans pauvres, la république, cela voulait dire la réforme agraire, l’accession à la terre, la possibilité de manger à sa faim. Dans celui des ouvriers, la satisfaction de leurs revendications. Pour tous les pauvres qui célébraient son avènement, la république devait signifier la fin de leur misère, d’autres rapports sociaux. Les nouveaux dirigeants qualifiaient la révolution de « glorieuse, non sanglante, pacifique et harmonieuse » . Leur républicanisme était cependant relatif. Ils avaient laissé le roi se déclarer en vacance de règne et partir en exil, sans même exiger de lui qu’il abdique.
Le gouvernement provisoire fut confié à Alcala-Zamora, un politicien catholique de la monarchie, républicain de fraîche date. Aux côtés de républicains comme Azaña, trois socia- listes participèrent au gouvernement provisoire, dont le principal dirigeant du parti, Largo Ca- ballero, qui avait déjà accepté d’être conseiller d’État sous Primo de Rivera. Tout l’ancien appa- reil d’État resta en place : les fonctionnaires, les juges, les militaires. Quant aux masses, on les pria de prendre patience en attendant les Cortès constituantes qui devaient être élues en jui
La montée révolutionnaire Mais, dès le mois de mai, face aux premières tentatives des mo- narchistes de relever la tête, les travailleurs répondirent par des incendies d’églises et de cou- vents. En quelques jours le mouvement, parti de Madrid, se propagea jusqu’en Andalousie. N’osant utiliser la garde civile trop haïe, le gouvernement décréta la loi martiale, envoya l’ar- mée au secours des prêtres et s’empressa de créer une nouvelle force de police : les gardes d’assaut.
Les masses se radicalisaient, les paysans occupaient les terres, des grèves dures eu- rent lieu un peu partout, toutes les organisations ouvrières se développaient. On assistait à une véritable montée révolutionnaire. Le Parti Socialiste et l’UGT ne voulaient cependant pas la révolution, mais au contraire le retour au calme. Quant à la CNT, elle livrait des batailles par- fois très dures, organisait même des tentatives d’insurrection, mais en ordre dispersé, sans coordination ni plan d’ensemble. La politique de ces organisations empêchait en fait les mas- ses de rassembler leurs forces pour une lutte destinée à arracher leurs objectifs économiques et politiques. Le nouveau régime se révéla totalement incapable de dénouer la crise qui se- couait l’Espagne en procédant aux transformations politiques et sociales nécessaires. Il se fit, comme ses prédécesseurs, le défenseur inconditionnel des propriétaires terriens et des bour- geois contre les revendications des ouvriers et des paysans.
La république contre les aspirations des masses Le bloc républicain et socialiste, large- ment majoritaire dans les Cortès constituantes, révéla son impuissance à décider quelque ré- forme d’envergure que ce soit. Il avait affirmé dans la nouvelle constitution que « l’Espagne (était) une république des travailleurs de toutes les classes ». Mais il s’attacha surtout à ne pas léser les classes dominantes. Il fit bien figurer dans la nouvelle constitution des déclarations de bonnes intentions : la renonciation à la guerre, l’égalité des hommes et des femmes (qui reçu- rent le droit de vote), la reconnaissance des seuls mariages civils et le droit au divorce. L’en- seignement devait être laïque. Mais on n’osa même pas décider que l’État cesserait immé- diatement de payer les prêtres : on leur donnait encore deux ans de répit. Et lorsque cette constitution fut adoptée en décembre 1931, rien n’avait encore été fait en matière de réforme agraire. Alcala-Zamora devint Président de la République, Azaña Président du Conseil, les socialistes restèrent au gouvernement.
La loi sur la réforme agraire ne fut adoptée que courant 1932 et c’était une coquille vide. Elle ne prévoyait l’installation que de 50 000 familles par an sur les terres prises à de grands propriétaires qui seraient bien entendu indemnisés. Des millions de paysans attendaient impa- tiemment la terre. Seules 10 000 familles bénéficièrent de cette réforme.
La première chose dont le gouvernement Azaña s’était occupé, c’était « la loi de la défense de la république » qui réduisait à presque rien les droits démocratiques, autorisant le gouvernement à suspendre les libertés constitutionnelles, soumettant les réunions publiques et les manifestations à autorisation, la presse à la censure, limitant le droit de grève. Les auto- rités pouvaient arrêter et incarcérer sans jugement. Quant à la loi sur les associations, spé- cialement concoctée par Largo Caballero, elle obligeait tout simplement les syndicats, partis, associations à fournir à la police les noms et les adresses de tous leurs membres. Les anar- chistes et même des sections de l’UGT s’y refusèrent et la loi ne put être appliquée. Toutes ces lois furent utilisées uniquement contre les travailleurs et leurs organisations, les prisons se remplissant de paysans qui occupaient des terres, d’ouvriers grévistes, de militants anar- chistes.
Répression contre les ouvriers et les paysans, complaisance pour les monarchistes L’insurrection dirigée par les anarchistes dans la vallée du Llobregat, au sud de Barcelone, en janvier 1932, proclama le communisme libertaire. Elle ne s’étendit pas au-delà de deux districts qui tinrent cependant l’armée cinq jours en échec, avant d’être écrasés. Des milliers de tra- vailleurs révolutionnaires, dont les dirigeants anarchistes, furent incarcérés ou même déportés en Afrique. Les luttes paysannes qui se produisirent en 1932 furent, elles aussi, menées en ordre dispersé et écrasées. La réaction crut pouvoir relever la tête et en août 1932 le général Sanjurjo tenta d’organiser un putsch à Séville pour restaurer la monarchie. Les travailleurs de Séville réagirent immédiatement et firent échouer le coup de force. Le gouvernement dut sous- traire les conjurés à la fureur populaire. Ils furent tout de même condamnés à mort – on ne pouvait pas faire moins – mais aussitôt amnistiés, et ne restèrent que deux ans en prison. On les retrouvera plus tard avec Franco.
L’un des hauts faits d’armes de la nouvelle garde d’assaut eut lieu en janvier 1933 à Casas Viejas près de Cadix, dans cette Andalousie où le problème de la terre se posait de manière aiguë, à l’occasion d’une nouvelle tentative anarchiste. Les gardes tuèrent toute une famille anarchiste en incendiant la maison qu’ils ne parvenaient pas à prendre d’assaut. Puis ils abattirent 14 prisonniers. Le chef des gardes déclara qu’il avait reçu l’ordre de ne pas faire de prisonniers. L’indignation fut grande mais le Parti Socialiste resta solidaire du gouvernement
Les masses populaires étaient déçues par la « république de Casas Viejas ». La droite monarchiste préparait sa revanche. Elle s’était regroupée dans la CEDA, la « confédération espagnole des droites autonomes », autour de Gil Robles, connu pour ses sympathies envers Mussolini. Elle obtint au bout de quelques mois la dissolution des Cortès et l’organisation de nouvelles élections le 19 novembre 1933 qui consacrèrent sa victoire. L’un des anciens minis- tres socialistes, Prieto, eut le cynisme d’expliquer dans une interview : « Il est vrai que le gou- vernement de gauche en Espagne mena la politique de la droite (…). Dans cette époque de capitalisme pourrissant, la bourgeoisie espagnole ne pouvait même pas mener à bien la révo- lution démocratique bourgeoise ». Effectivement. Et il n’avait pas fallu plus de deux ans au Parti Socialiste, en s’alliant à ces républicains impuissants, pour mener la révolution espagnole au bord de la catastrophe.
L’hymne de la République, « Himno de Riego », qui a une version « édulcorée » mais dont les paroles populaires sont: » Si les curés et les frères savaient la raclée qu’on va leur mettre, ils montraient à l’autel en chantant « liberté, liberté liberté »; si les rois d’Espagne savaient le peu qu’ils vont rester, ils sortiraient dans la ,rue en chantant « Liberté, liberté, liberté »…