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25 avril 2014 ~ 0 Commentaire

Il y 40 ans, la révolution portugaise enflammait nos espoirs (lcr.be)1

25 a

A la fin des années 1960, le Portugal est le maillon faible de la chaîne des pays capitalistes en Europe. La dicta­ture fasciste instaurée par Salazar à la fin des années 20 est toujours en place. Au Sud, les latifundistes possèdent d’immenses propriétés sur lesquelles des journaliers triment pour subsister. Dans l’industrie, les travailleurs sont corsetés dans des dizaines de syndicats corporatistes et les salaires sont très bas (salaire minimum mensuel: 3.500 escudos, soit environ 130 euros). 40 % de la population est illettrée et 2,5 millions de Portugais ont émigré pour fuir la mi­sère. Alors que la plupart des pays d’Afrique sont devenus indépendants, le Portugal mène des guerres coloniales en Angola, au Mozambique et en Guinée-Bissau pour tenter de maintenir son empire colonial. 180.000 soldats sont mobilisés pour mener ces guerres et 40 % du budget est consacré à l’armée.

La dictature s’effondre le 25 avril 1974 Le 25 avril 1974, des officiers regroupés au sein du Mouvement des Forces Armées (MFA) se soulèvent et ren­versent le dictateur Caetano, mettant fin à plus de 40 années de régime fasciste. Le peuple descend massivement dans la rue pour acclamer les soldats révolutionnaires. Les prisons s’ouvrent libérant les prisonniers politiques, les agents de la PIDE (police politique) sont pourchassés dans les rues et arrêtés. La révolution portugaise vient de dé­marrer à la surprise générale. Y compris  à la surprise des militants révolutionnaires de notre génération, celle issue de Mai 68, pour qui le souvenir récent des militaires avait un goût amer: le régime des colonels grecs instauré en 1964 et celui de Pinochet (septembre 1973).

Ce qui motive les membres du MFA c’est d’abord la prise de conscience que les guerres coloniales sont sans is­sues et que le retour à la vie civile ne leur offre aucune perspective d’avenir valable. De surcroît, au sommet de la hiérarchie militaire, des généraux conservateurs (Spinola, Costa Gomes) prennent conscience que le régime salaza­riste est au bout du rouleau et qu’il faut «moderniser» le Portugal.

Premier mai 1974 Un millions de travailleurs manifestent dans les rues de Lisbonne et fraternisent avec la troupe. Les dirigeants des partis ouvrier en exil, Mario Soares (Parti socialiste) et surtout Alvaro Cunhal (Parti communiste portugais – PCP), qui s’était évadé de prison après avoir passé de nombreuses années dans les geôles salazaristes, sont follement ac­clamés. Des dizaines de milliers d’exilés portugais rentrent au pays.

La bourgeoisie est bien évidemment prise au dépourvu par la tournure des événements, mais elle va s’efforcer de trouver les hommes capables de canaliser la révolte impétueuse et d’éteindre le foyer révolutionnaire. Le Parti Po­pulaire Démocratique (PPD) de Sa Carneiro est sans doute le parti de droite le plus à même de servir les intérêts de la bourgeoisie, mais dans un premier temps celle-ci va s’appuyer sur des généraux «sûrs» (Spinola, Costa Gomes). Elle prend aussi très vite conscience qu’il lui faudra trouver des alliés politiques dans le camp du mouvement ou­vrier.

La gauche portugaise Dans un premier temps, le PS portugais ne dispose d’aucune force organisée sur le terrain. Son leader, Mario Soares était enseignant à l’université de Vincennes. La Fondation Friedrich Ebert, le très puissant groupe de pres­sion mis sur pied par la social-démocratie allemande (une centaine de bureaux dans le monde) fournira de gros ef­forts et des fonds colossaux pour former des cadres politiques et syndicaux sociaux-démocrates portugais capables d’affronter la tourmente révolutionnaire. Le PCP est, par contre, parvenu à maintenir son implantation malgré la ré­pression et il jouit pour cela d’un prestige important. 48 années de dictature fasciste ont créé des illusions démocra­tiques au sein de la classe ouvrière qui adhère massivement au PSP et au PCP malgré l’orientation opportuniste de ces deux partis.

Les forces d’extrême-gauche sont éclatées en de nombreuses petites organisations apparues dans les dernières an­nées de la dictature: le MRPP (Mao-stalinien) s’en prend avant tout au «social-fascisme» du PCP ; l’UDP qui  fé­dère plusieurs groupes maoïstes non sectaires, le MES (réformiste de gauche) et la Ligue Communiste Internationa­liste (4e Internationale) qui est une très petite organisation née en 1973. Dès la chute du régime, la LCI lance une campagne d’agitation pour la libération de tous les prisonniers politiques, le jugement public des tortionnaires, la li­berté de presse, le droit de grève, les libertés syndicales, l’amnistie de tous les déserteurs, l’indépendance des colo­nies, la convocation d’une assemblée constituante.

Une junte «démocratique» Comme la politique a horreur du vide, la bourgeoisie presse le général Spinola d’accepter la présidence de la ré­publique (15 mai 1974) et de constituer une «junte démocratique» (un gouvernement composé de 15 militaires et de 6 ministres civils). Aux côtés de ministres de droite (Sa Carneiro) et d’autres sans étiquettes, siègent Mario Soares (Affaires étrangères), Alvaro Cunhal (Ministre sans portefeuille). Il suffit de comparer la position de Lénine en février 1917 («Aucun soutien au gouvernement provisoire!») avec celle de Cunhal (qui devient ministre) pour com­prendre que tout au long des deux années que va durer la situation révolutionnaire le PCP va tout faire pour sauve­garder l’ordre bourgeois. Car la première préoccupation de ce gouvernement provisoire est d’arrêter la vague de grèves qui balaie le pays au lendemain du 1er mai.

Une déferlante de grèves Alors que le PCP lance une campagne anti-grève et anti-gauchiste, une vague de grèves déferle sur l’ensemble des secteurs avec une force que les initiateurs du 25 avril ne soupçonnaient pas. Le 15 mai les ouvriers de la construc­tion se mettent en grève et organisent des piquets volants pour propager leur lutte. Les travailleurs originaires des colonies occupent une place importante dans ces grèves.

Dans les mines de fer de Ponasqueire, travailleurs immigrés et travailleurs portugais (400 Cap-verdiens sur 1.600 mineurs) partent en grève et arrachent en quelques jours un salaire minimum garanti de 6.000 escudos, un mois de congés payés, le 13e mois, l’assistance médicale gratuite. La Commission ouvrière qui dirigeait la grève était com­posée de 4 Portugais et de 4 Cap-verdiens. Quasiment tous les secteurs partent en grève: chimie (Pfizer, Bayer, Ciba), l’automobile (Renault, Toyota, Firestone), l’industrie alimentaire, les banques, les assurances, etc.

Des formes d’organisation démocratique de la grève voient le jour dans nombre d’entreprises. Des Commissions ouvrières sont élues, notamment au chantier naval de Lisnave (8.400 ouvriers). Dans l’usine de montres Timex, la Commission ouvrière organise l’occupation de l’usine et les piquets, contrôle le stock, empêche la sortie des montres et envisage de remettre en route une production autogérée à la façon des travailleurs de Lip [lire notre article sur la lutte des Lip dans La Gauche n°65, novembre-décembre 2013].

Le Parti communiste contre les grèves Le PCP tente de briser les grèves en rassemblant dans une Intersyndicale 49 syndicats corporatistes. Il organise notamment une manifestation de soutien à la politique du ministre du Travail (Pacheco Gonçalves, PCP), affirmant son appui à la politique d’union nationale, à la lutte anti-grève, et défilant même derrière… un portrait de Spinola!

A La Poste où les salaires sont très bas, un millier de postiers se réunissent à Lisbonne le 5 mai pour élaborer un cahier de revendications et mettre sur pied une commission pro-syndicale qui sera élargie à des délégués élus dans des assemblées locales. Un Comité de grève national naît de cette commission pro-syndicale. Le gouvernement lance une campagne de dénonciation des postiers grévistes «qui perturbent la vie normale de tous les Portugais». Le gouvernement prépare l’intervention de la troupe pour briser la grève et laisse au PCP le soin de dénigrer la grève. «L’objectif de cette grève est d’opposer les travailleurs au gouvernement provisoire et d’entretenir un climat de mécontentement et de révolte qui profite au fascisme et à la réaction», proclame le PCP le 19 juin. A la suite de quoi le gouvernement envoie l’armée occuper la poste pour briser la grève et «assurer le fonctionnement des ser­vices».

Spinola, candidat Bonaparte, démissionne La droite et l’extrême-droite veulent utiliser la figure de Spinola pour enrayer le processus révolutionnaire et faire obstacle à l’indépendance des colonies. Le 23 septembre 1974 Spinola annonce qu’il désire reprendre en main, seul, toutes les affaires concernant l’avenir des colonies. Le 25 septembre, la droite et l’extrême-droite mobilisent pour soutenir Spinola. Les travailleurs réagissent le 27 septembre en élevant un peu partout dans Lisbonne des bar­ricades. Le MFA n’intervient pas. L’opération de soutien à la politique de Spinola échoue et celui-ci doit démission­ner sous la pression du général Vasco Gonçalves et du major Otelo de Carvalho, un des principaux officiers du MFA et commandant en second du COPCON (Commandement Opérationnel du Continent).

Il est important de noter que le MFA, qui avait contribué à casser la grève de La Poste, adopte une position plus réservée dès que les travailleurs sont à l’offensive. A partir de ce moment, on assiste à un basculement du rapport de forces au sein du MFA où le centre-gauche pèse de plus en plus. En l’absence d’instruments politiques traditionnels, le MFA est momentanément la clé de voûte du pouvoir de la bourgeoisie.

http://www.lcr-lagauche.org/il-y-40-ans-la-revolution-portugaise-enflammait-nos-espoirs/

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25 avril 2014 ~ 0 Commentaire

Il y 40 ans, la révolution portugaise enflammait nos espoirs (lcr.be) 2

25 a

Putsch manqué, élection de l’assemblée constituante

Le 11 mars 1975, Spinola revient à la charge en tentant un coup d’État. Dans de nombreuses unités les militaires hésitent. Le Parti communiste sent le danger, mobilise l’Intersyndicale pour organiser des piquets de grève et prend la tête de la mobilisation contre le putsch. Il parvient ainsi à mettre en échec le coup d’État et à faire preuve de sa capacité de mobilisation face à une extrême-gauche divisée. C’est une défaite majeure pour la bourgeoisie. Le MFA sort considérablement renforcé de cet épisode. L’Assemblée constituante est élue le 25 avril 1975. Le PSP de Mario Soares obtient 38% des voix (116 élus), le PPD de Francisco Sa Carneiro 27% (81 élus), le PCP 12,5% (30 élus), le CDS (droite) 16 élus, le MDP (gauche) 7 élus et l’UDP (marxiste-léniniste) 1 élu.

L’affaire República Un conflit éclate en mai 1975 au sein du journal República, un quotidien appartenant à un groupe privé dont la ligne éditoriale soutient le Parti socialiste. Les chiffres de vente baissent et les travailleurs du quotidien craignent pour leur emploi. Ils s’organisent en Commission de coordination des travailleurs (typos, rotativistes) et remettent en cause la ligne éditoriale du journal, responsable à leurs yeux de la mévente. La confusion s’installe entre la dé­fense de l’emploi et le contenu du journal d’autant plus qu’une assemblée générale de la Société nationale des Typo­graphes vote une motion sur «la lutte pour le contrôle des tra- vailleurs sur l’information». D’où l’épreuve de force. Le personnel occupe le journal et veut censurer la rédaction, puis la séquestre pour imposer ses conditions. Le COPCON débarque au siège du journal, fait évacuer les locaux et les place sous scellés. Les travailleurs se consi­dèrent comme lock-outés par la direction qui refuse leurs revendications.

Le PS utilise cet incident pour déclencher une offensive dans le sens du rétablissement de l’ordre et de l’autorité bourgeois dans les entreprises et dans l’État, sous le couvert de l’assemblée constituante. La confusion politique d’une partie de l’avant-garde ouvrière, le sectarisme et la tradition idéologique stalinienne du PCP l’ont puissam­ment aidé dans ce sens. En juillet, les ministres socialistes quittent le gouvernement pour protester contre la reparu­tion de República sous le contrôle du MFA et des ouvriers de la rédaction.

Le PS passe à l’offensive et rassemble 70.000 de ses partisans à Porto le 18 juillet, en pré- sence des dirigeants de principaux PS européens pour dénoncer «le totalitarisme». Quelques camions militaires et jeeps sont attaqués par les manifestants. Les militants de la LCI, qui distribuent un tract, doivent à la protection des journalistes étrangers de ne pas être lynchés aux cris de «Les cocos à Moscou!». Cette campagne du PS ouvre les vannes d’une offen­sive réactionnaire.

En réponse, le PCP se lance dans une politique aventuriste et sectaire en appelant à élever des barricades pour empêcher une hypothétique « marche social-fasciste » sur Lisbonne (en fait le meeting du PS). Contre ces grandes manœuvres de division, les Commissions de travailleurs de la capitale appellent à un rassemblement « Contre la réaction et le capital, unité prolétarienne ! Ouvriers et paysans, soldats et marins, unis nous vaincrons ! » . Pour la première fois depuis le 25 avril, des centaines de soldats participent à ce cortège. Ceux du Régiment d’Artillerie lé­gère de Lisbonne sont venus avec leurs tanks et leurs auto-mitrailleuses blindées couverts de drapeaux rouges. Cette activité autonome des soldats, leur jonction avec l’avant-garde ouvrière, traduit la fermentation dans les rangs de l’armée.

Triumvirat militaire et polarisation politique Le 26 juillet 1975, dans l’attente de la for- mation d’un nouveau gouvernement, un triumvirat militaire se met en place doté de tous les pouvoirs et composé des généraux Costa Gomes, Vasco Gonçalves et du major Otelo de Car­valho. La division entre radicaux et modérés qui traverse le MFA se répercute jusqu’au sein du triumvirat. La politique du PCP oscille de gauche à droite. Après avoir appelé aux barricades contre le PS le 18 juillet, le 8 août il tente une ouverture vers le PS. Puis le 25 août il passe un accord avec la gauche révolutionnaire pour consti­tuer un «front» englobant le PCP, l’extrême-gauche et le MFA… avant de passer un compromis avec le PS quatre jours plus tard. Le 29 août Vasco Gonçalves démissionne. Le front débouchera sur le FUR (Front d’Unité révolu­tionnaire) qui fédérera un temps la gauche révolutionnaire.

La radicalisation traverse l’armée Le 6e gouvernement est mis sur pied le 19 septembre 1975. Il comprend 4 ministres PS, 2 PPD, 1 PCP ainsi qu’une brochette de militaires. Ce gouvernement aura fort à faire pour rétablir la discipline dans l’armée où la radicali­sation politique à gauche s’approfondit dans certains secteurs. Les soldats les plus radicaux s’organisent au sein des SUV (Soldats unis vaincront!).

Le 15 septembre, 4.000 soldats des SUV et 40.000 travailleurs défilent côte-à-côte dans les rues de Lisbonne aux cris de: «Ouvriers, paysans, soldats, marins, unis nous vaincrons!». Deux soldats membres des SUV ayant été mis aux arrêts la veille pour avoir été trouvés en possession de tracts, les orateurs des SUV demandent aux chauffeurs de bus présents à la manifestation et aux conducteurs de camions militaires de réquisitionner des véhicules dans un dépôt voisin pour amener plusieurs milliers de manifestants à Trafaria où sont enfermés les deux soldats arrêtés. A 2h30 du matin Otelo de Carvalho signe l’ordre de libération des deux soldats.

Le 25 novembre clôt la période révolutionnaire 100.000 travailleurs de la construction partent en grève et assiègent le Parlement. Ils obtiennent gain de cause au bout de quatre jours. La direction du PPD quitte Lisbonne estimant que la ville n’est plus «sûre». Le Conseil de la Révolution donne l’ordre de plastiquer l’émetteur de Radio Renaissance, une radio qui soutenait la révolution. Immé­diatement après les parachutistes du régiment qui a procédé au plasticage élisent un nouveau commandant et se mettent «au service de la révolution». Le gouvernement se déclare alors «en grève» puisqu’il n’a plus l’autorité nécessaire pour gouverner.

Le 21 novembre, en accord avec le gouvernement, les officiers du Conseil de la Révolution tentaient d’écarter Otelo de Carvalho. Les parachutistes de Tancos entrent en rébellion contre cette décision. Mais les forces conserva­trices, les sommets de l’armée et de l’État, les chefs du PS et de la droite, ainsi que leurs conseillers des grandes puissances sont inquiets de la tournure des événements et veulent siffler la fin de la révolution. La reddition des pa­rachutistes de Tancos est mise à profit pour instaurer l’état de siège et le couvre-feu, contrôler les médias, démettre ou arrêter leurs opposants dans l’armée, dissoudre les unités militaires les plus politisées.

Dans les semaines qui suivent, les militaires compromis dans le putsch de Spinola du 11 mars 1975 sont réin­tégrés dans l’armée. Le gouvernement met fin aux occupations de terres et interdit l’agitation politique au sein de l’armée. Dès janvier, la gendarmerie tire sur des manifestants de gauche, faisant des morts et des blessés. Les usines confisquées sont rendues à leurs propriétaires «légitimes». La révolution portugaise appartient désormais au passé.

La lutte pour l’indépendance des colonies Dans les colonies portugaises, les mouvements suivants mènent la lutte armée contre l’occupant: le PAIGC en Guinée-Bissau et au Cap-Vert (Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert), le FRELIMO au Mozambique (Front de Libération du Mozambique) et le MPLA en Angola (Mouvement pour la Libération de l’Angola, dirigé par Agostinho Neto). En Angola toutefois le MPLA est concurrencé par le FNLA (Front national de Libération de l’Angola, dirigé par Roberto Holden et soutenu par la CIA). La Guinée-Bissau deviendra indépendante en septembre 1974, le Mozambique en juin 1975 et l’Angola en novembre 1975.

Article publié dans La Gauche n°67 (avril-mai 2014) 25 avril 2014 par Guy Van Sinoy

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23 avril 2014 ~ 0 Commentaire

le ghetto de varsovie s’insurge (lcr.be)

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Garde l’espérance!

Le souvenir de la révolte du ghetto de Varsovie en avril 1943 ne doit pas s’estomper.

Rappelons d’abord ce qu’était un ghetto. Le terme est d’origine italienne probable et désigne le quartier où les juifs étaient obligés de vivre. Son institution est médiévale et a survécu, en Europe, jusqu’à la Révolution française. L’émancipation des juifs a été proposée par l’abbé Grégoire et votée en 1791 par l’Assemblée nationale.

L’occupation d’une partie de la Pologne par l’Allemagne nazie, aussitôt après la signa- ture du pacte germano-soviétique (23 août) entraîne, en 1939, la reconstitution du ghetto. Alors que la plupart des 450 000 juifs de Varsovie avaient déjà été déportés et gazés dans les camps d’extermination de Treblinka et Maïdanek, une poignée de quelques centaines de com- battants sont parvenus à défier l’occupant nazi et à l’affronter pendant sept semaines. Il lui faudra des tanks et de l’artillerie pour en venir à bout. Les combattants juifs n’avaient aucun espoir de gagner, leur seul objectif était de «témoigner», de clamer au monde que la popu- lation juive de Varsovie ne se laisserait pas passivement mener à l’abattoir et d’inciter d’autres opprimés à agir de même, ce qui eut lieu dans d’autres ghettos polonais.

Très rapidement, après l’occupation, des mesures avaient été prises contre la popu- lation juive qui comptait alors plus de 3 millions d’habitants en Pologne: confiscation de biens, interdiction de travailler dans les institutions publiques et les organismes de l’État, interdiction de voyager, rémunérations limitées, interdiction pour les médecins de soigner des non-juifs, port de l’étoile jaune à partir de 12 ans, etc. En novembre 1939 les nazis recréent le ghetto de Varsovie où doit se rendre toute la population juive de la ville avec interdiction d’en sortir. Une ceinture de 18 km de mur et de barbelés l’entoure. L’isolement est total.

La misère devient telle que des gens meurent de faim en pleine rue; sans parler des épidémies de typhus. Un Conseil juif de 24 membres (Judenrat), aux ordres de l’occupant, gou- verne le ghetto et dispose d’une police juive en uniforme. Malgré la brutalité de la répression, la majorité de la population essaie de survivre et au début, ne croit pas aux informations alar- mistes qui surviennent de temps à autre. Dès février 1941 pourtant, quelques rescapés avaient raconté comment les nazis avaient gazé des juifs à Chelmno après en avoir gazé 40 000 à Lodz. Seules les organisations ouvrières y accordent du crédit et commencent un travail de propagande et d’organisation.

Elles comprennent essentiellement le Bund, créé en 1897 (majoritaire, socialiste et non sioniste), l’Hashomer Hatzaïr (socialiste et sioniste), les syndicats et des organisations de jeu- nesse. Quant au Parti communiste polonais qui avait été liquidé par Staline en 1938, il com- mence lentement à se reconstituer et réapparaîtra en janvier 1942 sous un autre nom: Parti Ouvrier Polonais (PPR). À partir de la mi-1942, suite aux nombreuses exécutions de résistants et aux fusillades nocturnes, la population commence à comprendre que son avenir est des plus incertain. C’est le 20 juillet 1942 que le Judenrat sera mis en demeure (et acceptera) de signer un Appel avertissant la population juive que, sauf exceptions, elle devra quitter la ville. Bien entendu la destination n’est pas précisée.

C’est la première vague de déportation: les rafles commencent aussitôt et au deuxième jour le président du Judenrat, l’ingénieur Adam Czerniakow, se suicide. Lui savait parfaitement ce que signifiait le prétendu «départ à l’Est» et ne pouvait amoindrir sa responsabilité qu’en disparaissant. C’est alors que les rafles se succèdent, opérées par les gendarmes, les Ukrai- niens et la police juive, au rythme de plusieurs milliers par jour (de 1600 à 13000 selon les auteurs…). Les partants sont rassemblés sur l’Umschlagplatz (devant la gare) et pendant un moment on leur distribuera 3 kg de pain et 1 kg de confiture, de telle sorte qu’il y aura des mil- liers de volontaires affamés, persuadés qu’on ne leur donnerait pas ça si on voulait les massa- crer.

Pourtant la vérité commençait à se savoir: un envoyé avait été expédié du côté «aryen» et avait contacté un cheminot. Avec lui il se rend sur la ligne ferroviaire qu’empruntent les convois de déportés se rendant à Treblinka. Les cheminots de l’endroit leur apprennent que «tous les jours un train de marchandises, rempli de gens en provenance de Varsovie, emprunte cet em- branchement et revient vide. Aucun convoi alimentaire ne passe par là et la gare de Treblin- ka est interdite à la population civile. Preuves tangibles que les gens qui y sont conduits sont exé- cutés. Au mois de septembre 1942 il reste moins de 60 000 habitants dans le ghetto et en juil- let les organisations résistantes se réunissent (sauf les sionistes de droite) et créent l’Orga- nisation Juive de Combat (OJC) avec un commandant de la Hachomer [mouvement de jeu- nesse juive, créé en 1913, en Pologne], Mordechaï Anielewicz, et un adjoint du Bund, Marek Edelman.

L’OJC ne comprend que quelques centaines de combattants (de 500 à 2000 selon les auteurs). Elle a très peu d’armes: quelques dizaines de revolvers en mauvais état, des grena- des et des cocktails Molotov fabriqués sur place, quelques fusils et un seul pistolet-mitrailleur. Des groupes de combat sont formés qui pratiquent des attentats, attaquent les SS et libèrent des prisonniers. L’OJC règne dans le ghetto qu’elle couvre d ‘affiches, avec le soutien de la population restante. C’est alors que les nazis décident d’en finir et va commencer la deuxième vague de déportations.

Le 19 avril 1943, à 4 heures du matin, 2 000 à 3 000 Waffen SS, auxiliaires ukrainiens, lettons et policiers polonais commencent à pénétrer dans la place. Ils seront rejoints par des troupes motorisées, des blindés et de l’artillerie. A leur grande surprise ils seront accueillis par un déluge de feu venant des quatre coins des rues. Il y aura d’assez nombreux morts et deux chars seront incendiés. Après quelques heures de combat acharné, les assaillants s’enfuient et à 14 h il n’en reste plus un. Ils referont une tentative le lendemain mais sans plus de succès. Ce n’est qu’au troisième essai qu’ils parviendront jusqu’au ghetto central qui sera incendié et littéralement rasé.

La moitié des combattants juifs périra pendant les combats. De nombreux survivants décideront de se suicider collectivement et parmi eux Mordechaï Anielewicz qui était à la tête de l’OJC, après avoir tué son amie, répétant ainsi le geste des Hébreux, en lutte conte les Ro- mains, à Massada, au premier siècle après J-C. Quelques combattants parviendront à s’enfuir par les égouts, rejoindront la Résistance polonaise et participeront à l’autre insurrection de Varsovie en août 1944.

Parmi eux Marek Edelman qui a rapporté ultérieurement de façon émouvante et vi- vante l’histoire de l’insurrection du ghetto. En conclusion, nombre d’auteurs font remarquer que cet événement unique jusque-là dans l’Europe occupée a été pratiquement passé sous silence par les futurs vainqueurs occidentaux. La radio et la presse anglo-saxonnes en parlèrent très peu, après quelques jours de tractation entre le Foreign Office et le gouvernement polonais en exil à Londres. Les Britanniques voulaient «vérifier l’exactitude des faits» et souhaitaient ména- ger leur allié polonais pas particulièrement philosémite. Il fut également ignoré par la majorité des Polonais dont l’antisémitisme traditionnel leur permit de supporter gaillardement l’assas- sinat de 3 millions de juifs de chez eux. Il ne s’agissait pas de Polonais «collabos» car ceux qui auraient pu les aider, les résistants de l’Armia Krajowa (Armée de l’intérieur), dépendant du gouvernement en exil à Londres, disposaient de dizaines de milliers de fusils, de grenades, et de milliers de pistolets dont ils eurent la générosité d’en offrir 9 aux combattants du ghetto…

Quant aux Soviétiques, ils étaient encore à mille km de Varsovie, mais un an plus tard, en août 1944, alors qu’ils s’y trouvaient à deux pas, au bord de la Vistule, et que les résistants avaient déclenché l’insurrection, ils ne bougèrent pas et laissèrent les nazis l’écraser au bout de 63 jours. Les communistes français ont alors raconté que l’insurrection avait été déclenchée sans contact avec l’Armée rouge, qu’il s’agissait d’une décision criminelle des dirigeants polo- nais de Londres, que les nazis y avaient poussé et que les Russes, heureusement, ne sont pas tombés dans le piège. On imagine ainsi ce qui se serait passé si les Soviétiques avaient atteint Varsovie un an auparavant… En ce qui concerne l’insurrection du ghetto et la discrétion des futurs libérateurs, un autre suicide eut lieu mais à Londres: le 17 décembre 1943, pour protester contre l’indifférence des puissances occidentales au massacre des juifs polonais, Artur Zygelboïm mettait fin à ses jours. Il représentait le Bund auprès du gouvernement polonais en exil.

Ghetto_Uprising_10

http://www.lcr-lagauche.be/cm/index.php?option=com_content&view=article&Itemid=53&id=508

Lire aussi:

http://bretagneisrael.unblog.fr/page/2/

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23 avril 2014 ~ 0 Commentaire

Rennes, vendredi 25 avril rencontre-débat avec william blanc et christophe naudin

moro  s y cristianos

De Lorànt Deutsch à Patrick Buisson : une vision fantasmée et faussée de l’histoire au service de l’extrême droite et du patriotisme ?

Rencontre-débat avec William Blanc et Christophe Naudin, co-auteurs avec Aurore Chéry de l’ouvrage « Les historiens de garde : de Lorànt Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national ».

Bar le 1675, 44 rue Legraverend Rennes

Vendredi 25 avril 2014 à partir de 19h30.

« À la publication du Métronome de Lorànt Deutsch, les médias saluent unanimement le travail d’un passionné d’histoire sachant se mettre au niveau du public. Le comédien, porté par son aura populaire, est ainsi intronisé comme une véritable autorité historienne à l’image de toute une lignée d’historiens médiatiques, comme Alain Decaux.

Pourtant, l’approche de Deutsch est truffée d’erreurs qui n’ont rien d’anodines : apologie de la monarchie, nostalgie d’un passé fantasmé, révolutions réduites à des instants de terrorisme sanglant, etc. Elles participent du retour en force de récits orientés, portés, entre autres, par des politiques comme Patrick Buisson (ancien directeur de Minute, directeur de la chaîne Histoire et ex-conseiller politique de Nicolas Sarkozy), qui a travaillé à la publication du Paris de Céline avec le comédien et est très impliqué dans cette réécriture constante de l’histoire.

Les auteurs s’inquiètent ici du réveil de cette histoire nationale dont Lorànt Deutsch est le poste avancé. Nationale, car il n’y est question que de la France au sens le plus étroit du terme. Nationale, car l’histoire n’y est envisagée que comme un support au patriotisme le plus rétrograde. Alors que les sciences historiques ne cessent de s’ouvrir à des horizons plus larges, cet essai tire la sonnette d’alarme contre le repli identitaire de ces historiens, fruit d’une inquiétude face au passé qu’eux seuls n’arrivent pas à assumer. »

http://www.antifabzh.lautre.net/roazhon/2014/04/rencontre-historiens-de-garde-une-vision-de-lhistoire-au-profit-de-lextreme-droite/

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21 avril 2014 ~ 0 Commentaire

Sur les évènements de dublin 1916 (léon trotsky)

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Sir Roger Casement, l’ex-grand bureaucrate colonial de la Grande-Bretagne, révolutionnaire nationaliste irlandais par conviction, l’intermédiaire entre l’Allemagne et le soulèvement irlandais, a déclaré à la lecture de sa condamnation à mort: « Je préfère être assis sur le banc des accusés que sur le siège de l’accusateur ». La sentence disait, selon la formule consacrée, qu’il serait « pendu par le cou jusqu’à ce que mort s’ensuive », et implorait pour son âme la pitié divine.

La sentence doit-elle être exécutée ? Cette question a dû faire passer des heures pénibles à Asquith et Lloyd George. Exécuter Casement rendrait encore plus difficile au parti irlandais, opportuniste, nationaliste et purement parlementaire, la tâche de ratifier un nouveau com- promis avec le gouvernement anglais sur le sang des insurgés. Mais gracier Casement, après avoir effectivement procédé à autant d’exécutions, passerait pour une démonstration ouverte d’indulgence envers un traître de haut rang, comme le chantent démagogiquement les socio-impérialistes du type Hyndman, ces hooligans assoiffés de sang. Mais quel que soit le destin personnel de Casement, il conclura l’épisode dramatique de l’insurrection irlandaise.

Tant que l’affaire se limitait aux simples opérations militaires des insurgés, le gou- vernement n’a, comme on le sait, pas eu grand-mal à se rendre maître de la situation. Quelle que soit la manière dont les rêveurs nationalistes se le représentaient, le mouvement national général n’a pas eu lieu du tout. La campagne irlandaise ne s’est pas soulevée. La bourgeoisie, ainsi que la couche supérieure la plus influente de l’intelligentsia irlandaise, sont restées en retrait. Les travailleurs des villes se sont battus et sont morts au côtés des enthousiastes révolutionnaires de l’intelligentsia petite-bourgeoise. Même dans l’Irlande arrièrée, la base historique de la révolution nationale a disparu. Les mouvements irlandais du siècle dernier ont eu un caractère populaire dans la mesure où ils se sont nourris de l’hostilité du fermier pauvre et privé de tout envers le tout-puissant propriétaire terrien anglais.

Mais si pour ce dernier l’Irlande était seulement un objet de pillage et d’exploitation, pour l’impérialisme britannique c’était un élément nécessaire de leur domination sur mer.(…) C’était Gladstone qui avait le premier expliqué clairement les implications militaires et impé- rialistes du soutien de la Grande-Bretagne aux intérêts des propriétaires anglo-irlandais et qui a donné les bases de la législation agraire par lequel l’état a transféré la terre aux agriculteurs irlandais, bien sûr en indemnisant généreusement l´ancien propriétaire. De toute façon, après les réformes agraires de 1881-1903, les agriculteurs se sont métamorphosés en petits pro- priétaires fonciers conservateurs, dont le regard fixe la bannière verte de l’indépendance nationale, mais qui ne sont plus capables d’aller plus loin que leurs lopins de terre.

L’élite intellectuelle irlandaise, superflue, a gagné par milliers les villes de Grande-Bretagne, comme avocats, journalistes, employés de commerce, etc. Pour la majorité d’entre eux, « la question nationale » s’est ainsi bien estompée. D’autre part, la bourgeoisie commer- ciale et industrielle irlandaise, dans la mesure où elle s’est formée au cours des décennies passées, a immédiatement adopté un une position d´antagonisme vis-à-vis du jeune prolétariat irlandais, renonçant à la lutte révolutionnaire nationale et rejoignant le camp de l´impérialisme.

La jeune classe ouvrière irlandaise, se formant dans l´atmosphère des souvenirs héroï- ques des rébellions nationales et se confrontant à l’arrogance égoïste, bornée, impérialiste, du syndicalisme britannique, hésite naturellement entre le nationalisme et le syndicalisme, toujours prête à unir ces deux conception dans sa conscience révolutionnaire. Elle attire la jeune élite intellectuelle et d´enthousiastes personnalités nationalistes, qui, à leur tour, imposent au mouvement la prépondérance du drapeau vert sur le rouge. Ainsi, « la révolution nationale », en Irlande même, est en pratique devenue un soulèvement ouvrier et le la position évidemment isolée de Casement dans le mouvement ne fait que souligner ce fait.

Seule la mollesse patriotique sourdant par tous ses pores peut pousser quelqu’un à interpréter la situation comme si les paysans irlandais avaient refusé de participer à la révo- lution en considérant gravement la situation internationale, sauvant ainsi « l’honneur » de l’Irlande. En fait ils n´ont été poussés que par l’égoïsme obtus de l’agriculteur et l’indifférence complète envers tout ce qui se situe au-delà des limites de son lopin de terre. C’était préci- sément et uniquement à cause de cela qu’ils ont fourni au gouvernement de Londres l´occa- sion d´une victoire si rapide sur les défenseurs héroïques des barricades de Dublin.

Leur courage personnel est incontestable, mais représente les espoirs et les méthodes du passé. Mais l´arrivée du prolétariat irlandais sur la scène de l´histoire ne fait que commen- cer. Il a déjà injecté dans ce soulèvement – sous un drapeau archaïque – son sentiment de classe contre le militarisme et l’impérialisme. Ce sentiment ne disparaitra pas. Au contraire, il trouvera un écho partout en Grande-Bretagne. Des soldats écossais ont emporté les barri- cades de Dublin. Mais en Ecosse même les mineurs se regroupent autour du drapeau rouge levé par Maclean et ses amis. Ces mêmes ouvriers, qu´à l’heure actuelle Henderson essaye d’enchaîner au char sanglant de l´impérialisme, dirigeront eux-mêmes le vengeance contre le bourreau Lloyd George.  4 juillet 1916

http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1916/07/lt_19160704.htm

Commentaire: Constance Markievicz faisait partie de l’Irish Citizen Army (milice des syndicats) basés à « Liberty Hall ») de James Conolly, socialiste révolutionnaire, dont la fusion avec les milices nationalistes a donné l’IRA.

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21 avril 2014 ~ 0 Commentaire

L’insurrection irlandaise de 1916 (lénine)

Les opinions des adversaires de l’autodétermination aboutissent à cette conclusion que la viabilité des petites nations opprimées par l’impérialisme est d’ores et déjà épuisée, qu’elles ne peuvent jouer aucun rôle contre l’impérialisme, qu’on n’aboutirait à rien en soutenant leurs aspirations purement nationales, etc. L’expérience de la guerre impérialiste de 1914-1916 dément concrètement ce genre de conclusions.

La guerre a été une époque de crise pour les nations d’Europe occidentale et pour tout l’impérialisme. Toute crise rejette ce qui est conventionnel, arrache les voiles extérieurs, balaie ce qui a fait son temps, met à nu des forces et des ressorts plus profonds. Qu’a-t-elle révélé du point de vue du mouvement des nations opprimées ? Dans les colonies, plusieurs tentatives d’insurrection que les nations oppressives se sont évidemment efforcées, avec l’aide de la censure de guerre, de camoufler par tous les moyens.

On sait, néanmoins, que les anglais ont sauvagement écrasé à Singapour une muti- nerie de leurs troupes hindoues; qu’il y a eu des tentatives d’insurrection dans l’Annam français et au Cameroun allemand; qu’en Europe, il y a eu une insurrection en Irlande, et que les Anglais « épris de liberté », qui n’avaient pas osé étendre aux irlandais le service militaire obligatoire, y ont rétabli la paix par des exécutions; et que, d’autre part, le gouvernement autri- chien a condamné à mort les députés de la Diète tchèque « pour trahison » et fait passer par les armes, pour le même « crime », des régiments tchèques entiers.

Cette liste est naturellement bien loin d’être complète, tant s’en faut. Elle démontre néanmoins que des foyers d’insurrections nationales, surgies en liaison avec la crise de l’impé- rialisme, se sont allumés à la fois dans les colonies et en Europe; que les sympathies et les antipathies nationales se sont exprimées en dépit des menaces et des mesures de répression draconiennes. Et pourtant, la crise de l’impérialisme était encore loin d’avoir atteint son point culminant : la puissance de la bourgeoisie impérialiste n’était pas encore ébranlée (la guerre « d’usure » peut aboutir à ce résultat, mais on n’en est pas encore là); les mouvements prolé- tariens au sein des puissances impérialistes sont encore très faibles. Qu’arrivera-t-il lorsque la guerre aura provoqué un épuisement complet ou bien lorsque, au moins dans l’une des puis- sances, le pouvoir de la bourgeoisie chancellera sous les coups de la lutte prolétarienne, comme le pouvoir du tsarisme en 1905 ?

Le journal Berner Tagwacht, organe des zimmerwaldiens, jusques et y compris certains élé- ments de gauche, a publié le 9 mai 1916 un article consacré au soulèvement irlandais, signé des initiales K.R.et intitulé « Finie, la chanson ! » L’insurrection irlandaise y était qualifiée de « putsch », ni plus ni moins, car la « question irlandaise », y disait-on, était une « question agraire », les paysans avaient été apaisés par des réformes, et le mouvement national n’était plus main- tenant « qu’un mouvement purement urbain, petit-bourgeois, et qui, en dépit de tout son tapage, ne représentait pas grand-chose « au point de vue social ». Il n’est pas étonnant que cette appréciation d’un doctrinarisme et d’un pédantisme monstrueux ait coïncidé avec celle d’un national-libéral russe, un cadet, monsieur A. Koulicher (Retch, n°102 du 15 avril 1916), qui a qualifié lui aussi l’insurrection de « putsch de Dublin ».

Il est permis d’espérer que, conformément au proverbe « A quelque chose malheur est bon », beaucoup de camarades qui ne comprenaient pas dans quel marais ils s’enlisaient en s’opposant à l’ »autodétermination » et en considérant avec dédain les mouvements natio- naux des petites nations, auront leurs yeux dessillés sous l’effet de cette coïncidence « fortuite » entre l’appréciation d’un représentant de la bourgeoisie impérialiste et celle d’un social-démocrate’ !!

On ne peut parler de « putsch », au sens scientifique du terme, que lorsque la tentative d’insurrection n’a rien révélé d’autre qu’un cercle de conspirateurs ou d’absurdes maniaques, et qu’elle n’a trouvé aucun écho dans les masses. Le mouvement national irlandais, qui a derrière lui des siècles d’existence, qui est passé par différentes étapes et combinaisons d’in- térêts de classe, s’est traduit, notamment, par un congrès national irlandais de masse, tenu en Amérique (Vorwärts du 20 mars 1916), lequel s’est prononcé en faveur de l’indépendance de l’Irlande; il s’est traduit par des batailles de rue auxquelles prirent part une partie de la petite bourgeoisie des villes,ainsi qu’une partie des ouvriers, après un long effort de propagande au sein des masses, après des manifestations, des interdictions de journaux, etc. Quiconque qualifie de putsch pareille insurrection est, ou bien le pire des réactionnaires, ou bien un doctrinaire absolument incapable de se représenter la révolution sociale comme un phénomène vivant.

Croire que la révolution sociale soit concevable sans insurrections des petites nations dans les colonies et en Europe, sans explosions révolutionnaires d’une partie de la petite bour- geoisie avec tous ses préjugés, sans mouvement des masses prolétariennes et semi-prolé- tariennes politiquement inconscientes contre le joug seigneurial, clérical, monarchique, natio- nal, etc., c’est répudier la révolution sociale. C’est s’imaginer qu’une armée prendra position en un lieu donné et dira « Nous sommes pour le socialisme », et qu’une autre, en un autre lieu, dira « Nous sommes pour l’impérialisme », et que ce sera alors la révolution sociale ! C’est seulement en procédant de ce point de vue pédantesque et ridicule qu’on pouvait qualifier injurieusement de « putsch » l’insurrection irlandaise.

Quiconque attend une révolution sociale « pure » ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution. La révolution russe de 1905 a été une révolution démocratique bour- geoise. Elle a consisté en une série de batailles livrées par toutes les classes, groupes et éléments mécontents de la population. Parmi eux, il y avait des masses aux préjugés les plus barbares, luttant pour les objectifs les plus vagues et les plus fantastiques, il y avait des groupuscules qui recevaient de l’argent japonais, il y avait des spéculateurs et des aventuriers, etc. Objectivement, le mouvement des masses ébranlait le tsarisme et frayait la voie à la démocratie, et c’est pourquoi les ouvriers conscients étaient à sa tête.

La révolution socialiste en Europe ne peut pas être autre chose que l’explosion de la lutte de masse des opprimés et mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bour- geoisie et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement – sans cette participation, la lutte de masse n’est pas possible, aucune révolution n’est possible – et, tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais, objectivement, ils s’attaqueront au capital, et l’avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera cette vérité objective d’une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité, pourra l’unir et l’orienter, conquérir le pouvoir, s’emparer des banques, exproprier les trusts haïs de tous (bien que pour des raisons différentes !) et réaliser d’autres mesures dictatoriales dont l’ensemble aura pour résultat le renversement de la bourgeoisie et la victoire du socialisme, laquelle ne « s’épurera » pas d’emblée, tant s’en faut, des scories petites-bourgeoises.

La social-démocratie, lisons-nous dans les thèses polonaises, « doit utiliser la lutte menée par la jeune bourgeoisie coloniale contre l’impérialisme européen pour aggraver la crise révolutionnaire en Europe » (les italiques sont des auteurs). N’est-il pas clair que, sous ce rapport moins que sous tous les autres, on n’a pas le droit d’opposer l’Europe aux colonies ? La lutte des nations opprimées en Europe, capable d’en arriver à des insurrections et à des combats de rues, à la violation de la discipline de fer de l’armée et à l’état de siège, « aggravera la crise révolutionnaire en Europe » infiniment plus qu’un soulèvement de bien plus grande envergure dans une colonie lointaine. A force égale, le coup porté au pouvoir de la bour- geoisie impérialiste anglaise par l’insurrection en Irlande a une importance politique cent fois plus grande que s’il avait été porté en Asie ou en Afrique.

La presse chauvine française a annoncé récemment la parution en Belgique du 80° numéro de la revue illégale la Libre Belgique . La presse chauvine française ment très souvent, certes, mais cette information semble exacte. Alors que la social-démocratie allemande chauvine et kautskiste n’a pas créé de presse libre pendant ces deux années de guerre et supporte servilement le joug de la censure militaire (seuls les éléments radicaux de gauche ont, à leur honneur, fait paraître des brochures et des proclamations sans les soumettre à la censure), une nation cultivée opprimée répond aux atrocités inouïes de l’oppression militaire en créant un organe de protestation révolutionnaire ! La dialectique de l’histoire fait que les petites nations, impuissantes en tant que facteur indépendant dans la lutte contre l’impérialisme, jouent le rôle d’un des ferments, d’un des bacilles, qui favorisent l’entrée en scène de la force véritablement capable de lutter contre l’impérialisme, à savoir : le prolétariat socialiste.

Dans la guerre actuelle, les états-majors généraux s’attachent minutieusement à tirer profit de chaque mouvement national ou révolutionnaire qui éclate dans le camp adverse : les alle- mands, du soulèvement irlandais; les Français, du mouvement des Tchèques, etc. Et, de leur point de vue, ils ont parfaitement raison. On ne peut se comporter sérieusement à l’égard d’une guerre sérieuse si l’on ne profite pas de la moindre faiblesse de l’ennemi, si l’on ne se saisit pas de la moindre chance, d’autant plus que l’on ne peut savoir à l’avance à quel moment précis et avec quelle force précise « sautera » ici ou là tel ou tel dépôt de poudre.

Nous serions de piètres révolutionnaires, si, dans la grande guerre libératrice du prolétariat pour le socialisme, nous ne savions pas tirer profit de tout mouvement populaire dirigé contre tel ou tel fléau de l’impérialisme, afin d’aggraver et d’approfondir la crise. Si nous nous mettions, d’une part, à déclarer et répéter sur tous les tons que nous sommes « contre » toute oppression nationale, et, d’autre part, à qualifier de « putsch » l’insurrection héroïque de la partie la plus active et la plus éclairée de certaines classes d’une nation opprimée contre ses oppresseurs, nous nous ravalerions à un niveau de stupidité égal à celui des kautskistes.

Le malheur des irlandais est qu’ils se sont insurgés dans un moment inopportun, alors que l’insurrection du prolétariat européen n’était pas encore mûre. Le capitalisme n’est pas harmonieusement agencé au point que les diverses sources d’insurrection peuvent fusionner d’elles-mêmes et d’un seul coup, sans échecs et sans défaites. Au contraire, c’est précisément la diversité de temps, de forme et de lieu des insurrections qui est le plus sûr garant de l’ampleur et de la profondeur du mouvement général; ce n’est que par l’expérience acquise au cours de mouvements révolutionnaires inopportuns, isolés, fragmentaires et voués de ce fait à l’échec, que les masses acquerront de la pratique, s’instruiront, rassembleront leurs forces, reconnaîtront leurs véritables chefs, les prolétaires socialistes, et prépareront ainsi l’offensive générale, de même que les grèves isolées, les manifestations dans les villes ou de caractère national, les mutineries dans l’armée, les soulèvements paysans, etc., avaient préparé l’assaut général de 1905.

http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/07/19160700k.htm

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19 avril 2014 ~ 0 Commentaire

25 avril 1974 (1)

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Acte un : la police arrête la manif

Le 25 avril prochain, le Portugal fêtera le quarantième anniversaire de la «  Révolution des œillets  ». Dernier exemple d’un soulèvement populaire et radical dans le monde occidental, elle fit tomber la plus vieille dictature d’Europe et s’approfondit jusqu’à menacer le pouvoir de la bourgeoisie. Alors que l’offensive capitaliste s’accélère dans toute l’Europe, et en particulier dans les pays d’Europe du sud, c’est là un spectre bien encombrant pour la classe dirigeante portugaise et pour la troïka (Commission européenne, BCE et FMI), qui ne craignent rien tant qu’une irruption des classes populaires sur la scène politique et sociale.

D’avril 1974 à novembre 1975, la classe ouvrière portugaise va ainsi chercher à briser l’appareil d’Etat hérité du régime salazariste et à inventer les voies d’un socialisme démocratique, dans des conditions d’arriération économique et de répression politique léguées par une dictature qui se sera maintenue plus de quarante ans. S’enracinant en partie sur le terrain des contradictions propres au colonialisme portugais, la révolution s’ouvre le 25 avril 1974 par une révolte de capitaines organisés dans le cadre du Mouvement des forces armées (MFA), avant de se radicaliser par bonds – à travers l’auto-organisation croissante dans les entreprises et les quartiers, parmi les soldats et les paysans – en réponse aux tentatives successives de la classe dominante d’en arrêter le cours.

Il faudra toute la détermination contre-révolutionnaire de la bourgeoisie, s’appuyant sur les fractions conservatrices de l’armée et le pouvoir idéologique de l’Eglise, pour faire refluer la combativité populaire et la montée d’une large conscience anticapitaliste. La responsabilité en revient également aux deux grands partis de la gauche portugaise, à des titres différents  : là où le Parti socialiste (PSP) assumera pleinement la tâche de gérer loyalement les intérêts de la bourgeoisie et de maintenir les structures de l’Etat capitaliste, le Parti communiste (PCP) consacrera une grande partie de son énergie à détourner le prolétariat de toute action politique autonome et à limiter les objectifs de lutte, cherchant à saper l’audience croissante des groupes d’extrême gauche (maoïstes et trotskystes).

 Une révolution qui vient de loin Une révolution n’est jamais un éclair dans un ciel serein  ; elle s’annonce à travers de multiples indices avant-coureurs qui, le plus souvent, ne deviennent lisibles en tant que tels qu’après-coup, une fois le soulèvement populaire amorcé.

Cette difficulté à interpréter les modifications silencieuses du rapport de forces et les soubresauts de la colère populaire explique pourquoi les organisations authentiquement révolutionnaires sont rarement à l’initiative durant les premiers moments d’une révolution et peuvent éprouver les plus grandes peines à conquérir une influence au sein des mouvements de masse, en particulier lorsqu’ils sont confrontés à des partis mieux structurés, disposant de moyens financiers supérieurs, d’un accès régulier aux grands médias et d’une audience acquise de longue date.

La Révolution portugaise prend racine dans la crise du régime salazariste. Dictature fasciste s’appuyant sur une idéologie réactionnaire dont s’inspirera le régime de Vichy, l’Estado novo présente des traits originaux par rapports aux fascismes mussolinien et hitlérien, qui permettent d’en expliquer à la fois la longévité et la faiblesse au moment de sa crise du début des années 1970.

Si le régime fondé en 1933 par Salazar [1] se maintient aussi longtemps, c’est qu’il est parvenu à unir les différentes fractions de la classe dominante portugaise autour d’un projet politique fondé sur la répression de toute opposition syndicale et politique [2], assurant la surexploitation du prolétariat et la défense de la grande propriété foncière, mais aussi sur le maintien d’une domination coloniale particulièrement brutale.

Néanmoins, contrairement aux dictatures mussolinienne et hitlérienne, l’avènement et l’installation de cette dictature n’est pas le produit d’une radicalisation politique de la petite bourgeoisie ou d’une fraction de la bourgeoisie, s’exprimant dans des partis fascistes de masse combattant les organisations de la classe ouvrière. Ce n’est qu’une fois l’appareil d’Etat mis en place par Salazar que celui-ci jugera opportun de développer un parti unique – l’Union nationale, devenue plus tard l’Action nationale populaire – qui n’eut jamais la vigueur et l’autonomie du Parti nazi (NSDAP) en Allemagne.

Non seulement le régime ne parvient pas réellement à susciter une adhésion de masse à sa politique, mais la bourgeoisie demeure incapable de se structurer de manière autonome dans le champ politique. Cela explique en partie l’hébétement de cette dernière dans la période postérieure au 25 avril 1974, incapable de trouver une solution capitaliste à la crise politique ouverte par la révolte des capitaines.

Mais ce sont essentiellement les guerres coloniales, engagées en 1961, qui vont bousculer les équilibres internes à l’Estado novo, en se nouant à la crise du régime ouverte par la candidature à l’élection présidentielle du général Humberto Delgado en 1958. Celui-ci parvient à unifier sur son nom l’opposition antifasciste, restructurée et revivifiée après la Deuxième Guerre mondiale, mais l’élection se solde par une fraude électorale massive et par l’assassinat, en 1965, de Delgado.

Le régime se présente alors à tous sous son jour véritable  : une dictature violente, réprimant par le meurtre, l’emprisonnement ou l’exil toute velléité d’opposition ou d’autonomie. Rapportées à la taille du pays, les guerres en Angola, au Mozambique et en Guinée-Bissau vont coûter en vies humaines et en argent le double de ce que représenta la guerre du Vietnam pour les Etats-Unis [3], traduisant la violence inouïe d’un régime s’accrochant à ses possessions coloniales.

La dictature et ses contradictions Non seulement l’armée portugaise commence à subir des défaites face aux mouvements de libération nationale, poussant l’Estado novo à accroître fortement ses dépenses militaires (et limitant de facto les investissements publics dans la métropole). Mais ces guerres finissent par susciter une importante lassitude dans l’armée, du côté des soldats et des officiers composant la hiérarchie intermédiaire, mais aussi dans la population. S’ajoutant à la misère et à la répression, le refus d’aller combattre pour défendre les colonies sera à l’origine d’un énorme mouvement d’émigration  : au début des années 1970, près d’un quart du peuple portugais se trouve à l’étranger.

A partir de septembre 1973, des capitaines s’organisent pour formuler des revendications d’abord strictement professionnelles et corporatistes, mais qui vont rapidement s’élargir jusqu’à poser la question du maintien de la dictature fasciste. Le MFA naîtra ainsi des échecs de la guerre coloniale et de la frustration sociale de ces «  cadres moyens  » de l’armée, mais aussi de la pression que commencent à exercer les luttes ouvrières, paysannes et étudiantes au Portugal.

Alors dirigé par Marcelo Caetano [4], le régime se caractérise au début des années 1970 par un haut niveau de déséquilibres économiques et de tensions sociales. Devenu dépendant des capitaux étrangers en raison des guerres coloniales et de son intégration en 1960 à l’AELE [5] (qui précède un accord de libre-échange avec la CEE signé en 1973), le Portugal occupe une position dominée dans la division internationale du travail, et ne peut faire valoir comme «  avantage comparatif  » aux 
capitaux impérialistes qu’une répression violente de la classe ouvrière, permettant d’abaisser artificiellement les salaires.

Se développe une industrie d’exportation, qui coexiste avec le maintien d’une agriculture largement archaïque, reposant – notamment dans l’Alentejo – sur d’immenses domaines possédés par des latifundistes faisant régner l’ordre dans les campagnes. Le Portugal connaît un développement industriel réel  : le secteur secondaire occupe, en 1969, 35,5 % de la population active, contre 26,5 % en 1950). De même, la part des travailleurs salariés – incluant ouvriers, employés, techniciens, etc. – passe de 53,6 % à 74,7 % de la population active, atteignant 82,3 % à Porto et 86,5 % à Lisbonne.

La modernisation capitaliste de l’économie portugaise favorise ainsi l’émergence d’une classe ouvrière urbanisée et qui, au fil de ses luttes, prend conscience de sa force et s’organise (l’Intersyndicale regroupe en 1970 deux millions de 
travailleurs). Les années 1968-1969 sont le théâtre de mouvements revendicatifs de grande ampleur dans les principales concentrations ouvrières  : transports urbains, TAP (compagnie aérienne), Lisnave (chantiers navals), métallurgie, automobile, conserverie, etc. On voit également éclater des luttes dans la jeunesse mais aussi parmi les paysans de l’Alentejo, qui dès 1962 étaient parvenus à conquérir la journée de 8 heures grâce à la mobilisation de 300 000 ouvriers agricoles.

 25 avril 1974  : action militaire et irruption populaire  C’est dans ce contexte que le MFA est créé clandestinement en mars 1974, dans une indépendance relative à l’égard de la haute hiérarchie militaire. Composée pour l’essentiel d’officiers subalternes et traversée par l’ensemble des courants de l’opposition antifasciste (des démocrates libéraux à l’extrême gauche en passant par la social-démocratie ou le PCP), c’est cette organisation qui va préparer puis exécuter avec succès l’initiative militaire du 25 avril.

A 0h25, la célèbre chanson «  Grandôla, Vila Morena  » – interdite par le régime – est diffusée sur «  Radio Renaissance  » pour annoncer le lancement de l’action. Vers 3 heures du matin, les locaux des principales radios sont occupés, qui permettront de diffuser une série de communiqués dans les heures qui suivent, de même que les aéroports de Lisbonne et Porto. Les quartiers généraux des régions militaires des deux grandes villes, mais aussi les ministères, les bureaux de la police (PSP) et la banque du Portugal, sont assiégés par les troupes dirigées par le MFA.

Un ultimatum est adressé à Caetano qui, réfugié dans la caserne du Carmo au centre de Lisbonne, n’accepte de se démettre qu’à 16h30, exigeant de remettre la direction du pays à un officier supérieur, qui ne faisait pas partie du MFA, afin que le pouvoir «  ne tombe pas dans la rue  »  : Antonio de Spinola, un général démis de ses fonctions deux mois auparavant en raison de son opposition (très mesurée) à la politique du régime dans les colonies.

Néanmoins, on ne saurait réduire le 
25 avril ni à un simple putsch, dans lequel certains virent la main de la CIA ou du groupe Bilderberg, ni même à une succession d’opérations militaires bien menées. C’est que la population portugaise descend spontanément dans la rue dès l’aube pour soutenir l’action du MFA (allant jusqu’à offrir des œillets aux militaires), fêter la fin de la dictature et veiller à ce que cette victoire ne lui soit pas volée, contredisant les communiqués du MFA qui l’invitaient à «  garder son calme et à rentrer chez elle  ».

Un capitaine du MFA, Maia de Santarem, a d’ailleurs déclaré après-coup  : «   Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait faire quelque chose, parce que si nous ne le faisions pas, ce serait la population qui le ferait. Nous avions le sentiment que nous étions en train de marcher vers un abîme et que cet abîme aboutirait à une guerre civile où le peuple prendrait les armes  ». Même si cela ne reflète sans doute pas la gamme très variée des opinions au sein du MFA, il paraît clair que celui-ci n’avait ni prévu l’ampleur des manifestations de rue ni souhaité une telle irruption populaire.

Les militaires insurgés n’ont pas pu faire sans le peuple portugais, qui a d’emblée manifesté un grand esprit d’initiative en cherchant à mettre à bas l’appareil répressif du régime, aussi détesté qu’imposant [6]. Ainsi s’est affirmé un «  25 avril d’en bas  » [7]   : les manifestants à Lisbonne se réunissent devant la caserne de la GNR (Garde nationale républicaine) où s’était réfugié Caetano, assiègent le quartier général de la PIDE (qui tire sur la foule) et les locaux du parti unique, envahissent et mettent à sac l’immeuble de la censure, encerclent la prison de Caxias jusqu’à obtenir la libération de l’ensemble des prisonniers politiques (y compris de ceux que Spinola voulait maintenir enfermés en raison des attentats qu’ils avaient commis).

Presque partout dans le pays on assiste aux mêmes scènes de liesse, traduisant l’euphorie de voir enfin la dictature tomber, mais aussi la vigilance populaire contre une transition qui se contenterait de troquer un personnel dirigeant pour un autre en maintenant intacts les instruments de répression et de censure. Le peuple lisboète ne parviendra toutefois pas à éviter que Caetano s’enfuie tranquillement, escorté par les militaires du MFA, et laisse le pouvoir au général Spinola. PALHETA Ugo 1er avril 2014

http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article31664

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19 avril 2014 ~ 0 Commentaire

Il y a 40 ans: grandeurs et limites de la révolution portugaise (2)

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Acte 2: la manif arrête la police politique

Luttes de classe dans la révolution portugaise

Spinola est alors le dirigeant sur lequel compte la bourgeoisie portugaise, sa trajectoire personnelle rassurant tous ceux qui n’aspirent qu’à un polissage du régime et à une meilleure intégration du capital portugais au marché mondial, en somme une révolution sans révolution. Engagé volontaire aux côtés des franquistes durant la guerre civile espagnole (1936-39) puis avec les troupes nazies sur le front est au moment de la bataille de Stalingrad, loyal serviteur de l’Estado novo dans ses guerres coloniales (ce qui lui assure le soutien des sommets de la hiérarchie militaire), proche des milieux financiers portugais pour avoir fréquenté les salons de la riche famille capitaliste Champalimaud, Spinola apparaît alors à la classe dominante comme la seule solution pour maintenir le calme dans le pays.

Et c’est effectivement à limiter la combativité populaire, qui se déploie dans les jours suivant le 25 avril (en particulier lors de la manifestation du 1er mai qui réunit entre 300 000 et 500 000 personnes), que va s’employer le «  général au monocle  ». Non seulement Spinola va échouer, mais ses tentatives d’accroître son pouvoir pour empêcher la décolonisation et réprimer les grèves qui se multiplient aux mois de mai-juin 1974, vont aboutir à des mouvements de masse d’ampleur croissante. Le 16 mai 1974, le 28 septembre de la même année et le 11 mars 1975, les classes dominantes subissent des défaites retentissantes qui finissent par contraindre Spinola à s’enfuir en Espagne, où il fonde une organisation d’extrême droite se donnant pour objectif d’imposer un régime autoritaire.

Le 11 mars, la tentative de putsch est repoussée par la population qui forme des piquets devant les casernes, par les soldats et l’aile gauche du MFA qui s’organisent pour repousser les attaques des putschistes et par les travailleurs qui se mettent en grève partout dans le pays, à l’appel de l’Intersyndicale (qui organise par ailleurs des manifestations très suivies dans la soirée). Cette victoire populaire constitue un tournant dans la révolution  : non seulement l’échec du spinolisme laisse la bourgeoisie sans solution politique ni perspective stratégique (au moins provisoirement), mais les travailleurs portugais prennent confiance et se politisent.

D’avril 1974 à novembre 1975, les travailleurs portugais vont ainsi renouer avec les traditions combatives d’un mouvement ouvrier qui, sous la Première République (de 1910 à 1926), avait organisé pas moins de 158 grèves générales (près de 10 par an  !), avant d’être brutalement réprimé après le coup d’Etat militaire de 1926. Même si la montée d’une conscience anticapitaliste demeure très inégale d’un secteur d’activité à l’autre et d’une région à l’autre, l’auto-organisation progresse indéniablement.

Dès le mois de mai 1974 sont organisées des occupations de maisons ou d’appar- tements vides par des familles pauvres, avant que des commissions d’habitants (moradores) se développent dans les villes. A la campagne, en particulier dans l’Alentejo, les ouvriers agricoles s’organisent pour arracher une véritable réforme agraire. Sur les lieux de travail, grèves et occupations s’accompagnent de la formation de commissions de travailleurs. Enfin, on voit émerger en août 1975 les comités SUV («  Soldats unis vaincront  »), qui cherchent à favoriser l’auto-organisation et la politisation des soldats.

Ces initiatives demeurent minoritaires et ne sont pas structurées nationalement, si bien qu’on ne saurait parler d’une situation de «  double pouvoir  » sans prendre ses désirs pour la réalité. Auraient-elles pu constituer un embryon de pouvoir populaire  ? Sans doute, si du moins elles n’avaient été affaiblies par le sectarisme de certains mouvements maoïstes, et par l’hostilité des organisations réformistes, en particulier le PCP qui bénéficiait de loin de l’implantation la plus solide dans le monde du travail et dans les syndicats, n’acceptant de participer aux commissions de travailleurs que par crainte de perdre du terrain face à une extrême gauche dont l’audience était croissante.

Reste que les commissions de travailleurs, d’habitants et de soldats non seulement traduisent la radicalisation des mouvements de masse, en réponse aux velléités contre-révolu- tionnaires des classes dominantes, mais rappellent que la confrontation avec la bourgeoisie et son Etat ne peut s’engager favorablement que si la classe des exploités et des opprimés par- vient à se doter, au cours même de la crise révolutionnaire, d’instruments démocratiques de lutte capables de se muer en organes d’un pouvoir alternatif à l’Etat capitaliste, du local au national.

 Les classes dominantes reprennent la main L’hypothèque Spinola étant levé par la victoire du 11 mars, c’est en grande partie au sein du MFA – dont le prestige acquis le 25 avril reste très important tout au long de l’année 1975 – que vont se nouer les contradictions sociales et politiques ayant émergé du processus révolutionnaire, et que va se poser la question du pouvoir. En effet, le MFA prétend à la direction du processus et s’institutionnalise en mars à travers la création du Conseil de la révolution, et opère un tournant à gauche.

Sous la pression des travailleurs, le Conseil des ministres décide en effet une réforme agraire (qui reste très partielle mais va s’accompagner d’une multiplication des occupations de terres) et décrète, de mars à août, une série de nationalisations dans des secteurs clés de l’économie portugaise (banques, assurances, électricité, transports, sidérurgie, compagnies pétrolières, tabacs, cimenteries, etc.), sans que soient toutefois posées les questions décisives, du point de vue révolutionnaire, de l’indemnisation des anciens propriétaires et du contrôle des travailleurs sur la gestion des entreprises nationalisées. Il serait trop long de revenir ici sur les mois qui séparent ce tournant à gauche dans la révolution et le putsch des 25 et 26 novembre 1975, mené par les fractions de droite et d’extrême-droite de la hiérarchie militaire et du MFA, en liaison avec le PSP, les partis bourgeois ainsi que le président Costa Gomes. L’initiative intervient après une accélération des luttes ouvrières, qui commencent à échapper au contrôle des appareils réformistes.

En particulier, le 12 novembre, une manifestation d’ouvriers du bâtiment encercle l’Assemblée nationale, séquestre les députés durant 36 heures jusqu’à ce que ces derniers accèdent à leurs revendications. Le 16 novembre, une manifestation appelée par les commissions et soutenue par le FUR (Front d’unité des révolutionnaires) et le PCP, réunit 100 000 personnes à Lisbonne. La bourgeoisie comprend que seul un coup de force pourrait lui permettre de modifier le rapport de forces en sa faveur, évitant préventivement une éventuelle insurrection populaire.

Sans les atermoiements de la gauche du MFA, qui bénéficiait pourtant d’une large supériorité militaire, et sans le refus du PCP de lancer une contre-offensive ouvrière, le putsch n’aurait sans doute pas abouti ou aurait conduit à une situation de confrontation militaire et politique. Dès le 25 novembre, l’état de siège est décrété et la publication de la presse interdite, les putschistes occupent quelques points stratégiques mais ne parviennent pas à prendre la caserne de la police militaire (dominée par l’extrême gauche).

Plutôt que d’accepter le combat et de lancer leurs forces dans l’action, les leaders de la gauche du MFA se rendent au palais présidentiel pour négocier leur propre reddition. La révolution portugaise ne se relèvera pas d’un tel coup d’arrêt  : la bourgeoisie reprend confiance dans ses propres forces, s’appuyant sur le PSP pour assurer la normalisation et en finir avec les embryons de pouvoir populaire qui avaient émergé dans les mois précédents.

 «  Les œillets sont coupés  » [8] En dernier ressort, c’est sans doute à la fois dans les avancées et les limites des formes d’auto-organisation qu’il faut chercher les raisons du succès de la reprise en main par les classes dominantes. Les commissions de base (et les partis d’extrême gauche) étaient trop faibles pour faire ce que le PCP ne voulait pas faire, à savoir résister à une offensive visant à rétablir l’autorité pleine et entière de l’Etat, mais trop développées pour ne pas effrayer la bourgeoisie, les partis de la gauche réformiste (PSP et PCP) et la gauche du MFA, cette dernière restant attachée à la hiérarchie militaire et s’opposant frontalement à tout mouvement d’organisation des soldats.
Rien ne le montre mieux que les propos de Mario Soares, principal dirigeant du PSP, qu’il vaut la peine de citer longuement pour mesurer la peur, le mépris et la violente hostilité que manifestent les chefs réformistes à l’égard des travailleurs lorsque ces derniers cherchent à s’organiser eux-mêmes, en se passant des professionnels de la politique  :

«  En ville, […] on s’arrêtait de produire pour un oui ou pour un non, une assemblée, une discussion ou une ‘‘manif’’… A la campagne – dans l’Alentejo essentiellement – on confondait réforme agraire et anarchie, on occupait partout des terres qui ne devaient pas l’être […]. Il était temps de remettre de l’ordre, avant que d’autres ne s’en chargent sous la férule d’un Pinochet providentiel. […] A quoi rimait donc cette pagaille monstre, cette indiscipline, cette subversion généralisée  ? Que venaient faire dans le Portugal de 1975 ces soviets de soldats et de marins sortis tout droit des garnisons de Petrograd et de Cronstadt […]  ? Où nous menait cette anarchie  ? Comment ne pas voir, ne pas comprendre la rage de la plupart des officiers devant des bidasses débraillés qui saluent poing levé  ?  »[Mario Soares, Portugal  : quelle révolution  ? Entretiens avec Dominique Pouchin, Paris, Calmann-Lévy, 1976, pages 183-185.]]. La régression qui suivra les journées décisives de novembre 1975 sera aussi rapide que profonde. Non seulement les acquis de la révolution sont remis en cause, mais la droite revient au pouvoir dès 1979 en la personne de Sa Carneiro, qui s’était distingué avant la révolution par son appartenance au parti unique, ce qui lui valut d’être élu député sous Caetano.

Pire, le général Spinola est réhabilité dès 1978, élevé au titre de maréchal et nommé président de la commission chargée d’organiser la commémoration officielle du 10e anni- versaire d’une révolution populaire dont il n’a jamais voulu. A l’opposé, celui qui avait dirigé l’action militaire du 25 avril 1974 et fut ensuite la grande figure de la gauche du MFA, Otelo de Carvalho, est condamné en 1987 à 15 ans de prison pour sa participation supposée à une organisation clandestine armée (les Forces populaires du 25 avril).
Les destins croisés de ces deux personnages marquants de la Révolution portugaise suffisent à mettre en pleine lumière la réaction thermidorienne qui succède au putsch du 26 novembre 1975, une réaction dont l’ampleur est à la mesure d’une révolution qui effraya la classe dominante portugaise et ébranla l’Europe durant un an et demi. Ugo Palheta

http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article31664

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16 avril 2014 ~ 0 Commentaire

Daniel Guérin, la contestation permanente (alb)

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Historien engagé, socialiste révolutionnaire (marxiste et libertaire), anticolonialiste, anti- fasciste, antiraciste, antimilitariste, militant de l’émancipation homosexuelle… Il n’est pas aisé de résumer en quelques mots la contribution intellectuelle et militante de Daniel Guérin au mouvement révolutionnaire, telle a été la diversité de ses engagements pendant plus d’un demi siècle.

Né le 19 mai 1904, Daniel Guérin sera de tous les combats, jouant souvent un rôle de pionnier. Son Fascisme et grand capital de 1936, par exemple, rédigé sur le conseil de Simone Weil et d’autres amis antifascistes et inspiré par les travaux de Léon Trotsky, d’Andres Nin et d’Ignazio Silone, sera une des premières études scientifiques du fascisme, et reste pour beaucoup son chef-d’œuvre.

Son étude controversée de la Révolution française, La Lutte de classes sous la Pre- mière République, 1793-1797, parue en 1946, provoque un tollé parmi les historiens univer- sitaires (et surtout communistes ou communisants) mais est pour Jean-Paul Sartre« un des seuls apports enrichissants des marxistes contemporains aux études historiques ». Daniel Guérin est aussi un anticolonialiste de la première heure, ayant compris très tôt, après des séjours au Liban, en Syrie, à Djibouti et au Vietnam en 1927-1929, les réalités sociales du colonialisme et l’hypocrisie de la prétendue « mission civilisatrice » de la République française.

Il joue un rôle instigateur dans le mouvement de soutien aux nationalistes et révo- lutionnaires marocains et algériens, et figure par exemple parmi les premiers signataires du « manifeste des 121 » de 1960, qui déclare sans ambages que « la cause du peuple algé- rien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres ». Quand François Mitterrand (alors ministre de l’Intérieur) déclare que  «l’Algérie, c’est la France », Guérin lui répondra (à un meeting organisé par le Comité d’action des intellectuels contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord) que « l’Algérie n’a jamais été la France ».

Á l’époque où se déclenche la Guerre froide, Guérin fait également partie de la minorité d’intellectuels de gauche qui rejette l’hystérie belliciste provoquée par la guerre de Corée en refusant de s’allier à Moscou ou à Washington et en revendiquant « le droit d’attaquer le Big Business, sans pour autant cesser d’être, depuis toujours, un adversaire déclaré du régime stalinien et de la politique extérieure russe ».

Et en 1968, Guérin est parmi les premiers à reconnaître l’importance et la signi- fication du mouvement de mai, faisant publier dans Le Monde du 8 mai, avec Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Michel Leiris et Colette Audry, une déclaration faisant appel à  «tous les travailleurs et intellectuels à soutenir moralement et matériellement le mouvement de lutte engagé par les étudiants et les professeurs». Dans les années 1960 également, Guérin fait figure de pionnier de l’émancipation homosexuelle et il est considéré dès 1968 comme le « grand-père » du mouvement gay. Pierre Hahn, militant en vue du mouvement de libération homosexuelle et un des fondateurs du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR), dans lequel Guérin a milité aussi un temps, a écrit dans une lettre à son ami : « Plus qu’à nul autre, les homosexuels vous sont reconnaissants, et moi le premier, pour tout ce que vous avez fait en leur faveur et à une époque où le dire jetait un discrédit sur son auteur. [...] Mais ce que vous nous avez apporté de plus précieux, c’est une œuvre tout à la fois politique (dans le sens traditionnel) et sexologique : c’est La Peste brune plus Kinsey  ; c’est Fourier et les textes contre le colonialisme ; c’est enfin vous-même ».

Pour une révolution totale Figure donc sans doute unique de la gauche française de son époque. Mais il est important de souligner qu’il ne s’agissait pas pour Guérin d’engagements distincts, sans rapport les uns avec les autres. Pour Guérin, le but était une «révolution totale» qui viserait l’exploitation capitaliste et coloniale et l’aliénation de l’individu. Interviewé en 1969 dans Le Monde, au moment de la parution de son Essai sur la révolution sexuelle après Reich et Kinsey et de son Pour un marxisme libertaire, on lui a demandé si cette simultanéité d’édition représentait une coïncidence. Il a répondu catégoriquement « non » : « Les thèmes traités sont unitaires. La critique libertaire du régime bourgeois ne va pas sans une critique des mœurs. La révolution ne peut être seulement politique. Elle doit être, en même temps, culturelle, sexuelle et transfigurer ainsi tous les visages de la vie et de la société. »

Syndicalisme et pivertisme Ses premiers engagements l’ont conduit au Parti socialiste- SFIO, aliéné par la mentalité petite-bourgeoise de trop de ses militants, par son électoralisme et son anticommunisme foncier, et qu’il a bientôt quitté. Après un passage chez les syndica- listes révolutionnaires regroupés autour de Pierre Monatte et de Maurice Chambelland (avec lesquels il a participé à la campagne pour la réunification du mouvement syndical), Guérin retrouve le chemin de la SFIO en 1935 et joue un rôle dirigeant dans la Gauche révolutionnaire de Marceau Pivert, puis dans le Parti ouvrier socialiste et paysan (PSOP) après 1938.

Bien que grand admirateur de Trotsky avec qui il était d’accord sur la plupart des grandes questions stratégiques, et proche des trotskystes « entristes »‚ qui s’opposaient à la direction de la SFIO et du PSOP, Guérin rejetait néanmoins la conception bolcheviste du rôle du parti : « L’organisation révolutionnaire qui a fait défaut en juin 36, ce n’était pas, je le crois, une direction autoritaire, émanant d’un groupuscule ou d’une secte mais un organisme de coordination des conseils ouvriers, issu directement des entreprises occupées. L’erreur de la Gauche révolutionnaire, ce ne fut pas tant d’avoir été incapable, dans son impréparation, de se transformer en un parti révolutionnaire du type léniniste ou trotskyste, mais de n’avoir pas su, ou pu, aider la classe elle-même à trouver, face à l’imposture du [gouvernement de] Front populaire, sa forme propre de pouvoir. »

Une gauche « divisée, ossifiée, négative, la vue bornée par d’énormes œillères » Son expérience de la gauche française dans les années 1930 et pendant la guerre, les recherches qu’il avait effectuées sur les origines du fascisme l’ont amené à rejeter la sociale-démocratie et le stalinisme comme stratégies pour triompher sur le fascisme et pour empêcher la guerre. Elles l’ont convaincu que « l’antifascisme ne triomphera que s’il cesse de traîner à la remorque de la démocratie bourgeoise ». Ses recherches sur les conflits de classe au sein du camp républicain sous la Première République l’ont amené à des conclusions similaires, puisqu’elles ont mis l’accent sur les conflits d’intérêt entre la bourgeoisie avancée et les « bras nus » : les interprétations bourgeoise, social-démocrate et stalinienne de la Révolution française avaient comme but, selon Guérin, de justifier l’« union nationale » et d’« enchaîner le prolétariat au char croulant de la bourgeoisie ».

La critique du  » jacobinisme  » marxiste La Lutte de classes sous la Première République  représente justement un tournant idéologique, et un premier pas vers une critique du marxisme classique. Guérin confiera à Marceau Pivert dans une lettre de novembre 1947 : « Le livre est une introduction à une synthèse de l’anarchisme et du marxisme-léninisme que je voudrais écrire un jour. » Selon C.L.R. James, écrivain marxiste trinidadien et ami de Guérin, ce livre  « est imprégné de l’expérience et de l’étude du plus grand événement de notre temps: l’éclo- sion puis la dégénérescence de la Révolution russe, et animé par un souci implicite : comment les masses révolutionnaires peuvent-elles éviter l’écueil redoutable de la bureaucratie, de la résurgence d’un nouveau pouvoir d’État oppressif et établir la démocratie directe ? »

La conception de la dictature d’un parti se substituant à la classe ouvrière, agissant par procuration en son nom, représente pour Guérin le « point central d’un mécanisme au ter- me duquel la démocratie directe, le self-government du peuple, se mue, graduellement, par l’instauration de la « dictature » révolutionnaire, en la reconstitution d’un appareil d’oppression du peuple ». Pour Guérin, l’embryon de la dictature stalinienne est à trouver dans certaines conceptions de Lénine et il considère que le socialisme doit s’en débarrasser pour retrouver son « authenticité libertaire ».

Le virage libertaire Ce tournant politique et idéologique chez Guérin représente le début d’une évolution qui sera continué par La Révolution francaise et nous (rédigé en 1944), Quand le fascisme nous devançait (1954), Jeunesse du socialisme libertaire (1959), Front populaire, révolution manquée (1963), Rosa Luxemburg et la spontanéité révolutionnaire (1971). Dans les années 1950, comme beaucoup d’anciens trotskystes ou de trotskystes « critiques », aussi bien que d’anciennes et anciens militants de la Fédération communiste libertaire (FCL, qui disparaît en 1956 sous le coup de la répression étatique), Guérin avait appartenu, « sans trop y croire », à des formations socialistes de gauche : la Nouvelle gauche, l’Union de la gauche socialiste et, brièvement, le Parti socialiste unifié. Mais son évolution idéologique finira par l’amener à militer dans les rangs du mouvement communiste libertaire.

En 1984, Guérin repensera au voyage de 1930 en Indochine et à la petite bibliothèque qu’il avait emportée avec lui : Marx, Proudhon, Sorel, Lagardelle, Pelloutier, Lénine, Trotsky… De tous, c’est Marx dont l’effet avait été « prépondérant ». La lecture de Marx, expliqua-t-il, lui avait « dessillé les yeux, dévoilé les mystères de la plus-value capitaliste, enseigné le maté- rialisme historique et dialectique ». Vingt-cinq ans plus tard, Guérin redécouvrira Bakounine, dont la lecture a eu l’effet d’une « seconde opération de la cataracte » et l’a rendu « pour toujours allergique à toute version de socialisme autoritaire, qu’il se nommât jacobin, marxiste, léniniste, trotskyste ». Cette découverte coïncide avec les événements hongrois de 1956, le XXe congrès du PCUS et la banqueroute du molletisme, et l’incite à relire les critiques de Lénine formulées par Rosa Luxemburg et à étudier la tradition conseilliste, deux influences importantes.

Pour une synthèse du marxisme et de l’anarchisme Se disant « socialiste libertaire » dans les années 1950 avant de passer par une phase « anarchiste » dans les années 1960, dès 1968 Guérin prônait le « marxisme libertaire », étiquette qu’il remplacera peu après par « com- munisme libertaire » pour ne pas s’aliéner ses nouveaux camarades anarchistes. En 1969, avec Georges Fontenis parmi d’autres, Guérin lance le Mouvement communiste libertaire (MCL), et finit par adhérer à l’Union des travailleurs communistes libertaires (UTCL) en 1980. Il y restera jusqu’à la fin de ses jours en 1988. « La spécificté du communisme libertaire, écrit Guérin en 1984, tel que j’en esquisse les contours, est intégrationniste et non microcosmique, elle se voudrait synthèse, voire dépassement, de l’anarchisme et du meilleur de la pensée de Marx. »

Guérin était tout aussi critique de l’anarchisme « traditionnel » qu’il l’était des marxismes autoritaires et dogmatiques, et notamment de son rejet de l’organisation, de sa compréhension simpliste et manichéenne du rôle de l’État dans des sociétés modernes, industrielles, de plus en plus internationalisées.(…)

Guérin était convaincu qu’un communisme libertaire représentant une synthèse du meilleur du marxisme et de l’anarchisme serait beaucoup plus intéressant aux « travailleurs avancés » que « le marxisme autoritaire dégénéré ou le vieil anarchisme démodé et fossilisé ». Mais il insistait qu’il n’était pas théoricien, que le communisme libertaire n’était encore qu’une approximation et non un dogme. « La seule conviction qui m’anime, disait-il, est que la future révolution sociale ne sera ni de despotisme moscovite ni de chlorose social-démocrate, qu’elle ne sera pas autoritaire, mais libertaire et autogestionnaire, ou, si l’on veut, conseilliste. »

Source : AL, Le mensuel, mai 2004 Publié le avril 15, 2014

Par David Berry, historien (université de Loughborough)

http://albruxelles.wordpress.com/2014/04/15/daniel-guerin-la-contestation-permanente/

 

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13 avril 2014 ~ 0 Commentaire

Le 14 avril 1931 (1)

Proclamation de la République espagnole. Les événements de l’été 1936 ne sortaient pas de rien.

La crise révolutionnaire qui secouait l’Espagne s’était ouverte au début de la décennie avec les événements qui aboutirent en 1931 au départ du roi Alphonse XIII et à la proclamation de la république. Trotsky écrivait alors (le 24 janvier 1931) : « La chaîne du capitalisme risque de nouveau de se rompre à son maillon le plus faible : c’est le tour de l’Espagne. »

L’Espagne à la veille de la révolution L’Espagne de 1930 était une monarchie d’environ 24 millions d’habitants, pauvre et sous-développée qui gardait de nombreux traits féodaux. La grande propriété terrienne dominait encore le pays, en particulier dans le sud, en Andalousie et en Extrémadure.

Sur l’ensemble du pays, deux pour cent des propriétaires possédaient presque les deux tiers des terres. A côté d’immenses domaines, dont une partie n’était bien souvent pas cultivée (30 % des terres agricoles ne l’étaient pas), il y avait de minuscules exploitations qui ne permettaient pas à leurs propriétaires de vivre. Et puis il y avait tous ceux, métayers ou ouvriers agricoles, qui ne possédaient pas la terre qu’ils travaillaient. La misère était terrible. « L’Espagnol se couche sans dîner » , disait-on. Des millions de gens aspiraient au partage des grands domaines.

La bourgeoisie industrielle espagnole s’était certes développée au début du siècle, en particulier grâce à sa neutralité pendant la première guerre mondiale. Mais la guerre terminée, elle perdit aussitôt ses marchés extérieurs. Une bonne partie de l’industrie espagnole était d’ailleurs aux mains de capitaux étrangers, au premier rang desquels les capitaux anglais puis français. S’étant développée trop tard, dépendant du capital étranger, liée à l’aristocratie ter- rienne, cette bourgeoisie était bien incapable de transformer le pays, de le débarrasser des structures liées à la noblesse qui entravaient son développement. Elle s’accommodait fort bien de la monarchie, en l’occurrence d’Alphonse XIII qui était monté sur le trône en 1902

Dans cette société archaïque, l’Eglise et l’Armée pesaient d’un poids considérable. Dans le pays qui fut par excellence celui de l’Inquisition, l’Eglise catholique a toujours été l’un des principaux appuis de la monarchie et l’État dépensait des millions pour la subventionner. En 1930, le pays comptait 5 000 couvents, 80 000 moines et nonnes et 35 000 prêtres. L’Eglise était le premier propriétaire foncier du pays et aussi la première puissance capitaliste. En 1912, l’ordre des jésuites contrôlait le tiers des capitaux espagnols. Un dicton populaire résumait ainsi la puissance financière de l’Eglise : « L’argent est bon catholique » .

Après le goupillon, le sabre. On dénombrait dans l’armée espagnole plus d’officiers que dans toute autre armée d’Europe : un pour six hommes. C’est dire le caractère parasitaire de la caste militaire, qui tout au long du XIXe siècle avait multiplié les coups d’État. En 1930, l’armée était profondément marquée par la guerre coloniale que l’Espagne avait menée pour la conquête du Maroc de 1912 à 1926.

Le mouvement ouvrier Mais dans cette Espagne, par bien des côtés sous-développée, il existait cependant une classe ouvrière que le développement industriel du début du siècle avait renforcée. Le prolétariat espagnol avait de fortes traditions de luttes, y compris de grèves politiques. Les trois années de lutte qui suivirent la révolution russe furent même appelées les « années bolcheviques ». En 1930, c’était le syndicat créé par les anarchistes, la Confédé- ration Nationale du Travail, la CNT, forte de plusieurs centaines de milliers d’adhérents, qui était la plus influente dans la classe ouvrière, en particulier en Catalogne et en Andalousie. Il y avait aussi l’UGT, l’Union Générale des Travailleurs, la confédération liée au Parti Socialiste, majoritaire aux Asturies et dans la région madrilène. Ces deux courants se partageaient l’influence sur le mouvement ouvrier.

Enfin, il existait un minuscule Parti Communiste qui était engagé comme les autres partis communistes dans un cours sectaire, dénonçant les organisations ouvrières anarchistes ou socialistes comme les « frères jumeaux » du fascisme. En Catalogne, une partie des militants du Parti Communiste rejeta cette orientation pour former un « Bloc Ouvrier et Paysan » qui représentait en Espagne l’opposition de droite qui se développa un temps au sein de l’Inter- nationale Communiste, après la rupture entre Staline et Boukharine. Après cette scission, le Parti Communiste ne comptait plus que quelques centaines de membres. Un seul courant représentait la filiation avec la tradition bolchevique au début des années trente, celui de la Gauche Communiste, animé par Andrès Nin,  lié à l’Opposition de Gauche Internationale de Trotsky. Mais ce groupe était une petite organisation, pas encore un parti. Cette absence d’un Parti Communiste aguerri, doté d’une direction politique compétente, allait s’avérer d’autant plus dommageable qu’une véritable crise révolutionnaire s’ouvrit en 1930.

La République des républicains et des socialistes (1931-1933)

La situation explosive de 1930 Le roi Alphonse XIII venait tout juste de se débarrasser du général Primo de Rivera, dont la dictature s’était effondrée d’elle-même avec la crise de 1929. Le général Berenguer, à qui Alphonse XIII avait demandé de former le nouveau gouvernement, dit plus tard avoir pris le pouvoir au moment où l’Espagne était comme « une bouteille de champagne dont le bouchon était sur le point de sauter ». En mai 1930, face à l’effervescence qui y régnait, le gouvernement dut fermer des universités et faire intervenir la garde civile. Ces mouvements furent relayés par l’agitation ouvrière avec toute une série de grèves dans les principales villes. Une crise dramatique frappait les campagnes où les paysans mouraient de faim. Une vague de républicanisme souffla sur tout le pays. Une partie du personnel politique de la bourgeoisie se convainquit qu’il était peut-être temps de se débarrasser de la monarchie.

Le 17 août 1930, les socialistes et l’UGT conclurent le « Pacte de San-Sebastian » avec les républicains. Ils n’envisageaient évidemment pas de préparer une insurrection populaire pour mettre fin à la monarchie, mais ils rêvaient à un soulèvement des garnisons éventuel- lement appuyé par une grève pacifique dans les principales villes. Le plan mis au point fut décommandé à plusieurs reprises. Cependant, deux officiers républicains, le capitaine Galan et le lieutenant Garcia-Hernandez, se lancèrent tout de même le 12 décembre 1930 et procla- mèrent la république dans la petite ville de Jaca. Il y eut une grève générale à Barcelone. Mais le Comité républicain-socialiste ne donna pas l’ordre de grève à Madrid. Il préférait la défaite à la mobilisation ouvrière. Les deux officiers furent exécutés. La crise politique monta encore d’un cran. Il fallut procéder à de nouvelles élections, municipales d’abord.

http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/cercle-leon-trotsky/article/espagne-1931-1937-la-politique-de

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