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27 septembre 2013 ~ 0 Commentaire

Guadeloupe : le massacre de mai 1967 (Uah)

Guadeloupe : le massacre de mai 1967 (Uah) dans Anticolonialisme 0-esclavage-fouet

Le 20 mars 1967,  Srnsky, un Européen, propriétaire d’un grand magasin de chaussures à Basse-Terre (Guadeloupe), voulant interdire à Raphaël Balzinc, un vieux Guadeloupéen infirme, cordonnier ambulant, de passer sur le trottoir qui borde sa devanture, lâche sur lui son berger allemand. Srnsky excite le chien en s’écriant : ‘ « Dis bonjour au nègre ! « .

Balzinc, renversé et mordu, est secouru par la foule, tandis que Srnsky, du haut de son balcon, nargue et invective à qui mieux mieux  les passants et même les policiers guadeloupéens qui sont accourus. Il s’ensuit une colère qui aboutit au sac du magasin. Srnsky, dont la grosse voiture est jetée à la mer,  réussit à s’enfuir à temps.

Le préfet la Guadeloupe, Pierre Bollotte, ancien directeur de cabinet du préfet d’Alger (après la fameuse bataille d’Alger qui a donné lieu à la pratique systématique de la torture et des exécutions sommaires) feint de condamner l’acte raciste de Srnsky, mais veut profiter des événements pour démanteler le mouvement autonomiste né de la déception des Guadeloupéens. Malgré la départementalisation de 1946, ils ont conscience, du fait du racisme et des incroyables injustices sociales qui les frappent, de n’être pas assimilés et d’être traités en indigènes. La seule réponse qui a été donnée à leurs problèmes, c’est l’exil par le Bumidom.

Des scènes d’émeutes ont lieu à Basse-Terre puis à Pointe-à-Pitre. La répression  policière est violente : une cinquantaine de blessés. Le 23 mars, le magasin du frère de Srnsky est dynamité à Pointe à Pitre. Le 24 mai, les ouvriers du bâtiment se sont mettent en grève, récla- mant 2 % d’augmentation et l’alignement des droits sociaux sur ceux de la métropole. Le 25 mai, des négociations sont organisées à Pointe-à-Pitre. Elle sont de pure forme. Le chef de la délégation patronale, Brizzard, déclare : « Quand les nègres auront faim, ils reprendront bien le travail. »

Dès lors la situation s’envenime. Les forces de l’ordre ouvrent le feu dans l’après-midi, abattant deux jeunes Guadeloupéens : Jacques Nestor et Ary Pincemaille. En réaction à ces deux « bavures » selon les uns, exécutions sommaires selon les autres, deux armureries sont pillées et les affrontements se multiplient. Des lieux symboliques de la France continentale sont incendiés : la Banque de Guadeloupe, Air-France, France-Antilles.

La gendarmerie mobile et les CRS, appuyés par l’armée,  ouvrent alors  un feu nourri contre la foule qui fait plusieurs dizaines de morts. Dans la soirée, l’ordre est donné de nettoyer la ville à la mitrailleuse. Les passants sont mitraillés depuis les jeeps qui sillonnent la ville.

Le lendemain matin, 26 mai 1967, les lycéens de Baimbridge organisent une manifestation spontanée pour dénoncer les tueries de la veille. Les forces de l’ordre ouvrent de nouveau le feu. Le 30 mai, le patronat sera contraint d’accorder une augmentation de 25 % des salaires à des ouvriers qui ne demandaient que 2 %.

Des centaines de Guadeloupéens ont été arrêtés. 10 seront immédiatement condamnés à des peines de prison ferme. 70 autres feront l’objet de poursuites. En outre,19 Guadeloupéens, liés au Gong (groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe, indépendantiste) et accusés d’avoir organisé la sédition, sont déportés en France et déférés devant la cour de Sûreté de l’État. Treize des accusés seront acquittés, les 6 autres condamnés avec sursis.

Le bilan officiel de ces journées est de 8 morts. En 1985, un ministre socialiste de l’Outre-mer, Georges Lemoine, lâche le chiffre de 87 morts. Christiane Taubira, depuis Garde des Sceaux, a pour sa part évoqué 100 morts.  Certains parlent du double. Le caractère imprécis de ce bilan, dans un département français, en dit long sur la situation qui pouvait y régner à cette époque.

Quant aux responsables de cette tragédie, son cités les noms du commissaire Canalès, du préfet Bollotte, de Pierre Billotte, ministre de l’Outre-Mer, de Christian Fouchet, ministre de l’Intérieur, de Pierre Messmer, ministre des Armées, et surtout de Jacques Foccart, alors secrétaire de l’Élysée aux Affaires africaines et Malgaches.

Foccart était le fils d’une béké guadeloupéenne de Gourbeyre – Elmire de Courtemanche de La Clémandière – et d’un planteur de bananes d’origine alsacienne, Guillaume Koch-Foccart, le maire de cette même ville de Gourbeyre.

Mais personne n’a jamais osé accuser le premier ministre, Georges Pompidou, ni le général De Gaulle, alors Chef de l’État, qui certainement, a dû être informé de ce qui se passait en Guadeloupe et probablement consulté sur les mesures à prendre.

Curieusement, les archives relatives au massacre – ou ce qu’il en reste -ont été classées Secret Défense jusqu’en mai 2017, ce qui pourrait être le signe que des hommes des forces spéciales ont pu être utilisés sous l’uniforme des forces de l’ordre classique, comme cela se fait parfois, quand la République se sent menacée. Pierre Bollotte, le préfet, a été prudemment rapatrié le 12 juillet 1967 et affecté, le temps que les esprits se calment, à un poste discret. Après avoir poursuivi sa carrière de préfet territorial en métropole, il a été nommé à la Cour des Comptes en 1982, tout en menant une carrière politique dans le 16e arrondissement de Paris, dont il a été maire-adjoint RPR. Srnsky, aidé par les autorités, a disparu de la Guadeloupe sans laisser de traces.

Les séquelles de ces événements sanglants, dans la mémoire collective guadeloupéenne, sont d’autant plus vivaces que le massacre de mai 1967 a toujours été minimisé, sinon occulté dans l’histoire de la Cinquième République, à la différence d’autres massacres comparables en termes de victimes, comme celui du 17 octobre 1961, qui, eux, ont été reconnus officiellement. © Une Autre Histoire

http://www.une-autre-histoire.org/guadeloupe-le-massacre-de-mai-67/

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26 septembre 2013 ~ 0 Commentaire

Capitalisme, chasse aux sorcières et biens communs (Avanti.be)

Capitalisme, chasse aux sorcières et biens communs (Avanti.be) dans Féminisme sorciere

Il y a quelques siècles d’ici, elle aurait été envoyée au bûcher.

Féministe infatigable, l’historienne et auteure de l’un des livres les plus téléchargés sur Internet, nous explique de manière rigoureuse les raisons politiques et économiques qui se cachaient derrière la chasse aux sorcières.  C’est avec un œil scrutateur que l’italienne Silvia Federici étudie depuis plus de 30 ans les événements historiques qui ont provoqué l’exploitation sociale et économique des femmes. Dans son livre « Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive », elle fixe son attention sur la transition violente entre le féodalisme et le capitalisme, où s’est forgé au fer rouge la division sexuelle du travail et où les cendres des bûchers ont recouvert d’un épais manteau d’igno- rance et de mensonges un chapitre essentiel de l’Histoire. Dans son bureau du Département d’Histoire de la Hofstra University de New York, Federici nous parle de sorcières, de sexualité et de capitalisme et se propose de « faire revivre pour les jeunes générations la mémoire d’une longue histoire de résistance qui court aujourd’hui le risque d’être effacée ».

Comment est-il possible que le massacre systématique de femmes n’ait pas été abordé plus amplement que comme un chapitre anecdotique dans les livres d’Histoire ? Je ne me souviens même pas en avoir entendu parler à l’école…

Silvia Federici : C’est un bon exemple de comment l’Histoire est écrite par les vainqueurs. Au milieu du XVIIIe siècle, quand le pouvoir de la classe capitaliste s’est consolidé et que la résistance fut en grande partie défaite, les historiens ont commencé à étudier la chasse aux sorcières comme un simple cas de superstitions rurales et religieuses. En conséquence, jusqu’à pas longtemps d’ici, bien peu furent ceux qui investi-guèrent sérieusement les raisons qui se cachent derrière la persécution des « sorcières » et ses rapports avec l’instauration d’un nouveau modèle économique. Comme je l’expose dans « Caliban et la sorcière… » : deux siècles d’exécutions et de tortures qui ont condamné des milliers de femmes à une mort atroce ont été liquidés par l’Histoire comme étant un produit de l’ignorance ou comme quelque chose qui appartenait au folklore. Une indifférence qui frise la complicité vu que l’élimination des sorcières des pages de l’histoire a contribué à banaliser leur élimination physique sur les bûchers.

Les féministes se sont rendu compte qu’il s’agissait d’un phénomène très important, qui a modelé la position des femmes dans les siècles suivants et elles se sont identifiées avec le destin des « sorcières » en tant que femmes persécutées pour avoir résisté au pouvoir de l’Eglise et de l’Etat. Espérons qu’on enseignera aux nouvelles générations d’étudiantes l’importance de cette persécution.

Il y a quelque chose, en outre, de profondément inquiétant dans le fait que, mis à part dans le cas des pêcheurs basques de Lapurdi, les proches des prétendues sorcières ne se soulevèrent pas en armes pour leur défense, alors qu’ils avaient précédemment lutté ensemble dans les soulèvements paysans…

Malheureusement, la majorité des documents à notre disposition sur la chasse aux sorcières furent écrits par ceux qui occupaient des postes de pouvoir : les inquisiteurs, les magistrats, les démonologues. Cela signifie qu’il y ait pu y avoir des exemples de solidarité qui n’ont pas été enregistrés. Mais il faut tenir compte du fait qu’il était très dangereux pour les proches des femmes accusées de sorcellerie de s’associer à elles et plus encore de prendre leur défense. De fait, la majorité des hommes qui furent accusés et condamnés pour sorcellerie étaient des parents des femmes accusées. Cela ne minimise pas, bien entendu, les conséquences de la peur et de la misogynie que la chasse aux sorcières elle- même a produit, vu qu’elle a propagé une image horrible des femmes, en les transformant en meurtrières d’enfants, servantes du démon et dévoreuses d’hommes qui les séduisaient et les rendaient impuissants en même temps.

Tu exposes deux conséquences claires en ce qui concerne la chasse aux sorcières : qu’il s’agit d’un élément fondateur du capitalisme et qu’il suppose la naissance de la femme soumise et domestiquée.

En effet, la chasse aux sorcières, ainsi que la traite des esclaves noirs et la conquête de l’Amérique, constituent des éléments indispensables de l’instauration du système capitaliste moderne car ils ont changé de manière décisive les rapports sociaux et les fondements de la reproduction sociale, à commencer par les rapports entre les femmes et les hommes et entre les femmes et l’Etat. En premier lieu, la chasse aux sorcières a affaibli la résistance de la population face aux transformations qui accompagnèrent l’apparition du capitalisme en Europe : la destruction de la gestion communautaire de la terre ; l’appauvrissement massif et la famine, ainsi que la création dans la population d’un prolétariat sans terre, à commencer par les femmes d’âge mûr qui, n’ayant plus de terre à cultiver, dépendaient d’une aide étatique pour survivre.

On a également élargi le contrôle de l’Etat sur le corps des femmes, en criminalisant le contrôle que celles-ci exerçaient sur leur capacité reproductive et sur leur sexualité (les sages-femmes et les anciennes furent les premières accusées de sorcellerie). Le résultat de la chasse aux sorcières en Europe fut un nouveau modèle de féminité et une nouvelle conception de la position sociale des femmes, qui a dévalué son travail en tant qu’activité économique indépendante (processus qui avait déjà commencé graduellement) et les a placées dans une position subor- donnée aux hommes. Tel était la principale condition pour la réorganisation du travail reproductif exigée par le système capitaliste.

Tu parles ainsi du contrôle des corps : si au Moyen Age les femmes exerçaient un contrôle indiscutable sur les naissances, dans la transition au capitalisme « les utérus se transformèrent en territoire politique contrôlé par les homme et par l’Etat ».

Il n’y a pas de doutes qu’avec l’avènement du capitalisme nous commençons à voir un contrôle beaucoup plus strict de la part de l’Etat sur le corps des femmes. Ce contrôle n’a pas seulement été mené à bien par la chasse aux sorcières mais aussi à travers l’introduction de nouvelles formes de surveillance de la grossesse et de la maternité, l’institution de la peine capitale contre l’infanticide (lorsque le bébé était mort-né ou mourrait pendant l’accouchement, on accusait et on jugeait la mère). Dans mon travail, je soutien que ces nouvelles politiques, et en général la destruction du contrôle que les femmes au Moyen Age avaient exercé sur la reproduction, s’associent avec la nouvelle conception du travail que le capitalisme a promu.

Quand le travail devient la principale source de richesse, le contrôle sur les corps des femmes acquiert une nouvelle signification : ces mêmes corps sont alors vus comme des machines de production de la force de travail. Je crois que ce type de politique est encore très important aujourd’hui parce que le travail, la force de travail, est toujours cruciale pour l’accumulation de capital. Cela ne veut pas dire que les patrons veulent, partout et tout le temps, avoir plus de travailleurs, mais ils veulent sans aucun doute contrôler la production de la force de travail ; ils veulent décider combien de travailleurs produisent et dans quelles conditions.

En Espagne, le ministre de la Justice veut réformer la loi sur l’avortement, en excluant les cas de malformation du fœtus, et cela précisément au moment où les aides sociales aux personnes dépendantes ont été supprimées…

Aux Etats-Unis aussi ils tentent d’introduire des lois qui pénalisent gravement les femmes et qui limitent leur capacité de choisir si elles souhaitent ou pas avoir un enfant. Par exemple, plusieurs Etats introduisent des lois qui rendent les femmes responsables de ce qui arrive au fœtus pendant la grossesse. Il y a eu le cas polémique d’une femme qu’on a accusé d’assassinat parce que son fils est mort-né et qu’on a découvert ensuite qu’elle avait pris certaines drogues. Les médecins ont pourtant conclu que la consommation de cocaïne n’était pas la cause de la mort du fœtus, mais ce fut en vain, l’accusation a suivie son cours. Le contrôle de la capacité reproductive des femmes est également un moyen de contrôler la sexualité des femmes et notre comportement en général.

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« Caliban and the Witch : Women, the Body and Primitive Accumulation »  Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive. Edition française à paraître aux Editions Senonevero en 2013.  Son dernier livre, « Revolution at Point Zero : Housework, Reproduction, and Feminist Struggle » (Common Notions/PM Press, 2012) est un recueil d’articles indispensables pour connaître sa trajectoire intellectuelle. Entretien réalisé pour la rubrique « Numeros Rojos » du journal en ligne « Publico.es » (Avanti4.be))

 

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25 septembre 2013 ~ 0 Commentaire

Conférence Internationale sur Rosa Luxemburg Paris, Sorbonne, 4-5 Octobre 2013

Conférence Internationale sur Rosa Luxemburg Paris, Sorbonne, 4-5 Octobre 2013 dans A gauche du PS rosa_luxemburg_1871-1919

« Démocratie et Révolution chez Rosa Luxemburg »

Une des plus importantes contributions de Rosa Luxemburg à la pensée marxiste moderne est son refus de séparer les notions de « démocratie » et « révolution ». Cela se traduit dans  sa critique des limites de la démocratie bourgeoise,  dans sa conception du combat révolutionnaire comme auto-émancipation démocratique des grandes masses,  sa vision de la démocratie socialiste et ses formes d’organisation et dans sa ferme insistance - en discussion avec les révolutionnaires russes - sur l’importance des libertés démocratiques dans la transition vers le socialisme.

 Nous allons nous intéresser aussi à la question de la démocratie dans ses écrits sur le marxisme, sur l’économie politique ou sur la question nationale (auto-administration locale et autonomie nationale comme solutions démocratiques).  Ce sont des questions qui restent d’une actualité évidente au début du 21ème siècle. Le but de la Conférence sera à la fois d’analyser les aspects historiques et les textes eux-mêmes, et la signification politique présente de cette problématique, à une époque de crise de la démocratie, dans un contexte de crise de la civilisation capitaliste.

Les langues de la conférence seront le français et l’anglais avec interprétation simultanée

Source

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21 septembre 2013 ~ 0 Commentaire

“La France n’a pas été immunisée contre le fascisme” (les Inrocks)

“La France n’a pas été immunisée contre le fascisme” (les Inrocks) dans Antifascisme milice

L’histoire de la France de Vichy a-t-elle levé tous ses secrets ? Pas certain. Dans “La Milice française” (ed. Fayard), un ouvrage nourri et très documenté, l’historienne Michèle Cointet revient sur ce qui fut le fer de lance du régime. Institution nouvelle, la Milice a véritablement transformé la France en un État fasciste et meurtrier. Entretien.

Pourquoi le régime de Vichy décide-t-il de créer la milice ? A quels objectifs correspond-elle ?

Les raisons sont stratégiques et politiques. Pendant deux ans, le régime de Vichy a cru que l’armistice assurait encore sa souveraineté. Il disposait d’un territoire sans occupation (la zone libre), d’une petite armée, d’une flotte de guerre, d’un empire. Il était reconnu par de nombreux pays qui, comme les Etats-Unis et l’URSS, envoyaient des ambassadeurs dans sa petite capitale. Tout cela vole en éclat à la suite du débarquement des Américains en Afrique du Nord en novembre 1943. L’Empire se rallie à la nouvelle autorité d’Alger, la zone libre est envahie par les Allemands, l’armée d’armistice est dissoute, la flotte de guerre se saborde à Toulon  pour ne pas être saisie par les occupants. Les diplomates français à l’étranger rallient peu à peu les Alliés et, à Vichy, la quarantaine de représentations diplomatiques se réduit aux alliés de l’Allemagne et aux neutres.

Les Allemands ne réduisent pas pour autant leurs exigences vis-à-vis du gouvernement de Vichy. Ils lui demandent de continuer à assurer leur sécurité et de protéger leurs lignes de communication avec l’Allemagne et avec l’Italie. Vichy doit aussi contenir les actions de la Résistance encouragée dans ses espoirs d’une libération du territoire. Le 19 décembre 1942, Hitler le dit de vive voix à Laval, le chef du gouvernement français. Pour ce collaborateur, une proposition allemande est un ordre. La milice est  créée en janvier 1943 pour assurer la sécurité des occupants et le maintien de l’ordre.

Le chef du gouvernement a aussi obéi à une motivation politique. Il craint la concurrence des partis collaborateurs de Paris, le RNP de Marcel Déat, le PPF de Jacques Doriot qui ont lancé leurs propres milices et qui dénoncent son “inertie” face aux résistants. Laval crée donc la milice, parti de volontaires ultras, police auxiliaire, organisation paramilitaire avec sa branche armée, la franc-garde. La milice devient une organisation de l’Etat français. Sa mission : le maintien de l’ordre.

Quelles sont les sources d’inspiration structurelle et méthodologique de cette organisation paramilitaire ?

Les modèles sont les S.A. et les S.S. allemands et les faisceaux italiens. Des volontaires s’offrent à participer à la lutte contre les adversaires politiques de l’Etat. Leurs actions rencontreront l’impunité même lorsqu’elles vont jusqu’au crime. Les miliciens fournissent une force politique qui offre des cadres. Ils se glissent dans les administrations, cherchent à contrôler la société. Laval croyait garder la maîtrise de la milice mais c’était compter sans le dynamisme propre  à toute organisation et sans la protection que les Allemands offriront à ses chefs qui obtiennent d’eux les armes que Laval leur refusait.

La milice est à la fois de son temps (les totalitarisme du XX° siècle) et du passé, une résurgence de la contre-révolution et de la terreur blanche de 1815.  A la veille de la guerre, de nombreux chefs miliciens ont fait leurs armes dans la Cagoule (le CSAR), organi- sation secrète créée contre le Front populaire. Ils y ont appris la violence allant jusqu’au crime d’antifascistes italiens. A Nice, berceau régional de la milice, le chef Joseph Darnand et ses amis ont appartenu alors à une des branches de la Cagoule, “Les chevaliers du glaive”.  L’idéologie de défense religieuse est renforcée par l’antisémitisme et un anticommunisme célébrant la lutte à mort de l’Europe contre les barbares soviétiques.

Quelles étaient les autres options du régime de Vichy pour assurer sa souveraineté ?

Dès lors que le maréchal Pétain ne s’était pas envolé pour Alger en novembre 1942, les débris de souveraineté se racornissaient de jour en jour. Pourtant, il entendait se maintenir avec, chez Laval, l’espoir d’une paix de compromis où la France aurait joué les intermédiaires et en aurait tiré un rétablissement de puissance. Cet homme avait des illusions !

L’administration qui avait constitué jusque-là la grande force de Vichy conservait une façade derrière laquelle les fonctionnaires pratiquaient le double-jeu, guettant, dans le “noyautage des administrations publiques” une possibilité de s’en sortir. Le cas de la justice est révélateur. Même les magistrats siégeant dans les fameuses  sections spéciales qui jugeaient résistants et opposants politiques en viennent à déclarer qu’ils ne condamneront plus personne. C’est qu’ils sont terrorisés par les assassinats de magistrats par la Résistance, plus ou moins annoncés par l’envoi de petits cercueils à domicile ; les procureurs généraux qui font état de cette menace de grève (totalement ignorée par l’histoire) demandent à Laval de leur substituer  des cours martiales de miliciens. L’appareil d’Etat ne réagit plus à l’impulsion du gouvernement.

Le film Lacombe Lucien a contribué à donner la vision d’une milice issue des bas fonds. Cela correspond-il à la réalité ?

C’est en effet l’image que les Français en gardent. Elle est partielle et on se tromperait lourdement sur ce que fut la milice si on s’en contentait. Une autre réalité sociologique surgit de l’examen des archives, en particulier des listes départementales et des procès d’épuration. A côté des “Lacombe Lucien” attirés par la violence, l’exemption du STO, le profit, parfois une revanche sociale , la milice recrute dans les classes moyennes françaises : commerçants, professions libérales, employés, cadres du public (pas mal d’anciens officiers d’active et de réserve  dont les compétences sont recherchées pour la franc-garde) . On trouve des rejetons de la vieille noblesse militaire et des hobereaux nombreux dans le sud-ouest. Les cadres du mouvement sont des notables et Joseph Darnand  est intellectuellement dépendant de son entourage de professeurs de l’enseignement secondaire. On remarque la présence de femmes (environ 8% des effectifs). L’idéologie a constitué le ciment nécessaire pour que notables et marginaux travaillent de concert.

La milice est-elle responsable de la transformation du régime de Vichy en État meurtrier ?

La milice est le bras exécutif de l’État français. La peur de perdre le pouvoir fait accepter aux dirigeants de Vichy les pires exactions de la milice qui se charge de tout ce que d’autres répugnent à commettre mais qu’ils acceptent pour rester aux affaires.  Le pouvoir s’inquiète des actions de la Résistance, surtout lorsqu’elle est dirigée par des officiers comme dans le maquis des Glières en Haute-Savoie. Il panique devant les mutineries dans les prisons. L’assassinat de Français à l’issue de beuveries, au cours de représailles ou même sans raison, est rarement réprimé (il y a eu quelques miliciens fusillés sur ordre de Darnand). Les assassins de Maurice Sarraut, le directeur de La Dépêche de Toulouse, sont relâchés, ceux de Georges Mandel ne sont finalement pas inquiétés. Le meurtre devient pour l’État français un moyen d’imposer sa propre survie.

Sous l’occupation, quelle opinion la société française avait-elle de la milice ?

Au début, la milice n’est pas armée. Certains Français, effrayés par l’insécurité qui règne dans leur région, en attendent le rétablissement de l’ordre. On voit même des parents et des curés pousser des adolescents à adhérer à une organisation qui offre situation, profits et pouvoir social. Et puis une escalade se produit. Les délations sont encouragées, la population est mise en surveillance, Des vols accompagnent les visites domiciliaires. Des enlèvements se produisent. Des fonctionnaires de ministère sont molestés à Vichy pour ne pas avoir cédé le trottoir à des miliciens. Enfin, après le débarquement de juin 1944, des tueries locales se déclenchent (en particulier en Bretagne) et culminent en août dans les régions d’où les miliciens n’ont pu partir. La haine des Français contre la milice est devenue générale. Elle se traduit par des exécutions sommaires au cours de la Libération et par des condamnations à mort au cours de l’épuration judiciaire. Lorsqu’est accordée une grâce la population envahit les prisons pour tuer les condamnés graciés.

La violence et les innombrables crimes comme ceux de Georges Mandel ou de Victor Basch perpétrés par la milice relèvent-ils davantage de la pression de l’occupant allemand ou d’une décision autonome ?

La milice revendiquait une action autonome. Ainsi se défendait-elle des crimes de Mâcon et de Rillieux en juillet 1944 en invoquant des représailles pour l’assassinat par des résistants du ministre milicien, Philippe Henriot. Mais quand Joseph Lécussan assassine les époux Basch, il agit en fonction d’une décision commune avec le lieutenant allemand Moritz. L’assassinat de Georges Mandel est révélateur d’une milice exécutant les basses œuvres des Allemands. Mandel, otage renvoyé par les Allemands en France, est tué par des miliciens qui le convoyaient de Paris à Vichy. Ils ont assassiné l’homme politique pour complaire aux nazis et signifier, de leur part, à Pierre Laval , tenté de “retourner sa veste” que son sort est lié à celui du Reich. Ils obéissent aux mêmes motifs en assassinat les hommes politiques républicains Jean Zay et Maurice Sarraut. Étonnante est la psychologie des miliciens qui ne se sentent plus Français mais  “Européens”. Ils se voient, comme les Allemands, en rempart contre la barbarie soviétique.

Pensez-vous comme l’historien israélien Zeev Sternhell que la France n’a pas été immunisée contre le fascisme ?

Une vive polémique a opposé les historiens français qui voyaient la France des années trente immunisée contre le fascisme grâce à sa culture républicaine et Sternhell qui pensait qu’elle y avait cédé. L’histoire de la milice prouve qu’elle ne l’était pas. Il a bien existé un fascisme français. Ses sources sont repérables dans l’émergence de la Cagoule, qui constitue une mutation de l’extrême droite française convaincue de ce que le meurtre est nécessaire dans l’action politique. Nombre de dirigeants de la milice ont eu cette expérience de la Cagoule  et ont constitué alors des réseaux qu’ils réveillent en 1943. La milice est fasciste par sa volonté de conquérir le pouvoir, par sa doctrine, par sa volonté d’attirer des couches sociales diverses, par ses pratiques. La chance de la France a tenu à une Libération précoce et rapide. Je n’ose imaginer ce que serait devenu ce pays si l’occupation avait duré jusqu’en avril 1945.

Recueilli par David Doucet La milice française, Michele Cointet, Fayard, 2013. 19/09/2013 | 11h35

http://www.lesinrocks.com/2013/09/19/actualite/la-france-na-pas-ete-immunisee-contre-le-fascisme-11428099/

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31 août 2013 ~ 0 Commentaire

11 septembre 1973,il y a quarante ans, le coup d’Etat contre Salvador Allende (LMD)

11 septembre 1973,il y a quarante ans, le coup d’Etat contre Salvador Allende (LMD) dans Histoire pinochet211

L’« octobre rouge » chilien et la naissance des cordons industriels

Héritière d’une tradition de lutte autonome et poussée par la radicalisation du mouvement social urbain et paysan au cours de la présidence de Salvador Allende (1970-1973), une partie de la classe ouvrière chilienne va donner naissance à un mouvement original, tant par son ampleur que par ses tentatives de contrôle démocratique de la production, du ravitaillement ou de la sécurité des quartiers. Au cours des affrontements d’octobre 1972 (lire notre chronologie) et des grandes mobilisations de 1973, les revendications purement économiques s’articulent avec les demandes politiques de certaines fractions ouvrières radicalisées : cette rencontre se traduit par la formation des « cordons industriels ».

L’« octobre chilien » est marqué par une offensive des classes dominantes qui passent de l’affrontement feutré sur les bancs du Parlement à l’occupation de la rue, la grève politique et le boycott économique généralisé. Parti d’un conflit corporatiste avec les propriétaires de camions, ce mouvement d’opposition agglomère peu à peu les syndicats patronaux (Sofofa, Confede-ración de la Producción y del Comercio), du commerce (Confederación del Comercio), de professions indépendantes (avocats, médecins) et des partis d’opposition (démocratie-chrétienne et Parti national), désormais unis sous la bannière de la Confédération démocratique.

Cette épreuve de force à l’échelle nationale a été préparée et appuyée par le gouvernement de Richard Nixon et la CIA (1). En toile de fond, la multiplication d’actions terroristes de la part de groupes d’extrême droite (comme Patria y Libertad) et la pression au niveau parlementaire de l’opposition pour destituer ministres et gouverneurs de province. Afin de rester dans le cadre de la légalité et valider la théorie de la constitutionnalité des forces armées, le gouvernement fait appel aux militaires pour contrôler la situation et décrète l’état d’urgence. La Centrale unique des travailleurs (CUT), seule grande confédération syndicale, appelle également les travailleurs à la vigilance et à participer aux travaux volontaires de ravitaillement, organisés en collaboration avec les camionneurs non-grévistes. Pourtant, c’est essentiellement depuis la base que surgit la réponse à la grève patronale.

L’un des aspects saillants de l’attitude du mouvement populaire est la création, au niveau des principales zones industrielles et quartiers périphériques du pays, d’organismes unitaires et transversaux, qui fonctionnent sur une base territoriale et permettent la liaison entre les différents syndicats d’un secteur industriel précis ou au sein des organisations de base d’un quartier. Suivant l’ampleur des couches sociales qu’elles parviennent à réunir, leur degré de pouvoir réel et l’orientation que leur donnent les militants présents, ces organisations vont prendre le nom de « Cordons industriels », « Commandos communaux », « Comités coordinateurs ». Au niveau de l’industrie, ces coordi-nations ouvrières horizontales répondent massivement aux boycotts et lock-out patronaux par une vague d’occupations d’usines, qui entre en adéquation avec la mobilisation au sein des principales entreprises de l’aire de propriété sociale (APS),formée par la nationalisation du secteur minier.

Les salariés de ce secteur parviennent ainsi à maintenir partiellement la production, en faisant fonctionner les usines sans leur propriétaire, la plupart du temps avec l’aide de peu de cadres et techniciens et sur des bases complètement nouvelles : délibération collective permanente, remise en cause de la division du travail et des rapports sociaux de sexes, rupture partielle des hiérarchies et dominations symboliques, critique de la légitimité du patronat à diriger l’économie. Ils organisent aussi des formes parallèles de ravitaillement direct, notamment avec l’aide des Comités d’approvisionnement et de contrôle des prix (Juntas de abastecimiento y control de precios, JAP), multiplient les brigades de surveillance et de défense des usines…

Ce moment crucial de l’Unité populaire démontre avant tout les capacités de la mobilisation populaire, la profonde décentralisation de l’activité politique et remet ouvertement en question les relations de production. Il existe alors une nette tendance à la rupture avec les schémas traditionnels de la politique. Comme l’écrivait le sociologue Alain Joxe en 1974 : « Le Chili a vécu en octobre une sorte d’énorme utopie d’urgence dont le souvenir ne peut plus s’effacer et que seule la répression la plus sauvage tente aujourd’hui de refouler dans la mémoire collective du peuple. C’est le souvenir d’octobre qui anime les luttes populaires pendant toute l’année 1973. (2» Les Cordons industriels sont formés sur la base d’une coordination territoriale de plusieurs dizaines d’usines et regroupent en majorité des délégués syndicaux des moyennes entreprises, aux côtés de certains représentants des entreprises de l’APS (3).

Les témoignages que nous avons pu recueillir, ainsi que l’examen de la presse et des débats de l’époque, démontrent que malgré une volonté réaffirmée de se structurer par le biais de l’élection systématique de délégués en assemblée et le rejet de la nomination « par en haut » (par les partis), une telle démocratisation n’a jamais été atteinte (même si dans certaines usines, les délégués sont bien élus en assemblée). Ce sont essentiellement des dirigeants syndicaux et des militants du Parti socialiste (PS) et du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) qui y participaient et faisaient redescendre l’information dans leur usine, où, souvent, ils se heurtaient à la désapprobation des dirigeants syndicaux communistes.

Pendant la crise d’octobre 1972, à la suite du soulèvement militaire du colonel Souper en juin 1973 (appelé Tancazo ou Tanquetazo), puis après la nouvelle grève patronale de juillet de la même année, ces formes d’organisations populaires vont connaître une extension notable à travers tout le pays. Pour ce qui est des Cordons industriels à Santiago, ce sont les Cordons Cerrillos et Vicuña Mackenna qui joueront le rôle le plus important, mais aux côtés des Cordons O’Higgins, Macul, San Joaquín, Recoleta, Mapocho-Cordillera, Santa Rosa-Gran Avenida, Pana- mericana-Norte et Santiago Centro. On les trouve également du Nord au Sud du pays : à Arica autour de l’industrie électronique, à Concepción (Cordon Talcahuano), à Antofagasta, Osorno ou encore à Valparaíso (Cordons El Salto, 15 Norte, Quilpué) (4).

Il reste aujourd’hui ardu pour les historiens de connaître le degré de fonctionnement organique de ces Cordons, leur nombre exact et leur représentativité réelle des salariés de leur zone de développement. S’il y eut indéniablement levée en masse de nombreux Comités coordinateurs, très peu atteignent le niveau de structuration que l’on a pu constater à Cerrillos, par exemple. Les dirigeants de l’époque tendaient à confondre, à des fins de propagande, le nombre de salariés présents dans la zone industrielle avec ceux qui étaient réellement mobilisés autour de l’idée du Cordon industriel. Ainsi, Armando Cruces, président socialiste du Cordon Vicuña Mackenna, parlait de 80 000 travailleurs prêts à se soulever au moindre appel de la coordination des Cordons (ce qui est tout à fait exagéré si l’on en croit le nombre de travailleurs qui se déplaçait lors des manifestations ou la rapidité avec laquelle s’est déroulé le coup d’Etat).

Certains témoins ou commentateurs donnent une vision des Cordons déformée : celle d’immenses organisations de masse, extrêmement bien structurées. C’est paradoxalement cette version qui a également été défendue par la junte militaire pour justifier le coup d’Etat contre les « cordons de la mort », décrits comme une dangereuse armée parallèle prête à détruire la République et la Patrie (5). En fait, si de manière objective, la ceinture industrielle de la capitale concentre plusieurs dizaines de milliers de travailleurs, les Cordons industriels en tant qu’organisations mobilisées ont eu de nombreuses difficultés à rompre leur isolement politique au sein de la « voie institutionnelle » au socialisme et à s’insérer dans leur milieu social.

En nous appuyant sur la distinction classique du marxisme de la « classe en soi » et de la « classe pour soi » ou mobilisée, nous avons ainsi avancé l’idée de « Cordons en soi » qu’il faut distinguer des « Cordons pour soi ». Les premiers existent comme une donnée objective et structurelle au sein des périphéries industrielles des grandes villes (surtout à Santiago) et se développent le long des axes routiers. Ils représentent le territoire — souvent bien délimité — des principales entreprises et de l’habitat ouvrier. Les seconds, les « Cordons pour soi », sont les organisations de luttes créées par la classe ouvrière mobilisée, particulièrement à partir d’octobre 1972. Ils matérialisent des organes d’une dualisation de pouvoir encore embryonnaire et apparaissent comme une réponse politique, impulsée depuis « en bas » par les salariés et les militants les plus radicaux de la gauche chilienne.

 par Franck Gaudichaud, septembre 2013 http://www.monde-diplomatique.fr/2013/09/GAUDICHAUD/49663

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30 août 2013 ~ 0 Commentaire

Le lock-out de Dublin en 1913 (CQFD)

Le lock-out de Dublin en 1913 (CQFD) dans Europe nli-exhibition2

Août 1913, Dublin. Toutes les discussions politiques tournent autour de la question de l’indépendance, de la défense de la culture et de la religion catholique.

Mais, soudain, et seulement pour quelques mois, la question sociale supplante avec violence la question nationale, redistribuant les cartes politiques sur des bases jamais vues dans le pays et qu’on ne reverra plus.

 Tout commence avec l’arrivée à Dublin de James « Big Jim » Larkin. « God sent Larkin in 1913, a labor man with a union tongue / He raised the workers and gave them courage ; he was their hero, the worker’s son » [1], chanteront les Irlandais en sa mémoire. Il crée un syndicat de masse pour les ouvriers, l’Irish Transport and General Workers Union (ITGWU). Face à lui, William Murphy, le très catholique et indépendantiste dirigeant du patronat dublinois, réagit radicalement : renvoi des ouvriers arborant le badge de l’ITGWU et obligation pour tous les travailleurs de signer un document par lequel ils s’engagent à ne jamais adhérer au syndicat. La grève éclate, d’abord dans les tramways dirigés par Murphy, puis sur les docks et gagne, par solidarité, rapidement les filatures… toute la ville. Jusqu’à la fin de l’année, Dublin est complètement paralysée.

Tous les grévistes ne partagent pas les idéaux révolutionnaires de Larkin!  C’est la défense des ouvriers licenciés et le refus de se soumettre au diktat de Murphy qui animent les premières revendications. Un meeting était interdit ? Les grévistes occupaient la rue et l’organisaient quand même, défiant le pouvoir, le patronat et les charges policières qui laissent derrières elles de nombreuses victimes. C’est toute la société irlandaise qui se retrouve coupée en deux selon une ligne de fracture toute nouvelle : d’un côté pour les ouvriers en grève, de l’autre pour l’ordre et William Murphy. Indépendantistes ou unionistes, catholiques ou anglicans, irlandais ou anglo-irlandais, se retrouvent dans les deux camps, entre ceux prêts à mourir pour leur cause et ceux prêts à les affamer.

D’ailleurs, le pain devient très vite le nerf de la guerre. Des comités d’aide aux grévistes, souvent animés par les femmes issues des mouvements nationalistes et féministes, comme l’actrice Maud Gonne ou Constance, « la Comtesse Rouge »,  Markievicz, organisent des soupes populaires « rouges » ou de « charité ». Des chargements de nourriture sont envoyés par les syndicats anglais. Et c’est là que l’Église catholique réveille son vieux démon : cette charité internationaliste ressemble trop à un complot pour convertir ses ouailles aux diaboliques athéisme et pire, protestantisme. Avec le projet des syndicalistes d’envoyer en Angleterre les enfants affamés de Dublin pour les sauver, la coupe est pleine ! Walsh, l’évêque de Dublin, dira : « Elles ne méritent plus le nom de mères catholiques si elles oublient leur devoir au point d’envoyer leurs enfants dans un pays étranger… » L’Église reçoit le soutien de quelques grands noms de la cause nationaliste comme Arthur Griffith, fondateur du Sinn Féin.

De l’autre côté, les artistes de l’avant-garde irlando-anglaise s’engagent généralement derrière les ouvriers, par convictions (Bernard Shaw), par intérêt et solidarité (W. B. Yeats dont le théâtre dublinois souffre de la grève), par mysticisme irlandais (George Russell qui pensait naïve- ment que dans un pays libre, le patronat aurait soutenu les ouvriers). Le dramaturge A. E. présentera avec ironie ses excuses pour les prêtres irlandais préférant des enfants affamés à Dublin plutôt que des enfants bien nourris en Angleterre. Il est vrai que ces artistes partageaient avec les grévistes le même ennemi : l’Église et son conservatisme.

Finalement, c’est l’hiver 1913-1914 et ses rigueurs qui auront raison du mouvement. Vaincus par la faim, le découragement et la violence de la campagne anti-gréviste menée par les catholiques, les travailleurs retournent à leurs postes tandis que Larkin part pour les U.S.A. La relève sera assurée par son camarade James Connolly qui allie dans un même mouvement socialisme révolutionnaire et nationa- lisme irlandais, autour de l’Irish Citizen Army (ICA), créée et armée à l’origine pour défendre les grévistes de 1913. Aux côtés des nationalistes conservateurs, Connolly dirigera l’insurrection de Pâques 1916 à l’issue sanglante. La question sociale continuellement remise à plus tard, l’église catholique, sa censure, son sexisme et son conservatisme vont régner d’une main de fer bien au-delà de l’indépendance du pays conquise en 1921. Mais peut être qu’à l’occasion du centenaire du Lock-out de 1913… ?

Notes

[1Ballad of Jim Larkin, chanson de Donagh MacDonagh, chantée par Christy Moore en 1969 puis par les Dubliners. Dans cet extrait, c’est Dieu qui envoie Jim Larkin aux travailleurs. paru dans CQFD n°112 (Juin 2013),   mis en ligne le 02/08/2013

http://cqfd-journal.org/La-grande-greve-dublinoise-de-1913

 

 

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29 août 2013 ~ 0 Commentaire

Films de Patricio Guzman, Tredrez Locquémeau, au Café Théodore

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Films de Patricio Guzmán

En 1973, neuf mois avant le coup d’Etat militaire, le jeune cinéaste Patricio Guzmán entreprend un tournage qui se révèlera sans précédent. « A l’époque, je voulais montrer les visages anonymes, les milliers de sympathisants et militants engagés dans la tourmente politique », explique-t-il. Sa caméra se mêle à l’effervescence chilienne de cette année fatidique, saisit au vif les témoignages, les réactions, et peint au final, à grand renfort de plans séquences, la lutte des classes comme une longue fuite en avant.

- 14h : L’Insurrection de la bourgeoisie, 1975, entrée 2€
- 15h30 : Le Coup d’État miliaire, 1977, entrée 2€
- 17h00 : Le Pouvoir populaire, 1979, entrée 2 € (les trois films: entrée 5€)

http://www.cafetheodore.fr/programme/

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25 août 2013 ~ 0 Commentaire

L’insurrection de Paris 1 (André Calvès)

L'insurrection de Paris 1 (André Calvès) dans Histoire st-just-et-gmoquet-a Calvès au centre

Nous sommes cinq FTP de la compagnie de la Garde. Auparavant, nous étions dans la compagnie Saint-Just, mais après l’exécution du maire de Puteaux, on nous a séparés de la compagnie pour former un groupe spécial motorisé. Nos deux bagnoles sont dans un garage près de la République. Le patron sait qui nous sommes et on ne paie pas de location. En dehors des opérations, dont le plan est apporté par le régional FTP nous passons nos journées en promenades ou à dormir et nos soirées à récupérer des armes sur des flics et des soldats allemands.

Paris est calme, peu de gens dans les rues. Des bagnoles allemandes passent de temps en temps. Il y a, pour l’instant, une guerre d’affiches. Le FN (résistance) en a  placardé de belles en couleurs. Les frisés ont répondu par de petites affiches d’avertissement. Le préfet s’est mis de la partie également et prévient que le couvre-feu est avancé. Quant au PCF, il s’empresse de demander « le respect de la propriété privée, com- merciale…et autres ». Autrement dit, le combat est limité entre les gens qui gagnent 3000 francs par mois et au-dessous. (…)

Nous arrivons au coin des boulevards St Michel et St Germain, il y a une cinquantaine de gars armés de diverses manières. Quelques-uns uns ont des fusils et le résultat, c’est une demi-douzaine de camions allemands, plus ou moins démolis. Les autres ont des révolvers 7,65mm. Ils tirent aussi quand les camions passent à toute allure, mais c’est une perte de munitions.

Près de la Seine, des flics avec des fusils mitrailleurs.

Un agent arrive en courant. Il agite un papier : « c’est la trêve ! » On s’engueule un peu. Le flic braille : « C’est un ordre ! » Guy lui répond paisi- blement « Tu nous emmerdes ! ». Un ordre de qui ? On croyait commencer la bagarre contre les gens « qui donnent des ordres » et jusqu’à preuve du contraire, on ne connaît pas de chefs dans la préfecture. Mais l’union sacrée règne. Qui se douterait qu’il y a des petites salades qui se manigancent au sein de la résistance ! On l’aurait su, n’est-ce pas, en lisant l’Humanité clandestine. Bref, on a tout de même l’impression qu’on se fout de nous. Tout le monde dit « Ce n’était pas la peine de commencer pour en suite faire une trêve permettant aux frisés de s’en aller…Ils s’en allaient bien sans cela. »

Par contre les flics sont joyeux et manifestent leur contentement en lâchant des rafales de fusil-mitrailleur ver le ciel… Façon de parler, car les rafales se logent dans les volets d’une maison, au quatrième étage et des gens apparaissent en gueulant, aux fenêtres. Les tireurs s’excusent, les autres répondent qu’il n’y a pas de quoi. Tout finit bien, il n’y a pas de contrainte. On fait l’amour ou on fait la guerre. C’est au choix.

Guy et moi décidons de rejoindre la République. Près de la Cité, au nom de la trêve, les flics relâchent un camion de militaires alle- mands. Les autos circulent avec haut-parleurs : « Trêve, trêve ! » Sur les bagnoles, il y a un flic allemand et un flic français (ça ne sera pas écrit dans l’ Histoire de France) Nous faisons trois cent mètres et un camion allemand nous double en tirant au petit bonheur sur toutes les maisons. La trêve, c’était pour rire ! Arrivés à République, les bagnoles sont parties dans le 19ème. Nous filons vers cet arrondissement et trouvons les copains entourés d’une foule enthousiaste.

Tout le monde est insurgé, ça fait drôle à voir. Les flics, les fonctionnaires de la police braillent leur joie comme tout le monde. On dirait vrai- ment qu’ils étaient opprimés ! Voilà les agents qui nous tâtaient dans le métro et qu’on désarmait le soir. Voilà les gendarmes frères de ceux qui ont conduit les copains à Chateaubriand. Ca en fait des masses de résistants.

Il y a déjà pas mal de lieutenants, de capitaines. Du moins, on entend les jeunes les appeler ainsi. Ces capitaines ont l’age mûr. Beaucoup ont l’allure d’officiers de carrière. Enfin, sur toute cette masse, il n’y a, à peu près que nous qui avons des armes. En un sens, ça fait plaisir. Chacun raconte les circonstances dans lesquelles on a pris ces engins. Non, monsieur ! Cette Sten ne nous a pas été parachutée… Pas de danger ! C’est pris aux miliciens qui héritaient plus souvent que nous des cadeaux de De Gaulle.

N’empêche qu’il y a de la gène. Tous ces derniers temps, on avait peu lu les journaux clandestins. Chacun avait la vague impression que ça barderait le jour de l’insurrection. Déjà nos autos portent de tous cotés des faucilles et des marteaux. Or tout le monde a l’air d’avoir reçu la consigne de fraterniser. Où sont donc les fascistes ? Où sont les bourgeois collaborateurs ? Où sont les larbins de l’Etat bourgeois oppresseur ?

On réalise ça difficilement. Il faut seulement lutter contre les Allemands !Il y a juste trois vieilles putains qu’on est en train de tondre sur la place de la Mairie…. Et cette mairie est occupée par les flics. Ils sont tous résistants ! Vieille habitude FTP, les copains disent « En dix minutes, on viderait la mairie de tout ses poulets. » Seulement, voilà, il faut se battre seulement contre les frisés. On a vaguement l’impression d’être volés. Le coup des putains tondues est drôlement astucieux, dans le fond ! Chaque type qui a coupé une mèche, s’imagine qu’il a effacé des années de tyrannie. Une somme formidable de colère s’efface après une bonne tonsure. Le peuple est content. Ça fait le même effet que de prendre la Bastille et ça ne gène personne ! Il y a une formule à retenir pour tous les tyrans de l’avenir ; au lieu de Suisses on emploiera des prostituées.

Première expédition :  « Attaquer un groupe d’Allemands qui assiègent une maison, rue Hautepoule. » Nos autos partent. On prend la rue en enfilade. Le temps de voir une dizaine d’Allemands  s‘effondrer et déjà nous ne sommes plus dans le prolongement de la rue.Par la suite, nous apprenons que les Allemands survivants ont criblé toutes les maisons du coin à coup de mitraillettes. Quelques gars de la compagnie Guy Moquet viennent de nous rejoindre. La compagnie Saint-Just est reformée. L’autre portion de la compagnie tient le 18 ème sous le commandement de Fenestrelle. On hérite également d’un type du PCF qui adore prendre des attitudes de général : « Telle auto ne sortira pas ! …  je le défends ! » La bagnole sort quand même, mais il est content. Il prépare son immortalité.

La barricade du Pont de Flandres demande une équipe pour ramener sept prisonniers. Guy et Yannick sont les héros de l’aventure. Un camion allemand s’est engagé en vue de la barricade. Les FTP ont ouvert le feu. Le camion a stoppé. Deux Allemands tués, un blessé. Les survivants se sont planqués derrière le camion et ont hissé un chiffon blanc. Comme Walter nous l’a raconté par la suite : «  Je m’étais fait beaucoup de chagrin pour trouver un linge dans le camion ». Guy a crié aux Allemands de marcher vers la barricade. Eux ont fait signe à Guy de venir les chercher. C’était délicat. Le premier qui montrerait son nez risquait de recevoir une balle. Celui d’en face étant, par définition, un homme capable de toutes les trahisons.

Le héros ne peut résoudre ce problème. Le révolutionnaire peut avoir une solution. C’est donc Guy qui est sorti. Il a marché tranquillement pendant les cent mètres qui le séparaient du camion. Tout le monde était inquiet pour lui, mais il faut croire que les « Frisés » voulaient tout faire pour déplaire aux futurs écrivains de la collection « Patrie ». Ils n’ont pas tiré, se sont montré et ont tendu leurs armes. Guy est revenu en tenant Walter par la taille afin que personne ne tire sur le groupe qui suivait derrière, à la file indienne. Le reste de la journée s’est passée à interroger les soldats. Walter seul parle français à peu près. Etudiant, 25 ans. Il est loin d’être communiste ; c’est un bon petit bourgeois qui n’est pas content quand on lui dit qu’on va embrasser sa femme avant lui.

Tout le monde vient contempler les Allemands avec ravissement. Pour la première fois, chacun peut engueuler librement la Wehrmacht. D’ailleurs, la plupart des engueulades consistent en « tu vois bien que les Rouges ne sont pas des sauvages ! Katyn…propagande ! » Un tas de gens viennent contempler les prisonniers. Ils crient plus que nous, mais comme ils n’ont pas participé à la prise, on les vide. Pour les Allemands aussi, nous sommes un sujet d’étonnement. On dirait des sauvages autour d’un phonographe. Ils s’inquiètent, nous regardent, nous voient rire, sourient un peu, s’inquiètent encore, puis rient enfin. Les terroristes ne mordent pas. Il n’y pas de quoi se moquer. Ils ne sont pas les seuls à avoir cru à l’homme au couteau entre les dents.

Walter était étonné de voir des communistes qui ne massacrent pas les prisonniers.

Il s’habitua très vite à cela et à penser que les Rouges étaient des hommes comme lui. Mais au début il fut surpris. Walter est tout à fait petit bourgeois, il ressemble comme deux gouttes d’eau aux braves gens qui lisent « Le Figaro » et qui le traiterait de « sale Bôche », lui, leur frère jumeau. Oui Walter comprit vite ! Souvent, je l’ai observé. Quand les FTP ramenaient un prisonnier, le nouveau restait silencieux pendant quelques temps puis commençait à engueuler Walter et les autres. Je ne comprenais pas les paroles, mais il était facile de deviner que le nouveau était fâché de voir les autres prisonniers parler amicalement aux FTP. Walter répondait, prenait des témoins. J’entendais « Arbeiter » « Communiste » puis Walter venait serrer la main d’un FTP sous les yeux du nouveau…ahuri ! Il m’était facile de saisir la conversation, sans doute parce que j’ai souvent eu des propos semblables à tenir à des Français dans le 19ème.

Bien entendu, la vie que nous menons est tout à fait désordonnée. Il y a bien une salle pour les prisonniers, il y a bien une garde désignée. Mais la salle des Allemands est toujours pleine de FTP qui fument, dorment ou discutent avec Walter en attendant le signal de courir aux autos. Nous devons attaquer des Allemands qui sont dans une entrée de métro, près de Jaurès. Il y en a une dizaine, d’après le rapport. Les deux bagnoles partent. On passe près de l’endroit indiqué. Rien en vue. Puis, pan, pan, pan, les frisés nous ont vus. On fait demi tour et on revient par une autre avenue.

Au moment opportun, Jo aperçoit un convoi d’une dizaine de camions allemands, avec des mitrailleuses sur les toits des véhicules. Ce convoi roule vers la place. Nous avons juste le temps de faire un crochet et on entend les mitrailleuses. Au bout de 10 minutes, l’auto de Gilbert nous rejoint. Elle est criblée. Les copains ont descendu les Allemands du métro, mais ils n’ont pas entendu le convoi qui a ouvert le feu.

Une mitraillette a été arrachée des mains de Guy par une balle, puis un joli 7,65mm que j’avais récupéré Porte d’Orléans. Guy a eu de la chance, mais Gilbert a été blessé à la tête, superficiellement, heureusement.. Il conduit en regardant la cime des arbres de l’Avenue. S’il avait gardé la tête droite, il n’en aurait plus. Devant la mairie, la foule s’est assemblée et contemple la voiture percée. Gilbert en oublie sa blessure et nous trouvons là une belle occasion pour demander aux flics, pour la énième fois : « Qu’est-ce que vous foutez ? » Qu’est-ce qu’ils foutent ? Ils ont trouvé une activité. Ils procèdent aux arrestations de collabos. Ils les interrogent. Un milicien vient d’être arrêté par une patrouille de FFI. Il avait tué quatre personne en tirant de sa fenêtre. Ce que je peux affirmer, c’est qu’il a une gaine de révolver à sa ceinture.

La patrouille de FFI le confie aux flics qui constituent dans la mairie un petit tribunal. Nous venons jeter un coup d’œil, curieux. Le jugement est rapide. Le type avoue avoir été dans la milice puis dans les SS. Il était brun, mais s’est fait teindre en roux au moment de l’insurrection. Il nie avoir tiré de sa fenêtre. Un flic lui donne quelques coups de poing. Il nie toujours. Un autre agent lui dit : « Salaud, tu mérites douze balles », puis nous apercevant, le flic ajoute « tenez les FTP, si vous voulez descendre ce fasciste, embarquez le. » Nous ne nous attardons pas à faire remarquer aux agents leurs délicates façons de se dérober lorsqu’il faut commettre un acte en dehors de la légalité. On emmène le type. Devant la mairie, une foule de trois ou quatre cent personnes gueule « fusillez le devant la poste ! »

Je voudrais le fusiller dans la cour car la vue de cette foule n’est pas très sympathique à observer. Guy pense au contraire que la question du sadisme des gens, c’est un détail. Il faut fusiller le gars en public. Ce sera une petite revanche pour tout ceux qui ont perdu des amis et des copains sous les balles nazies et dans les camps de concentration. Or il y a beaucoup de ces gens là dans cette foule qui hurle. Aussi, il ne faut pas faire de théories inutiles sur le « sadisme ». Il me semble que Guy a raison. Le milicien a assisté à toute notre conversation. Il se met à gueuler aussi en voyant que cinq FTP forment un peloton. Il me donne tous les noms « Capitaine », « Commissaire », « Commandant, vous n’allez pas me tuer comme cela, etc. » J’essaie de le raisonner, en lui disant d’être un peu sérieux et de nous faciliter la tâche. C’est une situation empoisonnante car le type ne veux rien entendre, naturellement, et s’accroche à moi comme un coquillage sur une roche. Jo s’approche et lui tire une balle de révolver en pleine poitrine. Il me lâche et je recule de quelques pas juste avant que le peloton tire. Mais le fasciste s’écroulait déjà et il reçoit la rafale en plein crâne. Le spectacle est plutôt dégoûtant. Les brancardiers se dépêchent d’emporter le corps pendant que la foule applaudit et se disperse. Brantonne devient pale et fait demi-tour en rentrant dans la poste. C’est bien vrai que les circonstances d’une mort sont plus impressionnantes que la mort elle-même. Ce crâne ouvert faisait vraiment un drôle d’effet.

Interrogatoires de Fascistes Le premier est un capitaine de la milice du RNP. Il ment, il pleurniche. Aucun des types qu’on interroge ne montre la moindre dignité. Quand on pense aux camarades fusillés par les nazis, on méprise drôlement ces nazis. Le capitaine du RNP prétend ne connaître aucun milicien. Je l’interroge poliment, mais il faut que je passe l’interrogatoire à Jim. Jim obtient des noms à coups de poing, de pieds, de tête. Le RNP s’est écroulé en marmelade. Il m’est impossible de faire ce travail, mais il faut qu’il soit fait. Jim aime assez cette besogne car il a reçu lui-même un bon passage à tabac sous le régime de Pétain. Comme il a la carrure et les connaissances d’un boxeur, il fait du punching-ball avec les collaborateurs et il obtient toujours beaucoup de renseignements…

Un copain a déniché une vieille mitrailleuse en morceaux. C’est Schneider qui est chargé de la remettre en état. Schneider est un Allemand émigré, volontaire en 1939 dans la légion étrangère, puis mobilisé par Hitler en 1942. Il est venu se rendre en civil et parle français. Malgré toute sa bonne volonté, il n’arrive pas à monter l’engin, il manque trop de pièces. C’est dommage, car ça serait très pratique au coin de la rue Laumière et de l’avenue Jean Jaurès, où les Allemands passent fréquemment. Ils ont même une certaine audace.

Des agents viennent nous chercher parce que quelques Allemands sont en train de barboter une conduite intérieure de la police à 150 mètres de la mairie. Les flics ont toujours du toupet ! Enfin, on y va. Les Allemands disposent de fusils et nous en avons peu, hélas. Guy et Jo foncent en sautant, si on peut dire, d’arbre en arbre. Ils se planquent à quinze mètres de l’auto derrière une bicoque en planche qui est vite transformée en écumoire par les Allemands. Les copains ripostent, les frisés se retirent avec un ou deux blessés, mais l’auto a pris un bon coup et je doute qu’elle soit encore très utilisable.Nous regagnons notre poste et on transfère tout le matériel dans l’immeuble HPC, à deux pas de là, car la poste fait déjà ses préparatifs en vue de refonctionner. Les postiers tiennent des réunions fréquentes et tous sont fidèles au poste ! Il y a une certaine mentalité qui se développe : tout va être fini, il n’y a plus besoin de s’en faire.

A plusieurs reprises, nous demandons aux responsables du PC, du FN, de la municipalité, etc, de faire construire une barricade avenue Jean Jaurès. Mais personne ne se décide. Les copains, ahuris de voir les agents dévorer des sandwichs au beurre à la porte de la mairie, m’envoient trouver le maire. Je gueule un peu fort et le maire (communiste) me répond que nous sommes des soldats, nous devons être disciplinés, etc, etc. Il se garde de répondre sur la question et je m’en vais sans résultat. Voilà un défaut FTP : nous ne sommes pas à l’aise dans une mairie. On se bat et on voit tout un tas de gens qui s’installent et qui parlent en maîtres. On a des révolvers et eux ont des cachets et des circulaires. Et ce sont eux les rois en fin de compte.

Je rejoins les copains qui sont plutôt furibonds, d’autant plus que le bruit court que deux fûts de vin sont arrivés au poste de police. On va se consoler en discutant avec nos prisonniers. On a vaguement l’idée qu’on est les poires de l’histoire, et ça fait du bien de retrouver nos Allemands. On est entre poires !

http://andre-calves.org/ecrits%201.htm

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25 août 2013 ~ 0 Commentaire

L’insurrection de Paris 2 (André Calvès)

L’insurrection de Paris 2 (André Calvès) dans Histoire st-just-et-gmoquet-2

Il y a un coiffeur viennois qui m’a demandé sérieusement « Christian, je voudrais m’enrôler dans les FFI. » Moi je veux bien mais ça ferait un scandale avec tous les chauvins qui se pavanent en ce moment. Deux grands Géorgiens ne parlaient presque jamais. Ils devaient être volontaires dans l’armée allemande, car un jour nous avons eu la visite d’un FTP, prisonnier soviétique évadé, et ce dernier a engueulé nos deux géorgiens d’une façon soignée.

On a un petit vieux, infirmier allemand. Il est envoyé à Jaurès pour parlementer avec les soldats retranchés dans le coin. Le petit vieux revient avec un FFI. Il s’était perdu et c’est lui qui a demandé au FFI de le reconduire à notre poste ! Le petit vieux ne se casse d’ailleurs pas la tête ; il ne réalise pas bien qu’il est prisonnier. J’ai déjà fait le grand sacrifice d’aller lui acheter une pipe dans un bureau de tabac ouvert par hasard. A présent, il veut un jeu de cartes. On n’en trouve pas. Il me harcèle et prend tous les FTP à témoin que je ne veux pas lui donner de cartes. Il est tellement embêtant que je lui braille à l’oreille « toi, prisonnier ! Gefangen ! » Il sourit béatement et répond dans un jargon franco-allemand : « Ja, ja, gefangen. Cartes, Christian ! »

La bande de prisonniers augmente. Il y a enfin un qui a été dans le PC allemand, c’est un vieux mineur de la Ruhr. Il parle peu et ne sait pas un mot de français. De temps en temps, je l’entreprends : « Luxembourg, Liebknecht, etc. » Il me répond mais tout ce que je crois saisir, c’est qu’il accuse les sociaux-démocrates d’être responsables du triomphe de Hitler.

Guy avait un fusil Mauser et un pistolet de 9 mm pris sur des frisés au pont de Flandres. Un type lui a barboté ses armes pendant qu’il dormait. Il en est furibard pour toute la journée. Aussi, à présent, nous ne recevons que les FTP à notre siège. L’entrée est gardée, mais à l’intérieur, il y a une sympathique pagaille. Dans la salle des prisonniers, Nono est de garde avec un autre copain. Ils dorment paisiblement sur une table et c’est Walter qui surveille les mitraillettes afin qu’aucun intrus ne vienne les prendre. Ca ne sera marqué dans aucun livre d’Histoire de France, mais c’est pourtant une vérité que tous les FTP du 19ème peuvent affirmer.

Il n’y a qu’avec nos prisonniers qu’on est sûrs de ne pas voir nos armes disparaître. Pendant toute l’insurrection, ils auraient pu se rendre maîtres de notre poste comme ils l’auraient voulu. Au fond, ils l’auraient peut-être fait s’ils avaient eu l’impression d’être prisonniers ; mais tout le monde mangeait la même soupe, tout le monde bavardait en famille. C’est difficile d’expliquer ce qu’on éprouvait, mais Walter et les autres devaient ressentir la même chose. Pourquoi auraient-ils sauté sur nous pour prendre nos armes puisqu’on leur prêtait tout notre attirail quand il leur prenait la fantaisie de voir comment on démonte une mitraillette Sten ou un autre engin.

En réalité, on état tous contents d’être débarrassés des SS ; et encore, les prisonniers étaient en un sens, plus avantagés que nous. Car nous, on voyait nos SS en herbe grandir sous forme de flics qui commençaient petit à petit, à ouvrir la bouche de nouveau.

Alerte ! On fonce boulevard Jean Jaurès. Des camions et des autos allemandes arrivent. Tous les braves gens qui font la queue aux bou- tiques se planquent en vitesse, la fusillade éclate. Une auto passe. Un copain lance une grenade allemande. Pas de chance c’est une fumigène. L’auto file cachée par la fumée.. Les autres bagnoles stoppent et les Allemands en descendent à toute vitesse. Ils vont dans des entrées et tirent à leur tour. Après une « accalmie », je pousse une pointe au coin de la rue, juste pour me trouver nez à nez avec un frisé qui regarde les fenêtres des maisons avec méfiance. C’est une rencontre assez comique au fond ! Nez à nez. Je tire en éclatant de rire. Il me regarde et se plie en deux. Par malchance, il n’y pas moyen d’aller jusqu’à lui pour prendre son fusil puis qu’il est dans l’angle de tir de ses copains. Drôle de chose, la guerre, qui l’a placé à ce coin et moi à celui-ci. Tout commence là. A partir de ce moment, il fallait qu’un de nous deux tire.

Nous filons et faisons le tour d’un pâté de maison. A plat ventre sur le pont, on fait des cartons tranquillement sur les Allemands qui, planqués dans les entrées, ne sont pas protégés de notre côté. On se crie les coups réussis. Un camion allemand passe à toute vitesse. Du haut du pont, on lâche les rafales de mitraillettes à 6 mètres, et tout le monde éclate de rire en voyant les derrières en l’air et les bottes qui dépassent du camion. Le petit jeu continue un certain temps. Seul, un copain est blessé. C’est un peu la balle au chasseur. De certaines fenêtres, des gens nous font signe pour nous prévenir quand des Allemands avancent en rasant les murs. On gagne à tous les coups ! Mais des autos blindées ou des tanks sont signalés, on a juste le temps d’évacuer le pont et on entend les canons. On sent que les frisés sont de mauvaise humeur et qu’ils passent en force.

Trop pour nous et le terrain ne prête pas au lancer de cocktails Molotov. On se replie dans les petites rues voisines. Pas de pour- suite, les Allemands doivent ramasser leurs blessés et les blindés s’éloignent. Il faudrait des barricades avenue Jean Jaurès ! Jo nous emmène dans un petit bistrot sympa. Il serait capable d’en dénicher un au Sahara. Il y a de l’apéritif. On a emmené deux postiers avec nous. Tout le monde est vite un peu gris. Tout le monde est heureux. Ça fait un peu fête foraine ! On revient au poste et Nono affirme à Walter qu’il embras- sera sa femme de sa part. Walter fait de la morale et répète son refrain « je ne suis pas content ! » Sur ces entrefaites, une bagnole doit partir en patrouille du coté de belleville. Jo conduit, trois FTP et un postier embarquent.

Une heure après, on reçoit un coup de téléphone. Il y a eu un accident. Une autre auto part et ramène les copains. Jo a reçu une balle dans le bras. Ce doit être un milicien qui a tiré, c’est du 7,65 mm. Naturellement l’auto roulait à 80 kilomètre heure. Elle a fait une ou deux pirouettes. Enfin, il n’y a pas d’autre blessés, mais le postier a deux belles bosses sur la tête et ne peut plus mettre son képi. Tout le monde en rit et on oublie la pauvre bagnole qui doit servir à consolider une barricade. Jo est soigné à la Croix-Rouge, puis dans un hôpital. Ce n’est pas grave. Il gardera une belle cicatrice en souvenir. A présent il y a un mélange de toutes les anciennes compagnies FTP dans le 19ème. Il y en a de la Cie de la Garde, de la St-Just, de la Guy Moquet et de la Marseillaise. Les deux FTP les plus hargneux envers nos prisonniers, les deux super nationalistes, ne sont pas français, mais Hongrois. On voit souvent des choses bizarres comme cela.

Un groupe de camions allemands est signalé avenue Jean Jaurès. FFI et FTP ouvrent le feu au fusil et à la mitrailleuse. Le camion stoppe et arrête une voiture ambulance française. Dix membres de la Croix-Rouge tombent aux mains des Allemands. Ceux-ci sont des SS. Ils envoient un infirmier en parlementaire au coin d’une rue. « Si on continue à tirer sur le convoi, les infirmiers seront fusillés ! » La nouvelle arrive jusqu’à la mairie. La colère saisit tout le monde et un responsable FFI vient à notre poste demander qu’on utilise nos prisonniers. Un tas de braves gens vient deverser leur rancœur dans notre sein. « Vous pensez, des infirmiers ! »

On discute trois minutes. Au fond, le coup est régulier, et on en ferait autant le cas échéant. Par contre, puisque c’est la bagarre, il est aussi régulier qu’on réponde de la même façon.. Aussi, nous décidons de lier deux prisonniers à l’avant de nos autos et d’aller à la rencontre du convoi allemand. L’affaire est expliquée à Walter. Il nous faut des volontaires, sinon on en désignera d’office. Grand silence dans la salle. Walter fait un petit laïus, tout en me glissant que ça ne changera pas grand chose à la situation puisque les SS se foutent éperdument d’eux. Mais nous n’y pouvons rien nous mêmes. Il n’y a pas à sortir de là. C’est une drôle de situation, mais puisqu’elle existe, il nous faut agir ainsi. Les prisonniers parlent entre eux. Je suppose que c’est la classique discussion qu’on trouve dans les romans : « Toi, tu as des gosses, reste. Non, tu as une vieille mère, etc. »

Un sergent et un employé des chemins de fer sortent des rangs. Nous les attachons derrière les phares des tractions. Ils n’ont pas l’air gais. Tout se passe en silence. L’employé des chemins de fer avait été fait prisonnier par Gilbert et des copains au tunnel de Belleville-Villette. Il me demande de dire à son camarade d’expliquer tout cela chez lui plus tard. J’essaie de le rassurer en lui disant qu’en aucun cas on ne le tuera. Il réplique « je sais , Christian, mais les SS tireront sur nous aussi ! »

A cet instant des flics passent avec un officier allemand prisonnier. Les FTP se précipitent. Il faut attacher l’officier aussi ! Les agents protestent « les lois de la guerre interdisent de se servir d’un officier comme otage ! » Ça c’est le comble ! Au plus fort de son indignation, un des notre s’assoit sur le trottoir : »les lois de la guerre sont faite contre les pauvres ! eh bien, pour une fois, on fait la guerre contre ces lois aussi ! » Chacun sort quelques gentillesses à l’égard de la police qui se garde d’insister et nous laisse l’officier allemand.

Lui est deux fois plus pâle que les autres prisonniers. Je ne dis pas cela avec parti pris, tous les copains en ont fait la remarque. Il est ligoté en deux temps trois mouvements. Toute cette tragédie n’a servi à rien. On vient de nous apprendre que les responsables FFI ont fait un accord avec les SS qui se sont engagés à libérer les sanitaires à Pantin. En outre, il nous faut filer dans le 20ème. Nous délions les prisonniers et nous partons après avoir laissé Jim à la garde. Il a pour consigne d’empêcher les flics de venir prendre les prisonniers, même s’il doit tirer. Jim est ravi !

Quand nous revenons, Jim est toujours devant la porte avec sa mitraillette. Des agents sont venus, ils ont demandé à voir les prisonniers. Jim, tout heureux a répondu qu’il allait lâcher une rafale et que ça lui ferait beaucoup plus de plaisir que de tirer sur les frisés et les agents ont vite fait demi-tour en maugréant que les FTP sont des énergumènes ! Il faut dire un mot sur Jim. C’est un FTP qui a fait ses débuts dans le Nord. Il est assez truand à ses moments perdus et manque assez d’imagination. Au cours de l’insurrection, il a donné une terrible correction à un collaborateur yougoslave parce que ce dernier avait dit qu’il était un fils de Tito. J’ai du expliquer à Jim que c’était une expression comme « enfant de France », mais Jim est toujours convaincu que le Yougoslave voulait se moquer de lui.

Il n’a pas une grande formation politique et est « anti-boche » à bloc. Ainsi, il n’a jamais fait une récupération d’arme sans descendre l’Allemand, pourtant, il parle allemand. Je ne me suis jamais expliqué cela.. Exemple : Jardin des Plantes, il a tué l’Allemand d’abord puis a dit « haut les mains ». C’est sans doute la nervosité… Par contre, comme il est un prolo malgré tout, il est très capable de donner un verre de vin et du tabac à un prisonnier, après l’avoir engueulé longuement, tandis qu’il préfèrerait mourir dix fois que d’offrir une cigarette à un flic. Jim peut engueuler 10 minutes un prisonnier, mais s’il découvre qu’il a été matelot, Jim est capable de parler avec cet Allemand, avec ce matelot, pendant deux heures de sa profession, des ports étrangers, de ces salauds d’armateurs ou de ces vaches de sakos, puis Jim et le prisonnier fument une cigarette ensemble.

Mais Jim est incapable de parler pendant une heure avec un garde mobile sauf pour le traiter d’ordure. Jim est incapable de parler pendant une heure avec un collabo, même un de ceux dont monsieur De Gaulle dit que « ce sont des français qui se sont trompés. » Jim n’est pas de cet avis et comme il est nerveux, il y a un capitaine de la milice du RNP qui en garde un souvenir cuisant dans le 19ème. Et n’en déplaise aux chauvins, il y avait une majorité de FTP qui pensaient comme Jim dans nos compagnies. Le soir du fameux incident avec les SS, Walter a tenu une petite réunion avec les prisonniers. Puis il a rédigé une lettre que tous les prisonniers ont signé.

Voici le texte à peu près :

Adresse au général commandant le Grand Paris ; Nous, soldats de la Wehrmacht, faits prisonniers dans Paris (19ème arrondissement) par les francs tireurs Partisans, déclarons que nous avons été bien traités par les FTP qui ont partagé leur nourriture avec nous et nous ont consi- déré sans haine. Nous réprouvons les méthodes sauvages des SS qui dans la journée du … ont pris des otages parmi les infirmiers français contre tout droit. Les signatures suivent

Cette lettre nous fut remise. Les évènements qui se précipitèrent, empêchèrent qu’elle soit remise à son destinataire. Mais je dois insister sur un point. Quand elle fut écrite et signée, les prisonniers et nous même pouvions encore entendre les tanks allemands qui passaient avenue Jean Jaurès, à cent cinquante mètres de là. Des nazis allemands ou des chauvins français peuvent mettre ces faits en doute et laisser entendre que cette lettre fut écrite sous notre pression. La réalité, c’est que cette lettre fut écrite sous l’initiative entière des prisonniers eux-mêmes.

Tous les copains FTP peuvent en témoigner. Guy Dramard, sous lieutenant à l’armée delattre. Jo, chauffeur à Paris ; Gilbert, sous lieutenant à Paris ; Bébert ; J.Bilcock, soldat chez Delattre ; Jim et tant d’autres. Tous les copains FTP dans le 19ème peuvent même témoigner de choses qui déroutent les conceptions d’un bon bourgeois ou d’un bon militaire de carrière. Par exemple, ce qui suit :

Pendant l’insurrection, beaucoup de jeunes manquaient d’armes. Notre compagnie FTP disposait du meilleur armement de l’arron- dissement, pour la simple raison que nous n’avions pas attendu l’insurrection de Paris pour récupérer des armes sur les Allemands. Des jeunes venaient souvent se promener dans notre QG et le résultat fut qu’une fois un pistolet et un fusil appartenant à Guy disparurent. Aussi le soir, quand nous revenions morts de fatigue, chacun s’allongeait n’importe ou. Les deux gars qui étaient chargés de surveiller les prisonniers s’en- dormaient au milieu d’eux. Les mitraillettes étaient sur la table. Et c’est Walter ou un autre soldat qui veillait à ce qu’aucun jeune ne vienne les barboter. Je suis loin de vouloir dire qu’un prisonnier allemand ne cherche jamais à tuer son gardien et à s’enfuir. C’est même normal de la part d’un prisonnier. Mais je constate ce qui fut. Aucun de nous n’a été assassiné !

reuilly dans Histoire

Direction Reuilly, André Calvès, celui qui cause à droite

L’insurrection terminée, nous avons été chargés de conduire nos prisonniers à la caserne de Reuilly. Ce fut un long trajet à pied à travers Paris. Bien entendu le défilé était réglementaire. Les prisonniers en rangs, les FTP, armes au poing sur les cotés. La foule était massée et huait les soldats allemands. Toutes les injures y passaient. Je pensais aux misères du peuple pendant quatre ans, à tous les fusillés, aux millions de déportés. Il y avait sûrement sur les trottoirs des parents de fusillés et d’emprisonnés. Oui, une grande colère s’était accumulée pendant la terreur nazie. Aujourd’hui, la colère éclatait. C’était fatal, juste et nécessaire. Seulement voilà, cette colère éclatait contre un mineur de la Ruhr, un coiffeur viennois, un étudiant en médecine, etc. Monsieur Rudolf Hess, bien au chaud en Angleterre, n’entendait pas tout cela. Or, en supposant que l’étudiant ait sa part de responsabilité dans les activités nazies, cette part n’égalait tout de même pas celle d’un chef du parti des bourreaux nazis, d’un des principaux fondateurs des SS.

Et pourtant, c’est Walter qui encaissait pour Rudolf Hess. De même que si les opprimés d’Europe laissent dans l’avenir leur colère être dirigée par les nationalistes et les bourgeois de chez nous, c’est encore le lampiste allemand qui pâtira à la place de Krupp, de Hitler et de leurs associés de France, d’Angleterre et d’ailleurs. Walter comprenait le français ; les autres prisonniers devinaient. Ils étaient pâles. De temps en temps, je m’approchais de Walter pour lui dire qu’on allait bientôt arriver. Il me souriait un peu et me répétait chaque fois : « Ça ne fait rien Christian, c’est normal ». Guy et les autres s’énervaient de temps en temps et lançaient à la foule « y en avait pas tant sur les barricades ! »

Bref, tout le monde fut content en arrivant à Reuilly. Je ne me souviens pas de ce que j’ai eu à faire cette première journée, mais quand je suis arrivé dans la chambrée, le soir, il y avait quelques cuites. Dans la chambrée des prisonniers, tout le monde dormait. Mais Walter était dans celle des FTP. Jo et deux autres FTP avaient fait boire Walter et lui avaient appris quelques mots d’argot inédits. Tous les quatre étaient complètement gris, et Walter me disait d’un air ravi, avec un petit accent « la vie, c’est des conneries ! »

Le lendemain, on nous enleva nos prisonniers. Un ordre d’un commandant (les grades naquirent !) nous les enlevait. On se quitta avec de grands serrement de mains, échanges d’adresses, chants de « marchons au pas, camarades », et de « l’Internationale ! » Walter resta un peu avec nous. On lui proposa de le faire évader. C’était tentant, mais il tenait trop à revoir sa femme et sa famille et, après avoir hésité, il refusa, pensant que la guerre finirait vite, et qu’il pourrait rentre chez lui plus vite et plus régulièrement en restant prisonnier.

Nous revîmes parfois nos prisonniers. Leurs bottes leur avaient été enlevées et ils travaillaient pieds nus ou dans des bouts de chiffons. Bien entendu, ça n’est jamais ceux qui font des prisonniers qui les traitent ainsi. En voyant cela, les FTP furent scandalisés. Il y a eu de grandes engueulades entre soldats dans la cour de la caserne. Puis la vie de tous les jours nous reprit.

Le deuxième groupe de la Saint-Just qui avait pour chef Fenestrelle et qui avait fait l’insurrection dans le 18ème arriva à la caserne. Mais eux, plus audacieux que nous, avaient donné un costume civil à un de leur prisonniers, et il faisait l’armurier de la compagnie. Et sans papier du responsable de la compagnie, l’armurier ne donnait aucun fusil, aucun révolver, aucune cartouche, service, service. Je ris encore quand je pense à la tête qu’aurait fait le colonel s’il avait su que c’était un prisonnier de guerre qui détenait la clef du magasin d’arme de la deuxième de la Saint-Just.

Petit à petit, des parties d’uniformes arrivèrent. Je fus nommé lieutenant et, par hasard, je passais un jour dans la cour devant un de nos prisonniers. Celui qui pendant l’insurrection, nous avait appris à nous servir du Coup de poing anti-char. Il regarda mon grade d’un air étonné, d’un air de se demander ce que des révolutionnaires communistes du 19ème faisaient dans des tenues d’officiers. Ce regard me donna l’impression que ce n’était pas seulement les Allemands qui étaient entrés prisonniers dans la caserne de Reuilly, mais aussi les FTP. Enfin, il y avait encore une ambiance populaire. Ce n’était pas tout de même l’armée d’avant.

Puis un mess d’officier fut constitué. Les vieux copains FTP qui étaient soldats n’avaient pas le droit d’y entrer. Puis des gendarmes, de ces gendarmes qui nous fouillaient dans les rues un mois avant, vinrent nous faire passer des visites. Et enfin, les camions arrivèrent. La deuxième compagnie embarqua pour la Lorraine, pour la guerre… comme les autres guerres.

http://andre-calves.org/resistance/L_insurection%20de%20Paris.htm

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25 août 2013 ~ 0 Commentaire

28 août 1963, Martin Luther King, un combat toujours actuel (lcr.be)

28 août 1963, Martin Luther King, un combat toujours actuel (lcr.be) dans Histoire revolution_67

« I have a dream«   discours  de Martin Luther King, a été prononcé le 28 août 1963, devant le Lincoln Memorial, à Washington D.C.

Le 4 avril 1968, Martin Luther King, leader du mouvement pour l’émancipation des Noirs aux Etats-Unis, était assassiné à Memphis. Trente ans plus tard il reste, tout comme Malcolm X, l’un des principaux symboles de cette lutte, toujours actuelle.

Le 1er décembre 1955, dans l’Alabama, une femme noire (Rosa Parks) refuse, comme le règlement l’y oblige, de céder sa place à un Blanc dans un autobus bondé. Elle est immédiatement arrêtée. Le 5 décembre, un dirigeant syndical noir décide d’organiser le boycott des transports en commun: un long combat s’engage qui, malgré la terreur exercée par le Ku-Klux-Klan, se soldera par la victoire. Au cours de ce combat, une personnalité se dégage: le pasteur Martin Luther King, alors âgé de 26 ans. C’est lui qui imprimera désormais sa marque au mouvement pour les droits civiques.

D’origine bourgeoise, brillant intellectuel ayant lu Gandhi, Hegel et Marx ainsi que des auteurs libertaires, doté d’un charisme, d’une force oratoire et d’un caractère qui en font bien vite un leader des masses, il généralisera l’expérience de l’Alabama: la résis- tance active non-violente. Un vaste mouvement de lutte contre toutes les formes de ségrégation s’étend dans tout le pays: boycott de maga- sins et de restaurants refusant de servir les Noirs, sit-in dans les écoles, universités, bibliothèques, parcs et piscines non-mixtes, marches de masse, pétitions, etc. L’écho de King ne cesse de croître dans une communauté où il s’oppose au courant petit-bourgeois (aux méthodes strictement légalistes et aux objectifs gradualistes).

Victoires Loin de l’image d’Epinal traditionnellement véhiculée, King n’était pour autant pas un pacifiste: « Sa non-violence n’est pas une méthode de lâcheté, mais de militantisme. Elle est au plus haut degré active et non passive (…). Ce qui le détermine à être ‘non-violent’, c’est, avant tout, un mobile d’ordre tactique. (…) » (1). Pour lui, la lutte violente est non-rentable car la minorité noire (19 millions) est désarmée face à la violence officielle et privée. De plus, la violence risque de retourner une grande partie de l’opinion publique blanche indignée par la violence raciste.

En mobilisant de larges masses, en prônant l’action collective et immédiate et en obtenant le soutien d’une part de plus en plus large de l’opinion publique blanche, King obtient des résultats, notamment après la Marche des Noirs sur Washington avec 250.000 participants. En 1964, le Congrès supprime toute forme de ségrégation dans les lieux publics et protège le droit de vote des Noirs. Les discriminations à l’embauche sont abolies. En 1965, de nouvelles lois abrogent les derniers vestiges de la ségrégation raciale légale: 100 ans après l’abolition de l’esclavage!

Oppression et exploitation C’est la fin d’une étape dans la lutte pour l’émancipation. Car, si dans la loi l’inégalité est supprimée, dans la réalité sociale, les Noirs, majoritairement prolétaires, sont la catégorie nationale la plus opprimée et exploitée du capitalisme américain. En 1963, 5 fois plus de Noirs que de Blancs logent dans des taudis. En moyenne, leur espérance de vie est inférieure de 7 ans à celle des Blancs. Les écarts de revenus s’accroissent: si le salaire moyen d’un travailleur noir était de 62% de celui d’un blanc en 1952, il est, 10 ans plus tard, de 55%! Le chômage fait des ravages: l’accélération du progrès technique a massivement éliminé les emplois manuels peu qualifiés dans l’industrie et l’agriculture et ce alors que les travailleurs noirs sont à 80% des ouvriers non spécialisés. Le chômage touche ainsi 14% des Noirs alors qu’il n’atteint pas 6% chez les Blancs. (2)

Face à une situation sociale désastreuse qui empire, la tactique de King et son aura perdent de leur attraction, surtout dans la jeunesse noire des ghettos urbains. S’il est conscient des bases sociales et économiques de l’oppression des Noirs, il ne saura pas apporter de nouvelles réponses, de nouvelles formes de lutte, plus radicales, à la jeune génération. Cette dernière n’attend d’ailleurs pas et se révolte à partir de 1965. Cette année-là, une véritable insurrection éclate dans le quartier de Watt à Los Angeles: incendies, barricades… Bilan: 34 morts, 1.071 blessés, 400 arrestations. En 1966 40 villes sont touchées par ces révoltes et le chiffre passe à 164 en 1967 ! A Détroit, il aura fallu l’intervention de 4.700 parachutistes pour rétablir « l’ordre ». (3)

L’année 1965 est également celle de l’assassinat du leader Malcolm X. Issu du mouvement séparatiste noir des Black Muslims, il avait rompu avec ces derniers et s’orientait de plus en plus vers une ligne de classe anticapitaliste et internationaliste. X s’opposait sur de nom- breux points au King, notamment sur la violence, qu’il jugeait légitime en tant qu’acte de nécessaire défense, il devenait ainsi rapidement, au détriment de King, la nouvelle figure emblématique de la communauté noire radicalisée. Ce qui explique sans aucun doute son élimination. (4)

Dans ce climat, Luther King va orienter son discours sur la contestation sociale. Il dénonce publiquement la coûteuse et san- glante guerre du Vietnam où les jeunes conscrits noirs sont en nombre proportionnellement plus élevé que les blancs. Avant sa mort, il pro- jette une nouvelle marche sur Washington sur le thème de la pauvreté. Le 28 mars 1968, il défile à la tête d’une manifestation de grévistes éboueurs noirs. Le 4 avril, alors âgé de 39 ans, il est assassiné. Sa mort provoque une nouvelle vague de révolte qui touche 150 villes dans tout le pays. Pour tenter de calmer la situation, le gouvernement décrète un deuil national le 9 avril pour l’enterrement du pasteur: 100.000 per- sonnes participent.

Tout comme pour Malcolm X, son assassinat reste « énigmatique ». Rapidement arrêté, le meurtrier passe aux aveux et plaide cou- pable ce qui empêche, selon la procédure américaine, la tenue d’un procès. Les autorités ne chercheront donc pas à connaître les motivations du criminel ni s’il s’agissait d’un complot ou d’un acte isolé. Aujourd’hui, le meurtrier clame son innocence. Le rôle du FBI, tout comme dans le meurtre de Malcolm X, est pourtant plus que douteux. De 1963 à 1968, King est sous surveillance constante, des pressions s’exercent, dont une lettre « anonyme », fabriquée par le FBI, et qui tente de le pousser au suicide (5). Une fois de plus, la question reste: à qui profite le crime?

Aujourd’hui, la situation des Noirs américains reste désastreuse: 30% des familles noires vivent sous le seuil de pauvreté, l’espé- rance de vie est inférieure de 6 ans à celle des Blancs (6). Le taux de mortalité infantile, qui n’est que de 8 pour 1000 chez les Blancs, atteint les 19 pour mille chez les Noirs. Le taux de chômage des jeunes noirs s’élève au double (28%) de celui des jeunes blancs! (7)

« Ni l’intégrationnisme, ni le séparatisme (…) ne détiennent la solution définitive du problème noir américain. Il y faudrait rien moins qu’une mutation révolutionnaire totale de la société américaine, c’est-à-dire tout à la fois raciale, sociale, économique, politique et internationale. Cette mutation, les hommes de couleur, livrés à leurs seules forces, pourraient, sans aucun doute, l’amorcer. Mais pour la mener à terme, il leur faudrait réussir à entraîner les travailleurs blancs » (8).

Par Ataulfo Riera le Samedi, 15 Juillet 2000 La Gauche n°7, 17 avril 1998

http://www.lcr-lagauche.be/cm/index.php?option=com_content&view=article&id=583:martin-luther-king-un-combat-toujours-actuel&catid=100:Biographies&Itemid=53

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