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10 août 2013 ~ 0 Commentaire

10 août 1792 (1)

10 août 1792 (1)  dans Histoire caricature_valmy_deutsches

Les sans culottes chassent les prussiens (caricature anglaise)

La première Commune insurrectionnelle de Paris

La première Commune de Paris en 1792 est un des phénomènes les plus intéressants de la Révolution française, d’un point de vue libertaire. Elle fut l’institution qui permit aux sans-culottes de mener leur lutte pour ne pas laisser les gouvernements révolutionnaires successifs parler en leur nom . Si elle réussit à peser sur les orientations de la révolution, elle ne parvint toutefois pas à en prendre le contrôle…

Qualifier la Révolution française simplement de révolution bourgeoise est réducteur, et l’expérience de la Commune insurrec- tionnelle de 1792 nous l’indique, comme nous l’indiquent le rôle joué par la paysannerie ou l’existence d’une « extrême gauche » de la Révo- lution, avec les Enragés ou les babouvistes [1] actifs dans cette Commune. De par sa position centrale géographiquement, la Commune insurrectionnelle de Paris joue un rôle essentiel de double-pouvoir face à la Convention, de l’été 1792 à l’été 1794. D’ailleurs la durée de la Commune insurrectionnelle sera la même que celle de la Convention, qui naît à la faveur de l’insurrection du 10 août 1792.

La Commune de Paris existait en fait depuis la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789. La bourgeoisie citadine avait alors institué cette nouvelle administration, dont Jean-Sylvain Bailly avait été le premier maire, et qui tenait ses séances à l’Hôtel de ville. La loi du 21 mai 1790 en avait fait un organisme régulier. Le comité général de la Commune de Paris était élu par les « citoyens actifs », c’est-à-dire des bour- geois acquittant un impôt, admis dans les 48 sections de la capitale. La Commune disposait d’une force armée, la Garde nationale, qui lui permettait d’appliquer ses décisions par la force s’il le fallait.

Au cours du mois de juillet 1792, la gravité des événements allaient cependant pousser les « sans-culottes » à investir d’autorité les assemblées de sections jusqu’ici réservées aux bourgeois. Chaque assemblée réunit alors 400 à 500 personnes tous les soirs. Le peuple entend reprendre en main une révolution qui semble ne plus se préoccuper de lui et transige avec un monarque qui a pourtant appelé les troupes autrichiennes et prussiennes au secours pour rétablir l’absolutisme. Le peuple de la capitale s’inquiète par ailleurs de la hausse des prix alimentaires et revendique des mesures comme le « maximum » sur les prix. Cette agitation, mêlée à celle des jacobins qui ont peur de perdre leur pouvoir récemment acquis, aboutit à l’insurrection du 10 août 1792. Le roi et sa famille sont arrêtés, c’est le début de la 1ère République. Mais les sans-culottes ne sont plus disposés à faire confiance à une assemblée bourgeoise. La Commune dépêche bientôt une délégation à la Législative qui n’a plus que pour quelques jours : « Le peuple qui nous envoie vers vous, nous a chargés de vous déclarer qu’il vous investissait de nouveau de sa confiance, mais […] qu’il ne pouvait reconnaître, pour juger des mesures extraordinaires […], que le peuple français, votre souverain et le nôtre, réuni dans ses assemblées primaires. » [2] Bien décidée à dicter aux parlementaires la conduite à adopter, la Commune se constitue de fait en double pouvoir.

À la recherche d’une conscience de classeÀ la faveur de l’insurrection du 10 août, une Commune insurrectionnelle prend donc la place de la Commune bourgeoise. Formée de 52 commissaires, elle est animée par le maire, Jérôme Pétion. Les militantes et les militants de la Commune de Paris reflètent la sociologie de Paris : une ville artisanale et majoritairement ouvrière. Sur une population de 640 000 habitants, l’historien Frédéric Braesch dénombre 250 000 ouvrières et ouvriers, 50 000 artisans ainsi que 70 000 indigents, tous dotés de revenus modestes [3]. C’est ce public qui va composer la masse des sans-culottes, cette « presque classe » selon les mots de l’historien Albert Soboul, qui militent dans les sections de la Commune.

Ces militantes et ces militants se définissent comme faisant partie d’un même groupe social, « la sans-culotterie ». Ce groupe social est difficile à définir car il a à la fois des connotations sociologiques, politiques, économiques et culturelles. Il se définit en premier lieu par le port du pantalon, par opposition à la culotte aristocratique ou bourgeoise. Être sans-culotte implique de partager des nor- mes et des valeurs opposées à ceux de la bourgeoisie et de l’aristocratie. Cela veut dire s’opposer à la réaction, à l’aristocratie et s’engager pour la révolution et les valeurs d’égalité et liberté qui sont censées en être le corollaire. C’est enfin, pour finir, ne pas posséder de richesses et n’avoir que ses bras pour travailler. Gracchus Babeuf définira la sans-culotterie comme le groupe de celles et ceux qui n’ont rien, les « impro- priétaires ». On voit que la définition et le rôle politique de la sans-culotterie n’est pas sans préfigurer la figure du prolétariat dans sa définition marxiste. Lui aussi ne possède que ses bras pour travailler et lui aussi par cette position, a un rôle politique et des intérêts de classe bien particuliers. Le caractère populaire de la Commune et les idées radicales qu’elles portent font de celle-ci l’organe – pour ne pas dire l’insti- tution – des sans-culottes. Elle exprime, parfois confusément, des revendications qui préfigurent le socialisme révolutionnaire du XIXe siècle.

À la recherche d’un projet social Loin de dépendre d’une faction parlementaire (jacobins, girondins ou autres), les sections développent des revendications, presque un programme qui lui est propre. Il n’est pas encore question de socialisme ni de mise en commun des moyens de production, mais les grandes revendications de la Commune vont constituer les bases de l’idéologie socialiste postérieure. Rappelons par ailleurs que l’un des premiers à formaliser ces idéaux cinq ans plus tard, Gracchus Babeuf, est militant des sections insurrectionnelles du premier au dernier jour.

La première revendication est l’égalité des jouissance: chacun a le droit de jouir également de la vie. Cette revendication a pour conséquence le partage de la subsistance, donc un accès égal à la nourriture, que permettra la loi du maximum. Elle aura aussi pour consé- quence le partage des richesses, qui sera un mot d’ordre souvent repris. Le droit au travail est dans la même lignée de revendications. Il per- met d’assurer la subsistance et une existence indépendante. La seconde revendication porte sur le mode de gouvernement : les sans-culottes se réclament de la souveraineté populaire, c’est à dire la démocratie directe et les mandats révocables. Les sections, par leur caractère popu- laire, détiennent la légitimité et sont prêtes à l’imposer par les armes s’il le faut. Vis-à-vis de la Convention, les sections fonctionnent comme un double pouvoir : le comité général de la commune centralise les délégués de section ; les comités civils et révolutionnaires appliquent les décisions des sections ; enfin les sections, lieux de discussion et de décision, sont le dispositif de base de la commune. Leur rôle de cercles de débat permet d’aboutir à des positions communes. C’est avant tout leur force militante qui permet à la Commune de devenir une force autonome.

Un rôle important Ainsi organisée, la Commune commence par faire pression sur la Convention, poussant toutes les factions parlementaires à reprendre ses revendications (égalité, maximum…), et les contraignant, par la force, à les appliquer. Dans un premier temps, elle soutient les jacobins dans leur lutte contre les girondins, et fournit la foule et l’énergie nécessaire à leur éviction en mai 1793, pour l’application du maximum. Le 10 mai 1793, le jacobin Robespierre est contraint d’exposer un projet d’« économie politique populaire » qui, limitant les droits illimités du com- merce, introduit le droit à l’existence de chaque personne. Mais l’été 1793 est marqué par une grave crise du ravitaillement qui touche principalement les classes les plus pauvres de Paris, et les jacobins au pouvoir ne semblent pas pressés de répondre aux besoins du peuple. La Commune finit donc par se détacher d’eux au cours de la journée du 2 septembre 1793.

Elle envoie alors une adresse au pouvoir en exposant sa propre solution : l’instauration de deux maximums généraux des prix : celui des denrées de première nécessité et celui des matières premières. Elle propose également un maximum sur les fortunes, afin de faire disparaître la trop grande inégalité des niveaux de vie. Le même jour, on apprend que les royalistes ont livré Toulon aux Anglais. Il y a ur- gence, il faut réagir ! Le lendemain, les ouvrières et les ouvriers (maçons, charpentiers, serruriers…) de plusieurs sections se rassemblent pour appeler le peuple à prendre les armes. Les mesures drastiques ne peuvent plus attendre : il faut s’en prendre aux spéculateurs qui affament le peuple. Les jacobins lancent alors une politique dite de Terreur qui se justifie par les difficultés à faire appliquer les solutions promises depuis des mois. Les sections ne se doutent pas que le décret des suspects du 17 septembre 1793, qui vise initialement les royalistes et spéculateurs, se retournera bientôt contre elles.

Robespierre n’avait effectivement pas l’intention de partager le pouvoir avec cette masse populaire qu’il ne contrôlait pas. Or, lorsque la Commune insurrectionnelle lance sa campagne de déchristianisation, qui consiste à interdire purement et simplement la reli- gion et à transformer les lieux de culte en espaces publics, elle s’aliène des pans entiers de la population, surtout rurale. La Commune affaiblie, l’habile Robespierre y voit l’occasion de la réprimer et de la museler. Elle est privée de son pouvoir exécutif entre décembre 1793 et février 1794. Elle décline alors rapidement, et la Convention finit par la supprimer après les journées de Thermidor.

Un épisode oublié ? La Commune de 1792, bien que relativement méconnue, a une importance fondamentale car elle est à l’origine de nombreuses pratiques des mouvements ouvriers et révolutionnaires, issues des expériences et du pragmatisme des classes populaires confrontées à une révolution qui se fait de plus en plus sans elles. Marx s’en est inspiré pour l’élaboration initiale de son concept de « dictature du prolétariat ». On le voit dans ses articles sur la Révolution française. Pour lui, la dictature du prolétariat, loin de se personnifier dans un parti d’avant-garde devait être l’expression de la force politique du prolétariat structuré dans des conseils démocratiques. L’Adresse à la commune de 1871 explique cette orientation. Les pratiques de la Commune de 1792 sont à la source des aspects les plus libertaires du mouvement ouvrier européen. On les retrouvera dans la théorie anarchiste, de même que dans la conception conseilliste du pouvoir populaire. La notion de souveraineté populaire et ses conséquences que sont la démocratie directe et le mandat impératif seront des constantes de la plupart des révolutions, de 1848 à la Commune de Paris de 1871, des conseils ouvriers de 1917 à l’autogestion pratiquée en Catalogne en 1936.

Matthijs (AL Montpellier) http://www.alternativelibertaire.org/spip.php?article2487

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10 août 2013 ~ 0 Commentaire

10 août 1792 (2)

10 août 1792 (2) dans Histoire tuileries

Prise des Tuileries 10 août 1792

Jacobins, Sans-culottes et Enragés

Législative : Régime de monarchie constitutionnelle qui dura de septembre 1791 à août 1792. Régime bourgeois – seuls les riches peuvent voter – et politiquement modéré, il ne survivra pas à la chute de la monarchie le 10 août 1792.

Convention : Assemblée gouvernante qui succède à la Législative. Talonnée par la Commune de Paris, elle se caractérise par sa radicalité, l’exécution du roi, la Terreur et le rôle important joué par les masses populaires (sans-culottes, paysannerie). Ses figures les plus connues sont Robespierre, Marat et Danton.

Jacobins : Club politique incarnant la fraction la plus radicalement révolutionnaire de la bourgeoisie, farouchement centralisatrice, et qui joue un rôle dirigeant sous la Convention. Ses membres les plus éminents sont Robespierre et Saint-Just. Bien que favorables à la propriété privée, les jacobins se résignent à une alliance avec les sans-culottes.

Girondins : Faction politique parlementaire incarnant la grande bourgeoisie modérément révolutionnaire. Elle est hostile à la loi du maximum et aux mesures égalitaires et est pour une décentralisation fédérale. Elle sera expulsée de la Convention à l’issue des journées insurrectionnelles du 31 mai au 2 juin 1793.

Enragés : Faction politique extraparlementaire qui mène l’agitation dans les sections de la Commune. Elle tient des positions expropriatrices et en faveur de la souveraineté populaire. Les Enragés sont éliminés par les jacobins à l’été 1793.

Loi du maximum : Revendication contre la famine. Elle consiste à imposer un prix maximum aux produits de première nécessité, par la terreur s’il le faut, aux marchands et spéculateurs. Ce sera une des revendications principales des sans-culottes.

Repères: Révolution bourgeoise ou populaire ?

4 septembre 1791 : Louis XVI accepte la Constitution qui lui ôte le pouvoir législatif, au profit d’une Assemblée législative élue par les bourgeois.

Juillet 1792 : Les militantes et les militants sans-culottes investissent par la force les assemblées de section et prennent le contrôle de la Commune de Paris.

10 août 1792 : Journée insurrectionnelle qui met fin a la monarchie. Mise en place de la Convention nationale, gouvernement officiel de la Ire République, concurrencé par la Commune insurrectionnelle de Paris.

16 janvier 1793 : Exécution de Louis XVI, début de la guerre civile.

2 juin 1793 : Expulsion des girondins du Parlement, début de la période la plus radicale de la révolution.

2-3-4 septembre 1793 : La Commune impose le maximum à la Convention par la force, début de la Terreur.

17 septembre 1793 : Décret des suspects qui permet d’arrêter et de condamner rapidement tous les « ennemis de la révolution ».

Octobre-novembre 1793 : Campagne de déchristianisation initiée par la Commune.

Décembre 1793- Janvier 1794 : Série de décrets qui musellent la Commune et la vident de ses attributions.

27 et 28 juillet 1794 : Journées de Thermidor : fin de la Convention, chute de Robespierre, retour à une république entièrement sous la coupe bourgeoise.

[1] Voir « 1797, Babeuf, premier révolutionnaire communiste ? » in AL n°163, juin 2007.

[2] Daniel Guérin, Bourgeois et Bras nus, Gallimard, 1973.

[3] Frédéric Braesch, La Commune du 10 août 1792, 1978.

publie 5 janvier 2009 par Commission Journal (mensuel)

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07 août 2013 ~ 0 Commentaire

Terreur atomique

Terreur atomique  dans Antiimpérialisme hiroshimaart

Il y a 60 ans, par les bombardements nucléaires des villes japonaises d’Hiroshima, le 6 août 1945, et de Nagasaki, le 9, les États-Unis ont voulu faire connaître aux peuples du monde entier la terrible capacité de destruction de leur nouvelle arme.

Le jour même de la destruction de Nagasaki, le 9 août 1945, le président des États-Unis, Truman, qui venait de succéder à Roosevelt, déclarait à la radio : « Nous sortons de cette guerre la nation la plus puissante du monde, la nation la plus puissante peut-être de toute l’histoire. » Au- jourd’hui, aux États-Unis, le débat sur les raisons de l’utilisation de la bombe atomique est encore censuré. Seule y prévaut la vérité officielle : il se serait agi d’amener le Japon à capituler le plus rapidement possible, pour épargner la vie de centaines de milliers de soldats étatsuniens.

Que la destruction quasi instantanée de deux villes d’importance, chacune sous l’effet d’une seule bombe, ait accéléré la capitulation du Japon ne peut être mis en doute. Que soit ainsi mis fin à la guerre qui continuait dans le Pacifique, trois mois après la capitulation allemande, non plus. Mais il est aussi certain que le Japon s’apprêtait à capituler et qu’il l’aurait fait avant si les alliés, réunis à la conférence de Potsdam au milieu du mois de juillet, n’avaient pas exigé de lui une « reddition sans condition ». Il n’avait plus, de toute façon, les moyens de continuer la guerre, après la destruction de ses forces aéronavales et les bombardements intensifs qui avaient détruit ses villes les plus importantes.

En réalité, les États-Unis étaient déterminés à utiliser les deux bombes atomiques qui venaient tout juste d’être mises au point pour en imposer l’utilisation au monde et être les seuls vainqueurs dans le Pacifique. Le 9 août, en effet, trois mois après la capitulation de l’Allemagne, comme l’avait prévu la conférence de Yalta en février de la même année, l’Urss devait déclarer la guerre au Ja- pon. Les États-Unis ne voulaient pas d’un partage de cette partie de l’Asie, comme ils avaient dû y consentir en Europe de l’Est.

Le 17 juillet 1945, en pleine conférence de Potsdam, Truman reçut un télégramme, « Babies Satisfactorily Born » (« Les bé- bés sont bien nés »), qui l’informait du succès de la première explosion atomique expérimentale aux États-Unis. Le projet Manhattan qui, depuis septembre 1942, mobilisait des milliers de scientifiques et avait donné lieu à la construction de deux énormes complexes industriels destinés à produire, l’un de l’uranium enrichi, l’autre du plutonium, venait d’aboutir. Aussitôt, un ultimatum fut adressé au Japon, le sommant de se rendre sous peine d’une «prompte et totale destruction ».

Terroriser la population Trois semaines plus tard, une bombe de chaque type était lancée sur Hiroshima (bombe à l’uranium 235) et sur Nagasaki (bombe au plutonium). Pour qu’on pût voir les effets de la nouvelle arme, ces deux cités industrielles avaient été épargnées par les bombardements que menaient de façon intensive les Superfortress (B-29) que la puissante industrie américaine fabriquait à plein régime. Le 9 mars, Tokyo avait été détruite à 60 % par un raid de ces B-29 équipés de bombes incendiaires et explosives, 84 000 habitants y avaient trouvé la mort. Une centaine de villes furent ainsi bombardées et un quart des villes japonaises détruites à 50 %. Au Japon, comme en Allemagne un an auparavant, ces bombardements visant sciemment les civils des cités industrielles avaient pour objectif de terroriser la population afin d’empêcher toute tentative de soulèvement, une fois le régime en place défait. La guerre dite « de libération » n’était en fait qu’une guerre entre impérialismes pour le repartage du monde et leur mainmise sur les peuples. Mais là où des centaines de bombes « classiques » avaient été nécessaires, une seule bombe atomique suffit.

Le 6 août, à 8 heures 15, la bombe est lâchée au-dessus d’Hiroshima. Elle explose 45 secondes plus tard. Le principe en repose sur la transformation de la matière en énergie, qui se libère sous trois formes différentes : énergie thermique, onde de choc et effet de souffle, ra- diations nucléaires. La première, qui se manifeste sous la forme d’une boule de feu d’environ un kilomètre de rayon et de plusieurs millions de degrés, puis d’une onde thermique se propageant à la vitesse de la lumière, brûle tout sur son passage : les corps humains sont pulvérisés, entièrement carbonisés et la ville entière s’embrase dans la demi-heure. L’onde de choc entraîne l’effondrement des bâtiments ; l’effet de souffle fait éclater les poumons et provoque lésions et fractures. Les radiations nucléaires entraînent la mort immédiate jusqu’à un kilomètre de distance, et une mort plus lente, plus loin, sous l’effet de ce qui apparut à l’époque comme un mystérieux « mal des rayons ». Selon les esti- mations, la bombe d’Hiroshima a tué, à la fin de l’année 1945, 140 000 personnes, celle de Nagasaki, 70 000, et des dizaines de milliers de blessés ont succombé les années suivantes.

Socialisme ou barbarie Les États-Unis venaient de faire savoir au monde quelle terrible puissance de destruction ils étaient désormais capables de lancer contre les peuples, et ils firent cyniquement de cette menace terroriste, au lendemain du cataclysme d’Hiroshima et de Nagasaki, un argument pour la paix, alors que s’engageaient des guerres meurtrières destinées à empêcher les peuples de se libérer du joug colonial et impérialiste. La course à l’arme atomique s’est dès lors poursuivie, plusieurs États entrant en sa possession. En 1954, la première bombe H, de capacité mille fois supérieure à la bombe d’Hiroshima, fut expérimentée.

L’effondrement de l’Urss a fait disparaître l’argument fallacieux de « l’équilibre de la terreur », qui était censé garantir la paix au monde. Ce qui a disparu en réalité, c’est le prétexte de la lutte contre le « totalitarisme communiste », sous couvert duquel l’impérialisme me- nait sa guerre contre les peuples, en même temps que son complice, la bureaucratie soviétique, dans le maintien de l’ordre mondial.

Aujourd’hui, c’est la «lutte contre le terrorisme» qui sert d’argument à un développement inégalé du militarisme. L’objectif, comme hier, est la mainmise des trusts impérialistes sur les ressources de la planète, l’accaparement des fruits du travail humain, dans le prolongement de la concurrence capitaliste. En 2002, dans le cadre de leur redéploiement militaire à la suite des attentats du 11 Septembre, les États-Unis ont révisé leur doctrine nucléaire, l’arme atomique cessant d’être considérée comme le dernier recours. À cet effet, les mini-nuke (« mini-bombes ») ont été mises au point. Leur puissance équivaut à celle de… 22 bombes d’Hiroshima. Socialisme ou barbarie ! L’alternative est plus que jamais d’actualité. Galia Trépère Rouge2121, 22/07/2005

http://orta.dynalias.org/archivesrouge/article-rouge?id=1388

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07 août 2013 ~ 0 Commentaire

Mythes et mensonges sur Hiroshima et Nagasaki (1)

Mythes et mensonges sur Hiroshima et Nagasaki (1) dans Antiimpérialisme

Différentes thèses s’affrontent pour expliquer les motivations réelles du bombardement atomique d’Hiroshima et de Nagasaki (les 6 et 9 août 1945) par les États-Unis, les amenant ainsi à commettre un crime contre l’Humanité.

La polémique ne doit pas être considérée comme une simple querelle entre historiens: au-delà de la simple question du « pourquoi? », il y a toute l’implication qui se cache derrière la réponse. Implication très actuelle, car les États-Unis sont désormais la seule superpuissance ato- mique capable de frapper où que ce soit dans le monde et ils se doteront bientôt, avec le système de défense anti-missile, d’un outil capable de supprimer toute dissuasion nucléaire.

La thèse officielle, celle que tous les enfants étasuniens apprennent par coeur à l’école et qui, dernièrement encore, a été réaffirmée par le Sénat des États-Unis, explique que l’usage de la bombe atomique en 1945 a permis de précipiter la fin d’une guerre sanglante, de perdre moins d’argent et d’épargner des milliers de vies humaines. Le président Truman, qui prit la décision finale, affirma que son geste avait sauvé la vie de près de 250.000 « boys ». Après la guerre, dans ses « Mémoires », ce chiffre monta à 500.000 (1). D’autres ont été jusqu’à avancer des chiffres de l’ordre de 1… à 3 millions de vies épargnées! Selon les tenants de cette thèse, au cas où les troupes U.S auraient débarqué au Japon, les soldats nippons, fanatiques et partisans d’une guerre à outrance, auraient opposé une résistance suicidaire et jusqu’au-boutiste. De plus, les soldats japonais auraient été épaulés par des millions de civils tout autant fanatisés.

Cet argument est toujours repris actuellement par certains historiens: « Sans aucun doute (sic), la population civile défendra pied à pied le sol de la mère patrie. Les militaires lui confieront des explosifs, des pieux en bois. Tous les moyens seront bons pour tuer des ennemis ». Conclusion ? « Truman n’a pas le choix » (2). Le président Truman nous est ainsi souvent présenté comme un homme sensé, qui a pris une décision difficile mais juste. Et un historien bourgeois de nous le démontrer: « Des soldats américains mouraient par milliers chaque jour (?). L’apitoiement n’était pas de mise. Truman n’avait pas le choix. Sa décision lui a coûté ». (3). Il s’agit ici de l’argument « moral » de la thèse officielle qui accorde à la bombe atomique le mérite paradoxal d’avoir sauvé des vies humaines. Un autre argument nous dit que la bombe atomique a permis aux Japonais de comprendre la formidable capacité de destruction des États-Unis: « Nous détruirons complètement la puissance qui permet au Japon de poursuivre la guerre » menace Truman le 6 août 1945. Sachant cela, les Japonais n’auraient plus eu aucune raison de lutter. Autre élément corollaire; la destruction d’Hiroshima et de Nagasaki, outre l’impact psychologique de l’événement, aurait permis à l’Empereur Hiro-Hito d’imposer honorablement la paix à ses chefs de guerre « jusqu’au-boutistes ».

Face à cette série de dogmes officiels, plusieurs historiens ont osé les démonter pièce par pièce. Le premier d’entre eux, Gar Alperovitz, politologue étasunien, soutient depuis 1965 que son pays a fait usage de la bombe pour faire peur à Staline, dont les « visées expansionnistes » menaçaient les intérêts (grandissants) des États-Unis dans le Sud-est asiatique et en Europe.

500.000…1.000.000? L’argument des 500.000 (ou plus) vies épargnées ne tient absolument pas debout. Un rapport des stratèges militaires américains prévoyant le coût humain d’une invasion du japon (prévue pour le 1er septembre 45) contient de tout autres chiffres. Rédigé par le Chef d’ Etat-Major, le général Marshall, et daté du 18 juin 1945, il estime avec précision les pertes américaines à… 46.000 hommes au maximum. (4). Ce rapport, qui n’a seulement été rendu public qu’en 1985, était adressé au président Truman, celui-ci a donc sciemment menti.

Les chiffres fantaisistes du président et consorts reposaient sur l’argument que les Japonais, civils et militaires, se battraient jusqu’à la mort. Or, pour ce qui est des soldats, ce fanatisme, réel à une certaine époque du conflit, commençait à se fissurer. Alors que durant les batailles précédentes les soldats japonais se faisaient tuer sur place plutôt que de se rendre, lors de l’importante bataille d’Okinawa au mois de juin 1945, plus de 7.000 d’entre eux se sont constitué prisonniers. Du jamais vu. Suivant en cela le code d’honneur militaire japonais, bon nombre d’officiers étaient effectivement des jusqu’au-boutistes, mais une bonne partie des hommes de troupe était fatiguée des combats.

Quant aux civils, l’argument est tout simplement absurde: le peuple japonais était totalement à bout après presque 13 années de guerre (d’abord avec la Chine, puis avec les Alliés): privations, misère, faim, souffrance et mort sous les tapis de bombes largués par les bombardiers américains (plus de 21 millions de Japonais ont été d’une façon ou d’une autre touchés par ces bombardements massifs), etc. Un tel peuple n’aspirait plus qu’à la paix et l’on peut difficilement se l’imaginer fonçant droit vers des chars étasuniens avec des « pieux en bois » (5).

La Bombe et le sacrifice d’Hiroshima et de Nagasaki ont-ils au moins permis de précipiter la fin de la guerre (d’au moins un an nous dit-on) en démontrant le potentiel destructif des États-Unis? Rien de plus faux. Le Japon avait déjà virtuellement perdu la guerre car il était tout bonnement matériellement incapable de la poursuivre. Le potentiel militaire nippon était pratiquement détruit: 90% des bâtiments de la marine de guerre et de la flotte marchande reposait au fond l’océan, ce qui, pour une île dépourvue de ressources et de matières premières stratégiques indispensable à l’industrie de guerre, comme le pétrole par exemple, équivalait à une agonie rapide.

L’aviation quant à elle ne comportait plus qu’un petit nombre de pilotes adolescents,  peu instruits (du fait du manque de carburant, l’instruction était réduite au-dessous du minimum) et désespérés. La plupart n’étaient d’ailleurs plus assignés qu’à des missions suicides « kamikazes » peu rentables militairement vu la supériorité matérielle des États-Unis.

Enfin, « La défense anti-aérienne s’était totalement effondrée » (6), ce qui explique la facilité avec laquelle des impressionnantes escadres de bombardiers US pénétraient dans le ciel nippon. Ces bombardements terroristes, aveugles et coûteux en vies humaines – c’était leur but ; celui de Tokyo du 9 mars 1945 a ainsi fait plus de 125.000 morts, soit plus de victimes directes qu’à Hiroshima! – avaient complè-tement déstructuré les entreprises et la machine de guerre japonaise. Tokyo était rasée à 50%, Yokohama, le principal port du pays, à 85%, Kobe à 56%. Quarante pour-cent des ouvriers avaient abandonné leur travail pour fuir la ville et ses bombardements. Résultat, l’activité indus- trielle des 5 grands centres nerveux japonais était annihilée à un taux de 80% (7). Imaginer dans ces conditions que le Japon pouvait encore soutenir le conflit pendant une année ou plus relève donc de la pure fantaisie. Par Ataulfo Riera le Jeudi, 05 Août 2010

Voir les notes: http://www.lcr-lagauche.be/cm/index.php?view=article&id=637:mythes-et-mensonges-sur-hiroshima-et-nagasaki&option=com_content&Itemid=53

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07 août 2013 ~ 0 Commentaire

Mythes et mensonges sur Hiroshima et Nagasaki (2)

Mythes et mensonges sur Hiroshima et Nagasaki (2) dans Antiimpérialisme

Une bombe sans poids

La justification de l’usage de la bombe en tant qu’argument « de poids’ pour forcer la décision du pouvoir nippon de capituler est souvent avancée. Là aussi, elle ne repose sur rien de sérieux. Dès le mois d’avril 1945 en effet, l’Empereur était persuadé qu’il fallait négocier et conclure la paix au plus vite. Durant le mois de mai, une tentative de contact entre Japonais et Américains avait eu lieu via les diplomates nippons en poste à Berne. Vu l’échec de ces démarches, la diplomatie japonaise privilégiera ensuite des négociations détournées via Moscou. Le 22 juin, alors que l’île stratégique d’Okinawa (elle était la dernière étape avant le Japon) était définitivement perdue, les démarches s’accélèrent: « l »Empereur invita le Conseil suprême de direction de la guerre à entamer des négociations officielles de paix, si possible en utilisant les bons offices de la Russie » (8).

Mais les Japonais mettaient tous leurs espoirs de paix sur les Russes sans se douter qu’à la Conférence inter-alliés de Yalta, Moscou avait promis aux Alliés occidentaux de déclarer la guerre au Japon six mois après la défaite nazie en Europe. Misant ainsi toutes leurs cartes sur Moscou, la douche froide de l’invasion de la Mandchourie occupée par l’Armée rouge le 9 août 1945 fut le véritable coup de grâce qui amena les Japonais à la reddition, et non la destruction d’Hiroshima et de Nagasaki qui, pour terrible qu’elle fut, ne provoqua pas autant de victimes ni de destructions que les bombardements classiques décrits plus haut.

Les autorités étasuniennes savaient parfaitement tout cela. Un rapport secret des services spéciaux américains (découvert en 1988) qui relate les discussions au sein du pouvoir nippon, nous apprend que « les recherches montrent que [au sein du cabinet japonais] il fut peu question de l’usage de la bombe atomique par les États-Unis lors des discussions menant à la décision d’arrêter les combats. [sans l'usage de la bombe], les Japonais auraient capitulés après l’entrée en guerre de l’URSS » (9).

Un autre fait est à mettre en lumière avec ce qui précède. Si les États-Unis tenaient tant à précipiter la fin de la guerre et répugnaient à employer la Bombe, pourquoi diable dans leur ultimatum adressé aux Japonais le 26 juillet 1945 n’est-il fait nulle part mention du futur statut de l’Empereur en cas de reddition? Lors de la rédaction de ce document (au cours de la conférence inter-alliés à Potsdam), plusieurs conseillers du président ont fait remarquer à ce dernier l’importance de cette question: les Japonais étaient prêts à se rendre à condition que les États-Unis donnent la garantie que l’Empereur, considéré comme un demi-dieu, puisse rester sur le trône. Après débat, Truman et Byrnes, son bras droit, ont finalement décidé en pleine connaissance de cause de ne pas faire mention du statut de l’Empereur dans l’ultimatum… Les Japonais, pour qui la chute de l’Empereur constituait le déshonneur suprême, repoussèrent donc sans surprise ce dernier.

Mais le 10 août, lorsque les Japonais offrent officiellement leur reddition tout en demandant que Hiro-Hito et la monarchie soient maintenues, les États-Unis accepteront sans sourciller cette demande. On peut donc se demander pourquoi il ne l’ont pas mentionné 15 jours plus tôt, ce qui leur aurait permis d’éviter d’utiliser la Bombe et de sacrifier inutilement des centaines de milliers vies humaines. La réponse est évidente, Truman et Cie savaient pertinemment que les Japonais refuseraient l’ultimatum de Potsdam et qu’ils auraient là l’occasion et la justification « morale » d’employer la bombe atomique. En vérité, comme on le verra plus loin, la plus grande crainte de Truman à cette époque n’était pas d’employer la bombe atomique, mais bien tout au contraire de ne pas avoir le temps ni l’occasion de le faire !

Il faut par ailleurs connaître certaines de ses déclarations pour se faire une idée du personnage tel qu’il fut, loin de cette fable d’un « homme torturé par une décision difficile qui lui a coûté ». Lorsqu’il apprit le succès du bombardement d’Hiroshima, Truman déclara joyeusement à ses proches: « Les gars, on leur à balancé un concombre de 20.000 tonnes sur la gueule! » (10). On est loin ici de la phrase « historique », grave et pesée que l’on pourrait attendre d’un homme sensé qui a pris un décision aussi terrible pour l’humanité. Peu de temps après, à un journaliste qui lui demande « Quel a été votre plus grand remord dans votre vie? « , Truman répondra: « Ne pas m’être marié plus tôt »! (11) On voit là combien lui aura « coûté » son choix.

Pour conclure… Quelles furent donc les véritables raisons qui motivèrent Truman et sa clique? Plusieurs facteurs entrent en compte (12) et la thèse d’Alperovitz en apporte plusieurs. Mais elle est insuffisante quant à sa conclusion. Pour Alperovitz, les Étasuniens jugeaient que les rapports de forces, à l’heure d’un nouveau partage impérialiste du monde, étaient par trop favorables à l’URSS et qu’il fallait stopper « l’expansionnisme » soviétique. La possession (et la démonstration pratique) d’une arme de destruction sans équivalent était donc un atout important aux mains des États-Unis non pas pour terminer la Seconde guerre mondiale mais bien pour entrer de plein pieds dans ce qui allait devenir la Guerre froide en menant une politique de « refoulement » de « l’expansionnisme rouge ». C’est effectivement à la conférence de Potsdam que les Étasuniens vont commencer à modifier sensiblement leur ligne de conduite par rapport à l’« Oncle Joe » comme la presse américaine appelait Staline. Et c’est justement à ce moment que Truman, qui sait depuis peu que la bombe atomique est opérationnelle, en rédigeant un ultimatum inacceptable pour les Japonais, décidait d’employer la bombe comme un atout stratégique majeur face à Moscou.

Mais l’explication donnée par Alperovitz d’une réaction motivée par «l’ expansionnisme soviétique » est plus qu’à nuancer car elle sous-entend une volonté de la part des Soviétiques de dominer et d’envahir la planète. Ce qui, lorsque l’on connaît la pratique et la nature du régime stalinien, est entièrement faux. La bureaucratie soviétique se contentait en fait de créer un glacis stratégique protecteur autour de ses frontières et sabotait par contre toute possibilité révolutionnaire en dehors de ce glacis stratégique géographiquement circonscrit – au sein duquel d’ailleurs il s’agissait avant tout de modifier les régimes sociaux et politique de manière bureaucratique, et non par le biais d’authentiques révolutions. A la fin de la guerre, les Partis communistes staliniens, aux ordres de Moscou, ont ainsi, en France, en Italie et dans plusieurs pays coloniaux, étouffés les germes ou la marche en avant de la révolution. Rappelons également que Staline s’opposa avec véhémence à la révolution chinoise de Mao. « La politique dite de refoulement (qui provoquera directement la guerre de Corée et du Vietnam) n’est pas une réplique à une prétendue politique d’expansion de Staline, mais bien le signe de la volonté des États-Unis de dominer le monde » (13). Le véritable expansionnisme était étasunien et non soviétique. La bombe atomique (et son usage sur Hiroshima et Nagasaki) était une arme politique (et elle ne peut l’être vu sa nature), c’était une arme au service de l’impérialisme étasunien afin de s’assurer le statut d’une superpuissance mondiale sans partage. Article publié dans La Gauche en août 2000

http://www.lcr-lagauche.be/cm/index.php?view=article&id=637:mythes-et-mensonges-sur-hiroshima-et-nagasaki&option=com_content&Itemid=53

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03 août 2013 ~ 0 Commentaire

4 août 1789 (1)

4 août 1789, les bras-nus imposent l'abolition des droits seigneuriaux dans Histoire williy-ronis-front-populaire

« La révolution française et nous », de Daniel Guérin

La Révolution française n’a pas été qu’une révolution bourgeoise

» La révolution française, en effet, n’a pas été qu’une révolution bourgeoise. Elle ne nous intéresse pas seulement à titre rétrospectif, en ce sens qu’elle a porté au pouvoir la classe qui, aujourd’hui dans les secousses les plus colossales de l’histoire, est en train de perdre le pouvoir ; elle se rattache directement à nos luttes, à nos problèmes du présent, car elle a été, en même temps qu’une révolution bourgeoise, la première ten- tative des opprimés pour se libérer de toute forme d’oppression. (…) La Révolution française, tout d’abord, est la première des révolutions modernes qui ait dressé sur leurs jambes les larges masses populaires, qui les ait tirées de leur sommeil séculaire et qui ait été faite en grande partie par elles.  La révolution anglaise a été plus militaire que populaire. (…)

Sans doute la bourgeoisie a eu sa part dans la Révolution française. Ses idéologues l’ont préparée. Ses parlementaires l’ont menée à coups de discours et de décrets. L’œuvre législative, l’action militante des assemblées révolutionnaires ne saurait être sous-estimée. Mais la bourgeoisie s’est montrée incapable de venir à bout de l’ancien régime féodal, clérical et absolutiste sans le concours des « bras nus ». (Les bras nus sont les travailleurs, de l’artisan à l’ouvrier, au domestique et au mendiant – note ) (…)

Sans la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, par les sans-culottes parisiens, l’assemblée nationale aurait fini pas succomber dans sa rébellion contre les baïonnettes royales. Sans la marche sur Versailles, le 5 octobre, des « bras nus » affamés et sans leur irrup- tion dans l’enceinte de l’Assemblée, la Déclaration des Droits de l’Homme n’aurait pas été sanctionnée. Sans l’irrésistible vague de fond partie des campagnes, l’assemblée n’eût pas osé s’attaquer, bien que timidement, à la propriété féodale, dans la nuit du 4 août 1789, l’ex- propriation sans indemnité des rentes féodales n’eût pas été, enfin, décrétée ; la bourgeoisie eût hésité devant la république et devant le suf- frage universel.

Au fur et à mesure que la Révolution va en s’approfondissant, on voit les bourgeois hésiter, s’arrêter à mi-chemin et, chaque fois, la pression des « bras nus » les obliger à pousser la Révolution bourgeoise jusqu’au bout. (…) A ce titre déjà, la Révolution française est toujours actuelle. Car même dans la mesure où elle a été une révolution bourgeoise, où elle a porté au pouvoir la bourgeoisie et non le prolétariat, elle a été une révolution de masses. Aussi son étude nous aide-t-elle à déchiffrer les lois permanentes du mouvement autonome des masses et offre-t-elle, en même temps, à notre examen les formes de pouvoir populaire que, spontanément, les masses forgent au cours de leurs luttes ; à ce titre, la Révolution française a été le berceau, non seulement de la démocratie bourgeoise, mais aussi de la démocratie de type communal ou soviétique, de la démocratie des conseils ouvriers.

Mais la grande Révolution n’a pas été qu’une révolution de masses travaillant, sans le savoir, pour le compte de la bourgeoisie. Elle a été aussi, dans une certaine mesure, une révolution des masses oeuvrant pour leur propre compte. (…) Les masses se levèrent avec l’espoir d’alléger leur misère, de secouer leur joug séculaire. Or, le joug séculaire n’était pas seulement celui des seigneurs, du clergé et des agents de l’absolutisme royal, amis aussi celui des bourgeois (…). L’idée de s’affranchir du joug séculaire conduisait naturellement les opprimés à celle d’une lutte contre l’ensemble des privilégiés, bourgeois y compris. (…)

Pour obtenir le concours des « bras nus » et parce que la proclamation des droits de l’homme la servait dans sa lutte contre l’ancien régime, la bourgeoisie aviva en eux le sentiment que c’en était fini de la vieille oppression de l’homme par l’homme, que le règne de la liberté et de l’égalité commençait pour tous. Ces mots ne tombèrent pas dans les oreilles de sourds. A maintes reprises, les « bras nus » invo- quèrent contre la bourgeoisie, contre l’oppression bourgeoise, les droits de l’homme. De même, la bourgeoisie, en s’attaquant à la propriété féodale et à celle du clergé, ouvrit la brèche dans le mur sacro-saint de la propriété. Elle s’en rendit compte elle-même et c’est ce qui la rendit parfois si timorée. (….)

Révolution permanente A partir du moment où les travailleurs ont commencé à prendre conscience de l’oppression de l’homme par l’homme, à secouer le joug séculaire, (…) il y a « transcroissance de la révolution bourgeoise en révolution prolétarienne » (Lénine cité par Trotsky dans « La révolution permanente »). Même lorsque le conflit n’est pas encore entièrement liquidé entre l’aristocratie et la bourgeoisie, déjà un autre conflit met aux prises la bourgeoisie et le prolétariat.

Il n’y a pas deux sortes de mouvement révolutionnaire, de nature différente, l’un d’espèce bourgeoise et l’autre d’essence prolétarienne ; la Révolution tout court, cette vieille taupe comme le disait Marx, poursuit son bonhomme de chemin, d’abord au travers d’une même crise révolutionnaire, et ensuite de crise révolutionnaire en crise révolutionnaire. Même quand elle paraît assoupie, elle creuse encore. Une crise révolutionnaire n’est pas la continuation directe de la crise précédente. il n’est pas possible de placer quelque part un poteau frontière et d’y inscrire : Révolution bourgeoise ! Défense d’aller plus loin !

La Révolution ne s’arrête pas sur commande. Ou si elle s’arrête, elle recule. (…) Dans une société où les rapports sociaux sont tendus à l’extrême, où deux forces opposées, force révolutionnaire et force contre-révolutionnaire, se heurtent comme deux bêliers, cornes contre cornes, si la pression révolutionnaire se relâche un instant, la contre-révolution profite aussitôt de cette défaillance et prend sa revanche. Empêcher la transcroissance de la révolution bourgeoise en révolution prolétarienne, faire les choses à demi, c’est s’exposer à perdre ce qui a été conquis ; laisser subsister un seul privilège c’est s’exposer à les voir renaître tous ; pour s’être arrêtés en 1793 au pied de la forteresse bourgeoise, les sans-culottes furent assommés en 1795 par les gourdins des royalistes. Robespierre, en donnant, le 20 novembre 1793, un coup de frein à la déchristianisation, en insultant et en persécutant les « ultrarévolutionnaires », fit faire demi-tour à la Révolution, l’engagea sur une pente fatale où lui-même laissa sa tête, qui conduisit à la dictature militaire de Bonaparte et aux ordonnances de Charles X. (…)

L’autonomie du mouvement des masses Le mouvement autonome des masses ? Lorsqu’il entend prononcer ces mots, le bourgeois fait l’étonné et l’ignorant. Quel est donc ce charabia ? Encore une abstraction issue du cerveau fumeux de quelque théoricien ? Mais, dans son for intérieur, il sait très bien ce dont il s’agit ; Son instinct de conservation le lui a appris. le mouvement autonome des masses est sa hantise inavouée, le cauchemar de ses nuits. Il ne craint rien tant que la force primitive, élémentaire que déchaînent, en certaines circonstances, les hommes de travail. (…) Mais quand le mouvement des masses ne se laisse pas utiliser, quand il entre en lutte ouverte avec le bourgeois, alors ce dernier essaie de réduire l’importance de son redoutable adversaire. Il le défigure, le couvre de boue. Il le désigne par les mots de « populace », « éléments troubles », « pègre des grandes villes », ou bien il présente ses manifestations comme non spontanées, comme fomentées par des « meneurs ». (…)

Le mouvement autonome des masses existe à l’état latent, souterrain, de façon permanente. Du fait même qu’une classe en exploite une autre, la classe exploitée ne cesse d’exercer une pression sur ses exploiteurs afin de tenter de leur arracher une ration alimentaire un peu moins congrue. Mais cette pression, dans les périodes creuses, est sourde, invisible, hétérogène. Elle consiste en faibles réactions individuelles, isolées les unes des autres. Le mouvement des masses est atomisé, replié sur lui-même. Dans certaines circonstances, il remonte à la surface, il se manifeste comme une grande force collective, homogène. (…) Ainsi, à la veille de la Révolution de 1789, la mauvaise récolte de l’année précédente, aggravant la misère permanente des masses laborieuses, leur avait arraché une protestation simultanée ; et la con- vocation des états généraux leur avait permis d’exprimer leurs doléances communes en des cahiers revendicatifs. (…)

C’est le déterminisme du mouvement autonome des masses qui, à travers la révolution, a le plus effrayé la bourgeoisie révolutionnaire. Le bourgeois aime donner des ordres, et non à être mené. (…) On ne veut pas dire, bien entendu, que le bourgeois révo- lutionnaire fût désarmé vis-à-vis des bras nus. Il déploya contre eux les mille artifices de la fourberie politicienne. (…) Mais il n’empêche que, pendant un peu plus de quatre ans, le bourgeois révolutionnaire avait été à la remorque du mouvement autonome des masses.
http://www.matierevolution.fr/spip.php?article1082

Lire aussi: http://lesilencequiparle.unblog.fr/2013/02/05/daniel-guerin-et-la-revolution-francaise-denis-berger/

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03 août 2013 ~ 0 Commentaire

4 Août 1789 (2)

4 Août 1789 (2) dans Histoire gracchus-baboeuf-tribun-du-peuple-francoys-larue-langlois-9782866454968

 Babeuf, premier révolutionnaire communiste ?

Le 8 prairial an V de la révolution (27 mai 1797), François-Noël « Gracchus » Babeuf et son acolyte Augustin Darthé sont guillotinés à Vendôme (Loir-et-Cher) après un long procès qui démontrait la volonté de la République bourgeoise de mettre un terme à la Révolution.

Continuer la Révolution française, en allant jusqu’au bout de la revendication d’égalité affirmée en 1789 : c’est bien l’objectif de la « Conjuration des Égaux », qui se trame dans les dernières années de la Ire République, en 1796. Une République bourgeoise, gouvernée par le régime du Directoire, qui veut à tout prix refermer la parenthèse révolutionnaire pour garantir le pouvoir des classes possédantes. Au plus fort des événements, entre 1792 et 1793, les sections de sans-culottes, qui formaient la base populaire mais aussi l’aile gauche de la révo- lution, ont quasi imposé un double pouvoir aux parlementaires bourgeois, jugés timorés, qui siégeaient à la Convention. La Conjuration des Égaux de 1796-1797 est en fait l’ultime sursaut de cette aile gauche, populaire et agissante, qui refuse de se voir voler 1789 par les parlemen- taires bourgeois.

À la recherche de l’égalité

Après 1789, le peuple révolutionnaire s’était organisé de façon autonome en créant des sociétés populaires [1], fortement réprimées pendant la Terreur. Après le coup d’État du 9 thermidor an II (27 juillet 1794) s’ouvre une période de réaction visant à maintenir une domination des riches sur le peuple. Le gouvernement du Directoire instaure une « république des propriétaires », basée sur un suffrage censitaire étroitement contrôlé. C’est cette réaction thermidorienne qu’entendent combattre les Égaux regroupés autour de Gracchus Babeuf.

François-Noël Babeuf, qui se fait appeler Gracchus en référence à des réformateurs sociaux de la Rome antique, est un « bras-nus » d’origine picarde, qui a participé à la révolution dès ses débuts à Paris, dans le mouvement sans-culotte. Lors de la réaction de 1794, il a 34 ans, et tire les leçons d’une révolution inachevée. Constatant que l’égalité proclamée dès 1789 n’a abouti qu’à remplacer une aristocratie (la noblesse) par une autre (la bourgeoisie) sans améliorer le sort du peuple, il s’interroge sur les moyens d’assurer la subsistance pour tous. Sa conclusion est qu’il faut prendre le problème à la source : la production et la répartition des richesses. Il lance le slogan « les fruits sont à tout le monde, la terre à personne« . Trois mois après le coup d’État de thermidor, il crée un journal d’opposition, « Le Tribun du peuple » et impulse une coalition des “ républicains plébéiens ”. Les partisans de Babeuf, ou “ babouvistes ” pour la postérité, sont d’anciens robes- pierristes (comme Filippo Buonarroti), des partisans d’une Terreur extrême (Augustin Darthé) ou des personnalités inclassables comme le poète Sylvain Maréchal, militant de l’athéisme et vu comme un des précurseurs de l’anarchisme par l’historien Max Nettlau [2].

Maréchal rédige un Manifeste des Égaux qui exige la fin des « révoltantes distinctions de riches et de pauvres, de grands et de petits, de maîtres et de valets, de gouvernants et de gouvernés » et l’égalité totale basée sur « la communauté des biens« . Les Égaux imaginent une sorte de communisme [3] basé sur la propriété nationale de la terre, la redistribution des profits et la transformation des citoyennes et des citoyens en producteurs associés dans des communautés. Mais ce manifeste est jugé trop radical par certains des républicains plébéiens, et Babeuf refuse sa diffusion pour préserver ses alliances.

La conjuration

Face la répression thermidorienne qui s’accroît, le mouvement des républicains plébéiens se mue en une société secrète qui prend le nom de « Conjuration des Égaux », pour préparer une insurrection et le rétablissement de la constitution de 1793 [4]. La question de la propriété y est aussi discutée mais ne fait pas l’unanimité. Toutefois, le projet de la conjuration prévoit la suppression de l’héritage et, formule consensuelle, « la jouissance collective immédiate des biens communaux« . Le réseau de conjurés s’étend sur tous les arrondissements parisiens et dans quel- ques grandes villes de France. Il est dirigé par un « directoire secret de salut public ». La conjuration n’aura cependant pas le temps de mettre ses plans à exécution. Le 10 mai 1796, les meneurs sont arrêtés – à l’exception de Sylvain Maréchal – et 65 personnes sont traduites en justice. Si 56 sont acquittés, 7 (dont Buonarroti) sont condamnés à la déportation, la peine capitale étant réservée aux deux principaux responsables, Babeuf et Darthé. La répression contraint la plupart des babouvistes au silence et à la fuite, mais certains réapparaîtront dans les insurrections des années 1830 et 1840, auréolés de la légende de Babeuf. Les révolutionnaires du XIXe siècle auront tendance à voir dans Babeuf un précurseur du communisme.

Un premier projet communiste ?

Gracchus Babeuf est en fait devenu un précurseur « officiel » du marxisme, enseigné dans les écoles soviétiques, parce que les staliniens ont eu besoin d’un père fondateur que l’on puisse rattacher à des événements et à des principes consensuels : la Révolution française et la revendi-cation de l’égalité. Mais on a aussi voulu voir chez Babeuf l’esquisse de la « dictature du prolétariat » et de la conception léniniste du « parti de révolutionnaires professionnels ». Il est vrai que la conjuration des Égaux était dirigée par un comité secret, chargé de diriger les opérations révolutionnaires et de constituer une autorité révolutionnaire provisoire. Cette organisation secrète centralisée se donnait comme but de prendre le pouvoir d’État avant tout, ce qui suscitera, à la fin du XIXe siècle, les critiques de l’anarchiste Kropotkine, jugeant que Babeuf faisait trop confiance à la Constitution de 1793 et donc au jeu institutionnel, ainsi qu’à l’autorité des chefs conspirateurs [5].

C’est oublier un peu vite que le passage à la clandestinité des Égaux n’intervient qu’en 1797, dans le contexte d’une montée de la répression contre les “ jusqu’au-boutistes ” révolutionnaires. D’autre part, même dans ces conditions, la stratégie adoptée pour préparer l’insurrection a fait l’objet de négociations entre les différents partenaires. Babeuf avait demandé que, dès le succès de l’insurrection, le comité secret soit responsable de ses actes devant le peuple de Paris, réuni en assemblée, qui choisirait aussitôt la nouvelle forme d’autorité publique. Il avait aussi été convenu de la mise sur pied d’une armée populaire, contrôlée par la base, et une éducation populaire permettant à chaque citoyen de jouer pleinement son rôle dans le nouveau système. De plus, Buonarroti avait déjà analysé le danger de la concentration des pouvoirs entre les mains d’une « classe exclusivement au fait des principes de l’art social, des lois et de l’administration [qui] trouverait bientôt le secret de se créer des distinctions et des privilèges » mettant en place une « nouvelle servitude d’autant plus dure, qu’elle paraîtrait légale et volontaire« . Le supposé autoritarisme de la Conjuration des Égaux, largement exagérée par Buonarroti dans ses mémoires [6], est contredit par le projet révolutionnaire de Babeuf, qui imaginait un pouvoir issu des « assemblées de souveraineté » du peuple.

Les débats des babouvistes sur le projet de société ont en fait surtout eu lieu en 1795. Par la suite, ils sont passés au second plan de leurs préoccupations, les Égaux se concentrant surtout sur les moyens à mettre en œuvre et les alliances à tisser pour renverser le Directoire et éviter une restauration monarchique…

Un premier parti communiste ?

La Conjuration des Égaux a aussi été considérée comme un premier parti communiste, « précurseur des soulèvements populaires » selon Rosa Luxembourg. Les babouvistes se fixaient comme objectif de combattre le royalisme qui regagnait en influence à mesure que la République s’éloignait des plus pauvres et d’amener le peuple à s’organiser de façon autonome, sur des bases de « classe ». Pour toucher le peuple, les Égaux avaient imaginé divers moyens : les journaux et affiches naturellement, mais aussi des réunions publiques ou des chansons révolutionnaires. Selon Buonarroti, les babouvistes avaient compris que « le droit d’abattre le pouvoir tyrannique étant par la nature des choses délégué à la section du peuple qui l’avoisine, c’est à elle qu’est aussi délégué le droit de le remplacer d’une manière provisoire« . Ainsi, c’est bien au peuple qui souffre de l’oppression de s’organiser pour la détruire et créer de nouvelles institutions faites pour lui et par lui, le temps d’éliminer les révoltantes distinctions sociales. Ces conceptions, qui paraissent étonnamment modernes, sont issues d’une observation raisonnée du problème social et leur permet de comprendre la place que doit occuper le peuple dans la transformation politique.

Gracchus Babeuf avait compris l’évolution du monde et le sens de la Révolution française, et perçu l’avènement du capitalisme, un système « à l’aide duquel on parvient à faire remuer une multitude de bras sans que ceux qui les remuent en retirent le fruit« . Sylvain Maréchal, lui, était convaincu qu’on ne transformerait pas la société par la voie parlementaire tant qu’une « muraille d’airain s’élève encore entre ceux qui ont trop et ceux qui n’ont pas assez« . Il ne pouvait rien attendre de cette « démocratie » qui veut donner l’illusion qu’une population est unie et collabore dans un but commun, alors qu’elle est coupée par une fracture de classes entre exploités et exploiteurs.

Renaud (AL Alsace) http://www.alternativelibertaire.org/spip.php?article1347

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31 juillet 2013 ~ 0 Commentaire

31 juillet 1914 : l’assassinat de Jaurès

31 juillet 1914 : l'assassinat de Jaurès dans Histoire 1004813-%C3%89loy_Vincent_Jean_Jaur%C3%A8s_%C3%A0_la_tribune

Le 31 juillet 1914, dans un café parisien tout proche de la rédaction du journal l’Humanité qu’il dirigeait, Jean Jaurès était assassiné.

La date de cet assassinat ne devait évidemment rien au hasard : on était à quelques heures de la déclaration de guerre entre la France et l’Allemagne; et Jaurès, depuis des années, était aux yeux de la classe ouvrière l’un des plus farouches adversaires de la guerre impérialiste.
Jean Jaurès est né le 3 septembre 1859 à Castres. Bien qu’issu d’un milieu relativement modeste, il fit des études brillantes, et fut reçu premier au concours de la prestigieuse École normale supérieure. On était alors dans les années 1880, c’est-à-dire une dizaine d’année après la chute du Second Empire. La République semblait encore fragile, et Jaurès en fut très tôt un défenseur farouche: son propre parcours lui paraissait un bienfait de la République et de ses possibilités d’ascension sociale. Jean Jaurès fut donc élu député républicain du Tarn, de 1885 à 1889.

C’est en 1892 que Jaurès se lia au mouvement ouvrier. Cette année-là, les mineurs de Carmaux avaient entamé une grève pour protester contre le licenciement d’un des leurs. La Compagnie des mines était dirigée par des patrons d’extrême droite, des « capitalistes aristocrates » d’une espèce que Jaurès, farouche admirateur de la Révolution française, ne pouvait que haïr. Il prit donc fait et cause pour les mineurs en grève contre leur patron, le marquis Ludovic de Solage, député de la circonscription. Après la victoire de la grève, le marquis démissionna et Jaurès, à la demande des ouvriers qui estimaient lui devoir leur victoire, devint leur député.

C’est avant tout cela qu’était Jean Jaurès : un militant qui mit ses capacités intellectuelles et oratoires au service de la classe ouvrière. Jaurès se sentait profondément lié aux problèmes de l’humanité. À l’instar de Marx qui disait que « rien de ce qui était humain ne (lui) était étranger », Jaurès parlait d’un « traité qui le liait à la race humaine ». C’est cet humanisme qui fit de lui un adversaire acharné de la guerre; c’est lui aussi qui le fit se jeter en 1898 dans la bataille pour la défense de Dreyfus – alors que certains socialistes français, comme Jules Guesde, considéraient que cette bataille était d’un intérêt mineur pour le mouvement socialiste.

À la fin du 19e siècle, lorsque débutèrent dans le mouvement socialiste les grands débats entre révolutionnaires et réformistes, Jaurès appuya l’entrée du socialiste Millerand dans le gouvernement Waldeck-Rousseau… mais s’inclina devant la condamnation de cette politique par l’Internationale socialiste. Comme l’écrivit Trotsky, il était beaucoup plus marqué par les idées de la Révolution française que par celles de Marx: « Jaurès était entré dans le parti, homme mûr, avec une philosophie idéaliste entièrement formée. (…) Son socialisme ne prenait jamais un caractère de classe nettement accusé et ne rompait jamais avec les principes humanitaires et les conceptions du droit naturel si profondément imprimées dans la pensée politique française de l’époque de la grande Révolution. »
Jaurès, qui avait fondé l’Humanité en 1904, devint le principal dirigeant du Parti socialiste français unifié, né du congrès de 1905. Mais si Jaurès était un réformiste, il n’avait rien à voir avec les domestiques conscients de la bourgeoisie que sont les dirigeants socialistes d’aujourd’hui: même si Mitterrand en son temps a osé se réclamer de Jaurès, il y a un gouffre entre ce bourgeois ennemi de la classe ouvrière qu’était Mitterrand et ce dirigeant dévoué au prolétariat qu’était Jaurès.
Le dernier grand combat de Jaurès a été celui qu’il a mené contre la guerre mondiale qui se profilait. Assassiné à la veille de la guerre – par un illuminé nationaliste nommé Villain, qui fut lui-même abattu par les ouvriers espagnols en 1936- Jaurès n’a pas connu la honte du ralliement de tous les socialistes français au camp de la bourgeoisie, en 1914. Comme l’écrivit Trotsky, « un morceau de plomb a soustrait Jaurès à la plus grande des épreuves politiques. »
Il est évidemment difficile de savoir quelle aurait été son attitude face à la guerre s’il avait vécu. Mais Trotsky, lui, affirmait: « Quelle position eût-il occupé? Indubitablement, la position patriotique. Mais il ne se serait jamais résigné à l’abaissement qu’a subi le parti socialiste français (…) Et nous avons entièrement le droit de croire qu’au moment de la révolution future, le grand tribun eût déterminé, choisi sans erreur sa place et développé ses forces jusqu’au bout. » Et il concluait: « Jaurès tomba sur l’arène en combattant le plus terrible fléau de l’humanité et du genre humain: la guerre. Et il restera dans la mémoire de la postérité comme le précurseur, le prototype de l’homme supérieur qui doit naître des souffrances et des chutes, des espoirs et de la lutte.» Pierre VANDRILLE

Lu dans la Lutte Ouvrière n°1878 du 30 juillet 2004

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30 juillet 2013 ~ 0 Commentaire

Anticolonialisme : à propos de la disparition d’Henri Alleg

Anticolonialisme : à propos de la disparition d’Henri Alleg dans Anticolonialisme arton633-300x155

Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur Henri Alleg décédé la semaine dernière.

Souvent beaucoup de mensonges et pas mal d’hypocrisie de la part des personnalités politiques de gauche qui lui ont rendu hommage. Henri Alleg, militant du PCA torturé par les paras de Massu, est un des symboles de la lutte anticolonialiste. Il restera dans l’histoire, tout comme les communistes Raymonde Dien qui se coucha sur le rails pour empêcher un train de munitions de partir pour la guerre en Indochine, le marin Henri Martin qui refusa d’y servir ou le soldat Alban Liechti qui fera de même pendant la guerre d’Algérie.
Mais en matière d’hypocrisie, commençons par les larmes de crocodiles des dirigeants PS pleurant la disparition d’Henri Alleg, alors qu’il suffit de rappeler que l’insurrection algérienne a commencé en 1954 et que l’essentiel de la guerre répressive a été menée par un gouvernement socialiste sous la houlette des Guy Mollet, Lacoste ou Mitterrand. Ce dernier qui proclamait que « l’Algérie était française » a été ministre de la justice jusqu’en mai 57 et c’est lui qui a refusé de gracier 45 condamnés à mort qui seront guillotinés, comme le communiste Fernand Yveton ou un autre membre du PCA, l’aspirant Maillot qui avait déserté en 1956 et sera arrêté, puis assassiné.

Les opposants tardifs à la guerre Le PCF, qui joue aujourd’hui sur ses « martyrs », oublie de dire qu’en 1954, comme le PCA, il avait con- damné le début de l’insurrection armée, puis voté en 1956 au Parlement les « pouvoirs spéciaux » qui ont permis au gouvernement dirigé par Guy Mollet d’envoyer le contingent en Algérie.

Par la suite, le PCF, partisan de la « paix en Algérie » et non de l’indépendance, s’est opposé à celles et ceux qui se sont engagés dans les réseaux de soutien au FLN (réseaux Jeanson, Curiel, ou à Jeune résistance, organisation agissant dans l’armée, bloquant les trains de sol- dats partant pour Marseille, aidant les déserteurs). Beaucoup de militants communistes furent exclus du parti pour avoir milité dans ces structures, souvent au coté de chrétiens comme ceux qui éditaient la revue Témoignages et Documents.
Le PCA ne ralliera le FLN qu’en 1956 après avoir créé ses propres groupes armés, et ça n’est qu’à la fin de la guerre que le PCF demandera à une vingtaine de ses militants (presque tous fils de dirigeants) de refuser de partir à l’armée et donc de se faire arrêter. Il n’est  pas question ici d’ignorer le rôle du PCF dans cette bataille anticolonialiste mais de rétablir quelques vérités, y compris pour comprendre l’origine des exclusions et le rôle de la guerre d’Algérie pour la génération de 68 et d’après.
Signalons enfin qu’Alleg était devenu un opposant organisé à la direction actuelle du PCF, lui reprochant ses « capitu- lations ». Membre du Pôle de renaissance communiste en France, ce nostalgique de l’URSS était aussi membre du Comité Honecker de solidarité internationaliste (du nom de l’ancien dirigeant d’Allemagne de l’Est…).

Alain Krivine Vendredi 26 juillet 2013 Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 205 (25/07/13)

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30 juillet 2013 ~ 0 Commentaire

Chine : Une trajectoire dans le siècle (1)

Chine : Une trajectoire dans le siècle (1) dans Histoire lotus-a

Au début du XVIIIe siècle, la Chine représentait près de 25 % de l’ensemble des richesses produites dans le monde.

Le chiffre est proche de 10 % aujourd’hui, il était de 3 ou 4 % en 19501. Le « communisme » selon Mao puis le « capitalisme rouge » lui ont donc redonné une place éminente… Dans cette trajectoire si singulière, le Parti communiste a joué un rôle étonnant, capable de révolutionner en profondeur l’ensemble de la société, mais pour mieux accoucher au final d’un capitalisme qui peut sembler suffisamment « performant » pour placer la Chine parmi les grandes puissances « émergentes ».

1911-1949 : trois révolutions et une indépendance retrouvée Au début du siècle précédent, la situation était bien différente. La Chine n’est plus « l’Empire du Milieu » qu’elle croyait être, au centre du monde. C’est un pays traumatisé, soumis aux invasions étrangères, humilié. La Chine a manqué le train de la révolution industrielle, elle subit désormais toutes les conséquences des « traités inégaux » que lui imposent après 1839 les occidentaux, qui bénéficient d’une véritable extraterritorialité grâce aux « concessions » et de l’ouverture forcée d’un certain nombre de villes au commerce.

En 1911, une révolution dépose le jeune empereur Pu Yi et la République est proclamée en 1912. Sun Yat-sen – qui a fondé le Guomindang, un parti nationaliste destiné à libérer et à moderniser la Chine sous l’impulsion de la bourgeoisie – est écarté par les militaires. Le pays s’enfonce un peu plus dans le chaos, martyrisé par les « seigneurs de guerre » qui se partagent les dépouilles sous le contrôle plus ou moins bienveillant des puissances étrangères. Un espoir pourtant : il est du côté de la Russie où la révolution en 1917, sous l’impulsion des bolcheviks, proclame le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».

Au même moment émerge un véritable mouvement de renaissance culturelle qui prend son essor autour d’une grande figure intellectuelle, Chen Duxiu, et d’étudiants de l’université de Pékin. Il cherche à redonner à la Chine sa fierté et son indépen-dance, mais n’hésite pas pour cela à critiquer violemment la culture traditionnelle et le confucianisme, tous les rapports sociaux hérités du passé, la famille, osant ce paradoxe : la Chine doit être capable d’apprendre de l’occident si elle veut s’émanciper, et associer étroitement émancipation nationale et émancipation sociale en faisant des classes pauvres de la société le moteur de la révolution. Ce mouvement est directement à l’origine de la révolte du 4 mai 1919 qui éclate lorsque parviennent à Pékin les conclusions de la conférence de Versailles offrant de nouveaux territoires au Japon. Elle rencontre un écho profond dans tout le pays.

En fait deux partis s’en réclament : outre le Guomindang, transformé en un véritable parti militarisé sous la direction de Jiang Jieshi (Tchang Kaï-chek), qui prétend faire la révolution par en haut sous le contrôle de la bourgeoisie, il y a désormais le Parti communiste chinois fondé par Chen Duxiu en 1921, encore très embryonnaire. Suivant les conseils de Moscou, le PCC se fond dans le Guomindang, lequel obtient en échange des armes et des conseillers militaires, pour des raisons tactiques mais pas uniquement : c’est aussi l’idée d’une « révolution en deux étapes » (bourgeoise d’abord, prolétarienne ensuite) qui s’impose sous la direction de Staline et Zinoviev, contre Trotsky.

Or la situation change rapidement. Le PCC acquiert une certaine influence, porté par une véritable révolte qui gagne la population ur- baine à partir de 1924-1925. Ses militants sont massacrés par les troupes du Guomindang qui ont compris le danger. L’absence de politique indépendante pour le prolétariat débouche en 1927 sur un désastre, dont Staline est directement responsable. C’est la fin de la « deuxième révolution chinoise » et le point de départ d’une nouvelle étape.

Les survivants se réfugient dans les campagnes, puis constituent une « armée rouge » à la tête de laquelle s’impose peu à peu un nouveau dirigeant, Mao Zedong, qui entreprend une « longue marche » en 1934 afin d’échapper à une nouvelle tentative d’extermination. Chen Duxiu rejoint l’opposition trotskyste.

Dès cette époque, Mao donne au PCC un nouveau visage : par son fonctionnement bureaucratique et autoritaire, il a tous les traits d’un parti stalinien. Mais Mao s’oppose de plus en plus ouvertement à la fraction dirigée par Wang Ming, laquelle fait directement allégeance à Staline, avant de l’éliminer. Mao défend son pré-carré, et une version de plus en plus « sinisée » du marxisme, centrée sur la conquête de l’in- dépendance nationale. En son cœur, une stratégie qu’il élabore progressivement au cours de ces années, la « guerre populaire prolongée », et une armée qui prend appui sur la paysannerie, encadrée par les rares étudiants venus des villes qui ont échappé aux massacres. Les territoires libérés survivent comme ils peuvent, comme cette « République soviétique » (mais sans soviets !) du Shaanxi que dirige Mao dans le nord de la Chine durant plusieurs années.

La situation bascule quand le Guomindang, déjà affaibli par la corruption, est confronté à un nouveau rival : le Japon. Ce dernier envahit la Mandchourie en 1931 puis le reste du pays en 1937. Les massacres de Nankin font au moins 150 000 victimes. Conséquence des destructions et de toutes les atrocités commises, des famines et des déplacements de population, la guerre fait plus de 15 millions de morts.

En 1937, le Guomindang et le PCC s’allient contre l’envahisseur japonais. C’est une version particulière du « front populaire » que Staline et ses émissaires promeuvent désormais partout. L’alliance avec le Guomindang est cependant plus formelle que réelle et l’opposition entre les deux partis ne cesse pas durant la guerre. Mais face au Japon, l’armée rouge transformée en « Armée de libération du peuple » in- carne bien plus que le Guomindang la volonté de se battre pour l’indépendance du pays. Une volonté que symbolisent son drapeau et « l’union des quatre classes » désormais assumée par le PCC entre les ouvriers, la paysannerie, les intellectuels et la « bourgeoisie patriote ». Dimanche 28 juillet 2013 Publié dans : Revue Tout est à nous ! 45 (juillet 2013)

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