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09 février 2025 ~ 0 Commentaire

Leonid Plioutch

 

Leonid Plioutch dans A gauche du PS

Ces mathématiciens qui firent plier le Kremlin – INÉDIT – Lundi 10 février à 20h30 sur LCP.

Tiré du bulletin du 9 février du Samizdat 2

Le 15 janvier 1972, lors de son arrestation à son domicile ukrainien, Léonid Pliouchtch est un inconnu de 33 ans. Mathématicien, communiste, il appartient à un petit groupe de défenseurs des droits de l’homme dans la très peu démocratique URSS de Léonid Brejnev. Mais, saisi par sa femme Tatiana, un comité de mathématiciens français, animé par Laurent Schwartz, premier médaillé Fields français, parvient à fédérer des centaines de collègues à travers le monde pour demander sa libération.

Lorsqu’éclate l’affaire, à l’Ouest, on ne connaît des opposants soviétiques que le dissident Sakharov, père de la bombe soviétique, bientôt Nobel de la Paix ; ou encore Soljenitsyne, auteur de L’Archipel du Goulag. Mais grâce au « Comité des mathématiciens » et à la ténacité de Tatiana Pliouchtch, discrètement aidés par des trotskistes de l’OCI, le cas Pliouchtch devient un tel symbole qu’il va amener le PCF, sommé de prendre position, à prendre ses distances avec l’Union soviétique.

 dans Histoire
Pierre Juquin accueillant Leonid Pliouchtch.

Ce documentaire réalisé par Mathieu Schwartz, petit neveu de Laurent Schwartz, repose sur le témoignage inédit et exclusif de Tatiana Pliouchtch, la femme de Léonid, mais aussi sur celui de Michel Broué, cheville ouvrière du comité des mathématiciens, de Pierre Juquin, alors au comité central du PCF, de Laurent Mauduit, ancien trotskiste, ou de Bernard Guetta, alors au Nouvel Obs.

·         Réalisé par : Mathieu Schwartz

·         Image : Gabriele Buti et Daphné Turpin

·         Montage : Marie Luquet-Courbon

·         Durée : 57′ / Année : 2024

·         Coproduction : Tournez s’il Vous Plaît / LCP-Assemblée nationale

Diffusions :

  • Lundi 10 février à 20h30
  • Lundi 17 février à 00h30
  • En replay sur LCP.FR et la chaîne YouTube de LCP

Suivi d’un débat présenté par Jean-Pierre Gratien

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05 février 2025 ~ 0 Commentaire

Espoirs et Trahison (LCR)

10 mai 1981, espoirs et trahison

En 1981, la droite était au pouvoir depuis 23 ans. Depuis le début des années 60, la contestation et les luttes se développaient parmi les travailleurs et la jeunesse, notamment étudiante. Elles avaient débouché sur l’énorme mouvement de mai-juin 68 qui avait imposé des conquêtes sociales, importantes mais largement perçues comme en deçà des possibilités du mouvement, et n’avait pu mettre à bas le régime.

À partir du milieu des années 70, confrontée à la crise économique, la bourgeoisie française avait repris l’offensive : « La France vit au-dessus de ses moyens » avait clamé Raymond Barre, Premier ministre de Giscard d’Estaing (président de 1974 à 1981).

Des luttes importantes avaient lieu mais les forces réformistes (PCF et PS) étaient à la fois divisées, concurrentes mais unies dans leur volonté de donner un débouché d’abord électoral à la situation.

Les deux partis, associés au Parti radical de gauche, avaient conclu un programme commun de gouvernement. Dans les manifestations s’opposaient les mots d’ordre des révolutionnaires (largement repris par des milliers de travailleurs et de jeunes et certaines structures de la CFDT) et ceux des directions réformistes (en premier lieu du PCF hégémonique dans la CGT) qui avait agrémenté le mot d’ordre « une seule solution la révolution » d’un additif : « un seul moyen, le programme commun ».

Mitterrand,  politicien au lourd passé, avait réussi à s’imposer au sein de la gauche comme un « homme providentiel ». Ceux qui, en 1965, avaient refusé que le PCF s’efface devant lui aux présidentielles, en avaient été exclus, notamment les camarades qui, avec Alain Krivine, allaient former la JCR (Jeunesse communiste révolutionnaire). L’intelligence de Mitterrand avait été de comprendre que le PS (dont il avait pris le contrôle) face au PC, encore nettement plus implanté, ne pouvait l’emporter que sur un discours « gauche » et unitaire.

La LCR et LO sans illusion sur l’individu et la logique réformiste espéraient néanmoins, surtout la LCR, qu’une victoire électorale déboucherait, comme lors du Front populaire en 1936, sur une vague de grèves et de luttes qui pousserait le gouvernement plus loin qu’il n’aurait voulu aller.

C’était sous-estimer les conséquences du développement du chômage et les premiers échecs de mobilisations contre les restructurations (notamment la lutte acharnée des sidérurgistes en 1978-1979) tout autant que les illusions d’une large partie des travailleurs et le poids de la CGT, acharnée à marteler qu’il s’agissait d’une étape nécessaire.

C’était aussi sous-estimer la duplicité du politicien Mitterrand. Arrivé au pouvoir, il s’est coulé dans la monarchie présidentielle de la Ve République et a donné des gages aux États-Unis et à l’Europe capitaliste. Tout en prenant dans un premier temps des mesures en partie conformes au programme sur lequel il avait gagné les élections, il a nommé au poste essentiel de ministre de l’Économie et des finances Jacques Delors (qui en fait était opposé à l’essentiel de ce programme).

Il n’est pas vrai que Mitterrand a vraiment essayé d’instaurer un « socialisme démocratique », qu’il s’est heurté à la « contrainte extérieure » et qu’il n’avait plus d’autre choix que l’austérité.

Comme l’écrivait notre camarade Ernest Mandel dès octobre 1981 dans la revue de la LCR : « La question est de savoir si on a la volonté de risquer cette épreuve de force avec le capital français et international, ou si, par peur de cette épreuve de force (et des “risques de l’inconnu”), on sacrifie délibérément les intérêts des masses laborieuses, leurs espoirs de changement, leur désir de voir éliminés les fléaux du chômage et de l’inflation sur l’autel de la collaboration avec la bourgeoisie et de la garantie à ses profits.[…]

Aussi longtemps qu’on n’effectue pas cette rupture, on est amené à respecter des “règles du jeu” qui, répétons-le, ne sont ni fatales ni techniques, mais correspondent aux impératifs d’un type particulier d’économie : l’économie capitaliste, l’économie de marché généralisée, l’impératif du profit. »

La force du système présidentiel, la satisfaction des dirigeants du PS d’être enfin au pouvoir, le « recentrage » de la CFDT et la politique du PCF ont permis à Mitterrand d’impulser à partir de mars 1983 une trahison ouverte des espoirs de 1981 sans que l’extrême gauche puisse faire beaucoup plus que de la dénoncer.

On comprend mal pourquoi certains, notamment Jean-Luc Mélenchon, ne cessent de tresser les louanges de celui qui, durant ses deux mandats, a largement impulsé le tournant de la social-démocratie vers le néolibéralisme et n’a pas répugné à utiliser des officines policières.

Montée du chômage et désillusion alimenteront la dépolitisation et le désengagement militant ainsi que la progression de l’extrême droite. Autant de paramètres de la situation politique d’aujourd’hui.

À l’opposé, l’enjeu, pour les anticapitalistes et révolutionnaires, est de convaincre le plus largement possible que, sans que la mise en mouvement des masses et sans un parti (ou des partis), réellement implanté et porteur d’une vraie alternative à un système avec lequel on ne peut pas pactiser, il n’est pas de véritable victoire possible.

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27 janvier 2025 ~ 0 Commentaire

antifascisme (NPA)

antifascisme (NPA) dans Histoire

La date du 27 janvier marque l’anniversaire de la libération du camp et centre de mise à mort nazi d’Auschwitz-Birkenau par les troupes soviétiques le 27 janvier 1945. Elle a été officiellement proclamée, en novembre 2005, Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de la Shoah par l’Assemblée générale des Nations Unies.

En cette année 2025, nous commémorons le 80e anniversaire de la fin de la 2e guerre mondiale avec la défaite du nazisme. Le « Reich de 1000 ans » promis par Hitler aura duré 12 ans. Il a eu néanmoins le temps de déclencher la 2e guerre mondiale et de mettre en œuvre la Shoah et le génocide des Tziganes. Le dernier camp est « libéré » le 8 mai 1945 ; il s’agit de Theresienstadt/Terezin, en Tchécoslovaquie.

Nous nous rassemblons pour rendre hommage aux victimes et pour marquer notre détermination à lutter contre toutes les extrêmes-droites et contre toute forme de racisme et d’antisémitisme.

C’est d’autant plus d’actualité au moment où en Europe même l’extrême-droite raciste et antisémite, mais aussi sexiste, lgbtqia+phobe et validiste se prépare à gouverner l’Autriche et à réaliser un score très important lors des élections en Allemagne le 23 février prochain. Dans ce dernier pays, on assiste à l’intervention d’Elon Musk en faveur du parti AFD, lequel banalise le nazisme et défend le projet d’expulsions massives de personnes issues de l’immigration, comme cela va être le cas aux Etats-Unis sur ordre de Donald Trump.

En France, on a pu assister récemment, lors de la mort de Jean-Marie Le Pen, à une opération de minimisation, voire d’enfouissement, de la longue série de déclarations antisémites et négationnistes de celui qui a fondé le FN avec d’anciens Waffen SS et des miliciens.

Signataires :

Réseau d’Actions contre l’Antisémitisme et tous les Racismes, SOS Racisme, Collectif Golem et LDH (Ligue des Droits de l’Homme), LICRA (Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme), MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples)

NI OUBLI, NI PARDON

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03 janvier 2025 ~ 0 Commentaire

GERNIKA (Guerre Civile Skol Vreiz)

GERNIKA (Guerre Civile Skol Vreiz) dans Antifascisme 978-2-36758-171-2

https://www.skolvreizh.com/produit/

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02 janvier 2025 ~ 0 Commentaire

Gwengamp

Sans titre 1

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30 novembre 2024 ~ 0 Commentaire

FRONT POP 1936 (NPA)

Les enjeux du Front populaire de 1936

Olivier Besancenot
Revue L’Anticapitaliste n°161 (novembre 2024)

Le Front populaire de 1936 reste une référence aux yeux du monde du travail, parce qu’il renvoie à une puissante dynamique unitaire du mouvement ouvrier et à des conquêtes sociales importantes (40 heures, deux semaines de congés payés, assurance chômage de base, etc.). En même temps, il révèle une contradiction majeure entre les aspirations de celles et ceux d’en bas et les politiques des directions socialiste et communiste d’alors. Son histoire permet de débattre d’enjeux stratégiques essentiels. 

On ne peut parler du Front populaire de 1936 sans rappeler le contexte international.

La crise économique et sociale et l’explosion du chômage du début des années trente, suivie de l’arrivée de Hitler au pouvoir, le 30 janvier 1933. La défaite sans combat du mouvement ouvrier allemand constitue alors un tremblement de terre politico-social dont on mesure mal aujourd’hui l’importance. L’Internationale communiste (IC) en est largement responsable pour avoir obstinément refusé d’appeler la social-démocratie, dénoncée comme social-fasciste, à une politique de front unique antinazi.

Dynamique anticapitaliste

En France, l’émeute réactionnaire et fascisante du 6 février 1934 met le feu aux poudres. Les ligues à vocation fasciste sont (encore) divisées, elles ne disposent pas (encore) d’un chef unique, comme Mussolini ou Hitler, et la démocratie petite-bourgeoise leur oppose (encore) une résistance plus forte qu’en Italie, en 1921-22, ou en Allemagne, en 1932-33 mais leur convergence inquiète : l’émeute du 6 février résulte d’une manifestation contre la corruption du gouvernement républicain, appelée par diverses composantes qui revendiquent chacune des dizaines de milliers d’adhérents.

Dans ce contexte, marqué par l’écrasement des socialistes autrichiens, en février, puis par le soulèvement révolutionnaire espagnol des Asturies, en octobre, une puissante aspiration à l’unité s’empare de la base des partis socialiste et communiste, et des deux principales confédérations syndicales (CGT et CGTU), dont les cortèges convergent spontanément lors de la grève générale du 12 février. Le mouvement ouvrier prend confiance dans ses propres forces dans la foulée du succès de la grève générale du 12 février 1934 et du pacte d’unité d’action SFIO-PCF du 27 juillet.

Dès fin mars 1934, l’Appel des intellectuels antifascistes, puis celui du Comité Amsterdam-Pleyel (juin 1935), débouchent, sur l’énorme mobilisation du 14 juillet 1935, soutenue activement par la LDH. Dès octobre 1934, des négociations s’engagent entre la CGT (dominée par la SFIO) et la CGTU (dominée par le PCF) pour la réunification syndicale, actée au Congrès de Toulouse de mars 1936. Ces développements nourrissent une puissante aspiration sociale et démocratique, dont la dynamique est clairement anticapitaliste.

Nouvelle politique de Staline

Après la victoire d’Hitler, Staline cherche à se rapprocher des démocraties occidentales pour se protéger de l’impérialisme allemand, dont la volonté d’expansion à l’Est s’exprime désormais au grand jour. Cette orientation est adoptée par le 7e congrès de l’IC, en juillet 35. Les partis communistes doivent s’aligner sur la diplomatie soviétique. Le PCF veille désormais à ne pas mettre en cause les intérêts fondamentaux de la bourgeoisie française et de son empire colonial (12,5 millions de km2 et 65 à 70 millions d’habitant·es).

Cela justifie la main tendue au Parti radical, qui dispose d’une base électorale petite-bourgeoise, bien qu’il défende les intérêts de la bourgeoisie impérialiste1. Il a été à la tête de plusieurs gouvernements (de juin 1932 à février 1934), avant de participer docilement à des cabinets de droite (de février 1934 à mai 1935). Pourtant, ébranlé par ses reculs aux scrutins cantonaux et communaux de 1934-1935, il négocie un programme de Rassemblement populaire avec la SFIO et le PCF pour les élections parlementaires d’avril-mai 1936, qui ne contient ni réformes sociales ni concessions aux revendications des salarié·es.

Le 3 mai 1936, le PCF est le grand vainqueur des élections, passant de 8,3 % à 15,2 % des suffrages (de 10 à 72 députés). La SFIO se maintient (perdant légèrement en suffrages, de 20,5 % à 19,2 %, elle gagne 17 sièges). Les radicaux, compromis dans une gestion calamiteuse de la crise et dans les scandales financiers qui étaient au cœur de la propagande d’extrême droite, reculent (de 19,2 % à 15,2 %, perdant 45 sièges), même s’ils dominent encore le Sénat. Au total, les partis du Front populaire passent de 48 % à 51,5 % des suffrages (en comptant les 1,9 % du Parti d’unité prolétarienne1). Le gain n’est pas énorme, mais le déplacement à gauche de l’électorat est spectaculaire.

Grèves de masse et occupation des usines

Le mouvement de grève suit immédiatement le résultat des élections. Dès le 11 mai, au Havre et le 13 mai, à Toulouse, avec les premières occupations d’usine. Le 24 mai, une manifestation de plusieurs centaines de milliers de personnes défile à la mémoire des morts de la Commune. Les grèves avec occupation se sont étendues à la métallurgie parisienne. Le 28 mai, les 35 000 ouvriers des usines Renault cessent le travail et les occupations se généralisent. Après une brève accalmie, le mouvement reprend de plus belle le 2 juin et touche tous les secteurs ainsi que les nouvelles générations de salarié·es.

Le 4 juin, le gouvernement est formé, avec Léon Blum (SFIO) comme président et Édouard Daladier (radical) comme vice-président. Les radicaux obtiennent des portefeuilles essentiels comme la Défense nationale, la Justice, les Affaires étrangères, l’Éducation nationale ou le Commerce. Pour le Président du conseil, la gauche doit occuper le pouvoir et l’exercer, avant d’envisager sa conquête. Le PCF soutient ce cabinet sans y participer.

Son tournant unitaire lui a permis d’être en phase avec la poussée d’en bas. En 4 ans, de 1933 à 1937, ses membres passent de 30 000 à 300 000 membres ! Mais il va mettre sa nouvelle influence politique de masse au service d’une politique d’autolimitation des aspirations du monde ouvrier et des peuples colonisés : renonciation à des réformes structurelles, ralliement à la défense nationale, mise en sourdine de l’anti-colonialisme2 et acceptation de la politique de non-intervention pour soutenir la République espagnole.

Immédiatement, le gouvernement s’efforce de faire cesser les grèves et les occupations en annonçant le vote imminent de lois sociales. Pourtant, du 4 au 7 juin, loin de se calmer, le mouvement se généralise, s’étend à la province et atteint les services publics. Il touche des secteurs nouveaux, comme les grands magasins, les assurances, la restauration et les spectacles.

Cette irruption des masses dans le domaine où se règlent leurs propres destinées se traduit par 12 000 arrêts de travail, 2 millions de grévistes, l’occupation des lieux de travail, l’émergence d’une assemblée générale des délégués des usines en grève de la région parisienne, l’afflux de 4 millions de syndiqué·es dans la CGT unifiée. C’est dans ce contexte que Trotsky peut écrire, le 9 juin 1936 : « La révolution française a commencé ».

Front populaire, ultime rempart de l’ordre bourgeois ?

En face, on s’organise. Dès le 5 juin, c’est le grand patronat qui prend l’initiative d’une négociation au sommet en proposant le relèvement général des salaires contre l’évacuation des usines. « Voilà d’où est venu l’accord Matignon », signé dans la nuit du 7 au 8 juin, expliquera Blum, quelques années plus tard. Que contient-il ?

1. Le principe de contrats collectifs de travail fondés sur la reconnaissance de la liberté syndicale, la désignation de délégué·es du personnel dans toute entreprise comptant au moins 10 salarié·es3 et la fixation de salaires minimaux par région et catégorie.

2. Le relèvement des salaires de 15 % pour les plus faibles à 7 % pour les plus élevés.

3. La renonciation à toute sanction pour fait de grève.

Les congés payés et la semaine de 40 heures sont votés par la majorité de la Chambre, les 11 et 12 juin. La CGPF (Confédération générale du patronat français) exprime publiquement ses réserves envers l’Accord de Matignon, paraphé sous la contrainte, alors que les dirigeants syndicaux se déclarent liés par leur signature et appellent à la reprise immédiate du travail.

Dans ce contexte extrêmement tendu, le PCF joue un rôle décisif en faveur la reprise du travail. Le 11 juin, Maurice Thorez déclare en effet : « Il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compromis si toutes les revendications n’ont pas encore été acceptées, mais que l’on a obtenu la victoire sur les plus essentielles des revendications. Tout n’est pas possible ». Le lendemain, le reflux est net en région parisienne, plus lent en province.

Le gouvernement Blum s’embourbe dès lors dans ses contradictions : comment satisfaire les revendications populaires, assurer la relance de l’économie et garantir le redressement des profits des entreprises ? Le patronat reprend d’une main ce qu’il a cédé de l’autre, tandis que le gouvernement s’engage dans des politiques d’austérité qui démobilisent très vite la base populaire du front, tandis que les polémistes antisémites prospèrent sur la dénonciation de Léon Blum. L’offensive de longue haleine d’une droite autoritaire, colonialiste, raciste et antisémite, à laquelle les directions de la gauche n’ont pas su opposer une alternative socialiste victorieuse, achevait de préparer l’opinion à la capitulation vichyssoise.

C’est dans ce sens, que Trotsky a pu écrire que le Front populaire était bien, avec le fascisme, la dernière carte de la bourgeoisie.

Revue L’Anticapitaliste n°161 (novembre 2004

https://lanticapitaliste.org/

Lire aussi:

1936 – Front populaire  : les tâches des révolutionnaires

samedi 30 novembre 2024, par SABADO François

Trotsky, étroitement surveillé durant son séjour en France (de juillet 1933 à juin 1935), puis exilé en Norvège, de même que le courant trotskiste, faible, divisé et pourchassé par les staliniens, ont tout de même tenté de formuler une tactique précise par rapport au Front populaire de 1936, ceci dans des conditions particulièrement difficiles.

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25 novembre 2024 ~ 0 Commentaire

Irlande (Inprecor)

Irlande (Inprecor) dans A gauche du PS
Des habitants cherchent des objets de valeur dans les décombres de Dublin, en Irlande, après l’insurrection de Pâques irlandaise, du 24 au 30 avril 1916. Domaine public.

Unifier une classe ouvrière divisée

Plus de vingt ans après la signature de l’accord du Vendredi saint, la « question nationale » en Irlande occupe à nouveau le devant de la scène. Cela est dû à plusieurs facteurs se combinant : les évolutions démographiques dans le Nord, le Brexit, ainsi que la montée du Sinn Féin dans le Sud.

La question nationale pose d’innombrables questions aux socialistes qui luttent pour unir la classe ouvrière, au Nord comme au Sud, et mettre fin au système capitaliste. Nous sommes aujourd’hui confrontés aux effets, 100 ans après, du « carnival of reaction » 1 pressenti par James Connolly à la suite de la partition de l’Irlande par l’impérialisme britannique.

Depuis le lancement de RISE, nous avons débattu de la position que le mouvement socialiste devrait défendre et de la manière dont nous devrions proposer une réponse socialiste à la question nationale en Irlande. Cet article contient certaines des conclusions de cette discussion, en particulier en ce qui concerne la manière dont les socialistes devraient répondre au sondage sur les frontières*.

Une brève histoire de l’oppression nationale

La question nationale est le terme employé par les marxistes pour aborder un problème d’oppression nationale non résolu. Par exemple, il existe de multiples questions nationales dans l’État espagnol, notamment l’oppression des peuples basque et catalan. Reconnaître l’existence d’une question nationale n’est cependant pas la même chose qu’identifier précisément quel est le problème. Chaque question nationale possède ses propres caractéristiques.

La plupart des théories marxistes sur l’impérialisme traitaient principalement des empires coloniaux qui étaient à leur apogée au 19e et au début du 20e siècle. D’autres écrits sur la question nationale traitaient principalement des pays européens qui avaient été incorporés dans des États plus vastes à travers diverses structures politiques dynastiques féodales. La question nationale irlandaise, telle qu’elle s’est développée au fil des siècles, présentait des caractéristiques de ces deux types 2.

La première incursion « britannique » (bien qu’en réalité antérieure au concept de Grande-Bretagne) fut l’invasion anglo-normande de 1169, destinée à empêcher que l’Irlande ne serve de base pour fomenter une rébellion contre la monarchie féodale.

Au cours des siècles suivants, bien que le contrôle territorial ait été maintenu sur le « Pale » (la région comprenant Dublin et ses environs), les Normands se sont largement assimilés à la culture gaélique dans le reste de l’île. Vint ensuite la conquête des Tudor et des Stuart, qui parvint à rétablir le contrôle direct de toute l’Irlande au début du 17e siècle. Dans le cadre de cette conquête, une politique brutale de « défrichement et de plantation » a été mise en place : les terres ont été confisquées aux chefs irlandais et vendues aux enchères à des propriétaires terriens anglais. La Plantation de l’Ulster a été la plus importante et la plus achevée, elle visait à établir une population fiable et loyale parmi des colons protestants principalement écossais.

Lorsque la monarchie et l’Église catholique, qui était au cœur de la réaction féodale, ont été vaincues lors de la révolution anglaise 3, l’Angleterre est devenue une économie essentiellement capitaliste.

Oliver Cromwell a fondé et dirigé la New Model Army, qui a joué un rôle décisif dans la défaite des royalistes. En 1649, il entreprend une nouvelle conquête brutale de l’Irlande, largement contrôlée par la Fédération catholique irlandaise, qui s’était alliée aux royalistes.

La classe des propriétaires terriens catholiques fut dépossédée et la population catholique fit l’objet d’une discrimination systématique. En 1775, alors que les catholiques représentaient les deux tiers de la population, ils n’avaient plus que 5 % des terres. Christopher Hill a décrit la conquête cromwellienne comme « le premier grand triomphe de l’impérialisme anglais et la première grande défaite de la démocratie anglaise »4

L’Irlande s’est alors développée comme une colonie spécifique d’une Grande-Bretagne capitaliste, fonctionnant comme une partie arriérée du Royaume-Uni, devenant le « grenier de la Grande-Bretagne », avec d’importantes exportations de céréales. Celles-ci se sont poursuivies même pendant la Grande Famine de 1845 à 1849, qui a fait plus d’un million de victimes. Comme l’a dit James Connolly, « toutes ces personnes ont été sacrifiées sur l’autel de la pensée capitaliste » 5. Le nord-est de l’Irlande, qui a connu un véritable développement industriel, en particulier autour de Belfast, constitue une exception notable à ce sous-développement.

Inspiré·es par les révolutions américaine et française, et avec l’aide matérielle de cette dernière, les Irlandais·es se sont soulevé·es à plusieurs reprises pour tenter de mettre fin à la domination coloniale (et à leur oppression). La rébellion de 1798 des United Irishmen, qui a réussi à unir catholiques et protestants sous la direction de Wolfe Tone, a été la plus proche de la réussite.

Confrontée à ce qui aurait pu être une défaite, la stratégie britannique s’est orientée vers l’unification des anglicans et des presbytériens au sein d’un bloc protestant commun, puis vers la création consciente de divisions entre protestants et catholiques afin d’empêcher la réapparition d’un tel mouvement uni.

L’Acte d’Union de 1801, qui continuait d’interdire aux catholiques l’accès aux fonctions publiques et excluait l’« émancipation des catholiques », en est l’illustration. Cela n’a pas empêché des tentatives répétées de soulèvement tout au long du 19e siècle, puis lors de l’insurrection de Pâques en 1916. Alors que les demandes de « Home Rule » (une forme de dévolution du pouvoir) se multipliaient, les conservateurs en particulier décidèrent que « la carte Orange serait celle à jouer », selon les termes de Lord Randolph Churchill 6.

Au lendemain de la révolution russe, l’impérialisme britannique est confronté à un mouvement révolutionnaire irlandais qui ne se contente pas de mettre sur la table la possibilité d’une libération nationale, mais qui met également à l’ordre du jour les rapports de classe. Le développement du militantisme ouvrier, les occupations de lieux de travail et de terres ainsi que des événements tels que la grève générale contre la conscription en 1918 et le soviet de Limerick en 1919 ont semé l’effroi au sein du gouvernement britannique.

L’incapacité du mouvement ouvrier à contester l’hégémonie des nationalistes issus de la classe moyenne du Sinn Féin, et l’idée largement partagée que « le travail doit attendre » (Le labour après la bourgeoisie) ont malheureusement conduit à ce que le potentiel de cette période n’ait pas été atteint.

En réponse à cette menace, l’impérialisme britannique, tout en tentant de vaincre militairement et de réprimer les mouvements auxquels il était confronté, a poursuivi la stratégie du « diviser pour mieux régner » de manière toujours plus cynique. Il a entrepris de diviser l’Irlande en 1920 et a insisté sur cette partition dans le traité anglo-irlandais de 1921.

Cette période de révolution irlandaise s’est achevée en 1922 par une contre-révolution qui a vu la création de l’« État libre », une société réactionnaire dominée par l’Église catholique, où les républicains et les socialistes opposés au traité ont été exécutés sans procès, où la littérature subversive a été interdite et où les femmes ont été exclues de toute participation à la vie publique.

Au nord de la frontière, la discrimination ouverte et l’oppression de la minorité catholique étaient la norme, avec une Royal Ulster Constabulary (RUC, Police royale de l’Ulster) sectaire, ainsi que des groupes paramilitaires loyalistes, et le gerrymandering, un découpage des circonscriptions électorales visant à minimiser la représentation catholique.

Dans le Sud, une classe capitaliste faible et ses représentants politiques ont continué à s’appuyer sur l’autorité de l’Église catholique, tout en agissant pour faciliter l’exploitation des populations et des ressources par des capitaux étrangers, d’abord britanniques, puis américains et européens. Dans le Nord, la discrimination systématique s’est poursuivie, le logement s’avérant l’élément clé qui a déclenché le mouvement des droits civiques dans les années 1960.

Toute possibilité d’un mouvement de classe uni pour les droits civils et économiques a été rejetée par les dirigeants nationalistes conservateurs, qui ont fait le choix de l’« unité anti-Unioniste » (c’est-à-dire l’unité catholique) plutôt que celui de l’unité de classe. Lorsque les manifestations pour les droits civiques ont été violemment attaquées par des gangs loyalistes, protégés par la RUC, et que des manifestant·es pacifiques ont été abattu·es par des parachutistes britanniques lors du Bloody Sunday, une partie importante de la jeunesse catholique, lassée de l’oppression et sans mouvement socialiste de classe conséquent à sa disposition, s’est tournée vers la lutte armée et vers l’IRA Provisoire.

Il était compréhensible que les jeunes catholiques veuillent riposter à la situation à laquelle ils étaient confrontés. Cependant, la campagne de l’IRA a toujours été une impasse. Bien qu’elle soit fondamentalement différente des campagnes ouvertement sectaires des paramilitaires loyalistes, elle n’a pas pu vaincre militairement l’État britannique et a eu pour effet d’aggraver les divisions sectaires.

L’accord du Vendredi saint (accord de Belfast de 1998, NDLR), qui a mis fin aux Troubles, n’a pas résolu la question nationale ni mis fin à la profonde division de la société du Nord. L’accord de partage du pouvoir n’a fait que masquer le fossé historique entre les communautés, tout en institutionnalisant le sectarisme au sommet.

Les principaux partis politiques des deux côtés du fossé se sont unis pour mettre en œuvre des politiques néolibérales de réduction des dépenses et de privatisation, tout en se présentant comme les meilleurs représentants des intérêts de « leur » communauté pour se faire réélire.

Quelle est la nature de la question nationale aujourd’hui ?

Sans les actions de l’impérialisme britannique durant des siècles, il n’y aurait pas de question nationale en Irlande. En particulier, la partition de l’Irlande est responsable de la forme spécifique que prend la question nationale aujourd’hui. Cependant, l’une des conséquences des actions de l’impérialisme britannique est aujourd’hui l’existence de deux communautés distinctes dans le Nord avec des aspirations nationales conflictuelles.

Les catholiques ont été historiquement constamment discriminés au sein de l’État du Nord par les politiciens unionistes de droite et par un État britannique heureux de pouvoir compter sur le soutien d’une majorité protestante. Bien que la discrimination économique active appartienne désormais en grande partie au passé, des résidus subsistent. Même si les vestiges des discriminations en matière d’emploi ou de logement disparaissaient, les catholiques resteraient certainement opprimés au niveau national, car leur souhait d’être dans un pays qui correspond à leur identité nationale est entravé et ils sont emprisonnés dans un État du Nord auquel ils ne s’identifient pas.

En raison de l’exclusion des catholiques d’une grande partie de l’industrie, ce sont les protestants qui, historiquement, ont occupé la grande majorité des emplois qualifiés et syndiqués. Cet accès préférentiel aux emplois qualifiés et, dans le domaine de la reproduction sociale, au logement, a constitué une partie de la base historique du bloc politique unioniste.

Cependant, les théories qui traitent les protestants comme une « aristocratie ouvrière » super-privilégiée ou, pire encore, comme des « colons » équivalents aux Sud-Africains blancs, ne reposent sur aucun fait concret. La classe ouvrière protestante, même si les catholiques subissaient une discrimination directe en termes de logement et d’emploi, souffrait également de taux de pauvreté et de privation parmi les plus élevés du Royaume-Uni, comme en témoigne à Belfast la misère régnant autant dans Shankill Road que dans Falls Road 7.

Ce n’est pas l’avantage économique seul qui a permis de lier une partie des travailleurs à l’État britannique, c’est l’idéologie unioniste. Cependant, la stratégie du « diviser pour mieux régner » du capitalisme et de l’État britannique s’est effondrée à des moments cruciaux, lorsque de puissantes luttes conjointes de travailleur·ses catholiques et protestants ont surmonté la division, comme lors de la grève des ingénieurs de Belfast en 1919 et lors du mouvement de lutte contre le chômage dans les années 1930. Il existe de nombreux exemples contemporains, même s’ils sont plus modestes, d’une telle lutte commune, comme la puissante grève du secteur public en 2015. Ils démontrent le pouvoir de la lutte unie de la classe ouvrière et la possibilité de la redévelopper, en dépassant les divisions sectaires dont dépendent la classe dirigeante et les partis de l’establishment.

Cependant, en dépit de ces luttes, la persistance des divisions et leur capacité à être exploitées par une classe capitaliste cynique et impitoyable sont évidentes. La grève de 1919, qui comportait des éléments importants d’une grève générale, a été suivie d’une période de pogroms anticatholiques en 1920, sciemment attisés par des employeurs désireux d’éviter une répétition de la grève de 1919. Jusqu’à 7 000 catholiques et 3 000 rotten Prods (socialistes et syndicalistes protestants) ont été expulsés des lieux de travail.

Approches socialistes de la question nationale

Pour déterminer comment aborder cette division, il convient d’étudier les contributions des marxistes sur la manière de répondre à la question nationale. Bien que Marx et Engels aient énoncé un principe internationaliste clair avec leur message vibrant selon lequel « les travailleurs n’ont pas de patrie » 8et qu’ils aient même anticipé les innovations programmatiques ultérieures de Lénine en soutenant l’indépendance de l’Irlande et de la Pologne, ils n’ont pas réussi à définir une approche globale. Engels, en particulier, a introduit un concept confus et non matérialiste de « nations sans histoire ».

Il n’est donc pas surprenant que cette question complexe ait fait l’objet de débats animés au sein du mouvement socialiste après leur mort. Au sein de la Deuxième Internationale, la droite prônait une forme de « colonialisme socialiste », avec une argumentation horriblement raciste illustrée par l’argument d’Eduard Bernstein au congrès de Stuttgart de 1907, selon lequel « les socialistes devraient eux aussi reconnaître la nécessité pour les peuples civilisés d’agir en quelque sorte comme les gardiens des non-civilisés » 9.

Bien que la motion de la droite ait été rejetée au congrès de Stuttgart par un bloc du centre et de la gauche, le fait qu’elle n’ait été rejetée que de justesse, par 127 voix contre 108, illustre à la fois l’opportunisme déjà présent au sein de la social-démocratie et le manque de clarté quant à la manière d’aborder cette question. Même parmi ceux qui s’opposaient clairement au colonialisme, il y avait souvent une approche aveugle à l’oppression. Eugene Debs l’a bien illustré en parlant de l’oppression raciale, quand il écrivit : « Nous n’avons rien de spécial à offrir aux Nègres et nous ne pouvons pas lancer d’appel pour toutes les races. Le parti socialiste est le parti de la classe ouvrière, quelle que soit sa couleur – l’ensemble de la classe ouvrière du monde entier »10

En revanche, Lénine a insisté sur le fait que le mouvement marxiste devait avoir quelque chose de « spécial » à offrir aux Noirs des États-Unis et aux nationalités opprimées du monde entier. Ce quelque chose de « spécial » n’est rien d’autre qu’un engagement ferme à mettre fin à leur oppression spécifique (sous toutes ses formes, indépendamment des classes sociales), qui est au-delà de l’exploitation et de l’oppression, inhérentes au capitalisme, de tous les membres de la classe ouvrière.

Il reconnaissait que l’unité de la classe ouvrière ne pouvait être construite en ignorant ou en minimisant les formes d’oppression qui affectent des groupes spécifiques plutôt que l’ensemble des travailleur·ses. Ignorer l’oppression ne la fait pas disparaître, ni la division qu’elle provoque, mais permet au contraire à l’oppression d’exister et de se reproduire au sein du mouvement ouvrier. Au contraire, il a défendu l’idée d’une unité basée sur une opposition explicite à l’oppression et sur l’engagement à y mettre fin.

C’est à partir de cette analyse que la défense du droit à l’autodétermination s’est imposée. Il s’agissait d’un outil permettant à la classe ouvrière de la nation oppressive de démontrer qu’elle n’avait aucun intérêt à ce que l’oppression se poursuive et de contribuer à la construction d’une lutte unie de la classe ouvrière. Elle a également permis aux révolutionnaires d’une nation opprimée d’engager la lutte contre l’impérialisme, tout en cherchant à établir un lien entre la lutte contre l’oppression et la nécessité d’un changement socialiste.

Les bolcheviks ont clairement indiqué que les peuples de Géorgie, de Pologne, d’Ukraine, de Finlande et de toutes les autres nations historiquement opprimées par la Russie tsariste avaient le droit de déterminer leur propre avenir, y compris jusqu’au droit à l’indépendance. Dans le contexte d’un empire tsariste composé de multiples nationalités, avec une majorité de non-Russes, cet aspect était crucial dans la lutte pour gagner le soutien des masses. Comme le dit Trotsky dans son Histoire de la Révolution Russe, « c’est seulement par cette voie que le prolétariat russe put graduellement conquérir la confiance des nationalités opprimées » 11.

Appliquer la méthode de Lénine à l’Irlande

Il s’agit d’une véritable innovation dans la manière dont les socialistes doivent appréhender les oppressions nationales (et les autres oppressions) et cela éclaire l’approche que nous cherchons à adopter aujourd’hui. Toutefois, le slogan du « droit à l’autodétermination » ne peut pas être simplement appliqué à n’importe quelle situation et constituer une réponse générique. Dans le contexte irlandais, qui a précisément droit à l’autodétermination ? Le peuple irlandais dans son ensemble ? Les catholiques du Nord, les protestants ou les deux ? Comment cette autodétermination peut-elle être exercée ?

En tentant d’aborder la question nationale en Irlande par ce biais, la gauche s’est engagée dans une impasse analytique due à une pensée schématique basée sur comment déterminer quel groupe de personnes répond à la définition d’une « nation ». Ils auraient pu commencer par une liste de critères comme celle, tristement célèbre, établie par Staline – un homme qui allait déporter des nationalités opprimées entières – dans Le marxisme et la question nationale : « une communauté stable, historiquement constituée, de langue, de territoire, de vie économique et de formation psychique [quoi que cela signifie !], qui se traduit dans la communauté de culture »12En utilisant cette liste, les marxistes auraient pu alors décider si un groupe spécifique de personnes peut être ou non qualifié de nation…

Dans le contexte irlandais, qui a précisément droit à l’autodétermination ?

Cette approche mécanique ne nous aide pas vraiment à comprendre l’oppression nationale telle qu’elle existe dans le monde auquel nous sommes réellement confrontés, plutôt que dans des conditions imaginaires de laboratoire. Par exemple, le peuple Kurde ne serait pas considéré comme une nation selon la définition de Staline, car il n’a pas de « vie économique commune ». Pourtant, pour la plupart des marxistes, il semble évident que les Kurdes constituent une nation ayant le droit à l’autodétermination.

Au lieu de répéter ces erreurs, nous devrions utiliser la méthode fondamentale qui sous-tend le concept de « droit à l’autodétermination », plutôt que la formule elle-même. En d’autres termes, il s’agit de trouver un moyen d’unir la classe ouvrière, malgré ses divisions réelles, et de lui indiquer une voie à suivre pour prendre le pouvoir, afin qu’elle puisse résoudre la question nationale. Cela signifie analyser les réalités politiques existantes et s’y référer, plutôt que de s’engager dans une argumentation historique sur la question de savoir qui constitue une nation ou non. Comme l’a dit Trotsky à propos de l’oppression des Noirs aux États-Unis, « Un critère abstrait ne tranche pas cette question, mais beaucoup plus décisifs sont la conscience historique d’un groupe, ses sentiments et ses volontés » 13.

Les nations ne sont pas des catégories anhistoriques immuables, mais des groupes qui se composent, se décomposent et se recomposent en permanence. La composition même de ce qui est généralement considéré comme la nation irlandaise en est la preuve, avec les vagues de colons s’intégrant au fil du temps dans ce qui est devenu la nation irlandaise.

La grande majorité des protestant·es du Nord ne s’identifient pas comme faisant partie de la nation irlandaise ; seuls une infime minorité d’entre eux s’identifient comme Irlandais selon diverses enquêtes. Bien qu’ils ne constituent pas une nation à part entière, ils forment une communauté distincte, avec des aspirations nationales différentes de celles des habitant·es du Sud et des catholiques du Nord. Les catholiques du Nord ne constituent pas une nation autonome, mais font partie de la nation irlandaise, incluant la grande majorité des habitant·es du Sud.

Une autre réalité politique est que, compte tenu des données géographiques et démographiques du Nord, l’exercice du droit à l’autodétermination des protestants ou des catholiques signifierait le refus de l’autodétermination à l’autre. Les deux communautés sont interpénétrées dans le nord-est de l’Irlande de telle sorte qu’il n’y a pas de redécoupage possible qui n’emprisonnerait pas d’importantes minorités dans un État auquel elles ne s’identifient pas.

Le capitalisme peut-il résoudre la question nationale en Irlande ?

C’est précisément parce que la question nationale en Irlande implique l’existence de deux communautés distinctes dans le Nord qu’elle est insoluble. S’il s’agissait simplement de la présence de l’armée britannique dans le Nord, elle pourrait être résolue relativement facilement par son retrait. Mais ce n’est pas le cas. Le résultat d’un siècle de partition et de division dans l’intérêt du capital signifie que ces communautés et identités distinctes ont une existence réelle qui ne peut être activée ou désactivée selon les besoins de l’impérialisme britannique.

Cependant, il ne s’ensuit pas, comme certains le prétendent, que la forme sous laquelle la question nationale est posée ne peut être modifiée au sein du capitalisme. En effet, la forme des différentes questions nationales dans le monde a changé à plusieurs reprises. Nous vivons dans une époque de changements considérables, mais avec une classe ouvrière affaiblie en termes de conscience de classe, d’organisation de masse et de direction, et donc souvent incapable d’imprimer sa marque sur les événements de manière décisive.

De nombreux résultats sont possibles dans le cadre du capitalisme. Nous ne devons pas sous-estimer le potentiel d’une réaction violente d’une partie de la population protestante contre la réunification de l’Irlande, la reprise d’un conflit sectaire important et même la possibilité de déboucher sur une guerre civile. Ce n’est pas la seule variante, cependant, et des alternatives où la pression de la classe ouvrière ainsi que les intérêts des États capitalistes impliqués sont suffisants pour éviter une telle guerre civile, sans être suffisants pour poser la question d’une révolution ouvrière, sont également possibles.

Dans ces situations, une Irlande unie sur une base capitaliste peut devenir une possibilité. Des solutions intermédiaires, telles que l’autorité conjointe des gouvernements irlandais et britannique pour une période déterminée, peuvent également exister. Au lieu d’être normatifs sur ce qui peut théoriquement se produire dans le cadre du capitalisme, nous devrions être ouverts à diverses possibilités.

Cependant, aucune de ces « solutions » dans le cadre du capitalisme ne fera disparaître la question nationale. Il y aurait probablement de la discrimination ou au moins une dynamique de concurrence des communautés sur l’allocation de ressources rares (logement et services publics par exemple) au niveau du conseil local ou de l’assemblée décentralisée. En tout état de cause, même sans discrimination directe, l’identité communautaire ne s’efface pas ou ne s’oublie pas rapidement. Les protestant·es constitueraient une communauté nettement minoritaire dans un État auquel ils ne s’identifient pas.

La classe ouvrière pourrait résoudre la question nationale

Ce n’est pas un vœu pieux de considérer que, si la classe ouvrière était aux commandes, les choses seraient différentes. En contrôlant fermement les ressources, avec la participation démocratique des travailleur·ses de toutes les communautés, une société socialiste poserait les bases d’un recul des conflits nationaux au fil du temps, grâce à deux facteurs cruciaux.

Premièrement, en garantissant à chacun l’accès à un niveau de vie décent, avec des emplois, des logements et des services publics de qualité, elle éliminerait en grande partie les conflits, entre les différentes couches de la classe ouvrière, liés à l’insuffisance des ressources. Ces conflits, et la volonté de la classe capitaliste au pouvoir de les exploiter, sont un facteur crucial dans l’exacerbation des conflits nationaux.

Deuxièmement, en partant de la reconnaissance des droits des minorités nationales, y compris le droit à l’autodétermination, et en luttant pour l’unité de la classe ouvrière, la classe ouvrière au pouvoir serait en mesure de satisfaire des droits et des aspirations actuellement contradictoires. La Yougoslavie, bien qu’illustrant les possibilités de génocide lorsque les questions nationales explosent, donne également un exemple de la façon dont un État ouvrier (même déformé par le stalinisme) peut réduire les conflits nationaux. Sous Tito, grâce à la croissance économique et à l’autonomie des nations qui composaient la Yougoslavie, la question nationale a été atténuée. Bien entendu, la réapparition de la question nationale en Yougoslavie, avec l’éclatement sanglant de cet État, prouve que ces questions n’ont pas été « résolues » sous le stalinisme, elles ont simplement été limitées pendant un certain temps.

Il existe de nombreuses voies que la classe ouvrière au pouvoir pourrait mettre en œuvre pour atténuer et finalement résoudre la question nationale en Irlande. La plus simple et la plus facile de ces solutions est la constitution d’un État socialiste en Irlande, lié au développement d’un mouvement socialiste à travers l’Europe. La minorité protestante aurait joué un rôle dans le combat pour cet État, pour sa construction, elle ne souffrirait donc d’aucune discrimination et jouirait de tous les droits démocratiques en son sein.

Avec le temps, les protestant·es du Nord pourraient se considérer comme faisant partie intégrante de la nation irlandaise, à l’instar des protestant·es du Sud. D’autres solutions, y compris l’autonomie de la communauté protestante du Nord au sein d’une Irlande socialiste, ou l’autonomie pour la région du nord-est de l’Irlande, sont également possibles et il appartiendra à la future classe ouvrière, en construisant une lutte unie contre le capitalisme, et une fois au pouvoir, de décider démocratiquement de la manière de résoudre cette question.

La question clé pour nous est de savoir comment unifier la classe ouvrière, aujourd’hui, contre la classe capitaliste, de manière à poser la possibilité pour la classe ouvrière de prendre le pouvoir et d’avoir l’opportunité de résoudre la question nationale. Notre analyse et notre stratégie pour l’avenir doivent donc reconnaître et s’opposer à l’oppression nationale existante des catholiques du Nord, tout en rassurant les protestants du Nord sur le fait que non seulement ils n’ont rien à craindre dans un futur État socialiste, mais qu’ils ont aussi beaucoup à y gagner.

Sondage sur la frontière

L’évolution démographique en Irlande du Nord est le principal facteur de changement dans la manière dont la question nationale est posée et perçue. Le fait que, d’ici quelques années, les personnes d’origine catholique représenteront probablement un pourcentage plus élevé de la population du Nord que celles d’origine protestante est d’une importance capitale. En 2016 déjà, il y avait plus de personnes en âge de travailler d’origine catholique (44 %) que d’origine protestante (40 %). Parmi les élèves, l’écart est encore plus important avec 51 % de personnes d’origine catholique contre 37 % d’origine protestante.

Depuis sa fondation, l’État du Nord est un État à majorité protestante (et présumée unioniste) et à minorité catholique. La disparition de cette majorité protestante et la tendance démographique claire vers une majorité catholique ébranlent la base de l’État du Nord.

De plus, ce fait démographique a une signification légale dans l’accord du Vendredi saint. Il contient une clause chargeant le secrétaire d’État pour l’Irlande du Nord d’ordonner la tenue d’un scrutin « si, à un moment, il lui apparaît probable qu’une majorité des votants exprimerait le souhait que l’Irlande du Nord cesse de faire partie du Royaume-Uni et fasse partie d’une Irlande unie ». Simultanément, un scrutin équivalent serait organisé dans le sud de l’Irlande.

Si le recensement de 2021 indique un pourcentage plus élevé de catholiques que de protestants, la pression en faveur de l’organisation d’un scrutin sur la frontière augmentera considérablement. Il semble très probable que d’ici dix ans, les sondages d’opinion indiqueront la nécessité de déclencher un scrutin sur cette question de la frontière.

Toutefois, avant l’organisation d’un tel scrutin, cette question (et la question nationale en général) sera placée sur le devant de la scène politique. Outre le compte à rebours de l’horloge démographique, la montée en puissance du Sinn Féin dans le Sud donne un élan à ce processus. Lorsqu’ils étaient dans l’opposition, ils ont systématiquement essayé d’utiliser le Brexit comme une opportunité de mettre en avant l’unification irlandaise. S’ils entrent dans un gouvernement de droite avec le Fianna Fáil ou le Fine Gael, ils profiteront sans aucun doute de l’occasion pour réclamer un scrutin sur la frontière, à la fois parce qu’il s’agit d’un élément central de leur existence politique et pour détourner l’attention de leur rôle probable dans la gestion du capitalisme et la mise en œuvre de l’austérité. C’est précisément ce qu’ils ont déjà fait dans le Nord.

Le Brexit et un nouveau référendum écossais pour l’indépendance sont des facteurs supplémentaires qui influencent le débat et la trajectoire de la question nationale en Irlande. L’État britannique en général est sur la voie de la désintégration. La sortie de la Grande-Bretagne de l’UE a souligné le déclin relatif de la position de l’impérialisme britannique, tout en posant avec acuité la question du positionnement d’une frontière renforcée – soit entre le Sud et le Nord de l’Irlande, soit entre l’Irlande dans son ensemble et la Grande-Bretagne.

D’une part, ces éléments peuvent renforcer le sentiment des communautés ouvrières protestantes d’être assiégées par une population catholique de plus en plus confiante. D’autre part, si les catholiques ont le sentiment que leurs aspirations à faire partie d’une Irlande unie seraient bloquées par l’État britannique ou d’autres, même dans des circonstances où ils seraient majoritaires, en dépit du fait que l’accord du Vendredi saint est clair sur ce qui devrait se passer, le résultat pourrait être explosif.

La configuration politique de cette île est incroyablement complexe. Néanmoins, pour tracer une voie vers l’avenir, il faut aborder la situation politique telle qu’elle est, et non pas telle que nous voudrions qu’elle soit. Partant du point de départ compliqué d’aujourd’hui, les socialistes doivent formuler une approche pour s’opposer à l’oppression et unifier la classe ouvrière dans une lutte contre l’exploitation capitaliste et pour un changement socialiste.

Que devraient dire les socialistes à propos d’un référendum sur la frontière ?

Ce référendum est, à bien des égards, la manière la plus tranchante dont la question nationale nous est posée aujourd’hui. Un référendum des deux côtés de la frontière avec une réponse Oui/Non (ou la possibilité de s’abstenir) ne permet pas d’esquives ou de réponses interminables. Il n’est pas possible d’y répondre simplement en se référant à la solution socialiste que nous privilégions. Il exige une réponse concrète. Dans le cadre de l’élaboration d’un programme visant à unir la classe ouvrière et à lutter pour renverser le capitalisme, la manière dont nous répondons à un référendum sur la frontière est cruciale.

Un référendum frontalier dans le cadre de l’accord du Vendredi saint n’est pas notre réponse à la question nationale, tout comme l’accord du Vendredi saint n’était pas notre réponse au conflit sectaire dans le Nord. Il s’agit d’une « solution » créée par les partis politiques et les États capitalistes, qui comporte de nombreux dangers du point de vue de la lutte pour l’unification de la classe ouvrière et la défaite de l’impérialisme et du capitalisme.

Cependant, elle existe légalement et – en conséquence – politiquement, en tant que point de référence pour les personnes issues de communautés catholiques qui cherchent à mettre fin à leur oppression nationale. Les socialistes devraient reconnaître qu’il est tout à fait raisonnable que les catholiques du Nord, qui ont été forcés d’entrer dans un État qui les opprime au motif qu’ils sont une minorité, s’attendent à ce que leur oppression prenne fin lorsqu’ils deviendront une majorité. Le référendum est déjà perçu comme le moyen le plus évident d’y parvenir, et le sera probablement de plus en plus.

D’autre part, les protestants de la classe ouvrière considèrent avec inquiétude un sondage frontalier. Cela s’explique à la fois par l’augmentation des tensions sectaires qui pourrait en résulter et par les conséquences d’un vote en faveur du oui, qui signifierait qu’ils sont forcés d’entrer dans un État dont ils ne veulent pas faire partie.

La possibilité que cela devienne un tournant vers une escalade de la violence et des affrontements sectaires est réelle. Cependant, pour les socialistes, qui sont une petite minorité à ce stade, répondre qu’ils « s’opposent » à un référendum sur la frontière équivaudrait à souffler sur un ouragan pour essayer de le faire disparaître. Cette situation va se produire, que nous le voulions ou non, et les socialistes doivent s’y engager.

S’opposer à l’idée d’un référendum frontalier, ou prôner l’abstention ou le boycott d’un scrutin s’il est organisé, n’est pas une stratégie susceptible d’unir une partie importante de la classe ouvrière et de lui indiquer la voie à suivre pour accéder au pouvoir. Pire encore, cela reviendrait à commenter depuis la ligne de touche. Cela laisserait le champ libre aux nationalistes des deux camps pour prendre la direction du débat et des résultats.

Les socialistes devraient donc reconnaître la réalité politique qu’est l’imminence d’un référendum frontalier. Au lieu de créer une barrière entre eux et la majorité de la classe ouvrière de l’île en s’y « opposant », ils devraient chercher à intervenir pour façonner les termes du débat et le résultat.

Campagne indépendante de la classe ouvrière

Le référendum sur la frontière ne résoudra pas la question nationale et nous ne devrions pas le prétendre. En fait, comme nous l’avons souligné, il pourrait exacerber le sectarisme et les tensions entre les communautés. Cependant, nous ne pouvons pas dire aux catholiques, qui d’une position minoritaire sont sur le point de devenir une majorité, qu’ils devraient accepter ce statu quo jusqu’à ce que la lutte pour le socialisme soit prête à résoudre la question nationale.

Au contraire, nous devrions soutenir la tenue d’un référendum frontalier, à la fois comme un droit démocratique et comme un mécanisme permettant aux catholiques de mettre fin à leur oppression nationale. Nous devrions prendre parti sur la question concrète du référendum frontalier – conformément aux souhaits de la grande majorité des travailleur·ses irlandais·es, avec un contenu progressiste pour la plupart – en faveur de la réunification de l’île. Ce faisant, nous nous mettrions dans une bien meilleure position pour présenter nos arguments plus généraux en faveur de la nécessité d’un changement socialiste, notamment en mettant l’accent sur les droits de la minorité protestante.

Tout en soutenant un tel référendum et en appelant à voter oui, les socialistes doivent mettre en garde contre les dangers qu’il comporte. Il contient un risque significatif d’augmentation des tensions et même de conflit ouvert, dans la période entourant un tel scrutin. S’il avait lieu et que l’unification de l’île était majoritaire, il pourrait simplement changer la dynamique de l’oppression, les protestant·es se sentant contraint·es d’adhérer à un État auquel ils ne s’identifient pas, dans des circonstances de tensions communautaires accrues.

Pour éviter ces conséquences, il faut mettre en place une campagne anti-sectaire basée sur les communautés catholiques et protestantes de la classe ouvrière, indépendante des forces nationalistes, y compris le Sinn Féin qui plaidera en faveur d’un référendum frontalier et d’un vote en faveur du Oui. Dans le Sud, les socialistes ont le devoir particulier de sensibiliser à la crainte des protestant·es de devenir une minorité opprimée au sein d’un État unifié, en expliquant leurs préoccupations de perdre non seulement leur identité, mais aussi des services publics supérieurs à ceux du Sud. Nous devons insister sur la nécessité de protéger les droits de la minorité protestante, ainsi que d’autres minorités, au sein de cet État.

Il faudra argumenter que l’on ne veut pas l’unification de deux États capitalistes et sectaires, mais la création d’une Irlande laïque et socialiste, au sein de laquelle les droits des protestant·es, y compris le droit permanent à la double citoyenneté, seraient protégés. Au lieu de l’harmonisation à la baisse de l’impôt sur les sociétés envisagée par le Sinn Féin et de la création d’un paradis fiscal dans toute l’Irlande, nous devrions préconiser la propriété publique démocratique des principales sources de richesse de l’île, en les utilisant pour garantir un service national de santé de qualité dans toute l’île, des investissements dans des logements publics décents et des services pour tous, ainsi que des améliorations spectaculaires du niveau de vie de la population.

Ce changement socialiste ne peut être soutenu sur l’île d’Irlande seule. Il doit s’inscrire dans un mouvement international visant à mettre fin à la domination par la classe capitaliste et à remettre le pouvoir entre les mains de la classe ouvrière. La construction d’une Europe socialiste démocratique, qui inclurait une coopération et des relations étroites avec les travailleur·ses de tout le continent, est un élément crucial de ce mouvement.

Le 27 janvier 2021

* Les termes « protestant » et « catholique » seront utilisés tout au long de cet article pour désigner les personnes issues des communautés protestantes et catholiques. Bien que ce choix linguistique pose des problèmes, notamment parce qu’il implique qu’il s’agit d’une manière ou d’une autre d’un conflit « religieux », l’alternative consistant à décrire les personnes comme nationalistes et unionistes applique des étiquettes politiques à des personnes uniquement en fonction de leurs origines et ne parvient pas à saisir la nature communautaire de la division sectaire.

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RISE

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25 novembre 2024 ~ 0 Commentaire

Question Nationale (Inprecor)

Question Nationale (Inprecor) dans Altermondialisme
Rosa Luxemburg au Congrès socialiste international d’Amsterdam.

Marxisme et question nationale, de Marx à Eric Hobsbawm

L’articulation entre internationalisme et question nationale, entre revendications démocratiques et révolution, est l’enjeu d’un débat entre marxistes depuis le milieu du 19e siècle, débat dont Michael Löwy raconte l’évolution.

Marx et Engels n’ont proposé ni une théorie systématique de la question nationale, ni une définition précise du concept de « nation », ni une stratégie politique générale pour les socialistes dans ce domaine. Leurs articles sur le sujet étaient, pour la plupart, des déclarations politiques concrètes relatives à des cas spécifiques.

En ce qui concerne les textes théoriques proprement dits, les plus connus et les plus influents sont sans doute les passages assez sibyllins du Manifeste concernant les communistes et la nation. Ces passages ont la valeur historique de proclamer de manière audacieuse et intransigeante la nature internationaliste du mouvement prolétarien, mais ils ne sont pas toujours exempts d’un certain économisme et d’un surprenant optimisme libre-échangiste.

Cela se voit notamment dans la suggestion que le prolétariat victorieux poursuivra simplement la tâche d’abolir les antagonismes nationaux qui a été commencée avec « le développement de la bourgeoisie, le libre-échange, le marché mondial », etc. Cette idée est cependant contredite dans d’autres textes de la même époque, dans lesquels Marx souligne que « tandis que la bourgeoisie de chaque nation conserve encore des intérêts nationaux particuliers, la grande industrie créa une classe dont les intérêts sont les mêmes dans toutes les nations et pour laquelle la nationalité est déjà abolie » 1.

Dans ses écrits ultérieurs (notamment sur la question de l’Irlande), Marx a montré que non seulement la bourgeoisie tend à entretenir les antagonismes nationaux, mais qu’elle tend même à les accroître, car :

1. la lutte pour le contrôle des marchés crée des conflits entre les puissances capitalistes ;

2. l’exploitation d’une nation par une autre produit l’hostilité nationale ;

3. le chauvinisme est un des outils idéologiques qui permettent à la bourgeoisie de maintenir sa domination sur le prolétariat.

Marx et Engels ont souligné avec force l’internationalisation de l’économie par le mode de production capitaliste : l’émergence du marché mondial qui « a enlevé à l’industrie sa base nationale » en créant « une interdépendance généralisée des nations ».

Cependant, il y a une tendance à l’économisme dans son idée que « l’uniformité de la production industrielle et les conditions d’existence qu’ils entraînent » aide à dissoudre les barrières nationales (Absonderungen) et les antagonismes, comme si les différences nationales pouvaient être assimilées à de simples différences dans le processus de production2.

Des principes généraux

Si le Manifeste communiste a jeté les bases de l’internationalisme prolétarien, il n’a guère donné d’indications sur une stratégie politique concrète par rapport à la question nationale. Une telle stratégie n’a été développée que plus tard, notamment dans les écrits de Marx sur la Pologne et l’Irlande (ainsi que dans la lutte qu’il a menée au sein de l’Internationale contre le nationalisme libéral-démocrate de Mazzini et le nihilisme national des Proudhoniens).

Marx et Engels ont soutenu la Pologne non seulement au nom du principe démocratique général de l’autodétermination des nations, mais surtout en raison de la lutte des Polonais·es contre la Russie tsariste, le principal bastion de la réaction en Europe et la bête noire des pères fondateurs du socialisme scientifique.

Les écrits sur l’Irlande, en revanche, ont une application beaucoup plus large et énoncent, implicitement, certains principes généraux sur la question des nations opprimées. Dans une première phase, Marx était favorable à l’autonomie de l’Irlande au sein d’une union avec la Grande-Bretagne et pensait que la solution à l’oppression des Irlandais (par les grands propriétaires terriens anglais) passerait par une victoire de la classe ouvrière (chartiste) en Angleterre.

Dans les années 1860, en revanche, il considère la libération de l’Irlande comme la condition de la libération du prolétariat anglais. Ses écrits sur l’Irlande à cette époque développent trois thèmes qui seront importants pour le développement futur de la théorie marxiste de l’autodétermination nationale, dans sa relation dialectique avec l’internationalisme prolétarien :

1. Seule la libération nationale de la nation opprimée permet de surmonter les divisions et les antagonismes nationaux et permet à la classe ouvrière des deux nations de s’unir contre leur ennemi commun, les capitalistes ;

2. La libération de la nation opprimée est une condition préalable à la libération du prolétariat anglais. L’oppression d’une autre nation contribue à renforcer l’hégémonie idéologique de la bourgeoisie sur les travailleurs de la nation opprimée : toute nation qui en opprime une autre forge ses propres chaînes ;

3. L’émancipation de la nation opprimée affaiblit les bases économiques, politiques, militaires et idéologiques des classes dominantes de la nation opprimée, ce qui contribue à la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière de cette nation.

Les positions de Friedrich Engels sur la Pologne et l’Irlande étaient largement similaires à celles de Marx. Toutefois, on trouve dans ses écrits un curieux concept théorique, la doctrine des « nations non historiques » – une catégorie dans laquelle il inclut, pêle-mêle, les Slaves du Sud (Tchèques, Slovaques, Croates, Serbes, etc.), les Bretons, les Écossais et les Basques.

Selon Engels, « ces survivances d’une nation impitoyablement piétinée par la marche de l’histoire, comme le dit Hegel, ces “déchets de peuples” deviennent chaque fois les soutiens fanatiques de la contre-révolution, et ils le restent jusqu’à leur extermination et leur dénationalisation définitive ; leur existence même n’est-elle pas déjà une protestation contre une grande révolution historique ? » 3.

Engels a développé cet argument métaphysique pseudo-historique dans un article de 1855, qui affirmait que « le panslavisme est un mouvement qui s’efforce d’effacer ce qu’ont créé mille ans d’histoire, et qui ne peut se réaliser sans rayer de la carte la Turquie, la Hongrie et la moitié de l’Allemagne » 4.

Paradoxalement, le même Engels, dans un article de la même époque (1853), avait souligné que l’Empire turc était destiné à se désintégrer à la suite de la libération des nations balkaniques, ce qui ne l’étonnait nullement car, en bon dialecticien, il admirait dans l’histoire « les changements éternels de la destinée humaine [...] où rien n’est stable que l’instabilité, rien n’est immobile, que le mouvement » 5.

Pour la défense d’Engels, on pourrait avancer qu’il s’agissait d’articles de journaux, dépourvus du caractère rigoureux d’un travail scientifique, et qu’ils avaient donc un statut différent de celui de ses écrits théoriques proprement dits.

Le débat marxiste classique au sein de la IIe Internationale : la question nationale au tournant du siècle

C’est à la fin du 19e siècle et au début du 20e que se déroule la discussion la plus importante sur la question nationale parmi les marxistes de la Deuxième Internationale. Des contributions intéressantes traitent de questions spécifiques : la question juive – du bundiste Vladimir Medem au sioniste Ber Borochov – ou la question irlandaise, avec James Connolly. Mais les réflexions théoriques les plus générales sont celles des marxistes des Empires austro-hongrois et russe (tsariste) multinationaux : Otto Bauer, Rosa Luxemburg, Staline, Lénine, Trotsky.

La gauche radicale contre le séparatisme national : Rosa Luxemburg, Léon Trotsky

Le courant de la « gauche radicale » (Linksradikale) représenté par Luxemburg, Pannekoek, Trotsky (avant 1917) et Strasser se caractérisait, à des degrés divers et sous des formes parfois très différentes, par son opposition au séparatisme national, au nom du principe de l’internationalisme prolétarien. Si les marxistes occidentaux Pannekoek et Strasser ont eu peu d’influence, il n’en va pas de même pour la marxiste polonaise Rosa Luxemburg.

En 1893, Rosa Luxemburg fonde le Parti social-démocrate du Royaume de Pologne (PSDK), avec un programme marxiste et internationaliste, pour contrer le Parti socialiste polonais (PPS), dont l’objectif est de lutter pour l’indépendance de la Pologne. Dénonçant le PPS (avec une certaine justesse) comme un parti social-patriotique, Rosa et ses camarades du SDKP étaient résolument opposés au slogan de l’indépendance de la Pologne et soulignaient, au contraire, le lien étroit entre les prolétariats russe et polonais et leur destin commun.

En 1896, Luxemburg représenta le SDKP au congrès de la Deuxième Internationale. Les positions qu’elle défendit dans son intervention furent exposées dans un article ultérieur : « la libération de la Pologne est aussi utopique que la libération de la Tchécoslovaquie, de l’Irlande ou de l’Alsace-Lorraine […]. La lutte politique unificatrice du prolétariat ne doit pas être supplantée par une “série de luttes nationales stériles” »6.

Les bases théoriques de cette position seront fournies par les recherches qu’elle a effectuées pour sa thèse de doctorat, Le développement industriel de la Pologne (1898). Le thème central de ce travail était que, du point de vue économique, la Pologne était déjà intégrée à la Russie. Seules la petite bourgeoisie et les couches précapitalistes nourrissaient encore le rêve utopique d’une Pologne unie et indépendante.

Sa déclaration la plus controversée sur la question nationale (que Lénine, en particulier, a attaquée) est la série d’articles publiés en 1908 sous le titre « La question nationale et l’autonomie » dans le journal du Parti social-démocrate polonais (devenu le SDKPiL, après l’adhésion d’un groupe marxiste lituanien).

Les principales idées avancées dans ces articles sont les suivantes :

1. le droit à l’autodétermination est un droit abstrait et métaphysique, comme le soi-disant « droit au travail » prôné par les utopistes du 19e siècle ;

2. Le soutien au droit de sécession de chaque nation implique en réalité le soutien au nationalisme bourgeois : la nation en tant qu’entité uniforme et homogène n’existe pas – chaque classe de la nation a des intérêts et des « droits » conflictuels ;

3. l’indépendance des petites nations en général, et de la Pologne en particulier, est utopique du point de vue économique et condamnée par les lois de l’histoire. Pour Luxemburg, il n’y a qu’une seule exception à cette règle : les nations balkaniques de l’Empire turc (Grecs, Serbes, Bulgares, Arméniens). Ces nations avaient atteint un degré de développement économique, social et culturel supérieur à celui de la Turquie, empire décadent dont le poids mort les opprimait.

Pour étayer son point de vue sur le manque d’avenir des petites nations, Luxemburg utilise les articles d’Engels sur les « nations non historiques » (bien qu’elle les attribue à Marx : leur véritable paternité n’a en fait été établie qu’en 1913, avec la découverte de lettres inédites de Marx/Engels) (6).

Des approches concrètes

Comme on le sait, en 1914 Luxemburg fut l’une des rares dirigeant·es de la IIe Internationale à ne pas succomber à la grande vague de social-patriotisme qui submergea l’Europe avec l’avènement de la guerre. Emprisonnée par les autorités allemandes pour sa propagande internationaliste et antimilitariste, elle rédigea en 1915 et fit sortir clandestinement de prison son célèbre Brochure de Junius.

Dans ce texte, Luxemburg adopte dans une certaine mesure le principe de l’autodétermination : « le socialisme reconnait à chaque peuple le droit à l’indépendance et à la liberté, à la libre disposition de son propre destin ». Cependant, pour elle, cette autodétermination ne pouvait être exercée au sein des États capitalistes existants, en particulier les États colonialistes. À l’ère de l’impérialisme, la lutte pour « l’intérêt national » est une mystification, non seulement par rapport aux grandes puissances coloniales, mais aussi pour les petites nations qui ne sont « que des pions sur l’échiquier impérialiste des grandes puissances »7

Toutefois, dans un article, Luxemburg expose le problème dans des termes très proches de ceux de Lénine : l’introduction de 1905 au recueil La question polonaise et le mouvement socialiste. Dans cet essai, Luxemburg distingue soigneusement le droit indéniable de chaque nation à l’indépendance (« qui découle des principes élémentaires du socialisme »), qu’elle reconnaît, et l’opportunité de cette indépendance pour la Pologne, qu’elle nie.

C’est aussi l’un des rares textes où elle reconnaît l’importance, la profondeur et même la justification des sentiments nationaux (tout en les traitant comme un simple phénomène « culturel »), et où elle souligne que l’oppression nationale est « l’oppression la plus intolérable dans sa barbarie » et ne peut que susciter « hostilité et rébellion »…8

Les écrits de Léon Trotsky sur la question nationale avant 1917 peuvent être qualifiés d’« éclectiques » (terme utilisé par Lénine pour les critiquer), occupant une position à mi-chemin entre Luxemburg et Lénine. C’est surtout après 1914 que Trotsky s’est intéressé à la question nationale. Il l’aborde dans sa brochure La guerre et l’Internationale 9 ouvrage polémique dirigé contre le social-patriotisme, sous deux angles différents, voire contradictoires :

1. Une approche historique et économique. La guerre mondiale est le produit de la contradiction entre les forces productives, qui tendent vers une économie mondiale, et le cadre contraignant de l’État-nation. Trotsky annonçait donc « la destruction de l’État-nation en tant qu’entité économique indépendante », ce qui, d’un point de vue strictement économique, était une proposition justifiable. Mais il en déduit l’« effondrement » et la « destruction » de l’État-nation dans son ensemble ; l’État-nation en tant que tel, le concept même de nation, ne pourra plus exister à l’avenir que comme « fait culturel, idéologique et psychologique ».

2. Une approche politique concrète. Contrairement à Luxemburg, Trotsky proclame explicitement le droit des nations à l’autodétermination comme l’une des conditions de la « paix entre les nations », qu’il oppose à la « paix des diplomates ». En outre, il soutient la perspective d’une Pologne indépendante et unie (c’est-à-dire libérée de la domination tsariste, autrichienne et allemande) ainsi que l’indépendance de la Hongrie, de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Serbie, de la Bohême, etc. C’est dans la libération de ces nations et leur association dans une fédération balkanique qu’il voyait la meilleure barrière contre le tsarisme en Europe.

En outre, Trotsky défendait une relation dialectique entre l’internationalisme prolétarien et les droits nationaux : la destruction de l’Internationale par les social-patriotes était un crime non seulement contre le socialisme, mais aussi contre « l’intérêt national, dans son sens le plus large et le plus correct », puisqu’elle dissolvait la seule force capable de reconstruire l’Europe sur la base des principes démocratiques et du droit des nations à l’autodétermination.

Après 1917, Trotsky adopte la conception léniniste de la question nationale, qu’il défend à Brest-Litovsk (1918) en tant que commissaire du peuple aux affaires étrangères.

Les austro-marxistes et l’autonomie culturelle

L’idée principale des austro-marxistes – Karl Renner et Otto Bauer – par rapport à la question nationale, notamment dans le contexte de l’Empire austro-hongrois, est l’autonomie culturelle dans le cadre d’un État plurinational, par le biais de l’organisation des nationalités en corporations juridiques publiques, dotées de toute une série de pouvoirs culturels, administratifs et juridiques. Ils souhaitaient à la fois reconnaître les droits des minorités nationales et maintenir l’unité de l’État austro-hongrois.

Le grand ouvrage d’Otto Bauer, La question des nationalités et la social-démocratie (1907), partageait le postulat fondamental de Karl Renner et des autres austro-marxistes : la préservation de l’État plurinational, en accordant une autonomie nationale culturelle aux différentes communautés ethniques…

La particularité de l’analyse de Bauer réside dans la dimension psycho-culturelle de sa théorie sur la question nationale, construite sur la base du concept de « caractère national », défini en termes psychologiques : « la diversité des objectifs, le fait qu’un même stimulus peut provoquer des mouvements différents et qu’une même situation extérieure peut conduire à des décisions différentes ». Ce concept d’origine néo-kantienne a été sévèrement critiqué par les adversaires marxistes de Bauer (Kautsky, Pannekoek, Strasser, etc.) 10

L’œuvre de Bauer a une valeur théorique indéniable, notamment en ce qui concerne le caractère historiciste de sa méthode. En définissant la nation comme le produit d’un destin historique commun, comme « l’aboutissement jamais achevé d’un processus constant », comme une cristallisation d’événements passés, un « morceau d’histoire figé », Bauer se place résolument sur le terrain du matérialisme historique et en opposition frontale avec les mythes réactionnaires de la « nation éternelle » et de l’idéologie raciste.

Cette approche historique confère au livre de Bauer une réelle supériorité méthodologique sur la plupart des auteurs marxistes de l’époque, dont les écrits sur la question nationale avaient souvent un caractère abstrait et rigide. Dans la mesure où la méthode de Bauer impliquait non seulement une explication historique des structures nationales existantes, mais aussi une conception de la nation comme un processus, un mouvement en perpétuelle transformation, il a pu éviter l’erreur d’Engels en 1848-49 : le fait qu’une nation (comme les Tchèques) « n’ait pas eu d’histoire » ne signifie pas nécessairement qu’elle n’aura pas d’avenir. Le développement du capitalisme en Europe centrale et dans les Balkans ne conduit pas à l’assimilation mais à l’éveil de nations « non historiques » 11.

Il convient d’ajouter que le programme d’autonomie culturelle de Bauer avait une valeur significative en tant que complément – et non alternative – à une politique fondée sur la reconnaissance du droit à l’autodétermination. En effet, la première Constitution de l’Union soviétique intégrait en quelque sorte le principe de l’autonomie culturelle des minorités nationales.

Lénine, Staline et le droit à l’autodétermination

Staline a été le premier dirigeant bolchevique à écrire sur la question nationale. C’est Lénine qui l’a envoyé à Vienne pour étudier la question et, dans une lettre adressée à Gorki en février 1913, il a parlé du « merveilleux Géorgien qui s’est fait connaître dans le monde entier » 12. Mais une fois l’article de Staline « Le marxisme et la question nationale » 13 terminé, il ne semble pas que Lénine ait été particulièrement enthousiaste à son sujet, car il ne le mentionne dans aucun de ses nombreux écrits sur la question nationale, à l’exception d’une brève référence entre parenthèses dans un article daté du 28 décembre 1913. Il est évident que les idées principales de l’œuvre de Staline sont celles du parti bolchevique et de Lénine. Cela dit, la suggestion de Trotsky selon laquelle l’article a été inspiré, supervisé et corrigé « ligne par ligne » par Lénine semble discutable 14.

Au contraire, sur un certain nombre de points assez importants, l’ouvrage de Staline diffère implicitement et explicitement des écrits de Lénine, voire les contredit.

1. Le concept de « caractère national », de « constitution psychologique commune » ou de « particularité psychologique » des nations n’est pas du tout léniniste. Cette problématique est un héritage de Bauer, que Lénine a explicitement critiqué pour sa « théorie psychologique »15

En affirmant sans ambages que « ce n’est que lorsque toutes ces caractéristiques [langue commune, territoire, vie économique et formation psychique] sont réunies que nous avons une nation », Staline a donné à sa théorie un caractère dogmatique, restrictif et rigide que l’on ne retrouve jamais chez Lénine.

La conception stalinienne de la nation était un véritable lit de Procuste 16 idéologique. Selon Staline, la Géorgie d’avant la seconde moitié du 19e siècle n’était pas une nation car elle n’avait pas de « vie économique commune », étant divisée en principautés économiquement indépendantes. Selon ce critère, l’Allemagne, avant l’Union douanière, n’aurait pas été une nation non plus… On ne trouve nulle part dans les écrits de Lénine une « définition » aussi rigide et arbitraire de la nation.

2. Staline a explicitement refusé d’admettre la possibilité d’une unité ou d’une association de groupes nationaux dispersés au sein d’un État multinational : la question se pose de savoir s’il est possible d’unir en une seule union nationale des groupes qui sont devenus si distincts. Est-il concevable, par exemple, que les Allemands des provinces baltes et les Allemands de Transcaucasie puissent être « réunis en une seule nation » ? La réponse donnée, bien sûr, était que tout cela n’était « pas concevable », « pas possible » et « utopique » 17.

Lénine, en revanche, défendait vigoureusement la « liberté d’association, y compris l’association de toutes les communautés, quelle que soit leur nationalité, dans un État donné », citant précisément en exemple les Allemands du Caucase, de la Baltique et de la région de Petrograd. Il ajoutait que la liberté d’association de toute nature entre les membres de la nation, dispersés dans différentes parties du pays ou même du globe, était « indiscutable et ne pouvait être contestée que du point de vue bureaucratique et borné » 18.

3. Staline ne faisait aucune distinction entre le nationalisme oppressif tsariste grand-russe et le nationalisme des nations opprimées. Dans un paragraphe très révélateur de son article, il rejette d’un même souffle « la vague de nationalisme belliqueux, partie d’en haut, tout une suite de répressions de la part des “détenteurs du pouvoir” » et la « vague de nationalisme montant d’en bas, qui se transformait parfois en un grossier chauvinisme » des Polonais, des juifs, des Tatars, des Géorgiens, des Ukrainiens, etc. Non seulement il ne fait aucune distinction entre les nationalismes « d’en haut » et « d’en bas », mais il adresse ses critiques les plus sévères aux sociaux-démocrates des pays opprimés qui n’ont pas « tenu bon » face au mouvement nationaliste.

Lénine, la question nationale et la stratégie

Le point de départ de Lénine pour élaborer une stratégie sur la question nationale était le même que pour Luxemburg et Trotsky : l’internationalisme prolétarien. Cependant, contrairement à ses camarades de la gauche révolutionnaire, il insiste sur la relation dialectique entre l’internationalisme et le droit à l’autodétermination nationale. Il estime, premièrement, que seule la liberté de faire sécession rend possible l’union libre et volontaire, l’association, la coopération et, à long terme, la fusion entre les nations. Deuxièmement, seule la reconnaissance par le mouvement ouvrier de la nation oppressive du droit de la nation opprimée à l’autodétermination peut contribuer à éliminer l’hostilité et la suspicion des opprimé·es et à unir le prolétariat des deux nations dans la lutte internationale contre la bourgeoisie.

D’un point de vue méthodologique, Lénine se distingue de la plupart de ses contemporains par sa tentative de « mettre la politique aux commandes », c’est-à-dire par sa tendance obstinée et inébranlable à saisir et à mettre en évidence l’aspect politique de chaque problème et de chaque contradiction. En ce qui concerne la question nationale, alors que la plupart des autres auteurs marxistes voyaient principalement la dimension économique, culturelle ou « psychologique » du problème, Lénine estimait que la question de l’autodétermination « appartient entièrement et exclusivement [au domaine de la démocratie politique] »19, c’est-à-dire au domaine du droit à la sécession politique et à l’établissement d’un État-nation indépendant.

Il va sans dire que l’aspect politique de la question nationale pour Lénine n’est pas du tout celui dont se préoccupent les gouvernements, les diplomates et les armées. Que telle ou telle nation ait un État indépendant ou que les frontières soient entre deux États lui est totalement indifférent. Son objectif est la démocratie et l’unité internationaliste du prolétariat, qui passent toutes deux, selon lui, par la reconnaissance du droit des nations à disposer d’elles-mêmes. De plus, précisément parce qu’elle se concentre sur l’aspect politique, sa théorie de l’autodétermination ne fait aucune concession au nationalisme. Elle se situe uniquement dans la sphère de la lutte démocratique et de la révolution prolétarienne.

Le principal défaut de la conception léniniste de la question nationale est que l’accent exclusif mis sur le choix entre l’unification et la sécession laisse peu de place à des alternatives telles que l’autonomie nationale et culturelle. Mais dans la pratique, Lénine et les bolcheviks y auront recours, par exemple en ce qui concerne les communautés nationales telles que les juifs en URSS.

Réflexions contemporaines, Benedict Anderson, Eric Hobsbawm

Dans les décennies qui ont suivi la Révolution russe d’octobre 1917, la plupart des discussions sur la question nationale ont porté sur des problèmes nationaux spécifiques. En 1922, Lénine et Staline se sont affrontés sur la question de l’autonomie de la Géorgie soviétique – un conflit décrit par l’historien Moshe Lewin comme Le dernier combat de Lénine. Dans les années 1930, Léon Trotsky écrit sur le droit à l’autodétermination de l’Ukraine soviétique. La question juive continue de susciter des controverses, avec, entre autres, la contribution d’un jeune disciple de Trotsky, Abraham Leon. Plusieurs marxistes noirs publient d’importantes analyses sur la minorité afro-américaine aux États-Unis (W.E.B. Du Bois, CLR James). En 1935, le marxiste catalan Andreu Nin a publié un livre sur les mouvements d’émancipation nationale, mais il s’agit essentiellement d’un résumé du débat classique, de Marx et Engels aux révolutionnaires russes. Bien entendu, il existe une vaste littérature marxiste sur les mouvements coloniaux de libération nationale.

Ce n’est qu’à la fin du 20e siècle que de nouvelles réflexions théoriques marxistes générales sur la question nationale ont vu le jour. Deux d’entre eux sont les plus influents : Benedict Anderson et Eric Hobsbawm.

Dans son livre novateur de 1983, Imagined Communities Reflections on the Origin and Spread of Nationalism (L’imaginaire national : réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme), Benedict Anderson définit la nation comme « une communauté politique imaginée ». Il explique qu’une nation « est imaginée parce que les membres de la plus petite nation ne connaîtront jamais la plupart de leurs confrères, ne les rencontreront jamais, ni même n’entendront parler d’eux, mais dans l’esprit de chacun d’eux vit l’image de leur communion ». Les membres de la communauté ne connaîtront probablement jamais chacun des autres membres face à face ; cependant, ils peuvent avoir des intérêts similaires ou s’identifier comme faisant partie de la même nation.

Enfin, une nation est une communauté parce que, « indépendamment de l’inégalité et de l’exploitation réelles qui peuvent prévaloir dans chacune d’elles, la nation est toujours conçue comme une camaraderie profonde et horizontale. En fin de compte, c’est cette fraternité qui a permis, au cours des deux derniers siècles, à tant de millions de personnes, non pas tant de tuer, mais de mourir volontairement pour des objectifs aussi limités ».

Selon Anderson, la langue joue un rôle important dans la consolidation des « communautés imaginées » nationales. Commençant avec une petite élite cultivée, la langue devient de plus en plus importante avec la généralisation de l’imprimé après le 18e siècle et, après le 19e siècle, avec la diffusion de la langue à travers l’éducation publique et l’administration. – On peut considérer que l’accent mis par Anderson sur l’imaginaire est trop unilatéral, mais son livre est sans aucun doute l’une des contributions les plus novatrices à la réflexion marxiste sur la question nationale.

Le livre d’Eric Hobsbawm en 1991, Nations and Nationalism since 1780 (Nations et nationalismes depuis 1780 : programmes, mythe et réalité) est peut-être l’étude la plus importante de la question après les grands classiques de la Deuxième Internationale. En examinant les différents critères proposés pour définir une nation, tels que la langue, l’ethnicité, le territoire, etc., il conclut que ces définitions « objectives » ont échoué, car il y a toujours des exceptions évidentes. En outre, les critères adoptés à cette fin sont eux-mêmes changeants et ambigus. Il propose donc une attitude d’« agnosticisme » et refuse toute définition a priori de ce qui constitue une nation. La seule définition qu’il accepte comme hypothèse de travail initiale pour son livre est que « tout ensemble suffisamment important de personnes dont les membres se considèrent comme membres d’une “nation” sera traité comme tel ». Bien sûr, il reste la question du « seuil » : qu’est-ce qu’un « groupe suffisamment important » ? Au 19e siècle, comme le montre Hobsbawm, seules les grandes nations étaient considérées comme lebensfähig (viables) : non seulement les libéraux, mais même Marx et Engels considéraient les petits peuples comme des survivances du passé et des obstacles au progrès historique…

Pour Hobsbawm, les nations sont des formations modernes, c’est-à-dire relativement récentes, produites par l’idéologie nationaliste et par « l’invention de la tradition » – un concept qui n’est pas sans similitude avec les « communautés imaginées » de Benedict Anderson. Hobsbawm est d’accord avec le spécialiste (non marxiste) du nationalisme Ernest Gellner pour dire que les nations comportent un élément d’artefact, d’invention et d’ingénierie sociale, et il cite le commentaire ironique suivant de cet anthropologue britannique : « Les nations en tant que moyen naturel, donné par Dieu, de classer les hommes, en tant que destin politique inhérent, sont un mythe ; le nationalisme, qui parfois prend des cultures préexistantes et les transforme en nations, parfois les invente… : c’est une réalité ». Mais il n’est pas d’accord avec Gellner sur l’accent unilatéral qu’il met sur la modernisation nationale par le haut, en ignorant les développements populaires « par le bas » 20

Internationaliste impénitent, Eric Hobsbawm est sceptique quant au principe wilsonien d’autodétermination nationale : la tentative (après le traité de Versailles) de faire coïncider les frontières de l’État avec les frontières de la nationalité et de la langue. Il estime que cette politique, visant à créer des États ethniquement homogènes, a conduit, inévitablement, à l’expulsion massive ou à l’extermination des minorités : « Telle était et telle est la réduction meurtrière à l’absurde du nationalisme dans sa version territoriale, bien que cela n’ait pas été pleinement démontré avant les années 1940 » 21.

L’analyse historique de Hobsbawm est remarquable, mais sa conclusion selon laquelle, à la fin du 20e siècle, la nation et le nationalisme sont de moins en moins importants est douteuse. Si l’on peut admettre avec lui que l’État-nation a perdu une grande partie de son importance économique, il est beaucoup moins évident que, comme il l’affirme, « le nationalisme n’est plus un vecteur majeur du développement historique » et qu’il a une « signification historique déclinante ». Les exemples qu’il donne pour illustrer son argumentation, au moment où il écrit son livre (1988-89), ont été démentis par le cours des événements dans les années qui ont suivi. Ainsi, il souligne que les tensions nationales en Yougoslavie « n’ont pas encore fait un seul mort » et, à propos de la montée des groupes nationalistes xénophobes tels que le Front national en France, il insiste sur leur « instabilité et leur impermanence » 22.

Si l’internationalisme est la seule perspective cohérente, d’un point de vue marxiste, pour considérer la question nationale, cela ne doit pas conduire, comme cela a souvent été le cas, à sous-estimer la force, l’influence et la capacité de nuisance des nations et du nationalisme.

23 novembre 2024 par Michael Löwy

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23 novembre 2024 ~ 0 Commentaire

Douarnenez ( France 24)

Il y a 100 ans, la grève victorieuse et chantante des sardinières de Douarnenez

Le 21 novembre 1924, des ouvrières des conserveries de sardines de Douarnenez entamaient une grève pour réclamer une augmentation de salaire. Ce mouvement a par la suite pris une ampleur nationale, réunissant jusqu’à 2 000 grévistes. Au bout de six semaines de mobilisation, les « Penn Sardin » ont fini par obtenir gain de cause face à des patrons jusque-là intransigeants. Cent ans après, cette grève inédite est toujours célébrée.

Un groupe de femmes grévistes lors de la grève des sardinières.
Un groupe de femmes grévistes lors de la grève des sardinières. © Cédias – Musée social

« Saluez, riches heureux, ces pauvres en haillons / Saluez, ce sont eux qui gagnent vos millions ». En cette fin d’année 1924, un chant anarchiste résonne dans les rues de Douarnenez, en Bretagne. Par centaines, des ouvriers des conserveries de sardines de la ville, dont une très grande majorité de femmes, battent le pavé, sabots au pied, sur les quais, pour réclamer une meilleure rémunération. Pendant 46 jours, la cité bretonne vit au rythme de cette grève qui mobilise jusqu’à 2 000 personnes dans cette commune de 12 000 habitants.

Tout débute le 21 novembre, lorsqu’une centaine de travailleurs de l’usine métallurgique Carnaud, qui fabrique des boîtes de conserve pour les sardineries, décident de débrayer. « Une centaine d’ouvrières et une quarantaine d’ouvriers demandent une augmentation de salaire de 20 centimes », résume Fanny Bugnon, maîtresse de conférences en histoire contemporaine et études sur le genre à l’université Rennes 2. « À l’époque, ces femmes gagnent 0,80 franc de l’heure, soit le prix d’un litre de lait. C’est une somme très faible. En comparaison, à la même époque en région parisienne, le salaire d’embauche des ouvrières non qualifiées est de 1,50 franc de l’heure. »

Des conditions de travail éprouvantes

La grogne couve depuis un moment. Alors que le pays se remet à peine de quatre longues années de guerre et qu’il fait face à une forte inflation, les revendications salariales se font de plus en plus pressantes. Les conditions de travail sont aussi particulièrement éprouvantes. « C’est physique. On travaille debout, dans le froid, en manipulant de l’eau bouillante ou des ciseaux très tranchants », raconte Fanny Bugnon, qui a retracé l’histoire de ce mouvement social. Les ouvrières, surnommées les « Penn Sardin » (« têtes de sardines », en breton), sont aussi soumises à des cadences épuisantes. Elles peuvent travailler de nuit, selon l’arrivée aléatoire des bateaux et de leurs cargaisons dans le port. « Par ailleurs, le travail est en théorie possible à partir de 12 ans, mais un certain nombre de témoignages font état de l’entrée dans les conserveries d’enfants plus jeunes. Il n’y a pas non plus d’âge de retraite. On peut y travailler jusqu’à 70 ans », ajoute l’historienne.

Très rapidement, la contestation engagée à l’usine Carnaud fait des émules. Elle se transforme en quelques jours en grève générale à Douarnenez. Le 25 novembre, les 21 conserveries de sardines de la ville sont à l’arrêt. Les marins pêcheurs rejoignent aussi la lutte des ouvrières. Les protestataires peuvent compter sur le soutien du nouveau maire communiste, Daniel Le Flanchec, qui installe le comité de grève dans sa mairie. Comme l’explique Fanny Bugnon, ce mouvement est une tribune et un enjeu important pour un Parti communiste en plein essor : « Le Parti communiste vise à construire et à consolider ses premiers bastions et à faire en sorte que les municipalités rouges puissent être la caisse de résonnance des aspirations de la classe ouvrière. »

La Confédération générale du travail unitaire (CGTU), qui regroupe alors des militants communistes et anarchistes, envoie aussi des renforts à Douarnenez. La syndicaliste et militante féministe Lucie Colliard se joint ainsi à Charles Tillon, futur résistant et ministre communiste, alors jeune permanent régional de la CGTU, pour structurer la mobilisation.

Des briseurs de grève

Alors que les patrons se montrent intransigeants, le mouvement trouve un écho dans toute la France. « Le comité de grève et les militants communistes réussissent le tour de force de faire reconnaître nationalement la légitimité de la grève et des revendications ouvrières, y compris par des journaux particulièrement hostiles à la classe ouvrière et ses luttes. Ils portent le débat au Parlement, font pression sur les radicaux qui sont alors ministres du Travail et de l’Intérieur pour qu’ils prennent en charge des démarches de sortie de crise », souligne Théo Bernard, doctorant en histoire contemporaine et auteur d’un mémoire intitulé « La Grève des sardinières et des manœuvres des usines métallurgiques et des fabriques de conserve de Douarnenez (1924-1925) ».

Le ministre du Travail Justin Godart propose une médiation. Le 15 décembre, deux hommes et trois femmes en grève se rendent à Paris pour représenter le comité, mais les négociations échouent. La grève bascule lorsque les dirigeants du syndicat patronal décident d’embaucher des briseurs de grève à Paris. La violence s’immisce dans le conflit. Des coups de feu éclatent. « Le premier janvier 1925, dans des circonstances mal établies, ils s’en prennent à des militants dans un café de la ville. Daniel Le Flanchec ainsi que son neveu sont gravement blessés. Le maire est atteint à la gorge, ce qui limite ses capacités d’orateur pour le reste de son existence », relate Théo Bernard.

L’incident vire à l’émeute. L’indignation ouvrière est extrêmement forte. Les patrons sont discrédités et finissent par céder le 6 janvier. Les sardinières seront bien payées un franc de l’heure. « Un contrat collectif est négocié et signé. Il reconnaît des augmentations de salaire modestes mais fait entrer le droit du travail dans les usines. Les heures de nuit sont par exemples majorées », détaille l’historien. Dans les rues de Douarnenez, les grévistes laissent éclater leur joi

Une mémoire qui résonne aujourd’hui

Pendant des décennies, la grève des sardinières est présentée comme un exemple par les militants communistes. Certains y perçoivent même aujourd’hui l’un des premiers mouvements féministes. « C’est un raccourci qui est fait », insiste Fanny Bugnon. « On peut bien sûr en tant que féministe s’en inspirer et y voir un modèle de mobilisation de femmes, mais ce n’est pas une grève féministe dans le sens où il n’y avait aucune revendication d’égalité de droits. Ce n’était pas le sujet de cette grève. »

Alors que les femmes n’ont pas encore le droit de vote, ce mouvement entraînera toutefois l’entrée en mai 1925 au conseil municipal de Douarnenez de Joséphine Pencalet, une ouvrière ayant participé au mouvement, même si son élection sera invalidée quelques mois plus tard par la préfecture. « C’était un phénomène inédit à une époque où les femmes étaient dépourvues de droits politiques », souligne Fanny Bugnon, qui a consacré un ouvrage à cette pionnière, « L’Élection interdite. Itinéraire de Joséphine Pencalet, ouvrière bretonne (1886-1972)«  (éd. du Seuil).

Cent ans plus tard, la mémoire des « Penn Sardin » résonne toujours dans les rues de Douarnenez. La ville est mobilisée pour célébrer ce centenaire. La mairie n’est plus communiste depuis 1995, mais la municipalité de centre-droit a apporté son soutien à un collectif militant nommé « Pemp real a vo! » (« 25 sous, nous aurons ! ») en référence aux revendications des sardinières. Celui-ci organise toute une série d’événements jusqu’à début janvier. « On ne trouve pas beaucoup d’équivalents en France. Il y a eu des grèves un peu partout dans l’entre-deux-guerres, mais quelles villes les célèbrent aujourd’hui ? », constate Théo Bernard.

Dans ce programme, une large place est consacrée à la culture et notamment au chant des sardinières. La grève de 1924 avait en effet été rythmée par des morceaux révolutionnaires. Un siècle plus tard, ces slogans sont toujours d’actualité, note Fanny Bugnon : « C’est une histoire qui continue à parler et qui résonne avec une condition ouvrière qui est en souffrance et en difficulté. Il y a toujours des conserveries, mais de moins en moins parce qu’on pêche le poisson ailleurs et qu’il y a des délocalisations. »

En 2004, la parolière engagée Claude Michel avait rendu hommage aux sardinières dans sa chanson « Penn Sardin ». En dix couplets, elle y raconte le combat des ouvrières. Un hymne qui prolonge leur mémoire et qui est aujourd’hui régulièrement repris dans les manifestations bretonnes : « À Douarnenez et depuis ce temps / Rien ne sera plus jamais comme avant / Écoutez l’bruit d’leurs sabots / Ç’en est fini de leur colère / Écoutez l’bruit d’leurs sabots / C’est la victoire des sardinières ».

23/11/2024  Stéphanie TROUILLARD

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16 novembre 2024 ~ 0 Commentaire

Nestor Makhno

mak

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