Les Zombies comme baromètre de l’anxiété capitaliste (Avanti.be)
Les représentations modernes des zombies que l’on voit pulluler dans les romans de culture « horror-pop » ou, de manière croissante, dans les films, sont facilement iden- tifiables tout en étant radicalement différentes de leurs racines historiques.
N’importe quel membre de notre culture occidentale moderne est capable de reconnaître la chair grise et souvent en décomposition, les yeux noirs, l’apparence désarticulée, le pas trainant, le gémissement misérable, et bien entendu, la bouche ensanglantée de restes humains récents.
Cependant, la notion de zombie va au-delà de ces peurs faciles ; le zombie, comme d’autres variétés de monstres, incarne une peur qui prévaut dans la société dans son ensemble, une angoisse collective quant à la capacité de destruction rassemblée dans les mains de quelques fous invulnérables. Comme le déclare Peter Dendle dans son essai (*), « Le zombie est un baromètre de l’anxiété d’une culture », le zombie a « (…) servi de soupape pour les angoisses profondes ressenties à propos de la société, du gouvernement, de la protection individuelle, et de notre déconnexion croissante d’avec nos moyens de survie. » Selon Dendle toujours, la prévalence du zombie dans la culture populaire serait liée à la peur de la société qu’un événement soudain détruise le statu quo (que ce soient des morts-vivants ou autre chose) et provoque un chaos généralisé dans lequel les gens seraient incapables de se protéger ou de survivre par leurs propres moyens.
On peut dès lors partir de cette idée d’angoisse collective et aller plus loin dans la réflexion pour en discerner la cause sous-jacente et les raisons qui contribuent à cette anxiété du public en général. Cette cause qui prend la forme de la généralisation des zombies dans les films et la littérature, c’est le capitalisme.
Passé et présent Selon Dendle, « Le zombie est une force sans âme qui travaille de manière non réflé- chie pour les intérêts d’autres, ce qui fait référence à la mémoire collective de l’esclavage, c’est à dire une vie sans dignité et privée de sens dans laquelle les actes sont accomplis machinalement. ».
On remonte ici aux origines des zombies: des corps réanimés par des propriétaires bourgeois ou des patrons d’usine dans le but de leur faire réaliser des tâches subalternes pour un salaire de misère et capables de travailler des heures sans se lasser ou commettre d’erreurs. C’est là l’une des premières reprises de la notion de zombie et l’origine de la métaphore capitaliste.
L’économie proto-capitaliste des Etats-Unis du 19e siècle se basait sur le travail des esclaves, et les politiciens pro-esclavagistes de l’époque argumentaient que l’économie du Sud se serait entièrement effondrée si on avait interdit l’esclavage. On peut clairement voir la manière dont la peur et le mépris envers le système capitaliste auront marqués l’esprit des esclaves africains ou haïtiens dont est originaire la culture des zombies. Ils étaient des esclaves parce que l’esclavage était rentable et vital pour l’économie et qu’il n’était pas acceptable qu’ils mettent en faillite les propriétaires d’esclaves par une résistance implicite au système.
A partir de là, le zombie passe de l’état de clone du travailleur à celui de monstre sangui-naire, dont la personnalité n’existe plus et dont la chair se décompose sur les os, animé d’une faim insatiable et, plus important encore, qui devient une horde capable de détruire toute la société humaine. Les zombies sont passés de force de travail bon marché à l’apocalypse, et ils n’ont jamais été aussi populaires que depuis que le capitalisme a conquit le monde. La métaphore capitaliste nous vient de « Dawn of the dead », un film de George Romero de 1978 dans lequel le personnage principal tente de survivre à l’apocalypse en trouvant refuge dans un supermarché. Les survivants y trouvent une sécurité temporaire et y retournent à leurs racines consuméristes ; ils saccagent le centre commercial pour prendre les produits. Après avoir observé ce comportement de ses camarades d’infortune en même temps que celui des zombies, il dira : « Ils sont nous ».
On trouvera plus tard une expression plus subtile de la métaphore dans le cycle des « Residents Evil » et dans d’autres livres ou films dans lesquels l’arrivée des zombies et directement due à la soif de profit par des entreprises sans scrupules. Cette vision provient sans doute d’une méfiance croissante envers les grands conglomérats dont le PIB dépasse celui de nations entières : Wal-Mart (chaîne de supermarchés américaine – ndt), par exemple, « pèse » plus que l’économie de l’Arabie Saoudite. (…)
Troubles de l’anxiété Le zombie, comme nous le savons aujourd’hui, est par sa nature même une créature stupide qui a autrefois été un être humain, un individu sensible avec un nom et un libre arbitre, mais qui a été déformé pour devenir un consommateur vorace sans pensées ou émotions. Il déambule à travers les rues de la ville, autour de petites villes et le long des routes sans réflexion ni désirs, sinon celui de consommer n’importe quelle chair humaine.
Si l’on prend en compte certaines critiques anticapitalistes, on trouve une étrange similitude entre les zombies et les consommateurs de l’économie capitaliste, du moins en termes de comportements. Les masses sortent de chez elles et affluent vers les centres commerciaux et les grands magasins, elles donnent volontairement le fruit de leur travail en échange de marchandises et souvent elles ne savent même pas vraiment pourquoi elles font cela. Un trait caractéristique du zombie est la perte de sensibilité de l’individu une fois transformé en mort-vivant et c’est la même perte de sensibilité qui se produit chez l’individu au sein d’une culture capitaliste consumériste, manipulée par le marketing de masse et la publicité. Sur la question de la perte du libre arbitre, l’auteur Chuck Palahniuk écrit avec humour : « Les spécialistes de la Grèce antique disent que les gens de l’époque ne voyaient pas leurs pensées comme leur appartenant. Quand les Grecs anciens avaient une pensée, ils se la représentaient comme si un dieu ou une déesse donnait un ordre… Maintenant, les gens entendent une publicité pour des chips et se précipitent pour les acheter, mais ils appellent cela le libre arbitre. Au moins, les Grecs anciens étaient honnêtes. » (…)
Source :
http://blog.thezeitgeistmovement.com/blog/dt-robb/zombie-barometer-capitalist-anxiety
Traduction française pour Avanti4.be : Sylvia Nerina D.T. Robb 29 octobre 2013
http://www.avanti4.be/analyses/article/les-zombies-comme-barometre-de-l-anxiete