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29 janvier 2025 ~ 0 Commentaire

Douarnenez

Douarnenez dans A gauche du PS

1924-2024 : 100 ans de la grève des sardinières de Douarnenez

De l’exploitation et du mépris, jusqu’à la grève

1924, Douarnenez, Finistère. Daniel Le Flanchec est élu maire de la ville en octobre, à la suite de Sébastien Velly, premier maire communiste de France.

Dans ce port de pêche, les hommes vont en mer pour pêcher la sardine et à leur retour, des acheteuses, représentantes de chacune des conserveries de la ville, sont postées au bout de la jetée et négocient les prix des poissons avec les patrons des chaloupes. Une fois les prix fixés, les contremaîtresses des conserveries appellent “Merc’hed d’ar fritur”, autrement dit “Les filles à l’usine”. De jour comme de nuit, les femmes quittent alors leur maison pour rejoindre les usines et attendre l’arrivée des poissons pour les mettre en boîte.

Les conditions de travail sont difficiles. Les ouvrières travaillent dès 8 ans, alors que l’âge légal est de 12 ans. Elles peuvent travailler jusqu’à 18h d’affilée bien qu’une loi de 1919 limite la journée d’usine à 8h. Les usines de Douarnenez ont donc obtenu une dérogation qui permet de travailler plus longtemps à condition que le nombre d’heures par semaine ne dépasse pas 72 heures. Bien évidemment, ce taux horaire n’est pas respecté. Evidemment encore, les heures supplémentaires ne sont pas payées et le travail de nuit est payé autant que le travail de jour. Les locaux de certaines usines sont, par ailleurs, insalubres. Dans celles-ci, les salles ne sont jamais nettoyées, les carreaux cassés ne sont pas remplacés, les WC sont sales, il n’y a pas de réfectoire pour manger, les ouvrières travaillent dans les courants d’air (pour permettre l’aération des odeurs) mais cela ne suffit pas à évacuer les émanations de charbons de bois qui provoquent des maux de tête et coupent l’appétit1.

Ce qui va déclencher la colère des ouvrières, c’est leur salaire. Elles ne sont payées que 80 centimes de l’heure (alors qu’un kilo de pâtes coûte 4 francs et le beurre quinze francs) !

Le 20 novembre 1924, les sardinières de Douarnenez se donnent rendez-vous place de la Croix pour discuter : “leur richesse à eux [les patrons] se fait sur leur dos à elles, et sur celui des pêcheurs tenus à la gorge par les commises qui négocient tout au rabais, les piquesses”2. La colère commence à monter. Elles veulent une augmentation et être payées un franc de l’heure. Ce jour-là, un cahier de revendications tourne devant les portes de l’usine.

Dès le lendemain, les ouvrières de l’usine Carnaud demandent à être reçues par le contremaître, Trellu, pour parler de leurs revendications. Il refuse. Dès lors, 100 ouvrières et 40 manœuvres quittent l’usine. Elles vont voir Daniel Le Flanchec, maire de la ville, qui, furieux, se rend à l’usine Carnaud rencontrer Jean Griffon, le directeur, en personne ! Pendant ce temps, un comité d’ouvrières s’organise rapidement pour commencer à répandre la fièvre de la grève.

Le 23 novembre, les ouvrières marchent dans la ville jusqu’au crépuscule. Embryonnaire et désorganisé, le mouvement n’est pas encore assez massif. Désormais, le mot d’ordre est de convaincre les Douarnenistes de la justesse de leur cause. De Ploaré à Pouldavid, les sardinières battent le pavé jusqu’au 25 novembre, jour où toutes les usines de la ville débrayent. Il y a dès lors 1566 ouvrières et 500 ouvriers en grève dans la ville rouge.

La grève s’organise

Ce qui fut la force de cette grève, ce qui lui donna la possibilité de la victoire, c’est son organisation ! Rapidement après le débrayage, Charles Tillon, responsable de la CGTU Bretagne (la Confédération générale du travail unitaire), arrive à Douarnenez. Puis, c’est autour de Lucie Colliard, responsable du travail des femmes à la CGTU, de poser ses valises à Douarnenez. Habitué·es des luttes et des grèves, “l’institutrice de Bogève” et l’ancien mutin bagnard vont aider les sardinières à s’organiser, à se former et à construire leurs revendications.

Charles Tillon propose alors la mise en place d’une crèche provisoire pour garder les enfants afin que les ouvrières, responsables du foyer, puissent aller manifester ou se retrouver aux halles, afin de construire la “révolution douarneniste”.

Lucie Colliard, quant à elle, les aide à construire leurs revendications. Elle les incite à ne pas demander 1 franc de l’heure mais 1 franc 25 ! Cette exigence deviendra même le slogan de la grève “Pemp real a vo”, soit “5 sous nous aurons”. Elle les pousse aussi à porter d’autres revendications : le respect de la journée de 8h et la rémunération des heures de nuit et des heures supplémentaires deviennent non négociables. Lucie Colliard tente également d’apporter des vues féministes à la grève des Penn Sardins en leur parlant d’égalité salariale et en critiquant l’injonction faite aux femmes à la maternité. Ces deux revendications ne furent finalement pas portées par les sardinières

Suite à l’arrivée de ces deux allié·es, la grève s’organise. Une répartition des tâches est mise en place pour éviter que certaines ne retournent à l’usine, notamment les indécises et les plus pauvres. Dans cette organisation, il y a celles qui entretiennent la flamme de la grève en continuant de convaincre. Il y a celles qui vont chercher de quoi faire la soupe populaire – au plus fort de la grève ce sont 500 repas servis midi et soir. Et il y a celles qui cuisinent. Chaque jour, les grévistes se réunissent dans la mairie pour recevoir les cotisations syndicales puis, dans l’après-midi, c’est l’heure du cortège !

Les réseaux de solidarité gagnent du terrain pour permettre aux ouvrières de tenir. A Noël, les marins repartent en mer non pas pour les patrons mais pour nourrir la grève. Charles Tillon et Lucie Colliard font le tour des ports et des champs pour récolter des dons. Daniel Le Flanchec revient d’un meeting du Parti communiste au Pré-Saint-Gervais avec 7500 francs pour la grève. Un bal solidaire est organisé à La Bellevilloise à Paris, coopérative fondée au lendemain de la Commune, et récolte 3000 francs. Le gouvernement vote même une subvention pour que les grévistes reçoivent des vêtements !

Dans cette effervescence de la lutte, les sardinières se forment politiquement. Les idées communistes se propagent : le partage des richesses, le capital, les idées de Marx. Ainsi lorsque les patrons acceptent enfin de négocier, les déléguées syndicales sont solides sur leurs appuis. Lorsque certaines de leurs revendications sont refusées, notamment le doublement du paiement des heures de nuit, elles quittent les négociations sans se retourner. Pendant ces mois de grève, les sardinières ont appris le rapport de force : elles ne céderont pas ! Pendant ce temps, la pêche est vendue ailleurs qu’à Douarnenez et les femmes grévistes ne reprennent pas le travail. Les patrons acceptent finalement une nouvelle négociation qui aboutit à la victoire des sardinières : leur salaire est augmenté à 1 francs 25, la loi des 8h est appliquée, les heures d’attente du poisson sont payées, le travail de nuit et les heures supplémentaires sont majorées.

Grâce à cette organisation, à la formation des Penn Sardins et à leur volonté, elles gagnent la grève et obtiennent satisfaction de toutes leurs revendications. C’est la victoire des sardinières !3

Grève sociale ou grève féministe ?

Les sardinières ont gagné. Leurs revendications sont toutes acceptées mais une question reste en suspens. Est-ce que cette grève de femmes peut être considérée comme une grève féministe ? L’omniprésence de femmes dans cette lutte peut nous faire penser que oui.

Or, en 1924, il existe une division sexuée et spatiale du travail à Douarnenez. Autrement dit, les hommes pêchent et les femmes travaillent dans les usines. La grève des sardinières est une grève de femmes car il n’y a presque que des femmes qui travaillent à l’usine. C’est donc un combat social porté par des femmes.

Par ailleurs, aucun élément que ce soit dans les tracts, les affiches, les chansons ou les articles de l’époque ne pose cette grève d’un point de vue des droits des femmes4. Lucie Colliard tente en arrivant à Douarnenez de porter des revendications féministes d’égalité salariale et de rejet de l’injonction à la maternité mais elles ne seront pas portées par les sardinières. A la fin de cette grève, les femmes seront mieux payées mais toujours moins que les hommes.

La grève des sardinières de Douarnenez ne peut pas réellement être qualifiée de féministe car elle n’en portait ni la prétention ni les revendications. Elle est, cependant, une grève de classe où les ouvrier·ères instaurent un rapport de force face aux patrons qui capitalisent sur leur dos. Soyons vigilant·es à ne pas accoler des visions présentistes à des éléments du passé pour servir des intérêts actuels. C’est une grève de classe victorieuse mais les perspectives féministes sont encore à venir. Malgré tout, la grève des sardinières nous inspire car elle est le témoignage de la force de la solidarité, de la formation politique et de la prise de confiance pour gagner une lutte. C’est un exemple d’organisation de la grève au service, notamment, de femmes qui luttent. Nous ne pouvons que suivre cet exemple pour mener nos luttes actuelles et futures.

Une revendication salariale fut à l’origine de la première grève des Penn Sardin, 20 ans auparavant. En 1905, les ouvrières demandaient à être payées à l’heure et plus au mille de sardines. Être payées au nombre de sardines travaillées permettait aux patrons de gagner plus d’argent sur leur dos. Comme le disait Angelina Godinec, porte-parole de cette grève, : “Avec le travail sur pièce, nous sommes toujours volées”. Suite à cette première mobilisation, les ouvrières gagnent des droits : elles sont désormais payées à l’heure, un syndicat composé exclusivement de femmes et une caisse de prévoyance et de secours sont créés.

Maria Martin (Rennes)

NOTES
  1. Port-musée de Douarnenez, L’espace conserverie, Douarnenez, 2024.  ↩︎
  2. Anne CRAIGNON, Une belle grève de femmes. Les Penn sardin, Douarnenez, 1924, Condé-en-Normandie, 2023.  ↩︎
  3. Claude MICHEL, “Penn Sardin”, Concarneau, 2005. ↩︎
  4. Aurélie FONTAINE, Entretien avec Fanny Bugnon, historienne, sur la grève des sardinières à Douarnenez [podcast]. Breton·nes et féministes, 2021, 20min01. Disponible sur : <https://bretonnesetfeministes.lepodcast.fr/entretien-avec-fanny-bugnon-historienne-sur-la-greve-des-sardinieres-a-douarnenez> (20/05/2024) ↩︎

 

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01 janvier 2025 ~ 0 Commentaire

Plogoff (Boehlen 1980)

plogoff

Pollution. Du pétrole refait surface à la pointe du Raz, sur fond de polémique d’accès aux bunkers

La municipalité de Plogoff dans le Finistère a pris un arrêté interdisant l’accès à une partie du site de la pointe du Raz, en raison de la présence de pétrole dans un bunker de la seconde guerre mondiale. Ces déchets d’hydrocarbure proviennent du pétrolier le Boehlen qui avait fait naufrage en 1976 au large d’Ouessant.

Ce 31 décembre, Joël Yveno, maire de Plogoff, appose sa signature sur un arrêté municipal. Le document interdit l’accès du public à un bunker de la pointe du Raz.  » Il y a des déchets d’hydrocarbure stockés en 1976 et 1977, donc on met en sécurité cette zone pour éviter que le public y ait accès » explique l’édile.

Dans la journée, des rubalises et des panneaux d’interdiction devaient également être posés à proximité des lieux.

Des centaines de tonnes de pétrole enfouies dans les bunkers

À l’intérieur de ce bunker, se trouve, en effet, une quantité non négligeable de pétrole. Celui-ci provient du pétrolier le Boehlen, qui avait fait naufrage au large de la pointe en 1976.

En mai 1977, face à l’ampleur de la marée noire, et à l’impossibilité d’incinérer la trop grande quantité de pétrole récupéré sur le littoral, l’administration décide d’enfouir les centaines de tonnes d’hydrocarbure dans différents sites désaffectés, comme des carrières ou des bunkers.

Environ 120 tonnes d’hydrocarbure, ainsi que le matériel utilisé pour son extraction, ont notamment été déposés dans le bunker de la pointe du Raz.

Connus de tous les témoins de cet épisode dramatique, ces déchets n’ont depuis jamais été traités. Et les bunkers étaient encore accessibles à ceux qui s’y aventuraient.

Si ces dépôts sont anciens, leur histoire et les problèmes environnementaux et sanitaires qu’ils posent, sont revenus sur le devant de la scène après la publication d’un article dans le quotidien Le Télégramme en ce début de semaine. Celui-ci révèle que le sol du bunker « est recouvert d’un mazout noir et visqueux ».

Une mauvaise publicité pour ce site naturel classé « grand site de France » et géré par le conservatoire du littoral.

Réaction des administrations

Suite à ces articles, la préfecture ainsi que le conservatoire du littoral et le département du Finistère ont tenu à réagir dans un communiqué de presse, ce 30 décembre :

« Les autorités tiennent à rappeler que des lieux de stockage de pétrole issus de différentes marées noires existent dans toute la Bretagne. Le BRGM (bureau de recherches géologiques et minières) a recensé l’ensemble des sites connus. Ces informations sont en libre accès sur internet. »

Le BRGM met, en effet, à disposition du public des informations sur les pollutions des sols. Ils sont consultables sur le site georisque.gouv.fr.

Des associations, en particulier Les Robins des Bois, ont également édité des cartes, recensant les lieux de stockage des déchets pétroliers des différentes marées noires. C’est d’ailleurs grâce aux actions menées par ces militants écologistes et aux différentes plaintes déposées, qu’un inventaire sur les déchets dangereux avait été mené en 2009.

L'association des Robins de Bois a réalisé une cartographie où sont répertoriés tous les lieux de stockage de pétrole souillé des marées noires en Bretagne
L’association des Robins de Bois a réalisé une cartographie où sont répertoriés tous les lieux de stockage de pétrole souillé des marées noires en Bretagne • © Association Robin des Bois DR

Dangerosité du site ?

Concernant la dangerosité du site, le communiqué des autorités indique :  » le site avait été jugé inaccessible. Face au risque pour les promeneurs d’accéder à un site par ailleurs dangereux du fait de sa topographie, le maire de Plogoff interdira demain [31 décembre, NDLR], l’accès par arrêté et pose de barrière. »

Aucune mention n’est cependant faite de l’éventuelle toxicité des matières présentes.

Nicolas Tamic, directeur adjoint du CEDRE (Expert en pollutions accidentelles des eaux) explique ne pas avoir été sollicité pour intervenir sur ce site. Il précise donc ne pas le connaître, mais estime que 50 ans après son dépôt,  » les fractions volatiles du pétrole, et ce qui est dangereux, ont vraisemblablement disparu« .

Pour autant, aucune affirmation sur la non-dangerosité de ces déchets n’est possible, avant d’avoir procédé à des analyses précises.

Dans leur communiqué, la préfecture, le département et le conservatoire du littoral précisent cependant que  » la gestion de ces sites pollués se fait au regard de l’usage qui en est fait. La Préfecture, le Conservatoire du littoral, propriétaire du site, et le Département, qui, à compter du 1ᵉʳ janvier 2025, en reprendra la gestion, s’associeront avec la mairie début 2025 pour réaliser une première évaluation technique de la dangerosité de ce stockage pour les promeneurs et l’environnement avant de prendre toute décision « .

Un autre site, celui de Men Tan, déjà fermé au public

Cette affaire est directement liée aux différends qui opposent la mairie de Plogoff à l’ASPH Men Tan, l’association de sauvegarde du patrimoine historique du Men Tan.

En effet, cette dernière s’est émue la semaine passée d’un premier arrêté municipal interdisant l’accès  à Men Tan, un autre site côtier de Plogoff.

Par arrêté municipal, il est désormais interdit d’accéder au site du Men Tan, qui fut un lieu stratégique pour l’armée allemande lors de la Seconde guerre mondiale. • ©M.Herri / M.Tregouet

Un site que les bénévoles de l’association ont entrepris de nettoyer il y a un an et demi, pour le rendre accessible au public. À cette occasion, ils ont même mis au jour des vestiges inconnus des historiens.

À l’été 2024, le projet a pris de l’ampleur et l’ASPH a organisé différentes visites de quelques-uns de ces vestiges, dont un des bunkers qui abrita le plus grand système radar de la seconde guerre mondial. Pas moins de 3000 personnes sont ainsi venues découvrir ce lieu insolite.

C’est à ce moment-là que les relations se sont envenimées avec la municipalité, gestionnaire de cet espace. Celle-ci a voté en novembre la fermeture du site de Men Tan. « Nous avons pris cet arrêté en concertation avec la Préfecture pour assurer la sécurité en attendant de clarifier qui fait quoi sur ce site. On n’est pas là pour tout bloquer, mais aujourd’hui, si quelqu’un se blesse sur place, c’est le maire qui est responsable« , se défend Joël Yvenou.

À cette interdiction, l’association du Men Tan avait répondu, devant des journalistes : « Pourquoi fermer le MenTan ? On l’a dépollué et sécurisé. Allez faire un tour à la pointe du Raz, la situation est bien plus critique. On entre dans les blockhaus comme dans un moulin et ils contiennent du pétrole du Boehlen. »

Nos confrères du Télégramme sont effectivement allés sur place et ont pu se rendre compte de la réalité de la situation. Le pétrole glissé sous le tapis il y a 50 ans et un peu oublié là, vient subitement de remonter à la surface.

À LIRE AUSSI : Fuites d’hydrocarbure sur l’épave du Tanio au large de Batz, une intervention pour colmater « plusieurs trous dans la coque »

À LIRE AUSSI : « Certains jours, tout le monde se mettait à pleurer ». Il y a 25 ans, l’Erika se brisait au large des côtes bretonnes

  Maylen Villaverde 31/12/2024

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22 décembre 2024 ~ 0 Commentaire

Douarnenez ( FR3)

douarnenez

« On n’est pas des robots, mais des êtres humains, ne l’oubliez pas ». Immersion dans l’univers des sardinières de Douarnenez

Écrit par Michelle Ruan

Publié le 22/12/2024 à 07h30

100 ans après les célèbres grèves des Penn Sardin, les sardinières qui travaillent aujourd’hui à l’usine Chancerelle de Douarnenez tentent de comprendre les motivations de la transformation du monde ouvrier contemporain. Dans son documentaire, « Demain au boulot » Liza Le Tonquer, dresse le portrait de ces ouvrières du XXIè siècle.

À Douarnenez, sur la pointe finistérienne, les dernières conserveries ont quitté le port et sont désormais installées dans la zone industrielle. La ville, devenue aujourd’hui une carte postale pour les touristes, demeure, pour autant, une cité ouvrière particulièrement marquée par ses luttes sociales.

Cent ans après les grèves des sardinières commémorées cette année, 600 personnes, essentiellement des femmes, travaillent toujours à l’usine Chancerelle de Douarnenez, la plus vieille conserverie du monde. Beaucoup de ces femmes sont originaires de Côte d’Ivoire, du Congo ou de Madagascar.

Ces ouvrières, installées depuis plusieurs années en France, mêlent leurs voix à celles des ouvrières originaires de la région, parfois elles-mêmes filles d’ouvrières, pour faire entendre leurs inquiétudes.

Un avenir incertain

Elles se nomment Justine, Edith, Rachel, Mariem, Patricia… On les appelait autrefois « filles de presse« , pour presser le poisson, ou encore « filles fritures« , pour celles qui emmenaient la sardine à frire dans l’huile d’olive.

À la chaîne, leurs gestes sont précis pour enlever les entrailles des sardines. Un travail minutieux et délicat,  « un savoir-faire ancestral qui se transmet de génération en génération« , peut-on lire sur les emballages.

Mais si la sardine est fragile, la sardinière, elle, est courageuse et tenace, malgré un avenir incertain.

Une cadence rythmée par les chiffres

Debout pour l’étripage, à la chaîne, dans les odeurs, le bruit et les mains dans le froid, elles enlèvent la tête et les entrailles des sardines. C’est un travail difficile.

Les contremaîtres, eux, ont les yeux rivés sur les écrans de calcul, en bout de ligne, qui affichent le rendement.

Ces ouvrières sont éreintées en fin de journée. Les kilomètres pour venir à l’usine, le prix de l’essence, le repas pris dans un laps de temps chronométré, la cadence à respecter… les journées se suivent ainsi, et la fatigue s’accumule.

« Parfois, à la fin de la journée, j’ai l’impression qu’une machine m’est passée dessus » témoigne l’une des ouvrières.

Une organisation complexe

Si les transformations des mécanismes de production ont amélioré la rentabilité de l’entreprise, les sardinières, elles, se désolent de voir leur reconnaissance au travail s’amoindrir et constatent une déshumanisation de l’entreprise.

« Nous ne voyons plus les patrons » disent-elles, « seuls les maîtres et contremaîtresses s’affairent à maintenir le rythme et la cadence ».

Ça sent fort, il fait froid, il y a du bruit, alors on chante toujours, comme les Penn Sardin d’autrefois, la boule au ventre.

Une sardinière

Les plannings sont très complexes. Dès lors qu’une machine tombe en panne sur la chaîne de production, c’est toute organisation qui se voit modifiée. Un ajustement quotidien du personnel, des horaires à rallonge ou écourtés, il n’y a pas de stabilité fonctionnelle et la fatigue se sent. « Nos conditions de travail sont devenues déshumanisantes » résument-elles.

Quand on arrive le matin, on nous demande de rentrer chez nous parce qu’une des machines ne fonctionne plus. Puis, on nous rappelle pour revenir, parfois pour une reprise de service à quatre heures du matin.

Les planifications sont complexes, dès lors qu’une machine tombe en panne sur la chaîne de production •

Pour le bien-être au travail ou pour le rendement ?

À l’heure où les guette un nouveau changement sur les lignes, les sardinières de Chancerelle à Douarnenez sont en alerte. Et malgré une réserve de rigueur dans le monde ouvrier, par pudeur ou par crainte des représailles, les langues se sont déliées, petit à petit.

« Les ouvrières ce sont comme des petites abeilles, plus vous les titillez, plus elles vont piquer » commente l’une d’elles.

Ils font ce qu’ils veulent, mais aujourd’hui c’est fini. On dormait et on s’est réveillé

Les sardinières de l’usine Chancerelle

La réalisatrice Liza Le Tonquer a filmé ces filles qui travaillent à l’usine et elle dresse le portrait de femmes inquiètes pour leur avenir.

« Demain, au boulot » un documentaire à voir sur France 3 Bretagne, le jeudi 9 janvier en deuxième partie de soirée, et sur france.tv dès maintenant.

https://france3-regions.francetvinfo.fr/

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24 novembre 2024 ~ 0 Commentaire

Penn Sardin

Bretagne : Comment les sardinières exploitées de Douarnenez ont fait plier le patronat

LUTTE OUVRIÈRE•En novembre 1924, les Penn Sardin, ces ouvrières exploitées des conserveries de Douarnenez (Finistère) démarraient une grève historique et victorieuse pour réclamer une augmentation de salaire

Les sardineries de Douarnenez, capitale mondiale de la conserve de poisson à la fin du XIXe siècle, employaient principalement des femmes.
Les sardineries de Douarnenez, capitale mondiale de la conserve de poisson à la fin du XIXe siècle, employaient principalement des femmes. - Leemage / AFP

L’essentiel

  • Il y a un siècle, les sardinières de Douarnenez (Finistère) démarraient une grève historique (et victorieuse).
  • Travaillant dans des conditions épouvantables, ces ouvrières étaient en plus payées une misère.
  • Cent ans après cette révolte, le chant des sardinières continue de résonner à Douarnenez.

Rebelle, militante, artistique, solidaire et accueillante. Dans le Finistère sud, la ville de Douarnenez, Douarn pour les intimes, cultive sa singularité. Allez donc faire un saut début mars au carnaval déjanté des Gras pour vous plonger dans l’ambiance rock’n’roll de cette ancienne cité ouvrière qui, malgré la gentrification et le tourisme de masse qui la rongent, a su garder sa forte identité. Ce caractère bien trempé, elle le doit à son passé maritime et à la pêche à la sardine qui a fait la fortune du port, capitale mondiale de la conserve de poisson à la fin du XIXe siècle. Mais aussi et surtout au combat et à la grève de ses sardinières dont on célèbre cette année le centenaire et qui reste gravée dans l’ADN de la ville.

Rembobinons donc pour nous retrouver en 1924. A l’époque, Douarnenez comptait une vingtaine de sardineries employant plus de 2.000 employés, dont trois quarts de femmes. Les hommes en mer, il revenait donc à leur femme, leur mère ou leurs filles de nettoyer les sardines, les faire frire dans l’huile avant de les mettre en conserve. Un travail pénible pour ces ouvrières portant la coiffe et des sabots, surnommées les Penn Sardin (tête de sardine en breton), qui trimaient parfois jusqu’à seize ou dix-huit heures d’affilée au milieu des entrailles de poiscaille.

Un travail épouvantable et payé une misère

« Elles devaient travailler dès le plus jeune âge, très souvent de nuit et jusqu’à épuisement », relate Nina Montagné, réalisatrice du documentaire Le chant des sardinières qui sera diffusé ce dimanche midi dans l’émission « Littoral » de France 3. « Quand l’inspecteur du travail débarquait, les petites filles, parfois âgées de 10 ans, devaient se cacher », poursuit-elle. Ce labeur dans des conditions épouvantables était également payé une misère, 80 centimes de l’heure. Trop peu pour ces sardinières sans le sou qui décident le 21 novembre 1924 de lancer une grève.

Le mouvement de grogne démarre d’abord à l’usine métallurgique Carnaud avant de rapidement faire tache d’huile dans les conserveries de la ville. Entonnant des chants révolutionnaires, les sardinières défilent par centaines en sabots sur les quais de Douarnenez avec un mot d’ordre : « Pemp real a vo » (« cinq sous nous aurons ! »), soit une augmentation de 45 centimes par heure. « C’était une grève de la misère pour sortir de l’indignité », souligne Françoise Pencalet, docteure en histoire.

Le patronat fait appel à des briseurs de grève

Assez vite, les hommes, marins ou paysans, rejoignent le mouvement qui prend une ampleur nationale grâce au soutien de personnalités comme le militant communiste Charles Tillon, futur résistant et ministre, ou Lucie Colliard, membre du comité directeur du PCF et activiste féministe. « On peut le voir comme une grève féministe aujourd’hui mais c’était à l’époque un mouvement porté par des femmes révoltées par leurs conditions de travailleuses exploitées », précise Françoise Pencalet..

Alors que la mobilisation se prolonge, beaucoup pensent que le combat est perdu d’avance. Car elles sont en face d’elles « un patronat intransigeant qui n’a pas hésité à user de la violence en faisant appel à des briseurs de grève pour casser le mouvement », raconte la docteure en histoire. Après de violents affrontements le 1er janvier 1925 dans un café de la ville, où le maire est gravement blessé par balle, les patrons d’usines, sous pression, doivent céder.

Le chant des sardinières continue de résonner

Au bout de six semaines de combat, les sardinières peuvent crier victoire avec un accord, signé le 6 janvier, portant leur salaire à un franc de l’heure avec une majoration des heures supplémentaires et de nuit. « Elles n’ont pas obtenu autant qu’elles voulaient mais elles ont montré la voie ensuite à d’autres ouvrières sur le littoral finistérien », salue Françoise Pencalet.

Un siècle après cette grève historique et victorieuse, récemment décrite par le journal britannique The Times comme « l’un des événements les plus importants de l’histoire du travail des femmes en Europe », le chant de ses sardinières continue toujours de résonner dans les trois ports et les rues de Douarnenez. « Cela fait partie de notre histoire, de notre patrimoine immatériel et il nous faut entretenir cette mémoire », assure Françoise Pencalet, membre du collectif « Pemp real a vo » qui s’est monté l’année dernière pour célébrer le centenaire des sardinières.

Jérôme Gicquel

24/11/2024

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23 novembre 2024 ~ 0 Commentaire

Douarnenez ( France 24)

Il y a 100 ans, la grève victorieuse et chantante des sardinières de Douarnenez

Le 21 novembre 1924, des ouvrières des conserveries de sardines de Douarnenez entamaient une grève pour réclamer une augmentation de salaire. Ce mouvement a par la suite pris une ampleur nationale, réunissant jusqu’à 2 000 grévistes. Au bout de six semaines de mobilisation, les « Penn Sardin » ont fini par obtenir gain de cause face à des patrons jusque-là intransigeants. Cent ans après, cette grève inédite est toujours célébrée.

Un groupe de femmes grévistes lors de la grève des sardinières.
Un groupe de femmes grévistes lors de la grève des sardinières. © Cédias – Musée social

« Saluez, riches heureux, ces pauvres en haillons / Saluez, ce sont eux qui gagnent vos millions ». En cette fin d’année 1924, un chant anarchiste résonne dans les rues de Douarnenez, en Bretagne. Par centaines, des ouvriers des conserveries de sardines de la ville, dont une très grande majorité de femmes, battent le pavé, sabots au pied, sur les quais, pour réclamer une meilleure rémunération. Pendant 46 jours, la cité bretonne vit au rythme de cette grève qui mobilise jusqu’à 2 000 personnes dans cette commune de 12 000 habitants.

Tout débute le 21 novembre, lorsqu’une centaine de travailleurs de l’usine métallurgique Carnaud, qui fabrique des boîtes de conserve pour les sardineries, décident de débrayer. « Une centaine d’ouvrières et une quarantaine d’ouvriers demandent une augmentation de salaire de 20 centimes », résume Fanny Bugnon, maîtresse de conférences en histoire contemporaine et études sur le genre à l’université Rennes 2. « À l’époque, ces femmes gagnent 0,80 franc de l’heure, soit le prix d’un litre de lait. C’est une somme très faible. En comparaison, à la même époque en région parisienne, le salaire d’embauche des ouvrières non qualifiées est de 1,50 franc de l’heure. »

Des conditions de travail éprouvantes

La grogne couve depuis un moment. Alors que le pays se remet à peine de quatre longues années de guerre et qu’il fait face à une forte inflation, les revendications salariales se font de plus en plus pressantes. Les conditions de travail sont aussi particulièrement éprouvantes. « C’est physique. On travaille debout, dans le froid, en manipulant de l’eau bouillante ou des ciseaux très tranchants », raconte Fanny Bugnon, qui a retracé l’histoire de ce mouvement social. Les ouvrières, surnommées les « Penn Sardin » (« têtes de sardines », en breton), sont aussi soumises à des cadences épuisantes. Elles peuvent travailler de nuit, selon l’arrivée aléatoire des bateaux et de leurs cargaisons dans le port. « Par ailleurs, le travail est en théorie possible à partir de 12 ans, mais un certain nombre de témoignages font état de l’entrée dans les conserveries d’enfants plus jeunes. Il n’y a pas non plus d’âge de retraite. On peut y travailler jusqu’à 70 ans », ajoute l’historienne.

Très rapidement, la contestation engagée à l’usine Carnaud fait des émules. Elle se transforme en quelques jours en grève générale à Douarnenez. Le 25 novembre, les 21 conserveries de sardines de la ville sont à l’arrêt. Les marins pêcheurs rejoignent aussi la lutte des ouvrières. Les protestataires peuvent compter sur le soutien du nouveau maire communiste, Daniel Le Flanchec, qui installe le comité de grève dans sa mairie. Comme l’explique Fanny Bugnon, ce mouvement est une tribune et un enjeu important pour un Parti communiste en plein essor : « Le Parti communiste vise à construire et à consolider ses premiers bastions et à faire en sorte que les municipalités rouges puissent être la caisse de résonnance des aspirations de la classe ouvrière. »

La Confédération générale du travail unitaire (CGTU), qui regroupe alors des militants communistes et anarchistes, envoie aussi des renforts à Douarnenez. La syndicaliste et militante féministe Lucie Colliard se joint ainsi à Charles Tillon, futur résistant et ministre communiste, alors jeune permanent régional de la CGTU, pour structurer la mobilisation.

Des briseurs de grève

Alors que les patrons se montrent intransigeants, le mouvement trouve un écho dans toute la France. « Le comité de grève et les militants communistes réussissent le tour de force de faire reconnaître nationalement la légitimité de la grève et des revendications ouvrières, y compris par des journaux particulièrement hostiles à la classe ouvrière et ses luttes. Ils portent le débat au Parlement, font pression sur les radicaux qui sont alors ministres du Travail et de l’Intérieur pour qu’ils prennent en charge des démarches de sortie de crise », souligne Théo Bernard, doctorant en histoire contemporaine et auteur d’un mémoire intitulé « La Grève des sardinières et des manœuvres des usines métallurgiques et des fabriques de conserve de Douarnenez (1924-1925) ».

Le ministre du Travail Justin Godart propose une médiation. Le 15 décembre, deux hommes et trois femmes en grève se rendent à Paris pour représenter le comité, mais les négociations échouent. La grève bascule lorsque les dirigeants du syndicat patronal décident d’embaucher des briseurs de grève à Paris. La violence s’immisce dans le conflit. Des coups de feu éclatent. « Le premier janvier 1925, dans des circonstances mal établies, ils s’en prennent à des militants dans un café de la ville. Daniel Le Flanchec ainsi que son neveu sont gravement blessés. Le maire est atteint à la gorge, ce qui limite ses capacités d’orateur pour le reste de son existence », relate Théo Bernard.

L’incident vire à l’émeute. L’indignation ouvrière est extrêmement forte. Les patrons sont discrédités et finissent par céder le 6 janvier. Les sardinières seront bien payées un franc de l’heure. « Un contrat collectif est négocié et signé. Il reconnaît des augmentations de salaire modestes mais fait entrer le droit du travail dans les usines. Les heures de nuit sont par exemples majorées », détaille l’historien. Dans les rues de Douarnenez, les grévistes laissent éclater leur joi

Une mémoire qui résonne aujourd’hui

Pendant des décennies, la grève des sardinières est présentée comme un exemple par les militants communistes. Certains y perçoivent même aujourd’hui l’un des premiers mouvements féministes. « C’est un raccourci qui est fait », insiste Fanny Bugnon. « On peut bien sûr en tant que féministe s’en inspirer et y voir un modèle de mobilisation de femmes, mais ce n’est pas une grève féministe dans le sens où il n’y avait aucune revendication d’égalité de droits. Ce n’était pas le sujet de cette grève. »

Alors que les femmes n’ont pas encore le droit de vote, ce mouvement entraînera toutefois l’entrée en mai 1925 au conseil municipal de Douarnenez de Joséphine Pencalet, une ouvrière ayant participé au mouvement, même si son élection sera invalidée quelques mois plus tard par la préfecture. « C’était un phénomène inédit à une époque où les femmes étaient dépourvues de droits politiques », souligne Fanny Bugnon, qui a consacré un ouvrage à cette pionnière, « L’Élection interdite. Itinéraire de Joséphine Pencalet, ouvrière bretonne (1886-1972)«  (éd. du Seuil).

Cent ans plus tard, la mémoire des « Penn Sardin » résonne toujours dans les rues de Douarnenez. La ville est mobilisée pour célébrer ce centenaire. La mairie n’est plus communiste depuis 1995, mais la municipalité de centre-droit a apporté son soutien à un collectif militant nommé « Pemp real a vo! » (« 25 sous, nous aurons ! ») en référence aux revendications des sardinières. Celui-ci organise toute une série d’événements jusqu’à début janvier. « On ne trouve pas beaucoup d’équivalents en France. Il y a eu des grèves un peu partout dans l’entre-deux-guerres, mais quelles villes les célèbrent aujourd’hui ? », constate Théo Bernard.

Dans ce programme, une large place est consacrée à la culture et notamment au chant des sardinières. La grève de 1924 avait en effet été rythmée par des morceaux révolutionnaires. Un siècle plus tard, ces slogans sont toujours d’actualité, note Fanny Bugnon : « C’est une histoire qui continue à parler et qui résonne avec une condition ouvrière qui est en souffrance et en difficulté. Il y a toujours des conserveries, mais de moins en moins parce qu’on pêche le poisson ailleurs et qu’il y a des délocalisations. »

En 2004, la parolière engagée Claude Michel avait rendu hommage aux sardinières dans sa chanson « Penn Sardin ». En dix couplets, elle y raconte le combat des ouvrières. Un hymne qui prolonge leur mémoire et qui est aujourd’hui régulièrement repris dans les manifestations bretonnes : « À Douarnenez et depuis ce temps / Rien ne sera plus jamais comme avant / Écoutez l’bruit d’leurs sabots / Ç’en est fini de leur colère / Écoutez l’bruit d’leurs sabots / C’est la victoire des sardinières ».

23/11/2024  Stéphanie TROUILLARD

https://www.france24.com/

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22 novembre 2024 ~ 0 Commentaire

Douarnenez CGT

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18 novembre 2024 ~ 0 Commentaire

Penn Sardin (Douarnenez)

douarnenez

« Elles étaient quasiment sûres de perdre…et pourtant, elles ont gagné ». Il y a un siècle, la grève des sardinières de Douarnenez

En novembre 1924, 2.000 ouvrières des conserveries de sardines de Douarnenez (Finistère) engagent un bras de fer épique, de six semaines et demi, avec leurs patrons. Cette « belle grève de femmes » résonne encore dans les luttes contemporaines.

Tout a commencé le 21 novembre 1924, lorsqu’une centaine d’ouvrières de l’usine métallurgique Carnaud débraient et réclament des hausses de salaires immédiates. Le mouvement se transforme en quelques jours en grève générale, affectant très vite les 26 usines de l’agglomération, dont 21 conserveries de sardines.

« C’est une grève inattendue et héroïque », décrit Anne Crignon, journaliste et autrice d’ « Une belle grève de femmes. Les Penn Sardin Douarnenez 1924″ (Libertalia, juillet 2023).
« Elles étaient quasiment sûres de perdre car tout leur commandait de faire profil bas et de rentrer à l’usine au bout de quelques jours », raconte-t-elle. « Et pourtant, elles ont gagné. »
Dès le 25 novembre, la police recense plus de 2.000 grévistes, aux trois quarts des femmes, dans cette commune d’environ 11.000 habitants.

« 1,25 franc ce sera ! »

« Pemp real a vo! » (« 1,25 franc ce sera ! »), réclament-elles en breton, entre deux chants révolutionnaires, en défilant en sabots sur les quais de la ville.
Soit une augmentation de 45 centimes par heure pour ces « Penn sardin » (« têtes de sardines ») qui emboîtent des poissons toute la journée, parfois jusqu’au bout de la nuit, chantant pour se tenir éveillées. Entrées à l’usine dès leur douzième anniversaire, elles y restent souvent jusqu’à la mort.

« Germinal en Bretagne »

« Des conditions atroces », résume Anne Crignon. « Quand elles arrivaient à l’usine, elles ne savaient pas quand elles allaient en ressortir, dans huit, dix ou quinze heures…. », précise la journaliste, décrivant « du Germinal au fond de la Bretagne ».

« Ce que j’avais lu de Zola me remonte au cœur », raconte ainsi Charles Tillon, à propos de la misère du port sardinier breton. Le futur résistant et ministre communiste, alors jeune permanent régional du syndicat CGTU, débarque à Douarnenez peu après le déclenchement de la grève qui reçoit vite un large soutien populaire et militant.

Le nouveau maire communiste Daniel Le Flanchec installe le comité de grève dans la mairie. Et la syndicaliste et militante féministe Lucie Colliard se joint à Charles Tillon pour structurer la mobilisation, organiser les soupes populaires ou la garde des enfants des grévistes.
Le mouvement prend même une ampleur nationale avec le lancement de collectes de solidarité dans la presse.

« Tous les journaux de France se sont mis à relayer la grève de la misère, même les journaux de droite qui voyaient pourtant Douarnenez comme un repaire de bolchéviks », relate Anne Crignon.

Cette grève de femmes, « c’est quelque chose qui fait rupture avec les normes de l’époque », reconnaît l’historienne Fanny Bugnon, maîtresse de conférences à Rennes 2.

« Vos patrons sont des brutes et des sauvages »

Rejointes par leurs maris pêcheurs, les sardinières défilent chaque jour sous la grêle, la neige et les tempêtes d’un hiver glacial. Mais leur pugnacité échoue à faire plier les patrons qui refusent de les rencontrer.

La médiation du ministre du Travail Justin Godart n’y change rien. « Vos patrons sont des brutes et des sauvages », lâche le radical-socialiste aux grévistes. Intransigeant, le syndicat patronal va jusqu’à recruter des briseurs de grève à Paris. Ces gros bras écument les bars du port pour inciter à reprendre le travail et précipitent le dénouement de la grève en tirant, le 1er janvier 1925, une dizaine de coups de feu dans un bar de Douarnenez. Six personnes sont blessées, dont le maire, laissé pour mort.

L’incident tourne à l’émeute et contribue à discréditer les patrons, qui doivent céder : les sardinières seront payées 1 franc par heure avec une majoration des heures supplémentaires et de nuit.

« Victoire ouvrière à Douarnenez ! », proclame le journal L’Humanité en Une, le 7 janvier, pendant que 3.000 personnes fêtent la victoire dans les rues du port breton.

Un siècle après, les chants des Penn sardin résonnent toujours dans les manifestations bretonnes. « Ça fait partie de l’histoire de la ville », dit Françoise Pencalet, conseillère municipale. « On a encore une population ouvrière importante. En célébrant cette mémoire, c’est aussi eux qu’on remet sur le devant de la scène ».

  Laurence Postic  18/11/2024

https://france3-regions.francetvinfo.fr/

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10 novembre 2024 ~ 0 Commentaire

Les sardinières

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10 novembre 2024 ~ 0 Commentaire

Pemp real a vo! (Ouest France)

La foule chantante, ici, en répétition à la salle des fêtes, sera le grand temps fort des célébrations. Elle réunira près de 600 personnes.
La foule chantante, ici, en répétition à la salle des fêtes, sera le grand temps fort des célébrations. Elle réunira près de 600 personnes. | MURIEL ENRICO
uarantaine de rendez-vous pendant un mois et demi… Les chiffres donnent une idée de l’ampleur de l’événement.

Du 21 novembre 2024 au 12 janvier 2025, Douarnenez (Finistère) vibrera au rythme des célébrations du centenaire de la grève victorieuse des ouvrières des conserveries douarnenistes, mouvement social majeur qui dura 46 jours consécutifs.

Un programme « bouillonnant »

Projections, spectacles, expositions, lectures, conférences, quiz… Ces derniers mois, chaque structure qui compose le collectif, baptisé « Pemp real a vo » (1), a pensé et élaboré librement les animations de son souhait. D’où ce programme « à l’image du collectif » : « divers, pétillant, bouillonnant et autour de valeurs communes ».

« Notre objectif était de faire vivre ce bien commun immatériel de Douarnenez, un bien qui rassemble les gens, qui dit quelque chose de l’histoire de la ville, indique-t-on au sein de Pemp real a vo. Cette envie a germé au printemps 2023, au moment où des clivages entre « néo-Douarnenistes » et « Douarnenistes pur jus » s’installaient dans la ville, où des récits caricaturaux venaient effacer ce qui fait la force de Douarnenez : faire du commun au-delà des différences, comme les sardinières l’ont fait il y a un siècle pour obtenir des avancées salariales. »

Moments de communion

Coup d’envoi des festivités le 21 novembre avec le spectacle de Sabine Corre La grève rouge, au bar V and B, à Pouldavid. Mais le grand temps fort inaugural sera bel et bien la « foule chantante ». Cette grande chorale éphémère réunira le 23 novembre, à 13 h 30, au port du Rosmeur, près de 600 personnes. Ensemble, ils et elles entonneront un répertoire de chants de travail et de lutte. Suivra, dans la foulée, un grand bal puis un fest-noz avec une scène place des halles et une autre à la salle des fêtes.

Autre temps de communion où chacun sera invité à donner de la voix : un banquet partagé dans chaque quartier de la ville, le 12 janvier, avant un grand karaoké de chansons de luttes.

Conférences « de fond »

En dehors des rendez-vous festifs, sera proposé un cycle de conférences hebdomadaires « de fond » à l’auditorium du Port-musée, sur la grève, ses protagonistes et ses conséquences. Par exemple, Jean-Michel Le Boulanger parlera de Daniel Le Flanchec le 29 novembre, l’historienne Fanny Bugnon, de Joséphine Pencalet, le 20 décembre, ou encore les syndicats, du travail dans les conserveries aujourd’hui.

Pour les cinéphiles, il y aura une ribambelle de projections. Dont une avant-première, La grève des sardinières, de Nina Montagné, le 22 novembre, au cinéma La Balise. Celle-ci sera suivie du court-métrage de 1989 L’usine rouge, de Marie Hélia, qui raconte l’histoire des conserveries de poisson à Douarnenez à travers les femmes qui y travaillèrent entre 1905 et 1989.

À noter que ce vaste projet a reçu le soutien de la Ville. Une contribution financière a notamment été versée.

Programme complet téléchargeable sur le site de la Ville ou sur la page Facebook du collectif Pemp real a vo.

(1) « Cinq réaux ce sera », mot d’ordre de la grève

https://www.ouest-france.fr/

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10 novembre 2024 ~ 0 Commentaire

Douarnenez

douarnn

PEMP REAL A VO! Parcours du centenaire des grèves sardinières

Un parcours touristique et culturel original porté et imaginé par Emglev bro Douarnenez, association qui valorise la langue et la culture bretonnes, avec l’illustratrice Marianne Larvol et en partenariat avec l’Office de Tourisme du Pays de Douarnenez.
Ce projet a reçu le soutien du programme «Patrimoine maritime et littoral – Réhabilitation du bâti et médiations innovantes» de la Direction du tourisme et du patrimoine de la Région Bretagne et de la Ville de Douarnenez.

Le travail de recherche s’est réalisé avec l’aide de Jean- Michel Le Boulanger (auteur, géographe), Fanny Bugnon (Docteure en histoire contemporaine, spécialiste des études sur le genre – Rennes 2), Françoise Pencalet (docteure en histoire), Fabien Tillon (historien et petit-fils de Charles Tillon), Arlette Julien et l’association Les Mémoires de la Ville à Douarnenez (association d’histoire locale), Alain Le Doaré (historien, qui a aussi confié à Marianne Larvol ses archives photographiques pour le travail de création graphique).
Au travers de ce parcours de sensibilisation aux grèves de 1924/1925, c’est une grande partie de l’histoire du patrimoine maritime douarneniste et breton dont il est question : la pêche à la sardine, les conserveries, le droit des femmes, le droit des travailleurs, les luttes ouvrières, tous témoins de l’importance de l’industrie de la pêche dans le développement économique et social de la région.

Le parcours s’étend de l’ancienne gare de Tréboul au port du Rosmeur. Il permet de découvrir 8 collages de personnages ayant marqués ces grèves et 4 scènes de vie quotidienne.

Les grèves

En 1853, le système de l’appertisation arrive sur Douarnenez. L’invention de Nicolas Appert permet la conservation d’aliments sur une longue période grâce à la mise en conserve. Suite à cela, des conserveries sont construites et permettent le développement industriel du port. Les sardines, précédemment pressées, sont mises en boîte. Le poisson pêché par les hommes est mis en conserve par les femmes.
Les conditions de vie sont très difficiles : les femmes travaillent tant qu’il y a de la sardine, de jour comme de nuit ; elles gagnent 0,80 cts de Franc de l’heure soit le prix d’un litre de lait. Le 24 novembre, toute la ville se met en grève pour demander une augmentation de salaire : 1 Franc de l’heure. Le maire Daniel Le Flanchec, engagé aux côté des femmes d’usines, leur conseille de demander 1,25 Franc de l’heure. Des syndicalistes comme Lucie Colliard ou Charles Tillon viennent aider à l’organisation du mouvement. Les usiniers ne veulent pas négocier malgré l’intervention du ministre du Travail. Néanmoins une petite conserverie, celle de la veuve Quéro, va négocier avec les femmes d’usines le 23 décembre 1924.
La grève se termine en janvier 1925. Elle a duré 46 jours. Les femmes victorieuses obtiennent un salaire d’1 Franc de l’heure, les heures de nuits majorées, et la reconnaissance du droit syndical.

https://douarnenez-tourisme.com/

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https://www.douarnenez.bzh/

https://patrimoine.bretagne.bzh/

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