Après la manifestation contre l’extrême droite de Saint-Brieuc, qui en avril dernier avait rassemblé 1 500 personnes, ce fut dimanche 2 mars au tour de Lorient de regrouper les antifascistes de Bretagne.
Près de 2 000 personnes ont convergé de tous les départements bretons pour revendiquer une Bretagne ouverte et solidaire, mobilisées contre la progression des extrêmes droites, institutionnalisées ou violentes.
La tentative d’implantation d’un groupuscule violent dans le pays de Lorient, la multiplication d’agressions, de menaces de mort, de tags, qui l’accompagnent, ont convaincu de la nécessité d’une riposte.
L’appel, signé par 80 organisations de la région, collectifs, syndicats, partis, associations, librairies, rappelait que « la montée de l’extrême droite s’inscrit dans un contexte national mais aussi international ».
Pointant la responsabilité « des politiques gouvernementales dictées par le capital » et leur « besoin d’accroître l’austérité et d’amplifier les pratiques autoritaires contre les exploitéEs et les oppriméEs », il insistait sur l’idée que « la réponse à la montée de l’extrême droite réside dans un combat pour plus de justice et d’égalité sociale, pour toutes et tous ». Et sur la nécessité de s’organiser collectivement.
Répression et détermination
Alors qu’à Saint-Brieuc les forces de l’ordre s’étaient faites discrètes et qu’il n’y avait eu en conséquence aucun problème sur le parcours, à Lorient le déploiement policier est venu rappeler le tournant autoritaire du gouvernement. Fouilles et arrestations en amont, présence pressante tout le long du parcours sont apparues comme des provocations.
Présence qui n’a pas évité qu’une petite minorité s’en prenne à quelques vitrines. Empêchant au final que le cortège n’atteigne le lieu prévu pour la dispersion. Malgré cela, c’est un cortège coloré, animé, festif qui a serpenté dans les rues de la ville, porté par une fanfare et surtout par les nombreux slogans contre l’extrême droite. Sans oublier de condamner les politiques gouvernementales qui lui pavent la voie.
Un succès qui demande de tracer des perspectives
Grâce au nombre et à la détermination des manifestantEs, cette initiative aura été un succès. Mais il faudra plus qu’une manifestation pour faire reculer l’extrême droite durablement « dans nos villes et dans nos campagnes ».
Car s’il est indispensable d’empêcher les groupuscules violents d’occuper le terrain, la lutte contre le fascisme qui menace doit aussi viser à faire reculer le RN et ses politiques antisociales, racistes, sexistes, homophobes et transphobes.
Et cela implique de lutter contre un gouvernement qui prétend s’opposer à l’extrême droite en reprenant ses obsessions. Dans le contexte de basculement politique mondial, l’unité de notre camp social et de ses organisations est la première des conditions : construire des fronts communs à même de contester à la fois les extrêmes droites et les politiques gouvernementales. Et à partir de là, relancer des mobilisations contre l’exploitation et les oppressions, porteuses d’un nouveau projet émancipateur.
Allemagne : Après les élections fédérales, résister au lieu de s’adapter !
Les résultats des élections fédérales du 23 février 2025 confirment le glissement vers la droite, qui peut être stoppé dans le pays. Au Parlement, les conservateurs de la CDU/CSU, avec 208 sièges, et les fascistes de l’AfD, avec 152 sièges, ont obtenu les positions les plus fortes. Ensemble, ils représentent une large majorité des 630 députéEs.
L’AfD se considère comme le véritable vainqueur, car elle a plus que doublé ses voix, passant de 10,3 % des voix à 20,8 % aujourd’hui.
Fascisme, poussée à droite et bellicisme
Poussée par l’AfD, la question de l’immigration « irrégulière » a été au centre de la campagne électorale. Le racisme inhumain propagé de manière agressive par l’AfD a conduit à un déplacement politique massif vers la droite du « centre démocratique ». En revanche, les intérêts élémentaires de la classe ouvrière n’ont joué qu’un rôle secondaire pour ces partis — si tant est qu’ils en aient joué un.
Le « changement d’époque » proclamé par le chancelier Scholz (SPD) après l’invasion russe de l’Ukraine il y a trois ans, est également susceptible de réunir une majorité en Allemagne. Le réarmement et le bellicisme sont largement acceptés sans être contredits. Seuls les votes en faveur du BSW (Alliance Sahra Wagenknecht) et de Die Linke ont pu être considérés comme un refus fondamental de la militarisation de la société.
L’effondrement du SPD
Les partis de la coalition brisée, Ampel (rouge, orange, vert comme les feux de signalisation) sont les grands perdants de ces élections. Avec 16,4 % des voix, le SPD a enregistré de loin son plus mauvais résultat depuis 1949. Le FDP (les libéraux), qui avait provoqué les élections anticipées au Bundestag, a clairement échoué à franchir la barre des 5 % et n’est plus représenté au Parlement. Les Verts ont été les moins sanctionnés. Avec 11,6 %, ils ont tout de même obtenu le deuxième meilleur résultat de leur histoire.
Le BSW, la scission de droite de Die Linke, a raté de très peu son entrée au Bundestag. En revanche, Die Linke qui, il y a encore quelques semaines, risquait également de ne pas passer la barrière des 5 %, a obtenu son troisième meilleur résultat à ce jour avec 8,8 %. C’est plus qu’une lueur d’espoir, d’autant plus qu’il a pu gagner des dizaines de milliers de nouveaux membres, jeunes pour la plupart. Ces deux phénomènes sont dus à la polarisation politique accrue par le coup de Merz au Bundestag et à l’essor consécutif des protestations antifascistes d’environ 1,5 million de personnes (voir l’Anticapitaliste n° 741 du 13 février 2025).
Mobiliser la société et vaincre le fascisme
Merz, le « candidat à la chancellerie » de la CDU/CSU, a exclu une coalition avec l’AfD le soir des élections. Son objectif officiellement annoncé est de former rapidement une coalition avec le SPD. Celui-ci joue toutefois pour l’instant la montre afin d’affaiblir les critiques au sein du parti concernant une alliance avec la droite conservatrice dirigée par Merz.
Malheureusement, les mobilisations de masse contre le fascisme qui ont eu lieu jusqu’à présent n’ont pas encore suffi à stopper le glissement vers la droite. Le slogan « Ensemble contre le fascisme » ne portera durablement que s’il est rempli d’une perspective sociale d’espoir.
Le moment est d’autant plus venu d’« annoncer la couleur », de s’engager, de participer de manière active et organisée. Transformer cet élan en un travail politique continu dans tous les domaines de la société — dans les quartiers, sur les lieux de travail, dans les écoles et les universités, mais aussi dans les syndicats et les autres mouvements sociaux —, tel sera le grand défi.
La résistance extraparlementaire est maintenant de mise, et non l’espoir d’un « mur de feu » ou d’un « rempart » parlementaire contre l’AfD. Ce mouvement extraparlementaire devrait s’opposer au racisme, au nationalisme, au fascisme, au bellicisme et défendre les intérêts sociaux et écologiques de la grande majorité de la population.
Les inspirations bibliques du plan de Trump pour Gaza
Le plan de Trump reflète le soutien de longue date des sionistes chrétiens des États-Unis à l’État d’Israël – un soutien ancré dans une lecture spécifique de la Bible et non dénué d’ambiguïtés.
Le plan de Donald Trump pour l’avenir de Gaza a surpris de nombreux observateurs et semble incompréhensible sur le plan géopolitique et stratégique. Cependant, il prend sens si l’on considère l’influence du sionisme chrétien au sein de son administration et d’une grande partie du monde évangélique américain. L’idée de déplacer la population palestinienne vers les pays arabes voisins et de confier le contrôle d’une partie du territoire palestinien à une puissance comme les États-Unis fait partie du discours sioniste chrétien depuis ses origines au milieu du XIXe siècle. Cette idée n’est donc pas nouvelle ; mais c’est la première fois qu’elle est exprimée au plus haut niveau politique américain.
Le 25 janvier dernier, Donald Trump a déclaré vouloir « nettoyer » Gaza en organisant un plan de déplacement massif de ses deux millions d’habitants (estimation avant le début de la guerre, en octobre 2023) vers la Jordanie ou l’Égypte. Cette annonce a réjoui l’extrême droite israélienne et les sionistes religieux juifs, comme Bezalel Smotrich, ministre des finances, et Itamar Ben Gvir, ministre de la sécurité nationale (2022-janvier 2025), qui défendent une politique d’encouragement à l’« émigration volontaire » des Gazaouis. Ce discours, en rupture avec le déni de l’expulsion des Arabes palestiniens très présent dans l’histoire officielle du sionisme depuis la Nakba, marque un tournant politique en Israël.
Cependant, les desiderata de l’administration Trump ne peuvent pas être considérés uniquement comme un simple alignement sur l’extrême droite israélienne ou un gage donné au gouvernement actuel en échange de son accord pour un cessez-le-feu avec le Hamas (en vigueur depuis le 19 janvier 2025). Le plan de Trump reflète également ce que certains sionistes chrétiens défendent politiquement depuis des décennies, sur la base d’interprétations spécifiques de la Bible.
Déplacer la population arabe pour séparer Arabes et Juifs, seul horizon de paix en Israël ?
L’idée de séparer deux peuples irréconciliables est présente dans les discours des sionistes chrétiens. En 1988, en pleine Intifada, William Lovell Hull (1897-1992), un pasteur pentecôtiste canadien et fervent partisan d’Israël, a soumis un plan de paix à Yitzhak Shamir, premier ministre israélien et ardent défenseur du « Grand Israël », et à Joe Clark, secrétaire d’État aux affaires extérieures du Canada.
Pour Hull, la paix ne pouvait être acquise qu’en séparant physiquement les Juifs et les Arabes. Il tirait cette conclusion de son interprétation du récit biblique de Jacob et Ésaü, des frères jumeaux dont l’inimitié rendait leur coexistence sur la terre de Canaan quasiment impossible. Comme il est courant chez les chrétiens fondamentalistes, Hull établissait un parallèle entre les temps bibliques et l’actualité contemporaine, associant la terre de Canaan à l’Israël contemporain, Jacob aux Juifs et Ésaü aux Arabes.
Hull considérait la décision d’Ésaü de quitter Canaan et d’y laisser vivre son frère pour se rendre sur le mont Seïr, dans l’actuelle Jordanie, comme « le seul moyen de sortir d’une situation impossible ». C’est précisément sur cette séparation volontaire et consentie par Ésaü – associé aux Arabes – que le pasteur Hull faisait reposer tout son espoir pour parvenir à la paix en Israël.
Des analyses de qualité et sans publicité, chaque jour dans vos mails.
Lors de la première Intifada, l’État israélien faisait face, comme aujourd’hui, à un choix cornélien entre deux options. La première, intégrer Gaza et la Cisjordanie à Israël, aurait transformé, selon Hull, le pays en une nation majoritairement arabe, le taux de natalité étant plus élevé au sein des populations arabes. Une telle situation pourrait conduire à l’adoption d’une loi d’apartheid, solution qu’il jugeait moralement inacceptable tant pour les Arabes que pour les Juifs. La deuxième option, la création d’un État arabe en Cisjordanie, n’était pas non plus viable pour Hull, car elle permettrait aux Palestiniens, membres de l’OLP à son époque ou du Hamas aujourd’hui, de stocker des armes près des villes israéliennes, menaçant ainsi directement les Juifs israéliens.
Face à cette alternative, Hull proposait une troisième option : que les Arabes palestiniens se déplacent en Jordanie en échange de compensations afin de préserver l’État d’Israël.
« Le seul espoir de paix, écrivait-il, serait que tous ceux d’Ésaü (les Arabes) rejoignent leurs frères dans la partie de la Palestine qui s’appelle aujourd’hui la Jordanie. Tout autre choix pourrait éventuellement conduire au même résultat, mais au prix d’une guerre ouverte et de la perte de nombreuses vies humaines. »
Cette solution apporterait, outre la paix en Israël, espérait-il:
« une nette amélioration des conditions de vie des Arabes vivant actuellement en Israël, et favoriserait une relation amicale entre les Juifs et les Arabes ».
Le défi, d’après le révérend, était que peu de gens étaient conscients de cette solution, qu’il s’agisse des responsables politiques ou de l’opinion publique.
Le coût économique et politique du plan Trump
Ce pasteur se serait peut-être réjoui d’entendre Donald Trump vouloir déplacer les Gazaouis dans les pays arabes voisins et d’ajouter, depuis la Maison Blanche aux côtés du premier ministre israélien, vouloir acquérir le contrôle de la bande de Gaza sur le long terme, pour en assurer la démilitarisation et la reconstruction. Tout cela pour la transformer en « Riviera du Moyen-Orient ». Ce nouvel Eldorado serait offert à d’autres qu’aux Gazaouis. Ces derniers, durement frappés, se verraient promettre un avenir meilleur en Jordanie et en Égypte et ne pourraient, selon Trump, que s’en trouver satisfaits, au point de ne plus vouloir revenir chez eux.
Que ce plan soit contraire au droit international humanitaire et méprise le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est indiscutable. Mais une fois passé l’effet de surprise de cette annonce qui, il faut le souligner, a été lue et donc préparée par l’administration Trump, une autre question s’est rapidement imposée dans les débats : qui va en assumer le coût financier et politique ? Les États-Unis ? Il n’en semble pas question. Dans le plan du pasteur Hull, la responsabilité du coût financier d’un tel transfert de population devait revenir à quelques Juifs aisés, mais surtout à l’État israélien, qui aurait pu alors mettre à profit son expérience d’aide au développement dans les pays africains, basée sur sa propre expérience de désert devenu « pays où coulent le lait et le miel ». L’argent et le flux de population, pensait-il, enrichiraient la Jordanie qui « gagnerait ainsi en importance et en respect dans le concert des nations ». Est-ce également le plan de Trump ? La question reste ouverte.
Cette fois-ci, le plan de Trump pour Gaza, s’il se concrétise, pèsera certainement plus lourd sur le plan politique que sur le portefeuille. L’Égypte et la Jordanie ont déjà exprimé leur opposition. Il est peu probable que l’Arabie saoudite – que Trump aimerait bien ajouter à la liste des signataires des accords d’Abraham (normalisation des relations, en 2020, entre, d’une part, Israël, et de l’autre, avec les Émirats arabes unis, avec Bahreïn, avec le Maroc, pus avec le Soudan) qui ont cristallisé l’invisibilisation de la question palestinienne – prenne le risque de se mettre à dos une opinion publique arabe qui reste attachée à la création d’un État palestinien.
Israël et les États-Unis, une relation très spéciale et une foi transactionnelle
Avec ce plan, Trump renonce-t-il à sa stratégie transactionnelle ? Oui, en apparence, non si on prend en compte l’influence du sionisme chrétien sur les relations spéciales entre les États-Unis et Israël.
L’un des principaux mantras des évangéliques sionistes est éminemment transactionnel : « Je bénirai ceux qui te béniront, et je maudirai ceux qui te maudiront. » (Genèse 12 : 3) Dans cette logique, le soutien à la politique du gouvernement israélien (de préférence d’extrême droite), considéré comme le représentant de tous les Juifs, est non seulement un devoir sacré pour son propre salut, mais aussi un devoir patriotique pour le bien de la nation.
Pour certains chrétiens sionistes américains, la puissance économique et militaire du pays est le signe de cette bénédiction divine liée à la relation spéciale avec Israël. En outre, à leurs yeux, l’histoire témoigne du sort réservé à ceux qui, comme le IIIe Reich allemand ou l’Union soviétique, ont persécuté leurs populations juives. Ceux qui osent critiquer Israël apparaissent alors comme autant de menaces pour les États-Unis ; cela vaut tout spécialement pour les Juifs américains hostiles à l’extrême droite israélienne, que Trump n’a pas hésité à qualifier de « mauvais Juifs », jugeant pendant la campagne électorale de 2024 que les Juifs se disant prêts à voter pour Joe Biden, puis pour Kamala Harris, étaient ingrats et déloyaux envers les États-Unis, car ils entendaient voter « pour l’ennemi » d’Israël et que, s’il venait à perdre l’élection présidentielle, ils en seraient les responsables directs. D’après Trump, sa victoire était la bonne solution pour les États-Unis, et donc pour Israël… et inversement.
Ce comportement antisémite décomplexé reflète l’ambiguïté permanente qui se cache derrière l’alliance indéfectible entre Israël et les États-Unis. D’un côté, les chrétiens sionistes ont besoin des Juifs, qu’ils considèrent à la fois comme les témoins vivants d’une alliance historique et unique entre Dieu et les êtres humains, mais aussi comme un moyen d’accomplir les prophéties et le retour de Jésus ainsi que son règne de paix : le millénium. Un accomplissement qui, selon leur interprétation, réserve un sort funeste aux Juifs qui ne reconnaîtraient pas Jésus comme leur sauveur.
D’un autre côté, l’État d’Israël, qui se considère officiellement comme l’État-nation des Juifs (loi de 2018) – une finalité en soi pour les sionistes d’extrême droite et sionistes religieux juifs – ne peut perdurer dans ce statut sans le soutien américain, et a fortiori des chrétiens évangéliques sionistes. En définitive, même si les intérêts des uns et des autres convergent, les objectifs finaux divergent sensiblement.
Le rêve américain de Gaza ou l’impérialisme biblique des États-Unis
En se présentant comme celui qui fera de Gaza un lieu idyllique, Trump s’inscrit dans une perspective politique semblable à celle du sionisme chrétien depuis le milieu du XIXe siècle : faire refleurir le désert, en permettant au peuple d’Israël de fouler de nouveau la terre qui lui a été promise.
En attendant, il a déjà publié sur Instagram une vidéo générée par IA qui a surpris même les observateurs les plus blasés de ses communiqués.
Mais plus encore, en exprimant sa volonté de prendre le « contrôle à long terme » de Gaza, Trump ne peut que satisfaire les espérances à tendance impérialiste des sionistes chrétiens.
De fait, un siècle après le début du mandat britannique, une partie de la Palestine se retrouverait de nouveau entre les mains d’une nation chrétienne (ou présentée comme telle) qui s’est fait un devoir d’aider le peuple juif à restaurer sa souveraineté sur la terre que Dieu lui a promise.
Faire respecter cette promesse divine, c’est justement ce à quoi se sont engagés des chrétiens sionistes au plus haut niveau politique depuis le milieu du XIXe siècle, sans discontinuer.
Aujourd’hui comme lors de son premier mandat, le soutien de Donald Trump et des États-Unis à l’État d’Israël ne peut être compris sans être resitué dans cette longue histoire. Benyamin Nétanyahou, peut-être plus que tout autre premier ministre israélien, et l’extrême droite religieuse l’ont bien compris, davantage pour leur profit que pour celui d’Israël, et encore moins pour celui des Palestiniens.
27 février 2025, Laurent Tessier
Docteur en histoire, spécialiste du sionisme chrétien, École pratique des hautes études (EPHE)
Agressé pour avoir dénoncé des saluts nazis à Cintré, l’élu Anton Burel dépose plainte
Militant de la gauche indépendantiste bretonne et élu à la ville de Cintré (Ille-et-Vilaine), Anton Burel, a déposé plainte mardi 25 février à la suite d’une agression physique par un groupe d’hommes faisant des saluts nazis et scandant des propos nationalistes.
Un conseiller municipal de la ville de Cintré en Ille-et-Vilaine, Anton Burel, 31 ans, a été agressé samedi 22 février vers 22h30. La gendarmerie de Mordelles a ouvert une enquête.
Des saluts nazis et des propos nationalistes
Ce soir-là, un groupe de six hommes, d’une vingtaine d’années, auraient scandé des propos racistes et effectué des saluts nazis, à la sortie du commerce « Le synchro bar », alors que le propriétaire était en train de fermer le lieu. » À la sortie du bar, à 1m50 de moi, je vois un homme qui fait un salut nazi. Ensuite, ses amis et lui se sont mis à rigoler et à entonner des slogans racistes », raconte Anton Burel, militant de la gauche indépendantiste bretonne. « Je leur ai donc demandé de quitter la commune et de rentrer chez eux. Il est inacceptable à Cintré de voir ce type de comportements. »
Une agression physique
Il reçoit alors deux coups, l’un à l’œil, l’autre à la mâchoire puis tombe sur le trottoir. Un ami à lui aurait été passé à tabac. Tous les deux ont été pris en charge et emmenés aux urgences. Anton Burel se dit surpris et choqué de voir de tels comportements dans une ville comme Cintré où il y a des personnes de toutes origines et toutes confessions. D’après lui, les agresseurs n’habitent pas Cintré et ne sont pas des habitués du bar.
« Je vais à l’école, je fais tout ce que la France me demande, et j’ai une OQTF ! »
Être sous OQTF, qu’est-ce que ça veut vraiment dire ? Comment le battage politique et médiatique après l’attentat de Mulhouse est vécu par les personnes concernées ? Récits de vies sous OQTF.
« Une fois de plus, ce sont les désordres migratoires qui sont aussi à l’origine de cet acte terroriste », a martelé le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau sur TF1, le soir de l’attentat de Mulhouse, perpétré le samedi 22 février.
Un Algérien sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), au « profil schizophrène » et fiché pour prévention du terrorisme, a tué une personne, Lino Sousa Loureiro, et blessé plusieurs autres. « Il faut changer le droit », a soutenu le ministre de l’Intérieur. « Pour ces individus très dangereux [...] je pense qu’il faudrait une rétention. Des peines de sûreté. Pour les maintenir, tant qu’on ne peut pas les renvoyer, en centre de rétention », a poursuivi Bruno Retailleau.
L’enfermement dans un centre de rétention administrative de personnes que le pays d’origine refuse d’admettre sur son sol est inconstitutionnel – puisque sans laissez-passer consulaire, l’expulsion est impossible. « Il faut changer la loi », a rétorqué Sophie Primas, porte-parole du gouvernement, sur RTL le 24 février. Avant de s’en prendre au Conseil constitutionnel qui, « plusieurs fois, malgré nos propositions, dit qu’il faut laisser ces personnes en liberté ».
Ainsi s’installe un narratif : le gouvernement serait bloqué par l’état du droit actuel, et par les instances qui le garantissent. Ainsi s’installe surtout, dans le débat public, l’amalgame entre OQTF et délinquance, largement nourri par Bruno Retailleau à chaque crime impliquant une personne sous OQTF, et repris par la droite et l’extrême droite parlementaire.
« On nous colle une étiquette »
« Quand je vois les médias, c’est comme si on incitait les gens à diaboliser les personnes sous OQTF. On leur renvoie l’idée que ce sont forcément des délinquants, des criminels. Alors que pas du tout ! On ne peut pas cataloguer des gens comme ça ! » s’indigne Lyndie, jeune femme de 34 ans, placée sous OQTF en 2022 après un refus de sa demande de titre de séjour « vie privée et familiale ». « Évidemment qu’il y a des cas, comme partout. Mais une OQTF, ça ne définit pas une personne. Moi, par exemple, j’ai un casier judiciaire vierge. Tout ce qu’on voit et qu’on entend autour des OQTF, c’est frustrant. »
Lyndie est venue en région parisienne pour ses études, après son bac obtenu au Gabon. Comme ses sœurs et leur petit frère avant elle. Ses parents sont propriétaires en France. « J’ai fait mon master, obtenu mes diplômes, travaillé dans des jobs étudiants ici. Mon papa a fait ses soins sur le territoire français. Il est décédé à l’hôpital de Pontoise, en France », déroule Lyndie. L’une de ses sœurs s’est mariée et a obtenu la nationalité française. Les deux autres sont mères d’enfants français, car nés sur le territoire français.
Malgré cela, la préfecture a refusé le titre de séjour et délivré une OQTF à Lyndie. « Ils n’ont pas pris en compte mes études, le fait que je sois héritière donc propriétaire de la maison comme mes frères et sœurs, que je suis en règle depuis 2012… Que je n’ai plus d’attaches au Gabon et que toute ma vie est ici ! » s’attriste Lyndie. « On ne me donne pas ma place là où je me sens chez moi. »
« Ils n’ont aucun projet, à part s’acharner contre les immigrés »
Alors que l’idée d’un nouveau projet de loi immigration ne fait pas consensus pour Bruno Retailleau et le Premier ministre François Bayrou, le gouvernement continue d’agiter le débat public sur les OQTF. Une réunion du comité interministériel de contrôle de l’immigration a eu lieu mercredi 26 février sous l’égide du Premier ministre. Celui-ci a entre autres annoncé que serait présentée au gouvernement algérien « une liste « d’urgence » de personnes qui doivent pouvoir retourner dans leur pays et que nous considérons comme particulièrement sensibles », et lancé un audit interministériel sur la délivrance des visas.
Les OQTF sont désormais devenues l’alpha et l’oméga de la politique migratoire. Du moins, celle affichée au grand public. « On nous colle une étiquette », regrette Mamadou Dioulde Sow, jeune homme de 25 ans, co-auteur de l’ouvrage Né pour partir (Milan, 2023). « Il y a des drames causés par des personnes sous OQTF. Mais l’immense majorité sont des personnes de bonne volonté, intégrées, qui ont envie de rester en France. » Dans son parcours, lui aussi a connu deux OQTF, en 2018 et 2024. Chaque fois annulées par un tribunal, car jugées irrégulières.
Pour rappel, le nombre d’OQTF (près de 140 000 l’an dernier) a doublé en dix ans, tandis que le taux d’exécution a diminué de moitié. « On priorise ceux qui présentent des menaces de troubles à l’ordre public », avait soutenu Bruno Retailleau dans l’émission « Complément d’enquête » du 24 janvier. L’émission rappelait pourtant que seul 1,4 % des personnes sous OQTF avaient déjà été condamnées.
Côté judiciaire, les tribunaux administratifs déclarent illégales 20 % des OQTF qui leur sont présentées. C’est pourtant la politique du chiffre qui continue d’être encouragée au travers des circulaires successives de l’Intérieur, y compris la dernière, celle du 23 janvier 2025, adressée par Bruno Retailleau aux préfets.
« La délinquance, c’est eux qui la provoquent »
« Les politiciens font ça pour ternir l’image des immigrés, pour gâcher la vie de ces personnes, sans les connaître. Ils n’ont aucun projet pour la France, à part s’acharner contre les immigrés. Pourtant, il y aurait beaucoup d’autres choses à faire », épingle Mamadou Dioulde Sow. « Ils utilisent ce mot, OQTF, pour récupérer des voix dans la population française. Les voix de ceux qui ne savent pas ce qu’est une OQTF et dans quelles circonstances c’est délivré. »
« J’ai posé la question à un policier : qu’est-ce qui motive la délivrance d’OQTF ? » se souvient Abdoul, membre du collectif auto-organisé de mineurs isolés de Tours (Indre-et-Loire), qui a organisé la semaine dernière une manifestation contre la circulaire Retailleau. « Le policier m’a dit : les OQTF, on les donne aux délinquants, aux étrangers qui font des bêtises, qui vendent de la drogue… Je lui ai répondu : et nous ? Moi je vais à l’école, je fais tout ce qu’il faut, tout ce que la France me demande, et j’ai une OQTF ! »
Et de citer l’exemple d’autres jeunes de son collectif, dont l’un d’eux était inscrit dans un centre de formation d’apprentis (CFA). Avec un patron qui l’a appuyé dans sa demande de titre de séjour. « Il s’est pris une OQTF. Il ne peut plus aller au CFA. Le patron l’a viré. Il reste là, comme ça. »
« Tout allait bien », jusqu’à l’OQTF
Depuis la loi du 26 janvier 2024, les OQTF ont une durée d’exécution de trois ans, contre un an auparavant. « Tu perds des années. Il faut être fort mentalement. Tu ne fais rien, tu ne peux pas avoir de boulot, de logement. En fait, la délinquance, c’est eux qui la provoquent », martèle Abdoul.
Mamadou Dioulde Sow témoigne aussi de cet état de détresse qui peut faire plonger. Sa première OQTF lui a été délivrée alors qu’il était encore à l’école et en alternance. Pourtant « tout allait bien ». Tant qu’il était mineur, Mamadou était pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance. Puis, l’OQTF, tombée à sa majorité, « a tout bloqué. Je me suis retrouvé à la rue », relate-t-il. Finis l’école, l’alternance, l’hébergement. « C’était un stress énorme. J’étais isolé, désespéré. Je ne voulais plus parler à personne. »
Lui dit que « c’est Dieu qui [l’a] sauvé » : « Il a fait que j’ai rencontré les bonnes personnes sur mon chemin. Grâce à elles, j’ai pu surmonter cette période. » Des bénévoles du Réseau éducation sans frontières (RESF) de Lyon l’accompagnent. Mais ces soutiens, tout le monde ne les a pas. Dès lors, « les OQTF poussent certaines personnes à tomber dans de mauvaises situations, à faire ce qu’elles n’auraient jamais souhaité faire », estime-t-il. « Il y en a qui sont déjà traumatisées par leur parcours, qui ont traversé la Méditerranée, se sont cachées dans des toilettes de trains, ont survécu à la rue, sont des rescapées… L’OQTF leur tombe dessus et tout repart de zéro. Cela coupe tout espoir. J’en connais plein qui ont commencé à fumer, à boire, et ça a dégénéré. »
OQTF : une plongée dans la précarité
Puisque l’OQTF bloque tous les droits sociaux, la précarité s’installe sur tous les plans. Alors qu’elle sortait d’études commerciales et de management, Lyndie s’est retrouvée à « faire du repassage chez des gens, de la garde d’enfants. C’est vraiment l’OQTF qui a fait que j’ai travaillé au noir. Je ne savais même pas que c’était possible. » Lyndie a pu compter sur l’aide de ses frères et sœurs et d’un petit ami. Heureusement, car, dit-elle, « j’étais mal payée, je pouvais à peine me nourrir, c’était vraiment pour m’acheter des choses essentielles comme des serviettes hygiéniques. Je n’imagine pas comment font des gens qui n’ont pas ces soutiens ou ne connaissent pas les rouages pour travailler au noir. »
Pour les plus vulnérables, l’OQTF est aussi synonyme de rupture dans le parcours de soin. Hawa Gakou, résidant dans les Hauts-de-Seine, a été placée sous OQTF après quinze ans de régularité sur le territoire français, dont sept avec un titre de séjour pour soins renouvelé jusque-là sans encombre. Reconnue handicapée à 80 %, en fauteuil roulant, isolée, sa situation (dont elle avait d’abord témoigné auprès du site Infomigrants anonymement) n’a fait qu’empirer depuis la réception de l’OQTF. Elle a perdu son allocation aux adultes handicapés, mais aussi son aide à domicile financée par le département.
Depuis, ses dettes s’accumulent. « J’ai trop de difficultés à payer mon loyer. À la mairie, on n’a pas pu me donner droit à une assistante sociale car je n’ai pas de titre de séjour », explique-t-elle. Surtout, « l’OQTF m’empêche de faire mes soins. Par exemple, je devais faire un hôpital de jour pour de la rééducation, mais tout a été bloqué. Alors que j’en aurais tellement besoin… ça devient difficile de me mettre debout. »
« Je veux mes papiers parce que je me sens française »
Après trois ans de calvaire et des recours judiciaires infructueux, l’OQTF d’Hawa va expirer fin février. Elle espère que ce sera le début d’une nouvelle page. Pour l’heure, « c’est tellement difficile pour moi de garder le moral, parfois je pleure. J’ai tellement peur qu’un jour ils viennent me sortir de l’appartement », confie-t-elle.
Mamadou, lui, a pu faire annuler sa seconde OQTF en justice à l’automne 2024. Avec le soutien de RESF, depuis octobre, les choses se sont arrangées : « J’ai repris l’école, je suis en alternance en BTS, dans le secteur logistique, ça se passe très bien. » Lyndie a également pu faire annuler en justice son OQTF, au bout de deux ans. Elle dispose d’une autorisation provisoire de séjour, et espère obtenir bientôt son titre.
Elle ne cesse de postuler à des offres d’emploi, mais elle estime avoir « perdu des années d’expérience : les entreprises sont assez frileuses pour me recruter », confie-t-elle. « J’ai aussi perdu du temps sur le plan de mon épanouissement. Je veux pouvoir me faire plaisir, faire plaisir à ma famille. On est des femmes : je tiens à ne plus dépendre de quelqu’un, comme l’OQTF m’y a obligée. Je n’ai pas envie d’être celle qui se marie ou a des enfants pour rester ici… Moi je veux mes papiers parce que je vis sur le territoire. Que j’y ai fait mes études. Que je me sens française. »
27 février 2025 Maïa Courtois
Cet article est publié dans le cadre de notre partenariat avec Rapports de force.
« Gens du voyage, tiny houses… Il faut protéger tous ceux qui vivent en habitat léger »
Alors que les habitants des tiny houses bénéficient d’une image positive dans le milieu écologiste, les gens des voyages et leurs caravanes sont victimes de discrimination. Une situation que dénonce l’auteur de cette tribune.
Les tiny houses suscitent un engouement croissant en France. Présentées comme une alternative écologique, minimaliste et économique, elles bénéficient d’une image positive dans la presse et le milieu écologiste. Qualifiées de « petites maisons nomades et écologiques », elles promettent une « vie de bohème avec tout le confort ».
Mais pourquoi les gens du voyage, les Voyageurs, dont l’habitat mobile est bien antérieur à cette tendance, ne sont-ils jamais perçus comme des promoteurs d’un mode de vie respectueux de l’environnement ? Pourquoi la presse multiplie-t-elle les articles élogieux sur les tiny houses, tout en ignorant la réalité des caravanes et les obstacles rencontrés par ceux qui y vivent ?
D’un point de vue juridique, tiny houses et caravanes relèvent des mêmes restrictions urbanistiques. Elles sont toutes deux des résidences mobiles, une fois les roues enlevées elles deviennent éventuellement des résidences démontables. Dans les deux cas, leur installation sur un terrain privé est soumise aux règles du Plan local d’urbanisme (PLU) et à l’accord du maire. Une installation sans autorisation expose à des sanctions pénales, astreintes et lourdes amendes.
Le racisme, un facteur de poids
Si les tiny houses ne sont pas épargnées par les refus d’installation (il ne faudrait pas nier les difficultés rencontrées par ceux qui y vivent), elles bénéficient parfois d’une certaine tolérance ou d’adaptations du PLU sur demande. Globalement, leur image positive leur permet d’être mieux acceptées qu’une caravane, a fortiori lorsque celle-ci est habitée par des gens du voyage. Car il y a un facteur de poids entre les deux situations : le racisme.
Là où la tiny house est perçue comme un choix de vie alternatif, la résidence mobile n’en est pas un pour les Voyageurs. Il ne s’agit pas d’un choix, mais d’un type d’habitat hérité, qui va de pair avec une façon de vivre, qui croise des pratiques itinérantes, des pratiques culturelles anciennes et des traditions séculaires, et qui permet d’évoluer dans une sphère de sociabilisation que les Voyageurs appellent « être sur le voyage ».
Le rejet de la caravane est le corollaire du rejet des gens du voyage. Ce n’est pas seulement un problème d’urbanisme, mais une exclusion systémique, qui produit de la relégation avec tous les effets qu’on lui connaît, notamment sur la santé. Les conséquences de cette exclusion vont bien au-delà : accès limité à l’eau et à l’électricité, refus de scolarisation, impossibilité de se domicilier, difficultés à recevoir du courrier ou à bénéficier de services publics. Là où la tiny house est valorisée comme un choix innovant, la caravane reste un marqueur de discrimination systémique.
Un héritage antitzigane profondément enraciné
Ce traitement différencié trouve ses racines dans un passé de répression des Voyageurs. En 1912, la France instaure un statut ethnique de nomade, visant explicitement les Bohémiens, les Romanichels, les Tziganes et les Gitanos. Ce statut, qui imposait un fichage strict, servira de base aux persécutions raciales entre 1940 et 1946. Après la guerre, face à une sédentarisation croissante des Voyageurs, l’urbanisme devient progressivement un outil d’exclusion : la réglementation limite drastiquement la durée de stationnement des caravanes, rendant impossible toute installation pérenne.
En 2012, l’Association nationale des gens du voyage citoyens (ANGVC) révélait que 95 % des communes interdisent de manière absolue et générale le stationnement des résidences mobiles dans leur PLU, contraignant des milliers de Voyageurs (ceux qui ne voyagent plus et les plus modestes) à vivre dans des aires d’accueil inadaptées. Faute de perspectives légales en matière de logement, certains naissent et meurent sur des aires d’accueil sommaires, proches d’usines polluantes et à l’écart des villes.
Lorsqu’ils achètent un terrain, les Voyageurs restent sous la menace de l’arbitraire municipal. Se maintenir sur un terrain relève donc de la tolérance des élus locaux, d’un miracle administratif ou des rares PLU qui ne prévoient aucune interdiction. Les refus de raccordement à l’eau et à l’électricité, les batailles judiciaires pour obtenir une autorisation d’installation, ou encore l’action des Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) pour bloquer spécifiquement leurs acquisitions foncières témoignent de cette difficulté.
L’écologie, un prétexte à l’exclusion ?
En parallèle, l’écologie est un levier régulièrement utilisé pour justifier l’exclusion des Voyageurs. Là où les tiny houses sont célébrées pour leur sobriété énergétique, les caravanes sont perçues comme des éléments indésirables, polluant par leur simple présence. Il suffit de taper « gens du voyage » dans un moteur de recherche pour trouver des dizaines d’exemples récents. Ces articles sont, par exemple, assez représentatifs : « Les gens du voyage s’installent à côté d’un hôpital : “nous craignons la pollution des eaux qui alimentent les 285 résidents” » ; « Des toilettes à ciel ouvert : un grand rassemblement des gens du voyage inquiète un maire de Gironde » ; « La future aire de grand passage suscite l’inquiétude chez les habitants. [...] Selon eux, le bois de Frontenex n’est pas adapté à l’accueil des caravanes : risques de pollution, d’incivilités mais aussi de crues qui mettraient les occupants en péril en cas d’orage violent » ; etc.
L’argument environnemental est parfois utilisé comme un levier de relégation, soit que les gens du voyage polluent, soit que l’environnement serait trop pollué pour les accueillir, soit que leur accueil pourrait porter atteinte à l’environnement. Dans tous les cas le résultat est le même : les gens du voyage d’accord, mais pas ici. C’est dans cette logique que s’inscrit de nombreuses interventions de parlementaires à l’Assemblée nationale, ainsi que la récente proposition de loi du député macroniste Ludovic Mendes, missionné par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau.
Déposée en février 2025, elle vise à instaurer un « préjudice écologique avéré ou imminent » comme nouveau motif légal d’évacuation forcée des gens du voyage. Ce texte assimile implicitement les installations des Voyageurs à des atteintes à l’environnement, sans preuve tangible de dommages réels. Il ajoute un outil juridique de criminalisation, renforçant l’exclusion sous couvert de protection environnementale. Il est urgent de repenser politiquement la question de l’habitat léger. Trop souvent, la gauche hésite à défendre l’habitat léger, craignant d’affaiblir la revendication du droit au logement ou de légitimer un modèle qui serait le reflet d’une précarité qui prend de l’ampleur.
« Les luttes écologistes doivent s’emparer du sujet »
Il n’est évidemment pas question de nier la crise du logement qui frappe les plus précaires, ni qu’une part importante des personnes qui vivent en caravane, tiny house, mobil’home ou autre habitat léger, subissent cet habitat et y vivent pour des raisons de pauvreté. Mais il faut articuler ces différentes réalités : celles qui résultent du choix, celles qui résultent du subi, celles qui résultent de l’héritage culturel. Toutes les personnes qui vivent en habitat léger ont intérêt à se soucier des droits des Voyageurs, car les restrictions créées contre eux finissent toujours par porter atteintes aux libertés de tous.
Il est indispensable de penser cette question sous l’angle du racisme environnemental. Ne pas le faire, c’est ignorer que l’exclusion des Voyageurs ne repose pas uniquement sur des considérations urbanistiques ou économiques, mais bien sur des logiques de discrimination structurelle. En somme, éviter le sujet c’est maintenir les Voyageurs à l’écart. Par ailleurs, il faut offrir une protection plus grande à celles et ceux qui vivent en habitat léger. L’urgence est d’intégrer ces formes d’habitat dans les documents d’urbanisme, d’accorder aux résidences mobiles des garanties similaires à celles d’un logement traditionnel et d’adapter les dispositifs d’aide existants.
Si la tiny house est valorisée comme un modèle écologique et innovant, alors les luttes écologistes doivent s’emparer du sujet dans une logique de justice environnementale, sociale et antiraciste. Sauf à vouloir contribuer à l’oppression des Voyageurs, la gauche écologiste doit mener la bataille de l’habitat léger pour tous — tout en reconnaissant les discriminations spécifiques qui frappent les Voyageurs. L’habitat léger n’est pas un simple débat urbanistique : c’est une question politique, qui touche à la justice sociale, à l’égalité des droits et à la lutte contre le racisme environnemental.
Paix entre néofascistes et guerre contre les peuples opprimés
Que Washington et Moscou aient choisi le royaume saoudien comme lieu de réunion entre leurs délégations pour discuter des perspectives de la guerre qui se déroule en Ukraine depuis que les forces russes ont envahi ce pays il y a trois ans, est une illustration claire des profonds changements qui se produisent sous nos yeux dans les affaires internationales.
La manière même dont la réunion a été organisée est tout à fait cohérente avec le lieu : l’administration néofasciste de Donald Trump n’a pas cherché à promouvoir la paix entre les parties belligérantes dans le cadre du droit international et des Nations unies, comme la Chine n’a cessé d’y appeler depuis le début du conflit, mais cherche plutôt à conclure un accord direct avec le régime également néofasciste de Vladimir Poutine aux dépens du peuple ukrainien.
Il est donc tout à fait naturel que les deux parties n’aient pas choisi une arène neutre et conforme au droit international, comme les Nations Unies, mais une arène conforme à leur nature, même si son régime despotique est de type traditionnel.
Ce qui rend la scène encore plus hideuse, c’est que les États-Unis sont un partenaire à part entière dans la guerre génocidaire menée contre le peuple palestinien à Gaza, qui se déplace actuellement en partie vers la Cisjordanie.
L’administration Trump s’est même empressée d’annuler les mesures limitées que l’administration précédente avait prises pour parer au blâme, en particulier le gel de l’exportation de bombes d’une tonne qui ont grandement contribué à la destruction de la bande de Gaza et à l’extermination de sa population, ainsi qu’à la guerre d’élimination qu’Israël a menée contre le Hezbollah au Liban.
Au contraire, comme prévu, excepté par ceux qui ont tenté d’échapper à l’amère réalité en projetant leurs désirs sur elle (voir « Deux mythes sur le cessez-le-feu à Gaza », 22 janvier 2025), la nouvelle administration a surpassé la précédente dans la surenchère sioniste avec l’appel de Trump à déporter sans retour les résidents de la bande de Gaza, c’est-à-dire à mettre en œuvre ce que le droit international appelle « nettoyage ethnique » – un crime contre l’humanité.
L’axe néofasciste sioniste-américain converge avec la Russie de Poutine dans la haine raciale des peuples opprimés. Moscou a excellé dans ce domaine, non seulement par son agression coloniale contre l’Ukraine, répudiant sa souveraineté nationale, mais aussi dans la région arabe, où elle a joué un rôle clé dans la destruction de la Syrie et l’extermination d’un grand nombre de ses habitants, tout en étant ouvertement complice de l’État sioniste en lui permettant de bombarder à volonté les sites iraniens en Syrie (dans le cadre de la rivalité entre les influences russes et iraniennes dans ce pays).
Le ministre russe des affaires étrangères a même comparé la guerre de Moscou contre l’Ukraine à la guerre d’Israël contre Gaza, assimilant la description poutiniste des dirigeants ukrainiens comme nazis à la description sioniste du Hamas comme nazis. Notons également que la réaction de Moscou au projet criminel d’expulsion énoncé par Trump a été modérée, même par rapport à la condamnation explicite émise par certains des alliés traditionnels de Washington, comme la France.
Voici maintenant les Américains impliqués dans le meurtre de centaines de milliers de Gazaouis qui rencontrent les Russes impliqués dans le meurtre de centaines de milliers de Syriens, les deux parties partageant avec l’État sioniste un mépris commun pour les droits territoriaux des peuples. Ils se rencontrent sur le territoire d’un État arabe qui, s’il se préoccupait vraiment du sort des peuples syrien et palestinien, aurait dû être si hostile aux deux parties qu’il ne leur serait même pas venu à l’idée de lui demander d’accueillir leur réunion.
Ce à quoi nous assistons en réalité n’est rien de moins qu’une refonte de la carte politique du monde, passant de la confrontation de la Guerre froide entre un bloc occidental qui prétendait défendre les valeurs de la démocratie libérale (et les a constamment trahies) et un bloc de l’Est dans lequel prévalaient des régimes dictatoriaux – de cette confrontation à la dissolution du système occidental, après le système oriental, par suite de la crise mortelle qui a frappé la démocratie libérale et de la montée mondiale du néofascisme (voir « L’ère du néofascisme et ses particularités », 5 février 2025).
L’ère de la Nouvelle Guerre froide, qui a suivi l’effondrement de l’Union soviétique et la dissolution de son bloc, a constitué la transition en combinant loi de la jungle et néolibéralisme effréné. Washington a joué le rôle principal dans la prédominance de ces deux caractéristiques sur le droit international et le développement fondé sur l’État social et la protection de l’environnement.
Nous assistons aujourd’hui à une convergence entre néofascistes aux dépens des peuples opprimés, car le nouveau fascisme, comme l’ancien, nie ouvertement le droit des peuples à l’autodétermination. Les gouvernements libéraux restants en Europe sont stupéfaits, après avoir compté pendant huit décennies sur la protection américaine du système occidental sans oser former un pôle mondial indépendant de Washington, non seulement militairement, mais principalement dans le domaine de la politique étrangère.
Le résultat est que les peuples opprimés du monde ne sont plus en mesure de profiter de la divergence entre grandes puissances qui existait dans le passé, mais doivent maintenant mener leurs luttes de résistance et de libération dans des conditions plus difficiles que jamais. Le cas de la Palestine en est la preuve la plus évidente.
Traduit de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d’abord paru en ligne le 18 février. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.
Gilbert Achcar Professeur, SOAS, Université de Londres
Allemagne – Après les élections législatives : refuser de se conformer !
20 % de racistes au Parlement + des manifestations de masse et Die Linke avec une nouvelle force !
« Les élections sont des événements qui se déroulent en surface. Elles entérinent soit des choix de société fondamentaux qui avaient déjà été faits, soit elles indiquent que le moment n’en est pas encore venu. » (Georg Fülberth)
La campagne électorale et le résultat des élections législatives nous montrent que :
• L’AfD, avec son racisme qui méprise et menace directement la dignité de l’être humain, a réussi à s’incruster jusqu’au « centre démocratique ». Les mobilisations de masse contre l’extrême droite sont remarquables et porteuses d’espoir, mais elles n’ont pas encore suffi pour réussir à influencer de manière significative ceux et celles qui veulent voter pour l’AfD et la CDU/CSU. Le fait que les Verts et le SPD se soient mis au diapason dans leur discours et leur politique gouvernementale ne leur a pas servi.
• Le « tournant historique » annoncé avec emphase par Olaf Scholz est lui aussi susceptible de rallier une majorité dans ce pays. L’escalade militaire et le bellicisme sont largement acceptés sans contestation. Seuls les votes en faveur du BSW et de Die Linke peuvent être interprétés comme un rejet fondamental de la militarisation de la société.
• L’administration américaine de Donald Trump et Mike Pence plonge aussi les responsables politiques allemands dans la confusion.
• Le doublement des voix pour l’AfD par rapport à 2021 n’est pas seulement une source d’inquiétude, de menace et de danger immédiat pour les migrant.e.s, les militant.e.s de gauche, les syndicalistes et les minorités. Il est aussi révélateur de l’absence d’une résistance digne de ce nom de la part de la gauche et des syndicats contre le racisme et la politique de redistribution du bas vers le haut, qui a entraîné un glissement vers la droite de la société et de la représentation parlementaire.
• Il est apparu clairement, si tant est que cela ait été le sujet de la campagne électorale, que les partis pro-capitalistes qui veulent constituer le gouvernement n’ont pas de projet crédible pour résoudre la crise conjoncturelle ni les problèmes structurels de l’industrie en Allemagne. Les intérêts de la majorité de la population ne jouent de toute façon qu’un rôle secondaire pour ces partis, si tant est qu’ils en jouent un.
• La remontée de Die Linke, que ce soit dans les urnes ou avec l’arrivée de dizaines de milliers de nouveaux membres, majoritairement jeunes, est plus qu’une lueur d’espoir dans cette situation. Cela crée une réelle possibilité de construire un projet qui s’oppose à la poussée de la droite dans les mois et les années à venir. Cela est dû à la fois à la polarisation politique accrue par le coup de force de Merz au Bundestag et à la mobilisation antifasciste massive qui s’en est suivie dans la société. C’est le moment pour beaucoup d’ « annoncer leur couleur », de s’engager, de s’impliquer activement et de manière organisée. Le grand défi sera de transformer cet élan en un travail politique continu dans tous les domaines de la société : dans les quartiers, sur les lieux de travail, dans les écoles et les universités, mais aussi dans les syndicats et les autres mouvements sociaux, ainsi que dans la rue, en organisant la résistance. C’est la résistance extra-parlementaire qui est à l’ordre du jour, et non l’espoir d’un « mur coupe-feu » parlementaire.
• Ce mur coupe-feu extra-parlementaire, il faudra le construire contre le racisme, le nationalisme, le bellicisme et pour la justice sociale, et pas seulement « contre l’AfD ».
Nous ne sommes pas seuls
Le monde tourne – c’est bien l’impression que ça donne – de plus en plus vite. Ce n’est pas en Allemagne que la roue tourne, car ici nous ne sommes qu’une partie du monde. L’invasion de l’Ukraine par la Russie et le génocide en Palestine ne sont lointains qu’en apparence ; la concurrence économique mondiale peut sembler une abstraction, mais tout cela a une influence sur notre situation et constitue le fondement des choix politiques que font les dirigeants de ce pays.
L’Ukraine
Un terme va être mis à la guerre par procuration en Ukraine. L’Ukraine, sa population et ses ressources naturelles se trouvent tout simplement dans l’impossibilité de financer l’achat de nouvelles armes et de munitions. La Russie semble durablement affaiblie ; la poursuite de la guerre n’aura qu’un faible effet supplémentaire sur son affaiblissement. Il est donc temps de conclure un « accord ». Pour les Européens non préparés, la tâche consiste à garantir et à financer « la nouvelle paix ».
Gaza : nettoyage ethnique
L’expulsion de millions de Palestiniens n’est malheureusement pas une chimère. Les États-Unis comptent sur la peur de tous les régimes de la péninsule arabique et d’Afrique du Nord face à un nouveau « printemps arabe ». Si les régimes dictatoriaux locaux ne veulent pas participer à l’expulsion, ils devront payer pour une autre « solution ». Et l’appareil militaire israélien, renforcé après le génocide impuni de Gaza, est prêt à étendre l’ordre et son contrôle sur la région.
Les représentants de la « raison d’État » allemande sont unanimes
Les représentants de la « raison d’État » allemande, c’est-à-dire les partis dominants en Allemagne, s’accordent à soutenir inconditionnellement Israël et sa politique génocidaire. Cela inclut également la répression croissante contre toute forme de solidarité pro-palestinienne.
La fidélité inconditionnelle à l’impérialisme américain en matière de politique étrangère était au sens propre du terme « bon marché » tant que l’on pouvait participer au pillage mondial moyennant une modeste participation à l’OTAN.
Points de discorde pour la nouvelle coalition
Un élément important dans les marchandages autour d’une nouvelle coalition sera donc de savoir combien l’armement doit et peut coûter. Quelle part sera financée par l’endettement ? Quelle part sera financée par des coupes budgétaires ? Quels pans de l’État social seront encore davantage vidés de leur substance ? Quels investissements seront réalisés dans les infrastructures (réseaux électriques, réduction des coûts de l’énergie, transports ferroviaires, éducation et santé) et dans les secteurs dits d’avenir et la protection du climat, et quels investissements ne le seront pas ? De plus, on ne voit pas quelle stratégie sera mise en place pour restaurer la compétitivité internationale de l’industrie. Les cadeaux fiscaux et la redistribution aux entreprises et aux riches ne suffisent pas.
Le racisme s’aggrave encore
En ce qui concerne la « politique migratoire », tous les partis représentés au Bundestag, à l’exception de Die Linke, se sont mis d’accord pendant la campagne électorale pour durcir encore la répression contre les réfugié.e.s et renforcer le système de contrôle aux frontières. Pour les individus menacés d’expulsion et de harcèlement, c’est déjà une catastrophe qui met leur vie en danger. Le grand succès électoral de l’AfD laisse présager une nouvelle montée de la violence raciste de la part de hordes fascistes.
Mobilisation de masse contre l’extrême droite
Depuis quelques semaines, nous assistons à une mobilisation de masse antiraciste et antifasciste d’une ampleur sans précédent, et en même temps au choix de s’organiser de la part de dizaines de milliers de jeunes. Le slogan « Ensemble contre le fascisme » ne portera ses fruits que s’il est associé à une perspective sociale porteuse d’espoir.
Son contenu social doit être axé sur les intérêts de la grande majorité de la population. Les besoins sociaux de la grande majorité de la population sont avant tout l’augmentation des salaires et des retraites, des loyers et des prix abordables, le maintien et la création d’emplois et de places dans le système de formation, un système de santé et d’éducation efficace, le maintien et le développement des équipements et des services publics ainsi qu’une protection efficace du climat, financée par les riches bénéficiaires du capitalisme.
En parler ensemble, se mettre d’accord sur des revendications, agir collectivement pour les faire valoir, cela peut permettre de faire un pas de plus. Die Linke a misé sur ces thèmes et c’est ce qui lui a permis de se renforcer de la sorte. Ce qui montre bien que c’est la question sociale qui fait la politique de gauche.
Dans la durée, partout, ensemble
Des groupes et des comités qui travaillent dans la durée peuvent transformer des manifestations ponctuelles en un mouvement durable et présent partout. Au-delà de cela, il est important que ce mouvement essaie d’agir de manière ciblée partout où se déroule la vie sociale. À long terme, notre objectif est de susciter un soutien massif aux actions antifascistes, allant jusqu’à des grèves sur le lieu de travail et des grèves générales.
Pour peser dans la rue, nous contribuons à la formation de coordinations les plus larges possibles avec des formes d’action qui touchent le plus grand nombre, afin que le slogan « Pas de place pour les fascistes » s’applique littéralement.
Le fait que des millions de personnes descendent maintenant dans la rue pour s’opposer à la montée de l’extrême droite et au fascisme, que des dizaines de milliers de personnes rejoignent le parti Die Linke, voilà une lueur d’espoir malgré la montée de l’extrême droite. Le défi consiste maintenant à mettre en place une pratique quotidienne commune avec ces personnes qui se politisent. Cela ne fera pas disparaître les 20 % de racistes et de partisan.e.s de l’extrême droite au sein de la population. Mais cela peut encourager ceux et celles qui descendent aujourd’hui dans la rue pour s’opposer à la montée de l’extrême droite, leur donner la force de tenir bon et de continuer, ainsi qu’une perspective d’action commune et solidaire.
J. H. Wassermann
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepLpro.
Elections allemandes : Heidi Reichinnek, sauveuse surprise du parti Die Linke
La formation ancrée à gauche progresse au Parlement, lors du scrutin du 24 février, grâce à une figure émergente qui n’hésite pas à appeler les Allemands à monter «sur les barricades» contre l’extrême droite.
Heidi Reichinnek, en campagne pour les législatives du 24 février 2025. (Olaf Krostitz/ROPI-REA)
Heidi, c’est un drôle de prénom pour faire une révolution. Avec son grand tatouage de Rosa Luxemburg bien visible sur le bras gauche et l’interdiction des milliardaires comme slogan, le tableau est parfait.
«Résistez contre le fascisme dans ce pays. Aux barricades !» a-t-elle lâché à l’assemblée fédérale (Bundestag) pour dénoncer la fin du «cordon sanitaire», l’alliance symbolique il y a trois semaines pour un texte sur l’immigration entre les conservateurs de la CDU et l’extrême droite d’Alternative pour l’Allemagne (AfD), qui n’avait aucune chance d’être adopté.
Un parti donné pour mort début janvier
Dans une campagne marquée par des candidats pâlots et mal-aimés, la figure montante de la politique allemande a redonné de la couleur aux débats. C’est la grande surprise de ces élections anticipées, où les sondages n’ont pas bougé d’un poil pendant trois mois.
Heidi Reichinnek, 36 ans, tête de liste de la gauche de la gauche (Die Linke), a réussi l’exploit de sauver son parti qui était, encore début janvier, donné pour mort. Trois semaines avant le scrutin de dimanche, les intentions de vote ont doublé, et le parti aurait obtenu plus de 8% selon les sondages de sortie des urnes, bien au-delà de la barre fatidique des 5 % nécessaires pour entrer au Bundestag, où quatre députés…
Cameroun, la vérité sur les violences coloniales de la France
« Le rapport sur le rôle et l’engagement de la France dans la lutte contre les mouvements indépendantistes et d’opposition au Cameroun de 1945 à 1971 » écrit par une commission mixte d’historienNEs camerounais et français sous la direction de l’universitaire Karine Ramondy, et remis le 28 janvier dernier aux président Macron et Biya, démontre avec précision et détail « la violence extrême » employée par la France pour maintenir sa domination.
Le Cameroun n’était pas une colonie de la France mais de l’Allemagne qui l’a perdue à l’issue de la Première Guerre mondiale. Ce pays d’Afrique centrale est alors placé sous tutelle de la Société des Nations (l’ancêtre des Nations unies), qui donne mandat à la Grande-Bretagne d’administrer deux territoires de taille réduite, frontaliers du Nigeria, et le reste, près des trois quarts du pays, à la France.
Décolonisation violente
Cette dernière gère le Cameroun à l’identique de ses autres colonies en exploitant les populations. Après la Seconde Guerre mondiale, les premières luttes anticoloniales se font jour. Au Cameroun, se créé l’Union des peuples du Cameroun (UPC) fondée essentiellement par des syndicalistes. Leurs exigences est double, la réunification du pays et l’indépendance immédiate.
Le rapport met en relief les efforts de l’administration coloniale pour tenter de limiter l’audience de l’UPC en stigmatisant ses militantEs et en créant des partis pro-français, mais en vain. Le pouvoir colonial a interdit l’UPC et s’est rendu coupable du massacre d’Ekité en 1956 attaquant des civilEs désarméEs. La répression ne fait ensuite que croître. Les officiers français, pour la plupart des anciens d’Indochine, appliquent les méthodes de la guerre contre-révolutionnaire, notamment en déplaçant les populations pour les couper des combattants anticoloniaux et en pratiquant une politique de terreur par l’utilisation de bombes incendiaires larguées sur les villages.
Histoire cachée
En France, cette violence coloniale au Cameroun est largement occultée, comme d’autres, que cela soit à Thiaroye contre les tirailleurs sénégalais en 1944, un an plus tard à Sétif, à Madagascar et à Casablanca en 1947 ou en Côte-d’Ivoire en 1949. Elle reste cependant fortement ancrée au Cameroun car bien après l’indépendance, sous le gouvernement d’Ahmadou Ahidjo, la France a continué aux côtés de l’armée camerounaise à combattre les maquis upécistes jusqu’à la fin des années 1960.
Si la commission a eu un accès libre aux archives en France, ce ne fut pas le cas au Cameroun, et pour cause. Le président en place, Paul Biya, était dès 1962 dans le gouvernement Ahidjo. Ainsi pendant des décennies, il était interdit de mentionner les noms de Ruben Um Nyobè, Félix-Roland Moumié ou Ernest Ouandié dirigeants de l’UPC assassinés par les sbires de la France coloniale.
Les recommandations du rapport tournent essentiellement sur la reconnaissance officielle de la violence coloniale de la France. Cela permettra au moins que des individus comme Fillon ne puissent plus déclarer : « Je dénie absolument que des forces françaises aient participé, en quoi que ce soit, à des assassinats au Cameroun. Tout cela, c’est de la pure invention ! »
OBSERVATOIRE DU NUCLEAIRE
Conférence de Stéphane Lhomme
Samedi 15 mars à 19 h à Belle-Île-en-Mer
salle A
(près de l’Hôtel de Ville, le Palais)
"Nucléaire, renouvelables,
économies d'énergie :
qui sauvera le climat ?"