Pat Finucane (SWP)
Samedi 21 septembre. 14h De Coninckplein Anvers
Rendez-vous: 21/09/24
La solidarité, pas la haine. Manifestation antifasciste contre Voorpost
Contre qui manifestons-nous?
Le 21 septembre, Voorpost manifestera à Anvers pour de la « remigration » (=déportations de masse) et contre le « grand remplacement » (une théorie de conspiration des nazis).
Voorpost est le « service d’ordre » du Vlaams Belang. Il veut importer ici les émeutes racistes de cet été en Grande-Bretagne. Le 30 juin, ils ont fait une descente dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile à Zutendaal (Limbourg). Ils ont intimidé les familles (des enfants inclus) présentes à l’aide de fusées éclairantes et de bombes fumigènes.
Un incendie a effectivement été déclenché dans un futur centre d’asile à Bilzen en 2019. L’homme arrêté, soupçonné d’incendie criminel, était un dirigeant local du Voorpost et actif au sein du Vlaams Belang à Zutendaal au moins jusqu’en 2006.
Pourquoi protestons-nous?
Contre la haine de l’extrême droite, nous lançons un message fort de solidarité. Ce faisant, nous nous opposons également au terreau du VB.
La solidarité signifie aller à l’encontre du système qui accroît les inégalités et les problèmes sociaux. Nous nous organisons pour protester en faveur d’une société qui ne laisse personne de côté.
Nous sommes solidaires des réfugiés, des migrants, de tous ceux qui subissent le racisme, et de la protestation contre le génocide à Gaza.
Nous sommes favorables à un investissement massif dans les ressources publiques : logements sociaux, services publics (tels que l’éducation, les soins de santé, les transports publics) et formation des enseignants (pour lutter contre le sexisme, le racisme et la LGBTQIA+phobie et mettre l’accent sur l’inclusion du genre), ainsi qu’à une augmentation du salaire minimum à au moins €17 de l’heure.
Qui organise cette manifestation?
Nous sommes des antifascistes (bien ou non) associés à diverses organisations. Le 25 avril, nous avions organisé ensemble une manifestation à Anvers contre une marche du club étudiant d’extrême droite NSV.
Nous sommes ouverts à tous ceux qui reconnaissent notre approche.
Voir aussi:
Les liens entre les armes nucléaires et le changement climatique sont « largement ignorés », dénoncent des chercheurs. Mégafeux près de sites nucléaires, montée des eaux… Les menaces sont pourtant bien présentes.
La crise environnementale risque-t-elle de provoquer une apocalypse nucléaire ? On peut le soupçonner. Rien n’est certain, tant le déni est massif et la recherche inexistante. « Les liens entre les arsenaux nucléaires et les transformations environnementales en cours sont largement ignorés » aussi bien par la recherche que par les États, alertent Benoît Pelopidas, Thomas Fraise et Sterre van Buuren dans un article publié dans la revue Raison présente en juin dernier.
Les chercheurs au Ceri à Sciences Po dans le programme d’étude Nuclear Knowledges dénoncent ce « postulat d’indépendance réciproque ». Ils appellent à explorer ces relations d’urgence, alors que la menace climatique semble de plus en plus tangible — des mégafeux de forêt ont ainsi récemment menacé des sites nucléaires américain et russe.
Pour en arriver à ce constat, le trio a épluché toutes les études et les documents de planification militaire des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France et de la Russie — qui détiennent 93 % des arsenaux nucléaires mondiaux — parus entre 1990 et 2022. « On était persuadés que la question du risque environnemental était tellement importante que quelqu’un l’aurait posée et qu’il suffisait de faire une bonne revue de littérature pour y trouver une réponse satisfaisante », se souvient Benoît Pelopidas.
La récolte fut maigre : aucun article scientifique en trente-deux ans, et seulement une évocation des armes nucléaires dans le rapport Defence and Climate Change de la Chambre des communes britannique. « Les documents stratégiques étudiés ne mentionnent que rarement les transformations environnementales. Quand ils le font, c’est de manière périphérique et sans faire le lien avec les armes nucléaires », concluent les chercheurs dans leur article.
Pourtant, le secteur militaire est de plus en plus attentif au risque environnemental. « Depuis 2020, on constate une tendance à penser le lien entre le climat et la défense en général, note Sterre van Buuren. Les États-Unis, notamment, ont publié plusieurs documents assez détaillés sur le sujet. » En France, l’ex-ministre des Armées Florence Parly a de même approuvé en 2022 le projet de stratégie ministérielle Climat & Défense pour « préparer les forces armées au défi climatique » — mais le mot « nucléaire » n’y apparaît pas une seule fois. À l’inverse, en 2023, des députés du Rassemblement national ont présenté une proposition de loi visant à inscrire la possession d’armes nucléaires dans la Constitution, pour la protéger de « l’idéologie écologiste ».
Pourtant, la menace se précise. En février, les activités de l’usine d’assemblage et de démontage d’armes nucléaires Pantex, au Texas, ont dû être interrompues suite à des feux de forêt autour des installations. Un tel événement s’était déjà produit en Russie à l’été 2020, durant lequel un canal de plusieurs kilomètres avait été creusé pour protéger le site de recherche sur les armes nucléaires de Sarov.
Outre les feux de forêt, d’autres phénomènes climatiques et environnementaux extrêmes, comme l’érosion des côtes, pourraient affecter les installations nucléaires militaires, estiment les chercheurs. Ils appellent ainsi à des recherches approfondies sur les risques encourus par la base navale de Fastlane, près de Glasgow en Écosse. « Dès 2001, William Barclay Walker et Malcolm Chalmers montraient dans leur livre “Uncharted Waters” que cette base était le seul endroit où le Royaume-Uni pouvait baser des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. Si elle devenait inopérante, le Royaume-Uni deviendrait le seul État à devoir baser son arsenal nucléaire à l’étranger », rappelle Benoît Pelopidas.
Pour l’heure, le déni est massif, selon Sterre van Buuren : « Nous avons trouvé une évaluation de cette base. Le seul risque identifié, c’est un accroissement de la population de mouettes avec un impact sur le moral des personnels à cause du bruit », rapporte la chercheuse, incrédule. Aux États-Unis, la Fondation Carnegie pour la paix internationale s’est bien penchée sur le problème de la montée des eaux. Mais l’a minimisé et présenté comme un problème « que l’on peut résoudre en apportant beaucoup d’argent et de technologie aux structures existantes », regrette Benoît Pelopidas.
Il est d’autant plus important d’étudier la relation entre arsenal nucléaire et crise climatique que cette dernière est à double sens. « La production, le stockage et le démantèlement de systèmes d’armes nucléaires, y compris les vecteurs, ainsi que l’installation des infrastructures nécessaires, constituent des activités génératrices de gaz à effet de serre et de déchets hautement toxiques », rappellent les auteurs. Qui soulignent que cette filière représente aussi un coût important et risque de priver les États de ressources financières pour mener à bien leur transition énergétique.
Pour le trio, ce travail de recherche est crucial alors que la course à l’armement se poursuit. Les neuf États dotés de l’arme atomique dans le monde se partagent environ 12 500 têtes nucléaires. Depuis 2010, tous les États qui en sont dotés sont dans une dynamique de prolongation, voire d’augmentation de taille de leurs arsenaux. Fin août, The Guardian a révélé que les États-Unis se préparaient désormais à des attaques conjointes de la Chine — qui augmente actuellement la taille de son arsenal —, de la Russie et de la Corée du Nord. « C’est évidemment une mauvaise nouvelle, cela produit une justification pour une accélération du réarmement américain », observe Benoît Pelopidas.
En 2023, les États-Unis ont ainsi dépensé 51,5 milliards de dollars (environ 46 milliards d’euros) rien que pour l’acquisition de nouvelles armes. Malgré la crise climatique, « l’orgie nucléariste » qu’observe le chercheur de Sciences Po est loin d’être terminée.
Émilie Massemin 10 septembre 2024
Malgré la confusion qui a accompagné l’annonce des résultats des récentes élections présidentielles en Algérie, une chose est claire et certaine : le peuple algérien rejette massivement le régime militaire, après avoir consacré son Hirak il y a cinq ans à exiger la fin de ce régime et son remplacement par un pouvoir civil démocratique.
En effet, la confusion elle-même est une conséquence directe de ce fait, qui a émergé à travers le véritable enjeu de ces élections, personne n’ayant le moindre doute quant à la victoire du candidat de l’institution militaire, Abdelmadjid Tebboune.
Ce qui était vraiment en jeu, c’était l’ampleur de la participation du peuple algérien à ces élections, par rapport aux précédentes organisées fin 2019, que l’institution militaire avait imposées face au rejet et au boycott du Hirak. Le résultat ne fut pas alors celui escompté par les militaires, puisque le taux de participation fut inférieur à 40% (39,51% pour être exact, avec 9 755 340 personnes ayant voté, selon les chiffres officiels, sur 24 474 161 inscrites). Ce faible taux de participation s’est produit alors que les autorités avaient permis une plus grande diversité des candidats, avec cinq candidats en lice en 2019.
Quant aux élections de samedi dernier, le taux de participation y a été inférieur à celui de 2019, qui était lui-même inférieur aux chiffres officiels des élections précédentes. Selon le décompte officiel, le nombre total de votes exprimés samedi dernier pour les trois candidats en lice n’a été que de 5 630 196, une baisse importante par rapport au total des votes exprimés il y a cinq ans, tandis que le nombre des inscrits était presque inchangé (24 351 551), de sorte que le taux de participation est tombé à 23,12% seulement !
La tentative du chef de l’Autorité nationale « indépendante » des élections, Mohamed Charfi, de camoufler la défaite du gouvernement en affirmant que le taux de participation « moyen » était de 48 %, chiffre obtenu en divisant le taux de participation par le nombre de circonscriptions électorales (comme dire que le taux de participation moyen entre 10 % dans une ville de 100 000 électeurs et 90 % dans une ville de moins de 1 000 électeurs est de 50 %) a échoué au point que la propre campagne de Tebboune a dû protester contre la confusion ainsi causée.
Face à cette défaite politique désastreuse, les 94,65% des voix obtenues par Abdelmadjid Tebboune, selon les chiffres officiels, semblent bien maigres, sans parler du fait que les deux autres candidats n’ont pas tardé à accuser les autorités d’avoir falsifié les résultats.
Selon le décompte officiel, Tebboune a reçu 5 329 253 voix, contre 4 947 523 en 2019, soit une légère augmentation. Mais contrairement à certains commentaires qui ont vu dans le pourcentage obtenu par Tebboune une imitation de la tradition bien connue des dictatures régionales, qui exige d’accorder au président plus de 90% des voix, le pourcentage de 94,65% aux dernières élections algériennes n’a pas été combiné avec un taux de participation élevé comme c’est généralement le cas dans les dictatures, que ce soit en falsifiant les chiffres ou en imposant la participation à la population, ou les deux.
Au contraire, la faible participation a confirmé que le Hirak de 2019 – même si le régime militaire et les services de sécurité ont pu l’écraser par la répression et les arrestations arbitraires, saisissant initialement l’opportunité offerte par la pandémie de Covid en 2020 et poursuivant la même approche jusqu’à ce jour – le Hirak est toujours vivant comme un feu sous les cendres, attendant une occasion de s’enflammer à nouveau.
Il ne fait aucun doute que l’establishment militaro-sécuritaire au pouvoir considérera le résultat des élections comme une source d’inquiétude, surtout qu’il s’est produit bien que le gouverne-ment ait augmenté les dépenses sociales avec lesquelles il tente d’acheter l’assentiment du peuple, en profitant de la hausse des prix des hydrocarbures et de l’augmentation de ses revenus qui s’en est suivie, avec le besoin européen croissant de gaz algérien pour compenser le gaz russe.
Les hydrocarbures représentent en effet plus de 90% de la valeur des exportations algériennes, un pourcentage bien plus important que tous les pourcentages électoraux, car il indique l’échec lamentable des militaires à industrialiser le pays et à développer son agriculture, un objectif qu’ils ont déclaré prioritaire depuis qu’ils ont pris le pouvoir en 1965 sous la houlette de Houari Boumediene, notamment après la nationalisation du secteur des hydrocarbures en 1971.
Il est à craindre que la réaction de l’institution au pouvoir à son échec politique évident ne se traduise par une nouvelle restriction des libertés et ne conduise le pays sur la voie traditionnelle des dictatures régionales, avec davantage de fraude électorale, au lieu de répondre au désir clair du peuple algérien de voir les militaires retourner dans leurs casernes et faire place à un gouvernement civil démocratique issu d’élections libres et équitables.
Au contraire, des faits indiquent que le pays suit le modèle égyptien en élargissant le champ d’intervention de l’institution militaire dans la société civile, comme en témoigne la décision prise par la présidence au début de l’été de permettre aux officiers de l’armée d’occuper des postes dans l’administration civile sous prétexte de bénéficier de leurs qualifications.
En fin de compte, des deux vagues de soulèvements qu’a connues la région arabophone (il y a aussi plusieurs zones « berbère » ou « kabyle » ) en 2011 et 2019, les régimes en place n’ont tiré que des leçons répressives en resserrant leur emprise sur les sociétés.
Ce faisant, ils ne font qu’ouvrir la voie à des explosions encore plus grandes et plus dangereuses que ce que la région a connu jusqu’à présent, alors que la crise économique et sociale structurelle qui a constitué la base des deux vagues révolutionnaires précédentes continue de s’aggraver et s’aggravera inévitablement tant que les régimes de tyrannie et de corruption resteront en place.
11 septembre 2024 par Gilbert Achcar
Traduction de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est paru le 10 septembre en ligne et dans le numéro imprimé du 11 septembre. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.
Le procès concerne plusieurs marchés relatifs notamment à l’affrètement d’avions-cargos dédiés au transport militaire.
Trois officiers généraux, six officiers supérieurs et deux cadres d’une entreprise de transport de fret aérien se retrouvent à partir du lundi 9 septembre, et jusqu’au 25, devant la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris, pour des soupçons de favoritisme lors de la passation de marchés publics. Corruption, prise illégale d’intérêt, abus de biens sociaux ou encore violation du secret professionnel, tout le système du transport militaire aérien semble avoir été gangrené à une certaine époque.
Et ce n’est pas un hasard car l’époque en question correspond à celle où les armées françaises ne disposent pas encore d’avions de transport comme l’Airbus A 400M. Pour les opérations les plus lourdes, comme le déploiement en Afghanistan dans les années 2000, les forces armées ont recours à des compagnies de transport privées. Elles sont capables de charger matériels lourds ou fret en quantité avec essentiellement des appareils soviétiques, tels que l’Iliouchine Il-76 ou l’Antonov An-124. Ce dernier capable de transporter près de 100 tonnes de charge utile.
Tout le monde – à part l’armée américaine qui, elle, dispose de transporteurs lourds – procédait ainsi. Des Iliouchine et Antonovs transportaient le fret de l’ONU lors de déploiement de casque bleu ; l’Otan également utilisait ces appareils, principalement les pays qui ne disposent pas non plus de transporteurs militaires lourds, c’est-à-dire presque tous et ce dès les années 1990.
S’agissant de la France une petite société francilienne International Chartering Systems (ICS) joue les intermédiaires, répondant aux appels d’offres du ministère des Armées en mettant à disposition les appareils de compagnies ukrainiennes ou russes (ces dernières souvent très liées à l’armée de l’air russe) pour des missions de transport de fret ou de matériels.
Entre 2011 et 2015, ICS contracte ainsi pour 175 millions d’euros auprès du ministère des Armées pour le transport de troupes et de matériels selon une estimation de la Cour des comptes.
C’est autour de cette société et de ses rapports avec les militaires adjudicateurs de ces contrats que tournent tous ces soupçons de corruption. ICS est quasi systématiquement choisie, passant même parfois devant la société Salis mandatée par l’Otan et à laquelle l’armée française avait préacheté des centaines d’heures de vol de transport, occasionnant des surcoûts non négligeables – jusqu’à 16 millions d’euros, précise le Parquet national financier (PNF).
Pour leur défense, les militaires arguent de l’absolue nécessité d’avoir à disposition un prestataire plus souple, plus réactif et plus agile, alors que se multiplient les opérations extérieures à cette époque au Mali, en Centrafrique ou en Irak et Syrie contre Daesh.
D’ailleurs, dans son avis remis au PNF, le ministère des Armées demande de prendre en considération la pression qui a pesé sur leurs services respectifs à cette époque, remarquant qu’en dehors du colonel Philippe Rives, à l’époque chef d’État-major du centre de soutien des opérations et des acheminements (CSOA), aucun des autres militaires mis en cause n’a personnellement tiré avantage des faits constatés, notamment de favoritisme.
En revanche, les accusations les plus graves reposent sur le colonel Rives notamment de corruption passive et de prise illégale d’intérêt ; après avoir tenté et souvent réussi de privilégier ICS pendant deux ans, le colonel Rives a été embauché par la société ICS comme directeur adjoint. À l’époque, la commission de déontologie des militaires, saisie de cette reconversion express n’avait rien trouvé à y redire.
Cet article a été rédigé avant le remplacement de Joe Biden par de Kamala Harris.
L’expérience d’une action électorale socialiste et progressiste de gauche au sein du Parti Démocrate fait aujourd’hui face à une crise fondamentale. L’élan créé par la campagne présidentielle de Sanders en 2016, qui a contribué à propulser la brigade, le squad, ce groupe de 6 membres progressistes de la chambre des Représentants qui s’est ainsi auto-désigné, vers un poste politique, et qui a inspiré la croissance rapide de DSA (les socialistes démocrates d’Amérique), a été perdu à la suite de la course tronquée de Sanders en 2020 et de son ralliement rapide à Biden.
La dérive de la brigade et d’autres vers le centre politique et opérationnel du Parti démocrate et leur soutien aux dirigeants néolibéraux du parti ont soulevé des questions sérieuses sur l’utilisation du Parti démocrate pour les objectifs socialistes.
Ceci a été souligné par l’appui d’Alexandria Ocasio-Cortez (AOC) et d’autres membres de la brigade à Biden, même après son déplacement vers la droite, au début de 2023, sur des questions clés comme l’immigration et le forage pétrolier, comme l’a souligné la publication FiveThirtyEight (23 mars 2023).
Plus généralement, la résistance accrue de la part des dirigeants et des institutions du parti a limité la capacité de la gauche à se développer de manière significative. Cela s’est traduit par les gains relativement minces réalisés par les socialistes et les progressistes de gauche lors des élections législatives de 2022. En plus de cela, la hausse des coûts des campagnes électorales pour le Congrès et la récente baisse des petites donations politiques ont encore entravé la capacité de la gauche électorale à pouvoir étendre son influence.
La preuve de cette crise se manifeste partout dans l’état de l’organisation de la gauche électorale. Le regroupement « Justice Democrate », sans doute l’agent le plus efficace pour les progressistes lors des primaires électorales, a licencié neuf de ses vingt membres du personnel en juillet en raison d’un manque de fonds.
Comme le dit le Huffington Post, « sa mission est plus confuse et ses coffres sont épuisés ». En août, il a licencié trois autres employés sur un total de douze, soit plus de la moitié de son personnel. Même avant cela, en avril, le Mouvement du Soleil Levant, un allié de Justice Démocrate, a licencié 35 des 100 membres de son état-major, tandis que Middle Seat, un collecteur de fonds et l’un des meilleurs contributeurs d’AOC pour les campagnes 2020 et 2022, a licencié environ un tiers de son personnel. Même Emily’s List a connu des mises à pied. Tout cela dans la période précédant les élections cruciales de 2024.
La cause immédiate de cette crise est le financement.
Tout d’abord, le coût moyen de l’obtention un siège à la Chambre des Représentants est passé de 1,3 million de dollars en 2016 à 2,5 millions de dollars pour un siège vacant et à 2,9 millions de dollars pour triompher en 2022 d’un candidat à sa réélection.
Les petits dons ont été plus faibles dans ce cycle en raison du dégoût de la politique et des démocrates en particulier. Comme l’a rapporté le New York Times (16 juillet 2023), avec de petits dons qui arrivent lentement, la campagne de Biden est encore plus dépendante des donateurs riches qu’en 2020. Dans le même temps, de nombreux donateurs politiques importants versent des contributions directement aux comités de campagne du parti et à des fonds « non déclarés » pour les campagnes 2024 du Sénat et de la Chambre des Représentants. Mais la rareté des petits dons frappe plus durement les organisations de gauche qui manquent de donateurs riches, de subventions ou de soutiens de fondations
Un résultat de cette crise et de la résistance accrue de la part de la direction du parti est le report de la date de mise à la retraite de cette vieille garde. Ceci est particulièrement critique parce que, en supposant que le but soit de changer le Parti démocrate ou de le déplacer vers la gauche, il n’y a pas d’autre moyen de faire disparaître la majorité centriste des démocrates à la Chambre et dans tout le système politique.
Les départs à la retraite et la mise en place de candidatures ouvertes sont trop peu nombreux pour être une voie vers une présence importante dans le caucus du Parti démocrate à la Chambre ou au Sénat ou à peu près dans n’importe quelle instance législative d’État. Cela signifie que le JD semble avoir complètement abandonné les candidatures défiant des titulaires déjà en poste. JD se concentre actuellement sur le soutien au titulaire Jamal Bowman, qui est attaqué par des campagnes et des fonds pro-israéliens. Alors que JD avait approuvé huit candidats à la Chambre des Représentants qui défiaient des titulaires centristes en 2020 et deux en 2022, elle n’en désigné aucun pour 2024, selon le Huffington Post (10 août 2023),
De même, alors que Notre Révolution a soutenu Barbara Lee en Californie pour le siège ouvert au Sénat par le décès de Dianne Feinstein, ainsi qu’un certain nombre de candidats principalement pour des scrutins locaux, il n’a pas encore approuvé de candidature à la Chambre des Représentants pour les élections de la fin du mois d’octobre 2024. En 2022, Notre Révolution avait approuvé 18 candidats à la Chambre des Représentants, dont six s’opposant à un démocrate majoritaire.
Sanders, qui avait soutenu 13 candidats à la Chambre en 2022, dont quatre contestaient le siège de titulaires déjà en place, n’a approuvé qu’un seul candidat à la Chambre en 2023. C’était Aaron Regunberg, un candidat non élu pour la nomination démocrate pour un siège vacant représentant le premier district du Congrès de Rhode Island, qui avait été choisi par élection spéciale. Jusqu’à présent, Sanders n’a approuvé qui que ce soit pour la Chambre en 2024.
AOC a également approuvé Regunberg, mais son fonds de financement « Courage pour gagner » qui disposait de plus de 500 000 dollars, n’a contribué que pour 5 000 dollars versé à deux candidats, seulement à la Chambre des Représentants, les titulaires déjà en poste Cori Bush et Greg Casar, selon le rapport de la Commission électorale fédérale du 30 septembre 2023.
Aucun autre soutien officiel d’AOC à des candidats à la Chambre des Représentants pour le cycle électoral 2023-2024 n’a pu être trouvé au moment de l’écriture du présent document. La commission électorale nationale de DSA, qui a approuvé par le passé les candidats à la Chambre et aux assemblées législatives des États, n’a jusqu’ici approuvé qu’un petit nombre de candidats locaux. Il est clair que la gauche électorale est en retrait.
Cette baisse est en partie due à la performance relativement médiocre des candidatures de gauche en 2022. Malgré un grand nombre de sièges obtenu à la Chambre des représentants lors des élections de mi-mandat de 2022, les gains nets pour les progressistes de gauche cette année-là ont été faibles. Sur les 23 candidats de gauche, définis comme ceux soutenus par Bernie Sanders, JD et/ou Notre Révolution, dix ont remporté leur primaire. Sur les huit personnes qui contestaient des candidats déjà en poste, une seule (Jamie McLoed Skinner) a gagné, mais a perdu l’élection finale. Sur les 15 candidats qui ont participé à des primaires ouvertes, neuf ont réussi. Ce chiffre est en net recul par rapport à 2020, lorsque les progressistes de gauche avaient remporté 22 des 32 sièges vacants, selon la publication FiveThirtyEight(27 septembre 2022).
En tout, en 2022, dix progressistes de gauche avaient remporté leurs primaires et treize l’avaient perdu, ce qui n’est pas si mal. Mais trois progressistes de gauche, comme défini ci-dessus, avaient perdu contre des modérés lors de primaires entre sortants dans des districts redessinés, et trois nouveaux candidats qui avaient remporté leurs primaires ont été défaits aux élections finales. Le gain net pour 2022 n’était donc que de quatre, aucun n’ayant remporté un scrutin face à à un sortant candidat à sa réélection1 . C’est clairement un mauvais signe pour ceux qui espèrent transformer le Parti Démocrate. Les perspectives pour 2024 sont, à tout le moins, nettement pires pour la gauche, avec un taux de sortants candidats à leur réélection s’élevant à 94%, la pression croissante pour soutenir les modérés dans les districts en balance incertaine pour ne pas faire chavirer le bateau Démocrate, et la crise financière de la gauche électorale s’approfondissant.
Les élections législatives de chaque État sont bien sûr beaucoup moins chères et un peu plus accessibles. La part des candidats sortants était supérieur à 95 % en 2022, et cette année-là seuls 22 % de ces élus démocrates sortants ont été confrontés lors de primaires à des candidatures concurrentes. Le renouvellement des sièges, toutefois plus élevé, et les primaires ouvertes sont plus fréquentes, soit environ 24 % en 2022. Seulement environ 4 % sont des mandats en nombre limité, dont un tiers environ sont détenus par les Démocrates.
Il est toutefois décourageant de constater qu’il y a plus de 7 000 sièges à pourvoir dans les assemblées législatives des États. Bien que le coût d’une campagne pour un siège législatif soit beaucoup plus faible que celui du Congrès, il a doublé en moyenne au cours des deux dernières décennies pour atteindre plus de 100 000 dollars en 2020, selon la Conférence nationale des assemblées législatives des États. Il est sans doute plus élevé maintenant et, bien sûr, encore plus élevé dans des États comme New York, la Californie, Washington et d’autres.
Les membres de DSA, qui se présentent plus souvent à ce niveau, occupaient 56 sièges législatifs en 20232 . Alors qu’en 2022, DSA avait approuvé au plan national 18 candidats pour des postes au niveau des États, cette année, aucun candidat à ce niveau n’a été approuvé par la commission électorale nationale de DSA, selon son site web. Sans doute certains sont soutenus par des sections locales. « Notre Révolution », qui avait approuvé 80 candidats à des postes d’État en 2022, n’a approuvé aucun candidat cette année, selon ses sites web. Bernie Sanders non plus. Il semble que la crise de la gauche électorale frappe aussi sa participation aux scrutins électoraux
Que la crise politique du cycle électoral 2023-2024 de la gauche entraîne un plongeon de ses sources de financement est, en soi, significatif. Tout d’abord, cela révèle à quel point l’action électorale actuelle de gauche s’inscrivant dans le Parti Démocrate est dépendante d’équipes qui, comme JD, sont centralisées depuis le sommet, de sociétés de financement à but lucratif comme Middle Seat, et même de sociétés comme le géant numérique NGP-VAN, qui est le principal processeur de données du Parti Démocrate et est utilisé par tous les membres de la brigade d’AOP.
Pour l’autre, cela montre aussi la forte dépendance des candidats de gauche à des dons provenant d’autres États et de districts plutôt que sur une organisation structurée de façon permanente au plan local.
La cause sous-jacente de cette crise de financement est toutefois sur le long terme l’escalade du coût des campagnes électorales dont la responsabilité incombe au capital. Elle a commencé avec l’entrée des fonds de financement dans les années 1970, mais elle s’est accélérée bien au-delà de cela, poussée par des donateurs riches et aisés3 . Incluant l’argent dépensé par les candidats, les comités du parti et celui hors des circuits contrôlés, le coût des élections du Congrès à mi-mandat est passé de 1,6 milliard de dollars en 1998, déjà bien au-dessus des années précédentes, à près de 9 milliards de dollars en 20224 . « La course aux dépenses toujours croissante entre les partis politiques signifie que le prix de l’admission au Congrès continue d’augmente ». La politique est devenue l’objet d’enchères dans lesquelles le plus offrant gagne 90 % du temps.
Et c’est l’argent qui fait avancer le processus. Seulement 18 % de tous les fonds de la campagne électorale du cycle 2022 provenaient de dons inférieurs à 200 dollars. Les démocrates ont fait un peu mieux, mais les petits dons ne représentaient toujours que 19 % de tous les fonds qu’ils avaient collectés. La baisse des dons de petite taille et l’augmentation continue du coût des élections indiquent que la richesse et le capital joueront un rôle de plus en plus important lors des prochaines élections. Et Opensecrets.org (2 août 2023) s’attend à ce que 2024 soit « l’élection la plus chère de l’histoire ».
Les membres de la brigade, qui ne récoltent pas d’argent auprès des entreprises, collectent pour leurs campagnes électorales des millions en provenance principalement de dons individuels de l’extérieur de leurs propres états et districts. La plupart de ces fonds sont collectés par des fournisseurs numériques tels qu’ActBlue ou Middle Seat. AOC est l’un des cas les plus extrêmes. Elle a recueilli plus de 12 millions de dollars dans le cycle électoral de 2022, beaucoup plus que tous les autres membres de « la brigade ». Plus de 80 % de cette somme provenait d’un autre État. En 2020, la dernière année fournie par les chiffres de district d’OpenSecrets.com, moins de 1% du financement d’AOC provenait de son district. Il devrait être évident que, avec des fonds pour les candidats de gauche qui s’épuisent, cette dépendance à l’égard d’un grand nombre de dons plus modestes provenant de partout dans le pays ne peut pas assurer le financement des campagnes de autres candidats de gauche aux primaires
Considérez ceci : JD avait levé seulement 6,5 millions de dollars, principalement auprès de plus de 1 300 personnes, dans le cycle électoral de 2022 avant de faire face à sa crise financière. Hakeem Jeffries, un militant centriste, leader dans la lutte contre les opposants de gauche aux élections de 2022, et déclaré antisocialiste, est maintenant le leader minoritaire, élu à l’unanimité, du Parti Démocrate à la Chambre des Représentants5 , Il a collecté pour lui tout seul 5,9 millions de dollars cette année-là. Dans ce montant, près de 80 % provenaient de dons importants ou de fonds électoraux et seulement 5,5 % de contributions modestes. Cette année 2024, il a déjà touché 7,8 millions de dollars. Il est assez évident que la gauche électorale du Parti démocrate ne peut pas rivaliser avec la majorité dominante du parti, qui est lourdement financée par des sociétés et des individus fortunés.
Considérez aussi que, alors que la gauche électorale se retire de primaires impliquant des sortants centristes en place, le New York Times (29 octobre 2023) rapporte que les alliés de l’establishment du parti, le Comité américain des affaires publiques d’Israël (AIPAC) et la majorité démocrate pour Israël (DMI) se préparent à défier les neuf représentants démocrates en poste qui, le 25 octobre, au milieu des bombardements intenses et aveugles de Gaza par Israël,, ont voté contre l’aide militaire à Israël. Le soutien inconditionnel à Israël est depuis longtemps une politique fondamentale du Parti démocrate, et l’opposition aux candidats critiques de la politique d’apartheid d’Israël envers les Palestiniens n’est pas nouvelle.
Dans les élections de 2022, AIPAC a dépensé 13 millions de dollars et DMI 9 millions de dollars, dont une grande partie « en dehors » des fonds contrôlés, pour vaincre des adversaires de gauche qui n’étaient pas considérés comme suffisamment amicaux par Israël. Selon Opensecrets.org (17 novembre 2022), AIPAC a dépensé 2 millions de dollars en argent « extérieur » pour vaincre Summer Lee, un critique de la politique d’apartheid d’Israël, dans les primaires de mi-mandat de 2022 et 3,2 millions de dollars supplémentaires aux élections finales, soit plus du double de ce que Lee a dépensé pour ce cycle. Dans ce cas, ils n’ont pas réussi à empêcher sa victoire (celui qui a le plus d’argent ne gagne que 90 % du temps.) Lee, qui est l’un des neuf démocrates votant contre l’aide militaire à Israël en octobre, fait déjà face à un concurrent et sera certainement une cible de dépenses de l’AIPAC en 2024. Ilhan Omar et Jamall Bowman, qui étaient également opposés au matériel militaire supplémentaire pour Israël, ont également attiré des concurrents aux primaires. L’escalade des enchères politiques continue.
Sur un plan plus fondamental, on pourrait se demander pourquoi les socialistes jouent à ces jeux politiques axés sur l’argent. Un examen de la façon dont AOC a dépensé les millions qu’elle a collectés principalement à l’extérieur de son district révèle que dans le cycle 2022, 60 % est allé aux salaires du personnel, à la collecte de fonds et à l’administration, et 24 % pour les achats dans les médias, ce qui constitue la majeure partie de la campagne électorale. Le reste, vraisemblablement, est allé au travail de base de campagne électorale. Les organisations de base permanentes ne sont pas incluses.
La pratique réelle de l’électoralisme de DSA et de la gauche n’est pas fondée sur l’ organisation de masse ou la lutte des classes, comme on le prétend parfois, mais sur l’élection d’individus à des fonctions pour faire « du bien » au nom de la classe ouvrière, par des primaires qui attirent les électeurs plus aisés, tout cela dans l’espoir que la base suivra6 . Leurs méthodes électorales ne sont guère différentes de celles des Démocrates traditionnels, qui dépendent de sociétés professionnelles de financement et d’experts en campagne. C’est une approche du sommet vers la b1ase électorale. Ils sont plus que dépendants de personnalités très en vue comme Bernie et AOC. C’est une approche du sommet vers la base et, d’un point de vue socialiste, l’inverse de ce qu’il faudrait faire
Une politique électorale socialiste doit être organisée sur une base de masse entièrement différente, avec une stratégie totalement différente en dehors du cadre institutionnel et politique du Parti Démocrate. Des organisations politiques indépendantes de la classe ouvrière avec une organisation permanente, de masse et de base dans les quartiers et les lieux de travail pourraient facilement remplacer l’argent par des organisations et des mobilisations démocratiques des électeurs, ( à ne pas confondre avec les campagnes ciblées par ordinateurs d’inscription sur les listes électorales)
Mais si le financement est le problème immédiat, cette crise est aussi le résultat d’une augmentation assez récente de la méfiance envers la politique, les politiciens et les grands partis qui ont eux-mêmes conduit à la baisse des petits dons. « Notre Révolution », par exemple, a trouvé dans un récent sondage de ses « membres » que « 41% nous ont dit qu’ils se sentaient déprimés, en colère ou démotivés par l’élection 2024 ». Avec Bernie, « la brigade », le caucus des membres progressistes du Congrès (CPC) et la plupart des progressistes alignés derrière Biden, il n’y a pas de place pour une opposition de gauche dans le Parti Démocrate.
Cette désillusion dépasse largement la gauche politique. Comme le révèle une récente enquête du Pew Research Center, la vision sceptique de la politique de la plupart des Américains a en fait empiré, précisément à l’époque où les socialistes électoralistes ont été en hausse par le biais du Parti Démocrate, entre 2018 et 20237 . Le pire de tout cela est concentré sur le Congrès. Par exemple, la proportion de Démocrates et de leurs sympathisants qui pensent que les membres du Congrès « se soucient des gens qu’ils représentent » est passée de 51% en 2018 à 40% cette année. Les mêmes qui pensaient que les membres du Congrès ont promu des politiques « dans l’intérêt public » sont passés de 48% à 37% au cours de cette période. En outre, les politiciens, y compris les Démocrates, sont jugés « hors de contact » avec leurs électeurs.
Parmi les démocrates et leurs sympathisants, 74 % pensaient que les membres du Congrès ont fait un très ou assez mauvais travail d’écoute de leurs électeurs. 81 % de ces démocrates ont dit que « la plupart des fonctionnaires élus ne se soucient pas de ce que les gens comme eux pensent ». On peut supposer que beaucoup pensaient à leurs propres représentants démocrates. 84 % de tous ceux qui « sont très engagés avec la politique » ont donné la même réponse. En termes d’influence, parmi ceux qui ont répondu, 70 % pensaient que les gens de leur district avaient trop peu d’influence, tandis que 80 % disaient « les gens qui ont donné beaucoup d’argent à leurs campagnes politiques » avaient trop d’influence. Cette vision négative ne concernait cependant pas uniquement les politiciens individuels.
L’un des résultats les plus révélateurs du sondage Pew a été la forte baisse de ceux qui ont une opinion favorable du Parti Démocrate dans son ensemble. Considérant que plus de 60 % avaient une opinion positive de ce parti à la fin des années 1990 et au début des années 2000, cela est tombé aux environs de 40 % de 2008 à 2018, Sans doute une conséquence de la récession et de la déception vis-à-vis de l’administration Obama. Puis de 2018 à juillet 2023, l’approbation du Parti démocrate a chuté à 37 % tandis que ceux qui ont une opinion défavorable de ce parti ont augmenté à 60 %. Interrogés, près des trois quarts des démocrates et de leurs sympathisants répondent que la phrase « J’aimerais souvent qu’il y ait plus de partis politiques parmi lesquels choisir dans ce pays » décrit leur point de vue extrêmement (44 %) ou un peu (30 %). Parmi les indépendants, beaucoup de ceux qui ont une orientation démocrate expriment d’avantage ce point de vue que parmi les républicains. Les Démocrates ne sont pas très contents de leur parti.
Comme le souligne l’enquête de Pew, les points de vue positifs des Démocrates en particulier sont « maintenant à leur point le plus faible des trois dernières décennies ». Et cela précisément pendant la période de montée de l’électoralisme socialiste dans ce parti. Je ne dis pas que Bernie Sanders, AOC, « la brigade » ou DSA sont à blâmer pour cette image sombre de la façon dont la plupart des gens voient la politique et le parti démocrate en particulier. Mais, comme leur incapacité croissante à s’opposer à la direction du Parti Démocrate, en fait leur approbation constante des chefs du Parti Démocrate, y compris Bide8 , leur haut niveau de votes « d’unité » sur le programme législatif de Biden, et, en conséquence leur identification publique plus forte avec le parti suggèrent qu’ils ne l’ont pas empêché ou même modéré, malgré leur popularité individuelle ou leurs opinions personnelles. Rien dans le sondage Pew ne montre que les gens voient une tendance contraire à cette détérioration des opinions concernant les politiciens et le Parti Démocrate.
Le sort de DSA lui-même est peut-être l’impact le plus immédiat de ce malaise politique croissant pour la gauche. Avec l’effondrement de la dynamique Sanders et l’augmentation des luttes internes parfois vives au sujet de l’incapacité de l’organisation à garder ses « élus » Démocrates, et après avoir été mis en cause, notamment par la guerre Israël/Palestine et par l’interdiction de Biden de la grève dans les négociations ferroviaires, le groupe a connu une perte importante et continue de ses membres. Selon son rapport sur le budget de juin, DSA a vu ses membres (en comptant les cotisants en retard) passer de leur sommet de 94 000 à la mi-2021 à 78 000 en mai 2023. Le nombre de « membres en règle », une mesure plus réaliste, est passé de 78 000 à 57 000 Cette perte d’environ un quart de ses effectifs réels, est intervenue alors que les opinions favorables au Parti Démocrate chutaient à nouveau à des niveaux bas et que la controverse sur le comportement des « élus » occupait pendant un certain temps une place centrale dans les débats. Bien qu’il soit trop tôt pour le dire, les retombées actuelles de la guerre entre Israël et Gaza menacent de fragmenter davantage DSA.
En dépit de cette crise pré existante, un consensus a semblé apparaître lors son congrès de juillet, DSA y a réaffirmé son engagement à « contester tactiquement les règles électorales actuelles conduisant au vote démocrate » ? En reconnaissance du problème de l’insertion des militants de DSA dans les organes de direction définissant la politique de l’organisation, il a été proposé d’agit comme un parti, afin d’organiser le travail des militants de DSA et de leur fournir un soutien. Une proposition visant à imposer un certain type de responsabilité ou de discipline sur les « élus », cependant, a échoué. La question de la sortie du Parti Démocrate, qui n’a jamais suscité l’intérêt des « élus » de DSA, est tombée en poussière avant même le congrès et a pratiquement disparu de la discussion. D’autre part, il y a eu un intérêt renouvelé pour la création d’une nouvelle organisation de masse avec sa propre identité qui serait parallèle au parti lui-même et, pourrait, dans le cas des élections au Congrès et dans la plupart des assemblées législatives d’État, rivaliser avec le caucus démocrate pour la désignation de ses candidats. Compte tenu du déséquilibre institutionnel et financier initial de pouvoirs entre DSA et cette nouvelle organisation, et du fait que les questions de stratégie électorale dépendent de la direction du parti et non de cette nouvelle organisation envisagée ; il n’est pas difficile de prévoir quelle organisation a l’avantage sur l’autre.
Cette idée semble avoir été introduite pour la première fois par Jared Abbott et Dustin Guastella en 2019, Bien que l’idée d’une telle organisation ait été proposée en détail sans le terme par Seth Ackerman en août 20169 . Les dates sont importantes – C’est juste après le défi couronné de succès de Sanders et l’élection en 2018 de quatre membres de « la brigade ». Si un projet électoral aussi ambitieux pouvait avoir une opportunité de développement, c’était certainement au cours des premières années d’élan qui ont suivi la campagne électorale de Sanders entre 2015 et 2017, l’élection de « la brigade » en 2018, et la croissance initiale de DSA. Les membres de DSA élus entre 2018 et 2020, sans le soutien desquels un tel projet ne serait pas crédible précisément parce qu’il s’agit d’un projet électoral centré sur le Parti démocrate, n’ont jamais manifesté d’intérêt pour une tel type d’organisation fondée sur une base militante. Au lieu de cela, ils se sont contentés du caucus des membres progressistes du Congrès, le CPC, d’ONG non lucratives, de campagnes pilotées par des personnels salariés, comme JD et « Our Revolution », et de collecteurs de fonds numériques telles que ActBlue qui facture ses services ou Middle Seat qui réalise son propre profit. Et maintenant, l’élan est perdu, la crise a commencé, et les partisans potentiels d’une organisation de masse, parmi les titulaires actuels de postes de gauche au Congrès, sont étroitement alliés avec la direction du parti.
La crise de la politique électorale (et bien plus encore) ne peut être résolue ou transcendée par un électoralisme « tactique » dans un parti démocrate de plus en plus autoritaire et impopulaire. « Continuons simplement à agir plus fort » fonctionne rarement en pleine crise, surtout quand cette activité fait partie du problème. Comme cela a été le cas tout au long de l’histoire des États-Unis, notamment dans les années 1850-1860 (esclavage), 1890 (populisme agraire et ouvrier), 1930 (travail), 1950-1960 (droits civiques, libération des opprimés, et soulèvements de la base), il a fallu des bouleversements sociaux de masse pour desserrer l’étau des classes dirigeantes sur la politique et réduire les barrières à tout progrès social et politique. Le besoin criant est celui d’un mouvement de la classe ouvrière durable et complet avec les syndicats, des organisations des opprimés, Des expressions politiques indépendantes tant dans les communautés que sur les lieux de travail pour faire les premiers pas vers un nouveau parti de la classe ouvrière. Tout cela doit venir d’abord et avant tout des racines du pouvoir de classe qui se trouvent dans la production de biens et de services. Dans cette tâche apparemment écrasante, les socialistes ont maintenant un couple de choses qui vont en leur faveur.
Le premier est la montée bien documentée de l’action syndicale et ouvrière. Ce n’est pas encore la poussée nécessaire pour sortir de l’impasse, mais c’est un mouvement dans la bonne direction. De plus, contrairement à la politique électorale, la grande majorité des États-Unis l’apprécie favorablement. Le soutien aux syndicats a augmenté depuis 2017, passant de 56 % en 2016 à 61 % en 2023. Gallup a rapporté qu’il avait atteint 71 %en 2022, puis était tombé à 67 % mais je crois que cela est dû à un hasard statistique. Le bond à 71% en 2022 était entièrement dû à un bond soudain et suspect de neuf points de pourcentage dans l’approbation républicaine des syndicats, de 47% en 2021 à 56% en 2022. Il est ensuite retombé à un niveau plus typique pour les Républicains de 47% en 2023, portant la moyenne globale à 67%. Cela donnait l’impression qu’il y avait eu une baisse importante du soutien aux syndicats en 2023, mais rien ne permet de le croire.
Tout d’abord, la baisse rapportée par Gallup en 2023 n’était certainement pas due à une réaction contre les grèves. Le même sondage Gallup a titré une section, « Les Américains favorisent les travailleurs dans les conflits du travail », et montre qu’en 2023, de grandes majorités soutiennent les travailleurs de l’automobile contre les entreprises (75 %), frappant les auteurs de films et de télévision par 72 %, et les acteurs par 67 % contre leurs employeurs. Un sondage Reuters/Ipsos réalisé en septembre lors de la grève de l’UAW des travailleurs de l’automobile de Detroit a montré que 58% des travailleurs soutenaient les grévistes. Un sondage conjoint du 21 au 25 septembre du groupe de stratégies mondiales / GBAO a révélé que 76% des entreprises soutenaient l’UAW contre les sociétés automobiles, Un sondage de CNN du 4 au 9 octobre a révélé que 76 % des sondés étaient d’accord avec les grévistes et seulement 23 % avec les compagnies.
D’autre part un sondage AFL-CIO d’août 2023 réalisé auprès des électeurs inscrits avec un sur échantillonnage d’électeurs de moins de 30 ans, d’électeurs d’origine asiatique et de syndiqués, » un échantillon assez différent que le sondage aléatoire sélectionné par Gallup, 71% des interrogés approuvent les syndicats.
Ce nombre montant à 88% parmi les moins de 30 ans et à 91 % parmi les Démocrates. En plus de cela, 75% des travailleurs soutiennent la grève, 93% pour les Démocrates et 90% pour les moins de 30 ans. Même en tenant compte des biais dans l’échantillon, cela révèle un fort soutien aux syndicats et aux grèves dans les principales circonscriptions. Selon tous les indicateurs des sondages de Gallup, Reuters/Ipsos, GSG/GBAO, AFL-CIO et CNN, un nombre croissant de résidents américains pensent que les syndicats sont une bonne façon d’améliorer leur vie, même s’il faut une grève pour le faire, et généralement seulement moins d’un quart soutient le le capital contre les travailleurs.
Comme nous l’avons vu, cela contraste fortement avec ce que la majorité pense de la politique, des politiciens et du parti démocrate en particulier. Cela inclut Biden, dont l’approbation a atteint 37 pour cent en septembre, tandis que celle de sa gestion de l’économie est tombée à 30 pour cent, selon le sondage Washington Post-ABC.
Le contraste ainsi que le calendrier sont frappants ! Sans doute Biden ou ses conseillers l’ont remarqué, ce qui est une des raisons pour lesquelles le président s’est présenté à un piquet de grève de l’UAW dans le Michigan en septembre. Si les démocrates ont besoin des votes suburbains aisés pour gagner une majorité au Congrès, Biden a besoin des syndicats et du vote des ouvriers pour espérer l’emporter dans les États incertains du Middle West. En fait, Biden n’est pas nouveau quant à l’utilisation politique des piquets de grève au moment des élections. Lors de la grève de GM en 2019, Bloomberg (23 septembre 2019) a rapporté que lorsque les primaires présidentielles ont décollé en septembre, le candidat Biden s’est joint aux membres en grève de l’UAW dans une usine de GM à Kansas City. Le même jour, Elizabeth Warren avait également participé à un piquet de grève à l’usine GM de Detroit-Hamtramck.
Comme l’ancien conseiller de Clinton, Paul Bledsoe, l’a récemment déclaré à Politico au sujet des élections de 2024 : « D’ici le jour des élections, il doit se trouver du côté du travailleur et du consommateur. C’est la politique de notre époque ». Et après ça ? Eh bien, Biden consulte régulièrement la PDG de GM Mary Barra sur l’avenir de l’industrie automobile, qui a visité la Maison Blanche huit fois depuis que Biden est entré en fonction, selon Politico (19 septembre 2023). Un jour pour les travailleurs, huit jours pour le patron. C’est aussi la politique de notre époque.
Bien sûr, l’appui de l’opinion publique ou les apparitions présidentielles ne gagnent pas à elles seules des grèves ou n’apportent pas de succès aux défilés et manifestations. . Cela nécessite une organisation et une lutte de classe directe. Bien que les socialistes ne puissent pas créer eux seuls le mouvement ils ont souvent joué un rôle de premier plan dans le développement et même la direction de la lutte des classes aux États-Unis et dans le monde entier. Même à notre époque, les socialistes ont aidé à mener des actions de masse, depuis le mouvement des enseignants en 2018 jusqu’aux organisations de base d’enseignants, de chauffeurs routiers, d’ouvriers, et d’autres, ainsi que les efforts pour organiser Amazon, et plus encore. Ce sont des mouvements dans lesquels les ; travailleurs participent collectivement et directement et ressentent leur pouvoir, quelque chose que l’on ne ressent plus clairement dans la politique électorale actuelle.
L’accélération du conflit de classe en mouvement, ainsi que sa popularité croissante, est une invitation et un défi pour le mouvement socialiste actuel aux États-Unis à se joindre à nous et à représenter quelque chose de différent. C’est ainsi que nous inspirons les gens à agir, à briser le cynisme et le fatalisme causés par la réalité de la politique électorale dominante, et à aider les gens à changer eux-mêmes afin de changer le monde « d’en bas » et peut-être même à créer un nouveau type de politique démocratique (avec un petit d) de la classe ouvrière aux États-Unis.
Publié par New Politics, traduit par Jean-Claude Vessillier
4 septembre 2024 par Kim Moody
Sur quoi porte le conflit au sein de l’élite sioniste du pouvoir ?
N’allez pas croire qu’il s’agit d’un conflit entre faucons et colombes comme le dépeignent les médias occidentaux.
Non, ne croyez même pas que les masses israéliennes qui manifestent pour exiger un accord menant à un nouvel échange de captifs entre leur gouvernement et le Hamas, cherchent en majorité à mettre fin à la tragédie de Gaza et à en retirer l’armée d’occupation.
Non, comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, l’armée sioniste ne se retirera pas de la bande de Gaza une deuxième fois, puisque même les « modérés » dans ses rangs croient qu’un nouveau retrait signifierait une répétition de la même erreur.
Le conflit politique israélien n’est pas entre ceux qui appellent à un retrait complet de la bande de Gaza et ceux qui insistent pour y rester, mais plutôt entre l’extrême droite, qui appelle à l’annexion de la bande de Gaza à l’État sioniste en expulsant la plupart de ses habitants de la majeure partie de son territoire et en les remplaçant par des colons juifs, et le « centre » sioniste qui se rend compte que le prix de l’annexion et de l’expulsion est plus élevé que ce que son État peut supporter, et préfère donc adhérer au cadre du « Plan Allon » de 1967 qui régit la situation en Cisjordanie, où Israël contrôle des sites stratégiques et des routes entourant les zones de concentration de la population palestinienne.
En d’autres termes, le conflit politique au sein de l’élite du pouvoir sioniste, comme nous l’avons déjà dit, n’est pas entre faucons et colombes, mais entre faucons et vautours.
C’est le cas du conflit entre Benyamin Netanyahou et le « centre » sioniste, qui comprend les partis d’opposition au gouvernement actuel, ainsi qu’une minorité du Likoud lui-même, représentée dans le gouvernement par le ministre de la Guerre Yoav Galant.
La presse israélienne a rapporté la récente confrontation qui s’est déroulée lors d’une réunion du cabinet entre Galant et Netanyahu, en soulignant que le ministre exprimait le point de vue des appareils militaires et sécuritaires. Quel était l’objet de la confrontation ? La discussion a porté sur l’accord de cessez-le-feu que Washington, avec l’aide du Caire et de Doha, cherche à conclure entre le gouvernement et le Hamas.
Nous avons mis en garde dès le début contre toute illusion que cet accord pourrait mettre fin à l’occupation israélienne de Gaza, soulignant que le principal enjeu du point de vue israélien est l’acceptation d’une trêve temporaire avec un retrait limité des forces d’occupation de certaines parties de la bande de Gaza, afin de permettre la libération de la majorité des personnes détenues par le Hamas, et cela avant de poursuivre l’agression pour chercher à réaliser pleinement ses objectifs. Dans ce contexte, nous avons décrit le dilemme de Netanyahu comme suit :
« Ce dernier est pris entre deux feux dans la politique intérieure israélienne :
le feu de ceux qui appellent à donner la priorité à la libération des Israéliens détenus à Gaza, naturellement menés par les familles des détenus, et le feu de ceux qui rejettent toute trêve et insistent pour poursuivre la guerre sans interruption, menés par les ministres les plus extrémistes de l’extrême droite sioniste.
La plus grande pression à laquelle Netanyahu est exposé vient de Washington. Elle coïncide avec les souhaits des familles des prisonniers israéliens dans la quête d’une trêve “humanitaire” de quelques semaines qui permettrait à l’administration Biden de se montrer soucieuse de paix et préoccupée par le sort des civils, après qu’elle a été et reste coresponsable à part entière de la guerre génocidaire que mène Israël, qu’il n’aurait d’ailleurs pas été en mesure de mener sans le soutien militaire des États-Unis. »
Ce qui précède a été publié il y a exactement quatre mois (« La partie de poker entre le Hamas et Netanyahu », 7 mai 2024) et rien n’a changé dans l’équation politique depuis lors.
L’administration Biden doit encore réaliser quelque chose qui prouve sa bonne foi devant l’opinion publique américaine et internationale, et cela est maintenant devenu un besoin de la campagne électorale de Kamala Harris en faveur de laquelle Biden s’est retiré de la course.
Le « centre » sioniste est toujours désireux de créer une opportunité de libérer le plus grand nombre possible d’otages, d’autant plus que la pression populaire en ce sens implique principalement ses partisans. Cependant, ils sont tous d’accord sur le maintien du contrôle israélien sur Gaza à long terme. Ils diffèrent sur la forme et l’étendue du contrôle, et non sur son principe.
Il n’y a pas de preuve plus claire de la vérité du désaccord entre Galant et Netanyahou que ce que le ministre de la Guerre est reporté avoir dit lors de la réunion du cabinet sioniste au cours de laquelle les deux hommes se sont affrontés.
La discussion a porté sur la demande du Hamas, soutenue par Le Caire, de retrait de l’armée d’occupation du « couloir de Philadelphie » à la frontière entre Gaza et l’Égypte.
Alors que l’armée et les appareils de sécurité sionistes sont favorables à ce retrait, l’extrême droite sioniste représentée au cabinet le rejette catégoriquement et menace de dissoudre sa coalition avec Netanyahou s’il acceptait l’accord, ce qui forcerait de nouvelles élections qui pourraient mettre un terme définitif à la carrière politique de ce dernier.
Nous avons donc vu Netanyahou s’accrocher à sa position de refus du retrait du couloir frontalier avec des arguments de sécurité qu’aucun membre de l’élite du pouvoir sioniste ne peut réfuter, car ils savent tous que des armes et du matériel de construction de tunnels sont entrés dans la bande de Gaza depuis le Sinaï égyptien et ils n’ont aucune confiance dans la partie égyptienne en ce qui concerne la surveillance du couloir, ni d’ailleurs en n’importe qui d’autre.
La réponse de Galant et de l’opposition sioniste n’a pas été qu’il n’était pas nécessaire qu’Israël contrôle le couloir.
Au lieu de cela, certains se sont appuyés sur la proposition des services de sécurité d’effectuer une surveillance électronique de la bande frontalière sans déploiement permanent de troupes israéliennes, tandis que Galant a résumé le désaccord entre lui et Netanyahu, selon ce qui a été rapporté par les médias israéliens, comme un choix « entre la vie des otages ou rester dans le couloir de Philadelphie pendant six semaines ».
En d’autres termes, selon Galant, il ne s’agit que d’un retrait du corridor durant six semaines, pour permettre la libération de la plupart des personnes détenues par le Hamas, sachant que l’armée d’occupation reprendrait le contrôle direct de la frontière après l’achèvement de la première étape de l’accord souhaité par Washington.
Tout le monde sait que la deuxième étape hypothétique de cet accord, qui porte sur le retrait complet de l’armée d’occupation de la bande de Gaza, ne se produira jamais. Ils sont tous hypocrites.
Traduction de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est paru le 3 septembre en ligne et dans le numéro imprimé du 4 septembre. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.
4 septembre 2024 Gilbert Achcar
Dave Kellaway réagit au discours du Premier ministre britannique Keie Starmer du 27 août et aux premiers mois du nouveau gouvernement.
De nombreux hauts responsables du Parti travailliste sont fascinés par la politique américaine, en particulier par le Parti démocrate. Ils imitent souvent ses messages et ses stratégies électorales. Il est facile d’imaginer qu’ils préféreraient une structure de parti de type démocrate, où les membres ont encore moins d’influence et les syndicats moins de pouvoir. Il n’est donc pas surprenant qu’un collaborateur astucieux ait eu l’idée d’un discours d’ouverture en forme de « roseraie » pour Starmer ce mardi.
Le jardin de Downing Street n’est pas vraiment une roseraie, mais le nom évoque la Maison Blanche, l’atmosphère présidentielle. Le fait d’organiser le discours à l’endroit même où Johnson et son équipe ont fait la fête pendant les restrictions imposées par le Covid était un choix astucieux, car Starmer a condamné le désastre économique et la corruption de quatorze années de mauvaise gouvernance des conservateurs.
Sur le ton solennel qui le caractérise, M. Starmer a essentiellement soulevé deux points.
Premièrement, il a affirmé que les conservateurs avaient dissimulé un trou de 22 milliards de livres sterling dans les finances publiques.
Deuxièmement, il a affirmé que ce déficit signifiait que le Parti travailliste ne pouvait pas réaliser toutes ses ambitions.
Des décisions « difficiles » en matière d’impôts et de dépenses étaient nécessaires pour jeter les bases de l’économie, afin que de meilleures politiques puissent être mises en œuvre par la suite.
Il n’est pas surprenant qu’un nouveau gouvernement disposant d’une large majorité fasse passer des politiques impopulaires dès le début. Les conservateurs sont en plein désarroi. Les signes d’une résistance significative au sein du groupe parlementaire du Parti travailliste sont minimes : seuls sept députés se sont rebellés contre le plafonnement des allocations pour deux enfants.
La résolution des conflits salariaux avec les médecins, les conducteurs de train et d’autres travailleurs du secteur public a satisfait les dirigeants syndicaux. La suppression de la législation sur le niveau de service minimum introduite par les Parti travailliste, accompagnée de la promesse d’une nouvelle législation du travail destinée à faciliter l’organisation des syndicats, suit une voie similaire.
L’opinion publique, bien qu’elle soit tiède et que la cote personnelle de M. Starmer soit actuellement en baisse, s’aligne probablement sur sa critique générale du gâchis laissé par les conservateurs. Les propositions visant à introduire des augmentations d’impôts limitées sur les riches, par le biais d’ajustements de l’impôt sur les plus-values, de l’impôt sur les successions et des dispositions relatives à l’impôt sur les pensions, sont populaires à la fois au sein du Parti travailliste et de manière plus générale.
Même certains indicateurs économiques s’améliorent pour le gouvernement. On pourrait parler d’une période de lune de miel, même si elle n’est pas passionnante.
Comme Grace Blakeley l’a clairement expliqué dans son article de la Tribune, ce supposé trou noir de 22 milliards de livres est une tactique de peur, conçue pour tromper le public avec une perspective partielle et idéologique de l’économie. D’une part, il inclut les milliards nécessaires pour résoudre les grèves du secteur public. Contrairement aux riches qui thésaurisent leurs actifs, ces travailleurs dépenseront leurs revenus, ce qui stimulera l’économie.
Résumons ses principaux points :
- Dans un pays riche comme la Grande-Bretagne, les dépenses publiques ne sont pas limitées à court terme par les recettes fiscales.
- De nouvelles dettes peuvent être émises, et tant qu’elles sont utilisées pour des investissements productifs, tels que des mesures de transition écologique, l’argent peut être récupéré au fil du temps. C’est ce qu’a fait le gouvernement Attlee après la guerre, malgré une situation économique bien pire, et il a mis en place l’État-providence.
- L’État britannique contrôle le système monétaire – il est tout simplement faux de dire que l’État doit s’incliner devant les marchés mondiaux. Il est intervenu pour sauver les banques en 2008, lorsque les marchés mondiaux ont failli provoquer l’effondrement de l’économie.
- Le gouvernement pourrait taxer les grandes entreprises qui ont réalisé d’énormes profits pendant la crise du coût de la vie – les profits des entreprises énergétiques à elles seules dépassent de plusieurs fois les 22 milliards de livres sterling.
- Il pourrait également réglementer la manière dont les banques émettent des crédits et abaisser les taux d’intérêt, qui rendent actuellement les emprunts d’État plus coûteux. L’assouplissement quantitatif utilisé après 2008 et pendant la Covid a transféré 44 milliards de livres sterling à la Banque d’Angleterre, dont la majeure partie a fini dans les coffres des banques commerciales.
Comme le conclut à juste titre M. Blakeley, la décision de poursuivre les mesures d’austérité est un choix politique. Starmer pourrait choisir d’intervenir dans l’économie de la même manière qu’un gouvernement conservateur l’a fait pendant la crise de Covid, lorsque les indemnités de chômage partiel protégeaient les revenus des citoyens. Il est tout simplement absurde d’affirmer que la réduction des allocations de chauffage pour les retraités et le maintien du plafond des allocations familiales pour deux enfants sont des « choix difficiles ». Ce ne sont pas les personnes qui sont les mieux armées pour subir ce genre de choix.
Un choix vraiment difficile consisterait à mettre en œuvre un impôt sur la fortune efficace, car cela provoquerait une réaction brutale de la part des riches, qui contrôlent la quasi-totalité des médias. Les riches utiliseraient les marchés et leurs alliés de la City de Londres pour tenter de perturber le gouvernement, mais il faut parfois tenir tête à ceux qui sont les plus solides. Starmer ne le fera pas, car c’est avec ces gens-là qu’il veut s’associer pour générer la croissance qui, soi-disant, se répercutera sur le reste d’entre nous.
Le doux parfum et les mots doux émanant de la roseraie ont été en partie éclipsés par la puanteur du copinage dirigé contre les dirigeants de Starmer. Bien sûr, c’est un peu fort de la part d’une presse dominée par les conservateurs qui n’a jamais exploré à fond la corruption morale endémique de Johnson. Néanmoins, les preuves présentées et les volte-face soudaines affaiblissent la prétention du Parti travailliste de faire le ménage.
Des donateurs et des conseillers du Parti travailliste ont obtenu des postes dans la fonction publique ou un accès privilégié à Downing Street. Il a été révélé que Wahid Ali, l’un des principaux donateurs du Parti travailliste, a offert à Starmer 14 000 dollars pour des costumes et des lunettes élégants. Pour être honnête, il a effectivement meilleure allure, mais ce relooking devrait être prélevé sur son salaire. Private Eye a également découvert que Starmer et Reeves ont bénéficié de cadeaux, tels que des vacances, de la part de donateurs.
Même si ce n’est pas de la même ampleur que les scandales des conservateurs, cela n’a rien de réjouissant pour des millions de retraité·es qui devront choisir entre se chauffer et manger cet hiver, alors que les compagnies d’énergie augmentent encore leurs factures de 10 %.
L’idée selon laquelle nous devrions réduire l’allocation de chauffage d’hiver parce que de riches retraité·es comme Richard Branson en bénéficient est facilement réfutable. Il suffit de récupérer le coût de cette allocation pour tout le monde – afin qu’aucun·e retraité·e pauvre ou moyen n’en soit privé·e – en taxant davantage les riches. Les prestations universelles, comme le NHS, garantissent qu’il est dans l’intérêt de tous d’améliorer le système – il s’agit d’une prestation communautaire.
Sharon Graham, leader du syndicat UNITE, a également critiqué le discours, le qualifiant de « sombre » et déclarant qu’il était « temps de voir le changement promis par le Parti travailliste ». Elle a ajouté : « Nous n’avons plus besoin d’excuses sur la responsabilité fiscale ou de parler de création de richesse. Nous ne devrions pas opposer les retraités aux travailleurs ; ce n’est pas un choix qui devrait être sur la table ».
Même The Guardian, qui s’est montré relativement peu critique à l’égard du nouveau gouvernement travailliste (il suffit de regarder des chroniqueurs comme Behr, Kettle, Toynbee et Freedland), a réussi à souligner dans un éditorial que : » Sans un sentiment d’espoir et de progrès, le Parti travailliste encourra l’impopularité. Le montant qu’un gouvernement doit emprunter et dépenser devrait être déterminé par l’état de l’économie, et non par le niveau d’endettement que lui a laissé son prédécesseur ».
L’humoriste John Crace a bien résumé le problème de crédibilité du discours : « Il ressemblait au maçon qui vous dit que vous avez besoin d’un toit entièrement neuf alors que vous l’avez appelé pour nettoyer les gouttières ».
L’une des meilleures réponses au discours a été la déclaration publiée par Jeremy Corbyn et les quatre autres députés de la gauche indépendante :
La politique est une question de choix – et le gouvernement choisit d’infliger de la souffrance et de la pauvreté dans tout le pays.
Le gouvernement avait annoncé qu’il réduirait les factures d’énergie. Au lieu de cela, il a réduit l’allocation de chauffage en hiver pour les retraités.
Le gouvernement a dit qu’il voulait relancer notre économie, mais au lieu de cela, il veut réduire les investissements publics.
Au lieu de cela, il veut réduire les investissements publics. Le gouvernement a déclaré qu’il mettrait fin à 14 années d’échec des conservateurs. Au lieu de cela, il a voté pour maintenir le plafond des allocations pour deux enfants.
Nous refusons d’accepter que la pauvreté soit inévitable dans la sixième économie mondiale.
Il y a beaucoup d’argent. Il est simplement entre de mauvaises mains.
Le gouvernement doit s’opposer aux profiteurs avides en mettant fin à la privatisation de l’eau, de l’énergie, du courrier et des soins de santé. Il doit maintenir l’allocation de chauffage d’hiver pour tous les retraités. Et il devrait introduire des impôts sur la fortune pour mettre fin à la pauvreté des enfants et reconstruire nos services publics.
La décision de priver nos services publics de ressources a été une décision politique. Et ce sera une décision politique de répéter cette expérience économique ratée.
Un choix difficile consiste à décider s’il faut chauffer sa maison ou mettre de la nourriture sur la table. L’austérité n’est pas un choix difficile. C’est un mauvais choix.
Le bon choix consiste à investir dans les communautés afin d’apporter le véritable changement dont nos électeurs ont besoin, qu’ils exigent et qu’ils méritent.
Adnan Hussain, député de Blackburn ; Ayoub Khan, député de Birmingham Perry Barr ; Iqbal Mohamed, député de Dewsbury et Batley ; Jeremy Corbyn, député d’Islington North ; Shockat Adam, député de Leicester South.
Contrairement à l’ère Blair, nous avons maintenant une situation politique où il existe un groupe indépendant de députés à la gauche du Parti travailliste au Parlement. La question s’est posée de savoir si les député·es élu·es dans des circonscriptions où vivent d’importantes communautés musulmanes, en grande partie à cause de la question de Gaza, adopteraient des positions de gauche sur les politiques sociales et économiques. La déclaration ci-dessus suggère que la réponse est oui. La victoire de Corbyn à Islington semble désormais cruciale pour favoriser le développement politique de ce groupe.
Si l’on ajoute à ce groupe les sept député·es travaillistes qui rompu avec la discipline majoritaire de leur rébellion sur le plafonnement des allocations pour deux enfants, il devient évident qu’il sera possible d’établir un lien entre l’action de masse à l’extérieur du Parlement et les députés à l’intérieur de celui-ci. Nous savons également qu’il existe un malaise généralisé au sein du PLP à propos de la décision sur les allocations pour deux enfants et de la réduction des aides pour le chauffage en hiver.
Il semblerait que cette inquiétude existe même au sein du Cabinet. Les dirigeants syndicaux ont déjà critiqué ces décisions et des résolutions ont été adoptées à ce sujet lors du prochain congrès du TUC. Le fait que le gouvernement ait réglé les revendications salariales du secteur public démontre que l’action de grève peut être payante et faire pression sur un gouvernement du Parti travailliste.
Pendant les élections, certains membres de la gauche ont affirmé qu’il y avait peu de différence entre un gouvernement travailliste et un gouvernement conservateur. Ils ont rejeté l’approche de ACR consistant à « chasser les conservateurs » et ont plutôt appelé à ne pas voter pour le « Parti travailliste », même dans les sièges marginaux ou lorsqu’aucun candidat de gauche indépendant crédible ne se présentait.
Nous pouvons déjà constater que la lutte de masse, les campagnes et la pression politique peuvent avoir un impact plus rapide et plus important sur un gouvernement Parti travailliste que sur un gouvernement Tory – bien que cela ne se produise pas sur toutes les questions ou dans tous les contextes. Si nous continuons à adopter une approche sectaire à l’égard du Parti travailliste et de ses membres, nous limiterons l’ampleur et l’impact de nos campagnes. Nous devons créer le plus de tensions possibles au sein du mouvement travailliste et du PLP entre la ligne de Starmer et la défense des intérêts de la classe ouvrière.
L’Assemblée populaire appelle à une grande manifestation lors de la conférence du Parti travailliste le 22 septembre à Liverpool, centrée sur les questions d’austérité. Les manifestations nationales de solidarité avec la Palestine se poursuivent depuis le 7 septembre. Fergal Sharkey et les associations écologiques organisent une manifestation de masse le 26 octobre contre les compagnies des eaux, exigeant une action gouvernementale décisive. Les socialistes devraient soutenir toutes ces initiatives et d’autres similaires.
Le gouvernement de Starmer dispose peut-être d’une majorité écrasante, mais il n’a qu’un mince mandat populaire, basé sur un peu moins d’un tiers des électeurs inscrits. La politique d’aujourd’hui est plus volatile. Les demi-mesures du Parti travailliste, son discours sur le trop grand nombre d’immigrés et les attaques contre le niveau de vie pourraient entraîner une hausse continue du soutien au Parti réformiste raciste de Farage et à des éléments plus extrêmes.
Entretien avec Vincent Tiberj conduit par Clémence Mary et Victor Boiteau
C’est le livre à mettre entre les mains d’Emmanuel Macron et des responsables politiques qui refusent d’entendre la victoire du Nouveau Front populaire aux dernières législatives et qui posent comme une évidence l’idée que la France se droitise.
Ils sont nombreux, responsables politiques et éditorialistes s’appuyant sur les scores du Rassemblement national, à affirmer ce penchant à droite, le désir d’une société pour un retour des valeurs conservatrices et traditionnelles de la droite – rejet de l’immigration, famille, ordre, mérite. Dans un ouvrage à paraître le 4 septembre, la Droitisation française, mythe et réalités (PUF), le sociologue et professeur à Sciences-Po Bordeaux Vincent Tiberj déconstruit ce discours. S’il s’attend déjà à un procès en naïveté, le chercheur défend la thèse, données statistiques à l’appui, d’une droitisation non pas des citoyens mais de la scène politique et médiatique, en décalage avec une société plus tolérante qu’il y a un demi-siècle.
Avez-vous envoyé votre livre à Emmanuel Macron qui a passé sept ans à courir après les voix de la droite?
Je ne sais pas [rires]. Les macronistes et les responsables politiques de droite considèrent qu’ils ont encore un coup à jouer et refusent d’entendre ce que les Français ont exprimé le 7 juillet: un attachement à une autre société, aux valeurs de la République, une ouverture à l’autre, à une autre réforme des retraites.
Vous avez écrit l’essentiel de votre livre avant les élections européennes puis législatives. Ont-elles changé quelque chose pour vous?
Ces élections ont été un crash test pour ma thèse. Les élections européennes illustrent l’idée d’une «grande démission» de la part des électeurs post-baby boom et millennials: ceux qui votent sont de plus en plus conservateurs et de moins en moins représentatifs, tandis que ceux qui s’abstiennent pourraient être des réserves pour la gauche.
La nouveauté du RN (Rassemblement national) réside dans sa capacité à séduire des conservateurs parmi les sexagénaires et les septuagénaires qui ne s’autorisaient pas jusque-là ce vote. Le premier tour des législatives a montré combien la droite et l’extrême droite pouvaient être fortes, alors que le second tour et la victoire du NFP (Nouveau Front populaire) racontent une autre histoire, la possibilité de remobiliser une société, pas forcément par adhésion mais d’abord pour exprimer quelque chose comme citoyen. Ce qu’on a vu dans ces élections, c’est une divergence entre ce qu’il se passe sur la scène politique et dans la société.
Ces résultats électoraux semblent plaider en faveur d’une droitisation des Français…
C’est un trompe-l’œil. Il n’y a pas de droitisation par en bas, chez les citoyens, mais par en haut, du côté de la scène politique et médiatique. Ce sont les campagnes qui modèlent des électeurs. En conséquence, certaines valeurs ont plus de poids dans les urnes qu’elles n’en avaient auparavant ; d’autres valeurs pourraient structurer autrement le champ politique. Celles-ci sont désavantagées car on n’en parle pas. Et les citoyens pouvant les porter ne sont pas ceux qui ont un rapport constant au vote. Il y a aussi un paradoxe: les évolutions culturelles de long terme sur l’homosexualité, les rapports de genre, l’immigration et sur les aspects socio-économiques ne se traduisent pas dans les urnes, du fait de cette divergence entre les citoyens et les électeurs.
Comment expliquez-vous ce décalage entre une absence de droitisation «par en bas» et la progression de l’extrême droite dans les urnes?
Une élection, c’est un ensemble de phénomènes. Le plus important, ce sont les thèmes structurant la campagne. Les partis jouent sur des cordes de valeurs, les politisent. Les questions socio-économiques, les inégalités, les services publics, ne sont pas un terrain favorable aux droites. Lors d’une campagne sur l’insécurité, le «wokisme» ou l’immigration, c’est la gauche qui joue en défense.
En parallèle, l’ancien rapport au vote et aux partis, la remise de soi à des élus, ne fonctionne plus. Tout cela ne permet pas à des électeurs qui pourraient se mobiliser de le faire, et la droitisation par le haut finit par ruisseler. Elle permet à des citoyens conservateurs de se sentir légitimes et moins seuls. C’est une question d’hégémonie culturelle. On l’a vu lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, des citoyens ont entendu des figures politiques et médiatiques mettre des mots sur un certain malaise qu’ils pouvaient ressentir. Pour la gauche, la question environnementale a tout le potentiel pour devenir le prochain grand clivage, avec des dimensions sociales, territoriales. C’est une des prochaines pistes de restructuration idéologique, notamment si la gauche parvient à la lier à la question sociale.
Sur quels outils vous fondez-vous pour mesurer ces évolutions sur la tolérance?
Comment mesurer ce que pensent les citoyens, c’est vieux comme la démocratie. «Le terrain nous dit que…», «les Français pensent que…» sont des questions classiques invoquées par les oppositions comme les majorités politiques, mais aussi par les médias ou les intellectuels qui s’en servent pour se positionner. On a de plus en plus de moyens de saisir ce que les citoyens disent de la société, sur les réseaux sociaux par exemple. Derrière, c’est le recours aux sondages qui interroge.
Pléthore d’enquêtes sont faites par Internet avec des access panels [panel créé par un institut de sondage, ndlr] qui ont des biais politiques, conduisant ainsi à une surdéclaration du vote RN. Et donc la partie conservatrice de la société. De mon côté, je travaille sur la quantité, avec une approche cumulative de l’ensemble des données d’opinion disponible. Penser la droitisation se réfléchit dans le temps long, en ayant en tête que les sondages ne sont pas parfaits, que les questions peuvent être biaisées, notamment sur l’immigration. C’est par l’accumulation des séries qu’on obtient une approche fluide et robuste des données d’opinion.
A quelles conclusions êtes-vous parvenu?
Des années 70 à aujourd’hui, la société française a considérablement progressé sur les questions culturelles comme la tolérance à l’homosexualité. Depuis le milieu des années 80 les choses ont aussi beaucoup progressé sur l’immigration, le racisme biologique, l’antisémitisme, la xénophobie, l’acceptation des enfants d’immigrés comme étant des Français comme les autres. Plus une génération est récente, moins il y a de xénophobie chez elle. Ça ne veut pas dire que tous les jeunes sont tolérants. Et en matière de tolérance, il y a des hauts et des bas, des moments de crispation ou de progression.
Lesquels, par exemple?
Les émeutes de 2005 [1] ont été un moment de crispation frappant qui a fait baisser l’indice de tolérance, car elles ont été cadrées comme étant celles de l’immigration et liées à l’islam. Après les attentats de 2015, c’est l’inverse, on assiste à un moment de progression impressionnant. Ce n’est pas l’événement en tant que tel qui crée la xénophobie mais la manière dont on en parle. Les manifestations «Je suis Charlie» et les prises de position de grandes figures ou d’associations ont recréé de la tolérance, à l’inverse de la remontée identitaire qui a eu lieu aux Etats-Unis après le 11 septembre. Ce qu’on voit sur nos écrans et ce qu’on perçoit des débats publics ne reflète pas la société.
Ce travail s’appuie sur du déclaratif, mais d’autres rapports, notamment du ministère de l’Intérieur, enregistrent ces derniers mois une hausse des actes racistes et antisémites.
C’est comme sur l’acceptation de l’homosexualité: sur le déclaratif, les progrès sont impression-nants. En parallèle, des agressions homophobes sont enregistrées très régulièrement. D’une part, car les personnes agressées, qu’elles soient homosexuelles, juives, le disent davantage. D’autre part, les pouvoirs publics ont pris conscience de la gravité de ces actes. L’attentat contre une synagogue à La Grande-Motte [24 août] montre qu’il y a une persistante de l’antisémitisme et on sait que les actes antisémites sont en augmentation depuis le 7 octobre notamment.
Mais en termes d’opinion, l’antisémitisme continue à reculer. Aujourd’hui, plus de 90% de Français disent que les Juifs sont des Français comme les autres, contre 60% en 1966, et un tiers en 1946. Qu’on ait accepté que certaines opinions ne se disent plus est important, d’autant que dans les enquêtes par Internet, il n’y a pas d’enquêteur qui incite à se censurer. C’est la première étape vers le changement, sans compter les effets de conversion des citoyens adultes, qui se font challenger par leurs enfants et petits-enfants et évoluent.
Les campagnes récentes ont pourtant montré une libération des paroles racistes.
La manière de parler des questions migratoires a changé. Parler de l’islam permet d’aborder l’immigration et de tordre des concepts comme la laïcité, la République, l’égalité entre les hommes et les femmes, pour libérer des préjugés et des actes antimusulmans. Le voile étant depuis plus de vingt ans associé à l’idée de «grand remplacement», on a légitimé le fait d’être contre, donc contre l’islam. Cette France-là existe, elle est importante numériquement, mais elle n’est qu’une partie de l’image. A côté de ces agressions racistes, toute une partie de la société, qu’on ne voit pas, accepte de mieux en mieux la diversité ethnoculturelle, y compris des pratiques comme le voile, qui est considéré dans les générations qui arrivent comme une manière d’être parmi d’autres.
Les valeurs culturelles ont donc pris le pas sur les valeurs socio-économiques comme moteur du vote?
Oui. La montée en puissance du vote culturel remonte aux années 90 pour la gauche et à Nicolas Sarkozy pour la droite. Le paradoxe, c’est qu’il y a des hauts et des bas. Les demandes de redistribution montent et baissent selon une logique thermostatique. Les citoyens ne sont pas dans une acceptation homogène du règne du libéralisme. L’attachement à la justice fiscale, au contrôle par l’Etat des entreprises, à la protection et aux aides sociales, reste fort y compris dans les catégories populaires. Mais ces sujets produisent moins de votes. On en parle peu, ou d’une manière individualiste. On valorise par exemple le pouvoir d’achat pour soi et non la redistribution pour tous.
Parmi les catégories populaires, la conscience d’appartenir à un collectif a baissé, rendant les appels à l’égalité moins opératoires. A l’exception des boomers, les catégories populaires ne votent plus, même pour des élections de premier ordre. Aux législatives de 2024, malgré l’appel au front républicain, près de 40% des ouvriers ne se sont pas déplacés.
Depuis 2017, quel rôle le macronisme a-t-il joué dans cette droitisation relative?
Il en est l’un des acteurs, les médias bolloréens [Vincent Bolloré contrôle C8, CNews, Télé-Loisirs, Gala, Voici, Capital, Paris-Match, Le Journal du dimanche, etc.] en sont un autre. Entre le discours des Mureaux, où Emmanuel Macron parlait à la fois d’un séparatisme musulman et des discriminations, et la loi immigration telle qu’elle a été adoptée, c’est la partie droite qui l’a emporté. C’est étonnant car le vote pour Macron, en 2017 et en 2022, est d’abord libéral libertaire: favorable au libéralisme économique et à la diversité, au multiculturalisme. Alors que son électorat est sur cette ligne, Emmanuel Macron est allé chasser sur les terres du RN pour le dégonfler. Or quand un parti de droite commence à investir les enjeux de l’extrême droite, à utiliser sa façon de parler, celle-ci s’en trouve légitimée et renforcée, ça s’est déjà produit en Europe et se confirme de nouveau en France. (Entretien publié le 25 août 2024 par le quotidien français Libération)
[1] Le soulèvement initial à Clichy-sous-Bois en octobre 2005 s’est produit suite à la mort de deux adolescents – Zyed Benna et Bouna Traoré – électrocutés dans l’enceinte d’une poste électrique alors qu’ils cherchaient à échapper à un contrôle de police. Une série d’événements se sont enclenchés et le soulèvement s’est étendu à l’ensemble de la Seine-Saint-Denis. L’état d’urgence a été déclaré le 8 novembre pour une durée de trois mois. Environ 3000 personnes ont été interpellées – dans le contexte de dégradation d’infrastructures – avec trois décès dans la population. (Réd. A l’Encontre)
Écrivain, militant, sociologue et directeur du Centre d’études pour la démocratie socialiste, Reinaldo Antonio Iturriza López revient dans cet entretien réalisé par Federico Fuentes pour LINKS International Journal of Socialist Renewal sur les récits concurrents – et insatisfaisants – qui entourent l’élection présidentielle du 28 juillet au Venezuela.
L’élection présidentielle du 28 juillet semble être une répétition des élections précédentes, l’opposition dénonçant à nouveau des fraudes et le gouvernement dénonçant une fois de plus une tentative de coup d’État. Quelle est votre analyse ?
Permettez-moi tout d’abord de rappeler les analyses typiques qui sont faites à chaque fois qu’une élection a lieu au Venezuela. En règle générale, le point de départ – étayé par des preuves factuelles – est que chaque campagne voit s’affronter deux camps antagonistes : l’ensemble des forces alignées sur le programme de la révolution bolivarienne contre l’ensemble des forces qui s’y opposent.
À partir de là, les interprétations varient quant aux raisons pour lesquelles le premier camp est au pouvoir depuis 25 ans. Une partie de la gauche a tendance à considérer les victoires successives du chavisme comme la preuve de l’énorme capacité de résistance de sa base et de l’incontestable capacité politique de sa direction à neutraliser les attaques de l’impérialisme et à empêcher les forces les plus réactionnaires de revenir au pouvoir.
De son côté, la droite construit un récit selon lequel le maintien au pouvoir du chavisme ne peut s’expliquer que par son caractère autoritaire : toutes ses victoires électorales seraient forcément sujettes à caution ou dépourvues de légitimité et résulteraient de la manipulation des masses par le gouvernement, de l’utilisation abusive des ressources publiques lors des campagnes électorales et de la discrimination généralisée des leaders de l’opposition, ou encore de la fraude.
Une autre partie de la gauche reprend à son compte certains de ces points de vue pour se dissocier du chavisme, qu’elle considère comme autoritaire, irrespectueux du principe de l’alternance démocratique, usant de manœuvres contre l’opposition, réprimant les manifestations publiques, restreignant les libertés, contrôlant les institutions et portant la responsabilité des dérives économiques.
En réponse, la partie de la gauche qui a une évaluation plus positive de la révolution bolivarienne a tendance à dénoncer le système de deux poids, deux mesures qui prévaut lorsqu’il s’agit du Venezuela. Elle souligne que ce qui est identifié comme des erreurs, des faiblesses ou des excès du chavisme au pouvoir est considéré comme normal dans n’importe quel autre pays démocratique – sans même parler du silence lorsqu’il s’agit de sociétés soumises à des régimes véritablement dictatoriaux ou face au génocide à Gaza, par exemple.
Tels sont les faits et les différentes interprétations de ces faits, exposés de manière très résumée. Périodiquement, des élections ont lieu au Venezuela où des courants différents s’affrontent. Ensuite, une fois les résultats connus, nous passons à la phase de débat sur ce qui s’est passé, sur la base d’évaluations fondées sur des convictions politiques préexistantes. C’est normal, c’est comme cela que ça s’est passé et, en principe, tout indique que ça va continuer comme ça. Il ne semble donc pas utile d’essayer d’expliquer ces différentes interprétations, car nous savons déjà qu’elles ne font que refléter des positions politiques préexistantes, etc.
Si l’on veut vraiment comprendre ce qui se passe au Venezuela, il faut plutôt partir de ce qui s’est réellement passé, c’est-à-dire des faits incontestables. Comme il s’agissait d’une élection présidentielle, nous devons non seulement nous intéresser aux forces politiques en présence – ce qui inclut, bien sûr, l’influence pernicieuse exercée par l’impérialisme américain – mais aussi et surtout au détenteur de la souveraineté populaire, c’est-à-dire aux citoyens.
Le premier fait à garder à l’esprit est que les Vénézuéliens qui ont voté le 28 juillet l’ont fait dans un contexte de profonde crise de la représentation politique. D’une manière générale, la classe politique est dans le pire état qu’elle ait connu au cours des 25 dernières années.
D’une part, nous avons une classe politique anti-chaviste plombée par le poids accumulé des défaites successives, vilipendée par sa base sociale, en proie à ses propres contradictions, sans direction incontestée et fédératrice, avec peu de clairvoyance stratégique, sous la férule du gouvernement américain, et qui paie le prix de ses dérives anti-démocratiques qui ont dilapidé tout son capital politique.
D’autre part, nous avons une classe dirigeante qui est également en proie à ses propres contradictions. Cela a généré un conflit interne dans lequel les tendances les plus conservatrices et pragmatiques l’ont emporté et ont imposé ce que le marxiste italien Antonio Gramsci a appelé l’anti-programme de la révolution passive. La classe ouvrière a alors cessé de constituer l’épine dorsale du bloc de forces au pouvoir.
Depuis la défaite de la classe dirigeante aux élections législatives de 2015 (un signe clair de la fracturation de ce bloc hégémonique national et populaire), mais surtout à partir de septembre 2018 (lorsqu’elle a commencé à mettre en œuvre un programme économique d’un monétarisme orthodoxe), cette classe a tenté de recomposer son bloc dirigeant par le haut avec des fractions de la classe capitaliste.
Ce processus a créé les conditions d’une désintégration progressive de sa force politique qui lui venait d’en bas. Au cours de la dernière décennie, d’énormes contingents de ce qui était autrefois la base ouvrière du gouvernement se sont désaffiliés du chavisme.
Une partie importante de la société vénézuélienne se trouve à nouveau dans une « situación de vaciamiento ideológico » (situation de vide idéologique), pour reprendre une expression du marxiste bolivien René Zavaleta Mercado. Ce phénomène avait disparu du pays depuis les années 1990 et, il faut le souligner, il s’agissait d’un problème politique de premier ordre que le chavisme a réussi à résoudre.
Quelles sont les implications de tout cela pour les élections présidentielles du 28 juillet ? Tout d’abord, il est évident que les deux forces se sont lancées dans la campagne avec des bases sociales profondément affaiblies. Deuxièmement, le changement stratégique opéré par la classe dirigeante implique la remise en question d’un fait autrefois considéré comme acquis, à savoir que les élections sont un affrontement entre deux projets historiques opposés. Le débat programmatique a été pratiquement absent tout au long de la campagne.
Troisièmement, et en lien direct avec le point précédent, un important contingent de citoyens – ceux qui se trouvent dans une « situation de vide idéologique » – a exercé son droit de vote alors qu’il ne se sentait représenté par aucun candidat. Enfin, une part considérable du vote en faveur du candidat de l’opposition ne traduisait pas une identification avec l’anti-chavisme mais était fondamentalement un vote contre le gouvernement. L’inverse est également vrai : une partie du vote pour le candidat officiel n’était pas l’expression d’un soutien au gouvernement, mais plutôt d’un refus d’une victoire possible de l’ultra-droite.
Il est important de souligner que, dans une telle situation, il était crucial que l’arbitre électoral ne laisse aucune place au doute quant au résultat, en garantissant la réalisation des opérations de vérification requises et en publiant les résultats répartis par bureau de vote. Non seulement cela n’a pas eu lieu, mais les explications du Conseil national électoral (CNE) sur les raisons pour lesquelles il n’a pas été en mesure de remplir ses fonctions – à savoir un piratage du système de vote – ont été franchement insuffisantes, c’est le moins que l’on puisse dire.
Tout cela signifie que les interprétations habituelles sont totalement inadéquates pour évaluer ce qui s’est passé au Venezuela depuis le 28 juillet. Elles reposent, au mieux, sur des lectures superficielles et, au pire, sur une méconnaissance totale de ce qui s’est passé ces dernières années en termes d’équilibre des forces politiques.
Il est également manifeste qu’au-delà des versions opposées des événements (fraude ou tentative de coup d’État), nous nous trouvons dans une situation où le doute raisonnable, et avec lui un véritable sentiment de malaise, s’est installé au cœur de la société vénézuélienne. Les manifestations populaires du 29 juillet en sont le résultat direct. Il ne fait aucun doute que les deux camps ont cherché à peser sur le cours des événements de ce jour-là : l’un en cherchant à capitaliser sur le mécontentement et à attiser la violence, l’autre en imposant l’ordre. Nous pouvons clairement affirmer qu’aujourd’hui, l’ordre règne au Venezuela, même si des doutes subsistent et qu’un sentiment de malaise demeure.
Selon vous, pourquoi le CNE et le gouvernement n’ont-ils pas encore publié les résultats du vote et les feuilles de décompte ? Que pensez-vous de l’arrêt de la Cour suprême (TSJ) ?
Il convient de rappeler les mots exacts du dirigeant du conseil électoral, Elvis Amoroso, lorsqu’il a communiqué le premier bulletin officiel aux premières heures du 29 juillet. Il a déclaré : « Les résultats bureau de vote par bureau de vote seront disponibles sur le site web du Conseil National Electoral dans les prochaines heures, comme cela a toujours été le cas, grâce au système de vote automatisé. De même, les résultats seront remis aux organisations politiques sur CD, conformément à la loi ». Comme je l’ai déjà dit, non seulement cela n’a pas eu lieu, mais les explications ont été franchement insuffisantes.
J’ajouterai que la publication des résultats de manière détaillée et vérifiable n’est pas seulement une question technique, c’est une question de fond : nous parlons de quelque chose qui est à la fois une obligation de l’arbitre électoral et une chose à laquelle a droit le peuple vénézuélien, qui a le sentiment que ce droit lui a été volé. La situation n’a pas changé à la suite de la décision du TSJ, qui a validé les résultats du CNE tout en l’invitant à les publier conformément à la loi, c’est-à-dire dans les 30 jours suivant la nomination officielle du nouveau président de la République.
Comment voyez-vous le rôle qu’ont joué les gouvernements latino-américains ?
Je voudrais mettre l’accent sur le rôle joué par les gouvernements colombien, brésilien et mexicain. À mon avis, ils sont véritablement motivés par la volonté de jouer un rôle de médiateur entre les parties en présence, tout en accordant la priorité à la reconnaissance de la volonté du peuple. Leurs déclarations publiques ont été marquées, du moins jusqu’à présent, par le bon sens, ce qui me semble essentiel à l’heure actuelle. Je crois qu’il est juste de souligner la nécessité d’une « publication en toute transparence de résultats ventilés et vérifiables ». Une telle position est conforme aux intérêts de la majorité de la classe ouvrière de notre pays.
Avec un peu de recul, comment en sommes-nous arrivés à cette situation ? Plus précisément, comment qualifieriez-vous la voie suivie par le gouvernement de Nicolas Maduro au cours des dernières années ?
J’ai fourni quelques éléments de contexte importants pour nous aider à comprendre comment nous en sommes arrivés à la situation actuelle. Mais j’aimerais ajouter ce qui suit : Je comprends parfaitement pourquoi les impacts du blocus économique impérialiste sur le Venezuela sont si souvent invoqués pour expliquer l’agitation populaire. Qui plus est, je dirais que la raison en est évidente : en effet, ce blocus a multiplié de façon exponentielle les maux infligés à la population par la crise économique qui sévissait antérieurement, par exemple, à la mise en application des premières sanctions imposées à Petróleos de Venezuela en août 2017.
Nous parlons de mesures punitives et illégales qui visaient à accélérer l’effondrement de l’économie nationale et, pour dire les choses crûment, à engendrer des souffrances humaines et des morts. Confrontée à ces conditions, à une situation aussi extrême, une société comme celle du Venezuela – qui a vécu des années de politisation intense – mettra naturellement en balance les dommages causés par ces attaques et les décisions prises par les dirigeants politiques pour les contrer. Si l’on peut dire que quelque chose est profondément ancré dans la culture politique du citoyen vénézuélien moyen, c’est la conviction que ses dirigeants politiques doivent assumer leurs responsabilités face à de tels défis – Hugo Chávez a joué un rôle fondamental à cet égard.
La façon dont la classe dirigeante a fait face à ces difficultés a été de construire un récit selon lequel il n’y avait pas d’alternative aux mesures qu’elle a finalement adoptées, par exemple dans le domaine de la politique économique.
C’était le premier mauvais signal. En d’autres termes, aucun espace n’a été laissé aux délibérations publiques, aux débats contradictoires sur les différentes options, pour la simple raison qu’il n’y avait qu’une seule option. Et si la seule et unique option remettait en question les objectifs stratégiques de la révolution bolivarienne elle-même ? Manque de chance. Une fois cette logique installée au sein de la classe dirigeante, la seule solution pour contrôler l’hyperinflation, pour ne citer qu’un exemple, a été l’ensemble des mesures appliquées à partir de septembre 2018 : réduction drastique des dépenses publiques, dévaluation des salaires à un niveau historiquement bas, versement des rémunérations de la classe ouvrière sous forme de primes, etc.
Cette séquence d’événements qui ont entraîné un appauvrissement matériel (qui est toujours, en même temps, un appauvrissement spirituel et qui affecte radicalement les liens sociaux), combinée à un blocus impérialiste qui a amplifié de manière exponentielle l’appauvrissement matériel, et à l’appauvrissement politique résultant de l’exclusion de toute alternative pour faire face à la situation, le tout suivi d’un nouvel appauvrissement matériel, contribue à expliquer, au moins partiellement, le fait très grave qu’une partie importante des citoyens est allée jusqu’à considérer l’ultra-droite vénézuélienne comme une option politique valable.
Quelle(s) position(s) les forces politiques de la gauche radicale ont-elles adoptée(s) à l’égard des élections ? Quelles sont les possibilités de renforcer la gauche dans le contexte actuel ?
Je peux vous répondre en fonction de l’orientation de mes propres activités : il y a beaucoup de possibilités, et nous travaillons à les multiplier. Nous essayons de créer des espaces pour analyser la situation sur la base d’un minimum de rigueur intellectuelle et d’honnêteté. Dans ces espaces, nous essayons de sauver de l’oubli les aspects les plus précieux des traditions de la gauche révolutionnaire vénézuélienne, en cherchant à garantir leur transmission à la génération suivante, afin que ceux qui arrivent au militantisme ne considèrent pas qu’ils doient repartir de zéro. Il y a une énorme quantité de luttes et de connaissances qui peuvent nous éclairer sur ce que nous avons à faire aujourd’hui et à l’avenir.
Nous traversons incontestablement une période particulièrement difficile, mais ce ne sera ni la première ni la dernière fois que nous serons confrontés à une telle situation. Nous n’établissons pas seulement des liens avec des activistes dans de nombreuses régions du pays (et en dehors du Venezuela), mais nous nous efforçons également de mettre en place une structuration politique plus efficace.
En outre, nous sommes convaincus que, quelles que soient les circonstances, la gauche révolutionnaire ne peut en aucun cas se permettre de se concevoir comme un ghetto, comme une poignée d’activistes qui proposent des témoignages de luttes sacrificielles, et tout ce qui s’ensuit.
Comme nous l’a enseigné [le révolutionnaire vénézuélien] Alfredo Maneiro, la solution aux problèmes fondamentaux du pays passe par la gauche, mais aussi au-delà d’elle. La gauche révolutionnaire doit pouvoir parler à la majorité de la classe ouvrière et se faire remarquer par sa vocation à exercer le pouvoir, comme l’a expliqué Chávez.
Face à une situation confuse qui ressemble à un labyrinthe politique sans issue apparente, je crois que l’heure est à la retenue et à la force de caractère. Les actions motivées uniquement par l’indignation morale conduiront invariablement à des faux pas. Je suis convaincu que de nouvelles situations se présenteront. Comme je l’ai dit, l’ordre règne au Venezuela et avec lui le calme, mais c’est un calme plein d’inquiétude. Le peuple vénézuélien aura le dernier mot
Publié par LINKS Revue internationale du renouveau socialiste le 28 août 2024.
Traduit pour ESSF pr Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepL
1 septembre 2024 par Reinaldo Antonio Iturriza López