Archive | Antimilitarisme

11 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

russie ( aplutssoc)

caca colé

Qui a besoin d’attaques « de viande » ? Andrey Cherepanov : Poutine a besoin d’au moins un million de morts.

Nous publions la chronique des événements courants en Russie, réalisée par Karel, Jean-Pierre et Robert à partir de publications de sites d’opposition russes, exprimant une réalité éloignée des communiqués de la propagande poutinienne.

Document

Source : http://www.kasparov.ru/material.php?id=657254038731C

Selon les rapports officiels de l’état-major ukrainien, au 650e jour de l’ »opération spéciale » de Poutine sur le sol ukrainien, plus d’un tiers de million de militaires russes ont déjà été tués et, au cours des deux derniers mois, environ un millier d’entre eux ont perdu la vie chaque jour, soit une moyenne d’un soldat ou d’un officier par minute et demie.

Mais il ne vaut guère la peine d’être d’accord avec l’affirmation selon laquelle des pertes aussi importantes ont été obtenues en raison de l’indifférence totale à l’égard de leur nombre du chef du Kremlin, qui, selon les expressions figurées des experts militaires, jette littéralement de la viande humaine, chassant ses concitoyens dans le hachoir à viande ukrainien.

Je crois que Poutine n’est en aucun cas indifférent, mais qu’il a un intérêt tout à fait conscient à ce que le nombre de Russes tués et grièvement blessés au cours de « l’opération spéciale » augmente le plus possible. Bien sûr, en présence d’un tapis roulant actif pour pomper les ressources de mobilisation vers le front afin de reconstituer le personnel des unités militaires souvent battues.

Cela s’explique par le fait que lorsque Poutine s’est lancé dans l’aventure militaire, il n’est pas parti de son objectif publiquement annoncé de protéger la population civile du Donbass, prétendument souffrant des « ukronazis » et d’autres absurdités, mais uniquement du désir, à la veille à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire et du centenaire de la formation de l’URSS, pour capturer et soumettre l’Ukraine, la Moldavie, puis, en fonction de la réaction de l’Occident, les pays baltes, l’Arménie et la Géorgie.

Et s’assurant ainsi triomphalement une place dans l’histoire mondiale en tant que « rassembleur des terres russes » au lieu de la place qui lui a été préparée en tant que voleur en chef du Kremlin.

Cependant, un tel plan a échoué en raison d’une préparation incompétente de sa mise en œuvre, mais surtout grâce à la volonté et à la résistance courageuse des Ukrainiens et à l’aide du monde civilisé. Les soldats russes n’ont réussi à occuper qu’une partie de l’Ukraine.

Et maintenant, pour ne pas être connu pendant des siècles comme un perdant honteux, Poutine doit conserver les terres occupées pour la Russie, mettre fin à toute tentative des « traîtres nationaux » de les restituer à l’Ukraine pendant le reste du règne de Poutine et pour plusieurs décennies, idéalement des siècles après.

Cela peut être bien servi par un outil puissant, maîtrisé depuis la Seconde Guerre mondiale : la rhétorique du sang russe versé pour la terre « libérée ». Et plus le sang coulera, plus les prochains volumes de «livres de mémoire» avec les noms des Russes tués et grièvement blessés lors de «l’opération spéciale» seront volumineux – plus ils seront fiables.

Et pour cela, un tiers de million, voire un demi-million de morts de soldats et d’officiers russes semblent un peu minimes. Poutine a besoin d’au moins un million.

Cependant, un tel objectif en termes de morts ne sera pas atteint avec la victoire imminente de l’Ukraine par la libération complète de ses terres de l’occupation. C’est pourquoi la défaite de Poutine dans la guerre criminelle qu’il a déclenchée est d’une importance vitale et intéressante pour les Russes eux-mêmes. Du moins pour ceux qui sont capables de penser.

Andreï Tcherepanov.  10 décembre 2023

https://aplutsoc.org/

Lire la suite

11 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

gaza (the guardian)

pages_de_revue_151_web

Par Amira Hass

Gaza. «Même si la guerre s’arrêtait demain, les personnes encore en vie n’auraient plus d’endroit où vivre»

A Ramallah [capitale administrative de facto de l’Autorité palestinienne], des représentants politiques ont exprimé leur admiration pour la ténacité des habitants de Gaza face aux plans israéliens, semi-officiels, prévoyant de les expulser de l’enclave et de les réinstaller en Egypte. Mais les habitants de Gaza eux-mêmes démentent ces discours. Ils disent à quel point ils aimeraient partir et échapper à la mort, aux blessures, à la faim, à la soif et à l’humiliation [1].

«Nous restons inébranlables bien malgré nous», disent-ils.

Dans une enquête réalisée en juin, bien avant la guerre, le Palestinian Center for Policy and Survey Research a constaté que 29% des habitant·e·s de Gaza souhaitaient émigrer en raison des conditions politiques, sécuritaires et économiques. En septembre, une série de reportages ont fait état d’une augmentation de l’émigration. Le 6 octobre, l’agence de presse turque Anadolu a décrit les difficultés auxquelles s’affrontent ceux qui partent et a cité un démenti des autorités du Hamas quant à l’existence d’un tel phénomène.

Ce désir de partir a-t-il diminué, pour des raisons nationalistes et patriotiques, au cours d’une guerre qui menace la vie de chaque homme, femme et enfant de Gaza?

Selon des informations parvenues à Ramallah, en Cisjordanie, les frais nécessaires pour organiser un départ par le point de passage de Rafah s’élèvent entre 6 000 et 7 000 dollars par personne, contre 4 000 à 5 000 dollars il y a un mois. L’une des personnes les plus riches de Gaza aurait payé environ 250 000 dollars pour faire sortir 25 membres de sa famille élargie.

Ces paiements sont connus sous le nom de «frais d’organisation», un euphémisme pour désigner un bakchich versé à des entités inconnues. On parle d’une société égyptienne qui coordonnerait les sorties. Un médiateur palestinien serait également impliqué.

Les habitants de Gaza qui doivent «organiser» leur sortie et payer des sommes considérables sont ceux qui n’ont pas la chance d’avoir la double nationalité ou d’avoir un parent au premier degré possédant une nationalité étrangère. Ils n’ont pas de visa pour vivre dans un autre pays, ou n’ont pas un emploi dans une organisation internationale qui leur a permis d’établir des liens avec une ambassade étrangère qui les a assistés pour sortir.

Comment une famille ordinaire de huit personnes qui n’a pas la chance d’appartenir à l’une de ces catégories peut-elle obtenir l’argent nécessaire pour payer un bakchich ou des «frais d’organisation»?

Partir, ou même parler de partir, est déchirant pour toutes les personnes concernées. Les rares personnes qui peuvent partir, quelle qu’en soit la raison, laissent derrière elles des parents, des frères et des sœurs plus âgés.

Souvent, ceux qui restent sont malades, handicapés et/ou dépendent de leur famille pour les transporter d’un abri à l’autre ou pour s’occuper de leur bouteille d’oxygène [les cas de détresse respiratoires sont nombreux, en partie liés aux bombardements]. Tous ceux qui partent savent que c’est peut-être la dernière fois qu’ils voient, serrent et embrassent leur mère de 80 ans ou leur sœur qui lutte contre un cancer.

Comme c’est le cas dans toutes les guerres, où qu’elles se déroulent, ceux qui disposent des ressources financières et/ou d’un statut social dû à leur origine familiale ou à un niveau d’éducation élevé sont généralement ceux qui sont les mieux à même de s’enfuir.

Mercredi 6 décembre, 723 personnes ont quitté la bande de Gaza, selon le rapport quotidien publié par les autorités du point de passage de Rafah. Trois d’entre elles étaient des blessés accompagnés de trois accompagnateurs, 20 membres d’une délégation italienne et 703 détenteurs de «passeports étrangers». (Les données indiquées dans le rapport ne correspondent pas au total mentionné).

Le 2 décembre, 862 personnes considérées comme «étrangères» sont parties; la plupart d’entre elles, mais pas toutes, sont des habitants de Gaza. En outre, 12 blessés et un malade nécessitant des soins médicaux à l’étranger sont sortis, accompagnés de 16 accompagnateurs, ainsi que de trois membres du personnel de l’ONU. En tout, 894 personnes. Le même jour, le nombre de personnes entrant à Gaza était de deux résidents et de «trois morts» (pour des raisons non expliquées).

L’admiration pour la ténacité des habitants de Gaza entre également en contradiction – sur le plan émotionnel et éthique – avec le fait que les Palestiniens sont convaincus qu’Israël mène une guerre d’anéantissement contre la population à Gaza. En d’autres termes, il commet un génocide. N’est-il pas logique que les gens fuient ceux qui ont l’intention de les anéantir, surtout lorsqu’il ne s’agit que de traverser la frontière?

«N’y a-t-il personne (dirigeant arabe/émissaire de l’ONU/émir/roi) qui puisse faire pression sur l’Egypte (soutenue par le Qatar, le Royaume d’Arabie saoudite et même la Jordanie) pour qu’elle autorise les civils de Gaza à franchir le point de passage de Rafah, où ils pourraient sortir de la zone de guerre et recevoir l’aide de l’ONU et du CICR?

C’est l’endroit logique où il faut aller.» C’est ce qu’un lecteur anonyme m’a écrit en anglais, faisant écho aux appels lancés par des hommes politiques, allant de la formation d’extrême droite Parti sioniste religieux jusqu’au parti Yesh Atid («Il y a un futur») de Yair Lapid. En fait, cette volonté israélienne d’expulser les Palestiniens est déguisée en préoccupation humanitaire. Quoi qu’il en soit, ces propos se sont un peu calmés, probablement face à l’opposition de l’Egypte et des Etats-Unis.

Mais lorsque Washington a opposé son veto à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU appelant à un cessez-le-feu immédiat [le vendredi 8 décembre], cela ne fait qu’accroître la pression sur l’Egypte pour qu’elle ouvre la frontière. Les bombardements et les combats ont détruit la plupart des bâtiments et des infrastructures de Gaza. Même si la guerre s’arrêtait demain, les personnes encore en vie n’auraient plus d’endroit où vivre [2].

Quel que soit le vainqueur, la reconstruction prendra de nombreuses années. Chaque habitant de Gaza est aujourd’hui confronté au dilemme suivant: quelle est la bonne chose à faire? Partir (si c’est possible) pour sauver sa vie ou rester dans une Gaza «bombardée jusqu’à revenir à l’âge de pierre» pour le bien du patriotisme et de la nation.

(Article publié dans le quotidien israélien Haaretz le 11 décembre 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

11 décembre 2023 Alencontre Amira Hass

https://alencontre.org/

[1] Parmi les nombreux témoignages traduisant les conditions infra-humaines dans lesquelles sont condamnés à survivre des dizaines de milliers de Palestiniens et Palestiniennes, forcés par l’armée israélienne de rejoindre la zone d’Al-Mawasi, on peut citer un de ceux reproduits par la BBC en date du 9 décembre: «Mona al-Astal, qui s’est également réfugiée à al-Mawasi, dit qu’elle est tenue éveillée toute la nuit par le bruit des bombardements. Médecin, elle dit avoir été forcée de quitter Khan Younès après que la maison de son voisin a été bombardée. Mona décrit également le manque d’eau, d’électricité et de fournitures dans cette zone “humanitaire”. Elle dit avoir été obligée d’acheter une tente et d’autres fournitures pour 300 dollars. Elle raconte qu’elle a vu des gens entrer par effraction dans un entrepôt de l’agence des Nations Unies parce qu’ils “avaient tellement faim, ils n’avaient rien à manger”. Pour ne rien arranger, des maladies liées à des parasites, ainsi que la varicelle et des infections intestinales se sont répandues parmi les enfants. “Chaque jour qui passe accroît le danger pour nous”, ajoute Mona.» (Réd.)

[2] Le quotidien canadien La Presse, en date du 9 décembre, rapporte ce que lui a communiqué rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à un logement: «Le niveau de destruction des bâtiments civils “rend tout retour à la normale à Gaza extrêmement difficile, voire impossible, une fois que le conflit sera terminé”, estime M. Rajagopal, qui appuie ses conclusions sur les relevés de destruction les plus récents et les commentaires de plusieurs dirigeants israéliens.» (Réd.)

Lire la suite

09 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

gaza (contretemps)

Damage_in_Gaza_Strip_during_the_October_2023_-_39

Entre trêve et fuite en avant, un tournant dans la guerre génocidaire menée par Israël

La trêve n’aura donc duré qu’une semaine. Sitôt rompue, Israël a repris l’opération exterminatrice menée depuis le 7 octobre. Pourtant, il serait erroné de croire qu’elle n’aura été qu’une parenthèse sans conséquences sur la suite. En effet, la conclusion de la trêve en elle-même était un premier revers pour Israël, produit (temporaire) d’une dégradation du rapport de forces interne et externe, un revers que ses dirigeants essaient d’effacer en s’engageant dans une fuite en avant d’autant plus meurtrière et aveugle que les buts affichés par Israël (éradiquer le Hamas, et, de façon de plus en plus explicite, vider Gaza de sa population) apparaissent hors d’atteinte.

Un assaut génocidaire

Le premier résultat de cette trêve a pourtant été de permettre de mesurer l’ampleur du carnage que la population gazaouie subit depuis deux mois sous les yeux du monde entier et avec le soutien impavide de la quasi-totalité des gouvernements occidentaux. Plus froids que les images, les chiffres donnent littéralement le vertige : 15 000 morts au début de la trêve (16000 au 5 décembre), selon un décompte provisoire (des milliers de cadavres gisaient sous les décombres avant même la reprise de l’offensive israélienne), dont plus de 6 000 enfants et mineurs ; en y ajoutant les femmes, le chiffre (sous-estimé car le décompte séparé n’est disponible qu’à partir du 20 octobre) dépasse les 10 000, soit les deux-tiers du total des morts.

Selon les sources militaires israéliennes, le nombre de combattants palestiniens tués se situe dans une fourchette entre 1 000 et 3 000, soit (si l’on retient l’estimation la plus élevée) moins de 20% du total. A cela s’ajoutent : plus de 30 000 blessés qu’un système hospitalier presqu’entièrement détruit est incapable de prendre en charge ; la moitié du bâti de Gaza-nord à l’état de gravats ; l’ensemble des infrastructures vitales (réseaux d’approvisionnement en électricité, eau et carburant) détruites, avec un acharnement particulier sur le système de santé (25 des 36 hôpitaux et 47 des 72 centres de santé non-fonctionnels dès le 17 novembre).

Selon le directeur de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, 1,3 million de personnes (soit plus de la moitié de la population gazaouie) vivent actuellement dans des tentes et autres abris de fortunes (sur un total de 1,7 million de personnes déplacées, soit 74% de la population totale). Toujours selon Ghebreyesus, « la surpopulation et le manque de nourriture, d’eau, d’assainissement et d’hygiène de base, l’absence de gestion des déchets et d’accès aux médicaments entraînent une explosion de cas d’infections respiratoires aiguës (111 000), de gale (12 000), de diarrhée (75 000), (…) avec, de surcroît, un risque accru d’épidémies ». Ghebreyesus conclut que « compte tenu des conditions de vie et du manque de soins de santé, les maladies pourraient faire plus de victimes que les bombardements ».

« Jamais la Palestine n’a autant souffert » souligne Jean-Pierre Filiu constatant un niveau de pertes humaines civiles ayant déjà dépassé celui de la répression du soulèvement de 1936-39, de la Nakba de 1948, de la répression des deux Intifada ou des offensives menées depuis 2008 contre Gaza.  Encore faut-il relever la bascule dans la composition de ces pertes. Selon un article de Lauren Leatherby publié le 25 novembre dans le New York Times (un quotidien peu suspect de verser dans la propagande anti-israélienne), la proportion de femmes et d’enfants parmi les pertes humaines causées par les attaques menées par Israël depuis 2008 contre Gaza (leur total s’élève à 6621 morts entre 2008 et la veille du 7 octobre selon le décompte de l’ONU) est passée d’une moyenne de 40% à 70%. Mais l’essentiel de l’article de Leatherby est consacré aux types de munitions qu’Israël a utilisé au cours des 15 000 frappes effectuées jusqu’à la trêve. L’aviation de l’Etat sioniste a eu largement recours à des bombes de 900 kilogrammes, rarement utilisées depuis la Seconde Guerre mondiale et les guerres de Corée et du Viêt Nam.

Leatherby rapporte les propos de responsables militaires et d’experts étatsuniens qui affirment que même des bombes d’une puissance quatre fois moindre n’ont pas été utilisées au cours des conflits récents car considérées comme trop impactantes pour être lâchées sur des zones urbaines peuplées, comme à Mossoul en Irak ou à Raqqa en Syrie au cours des offensives contre Daech. Ainsi, selon les chiffres de divers organismes internationaux cités dans l’article, davantage de femmes et d’enfants ont été tués à Gaza en moins de deux mois que pendant toute la première année de l’invasion de l’Irak en 2003 par les forces américaines et leurs alliés. Quant au nombre de femmes et d’enfants gazaouis tués, il a déjà dépassé les quelque 12 400 civils tués par les États-Unis et leurs alliés en Afghanistan au cours de près de 20 ans de guerre.

Au-delà du nombre de morts, les conséquences de l’usage de ce type de munitions sur les humains sont inimaginables. Selon Rick Brennan, directeur de l’OMS pour la Méditerranée orientale, « [nous avons] plus de 28 000 personnes blessées [le chiffre date du 13 novembre], et il ne s’agit pas de simples blessures. Il s’agit de blessures de guerre complexes – brûlures, amputations, terribles blessures à la tête et à la poitrine – souvent associées à ce que nous appelons des incidents de masse où de nombreux patients traumatisés sont amenés dans notre établissement à un moment donné ». Brennan relève également que 108 raids aériens [à cette date du 13 novembre] ont ciblé des hôpitaux et centres de santé et qualifie la proportion de femmes et de mineurs parmi les pertes humaines (qu’il estime également autour de 70%) de « statistique stupéfiante », notant que la proportion attendue était d’environ 30%.

Lors d’une conférence de presse tenue à Gaza le 27 novembre, Ghassan Abou Sittah, un chirurgien palestinien-britannique exerçant dans plusieurs hôpitaux du territoire, a dénoncé l’usage de bombes incendiaires et de bombes au phosphore, dont l’usage contre des populations civiles est strictement interdit par les traités internationaux. Abou Sittah en avait déjà repéré les effets en 2009, lors de l’opération « plomb durci » menée par Israël contre Gaza, à partir des blessures très caractéristiques qu’elles infligent : « le phosphore brûle jusqu’à l’intérieur profond du corps et ne s’arrête que lorsqu’il n’est plus exposé à l’oxygène ». Il a également dénoncé l’usage extensif de bombes à fragmentation, également interdites par plus de 100 pays – mais pas par Israël, qui en est friand – qui rendent nécessaires de multiples amputations sur une même personne. Les bombardements au phosphore blanc au Liban-sud ont également été dénoncés dès le 31 octobre par Amnesty International, notamment dans le village de Dhayra. Un mois après, comme le révèle un reportage de Mediapart, dans le village dévasté, les feux ne sont pas entièrement éteints et sont susceptibles de repartir au moindre contact avec l’oxygène tandis que, dans cette zone agricole, la terre est empoisonnée pour une durée indéterminée.

L’intentionnalité, et même la planification méthodique, de ce carnage ne sauraient faire de doute. Elles étaient explicitement annoncées dans l’emblématique déclaration du ministre israélien de la défense Yoav Gallant dès le surlendemain des attaques du 7 octobre : « Pas d’électricité, pas de nourriture, pas de gaz (…). Nous combattons des animaux et nous agissons en conséquence ». Déclaration dont il faut souligner que la charge déshumanisante n’a rien d’exceptionnel pour les normes d’un dirigeant israélien : Menahem Begin, parlant des « terroristes » palestiniens qui s’en prennent aux enfants, avait déclaré à la Knesset le 8 juin 1982 : « Nous défendrons nos enfants. Si la main d’un animal à deux pieds se lève contre eux, cette main sera coupée ».

Le carnage génocidaire de ces dernières semaines n’est qu’une mise en œuvre paroxystique et, nous y revenons plus loin, actualisée avec le dernier cri de la technologie, de la « doctrine Dahiya » – également désignée par la formule « tondre la pelouse » (là encore, la connotation déshumanisante est flagrante), une doctrine élaborée en 2006, lors des opérations israéliennes au Sud-Liban. Son principe, selon les mots de son concepteur, le général Gadi Eisenkot, rapportés par Haaretz en 2008, consiste à déployer « une puissance disproportionnée contre chaque village d’où des coups de feu sont tirés sur Israël, et cause[r] d’immenses dégâts et destructions ». Faut-il dès lors s’étonner de voir ce même Eisenkot rejoindre le gouvernement d’« unité nationale » constitué dans la foulée du 7 octobre ou entendre le porte-parole de l’armée israélienne Daniel Hagari déclarer, dès le 9 octobre dernier, que : « des centaines de tonnes de bombes » avaient déjà été larguées, et d’ajouter que « l’accent est mis sur les dégâts et non sur la précision » – un « aveu surprenant » selon le commentaire du quotidien britannique The Guardian.

Une enquête du magazine israélien judéo-palestinien +972 (version française disponible ici) a révélé le fonctionnement précis de cette « usine d’assassinats de masse » selon les termes d’un ancien officier du renseignement israélien. Contentons-nous ici de reprendre ou de résumer quelques extraits :

« l’armée israélienne dispose de fichiers sur la grande majorité des cibles potentielles à Gaza – y compris les maisons d’habitation – qui stipulent le nombre de civils susceptibles d’être tués lors d’une attaque contre une cible particulière. Ce nombre est calculé et connu à l’avance des unités de renseignement de l’armée, qui savent donc, peu avant de lancer une attaque, combien de civils sont susceptibles d’être tués (…).  “Rien n’arrive par hasard”, a déclaré une autre source. “Lorsqu’une fillette de 3 ans est tuée dans une maison à Gaza, c’est parce que quelqu’un dans l’armée a décidé que ce n’était pas grave qu’elle soit tuée – que c’était un prix qui valait la peine d’être payé pour frapper [une autre] cible. Nous ne sommes pas le Hamas. Ce ne sont pas des fusées aléatoires. Tout est intentionnel. Nous savons exactement l’étendue des dommages collatéraux qu’il y aura dans chaque maison.” »

L’enquête montre dans la détail comment la « doctrine Dahiya » a été amplifiée et technologisée à l’extrême par l’utilisation généralisée d’un système appelé « Habsora » (« L’Évangile » !), qui repose en grande partie sur l’intelligence artificielle (IA). Ce système peut « générer » des cibles presque automatiquement à un rythme qui dépasse de loin ce qui était auparavant possible. [Il] est qualifié par un ancien officier du renseignement d’ ‘usine d’assassinats de masse’. (…) Les sources qui ont participé à la compilation des cibles de pouvoir lors des guerres précédentes, affirment que bien que le fichier des cibles contienne généralement un lien quelconque avec le Hamas ou avec d’autres groupes militants, la frappe de la cible fonctionne principalement comme un moyen permettant d’infliger des dommages à la société civile’. Les sources ont compris, certaines explicitement, d’autres implicitement, que le ‘véritable objectif de ces attaques est de nuire aux civils’ ».

La trêve dont Israël ne voulait pas

Le 28 octobre, annonçant le début de l’offensive terrestre contre Gaza, Netanyahou faisait allusion à un passage des Écritures : « Souviens-toi de ce qu’Amalek t’a fait, est-il écrit dans la Bible ; nous nous en souvenons et nous luttons ». Le texte biblique auquel se référait le premier ministre israélien est sans équivoque : « Maintenant, allez frapper Amalek, et détruisez tout ce qu’ils possèdent, sans les épargner ; tuez hommes et femmes, enfants et nourrissons, bœufs et moutons, chameaux et ânes » (1 Samuel 15:3). Depuis le 7 octobre, écrit Mark Landler dans le New York Times du 15 novembre, « les appels à “raser”, “écraser” ou “détruire” Gaza ont circulé environ 18 000 fois dans des messages en hébreu sur X (anciennement Twitter), selon FakeReporter, un groupe israélien qui surveille la désinformation et les discours de haine ». Avec Amalek, on ne peut négocier, seulement l’exterminer. Voilà pourquoi il ne pouvait être question d’un cessez-le-feu.

Au nom du « droit d’Israël à se défendre », les alliés d’Israël, à savoir les Occidentaux emmenés par l’hégémon états-unien, ne disaient pas autre chose. Le 13 octobre, le Département d’État états-unien a diffusé une note interne demandant à ses fonctionnaires de ne pas utiliser les couples de termes et expressions suivantes : « désescalade/cessez-le-feu », « fin de la violence/des effusions de sang » et « rétablissement du calme ». Quelques jours plus tard, une résolution du conseil de sécurité des Nations unies appelant à une « pause humanitaire » – dans une tentative d’obtenir le soutien des États-Unis le terme de « cessez-le feu » avait été enlevé – et à la création d’un « corridor sécurisé », qui aurait permis l’acheminement humanitaire de l’aide à Gaza, se heurtait, comme c’était prévisible, au veto états-unien.

Pour justifier son vote, le représentant des États-Unis a déclaré que le texte, qui condamnait pourtant les « crimes terroristes odieux commis par le Hamas », était « inacceptable car il ne faisait aucune mention du droit d’Israël à la légitime défense ». Pourtant un tel « droit » n’existe pas, car, selon les résolutions de l’ONU (résolution 242 de novembre 1967, confirmée à de multiples reprises, la dernière étant la résolution 2334 de 2016), Israël occupe illégalement les territoires conquis en 1967, à savoir Gaza, la Cisjordanie (dont Jérusalem-Est) et le Golan (le Sinaï ayant été rétrocédé à l’Egypte suite à l’accord bilatéral de septembre 1975). Le « droit » d’une puissance occupante à poursuivre son occupation est une contradiction dans les termes, tout comme celui d’imposer un siège à une population qui la prive des biens et services essentiels à sa survie.

Pourtant, l’option de « guerre totale » se heurtait à un obstacle de taille : la question des otages, dont la prise – dans la perspective d’un échange avec un maximum de prisonniers palestiniens mais aussi de l’endiguement de la furie vengeresse qu’elle ne manquerait pas de provoquer – était l’un des principaux objectifs de l’attaque du 7 octobre. Dès le lendemain, comme le rapportait Sylvain Cypel dans Orient XXI, des contradictions éclataient à ce propos au sein même du gouvernement et de l’establishment de l’État sioniste. Les ministres de l’extrême droite la plus radicale, Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich « pouss[ai]ent à raser Gaza, et tant pis pour les otages » tandis que l’ex-chef des renseignements, le général Amos Gilad, rétorquait « alors maintenant qu’il y a des dizaines et des dizaines d’otages, bien sûr que nous allons négocier ! Et nous n’allons pas réoccuper Gaza ». Ces deux options n’ont cessé dès lors de s’affronter au sein du cabinet et de l’armée, l’issue reflétant l’évolution du rapport de forces sur le terrain militaire mais aussi au niveau interne et international.

La question des otages a agi d’emblée comme le révélateur des contradictions de la politique israélienne et de son basculement vers une logique exterministe de plus en plus assumée. Comme le relève Yigal Levy, spécialiste des questions militaires, professeur à l’Open University d’Israël, la réticence à demander la libération des otages est « un phénomène nouveau », eu égard par exemple au précédent de la guerre du Liban de 2006, quand la libération de deux soldats enlevés était considérée comme une priorité absolue. Le changement traduit, selon Levy, le « phénomène de droitisation » qui marque la politique israélienne et qui conduit à faire de l’« éradication du Hamas la priorité des priorités, même si cela doit se faire en sacrifiant les otages ». Les otages eux/elles-mêmes sont vu.es par une partie de la société comme « des gens de gauche, ceux des kibboutz », toute négociation en vue de leur libération devenant alors une entrave à la poursuite de la guerre. Inversement, leurs familles se sont mobilisées, avec le soutien d’une partie de l’opinion, pour obtenir leur libération, organisant pendant plusieurs semaines des rassemblements massifs (jusqu’à 100 000 personnes le 24 novembre) devant le Musée d’Art de Tel Aviv, à proximité du ministère de la défense, dans ce qui a été nommé la « place des otages ».

C’est la raison pour laquelle la libération des premiers otages a suscité des sentiments pour le moins ambivalents. Selon l’envoyée spéciale du Monde « à Tel-Aviv, le silence est très vite retombé, vendredi soir [24 novembre], après la liesse des premiers moments. Car ces retours ne constituent pas seulement une victoire : ils sont aussi le signe d’une humiliation. Le rappel, violent, de la défaite subie par Israël, le 7 octobre, et du fait que la guerre est sans doute loin de se terminer… Tant qu’il reste encore des captifs en sa possession, le Hamas continue de tenir la dragée haute à ses ennemis, dans une enclave dont la partie Nord a pourtant été en grande partie détruite par les bombardements israéliens ».

Pour le dire autrement, le sentiment de revers est triple : le retour des otages réactive le traumatisme du 7 octobre, jour pendant lequel l’image d’invincibilité d’Israël et de sa capacité à assurer la sécurité de sa population juive s’est irréversiblement fracturée. Encore plus grave, il a fallu négocier avec l’ennemi absolu, qu’on se promet d’éradiquer, et qu’on assimile tantôt à Daech (selon le site de Tsahal), tantôt aux « nazis », selon les termes de l’ancien premier ministre Naftali Bennett, rapidement rejoint sur ce terrain par un Netanyahou comparant Yahya Sinouar (le chef de l’aile militaire du Hamas) à un « petit Hitler dans son bunker » et s’engageant à « dénazifier Gaza ». Enfin, la mise en œuvre concrète du processus de négociations a apporté la preuve de la résilience du Hamas, de son emprise maintenue sur un territoire théoriquement sous contrôle militaire israélien et de sa capacité à imposer la quasi-totalité de ses conditions en vue de la libération des otages : ratio de 1:3 entre otages et prisonniers palestiniens libérés (prioritairement des femmes et des mineurs) ; pas de libération de soldats israéliens ; acheminement de l’aide humanitaire via Rafah ; une trêve continue de plusieurs jours et non une pause quotidienne de quelques heures.

La trêve équivalait donc bien à une victoire politique (et, pour une part, militaire) du Hamas. Le 27 novembre, les correspondants du Monde à Beyrouth et à Jérusalem résumaient la situation en ces termes : « Après avoir signé l’attaque la plus brutale jamais menée contre Israël le 7 octobre, Yahya Sinouar est non seulement toujours en vie cinquante jours après le début de la guerre, mais il engrange une nouvelle victoire politique. A la brutalité de l’attaque, qui s’est soldée par la capture de 240 otages et la mort de 1 200 Israéliens, s’est ajoutée, pour Benyamin Netanyahou, l’humiliation d’avoir été berné par l’homme qu’il pensait avoir bridé depuis son accession au pouvoir, en 2017. Il aurait voulu le faire plier par la force. Mais la résilience du mouvement face à la violence des bombardements israéliens, qui ont fait plus de 14 800 morts depuis le début de la guerre, selon le Hamas, et la pression des familles des otages l’ont obligé à accepter la négociation ». Et, poursuivaient-ils, ce faisant, un précédent a été créé, qui ne peut être sans conséquences pour la suite : « En scellant un accord avec l’Etat hébreu, le Hamas s’impose comme un interlocuteur avec lequel il faut négocier : aujourd’hui une trêve, demain peut-être le ‘jour d’après’. Des responsables du Fatah estiment qu’il faudra composer avec le mouvement, partie intégrante du tissu social et politique palestinien ». Et, nous y reviendrons dans un instant, ils ne sont pas les seuls.

Vers une recomposition du mouvement national palestinien ?

Le dernier point évoqué par les correspondants du Monde est de ceux qui peuvent s’avérer décisifs dans la suite des événements. La restauration de l’unité du mouvement national palestinien, avec, en perspective, l’intégration du mouvement dans l’ Organisation de Libération de la Palestine (OLP), est en effet un objectif stratégique du Hamas depuis sa participation aux élections de 2006.

C’est le Fatah, confortablement installé dans l’Autorité palestinienne (AP) et la « coopération sécuritaire » avec Israël, qui a refusé de reconnaître la victoire du Hamas et renversé le gouvernement constitué dans la foulée des élections et présidé par Ismaïl Haniyeh. Avec l’appui décisif des États-Unis et d’Israël, l’AP s’est engagée dans une guerre civile qui a abouti à la séparation entre Gaza et la Cisjordanie et scellé la délitement de l’unité palestinienne pour toute une période. Le Hamas est pourtant revenu à la charge à plusieurs reprises, et l’objectif a pu paraître sur le point d’être atteint à au moins deux moments (en 2017 et 2021), avant de se heurter à chaque fois au refus de Mahmoud Abbas et d’une AP de plus en plus démonétisée, si ce n’est haïe, aux yeux de la population palestinienne.

En octobre 2017, un accord conclu entre le Fatah et le Hamas avait suscité de grands espoirs, mais sa mise en œuvre piétinait du fait de la politique de l’AP. En apparence, les divergences portaient sur les modalités du transfert du pouvoir à Gaza vers l’AP et sur la réforme de celle-ci. En réalité, comme le notait à l’époque le correspondant du Monde, « derrière cette querelle sur la mécanique de la transition se dessine une différence d’approche majeure. L’AP exige une reddition du Hamas, sans en préciser les termes. Aux yeux de M. Abbas, la seule stratégie possible est la poursuite de la coordination sécuritaire avec Israël et la recherche inlassable d’un nouveau cycle de négociations, en vue d’une solution à deux États. Le Hamas, lui, veut sortir par le haut de sa gestion désastreuse du quotidien des Gazaouis pendant une décennie. Le mouvement s’imagine intégrer l’OLP et contribuer à redéfinir une stratégie nationale face à Israël. Sans renoncer à l’arsenal de sa branche armée, les brigades Al-Qassam ».

La dégradation de la situation à Gaza, après 14 ans de blocus et plusieurs offensives israéliennes, conjuguée à l’effondrement politique et financier de l’AP, avec un Mahmoud Abbas à bout de course et un Fatah de plus en plus divisé, pousse tant le Hamas que l’AP vers un nouveau cycle de négociations. Un accord est ainsi signé au Caire en février 2021, censé conduire à de nouvelles élections – nouvelle confirmation de la volonté du Hamas de jouer le jeu du pluralisme et de la démocratie électorale. Mais, une fois de plus, deux mois plus tard, Abbas annonce le report sine die des élections prenant prétexte des difficultés d’organisation du scrutin à Jérusalem-Est. En fait, bien plus que les obstacles créés par Israël, Abbas, et leurs soutiens occidentaux craignaient une défaite non seulement à Gaza mais aussi en Cisjordanie, et la répétition, à une échelle encore plus large, du scénario de 2006. Les pertes essuyées par l’AP dans les quelques petites communes de Cisjordanie où le scrutin municipal a pu se tenir en décembre 2021 ont confirmé la validité de ces craintes. Comme le rapportait le correspondant du Monde Louis Imbert en décembre 2021, « L’AP courait le risque de ‘perdre’ symboliquement Jérusalem-Est, la part arabe de la ville occupée par Israël, qui y interdisait le scrutin. Washington et l’Union européenne n’ont rien fait pour l’y contraindre. Ils ne manifestaient qu’un enthousiasme limité pour ce vote, qui aurait tiré le Hamas de son isolement à Gaza. M. Abbas lui-même craignait de perdre la maîtrise d’un exercice démocratique qu’il s’était efforcé de contrôler de bout en bout ».

Ces échecs, dont la responsabilité incombe à l’AP, ont accentué la fragmentation du mouvement national palestinien et entériné son affaiblissement au moment même où Israël et les Etats-Unis repassaient à l’offensive sur le plan diplomatique, normalisant les relations entre Tel-Aviv et plusieurs pays arabes. En Cisjordanie même, l’AP, de plus en plus engluée dans la corruption et la collaboration avec Israël (avec son cortège de répression des militants palestiniens indociles, y compris de nombreux membres du Fatah) est de plus en plus contestée.

Selon une enquête publié en septembre dernier, à l’occasion des 30 ans des accords d’Oslo, conduite à Gaza et en Cisjordanie par le Palestinian Center for Policy and Survey Research, 62% des personnes interrogées pensent que l’AP est un « fardeau » pour le peuple palestinien, 78% appellent à la démission de M. Abbas (un pourcentage identique à Gaza et en Cisjordanie) et 53% privilégient la résistance armée comme moyen d’atteindre la libération, contre 20% qui accordent la priorité aux négociations et 24% à la résistance non-violente.

A Jénine, Naplouse, Jéricho et dans d’autres localités, des groupes auto-organisés de jeunes combattants se lancent dans la lutte armée, en dehors des cadres établis. Des secteurs militants du Fatah s’autonomisent de l’AP et de sa bureaucratie corrompue et collaborationniste. Face à un Mahmoud Abbas usé jusqu’à la corde, Marwan Barghouti, détenu dans les geôles israéliennes depuis 2002, apparaît comme une personnalité capable d’unifier le mouvement national sur des bases de combat. De leur côté, les États-Unis et leurs alliés du Golfe poussent leur « homme de confiance », Mohammed Dahlan, longtemps chargé de la « coopération sécuritaire » de l’AP avec Israël et exécutant de la stratégie étatsunienne d’affrontement armé avec le Hamas en 2006-2007, y compris la tentative d’assassinat d’Ismaïl Haniyeh (cf. les révélations de Vanity Fair en avril 2008). En exil depuis 2011 dans les Émirats, où il est devenu un richissime homme d’affaires, l’intime et le conseiller du régent d’Abou Dhabi Mohammed Ben Zayed (et a acquis la nationalité serbe), Dahlan conserve de puissants réseaux en Cisjordanie, dans plusieurs camps de réfugiés palestiniens et s’affirme comme un « agent d’influence international », aussi trouble que puissant.

Au début de cette année, des pourparlers au sommet entre le Hamas et l’AP avaient repris, sous la houlette de l’Egypte, dans la foulée d’une rencontre au Caire entre Abbas et Khaled Mechaal, dirigeant de la branche politique du Hamas. Les discussions s’étaient poursuivies cet été, avec une rencontre à la fin juillet entre Abbas et Ismaïl Haniyeh, en vue de relancer les tentatives d’organisation d’élections et de réforme de l’OLP, pour que le Hamas puisse l’intégrer. Mais le 7 octobre a bouleversé ces manœuvres au sommet. L’opération militaire dirigée par le Hamas, et la guerre génocidaire lancée par Israël, ont accentué les contradictions internes au Fatah et suscité des initiatives unitaires « par en bas », ou plus exactement venant de dirigeants, de cadres intermédiaires et de secteurs militants de l’organisation. Le 17 octobre, des manifestations de masse en soutien à Gaza éclatent dans toute la Cisjordanie, et se heurtent à une répression féroce des forces de sécurité de l’AP, qui tuent une jeune manifestante et blessent des dizaines d’autres, tandis que les branches armées du Fatah appellent publiquement à la démission de Abbas.

Le 1er novembre, Atta Abou Rmeileh, secrétaire du Fatah dans la région de Jénine, et personnalité politique de premier plan de la résistance palestinienne, apparaît dans une vidéo aux côtés de responsables du Hamas et du Jihad Islamique et appelle à une grève générale en Cisjordanie. Il est arrêté par les Israéliens dans les heures qui suivent, mais a le temps de déclarer : « La résistance pacifique a échoué. La guerre a commencé et elle ne s’arrêtera pas ». Louis Imbert souligne dans sa correspondance du 15 novembre que « ces cadres [du Fatah] sont conscients de l’immense popularité du Hamas. Ils n’imaginent pas qu’Israël puisse anéantir le mouvement islamiste, comme il le promet, ni l’empêcher de renaître. ‘On n’éradique pas une idée’, note un ministre [de l’AP], inquiet, qui souhaite demeurer anonyme. Ils estiment que le Fatah n’a d’autre choix que de renouer avec ses frères ennemis, après la guerre civile qui a déchiré les deux partis en 2007 ». Qadura Fares, ministre de l’AP chargé de la question des détenus en Israël, déclare, lui, ouvertement que « le Hamas fait partie de notre vie politique et de notre société ». Il œuvre activement, avec d’autres cadres du Fatah, à la réconciliation du Fatah et du Hamas et partage l’objectif d’intégrer le mouvement dirigé par Haniyeh et Mechaal dans l’OLP.

Imbert rapporte également ces propos d’Abbas Zaki, un vétéran du Fatah et membre de son comité central :

« Le Hamas a empêché que la question palestinienne ne disparaisse. Il l’a remise sur la table…. Des membres du Fatah à Gaza combattent aujourd’hui aux côtés du Hamas… Le principal obstacle aujourd’hui, c’est l’Autorité palestinienne et spécifiquement Mahmoud Abbas. C’est lui qui a mené le Fatah dans cette impasse, avec ses appels incessants à la résistance pacifique. Il doit déclarer qu’il a tout donné pour la paix, mais que, désormais, toutes les options sont sur la table ».  

Les positions de l’universitaire israélien, Menachem Klein, qui a participé à de nombreuses négociations informelles israélo-palestiniennes, n’apparaissent pas si éloignées. Dans un entretien à Mediapart du 4 décembre, Klein esquisse les grandes lignes d’un possible accord, qui irait au-delà du cadre d’Oslo (notamment sur les questions des colonies et des réfugiés) et affirme qu’« il est impossible de détruire le Hamas. Mais le Hamas politique et son aile militaire qui accepte la solution de deux États et un accord avec Israël peut faire partie de l’accord (…) ».

Il impute la responsabilité de l’échec de l’accord entre le Hamas et l’AP de février 2021 à l’opposition des États-Unis, d’Israël « et malheureusement aussi de l’Europe » et souligne l’importance du « changement de doctrine et de politique » du Hamas en 2017, lorsque, dans sa nouvelle charte, le mouvement a accepté comme « formule de consensus national » la solution à deux États et défini ses objectifs exclusivement en termes de lutte pour la libération nationale, de « construction d’institutions nationales palestiniennes fondées sur des principes démocratiques solides, au premier rang desquels figurent des élections libres et équitables », opérant une distinction explicite et précise entre l’adversaire sioniste et les Juifs[1].

La fuite en avant exterministe… et les moyens de l’arrêter

La trêve n’a jamais été acceptée par l’extrême droite la plus radicale du cabinet israélien mais aussi par les secteurs militaires et du renseignement les plus exposés par le désastre du 7 octobre, le tout sur fond d’affaiblissement politique de Netanyahou. Face à un Anthony Blinken venu l’implorer de mener à Gaza-Sud une guerre plus « propre » (i.e. faisant moins de victimes civiles), le ministre de la défense Yoav Gallant, « vêtu de noir de la tête au pied… a asséné le message qu’il répète depuis le début des hostilités : “C’est une guerre juste pour le futur du peuple juif, pour le futur d’Israël. Nous combattrons le Hamas jusqu’à ce que nous gagnions. Peu importe le temps que cela prendra” ».

Trois jours avant la reprise de la guerre, Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité et dirigeant d’une formation radicale d’extrême droite, menaçait de quitter le gouvernement si l’assaut contre Gaza ne reprenait pas immédiatement : « Arrêter la guerre équivaut à la dissolution du gouvernement ». Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, son concurrent dans l’extrême droite radicale, déclarait de son côté que l’arrêt de la guerre en échange de la libération de tous les détenus à Gaza était un « plan visant à détruire Israël ».

L’objectif actuel de Tsahal est d’avancer vers le sud de Gaza, d’organiser un nouveau déplacement forcé de la population vers la frontière égyptienne, vers une sorte de « zone tampon », en réalité une zone de mort et une antichambre vers une déportation massive. L’idée à peine voilée est de faire un chantage à l’Egypte et à d’autres pays arabes pour qu’ils acceptent le transfert massif de la population gazaouie. Selon « le journal Israel Hayom », rapportent les correspondants du Monde, Benyamin Nétanyahou a demandé à son conseiller Ron Dermer un plan pour « réduire la population de Gaza au niveau le plus bas possible », etautoriser l’ouverture des frontières maritimes de l’enclave, pour permettre « une fuite massive vers les pays européens et africains ».

L’imagination génocidaire des stratèges de l’État sioniste semble ne connaître aucune limite. Comme le rapporte l’hebdomadaire britannique (de centre-gauche) The Observer, des travailleurs humanitaires ont averti qu’Israël a commencé à utiliser son nouveau système de quadrillage pour les avertissements d’évacuation, qui divise Gaza en plus de 600 blocs, et qui est accessible grâce à un QR code figurant sur les tracts et les messages diffusés sur les médias sociaux. Ce système risque de transformer la vie dans le territoire en un « macabre jeu de bataille navale », précisent-ils.

Y a-t-il un moyen de contrer ces plans génocidaires ? Incontestablement, la force essentielle demeure la résistance palestinienne, à la fois sur le front militaire et celui de la capacité de la population civile à préserver sa vie et son courage dans cette épreuve terrifiante. Mais, l’expérience historique l’a montré, l’issue de conflits coloniaux ne se décide pas seulement, voire même pas principalement, sur le champ de bataille. La lutte de libération du Vietnam a été gagnée autant dans la métropole impériale, et grâce à l’immense mouvement mondial de solidarité, que sur le terrain.

En ce sens, la reprise des manifestations pour la libération des otages en Israël même, qui, pour la première fois, sont rejointes par des militants anti-guerre est un signe encourageant. Il en est de même, bien entendu, de la poursuite et de l’amplification du mouvement international de solidarité avec le peuple palestinien, qui, malgré la répression et une campagne incessante de diffamation, a déjà mobilisé des millions de personnes dans des centaines de villes de par le monde. La pression de ces mobilisations sur les gouvernements, y compris celui des États-Unis (où le soutien inconditionnel de Biden à Israël pourrait lui coûter sa réélection), peut s’avérer décisive pour arracher un véritable cessez-le feu, sanctionner Israël et obtenir la reconnaissance effective des droits du peuple palestinien à l’autodétermination.

Car une partie importante se joue bien sûr au niveau des relations internationales. Au sein même du camp occidental, des voix discordantes commencent à s’élever, notamment du côté de l’Espagne et de l’Irlande. Même Emmanuel Macron s’est senti obligé d’infléchir sa ligne de soutien inconditionnel à Israël, qui a déjà détruit le peu de crédibilité qu’il restait à la France sur la scène internationale. Confirmant la fracture avec le Nord déjà manifeste lors du conflit ukrainien, le Sud global affiche des positions qui vont de la désapprobation d’Israël à l’affirmation de la solidarité avec la cause palestinienne – à l’exception notable des pays dirigés par des forces d’extrême droite ou de droite radicale (comme l’Inde de Modi, l’Argentine de Milei, le Paraguay ou le Guatemala). Des pays comme la Colombie et le Chili ont rappelé leur ambassadeur en Israël, la Bolivie et l’Afrique du Sud ont rompu les relations diplomatiques avec Tel Aviv.

Disons-le une fois de plus. Ce qui se passe en Palestine va bien au-delà d’un conflit régional et ne concerne en rien un différend religieux. La Palestine est aujourd’hui le nom d’un lieu où se joue une part décisive de notre humanité. Un sursaut collectif peut mettre en échec la mécanique génocidaire déployée par Israël et ses soutiens et faire advenir une nouvelle conscience internationaliste. Plus que jamais, le combat du peuple palestinien est celui de la liberté et de la dignité humaines.

Stathis Kouvélakis 8 décembre 2023

https://www.contretemps.eu/

Lire la suite

08 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

gaza (npa)

Crédit Photo Photothèque Rouge

Le massacre reprend, reprenons la rue ! Soutien à Gaza ! Cessez-le-feu maintenant ! Arrêt des massacres !

La reprise des bombardements conjugués aux combats au sol après sept jours de trêve a rendu la bande de Gaza plus invivable encore, et le décompte macabre a explosé. Les bombardements israéliens terrorisent de nouveau Gaza et redoublent en intensité et en fréquence. Le dernier décompte estime à plus de 15 000 le nombre de PalestinienNEs assassinéEs depuis le 7 octobre, dont au moins 6 600 enfants.

Un bilan effroyable 

Le nombre de blesséEs dépasse désormais les 40 000, et la majorité d’entre eux est confrontée à un défaut de soin compte tenu de l’épuisement des ressources sanitaires et du personnel de santé des hôpitaux gazaouis depuis déjà plusieurs semaines. Les infrastructures de santé sont sans cesse menacées, à l’image du bombardement le 2 décembre de l’hôpital al-Awda, quelques heures seulement après la fin de la trêve. Il s’agit d’un des rares hôpitaux toujours fonctionnels dans le nord de Gaza.

Massacre technologique

Toujours plus dans l’horreur, des journalistes israélienNEs ont montré que l’armée israélienne possède un système d’intelligence artificielle implacable semblant indiquer que les informations sur toutes les cibles sont connues et que le massacre de civils est assumé froidement. De la même manière, le ciblage de journalistes est un fait établi, et plus de cinquante journalistes l’ont payé de leur vie.

Réaction internationale 

Visiblement la communauté internationale n’est pas prête à peser pour arrêter ce massacre. Même si, en Israël, il y a des résistances à Nétanyahou, un sondage effectué mi-novembre indiquait que seulement 2 % de la population juive israélienne trouvait la séquence de bombardement excessive et près de 30 % ne la trouvait pas assez excessive. Ces chiffres indiquent que pour l’instant la pression des peuples doit venir de l’extérieur.

Construisons la mobilisation 

C’est la mobilisation des classes populaires dans le monde qui est la solution, la résistance palestinienne armée ne peut gagner seule. À nous de nous organiser, à la base, dans des collectifs de mobilisation pour la Palestine.

Il faut accentuer la pression sur les gouvernements occidentaux pour imposer un cessez-le-feu et l’arrêt des massacres. La quasi-totalité des opinions publiques mondiales constatent avec horreur l’entreprise de nettoyage ethnique qui a lieu sous nos yeux, à l’opposé des classes dirigeantes qui ont soutenu inconditionnellement le « droit d’Israël à se défendre ».

L’indécence de la formule a de quoi surprendre, alors qu’Israël bafoue en permanence le droit international. Nous devons soutenir des sanctions contre Israël pour interrompre le massacre en cours, pour limiter l’impunité de ce pays, pour desserrer l’étau qui entoure les PalestinienEs. Nous devons maintenir la pression sur les états occidentaux mais nous pouvons aussi presser les compagnies internationales qui soutiennent l’apartheid.

Mercredi 6 décembre 2023

https://nouveaupartianticapitaliste.org/

Lire la suite

07 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

maksym (ukraine)

maksym

Pour la libération de Maksym Butkevytch

Journaliste, libertaire, engagé volontaire dès le lendemain de l’invasion
de l’Ukraine par l’impérialisme russe, cet antimilitariste a été capturé en
juin 2022.

Présenté par la propagande du Kremlin comme un « fasciste à
la tête d’un bataillon punitif », il a été condamné en mars 2023 à treize
ans de prison dans les geôles d’une république fantoche prorusse.

Sa famille est sans nouvelles depuis août 2023.

Le Comité français du Réseau européen de solidarité avec
l’Ukraine et l’association Ukraine CombArt vous invitent à
une rencontre avec
Oleksandr Butkevytch, le père de Maksym,
et Tetyana Pechonchyk, responsable du Centre
pour les droits humains Zmina
en visio en direct d’Ukraine

jeudi 14 décembre à 19h précises

les parisien·nes se retrouveront
au maltais rouge
40, rue de malte, 7011 paris
métro : république / oberkampf

ukrainesolidaritefrance@gmail.com

Lire la suite

05 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

palestine (genève)

palestine (genève) dans A gauche du PS 406574462_685442163696814_7471316021494771422_n

Genève – Réunion publique de solidarité avec la Palestine avec Olivier Besancenot

Soirée-débat

Quelle solidarité internationaliste avec le peuple palestinien ?

Vendredi 15 décembre · 19h
Maison des Associations
Salle Gandhi
15, rue des Savoises · Genève

À Gaza, nous assistons à une guerre à tendance génocidaire dans laquelle les principales victimes sont les enfants (en moyenne 136 par jour sont assassinés), femmes et vieillards. L’armée israélienne soumet la bande de Gaza à des bombardements d’une violence inouïe et à un blocus total qui prive la population d’eau, de nourriture, de médicaments. En Cisjordanie occupée, la population palestinienne est soumise à la violence redoublée de l’armée et des colons ainsi qu’à un bouclage du territoire.

Une paix juste et durable ne sera possible que dans le cadre de la reconnaissance des droits du peuple palestinien, de l’arrêt de la colonisation et de la fin de l’occupation israélienne, dans le respect de l’ensemble des résolutions de l’ONU. Nous exigeons que la Suisse rompe les relations avec Israël et s’engage activement dans ce sens.

Dans beaucoup des pays occidentaux, l’alignement politique des gouvernements, multinationales et institutions avec le régime d’apartheid génocidaire s’accompagne de la répression de la solidarité. Nous devons agir. La solidarité est plus nécessaire que jamais. La lutte du peuple palestinien est notre lutte.

Quelle solidarité internationaliste avec le peuple palestinien ? Pour en parler, nous organisons une soirée-débat avec un panel de qualité.

Avec :

Olivier Besancenot, porte-parole du NPA (France) et ancien candidat à la présidentielle.

Soha Bechara, militante du Collectif Urgence Palestine et ex-détenue de la prison israélienne de Khiam.

Sahar Mohammad Khaled, militante féministe, syndicaliste et coordinatrice de la section Femmes du syndicat PWSU (Palestinian Workers Struggle Union) qui interviendra par vidéo en direct de Cisjordanie.

Joseph Daher, militant de solidaritéS et universitaire.

https://nouveaupartianticapitaliste.org/

Lire la suite

05 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

mandela (npa)

Crédit Photo DR Hebdo Tout est à nous !  (04/07/13)
.

Nelson Mandela : le militant et les larmes de crocodile

C’est une unanimité nationale et internationale qui rend hommage aujourd’hui à Nelson Mandela. Larmes de crocodile et larmes sincères se fondent dans un torrent de louanges pour admirer ce militant qui, libéré en 1990, aura passé 27 ans en prison et mené une lutte victorieuse contre l’apartheid en Afrique du Sud. 

Des tandems ô combien significatifs vont se rendre aux obsèques : Hollande-Sarkozy ou Obama-Bush. Sans parler de la tristesse de Philippot du FN… Des larmes de crocodile qui rendent nécessaire quelques rappels.

La France n’a arrêté ses livraisons d’armes à l’Afrique du Sud qu’en 1977, soit un an après les émeutes de Soweto et quatorze ans après deux votes de l’ONU interdisant la vente d’armes et de pétrole à ce pays qui pratiquait l’apartheid.

Il faut préciser que ce pays nous fournissait quand même environ un millier de tonnes d’uranium par an. Du coup, on comprend pourquoi cette politique était défendue par le groupe parlementaire d’ « Amitiés France – Afrique du Sud » présidé systématiquement par des députés gaullistes qui n’hésitaient pas à l’époque à traiter l’organisation de Mandela de « terroriste » et « communiste »…

C’est Chirac qui, en 1984, va bien résumer la situation : « De par la situation qu’elle occupe sur la route du pétrole, de par ses richesses minières, de par son opposition à la propagation de mouvements subversifs, l’Afrique du Sud mériterait qu’on la traite avec plus de considération ».Faut-il rappeler les complicités de la droite et d’une partie de la gauche avec le régime sud-africain ? En dehors du PCF et de courants catholiques de gauche, qui a participé à la campagne du boycott ?

Abolir l’apartheid social

Mandela fut un militant anti-apartheid exemplaire, un militant courageux qui mérite tout notre respect. Homme du pardon, Mandela n’était pourtant pas un pacifiste et n’avait pas hésité à créer en 1961 la « Lance de la Nation », branche armée de l’ANC, mais il ne s’est jamais défini comme un révolutionnaire voulant se débarrasser du capitalisme après la fin de l’apartheid.

C’est ce qui explique aujourd’hui l’immense rassemblement hypocrite autour de sa dépouille. Issue de la fin de l’apartheid, l’alliance gouvernementale actuelle ANC-PCSA et Cosatu dirige aujourd’hui un apartheid de classe : 55 % de chômeurs chez les jeunes noirs, 52 % de la population qui vit en dessous du seuil de pauvreté et 26 % qui ne mange pas à sa faim, et quant à la promesse de redistribuer 30 % des terres, seulement 5 % a été réalisé.

Avec l’ANC, c’est le règne de la corruption, du chômage, du sida, de la pauvreté et même de la répression, comme on a pu le voir il y a peu de temps contre les mineurs de Marikana.

Nous sommes au côté du peuple sud-africain, au côté de celles et ceux qui pleurent un militant courageux, qui veulent prolonger le combat contre l’apartheid par un combat anticapitaliste contre les bourgeoisies noire et blanche qui aujourd’hui asservissent la population. Et pour cela, nous ne marcherons dans aucune union nationale.Notre façon de continuer son combat pour l’égalité.

Alain Krivine  Hebdo L’Anticapitaliste – 221 (12/12/2013)

https://nouveaupartianticapitaliste.org/

Nelson Mandela : l’hommage du vice à la vertu

« Des dirigeants qui se disent solidaires du combat de Mandela pour la liberté mais ne tolèrent pas l’opposition de leur propre peuple »…

La critique est violente mais contrairement à ce qu’on aurait pu croire, elle n’est pas venue du dirigeant cubain Raoul Castro mais de celui qui venait justement de lui serrer la main, à savoir le Président étatsunien Barack Obama.Ce même Obama avait serré un peu plus tôt celle de Hollande qui venait lui de serrer celle de Sarkozy, à l’occasion des obsèques de Mandela qui se sont tenues dans le stade de Soweto mardi 10 décembre.

Une pluie d’hypocrisie

Il pleuvait à torrent sur un stade à peine rempli, et cette météo rafraîchissante, cette pluie sur ce prestigieux parterre des puissants du monde, cachait bien mal le nuage d’hypocrisie qui règne sur ce monde de politiciens. Mais cet hommage mondialement retransmis a bien été une opération politique, une véritable comédie œcuménique associant les larmes des dictateurs avec celles des peuples qu’ils oppriment, les anciens soutiens de l’Apartheid avec celles et ceux qui l’ont combattu.

Aujourd’hui au bord de l’explosion, l’Afrique du Sud est en pleine crise, et l’hommage à Mandela sert de diversion pour tous ceux qui, au nom d’un prétendu héritage, dirigent un système libéral qui a certes permis l’éclosion d’une bourgeoisie noire mais continue l’oppression et la répression contre tout un peuple.

Le peuple se manifeste

Le seul véritable moment de vérité fut le tonnerre de sifflets populaires accompagnant l’arrivée de Jakob Zuma, actuel Président de l’Afrique du Sud et nouveau chef de l’ANC. Dernier représentant politique à s’exprimer à la tribune, le successeur de Mandela a vu le stade se vider pendant son intervention. Après avoir rendu hommage à Mandela, Zuma a déclaré : « laissons la tolérance s’établir, pour créer les bases de la paix. Et par-dessus tout, œuvrons pour lutter contre la faim, la maladie et d’autres maux dont souffre l’humanité ».

Le peuple sud-africain a apprécié, tant Zuma est connu pour être devenu le chef de la corruption, des magouilles et de la répression qui dominent aujourd’hui le pays. Il aurait pu aisément faire parti des dirigeants vilipendés, le temps d’un discours, par Obama…Ne manquait à l’appel de tout ce beau monde que le dirigeant actuel du sionisme israélien qui fut l’un des plus grand défenseur de l’esclavage des noirs, à savoir Benjamin Netanyahou, retenu, dit-on, pour des « raisons de sécurité » et des « frais de voyage » jugés trop onéreux… Peut-être que la véritable raison de cette absence est surtout que Netanyahou n’a pas besoin de faire des milliers de kilomètres pour entendre parler d’un peuple opprimé, il a déjà ça « à la maison » : le peuple palestinien…

Obama prend la pose

Dans le stade de Saweto, Obama a pu s’offrir aux yeux du monde un moment « progressiste », ses « fifteen minutes » de gauche. « Madiba est le dernier grand libérateur du XXe siècle » a-t-il ainsi déclaré. Bien loin de la politique des USA pourrait-on ajouter…

Difficile de faire oublier le rôle toujours décisif de l’impérialisme étatsunien dans le monde, sans oublier bien entendu la situation misérable des minorités ethniques aux USA, de la grande majorité des noirs américains en particulier, même si ceux-ci ont le droit de s’asseoir à coté des blancs dans les bus.

« Inoubliable » a dit le sénateur ex-PCF Robert Hue, un des cinq invités de Hollande qui ne représente plus que lui-même (et encore)… Finalement, la seule image importante de cet hommage fut bien cette poignée de main oh combien significative échangée par Hollande et Sarkozy, l’un poursuivant en effet le (sale) travail de l’autre. Effectivement inoubliable !Non décidément, ce monde là n’est pas le nôtre.

Alain Krivine Hebdo L’Anticapitaliste  (19/12/2013)

https://nouveaupartianticapitaliste.org/

 

Lire la suite

04 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

yémen (4è internationale)

yémen (4è internationale) dans Altermondialisme
Copyright DR Frank Prouet

Yémen : de l’intervention impérialiste à une crise humanitaire sans précédent

En 2011, dans le sillage du printemps arabe, un gigantesque soulèvement populaire balayait le Yémen. Dans ce pays dominé par la la corruption, miné par les divisions entre le nord et le sud et le rôle écrasant des vieilles hiérarchies militaro-tribales, un espoir se levait.

La jeunesse occupait les places, pendant des mois, à Sanaa, à Taez, à Aden. Parmi ses principaux porte-parole, on retrouvait même une femme, Tawakkol Karman, et une exigence, un État civil, qui rompe avec les vieilles hiérarchies militaro-religieuses et tribales. La révolution unifiait le pays, dans l’espoir d’en finir avec un pouvoir corrompu, incarné par le clan du président Saleh, qui vendait pour une bouchée de pain les richesses gazières du pays aux multinationales, comme le français Total, qui utilisait et manipulait la montée du danger d’Al-Qaida au Yémen pour se rendre indispensable aux yeux des bailleurs de fonds internationaux, notamment étatsuniens.

La révolution était assez forte pour chasser le président Saleh du pouvoir. Mais pas question pour les impérialismes étatsunien mais aussi français, pas question pour la monarchie saoudienne voisine, pas question pour les vieilles forces réactionnaires militaro-tribales yéménites, de laisser la révolution gouverner. Le détroit de Bab el Mandeb, par où transite un tiers du pétrole du monde, ne pouvait être sous le contrôle d’un gouvernement révolutionnaire. L’Arabie saoudite voisine, où jusque le nom du pays est privatisée par un seul clan, ne pouvait accepter une révolution qui chassait le tyran. Les richesses devaient retourner aux vieilles élites claniques marginalisées par le clan Saleh.

Cette coalition réactionnaire a d’abord bloqué l’accouchement d’une nouvelle Constitution démocratique, puis imposé un gouvernement de continuité avec l’ancien régime en imposant Hadi, l’ancien Premier ministre du président déchu, à la tête d’un gouvernement transitoire.

Elle s’est unie, puis déchirée pour conquérir le pouvoir, plongeant le pays dans une crise militaire et humanitaire sans fin. Une crise décuplée par l’intervention militaire aventureuse Tempête décisive, lancée en 2015 par Mohamed Ben Salman, MBS, le nouvel homme fort de l’Arabie saoudite, avec le soutien de son allié et mentor Mohamed Ben Zayed, des Émirats arabes unis, sous l’égide du parapluie américain, et plus discrètement français.

L’agression du richissime royaume saoudien contre le pays le plus pauvre du monde arabe devait régler en quelques mois le problème des Houthis, soutenus par l’Iran, qui avaient pris le contrôle de la capitale Sanaa, en alliance avec l’ex-président déchu Saleh, dans un retournement d’alliance spectaculaire. Huit ans plus tard, le Yémen est plus divisé que jamais, et la guerre est toujours là, qui aboutit à l’impasse d’aujourd’hui.

Tempête décisive, une aventure réactionnaire…

Cette aventure yéménite de MBS s’explique autant par la volonté du nouvel homme fort saoudien d’asseoir son jeune pouvoir au sein du royaume que par l’affrontement sourd qui oppose les Saoud à la République islamique d’Iran depuis la chute du Shah. Un affrontement rythmé par la guerre Iran-Irak, où le royaume saoudien a financé l’agression irakienne, ou par les affrontements entre pèlerins iraniens et police saoudienne à La Mecque en 1987.

Ces tensions n’ont fait que s’aviver avec la montée en puissance du nucléaire iranien. Avec Israël, l’Arabie saoudite a dénoncé la signature de l’accord sur le nucléaire de 2015, qui laissait un volet nucléaire civil et réintroduisait le pétrole iranien sur le marché au moment où son prix s’effondrait. Sans oublier la minorité chiite en Arabie saoudite, majoritaire dans la région de Al-Hassa, principale région pétrolière saoudienne, vue comme une perpétuelle menace intérieure. Pour le royaume sunnite, protecteur des lieux saints, les printemps arabes n’étaient rien d’autre qu’une volonté iranienne de constituer, contre les sunnites, un arc chiite du Bahrein au Yémen en passant par la Syrie et l’Irak.

C’est qu’au Yémen justement, en 2014, surfant sur le mécontentement populaire, les Houthis chassent militairement de la capitale Sanaa le gouvernement de transition de Hadi, qui d’un côté fait exploser le prix du gaz pour les Yéménites, mais de l’autre le brade encore et toujours à Total.

Les Houthis sont issus d’une branche particulière du chiisme, les zaydites, qui ont dominé le Yémen pendant des siècles, puis ont été marginalisés par la République puis la réunification. Plus qu’un protagoniste d’un conflit religieux – chiites contre sunnites – les Houthis représentent une minorité qui critique haut et fort l’alignement du président Saleh sur l’impérialisme américain, sous prétexte de lutte contre le terrorisme après le 11 Septembre.

Un adversaire bien commode, allié de l’Iran honni par l’impérialisme américain, contre lequel Saleh envoie des bombes, mais aussi des écoles coraniques sunnites ultra-orthodoxes, comme Dar al-hadith, en plein territoire chiite, pour réactiver un conflit religieux bien peu réel au départ. Ironie de l’histoire, Saleh, comme beaucoup de membres de l’élite yéménite, est issu de la minorité zaydite !

Que ne ferait-il pas pour garder le pouvoir 33 ans et pour avoir les subventions américaines. Il irait jusqu’à s’allier avec les adversaires d’hier ! Et c’est une alliance improbable et instable entre Houthis et Saleh tout juste chassé du pouvoir, qui expulse le nouveau gouvernement de transition Hadi de Sanaa. Le gouvernement Hadi, issu du fragile compromis entre les forces qui voulaient faire rentrer la révolution dans le rang et se partager le pays, doit se réfugier à Aden, dans le sud. Il ne doit son salut qu’au soutien militaire et financier de la coalition internationale réactionnaire États-Unis – Arabie saoudite – Émirats arabes unis.

Deux coalitions fragmentées

À Sanaa, les Houthis et l’ancien président déchu Saleh, alliés d’un jour, se déchirent à nouveau. Saleh est assassiné. Les Houthis sont seuls maitres du jeu fin 2017. Au Sud, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, alliés et soutiens financier et militaire d’une coalition anti-houthis hétérogène, voient leurs protégés respectifs s’affronter à l’arme lourde.

C’est que l’Arabie saoudite porte à bout de bras les milices de Hadi réfugiées à Aden. Qui ont emporté dans leurs bagages Al-Islah, le parti militaro-tribal lié aux Frères musulmans. Ces mêmes milices qui ont mené la guerre contre les sudistes lors de la tentative de sécession de 1994, qui a fait des milliers de morts dans les rangs sudistes et emporté les espoirs d’autonomie. Les Émirats arabes unis, alliés de l’Arabie saoudite, financent surtout les milices du mouvement sudiste, certes opposés aux Houthis, mais qui créent, contre les protégés des Saoudiens réfugiés à Aden, un Conseil de transition du Sud, qui va bientôt s’affronter militairement au gouvernement Hadi et à ses soutiens d’Al-Islah.

Cette cohabitation improbable a en effet réveillé les vieilles fractures nord-sud. Le nord issu de l’occupation ottomane et de la lutte contre la monarchie, avec la République arabe du Yémen. Le sud issu de l’occupation par l’impérialisme anglais du grand port d’Aden et de son arrière-pays, pour sécuriser son empire et la route des Indes. Issu aussi de l’expérience avortée de la République démocratique populaire du Yémen, qui a suivi le retrait obligé des Anglais.

Cette expérience très avancée, avec éducation et santé gratuites, égalité formelle hommes femmes et positions anti-impérialistes, a été la cible de nombreuses attaques qui ont limité son développement, favorisé les fractures internes et l’ont poussée dans les bras de l’URSS. Elle a pris fin à la chute du Mur, et s’est conclue en 1990 par une réunification entièrement dominée par les élites du nord de la République arabe du Yémen.

Mais le front anti-houthis fracturé au sud se lit aussi sur fond de concurrence économique grandissante entre Saoudiens et Émiratis. MBS veut un royaume saoudien qui ne soit plus seulement une pétromonarchie. Il veut engager une transition grandiose et probablement bien peu réaliste, développer les services, le tourisme, les investissements privés étrangers, avec son projet vision 2030. Il fait pression sur les multinationales pour rapatrier leur siège à Ryad, ce qui le met inévitablement en concurrence avec Dubaï, première ville des Émirats.

En 2021, Ryad met un ultimatum aux grands groupes étrangers. Plus de contrats publics après 2024 si vous ne localisez pas votre siège régional dans le royaume, qui n’accueille que 5 % des sièges internationaux contre 76 % pour les Émirats. Il faut dire que l’assassinat de Jamal Khashoggi, journaliste de cour devenu critique du pouvoir saoudien, le kidnapping de centaines de princes enfermés de longs mois au Hilton Ryad et qui en ressortent les poches délestées, la démission forcée de Saad Hariri, Premier ministre libanais, sunnite et allié de l’Occident, après son kidnapping par MBS à Ryad, ont refroidi plus d’un investisseur étranger et suscité la colère américaine.

Le tableau de la fracturation du Yémen serait incomplet, si l’on n’ajoutait pas Al-Qaida dans la Péninsule arabique, AQPA, et la branche yéménite de l’État Islamique, qui profitent des affrontements pour gagner un temps des territoires, notamment le port de Mukalla et la vallée de l’Hadramaout. Sans parler aussi des drones américains qui frappent régulièrement marchés et chefs tribaux. Une fragmentation politico-militaire à l’infini, dont la principale victime est le peuple yéménite…

Les deux camps enlisés

Après huit années de guerre, l’Arabie saoudite n’a pas vaincu les Houthis, soutenus par l’Iran, qui contrôlent les deux tiers nord du territoire. Son alliance est fracturée, le Yémen balkanisé. Le gouvernement yéménite en exil qu’il fait et qu’il défait, n’a de pouvoir que sur les chambres des hôtels de luxe qu’il occupe à Ryad. Un enlisement qui coûte cher au royaume. Pire, l’Arabie Saoudite et ses terminaux pétroliers ont été plusieurs fois la cible de drones houthis de conception iranienne, réduisant temporairement ses capacités d’exportation de pétrole, richesse essentielle qui représente 90 % des rentrées de l’État. Mohamed Ben Salman retiendra que les États-Unis n’ont pas bougé le petit doigt, quand les drones iraniens ont frappé son pays.

La guerre est ingagnable par l’Arabie saoudite, qui souhaite se recentrer sur son agenda économique, dont l’horizon radieux s’éloigne encore avec la crise covid, et dont l’actualité est de moins en moins dictée par sa relation exclusive avec les États-Unis, qui ne l’ont pas soutenu, et qui doit reprendre langue avec l’Iran pour sortir de ce bourbier. De même, les Houthis, solidement installés au nord, ne peuvent espérer conquérir la totalité du territoire yéménite. Leur échec meurtrier, avec la mort de plusieurs dizaines de milliers de combattants, dont de nombreux enfants soldats, dans la tentative de prendre le contrôle de la région pétrolière de Marib a sonné le glas de leurs espoirs.

Le Yémen a faim et soif !

La guerre aurait fait plus de 100 000 victimes civiles. Près de quatre millions de personnes ont fui les combats et les bombardements. Mais la faim, la malnutrition, la soif tuent plus surement encore que les bombardements des écoles, des hôpitaux, des marchés, des mariages, par la coalition saoudienne.

L’ONU parle de 200 000 victimes civiles indirectes. Vingt-quatre millions de personnes, 80 % de la population, ont besoin d’une aide d’urgence. Un chiffre jamais atteint par aucun pays au monde. Plus de la moitié de la population ne mange pas à sa faim. 7,4 millions de personnes souffrent de malnutrition, dont 2 millions d’enfants, selon Oxfam. Le système de santé est exsangue, les rares structures sanitaires qui fonctionnent, notamment celles des ONG, sont bombardées par les avions saoudiens.

Les prix explosent alors que les revenus s’effondrent. Pour asphyxier financièrement les Houthis, qui prélèvent des droits de douane et rançonnent les organisations humanitaires, l’Arabie saoudite bloque l’acheminement de l’aide humanitaire, déjà largement sous-dimensionnée par rapport aux immenses besoins. La crise humanitaire s’aggrave avec le blocus saoudien du port d’Hodeida et de l’aéroport de Sanaa. Le pays est renvoyé au 191e rang de l’indice de développement de l’ONU. Voilà le prix payé pour l’intervention de l’impérialisme et la revanche des vieilles hiérarchies militaro-tribales contre la révolution.

On retiendra la participation française à la sale guerre du Yémen. Malgré les dénégations du gouvernement français, la fuite d’une note de la direction du Renseignement militaire a confirmé les accusations portées par les ONG françaises.

En pleine affaire Khashoggi, elle révélait que 48 canons Caesar fabriqué par Nexter, détenu à 100 % par l’État français, d’une portée de 42 km, étaient déployés par l’Arabie saoudite à sa frontière avec le Yémen. La livraison s’est achevée en 2018, bien après le début du conflit. Un nouveau contrat d’exportation est même signé en décembre 2018, dans le plus grand secret, pour des blindés Titus et des canons tractés 105LG. Après les États-Unis, la France est le principal pays fournisseur de la sale guerre qui martyrise et affame le Yémen.

Le Yémen a faim, mais le Yémen a aussi soif ! Dans une des régions habitées les plus sèches du monde, le réchauffement climatique diminue encore le niveau des précipitations, les transformant en rares épisodes pluvieux diluviens qui arrachent les terres arables, avec d’autant plus de facilité que les cultures en terrasse ne sont plus entretenues avec la guerre.

Mais l’effondrement du système hydrique ne date pas de la guerre. Il a été aggravé par les effets conjoints des politiques d’aide des institutions internationales néolibérales et de l’ancien pouvoir central yéménite. Tous deux ont favorisé, à coups de subventions et en fermant les yeux, la multiplication anarchique des pompages d’eau en forage profond, que seuls peuvent se payer les grands propriétaires terriens.

Pour produire le quat, cette plante euphorisante gourmande en eau, qui rapporte beaucoup mais pompe 40 % de l’eau agricole yéménite. Pour produire des cultures d’exportation, comme la banane ou la mangue au service des multinationales. Ces forages épuisent les aquifères, détournent l’eau des cultures villageoises de subsistance, multiplient les conflits autour de l’eau. Les puits de surface des petits paysans s’assèchent. Cela augmente encore leur dépendance aux chefs tribaux, à leurs camions-citernes qui amènent l’eau potable, dont la qualité se dégrade, à la campagne comme à la ville.

En 2017, le Yémen enregistre la pire épidémie de choléra connue au monde, avec plus d’un million de cas, alors que son système de santé est effondré. Ce modèle de gestion de l’eau est insoutenable à court terme. Il pompe plus que la ressource en eau ne peut se renouveler, alors que l’eau renouvelable n’est que de 72 m3 par habitant et par an, très loin déjà des 500 m3 définis comme seuil de rareté.

Le pouvoir saoudien veut se retirer du bourbier yéménite

Sur ce champ de ruines, la révolution matée, sans espoir de victoire pour aucun des multiples camps réactionnaires, les négociations directes entre les Houthis et l’Arabie saoudite ont commencé à porter leurs fruits, sous le regard de l’envoyé spécial de l’ONU Hans Grundberg.

Des prisonniers sont échangés, l’accord de cessez-le-feu d’octobre 2022 fait cesser les bombardements aériens saoudiens et les attaques de drones houthis, l’accès à l’aide humanitaire s’améliore, des discussions commencent sur le paiement des fonctionnaires houthis sur les revenus du pétrole yéménite, gérés par l’Arabie saoudite, une revendication essentielle des Houthis… Tout cela constitue un fragile espoir de paix, mais dans un pays dévasté et fragmenté par les vieilles hiérarchies et l’agression impérialiste, qui semble avoir tué l’espoir démocratique et unitaire de toute une jeunesse. Fragile espoir d’une paix pourtant indispensable à la réorganisation d’une société civile et démocratique yéménite, seule véritablement porteuse d’espoir.

Car une « victoire » des houthistes, à travers le retrait de l’ennemi saoudien, et la fin de son soutien financier et militaire aux différents fronts anti-houthistes, n’est pas synonyme de victoire de la démocratie ou du droit des femmes. Loin de là ! Les nombreux emprisonnements, assassinats, disparitions, rafales de kalachnikov dans les jambes que le pouvoir houthis a infligé à ses oppositions, les multiples affaires de corruption ou les campagnes pour une tenue décente islamique en attestent.

Mais l’horizon saoudien de retrait du Yémen ne peut se comprendre seulement à travers l’échec de son aventure militaire. Il doit être mis en relation avec les évolutions de la situation internationale, et du rôle plus autonome que MBS peut et veut y jouer. Deux événements internationaux illustrent cette nouvelle donne.

Un mois avant les élections américaines de mi-mandat, l’Arabie saoudite choisit de réduire de deux millions de barils de pétrole par jour la production de l’OPEP, pour augmenter sa rente pétrolière. Cela porte un coup sévère à Biden en faisant grimper les prix du pétrole juste avant une élection difficile pour les Démocrates. Et cela donne une bouffée d’oxygène à Poutine, qui voit la rente pétrolière s’envoler malgré les sanctions contre son invasion de l’Ukraine.

Alors que Biden est allé jusqu’à serrer honteusement la main de MBS à Jeddah, après avoir réclamé son isolement suite au meurtre de Khashoggi, alors que Biden a tout fait pour bloquer la résolution au Sénat de Bernie Sanders sur les pouvoirs de guerre pour limiter le soutien étatsunien à la guerre du Yémen, alors que les tribunaux américains ont accordé l’immunité au prince, Biden n’a pu compter sur le soutien de l’Arabie saoudite dans son bras de fer avec la Russie sur le pétrole.

En avril 2023, lors d’une spectaculaire rencontre en Chine, donc sous l’égide de Xi Jinping, l’Arabie saoudite et l’Iran ont rétabli leurs relations diplomatiques, rompues depuis 2016. Autre annonce fracassante, la création en Arabie saoudite d’une usine de montage de drones de fabrication chinoise. Ou la participation aux BRICS aux côtés de la Chine et de la Russie.

Dans le même temps, Mohamed Ben Salman met sur la table la proposition d’établir des relations diplomatiques officielles avec Israël, en échange d’un engagement contraignant de la part des États-Unis à sa défense en cas d’agression. La volonté de MBS est clairement de se désengager du bourbier yéménite, d’avancer dans les négociations de paix avec les Houthis, sur fond de rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite, pour profiter au mieux de la rente pétrolière, quitte à mettre en difficulté le parrain américain, pour se recentrer sur son horizon 2030, en profitant d’un monde multipolaire et des tensions Chine-États-Unis pour mieux négocier une place plus autonome. Quitte là encore à froisser les États-Unis.

Frank Prouet

https://fourth.international/fr/

 

Lire la suite

03 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

dulcie (npa)

Philippe Poutou Hebdo L’Anticapitaliste  (30/11/2023) Dulcie, de Benoît Collombat et Grégory Mardon Du Cap à Paris, enquête sur l’assassinat d’une militante anti-apartheid, Éditions Futuropolis, 2023, 304 pages, 26 euros

Dulcie, de Benoît Collombat et Grégory Mardon

Cela se fait de plus en plus. Voilà une histoire vraie, une enquête menée par Benoît Collombat, et racontée sous la forme d’une bande dessinée, par Grégory Mardon. Cela permet une lecture plus facile alors qu’il s’agit d’évènements plutôt sordides.

Il est question d’un assassinat politique, celui de Dulcie September, une militante noire sud-africaine contre le régime d’apartheid, le 29 mars 1988 à Paris. Enseignante, Dulcie avait été déjà condamnée à de la prison pour activité militante dans le parti de Nelson Mandela, l’ANC (African National Congress) considéré alors comme terroriste.

Libérée, elle reste sous surveillance et sous menace permanente du pouvoir, alors elle quitte son pays et se retrouve en exil en France. Elle y devient représentante de l’ANC. Elle milite à fond pour soutenir à distance la résistance de son peuple.

À travers le combat de Dulcie, c’est aussi l’histoire des relations de la France et de nombreux pays européens avec le régime sud-africain, qui demeureront plus ou moins officiels et secrets, alors que se développe une mobilisation internationale contre l’apartheid et le racisme, avec une campagne de boycott.

Au fil des pages, les auteurs nous rappellent l’hypocrisie et le cynisme des gouvernants français, notamment celui de Mitterrand, la gauche de l’époque, d’un côté dénonçant le racisme, d’un autre continuant les affaires commerciales avec le régime raciste qui réprime les révoltes noires, qui emprisonne, qui exécute régulièrement les militantEs noirEs.

Parmi ces affaires, il y a la coopération nucléaire et militaire, par la vente importante d’armes, en passant par des intermédiaires européens et le réseau classique de banques. Pas original du tout dans ce monde capitaliste ! Et puis, on retrouve l’État d’Israël (ironie de l’histoire), très impliqué dans l’aide nucléaire et militaire, le trafic passant par là et par l’île de la Réunion (possession française) pour finir en Afrique du Sud.

Cette enquête a le mérite de rappeler toute cette histoire, oubliée ou effacée. Le crime reste impuni trente-cinq ans après, malgré les tentatives de la famille, des militantEs anti-apartheid en France de relancer la justice. Par ce livre, l’hommage est rendu à Dulcie et à toutes celles et ceux qui ont participé au combat anti-apartheid et pro-boycott. Un combat qui en rappelle d’autres.

Vendredi 1 décembre 2023

https://lanticapitaliste.org/

Lire la suite

01 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

henry kissinger (the conversation)

kissinger
Henry Kissinger a été conseiller à la sécurité nationale des États-Unis (1969-1975) et secrétaire d’État (1973-1977).

Henry Kissinger, promoteur d’une « realpolitik » aux résultats largement controversés

Henry Kissinger, décédé le 29 novembre 2023 à l’âge de 100 ans, a exercé son influence sur la politique étrangère américaine pendant près d’un demi-siècle.

En tant que spécialiste de la politique étrangère américaine, j’ai particulièrement travaillé sur l’action de Kissinger de 1969 à 1977, période durant laquelle il fut conseiller à la sécurité nationale et secrétaire d’État sous les administrations Nixon et Ford. Tenant d’une vision étroite de l’intérêt national des États-Unis, il a mis en œuvre une realpolitik qui consistait principalement à tout faire, sur chaque dossier de politique étrangère, pour maximiser la puissance économique et militaire de Washington.

Cette approche transactionnelle a produit une série de résultats destructeurs. Sous la férule de Kissinger, l’action internationale des États-Unis a notamment été marquée par la fomentation de coups d’État aboutissant à la mise en place de dictatures meurtrières comme au Chili ; par des bombardements massifs se soldant par la mort de très nombreux civils comme au Cambodge ; ou encore par l’aliénation d’alliés potentiels comme l’Inde.

Au diable les valeurs

Dans sa thèse (qui deviendra le premier des nombreux ouvrages qu’il aura publiés) consacrée au Congrès de Vienne de 1815, Kissinger affirme que l’action des responsables de la politique étrangère doit être mesurée à l’aune de leur capacité à identifier les changements politiques, militaires et économiques à l’œuvre dans le système international, puis à faire en sorte que ces changements jouent en faveur de leur pays.

Dans ce modèle de politique étrangère, les valeurs politiques comme l’attachement à la démocratie et aux droits de l’homme qui sont censées faire des États-Unis un acteur distinctif du système international ne jouent strictement aucun rôle.

Cette vision des choses, présentée comme étant réaliste et pragmatique, ainsi que la place de Kissinger au sommet de l’establishment de la politique étrangère en tant que conseiller à la sécurité nationale et secrétaire d’État pendant près d’une décennie, ont fait de « Dear Henry » une sorte d’oracle de la politique étrangère pour les décideurs politiques américains de tous bords.

Or l’examen de son bilan permet de mettre en évidence les problèmes posés par une conception très étroite de l’intérêt national. Son passage au gouvernement s’est caractérisé par des décisions politiques qui ont, pour la plupart, nui aux positions internationales des États-Unis.

Carnage au Cambodge

En arrivant à la Maison Blanche en 1968, Richard Nixon avait promis une fin honorable à la guerre du Vietnam. Toutefois, il a rapidement été confronté à un problème majeur lorsqu’il a cherché à s’assurer le contrôle de la situation sur le terrain : la porosité des frontières du Vietnam avec le Cambodge. Les soldats et les équipements militaires du Nord-Vietnam étaient en effet acheminés en grand nombre vers le Sud à travers le territoire cambodgien.

Pour résoudre ce problème, Nixon a très significativement intensifié la campagne de bombardements visant le Cambodge entamée par son prédécesseur Lyndon Johnson. Il a ensuite lancé une invasion terrestre du Cambodge pour couper les voies d’approvisionnement du Nord-Vietnam.

Comme l’explique William Shawcross dans son livre de référence sur le sujet, Kissinger a entièrement soutenu la politique cambodgienne de Nixon.

Bien que Phnom Penh n’ait pas été partie prenante au conflit vietnamien, les bombardements américains sur le Cambodge auraient été supérieurs en tonnage à l’ensemble de toutes les bombes larguées par les États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, y compris les bombes nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki.

La campagne a causé la mort de plusieurs dizaines de milliers de Cambodgiens et en a déplacé des millions. Les destructions causées par les bombardements et l’occupation partielle par les Américains en 1970 ont joué un rôle déterminant dans la déstabilisation politique et sociale du pays, qui a facilité l’instauration du régime génocidaire des Khmers rouges, lequel aurait en quelques années au pouvoir, tué environ 2 millions de Cambodgiens.

Soutien à un leader génocidaire

En 1970 et 1971, Nixon, conseillé et encouragé par Kissinger, a soutenu le dictateur pakistanais Muhammad Yahya Khan dans sa répression génocidaire des nationalistes bengalis et sa guerre contre l’Inde. On estime qu’entre 300 000 et 1 million de Bengalis auraient été tués lors de ce conflit. Khan souhaitait une éviction complète des Hindous du Pakistan oriental, une région qui allait, à l’issue d’une guerre sanglante, finalement obtenir son indépendance sous le nom de Bangladesh.

Des millions de réfugiés en provenance du Pakistan oriental fuirent alors vers l’Inde, qui tenta de faire valoir auprès de l’administration américaine que cet afflux massif représentait pour elle un fardeau colossal. Irrité par ces demandes, Kissinger acquiesça quand Nixon lui dit qu’il fallait peut-être que l’Inde – pourtant un pays démocratique comme les États-Unis – subisse une « famine de masse » pour apprendre à rester à sa place.

Durant la troisième guerre indo-pakistanaise (décembre 1971), le duo est allé jusqu’à envoyer un porte-avions américain dans le golfe du Bengale pour intimider l’Inde, qui avait subi une série d’attaques transfrontalières de la part du Pakistan. La politique de soutien au Pakistan menée par Nixon et Kissinger à cette période a été pour beaucoup dans le rapprochement entre l’Inde et l’Union soviétique. La diplomatie indienne s’est alors imprégnée d’une profonde méfiance envers Washington ; la plus ancienne et la plus grande démocraties du monde se sont donc éloignées l’une de l’autre pour des décennies. (Pas notre avis blog)

Au soutien de Saddam Hussein contre les Kurdes

En 1972, Kissinger a accédé à la demande du chah d’Iran de fournir une aide militaire aux Kurdes d’Irak qui cherchaient à obtenir une patrie indépendante. L’objectif de l’Iran était de faire pression sur le régime irakien contrôlé par Saddam Hussein, tandis que Kissinger cherchait avant tout à maintenir les Soviétiques hors de la région. Le projet, comme l’a souligné le chah, reposait sur la conviction des Kurdes que les États-Unis soutenaient leur indépendance.

Mais les États-Unis ont abandonné les Kurdes à leur sort à la veille d’une offensive irakienne en 1975, Kissinger commentant froidement à cet égard que « les opérations secrètes ne doivent pas être confondues avec un travail de missionnaire ».

En fin de compte, la défaite irakienne contre les Kurdes renforcera Saddam Hussein, qui durant les décennies suivantes continuera à déstabiliser la région, à tuer des centaines de milliers de personnes et à déclencher des guerres.

« Pragmatique » jusqu’au bout

Après son départ du gouvernement en 1977, à la suite de la défaite de Gerald Ford face à Jimmy Carter, Kissinger a fondé Kissinger Associates, une société de conseil en géopolitique. Jusqu’à la fin de ses jours, il a toujours conseillé aux décideurs politiques américains d’adapter leur politique aux intérêts des grandes puissances étrangères telles que la Russie et la Chine.

Ces positions étaient cohérentes avec sa conviction, maintes fois démontrée, que les intérêts des États-Unis prévalaient sur toute autre considération, à commencer par les droits des autres pays et peuples. C’est probablement aussi du fait de cette posture que Kissinger Associates a toujours pu bénéficier d’un accès privilégié aux élites politiques des grandes puissances non démocratiques.

Henry Kissinger continuera bien longtemps après son départ de la vie politique d’être reçu par divers responsables étrangers, comme par Vladimir Poutine au Kremlin. Ce dernier a réagi à l’annonce du décès de l’ancien secrétaire d’État américain en saluant la mémoire d’un homme « sage et visionnaire ». 

En mai 2022, Kissinger a publiquement affirmé que l’Ukraine, victime d’une agression non provoquée de la part de la Russie, devrait céder les portions de son territoire internationalement reconnu dont s’étaient emparés la Russie elle-même (à savoir la Crimée) ou des mandataires de Moscou (cas des « Républiques populaires » de Donetsk et de Lougansk).

Kissinger a également soutenu que les États-Unis devaient s’adapter aux exigences de la Chine, et mis en garde contre tout effort concerté des démocraties qui viserait à contrer la puissance et l’influence croissantes de Pékin.

La politique étrangère est, bien sûr, un univers extrêmement complexe et imprévisible. Mais la vision dite « réaliste » de Kissinger ne représente certainement pas la panacée en la matière, y compris pour les États-Unis. Des décennies durant, l’imposition de cette vision dénuée de la moindre considération morale a provoqué de nombreux désastres – une réalité que les responsables américains, ainsi que les simples citoyens, auraient intérêt à garder à l’esprit.

Jarrod Hayes : Associate Professor of Political Science, UMass Lowell

: 30 novembre 2023,

https://theconversation.com

Henry Kissinger 1923-2023: war criminal loved by imperialism dies (socialist worker)

Lire la suite

Rocutozig |
Tysniq |
Connorwyatt120 |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Rafredipen
| Agirensemblespourpierrevert
| Buradownchin