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06 mars 2025 ~ 0 Commentaire

UKRAINE (NPA)

 

UKRAINE (NPA) dans Altermondialisme

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Avec l’Ukraine, contre le militarisme

Dans cet entretien percutant, Catarina Martins, figure de proue de la gauche portugaise et députée européenne, propose une analyse lucide qui transcende les clivages simplistes sur la guerre en Ukraine. Elle démontre comment la résistance légitime du peuple ukrainien s’inscrit dans une lutte plus large contre l’exploitation néolibérale et les intérêts des multinationales qui cherchent à profiter de la reconstruction.

Martins articule une vision de gauche cohérente qui reconnaît à la fois le droit des Ukrainiens à se défendre et la nécessité d’aller au-delà d’une réponse purement militaire. Elle expose comment les créanciers internationaux et les oligarques, tant russes qu’occidentaux, instrumentalisent la crise pour leurs propres intérêts, au détriment des travailleurs ukrainiens.

À travers son expérience au Portugal, où son parti a combattu l’austérité et défendu les services publics, elle montre qu’une autre voie est possible : celle d’une solidarité internationale basée sur la justice sociale, le logement public et la défense des droits des travailleurs. Une lecture essentielle pour comprendre comment construire une paix durable fondée sur la justice sociale.

Catarina Martins était la coordinatrice nationale du Bloc de Gauche, un parti politique socialiste démocratique au Portugal, de 2012 à 2023. Elle a été élue députée européenne lors des élections européennes de 2024 et siège au sein du groupe de la Gauche au Parlement européen — GUE/NGL. Catarina a une formation en linguistique et une carrière dans le théâtre.

Le Bloc de Gauche est l’un des initiateurs de la nouvelle coalition progressiste de gauche dans l’UE, l’Alliance européenne de la Gauche pour le Peuple et la Planète. Le parti exprime sa solidarité avec le peuple ukrainien face à l’invasion russe. En novembre 2024, Catarina Martins, accompagnée de deux autres députés européens et d’autres délégués des partis de gauche européens, s’est rendue en Ukraine. Nous nous sommes entretenus avec elle pour parler de la position de la Gauche sur l’Ukraine et de l’expérience politique portugaise, ainsi que des leçons urgentes pour notre pays dans le contexte de la crise économique.

Denys : Votre visite en Ukraine a été courte, mais très intense. Vous avez rencontré de nombreux représentants de différents mouvements de diverses sphères. Qu’est-ce qui vous a frappé lors de cette visite à Kiev ?

Catarina : J’ai beaucoup lu sur la guerre et sur la situation, donc j’avais déjà certaines informations. Mais c’est très différent quand on écoute les gens qui la vivent, car nous ne sommes pas uniquement gouvernés par la raison : il y a une partie émotionnelle. Je savais qu’il y avait beaucoup de détermination, mais c’est impressionnant quand on l’entend de personnes si différentes. J’ai rencontré des ONG qui travaillent avec le gouvernement, et j’ai rencontré des gens très critiques envers le gouvernement, et ceux qui travaillent avec le gouvernement tout en étant également critiques envers lui. Toutes ces personnes très différentes étaient déterminées à repousser Poutine. Cette détermination était vraiment impressionnante. Une autre chose qui m’est apparue était à quel point Poutine avait sous-estimé l’Ukraine.

Je savais que vous étiez déterminés, je savais que l’Ukraine était, bien sûr, une nation et que le fait qu’il y ait des Ukrainiens russophones ne signifiait pas qu’ils voulaient appartenir à la Russie. Par exemple, j’ai rencontré des gens qui défendaient que le russe était leur langue et ils m’ont dit : « Je suis un Ukrainien russophone ». L’Ukraine est une société plurilingue comme tant d’autres. Ce sont des choses que je savais avant, mais c’était différent quand j’ai entendu les gens le dire.

D’un côté, bien sûr, c’est impressionnant de voir comment l’Ukraine reste organisée tout au long de la guerre. Mais quand vous parlez à ceux qui travaillent avec les personnes déplacées, dans les soins de santé, dans le soutien en première ligne, vous voyez qu’il n’y a pratiquement pas d’État là-bas. C’est un exemple lucide des dangers du néolibéralisme, c’est clair. Prenez par exemple la situation du logement : il n’y a aucune perspective d’un programme public de logement pourtant nécessaire.

Ou un autre exemple des soins de santé : nous avons visité une association qui fait des soins palliatifs. Neuf femmes faisant un travail incroyable avec l’idée que s’il n’y avait pas elles, il n’y aurait personne. Et puis quand nous avons parlé aux infirmières, il était clair que ce n’était pas une exagération de l’ONG. C’était vraiment comme ça. Ou le processus d’évacuation en première ligne — il est principalement effectué par des ONG. Bien sûr, je comprends que les ressources de l’État sont fortement consommées par la guerre. Mais il est également évident que ces problèmes existaient même avant la guerre. L’Ukraine manque d’un État avec une structure aidant les citoyens pour les choses essentielles. C’est quelque chose que j’ai appris.

Vous représentez le Bloc de Gauche au Portugal tandis que vos collègues députés européens dans la délégation, Li Andersson et Jonas Sjöstedt, sont issus des partis de gauche nordiques. Non seulement vos forces politiques ont été assez claires à gauche dans leur soutien au peuple ukrainien dans cette guerre, mais aussi en général, tant dans les pays nordiques qu’au Portugal, si je ne me trompe pas, les sondages d’opinion montrent un niveau élevé de soutien et de solidarité envers le peuple ukrainien. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui se cache derrière ?

Je pense qu’il y a diverses raisons à cela. Les pays nordiques, parce qu’ils sont près de la frontière russe, et ils ont peur de la guerre. Au Portugal, je crois que c’est parce que nous avons une importante communauté ukrainienne, donc nous nous sentons très proches. Nous avons tous des gens qui sont venus d’Ukraine dans les années 90 ou maintenant. C’est la deuxième plus grande communauté au Portugal actuellement, après les Brésiliens.

Ce qui est en fait négligé par beaucoup de ceux qui affirment leur soutien à l’Ukraine, et ce qui est mis en évidence par les gens de gauche, tant en Ukraine qu’à l’extérieur de l’Ukraine, ce sont les défis sociaux et économiques auxquels le peuple ukrainien est confronté en temps de guerre. Et je pense que nous avons aussi cette expérience commune avec le cercle vicieux de la dette et le problème de la dette extérieure. Le Portugal a connu cette histoire avec la Troïka1, avec l’étouffement par les créanciers, faisant face à la pression des institutions financières internationales. La question de la dette peut-elle aider à construire une solidarité plus large entre les pays, entre les peuples qui ont été soumis à ce fardeau de la dette et au diktat de ces institutions, que ce soit l’Ukraine, le Portugal, la Grèce ou les pays d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie ? Que pouvons-nous faire pour construire cette solidarité ?

Je pense que la question de la dette publique et de son annulation est celle dont nous devons discuter et autour de laquelle nous devons construire la solidarité. Pour le Portugal, ce n’est pas un énorme problème maintenant comme ça l’a été, mais cela a des coûts importants. Et pour un pays qui subit la destruction de la guerre, c’est catastrophique de supporter également le coût de la dette publique. Il y a un point concernant le néolibéralisme que les gens devraient intérioriser : les créanciers prétendent aider l’Ukraine, mais en réalité ils ne le font pas. Ils font des affaires avec le malheur de l’Ukraine. Et ces accords sont payés par les contribuables et les travailleurs ukrainiens. C’est parce qu’au lieu d’un soutien explicite, une aide prétendue est utilisée une fois puis transformée en dette que l’Ukraine sera obligée de rembourser. Nous devrions faire l’inverse : contrairement à la dette que vous êtes obligé de rembourser plus tard, un soutien à grande échelle devrait être réel. L’Ukraine doit être soutenue parce que c’est important et l’annulation d’une partie de la dette en est une composante — pas l’accumulation de dettes.

Et l’autre chose est la privatisation de secteurs énormes de la reconstruction de l’Ukraine, et les intérêts multinationaux qui y sont liés. Ce n’est pas parce qu’ils [les multinationales] sont généreux, c’est parce qu’ils veulent contrôler l’Ukraine en tant qu’État avec d’immenses possibilités économiques. Votre pays est très important en raison de sa situation géographique, c’est-à-dire de vos richesses naturelles, de votre agriculture. Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles vous êtes une très bonne affaire. L’enjeu est que vous devriez avoir un bon accord pour le peuple ukrainien, pas pour quelques entreprises multinationales. Pas pour ceux qui viennent en proclamant leurs intentions d’aider à reconstruire et qui restent ensuite pour opérer là-bas, en payant de bas salaires, en faisant ce qu’ils veulent et en drainant l’argent hors d’Ukraine.

Et évidemment, vous voyez dans ces forums internationaux qui sont consacrés à la reconstruction de l’Ukraine que tout tourne autour des investisseurs. Donc, qu’il s’agisse du capital oligarchique ukrainien ou des multinationales, tout tourne autour des affaires. On ne parle presque pas du travail, de ceux qui en Ukraine souffrent réellement et paient le coût de la guerre.

C’est pourquoi je pense que la gauche devrait également aider à l’idée de renforcer et de maintenir les biens publics de l’Ukraine. Une chose dont nous avons discuté est la nécessité de travailler ensemble sur un projet de financement du logement public en Ukraine. Si cela n’est pas fait, un constructeur européen ou américain viendra en Ukraine pour reconstruire des maisons et s’enrichir.

Ou un promoteur ukrainien, qui est probablement aussi un oligarque très corrompu.
En effet, les villes pourraient être propriétaires des maisons, pourquoi pas ? Vous avez cinq millions et demi de personnes déplacées internes. C’est vraiment impressionnant pour un pays de 40 millions d’habitants. Certains réfugiés sont à l’étranger maintenant, néanmoins il y en a environ 5 millions encore dans le pays. Et certains de ceux qui sont hors du pays pourraient vouloir revenir. Ce serait bon pour la reconstruction de l’Ukraine si certains d’entre eux revenaient. Ils ont besoin d’un endroit où vivre, donc l’Ukraine a besoin d’un programme de logement public. Vous n’avez pas besoin de remplir les poches d’une poignée de constructeurs.

En parlant du néolibéralisme et de toutes ces politiques d’austérité, le Portugal a payé l’un des pires prix en Europe après la crise de 2008. Mais au moins quand votre parti et les communistes surveillaient le gouvernement socialiste d’António Costa après les élections de 2015, c’était le gouvernement le moins néolibéral de l’UE à cette époque2.

C’était aussi le gouvernement le plus populaire que le Portugal ait eu en ce siècle. Nous avons construit des logements publics, augmenté les salaires et les retraites. Nous avons introduit le droit aux livres dans les écoles, car au Portugal les familles devaient payer les livres scolaires, donc après ce droit, elles ne le faisaient plus. En résumé, nous avons agi conformément à des politiques sociales universelles.

C’était important. Mais ensuite nous avons eu des élections, et en raison de la sympathie des gens pour le gouvernement, les socialistes ont reçu plus de votes. Ainsi, lorsque les socialistes sont devenus moins dépendants des autres forces de gauche — le Parti communiste portugais et le Bloc de Gauche — qu’ils ne l’avaient été auparavant, ils ont commencé à faire ce que tous les socialistes font autour du monde : ils ont introduit des politiques néolibérales. C’était un problème. Nous aurions dû faire beaucoup plus, mais je crois que ces quatre années ont prouvé que si vous faites quelque chose de différent, l’économie ira mieux. L’austérité n’est pas une réponse.

L’austérité ne fait qu’aggraver les problèmes.

Oui. Au Portugal, il y avait une discussion selon laquelle le salaire minimum ne devait pas être augmenté, car cela tuerait l’économie. Au contraire, nous avons augmenté le salaire minimum chaque année. Et, vous voyez, parce que nous avons prouvé que cette politique n’avait pas tué l’économie, depuis lors le salaire minimum a été augmenté chaque année au Portugal. Je ne dis pas que tout va bien : il est encore bas. Mais l’argument selon lequel nous ne pouvions pas augmenter le salaire minimum parce que l’économie ne pouvait pas le supporter : c’est un argument que personne ne pouvait plus utiliser. Nous l’avons changé, nous avons prouvé que l’austérité ne fonctionnait pas. Les salaires ont fonctionné pour l’économie.

Mais maintenant vous avez un gouvernement de droite au Portugal après les élections de 2024 qui ont également montré la montée en flèche du parti d’extrême droite Chega. Quels sont les principaux défis selon vous pour le Bloc de Gauche et pour la gauche en général au Portugal en ce moment ? Comment pouvons-nous combattre ces forces de droite ?

Nous avons un problème parce que nous avons soutenu le gouvernement du Parti socialiste qui à un certain moment a décidé de ne plus coopérer avec les forces à sa gauche. Et il n’y a pas eu un jour où tout le monde a reconnu que cela se produisait. Donc les gens associaient encore ce que le Parti socialiste a fait après 2019 [quand il ne dépendait plus du soutien parlementaire du Bloc de Gauche et a dilué ses politiques sociales] avec la gauche. Avec le COVID et l’inflation post-2019, le gouvernement socialiste a décidé de maintenir les taux de déficit bas comme priorité principale. Ils n’ont fait aucun investissement dans les services publics, donc ces derniers se sont beaucoup affaiblis à cause de l’inflation. Puis le COVID, et toujours pas d’investissement. C’était une décision terrible. En même temps, le travail n’était pas non plus aussi protégé par la loi qu’il aurait dû l’être. Donc, les entreprises n’ont pas augmenté les salaires comme elles auraient dû le faire face à l’inflation. Au final, les gens ont associé ce manque d’investissement dans les services publics, et la façon dont leurs salaires n’ont pas suivi l’inflation avec les politiques de gauche. Mais ce n’était pas les forces de gauche. C’était un parti socialiste faisant la même chose que ce que les partis de droite avaient fait à travers l’Europe. Par conséquent, les gens ont cessé de soutenir ce qu’ils percevaient comme des politiques de gauche et ont commencé à faire confiance à la droite, espérant qu’elle pourrait apporter des changements.

Et donc nous avons maintenant un gouvernement de droite qui gagne du terrain. Nous avons une droite montante, mais cela a probablement à voir avec ces déceptions et ces espoirs, ainsi qu’avec le moment international. Je crois que ces espoirs se révéleront malheureusement faux. Tout cela est difficile, car les forces de droite sont bien financées. De plus, il y a une communication entre elles sur la scène internationale qui va de Bolsonaro à Poutine et Trump. Et bien sûr, le Portugal a des liens solides avec le Brésil. Tout cela rend la situation difficile et compliquée. Au Portugal, comme dans d’autres pays, les partis de droite gagnent des voix en s’appuyant sur des mensonges et sur des politiques destructrices.

Je crois que la gauche doit avoir de bonnes idées solides pour la classe ouvrière. Précisément pour la classe ouvrière telle qu’elle est. Parce que la classe ouvrière n’est pas uniquement composée d’hommes blancs hétérosexuels, mais plutôt de toute la diversité. Les femmes, les travailleurs non-blancs et immigrants sont plus exploités que tous les autres. Sachant cela, la gauche doit avoir des idées mobilisatrices efficaces qui, je crois, seront centrées sur l’inflation et les salaires. Aussi le logement, parce que ce n’est pas seulement l’Ukraine qui a un problème de logement. Je ne compare pas. Bien sûr, votre situation est différente, mais la tendance pénètre l’Europe : les gens ne peuvent pas se permettre une maison avec les salaires qu’ils gagnent.

Le Portugal était l’un des rares pays d’Europe qui n’avait pas de parti d’extrême droite ouvertement présent au parlement. Il semble qu’après la Révolution des Œillets qui a renversé la dictature de droite dure, ces idées ont été complètement discréditées, même parmi ceux de droite qui ont commencé à se nommer sociaux-démocrates comme le PSD. Alors que s’est-il passé, comment ces idées sont-elles devenues plus tolérables et l’extrême droite a-t-elle gagné une telle popularité ?

C’est un mélange de deux facteurs. Bien sûr, il y a des jeunes qui sont très éloignés des débats antifascistes, et ils sont très influencés par les réseaux sociaux. Particulièrement les jeunes garçons qui subissent l’influence du contenu propageant une masculinité toxique. C’est terrible. Mais ce qui est plus important, c’est que nous avons toujours eu ces figures de droite au Portugal, elles n’avaient simplement pas de parti. Et puis, le parti est apparu, donc ce public a gagné une force politique pour laquelle voter. Ils ont toujours été là, les racistes et les misogynes, se cachant dans certains partis conservateurs et partis traditionnels de droite. Parmi eux, même ceux qui ont la nostalgie de la dictature, de l’idée de l’Empire colonial portugais. Cela a toujours existé, bien qu’il n’y ait pas eu de parti pour les représenter. Maintenant, la scène internationale a fourni les moyens pour une construction de parti.

Il y a des gens qui font des comparaisons entre le Portugal de Salazar et la Russie moderne. Vous avez donc eu un dictateur de droite vieillissant, déconnecté de la réalité, essayant de mener des guerres coloniales pour préserver l’empire. Que pensent les gens au Portugal en général de la nature du régime russe ? Parce qu’il semble qu’au moins dans ce Parti communiste portugais suranné, beaucoup de gens pensent encore que la Russie est une sorte d’héritière de l’Union soviétique et que c’est encore une force antifasciste réelle.

Je ne pense pas qu’ils voient la vraie image. Je suis très critique sur la façon dont le Parti communiste traite ces choses. Ce qu’ils croient, c’est le monde divisé. Vous avez l’impérialisme nord-américain qui est très fort, qui a des moyens économiques et militaires qu’aucune autre force n’a sur notre planète, et c’est vrai. Et donc ce qu’ils croient, c’est que les forces qui sont contre l’impérialisme nord-américain peuvent donner une sorte d’équilibre. Je pense que c’est faux, parce que la Russie aujourd’hui est un capitalisme agressif et néolibéral avec des objectifs impérialistes, tout comme la Chine. Au Portugal, je pense qu’il est bon de rappeler que les grands alliés de Poutine sont toujours de droite.

La droite a créé le système des visas dorés que les oligarques utilisent pour obtenir la citoyenneté dans les pays de l’UE. C’étaient les ministres de droite qui sont allés en Russie dans le but de vendre ces visas dorés à l’oligarchie. Donc n’oubliez jamais que les vrais liens avec Poutine sont maintenus par la droite et, bien sûr, l’extrême droite. Par exemple, André Ventura de l’extrême droite Chega a une grande amie Marine Le Pen qui en une seule année a reçu un prêt de 9 millions d’euros de Poutine pour faire une campagne. Ou Salvini portant un t-shirt avec le visage de Poutine. N’oublions pas qui sont leurs amis.

Mais je suppose aussi que l’histoire traumatique suivante joue son rôle : que la dictature portugaise était un membre fondateur de l’OTAN et que les États-Unis soutenaient en fait les guerres coloniales que le Portugal menait.

C’est la raison pour laquelle il est très dangereux que quelqu’un croie que l’OTAN a quelque chose à voir avec la démocratie. Ce n’est pas le cas. Par exemple, l’OTAN a des pays qui suppriment la démocratie, comme la Turquie. Ceux qui freinent l’autodétermination des peuples : pensez aux Kurdes. L’OTAN a bombardé des pays contre le droit international sans aucune justification, les États-Unis en tant que force dirigeante ont menti sur les armes de destruction massive en Irak. Oui, le Portugal était membre fondateur de l’OTAN quand nous étions sous la dictature et néanmoins nous avions des guerres coloniales. Donc ce n’est pas une question de démocratie mais d’influence nord-américaine dans le monde. Je pense que tout le monde doit comprendre que l’OTAN est votre ami tant que vos intérêts s’alignent sur ceux des États-Unis. Sinon, l’OTAN pourrait attaquer.

Je pense qu’il faut être prudent quand les gens croient que l’OTAN est une bonne force démocratique qui défend la démocratie. Même les pays qui ont la démocratie utilisent l’armée principalement pour des raisons économiques et géostratégiques. Ils ne l’utilisent pas à des fins de démocratie. Si c’était le cas, l’OTAN serait en Israël pour sauver les Palestiniens. Est-elle là-bas ?

Et je pense que l’histoire des Kurdes syriens au Rojava était très révélatrice de la façon dont les États-Unis les ont abandonnés après qu’ils ont effectivement sauvé la région de l’EI.

C’était un bon exemple parce que les Kurdes étaient alliés de l’OTAN et quand cette dernière n’avait plus besoin d’eux, ils les ont simplement laissés tomber. En effet, les Kurdes syriens sont dans une position extrêmement mauvaise actuellement, étant attaqués de tous côtés. Personne ne les défend3.

Quand nous revenons à cette situation générale, vous représentez ces courants dans la gauche internationale qui reconnaissent effectivement les dangers de chaque impérialisme. Récemment, le Bloc de Gauche a été l’un des initiateurs de la nouvelle Alliance européenne de la Gauche pour le Peuple et la Planète. Parlez-moi de cette initiative et si vous voulez étendre l’union des forces à travers l’Europe ou peut-être au-delà de l’Europe, y compris le Mouvement Social/Sotsialnyi Rukh en Ukraine. Que pensez-vous des perspectives de cette nouvelle alliance ?

Nous ne sommes qu’au début et nous devons discuter et élargir. Cela ne fait que commencer. Je vous ai dit que la gauche a besoin d’un projet pour les travailleurs dans leur diversité, et c’est aussi quelque chose que nous avons en commun dans la nouvelle alliance. Parce que nous reconnaissons que la lutte anticapitaliste et antinéolibérale est en même temps féministe et antiraciste aussi. Alors que nous n’avons pas non plus de double standard concernant l’état de droit international et les droits humains.

Tout cela est très important dans le cas des questions environnementales et climatiques. L’un des énormes problèmes pour la sécurité des populations à travers le monde est que les gens continuent à ne rien faire concernant le climat. Et actuellement au Portugal — mais aussi en Espagne — tant de gens sont morts à cause du climat.

Le processus de formation de la nouvelle union de gauche n’a pas commencé non plus à cause de l’Ukraine ou de la Palestine. Nous travaillions ensemble sur toutes ces questions avant. Mais sans doute les nouvelles escalades sont l’une des questions importantes. Pas de double standard ! Je crois que nous pouvons avoir la gauche partageant des projets communs, parce qu’aujourd’hui, chaque gouvernement et chaque pays doit faire mieux.

Notre lutte est à la fois internationale et européenne. Ainsi, nous devons articuler nos luttes et nos forces pour avoir des projets mobilisateurs qui peuvent vaincre l’extrême droite et apporter l’espoir. Parce que la démocratie est une question d’espoir, c’est l’idée que vous pouvez construire quelque chose ensemble. L’extrême droite et les néolibéraux vivent de la peur : soit vous acceptez tout, soit ça deviendra pire. Donc, nous avons besoin d’un espace pour la gauche active dans la société, ayant des projets et des campagnes communes qui apporteraient l’espoir. C’est exactement ce que nous voulons faire.

Nous avons sept membres de parti pour l’instant, et donc nous commençons avec ça. Je pense que nous devrions avoir des membres observateurs qui pourraient être extérieurs à l’Union européenne. Par observateurs, je veux dire qu’ils n’ont pas à être des partis mais peuvent être aussi des mouvements. Je crois qu’un dialogue avec la gauche en Ukraine, qui est très important, est également nécessaire. Je pense que peut-être nous pouvons commencer à travailler avec le Mouvement Social en Ukraine. Voyons comment cela se passe. Cela vient juste de commencer mais je pense que ce serait très important.

Merci beaucoup. Peut-être avez-vous quelques remarques de conclusion. Souhaitez-vous adresser quelque chose aux Ukrainiens ?

Nous n’avons pas parlé des armes. Pour moi, c’est normal de savoir que la gauche a différentes positions sur les armes. Mais je crois que tout le monde reconnaît que l’Ukraine a le droit de résister à l’agression et de se défendre.

Et c’est important. On ne peut pas résister sans armes. Je pense qu’une autre discussion est de savoir si nous nous concentrons uniquement sur les armes ou si nous utilisons aussi les moyens financiers et diplomatiques pour arrêter la guerre. Prenez par exemple le problème de la flotte fantôme qui exporte toujours du carburant. Le manque de pression financière et d’efforts diplomatiques est problématique car au final il y a des généraux qui ne parlent que d’armes pour l’Ukraine et ne parlent de rien d’autre. Pourtant ce ne sont pas eux qui meurent.

Je crois qu’il est important de soutenir l’Ukraine, mais aussi de s’opposer à l’idée qu’on ne devrait avoir aucun projet contribuant à la fin de la guerre excepté concernant les armes. Parce qu’au final l’Ukraine sera totalement détruite, et quelqu’un aura gagné beaucoup d’argent en vendant des armes. Je suis sûre qu’il est vraiment important d’arrêter la guerre et cela présuppose également des sanctions et d’autres politiques. Cela doit être.

Et finalement, c’est aussi une question de donner du pouvoir à l’Ukraine en interne. Rendre l’économie ukrainienne équitable.

Oui, bien sûr. Les Ukrainiens prennent les décisions de ce qu’ils veulent faire de leurs vies. Les Ukrainiens doivent décider ce qu’ils veulent faire. Et je crois que les Ukrainiens devraient avoir leur mot à dire sur ce qu’ils veulent pour leur avenir.

Interview par Denys Pilash, traduction Adam Novak pour ESSF.

5 mars 2025  Catarina Martins

https://inprecor.fr

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05 mars 2025 ~ 0 Commentaire

Basta

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Le plan des États-Unis pour l’Ukraine, « fruit de 40 ans d’histoire entre Trump et la Russie »

Comment comprendre le rapprochement entre Trump et Poutine au sujet de l’Ukraine ? Quelles conséquences pour l’Europe ? Réponses avec Régis Genté, journaliste basé en Géorgie, auteur d’une enquête sur les relations de Trump avec le pouvoir russe.

Basta! : Comment analysez-vous l’incroyable altercation entre Trump et Zelensky lors de leur rencontre à la Maison blanche, le 28 février ?

Cette séquence dans le bureau ovale est probablement du jamais-vu dans l’histoire diplomatique. Pour autant, elle s’inscrit dans la droite ligne des déclarations outrancières de Trump au sujet de l’Ukraine depuis qu’il est revenu au pouvoir, quand il dit que « Zelensky est un dictateur sans élection », que c’est lui qui a commencé la guerre, etc.

Ce qui est faux, bien entendu. Ce qui est intéressant avec Trump, ce ne sont pas ses mots, mais les intentions qu’il y a derrière. Il apparaît assez clair que cette scène a été pensée à l’avance, tout cela n’est pas arrivé par accident.

Vu les conditions posées préalablement à l’accord de paix, sans la moindre contrainte pour Poutine, Trump se doutait que Zelensky ne signerait pas. La manipulation consiste à lui rendre les choses impossibles pour lui faire porter ensuite la responsabilité de l’échec des négociations, et avoir ainsi une pseudo-justification morale pour ne plus armer l’Ukraine – et peut-être même ne plus lui fournir de renseignements, si Musk décide également de ne plus utiliser ses satellites Starlink. Ce qui laisse les mains libres à Trump pour négocier directement avec Poutine et signer une paix favorable à la Russie, puisqu’il semble bien que ce soit son projet depuis le départ.

Ce rapprochement spectaculaire entre Trump et Poutine, qui s’est matérialisé ces derniers jours sur le dossier du cessez-le-feu en Ukraine, ne vous a pas surpris, il était même « prévisible », dites-vous. Pourquoi ?

Parce que c’est le fruit de plus de 40 ans d’histoire entre Trump et la Russie. Trump est dans le radar du KGB dès la fin des années 1970, lorsqu’il se marie avec Ivana, sa première épouse, qui est alors citoyenne tchécoslovaque, un pays satellite de l’URSS. La sécurité d’État tchécoslovaque, la STB, une sorte de filiale du KGB, avait identifié cet homme alors encore méconnu, mais déjà assez riche et remuant.

C’est le moment où le KGB va redéfinir et intensifier ses efforts de recrutement, principalement aux États-Unis, son principal ennemi. Les documents internes de l’époque sont très clairs, sur le sujet : Vladimir Krioutchkov, le patron de la première direction générale du KGB, la plus prestigieuse, en charge de l’espionnage politique extérieur, cible tout particulièrement les scientifiques et les personnalités du monde politique et des affaires comme de potentiels relais intéressants au service de l’URSS. Trump entre parfaitement dans ce spectre-là.

Ce travail d’approche se concrétise en juillet 1987, lors du tout premier voyage de Trump à Moscou, dans l’idée d’y vendre une Trump tower. Tous les éléments laissent à penser que l’opération est directement organisée par le KGB. D’ailleurs, à peine deux mois après son retour, Trump s’offre une campagne de communication, pour près de 100 000 dollars, dans les plus grands journaux américains [le New York Times, le Washington Post et le Boston Globe, ndlr] pour publier une lettre ouverte appelant à ce que les États-Unis « cessent de payer pour défendre des pays qui ont les moyens de se défendre eux-mêmes », en référence directe à l’Otan.

Vous voyez qu’il y a une certaine constance, chez Donald Trump, puisqu’il utilise encore quasiment les mêmes termes aujourd’hui. C’est simple, j’ai cherché, et on ne trouve guère de déclaration sérieuse de sa part où il se serait montré critique à l’égard de la Russie ou de Poutine. Au contraire, il est en permanence très élogieux.

Il y a également le précédent des suspicions de tentatives d’ingérence russe dans la présidentielle états-unienne de 2016, exposée par plusieurs enquêtes (ingérence qui visait notamment à discréditer l’opposante de Trump, Hillary Clinton)…

Le titre de mon livre, Notre homme à Washington, est directement tiré d’un e-mail découvert par le procureur spécial Robert Mueller, lors de son enquête sur ces soupçons de collusion. L’auteur de cette formule, Felix Sater, connaît bien Trump et est directement issu de la « mafia rouge », ces familles de mafieux qui ont émigré d’Union soviétique aux États-Unis dans les années 1970. En Russie, ces gens-là ne sont jamais bien loin de l’appareil d’État. Felix Sater est particulièrement bien connecté aux hautes sphères des services de sécurité russe.

La preuve quand il écrit en 2015 qu’il va tenter de convaincre Poutine qu’on pourrait « installer notre homme à la Maison blanche », en parlant de Trump. La formule est très révélatrice : on voit bien que ce n’est pas l’initiative de Vladimir Poutine. Il n’y a pas eu de grand plan décidé par le Kremlin à Moscou pour placer Trump à la tête des États-Unis. C’est arrivé de façon plus fortuite, grâce à tous ces gens en lien avec le pouvoir russe et qui cultivent des relations avec Trump – et qui agissent au moins autant dans leur propre intérêt que dans celui de l’État russe.

Le rapport Mueller, demandé par le département de justice américain, apporte des preuves très fortes sur cette influence, et sur la complaisance – pour ne pas dire plus – de Trump et de ses équipes à l’égard de tous ces gens parfaitement intégrés au système politique russe.

Vous parliez d’une campagne de « recrutement » du KGB : quelle est la nature exacte des relations que Trump entretient avec la Russie ? En est-il un « agent » comme on le laisse parfois entendre ?

Non, ce n’est pas un agent, au sens où ce n’est pas quelqu’un qui est rémunéré pour rendre des services et qui se sait missionné pour ça. C’est plus subtil. Il faut plutôt le voir comme une sorte de compagnonnage, quelqu’un qu’on va accompagner dans sa carrière parce qu’on a repéré qu’il pouvait être sur la même longueur d’ondes, partager une même vision du monde, et surtout qu’il pouvait être utile pour du renseignement ou de l’influence.

Dans le jargon soviétique, on appelle ça un « contact confidentiel », une notion qui apparaît dans les mêmes documents stratégiques du KGB, au moment d’établir les campagnes de recrutement dans les années 1980. Le contact confidentiel y est défini comme une personne « susceptible de fournir de l’information de valeur, mais aussi d’influencer activement la politique intérieure et extérieure ».

À ce moment-là, les velléités politiques de Donald Trump sont déjà claires. Il ne va pas devenir pour autant une marionnette, mais plutôt une sorte de relation intéressante qu’on entretient, qu’on flatte, qu’on aide. Trump a ainsi été « cultivé » par différents réseaux, pendant près de 40 ans, avec plus ou moins d’intensité. La banque d’État russe, la VTB, est parfois venue au soutien de la Trump Organization [le conglomérat de la famille Trump, ndlr], via la Deutsche Bank.

À chaque fois qu’il approchait de la faillite, on a vu des oligarques et des mafieux injecter de l’argent dans ses projets immobiliers ou blanchir de l’argent dans ses casinos. En Russie, ce genre de personnes agit toujours en symbiose avec l’État, il y a une connexion intrinsèque entre le monde du crime, la pègre, et le monde des services de sécurité. Trump est lié à cet « État profond » russe, cet État dans l’État : un mélange de pouvoir politique, de pouvoir financier, de pouvoir mafieux et de pouvoir sécuritaire.

Et quel était son intérêt à lui, Donald Trump ?

Cela a été une façon de se donner une surface internationale et de nourrir ainsi ses ambitions, aussi bien dans le business qu’en politique. Se retrouver à Moscou en 1987, c’est une manière de montrer qu’il ne se contente pas de développer de l’immobilier à New York, mais qu’il peut aller partout. Ce qui attire Trump à l’époque, c’est l’ascension, il veut être reconnu dans le grand monde de la jet-set politico-médiatique.

À l’époque, l’un des conseillers, le fameux avocat Roy Cohn, lui souffle l’idée de se proposer comme négociateur en chef auprès de Reagan sur le désarmement nucléaire entre la Russie et les États-Unis – une autre façon de jouer dans la cour des grands à Washington. Tout en reprenant les éléments de langage de Moscou sur le sujet…

« Trump dans la main des Russes », écrivez-vous en sous-titre de votre livre. Mais la relation est-elle à ce point aussi asymétrique, aujourd’hui ?

Force est de constater que, jusqu’à présent, les prises de position de Trump sont généralement favorables au Kremlin. Il faut se souvenir de l’épisode de leur rencontre à Helsinki en 2018 : interrogé sur les soupçons d’ingérence russe pendant la campagne de 2016, Trump répond qu’il fait plus confiance à Poutine qu’à la CIA ! Et on découvre un Trump, à l’attitude d’ordinaire si tonitruante et volontariste, qui ressemble d’un coup à un petit garçon à côté de Poutine.

En fait, Trump admire profondément Poutine, comme le décrit bien son ancienne conseillère sur la Russie, Fiona Hill, dans un livre (There is nothing for you here, 2021, non-traduit). Elle raconte comment elle a observé le président américain se mettre à, selon ses termes, « suivre le ‘‘mode d’emploi’’ autoritaire de Poutine ». C’est une image, mais ça en dit long sur l’influence qui s’exerce.

Trump est fasciné par la façon dont Poutine dirige son pays et par la mise en scène de son pouvoir. Il est un modèle, qui coche toutes les cases dont Trump rêve – puissance, richesse, célébrité – et avec qui il partage un même ADN sociopolitique : le culte de la puissance, des hommes forts, de la grandeur de l’État, une vraie aversion pour la démocratie libérale et le mépris des peuples qui va avec, la dénonciation des élites et la soumission de la vérité à la politique.

Comment interprétez-vous le choix de Donald Trump d’accélérer sur le dossier ukrainien ces tout derniers jours ?

Plusieurs hypothèses circulent à ce sujet. Certains lui prêtent une grande ambition géopolitique qui consisterait à casser l’alliance entre la Russie et la Chine pour mieux isoler cette dernière – qui serait sa véritable obsession sur le plan international. Quand on connaît un peu son fonctionnement et sa façon de prendre des décisions, tels qu’ils sont très bien décrits dans la biographie que lui a consacrée la journaliste Maggie Haberman par exemple, on peut douter qu’il soit animé d’une telle vision stratégique. Trump, c’est quelqu’un qui donne parfois raison au dernier qui a parlé, tout simplement…

Difficile aussi, à mon sens, de le justifier par un choix purement économique : les échanges entre la Russie et les États-Unis, pour l’heure, restent dérisoires au regard du commerce international, sans compter que ces deux pays sont en concurrence sur leurs exportations de gaz et de pétrole.

Un autre argument consiste à y voir un coup médiatique, avec l’envie d’apparaître pour un héros ou un faiseur de paix – quitte peut-être même à revendiquer le prix Nobel ensuite, qui sait. Pourquoi pas, c’est sûr que Trump est très attaché à montrer qu’il est efficace dans son action politique – c’était la même idée lorsqu’il disait qu’il allait régler le conflit à Gaza en 24 heures.

Je pense qu’il y a surtout un enjeu plus politique : en remettant en cause la démocratie américaine comme il le fait depuis son retour à la Maison blanche, et en s’attaquant directement à l’article 2 de la Constitution [qui définit les pouvoirs de l’exécutif, dont le président, ndlr] pour tenter de concentrer tous les pouvoirs, Trump sait bien qu’il va être attaqué. Chez lui par le camp démocrate et par l’establishment qui reste puissant, mais plus largement aussi par le camp des démocraties libérales.

Il a donc besoin de trouver de nouveaux alliés, à même de le légitimer dans son mouvement politique. Proposer un deal favorable à la Russie sur la question ukrainienne, c’est évidemment une bonne manière de plaire à Poutine et d’entretenir un lien fort avec lui.

Du côté de Poutine, est-ce une aubaine pour poursuivre sa stratégie d’expansion à l’égard de l’Europe ?

De la même façon, je crois que pour comprendre la politique étrangère de Poutine, il faut comprendre sa situation sur le plan intérieur. Poutine a besoin de légitimer son pouvoir et de justifier son autoritarisme absolu – le truquage des élections, l’emprisonnement des opposants, etc.

Dans les dictatures, on est toujours très attentif à l’opinion, et Poutine fait énormément de sondages pour prendre le pouls de la population. Il doit constamment s’assurer qu’il reste légitime, par-delà la peur, la violation des droits de l’Homme, l’État policier, etc.

De ce point de vue, l’Europe reste une voisine gênante, elle exhibe son modèle de liberté juste sous le nez des Russes et fait fantasmer les élites intellectuelles qui rêvent de démocratie – en témoignent toutes les révolutions colorées dans les anciens pays soviétiques. De ce fait, l’Europe menace directement les fondements de son régime, c’est pour ça que Moscou veille autant à préserver sa sphère d’influence sur l’ancien espace soviétique.

C’est par exemple tout l’enjeu de l’instrumentalisation des questions LGBT en Russie, mais également en Hongrie, en Géorgie et ailleurs : c’est devenu un outil géopolitique qui sert d’abord à diaboliser l’Occident.

Et Poutine connaît bien Trump. À travers ses récentes velléités expansionnistes sur le Canada ou le Groenland, Poutine l’observe réhabiliter à sa façon la vieille doctrine Monroe. Il lui propose un partage : tu as ton aire d’hégémonie sur le territoire américain, moi je veux la mienne sur l’Europe de l’Est !

Croyez-vous à l’hypothèse de l’extension de la guerre à l’intérieur même des frontières de l’Union européenne ou de l’Otan ?

Difficile à dire. Pour l’heure, je n’en suis pas convaincu, mais on ne peut pas tout à fait exclure l’hypothèse, concernant la Pologne notamment. Il y a une sorte de pensée profonde en Russie qui considère que la Pologne n’est pas légitime, qu’elle fait fondamentalement partie de la Russie, un peu comme la Crimée.

Le moteur, ce n’est pas tant de contrôler l’Europe que de l’affaiblir. C’est ce qu’a théorisé la doctrine Karaganov, qui fixe la ligne de la politique étrangère russe. L’enjeu pour Poutine, c’est tout ce qui pourrait alimenter la crise larvée du multilatéralisme, en obligeant l’Otan et les États-Unis à réagir – ou mieux, justement, à ne pas réagir. Ce qui tuerait de facto le fameux article 5 de l’Alliance [qui oblige chacun des membres à intervenir en cas d’agression contre un autre État membre, ndlr].

Qu’en est-il de la Géorgie, où vous habitez depuis plus de vingt ans ? L’année 2024 y a été émaillée d’importantes mobilisations contre l’ingérence russe.

Il ne faut jamais oublier que la guerre en Ukraine a commencé ici, en Géorgie, en 2008, avec le conflit autour de l’Ossétie du Sud. C’est le même mouvement et les mêmes motivations, la même guerre pour sécuriser un espace face à des territoires qui affirment de plus en plus leur désir d’Europe et d’Occident. On pourrait presque parler de guerre géorgo-ukrainienne, tant ce qui se passe actuellement en Ukraine en est le prolongement direct.

En Géorgie, l’homme qui règne aujourd’hui sur le pouvoir depuis plus de dix ans, Bidzina Ivanichvili, est un oligarque qui a construit toute sa fortune en Russie. C’est plus qu’un « contact confidentiel » en l’occurrence, car il émane du cœur du pouvoir à Moscou. De par son histoire, il ne peut pas échapper au contrôle du Kremlin.

C’est le principe même des élites et milliardaires russes, qui rêvent souvent de s’émanciper en rachetant des clubs de football, par exemple, mais qui ne peuvent le faire qu’à la condition de rester sous le contrôle de Moscou, au risque sinon d’avoir de gros problèmes.

Ce sont des fortunes qui sont là pour servir le régime, et c’est exactement ce que fait Ivanichvili en Géorgie, en instaurant progressivement les bases d’un régime autoritaire à la russe pour sortir le pays de l’orbite pro-européenne, contre la volonté de la population.

C’était tout l’enjeu de la loi sur les « agents étrangers », directement inspirée d’une loi russe, qui a été adoptée l’an dernier. C’est une façon d’installer un modèle dictatorial tout en éradiquant l’influence occidentale – car les ONG ou les médias indépendants ne peuvent pas vivre sans l’argent étranger. Et ainsi de faire avorter habilement le processus d’adhésion à l’Union européenne, qui ne peut que dire « non », dans ces conditions-là.

En octobre, les élections législatives géorgiennes ont été vivement contestées, après des soupçons de truquage, ce qui a engendré un long mouvement de protestation, avec des manifestations quotidiennes, pendant plus de deux mois. Où en est-on ?

Le mouvement s’est un peu essoufflé, même s’il reste vif. Il y a de la fatigue, d’autant que la répression ne faiblit pas, elle. Aujourd’hui, on risque des amendes de 1700 euros en tant que manifestant. Il y a eu beaucoup de passages à tabac, d’arrestations arbitraires, parfois même des enlèvements en pleine rue. À certains égards, cela rappelle ce qui s’est passé en Biélorussie, même si le degré de violence reste moindre.

On voit s’installer un régime de la peur, qui consiste à tuer ce mouvement de protestation. Lequel est par ailleurs très horizontal, sans leader, un peu comme le mouvement de la place Tahrir, en Égypte, en 2011. C’est probablement ce qui a contribué à mettre des dizaines de milliers de gens dans la rue chaque soir – ce qui est considérable dans un pays de trois millions d’habitants.

Face à l’usure du temps, cette horizontalité n’aide pas à engager de nouvelles stratégies dans le bras de fer avec le pouvoir. Ce qui s’y joue est pourtant fondamental : la Géorgie illustre non seulement le sort de l’Europe, mais plus encore, du modèle occidental, avec ses valeurs libérales et démocratiques, qui est aujourd’hui directement menacé par ces régimes populistes et dictatoriaux.

3 mars 2025 Barnabé Binctin

Journaliste indépendant basé à Tbilissi, en Géorgie, et spécialiste de l’ancien espace soviétique. Il est correspondant pour RFI, France 24 et Le Figaro. Il a publié une biographie de Volodymyr Zelensky, Poutine et le Caucase, et l’an dernier une enquête minutieuse sur les relations que Trump entretient historiquement avec le pouvoir russe : Notre homme à Washington. Trump dans la main des Russes.
©DR

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04 mars 2025 ~ 0 Commentaire

Ukraine (NPA)

 

Crédit Photo  DR Gin et Elias Vola

Pour la liberté de l’Ukraine, pour une internationale antifasciste !

Le 24 février 2025, l’Ukraine est entrée dans sa quatrième année de résistance face à l’agression à grande échelle de la Russie.

 Au cours des trois années écoulées, l’aide provenant des États-Unis et de l’UE a permis de bloquer l’offensive du Kremlin, mais a été insuffisante pour faire reculer l’armée russe.

On dénombre plus d’un million de victimes militaires (pour les forces russes, il s’agit principalement des populations racisées des régions périphériques) et civiles (ces dernières presque exclusivement du côté ukrainien). Auxquelles s’ajoute le déplacement forcé d’un quart de la population ukrainienne.

Poutine a entièrement remodelé l’économie autour de son objectif expansionniste : le budget militaire russe augmente sans cesse (43 % des dépenses publiques en 2025) au détriment des services publics. Dans l’économie de guerre, le capital des oligarques s’est concentré dans l’industrie militaire et l’extraction fossile, qui sont au cœur de la croissance économique du pays. Dès lors, rien ne laisse envisager que les négociations « pour la paix » que veut imposer Washington entraînent la fin de l’expansionnisme militaire russe, car « la Russie est devenue dépendante de la dépense militaire » 1.

Trump allié de Poutine face à la Chine

L’action de Trump accélère la redéfinition des alliances inter-impérialistes au détriment du droit à l’autodétermination du peuple ukrainien. Car aux yeux de Trump, la Russie est un potentiel point d’appui dans sa guerre d’hégémonie avec la Chine.

Après avoir ouvert les négociations avec l’agresseur en excluant l’agressé, Trump a entièrement épousé la propagande poutinienne, en attribuant à l’Ukraine la responsabilité de la guerre et en déniant la volonté de la majorité de la population de préserver un pays indépendant et libre de l’impérialisme russe.

La violence du chantage de Trump est manifeste : il demande à l’Ukraine de rembourser 500 milliards de dollars pour l’aide étatsunienne et de céder aux États-Unis le droit d’exploitation des ressources minières et des terres rares, et menace de restreindre l’accès de l’armée ukrainienne au système de communication Starlink, nécessaire pour se défendre des drones et de l’artillerie russes.

Alors que le gouvernement ukrainien refuse de céder sans obtenir en contrepartie des garanties de sécurité, Poutine n’a pas tardé à proposer à Trump un accord pour l’exploitation des terres rares russes et des territoires ukrainiens occupés…

Les impérialismes russe, israélien et étatsunien s’unissent

N’en déplaise aux campistes qui ne voient dans l’agression de l’Ukraine qu’une guerre inter-impérialiste par procuration, l’alliance inter-impérialiste USA-Russie s’est renforcée lors du vote le 24 février 2025 d’une motion de l’ONU pour une paix juste et durable : les États-Unis s’y sont opposés aux côtés de la Russie, du Bélarus, de la Hongrie, du Nicaragua et d’Israël, en affichant explicitement une convergence d’intérêts. Les impérialismes russe, israélien et étatsunien ne se combattent pas : ils s’unissent contre le droit international et le droit d’autodétermination des peuples.

Réaffirmer le droit à l’auto­détermination des peuples

Tandis que les gouvernements européens — et le capital dopé aux matières premières russes —peinent à résoudre leurs intérêts contradictoires vis-à-vis de la Russie poutinienne, la solidarité populaire avec la résistance ukrainienne ne doit pas fléchir : le 24 février, les manifestations ont été nombreuses contre l’axe Trump-Poutine, pour le droit des peuples à choisir leur présent et leur avenir, et pour défendre les espaces d’action et de contestation contre les impérialismes néofascistes — en Ukraine et au-delà.

La lutte de résistance ukrainienne est une lutte pour le droit d’existence et d’autodétermination du peuple ukrainien et de tous les peuples attaqués par les impérialismes meurtriers : aux côtés des UkrainienNEs comme des PalestinienNEs, soutenons la résistance contre l’offensive néofasciste internationale. Vive la résistance ukrainienne, vive l’antifascisme !

Gin et Elias Vola

https://lanticapitaliste.org/

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25 février 2025 ~ 0 Commentaire

Trump-Poutine (SOAS)

 

Trump-Poutine (SOAS) dans Altermondialisme

Paix entre néofascistes et guerre contre les peuples opprimés

Que Washington et Moscou aient choisi le royaume saoudien comme lieu de réunion entre leurs délégations pour discuter des perspectives de la guerre qui se déroule en Ukraine depuis que les forces russes ont envahi ce pays il y a trois ans, est une illustration claire des profonds changements qui se produisent sous nos yeux dans les affaires internationales.

La manière même dont la réunion a été organisée est tout à fait cohérente avec le lieu : l’administration néofasciste de Donald Trump n’a pas cherché à promouvoir la paix entre les parties belligérantes dans le cadre du droit international et des Nations unies, comme la Chine n’a cessé d’y appeler depuis le début du conflit, mais cherche plutôt à conclure un accord direct avec le régime également néofasciste de Vladimir Poutine aux dépens du peuple ukrainien.

Il est donc tout à fait naturel que les deux parties n’aient pas choisi une arène neutre et conforme au droit international, comme les Nations Unies, mais une arène conforme à leur nature, même si son régime despotique est de type traditionnel.

Ce qui rend la scène encore plus hideuse, c’est que les États-Unis sont un partenaire à part entière dans la guerre génocidaire menée contre le peuple palestinien à Gaza, qui se déplace actuellement en partie vers la Cisjordanie.

L’administration Trump s’est même empressée d’annuler les mesures limitées que l’administration précédente avait prises pour parer au blâme, en particulier le gel de l’exportation de bombes d’une tonne qui ont grandement contribué à la destruction de la bande de Gaza et à l’extermination de sa population, ainsi qu’à la guerre d’élimination qu’Israël a menée contre le Hezbollah au Liban.

Au contraire, comme prévu, excepté par ceux qui ont tenté d’échapper à l’amère réalité en projetant leurs désirs sur elle (voir « Deux mythes sur le cessez-le-feu à Gaza », 22 janvier 2025), la nouvelle administration a surpassé la précédente dans la surenchère sioniste avec l’appel de Trump à déporter sans retour les résidents de la bande de Gaza, c’est-à-dire à mettre en œuvre ce que le droit international appelle « nettoyage ethnique » – un crime contre l’humanité.

L’axe néofasciste sioniste-américain converge avec la Russie de Poutine dans la haine raciale des peuples opprimés. Moscou a excellé dans ce domaine, non seulement par son agression coloniale contre l’Ukraine, répudiant sa souveraineté nationale, mais aussi dans la région arabe, où elle a joué un rôle clé dans la destruction de la Syrie et l’extermination d’un grand nombre de ses habitants, tout en étant ouvertement complice de l’État sioniste en lui permettant de bombarder à volonté les sites iraniens en Syrie (dans le cadre de la rivalité entre les influences russes et iraniennes dans ce pays).

Le ministre russe des affaires étrangères a même comparé la guerre de Moscou contre l’Ukraine à la guerre d’Israël contre Gaza, assimilant la description poutiniste des dirigeants ukrainiens comme nazis à la description sioniste du Hamas comme nazis. Notons également que la réaction de Moscou au projet criminel d’expulsion énoncé par Trump a été modérée, même par rapport à la condamnation explicite émise par certains des alliés traditionnels de Washington, comme la France.

Voici maintenant les Américains impliqués dans le meurtre de centaines de milliers de Gazaouis qui rencontrent les Russes impliqués dans le meurtre de centaines de milliers de Syriens, les deux parties partageant avec l’État sioniste un mépris commun pour les droits territoriaux des peuples. Ils se rencontrent sur le territoire d’un État arabe qui, s’il se préoccupait vraiment du sort des peuples syrien et palestinien, aurait dû être si hostile aux deux parties qu’il ne leur serait même pas venu à l’idée de lui demander d’accueillir leur réunion.

Ce à quoi nous assistons en réalité n’est rien de moins qu’une refonte de la carte politique du monde, passant de la confrontation de la Guerre froide entre un bloc occidental qui prétendait défendre les valeurs de la démocratie libérale (et les a constamment trahies) et un bloc de l’Est dans lequel prévalaient des régimes dictatoriaux – de cette confrontation à la dissolution du système occidental, après le système oriental, par suite de la crise mortelle qui a frappé la démocratie libérale et de la montée mondiale du néofascisme (voir « L’ère du néofascisme et ses particularités », 5 février 2025).

L’ère de la Nouvelle Guerre froide, qui a suivi l’effondrement de l’Union soviétique et la dissolution de son bloc, a constitué la transition en combinant loi de la jungle et néolibéralisme effréné. Washington a joué le rôle principal dans la prédominance de ces deux caractéristiques sur le droit international et le développement fondé sur l’État social et la protection de l’environnement.

Nous assistons aujourd’hui à une convergence entre néofascistes aux dépens des peuples opprimés, car le nouveau fascisme, comme l’ancien, nie ouvertement le droit des peuples à l’autodétermination. Les gouvernements libéraux restants en Europe sont stupéfaits, après avoir compté pendant huit décennies sur la protection américaine du système occidental sans oser former un pôle mondial indépendant de Washington, non seulement militairement, mais principalement dans le domaine de la politique étrangère.

Le résultat est que les peuples opprimés du monde ne sont plus en mesure de profiter de la divergence entre grandes puissances qui existait dans le passé, mais doivent maintenant mener leurs luttes de résistance et de libération dans des conditions plus difficiles que jamais. Le cas de la Palestine en est la preuve la plus évidente.

Traduit de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d’abord paru en ligne le 18 février. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

Gilbert Achcar Professeur, SOAS, Université de Londres

Médiapart
https://blogs.mediapart.fr/

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24 février 2025 ~ 0 Commentaire

Elections allemandes (APLUTSOC)

 

Elections allemandes (APLUTSOC) dans A gauche du PS

Elections allemandes : entre deux eaux.

Ce matin les résultats, non totalement complets, annoncés des élections au Bundestag allemand sont : CDU-CSU 28,52%, 208 sièges, AfD 20,8 %, 152 sièges, SPD 16,41%, 120 sièges, Grünen 11,61%, 85 sièges, Die Linke 8,77%, 64 sièges, BSW 4,97%, pas de sièges, FDP 4,33% pas de sièges. Le taux de participation, de 83% est historiquement haut.

Les commentaires médiatiques sont axés sur la vague d’extrême droite. Elle est bien entendu réelle, mais la poussée de l’AfD correspond à ce qui était attendu : c’est évidemment une progression (11% aux Européennes, première percée), mais ce n’est plus une surprise, et le score n’a pas été dopé par Musk et J.D. Vance, qui l’ont peut-être même fait se tasser : les sondages donnaient ce score ou même un score légèrement supérieur depuis des semaines.

Alors que l’affaiblissement historique du SPD s’approfondit, le fait nouveau est la Remontada de Die Linke (5,5% aux Européennes), apparu, à son corps défendant (et c’est un enjeu qu’il soit ou non à la hauteur de cela), comme un vote de résistance aux forces anti-migrants et anti-ukrainiennes une fois la rupture faite avec le BSW, lequel, de très peu, ne franchit pas la barre des 5%.

Si le vote allemand ne constitue pas le basculement que voulaient Trump, Musk et Poutine, la carte du vote reconstitue de manière frappante la division de l’Allemagne d’avant 1989. Signalons qu’au forum du CPAC, aux Etats-Unis, auquel Bardella participait jusqu’au salut nazi de Steve Bannon, le vice-président J.D. Vance a déclaré que si l’Allemagne persistait dans la « censure » (?), les Etats-Unis retireraient leurs troupes : voila donc là une position impérialiste US suggérant le repartage de l’Allemagne en zones d’influences à Moscou, les même qu’avant 1989 !

Le probable chancelier CDU Friedrich Merz va dans l’immédiat tenter une coalition menant une politique capitaliste ne s’inscrivant pas dans les pressions de l’Axe Trump/Musk/Poutine, mais rappelons que c’est le même qui a opéré la première alliance parlementaire avec l’AfD, le 29 janvier, contre les migrants, alors que 28% des Allemands sont d’origine étrangère postérieure à 1945 (recensement de 2023).

Rien n’est donc joué et au final, ce ne sont ni un Merz ni un Macron qui résisteront à l’Axe Trump/Musk/Poutine, mais les peuples européens dont l’avant-garde est en Ukraine !

https://aplutsoc.org/

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23 février 2025 ~ 0 Commentaire

Algérie (Lutte Ouvrière)

algerie

Essais nucléaires français

Retombées coloniales au Sahara

Soixante-cinq ans après le premier essai nucléaire français dans le Sahara, le 13 février 1960, les autorités algériennes ont annoncé la préparation d’une « loi criminalisant le colonialisme français en Afrique ». Elles visent en particulier les conséquences des essais nucléaires menés par la France dans le désert algérien.

Entre 1960 et 1966, la France a mené 17 essais dans le Sahara algérien, les poursuivant même après l’indépendance de 1962. Encore aujourd’hui, des débris d’avions et de tanks et, surtout, des déchets radioactifs, qui ont une durée de vie de 24 000 ans, polluent cette zone du désert.

L’Algérie estime à 30 000 le nombre de personnes ayant subi les conséquences de ces essais. Le nombre exact de victimes n’est pas connu, car s’il est certain que les déchets et poussières radioactives provoquent des cancers et des malformations congénitales, la France n’a jamais ni organisé de suivi médical, ni mené d’enquête sérieuse, ni même fourni à l’Algérie de cartes précises des zones touchées.

En 2007, Sarkozy avait accepté la mise en place d’un comité algéro-français pour recenser les sites pollués et proposer un plan de réhabilitation, mais il n’a abouti à rien. En 2014, sous Hollande, un nouveau groupe de travail fut créé, sans plus de résultat. Un Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires en Polynésie et en Algérie a bien été lancé en 2010, mais un seul Algérien, sur 1 739 dossiers déposés, a réussi à obtenir une indemnisation. Il s’agit d’un militaire ; aucun civil n’a réussi à obtenir de reconnaissance, notamment parce que les dossiers sont très difficiles à constituer.

La remise en lumière actuelle de ce scandale par l’État algérien s’inscrit dans le contexte des tensions diplomatiques entre les deux pays, depuis la reconnaissance par Macron de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.

Ainsi, à l’occasion du 65e anniversaire du premier essai, l’Assemblée nationale algérienne a organisé une journée d’étude sur les « crimes nucléaires » français. Les dirigeants algériens réclament que la France fournisse toutes ses archives, qu’elle décontamine entièrement les sites touchés, qu’elle collecte et enfouisse définitivement les déchets et indemnise les victimes.

Ce serait la moindre des choses. Mais après avoir pollué le désert, rendu malades des dizaines de milliers d’habitants du Sahara, le refus des gouvernements français de rendre des comptes illustre leur mépris colonial persistant envers la population algérienne.

Claire Dunois 19/02/2025

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21 février 2025 ~ 0 Commentaire

Cameroun (Afrique en Lutte)

afrique

Cameroun, la vérité sur les violences coloniales de la France

« Le rapport sur le rôle et l’engagement de la France dans la lutte contre les mouvements indépendantistes et d’opposition au Cameroun de 1945 à 1971 » écrit par une commission mixte d’historienNEs camerounais et français sous la direction de l’universitaire Karine Ramondy, et remis le 28 janvier dernier aux président Macron et Biya, démontre avec précision et détail « la violence extrême » employée par la France pour maintenir sa domination.

Le Cameroun n’était pas une colonie de la France mais de l’Allemagne qui l’a perdue à l’issue de la Première Guerre mondiale. Ce pays d’Afrique centrale est alors placé sous tutelle de la Société des Nations (l’ancêtre des Nations unies), qui donne mandat à la Grande-Bretagne d’administrer deux territoires de taille réduite, frontaliers du Nigeria, et le reste, près des trois quarts du pays, à la France.

Décolonisation violente

Cette dernière gère le Cameroun à l’identique de ses autres colonies en exploitant les populations. Après la Seconde Guerre mondiale, les premières luttes anticoloniales se font jour. Au Cameroun, se créé l’Union des peuples du Cameroun (UPC) fondée essentiellement par des syndicalistes. Leurs exigences est double, la réunification du pays et l’indépendance immédiate.

Le rapport met en relief les efforts de l’administration coloniale pour tenter de limiter l’audience de l’UPC en stigmatisant ses militantEs et en créant des partis pro-français, mais en vain. Le pouvoir colonial a interdit l’UPC et s’est rendu coupable du massacre d’Ekité en 1956 attaquant des civilEs désarméEs. La répression ne fait ensuite que croître. Les officiers français, pour la plupart des anciens d’Indochine, appliquent les méthodes de la guerre contre-révolutionnaire, notamment en déplaçant les populations pour les couper des combattants anticoloniaux et en pratiquant une politique de terreur par l’utilisation de bombes incendiaires larguées sur les villages.

Histoire cachée

En France, cette violence coloniale au Cameroun est largement occultée, comme d’autres, que cela soit à Thiaroye contre les tirailleurs sénégalais en 1944, un an plus tard à Sétif, à Madagascar et à Casablanca en 1947 ou en Côte-d’Ivoire en 1949. Elle reste cependant fortement ancrée au Cameroun car bien après l’indépendance, sous le gouvernement d’Ahmadou Ahidjo, la France a continué aux côtés de l’armée camerounaise à combattre les maquis upécistes jusqu’à la fin des années 1960.

Si la commission a eu un accès libre aux archives en France, ce ne fut pas le cas au Cameroun, et pour cause. Le président en place, Paul Biya, était dès 1962 dans le gouvernement Ahidjo. Ainsi pendant des décennies, il était interdit de mentionner les noms de Ruben Um Nyobè, Félix-Roland Moumié ou Ernest Ouandié dirigeants de l’UPC assassinés par les sbires de la France coloniale.

Les recommandations du rapport tournent essentiellement sur la reconnaissance officielle de la violence coloniale de la France. Cela permettra au moins que des individus comme Fillon ne puissent plus déclarer : « Je dénie absolument que des forces françaises aient participé, en quoi que ce soit, à des assassinats au Cameroun. Tout cela, c’est de la pure invention ! »

Paul Martial

https://www.afriquesenlutte.org/

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18 février 2025 ~ 0 Commentaire

Syrie

Syrie dans Altermondialisme GolanHeights-tank

Les nouveaux dirigeants syriens abandonneront-ils la résistance contre Israël ?

À un moment presque inattendu, le régime de Bachar Al-Assad s’est effondré le 8 décembre 2024 face à l’offensive éclair dirigée par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham, soutenu par la Turquie. 

Cette date met ainsi fin à cinq décennies de la dynastie tyrannique Al-Assad. Issu du parti Baath, Hafez Al-Assad prend le pouvoir par un coup d’État en novembre 1970. Tout en poursuivant des politiques de redistribution des ressources suivant un modèle social-étatique qui domine depuis le début des années 1960 mais également suivant des logiques clientélistes, il écarte de manière extrêmement violente toute opposition à son pouvoir, jetant ce faisant les bases d’un autoritarisme d’État qui se poursuivra jusqu’à la chute du régime. À partir des années 1980, se développent, dans le giron du régime, des réseaux entre le secteur public et le secteur privé ainsi qu’une nouvelle bourgeoisie.

Sur le plan régional, une inflexion violemment hostile est opérée à l’égard de l’Organisation de libération de la Palestine par Hafez Al-Assad qui entend contrôler la scène politique palestinienne ainsi que le Liban. En 1990, le régime syrien s’allie aux États-Unis dans la coalition contre l’Irak et il met sous sa tutelle le Liban dont, au sortir de la guerre civile, il contrôle la vie politique et sécuritaire tout en assurant le droit au Hezbollah de mener la résistance contre l’occupation israélienne. Au début des années 2000, alors que les États-Unis ouvrent une ère de lutte contre le « terrorisme », le régime syrien fait l’objet d’une offensive diplomatique étasunienne essentiellement en raison de son soutien au Hezbollah. 

Entretemps, le « contrat social » en Syrie consistant à légitimer la terreur d’État par le volet social se brise peu à peu au cours des années 2000. En effet, sous le mandat de Bachar Al-Assad, les logiques répressives sont toujours d’une brutalité terrifiante, les services publics deviennent de plus en plus délabrés, les politiques de libéralisation économique s’accélèrent aux dépens des classes populaires urbaines et paysannes, les privatisations renforçant la corruption et la monopolisation des ressources par le clan Al-Assad. 

Dans ce contexte, le soulèvement du peuple syrien pour ses droits sociaux et démocratiques de 2011 est violemment réprimé par le régime et, assez vite, l’ingérence des puissances régionales et internationales conduit à une guerre multidimensionnelle aux conséquences dévastatrices, dont la responsabilité incombe en premier lieu au régime de Bachar Al-Assad. 

À l’aune de ce contexte, on ne peut que se réjouir pour le peuple syrien à présent libéré de la dictature des Al-Assad. Dans le même temps, la situation présente de nombreuses inconnues quant aux politiques que vont mener les nouveaux dirigeants à Damas, quant aux moyens pour le peuple syrien dans sa pluralité de réellement prendre en main son destin, et quant à l’unité de la Syrie et à sa position vis-à-vis du colonialisme israélien dans la région. Toute incertaine qu’elle soit, la nouvelle conjoncture ouvre en tous cas de réelles possibilités de changement pour le peuple syrien. 

Dans cette optique attentive aux questions sociales, démocratiques et coloniales, et soucieuse d’éclairer les enjeux et les défis complexes face auxquels se trouve le peuple syrien, la rédaction de Contretemps propose une série d’articles sur le sujet dont les points de vue variés ne sont pas nécessairement convergents mais permettent chacun d’éclairer les divers aspects de la situation. Après un premier article de Bassam Haddad, et un deuxième de Joseph Daher, nous publions cet article de Hicham Saffiedine qui montre que l’attitude du nouveau pouvoir syrien à l’égard de l’État colonial d’Israël reste extrêmement incertaine et inquiétante.

***

En raison de sa géographie et de son histoire communes, la Syrie a toujours été au cœur de la lutte pour la libération de la Palestine. Son rôle a toutefois fluctué au fil du temps.

Après la guerre de 1973 et la normalisation unilatérale des relations entre l’Égypte et Israël, la Syrie a mis fin à son implication militaire directe, à l’exception de quelques affrontements sporadiques pendant la guerre civile libanaise.

Cependant, son rôle indirect dans la résistance armée a pris de l’importance après l’échec de la conférence de Madrid lancée en 1991. Peu après, Israël a rapidement signé les accords d’Oslo avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et le traité de Wadi Araba avec la Jordanie. La Syrie est devenue le seul État arabe frontalier, après le Liban, à rester en dehors du mouvement de normalisation.

Malgré la répression de la résistance dans le Golan occupé, la Syrie sous le régime d’Assad est restée un soutien essentiel de la résistance menée par le Hezbollah contre l’occupation israélienne voisine. Elle a fourni un soutien logistique important et une profondeur géostratégique. La libération du Sud-Liban en 2000 et la guerre de 2006 ont renforcé ces liens et justifié leur raison d’être.

En revanche, à quelques exceptions près, les relations de Damas avec la résistance palestinienne ont toujours été houleuses. Mais un rapprochement diplomatique avec le Hamas en 2022 les a rapprochés sous l’égide plus large de l’alliance connue sous le nom d’« axe de la résistance ».

Des signes inquiétants

La guerre génocidaire d’Israël contre Gaza et son offensive à grande échelle au Liban ont mis à l’épreuve la force de cet axe. Depuis le début de cette dernière fin septembre, la volonté de l’Iran, et plus encore de la Syrie, de s’engager à soutenir le Hezbollah et le Hamas est devenue suspecte.

La chute d’Assad a complètement renversé la situation. Outre de profondes répercussions nationales, son éviction a jeté un doute sérieux sur l’avenir du rôle de la Syrie dans son ensemble dans la résistance à Israël et à l’impérialisme américain dans la région.

Les premiers signes sont inquiétants. Avant d’entrer à Damas, les déclarations publiques antérieures du chef de Hay’at Tahrir al Sham (HTS), Ahmed al-Sharaa, également connu sous le nom d’Abu Mohammad al-Jolani, se concentraient sur la lutte contre le « projet iranien », tout en exprimant une tolérance envers les bases américaines dans le pays et en ignorant Israël.

La chute d’Assad n’a guère changé la donne. Les attaques aériennes israéliennes ont détruit des moyens militaires considérables de l’État syrien. L’invasion terrestre rapide de Tel Aviv, une violation flagrante de la souveraineté syrienne, a englouti de nouveaux pans du territoire syrien. Ses chars ont atteint 20 km de Damas par un couloir longeant la frontière libanaise.

La réponse d’Al-Jolani est restée tiède. Alors qu’Israël a annulé l’accord de « séparation des forces » de 1974, il s’y est accroché en soulignant que ses forces ne cherchaient pas à combattre Israël. Il a appelé, à la manière typique des régimes arabes, la communauté internationale à faire pression sur Tel-Aviv.

Tout aussi inquiétante est la fermeture annoncée des camps d’entraînement militaire des factions palestiniennes associées au régime déchu et la confirmation par le nouveau secrétaire général du Hezbollah, Naim Qassim, que la ligne d’approvisionnement en provenance de Syrie a été coupée. Qasim a tenté de minimiser l’impact d’une telle coupure. Mais elle est de mauvais augure pour la reprise et la capacité de manœuvre à long terme.

Les partisans de la rupture des liens avec le Hezbollah soutiendront que celle-ci est justifiée au vu de l’intervention du Hezbollah dans la guerre civile syrienne pour soutenir le régime répressif d’Assad. Il y a maintenant de l’animosité entre les deux. Mais ce n’est que la moitié de la vérité.

Les partisans de l’intervention soulignent qu’elle était motivée par la nécessité de défendre les lignes d’approvisionnement de la résistance. Poussés par des convenances idéologiques, les deux camps ont ignoré le point de vue de l’autre.

La vérité historique, même si elle est dérangeante, est que les deux versions sont valables. Quels que soient les griefs qui subsistent, cela ne doit pas occulter le fait qu’il est dans l’intérêt des peuples de la région de maintenir un front uni contre l’agression et l’occupation israéliennes.

La neutralité : une stratégie perdante

Il y a de la place pour que la bonne volonté l’emporte si la nouvelle puissance en Syrie est sérieuse dans sa volonté de résister à Israël et de libérer les terres syriennes occupées, sans parler de la Palestine.

La principale pomme de discorde, le régime d’Assad, a maintenant disparu. L’influence de l’Iran a diminué et la position de principe du Hezbollah sur Gaza a ravivé son estime, sinon sa popularité, dans la région arabe au sens large.

Plus important encore, Israël mène une guerre expansionniste sur plusieurs fronts sans tenir compte des intérêts palestiniens, libanais ou syriens, ni faire de distinction entre eux. Les avantages stratégiques du maintien d’une alliance avec les forces de résistance au Liban et en Palestine sont évidents.

La voie vers la consolidation d’une telle alliance avec le Hezbollah peut être ardue. Elle peut nécessiter une série de mesures visant à instaurer la confiance, notamment l’introduction d’un processus de justice réparatrice réciproque pour tenir compte des transgressions passées. Définir une vision commune de la coopération pourrait permettre de conserver la force de l’alliance passée et d’éviter les écueils.

L’autre scénario consisterait à déclencher une vendetta contre le Hezbollah, allant des affrontements frontaliers à la coupure définitive de ses lignes d’approvisionnement, tout en soutenant du bout des lèvres la résistance palestinienne à l’instar des autres régimes arabes. Une telle politique est le rêve impérialiste des États-Unis et d’Israël. C’est la recette pour de nouveaux conflits sectaires et la neutralisation du dernier État frontalier arabe.

Une Syrie « neutre », alignée sur la Turquie ou les États arabes du Golfe, ne rendra pas non plus le plateau du Golan. Contrairement à l’Égypte, où le défunt président Anouar el-Sadate a justifié sa capitulation par la récupération du Sinaï, la Syrie est dans une position beaucoup plus faible pour exiger un tel résultat.

Unir les forces

L’annexion du Golan par Israël a été approuvée par le président américain Donald Trump. Les responsables israéliens continuent d’insister sur le fait qu’il restera à jamais leur territoire. Le découplage avec le Hezbollah affaiblira encore la position de négociation de la Syrie.

Pendant trop longtemps, le régime d’Assad a invoqué le conflit avec Israël pour justifier ses mesures répressives contre son peuple. Ses opposants l’ont longtemps mis au défi de lancer une résistance dans le Golan. Maintenant que l’opposition est au pouvoir, aucun plan de ce type n’est en vue.

Mais les nouveaux vainqueurs pourraient renverser cette équation et utiliser la construction de l’État et le développement économique comme prétexte pour éviter de s’opposer à l’occupation et à l’agression israéliennes.

La lutte contre le colonialisme et l’autoritarisme ne devrait pas être exclusive.

Quel que soit le programme intérieur de la nouvelle Syrie, l’union avec les forces de résistance dans la région et au-delà reste essentielle pour se libérer d’un projet colonialiste qui a causé tant d’injustice et de souffrances aux Palestinien-nes, aux Libanais-es et aux Syrien-nes.

*

Cet article a d’abord été publié en anglais par le site Middle East Eye.

Hicham Safieddine est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire du Moyen-Orient moderne et professeur agrégé d’histoire à l’Université de la Colombie-Britannique. Il est l’auteur de Banking on the State: The Financial Foundations of Lebanon (SUP, 2019), l’éditeur de Arab Marxism and National Liberation: Selected Writings of Mahdi Amel (Brill, 2020) et le coéditeur de The Clarion of Syria: A Patriot’s Call against the Civil War of 1860 (CUP, 2019).

Hicham Safieddine 16 février 2025

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18 février 2025 ~ 0 Commentaire

Libérons Georges!

abdalla

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18 février 2025 ~ 0 Commentaire

Ukraine (Basta!)

apercu

« Les attaques de drones russes, c’est notre quotidien » : vivre en Ukraine après trois ans de guerre

Depuis février 2022 et l’invasion russe lancée contre l’Ukraine, la population civile ukrainienne subit chaque jour les conséquences du conflit, entre bombardements, alertes, et cérémonies militaires. Témoignages de Loutsk à Kyiv.

Il est 10 heures sur la place centrale de la ville de Loutsk, au nord-ouest de l’Ukraine, en Volhynie. Comme plusieurs fois par semaine, un corbillard amène devant une cinquantaine de personnes la dépouille d’un soldat, mort au front. Igor Litchak avait 58 ans. Il est décédé à l’hôpital de Dnipro le 31 décembre dernier, des suites de ses blessures, reçues au combat quelques semaines plus tôt.

Ce 8 janvier, son enterrement a lieu devant ses proches, des militaires et surtout des habitants de la ville qui viennent rendre hommage au combattant, sans parfois même le connaître. Quelques journalistes locaux filment discrètement la scène. La foule réunie pose un genou à terre en lançant « Gloire à l’Ukraine » (« Slava Ukraini »). Puis le cercueil est porté dans l’église par six hommes en uniforme, en passant devant plusieurs drapeaux, dont un européen.

« Je participe aux cérémonies lorsque c’est quelqu’un que je connais, nous dit Lidiia, historienne et urbaniste à Loutsk. Il serait difficile de participer à toutes, car je dois travailler. À la vue d’un cortège funéraire, tout le monde s’arrête et s’agenouille en signe de respect. Chaque jour à 9 heures, nous stoppons nos activités pour honorer par une minute de silence ceux qui sont morts dans cette guerre. »

Ce matin-là, la jeune femme est venue à la cérémonie sur le chemin de son travail, dont les bureaux se trouvent à proximité. Déclenchée le 24 février 2022, l’invasion de l’Ukraine par le président russe Vladimir Poutine a permis à la Russie de conquérir à ce jour un peu moins de 20 % du territoire ukrainien, en comptant la Crimée conquise par la Russie en 2014.

Le bilan humain est très lourd, mais varie grandement selon la provenance des chiffres. En septembre 2024, le Wall Street Journal citait le nombre de 80 000 morts et 400 000 blessés côté ukrainien et de 200 000 morts et 400 000 blessés côté russe.

À Loutsk, Igor Litchak vient donc s’ajouter à la longue fresque des habitants de la ville décédés lors du conflit. Le mémorial local d’abord érigé à la hâte manque aujourd’hui de place, à tel point que la municipalité se demande comment l’agrandir. « Mon meilleur ami est mort dans cette guerre en octobre 2022. Cette perte m’a brisée », continue Lidiia, qui ne manque pas de saluer la photo de son ami sur la fresque du mémorial. « C’est tellement douloureux de réaliser ces pertes. Beaucoup de mes connaissances ont été tuées. Nous ne pardonnerons pas à la Russie, nous ne pouvons pas », dit-elle aussi.

Journées rythmées par les alertes aux bombardements

Bien que très éloignée du front, Loutsk vit toutefois dans la guerre, comme tout le reste de l’Ukraine. Dans les rues, des drapeaux et des publicités vantant les forces armées du pays. Les journées et les nuits sont rythmées par le couvre-feu quotidien et les alertes au bombardement. L’Ukraine étant un vaste pays, l’ouest de son territoire est bien moins en alerte que l’Est, mais aucune région n’est épargnée.

« La fréquence des alertes varie vraiment selon le lieu où l’on vit , confirme Jenya, depuis son appartement de Kyiv. Certaines zones du pays ont dû faire face à des problèmes d’électricité et d’eau potable pendant plusieurs mois… ici à Kyiv, ça s’est plutôt compté en jours. » La capitale ukrainienne n’a pas toujours été si relativement calme. Un épisode a particulièrement marqué les habitants de cette ville de trois millions d’habitants : le bombardement massif du 10 octobre 2022.

Ce jour-là, le pays reçoit une pluie de missiles de la part des Russes en représailles d’une attaque ukrainienne sur le pont de Crimée, quelques jours auparavant. Une vingtaine de missiles tombent ainsi sur Dnipro, Zaporijjia, Lviv et donc Kyiv, privant alors une partie de la ville d’électricité, pendant plusieurs jours. Au moins 20 personnes meurent et plus d’une centaine sont blessées.

« C’est le plus marquant pour moi, cet hiver et les premiers blackouts , car la Russie s’est attaquée à nos infrastructures, se souvient Pavlo, urbaniste de 30 ans, également habitant de la capitale. Tout mon quartier a été privé d’électricité et d’eau pendant trois jours. J’habitais au 14e étage, il n’y avait pas de pression dans les robinets. Je devais aller chercher de l’eau pour me laver ou pour aller aux toilettes… »

Le terme black-out est alors entré dans le langage commun des Ukrainiens, tant l’angoisse et l’incertitude ont rythmé ces jours à s’éclairer à la bougie, dans le froid. Avec son amie Anna, Jenya a publié une bande dessinée baptisée Blackout : chroniques de notre vie durant la guerre de la Russie contre l’Ukraine. « Notre livre a été conçu pendant ce moment et publié en mars 2023, explique la dessinatrice. Cette première vague de bombardements avait été très dure à vivre, car rien n’était préparé à l’époque. » L’ouvrage détaille les questionnements, les peurs et la vie quotidienne des deux femmes, accompagnées d’un chien terrorisé par les explosions voisines.

Le smartphone comme rempart aux bombardements

Après trois ans, l’Organisation des Nations unies a recensé plus de 10 000 morts civils dans les bombardements en Ukraine, tout en reconnaissant que le bilan réel est très probablement plus élevé. Depuis les premières vagues de bombardements, c’est tout le pays qui a appris à vivre avec en protégeant par exemple les monuments historiques et en aménageant des aires de jeux pour enfants dans les abris anti-aériens…

Pour les habitants, la consigne est de se réfugier près d’un mur porteur du bâtiment où l’on vit ou dans la cave, s’il y en a une. « Ici à Kyiv, les attaques de drones russes ont lieu chaque jour, c’est notre quotidien, détaille Jenya. Au début de la guerre, nous allions avec mon amie dans l’abri le plus proche, car il y avait beaucoup d’explosions autour de chez nous. Mais aujourd’hui, pour la plupart des alertes, nous nous contentons d’aller près du mur porteur de notre immeuble, dans le couloir. » Ainsi, il n’est pas rare de trouver à Kyiv des matelas et de la nourriture dans les couloirs d’immeubles, ainsi que des tapis de sol et de l’eau dans les ascenseurs, en cas de panne prolongée…

De même, les commerces de la ville possèdent généralement leur groupe électrogène afin de s’auto-alimenter en cas de coupure. Encore aujourd’hui, l’armée russe bombarde les villes. La plupart des drones ou missiles sont interceptés par les équipements occidentaux des forces armées ukrainiennes, mais des destructions et des morts sont tout de même à déplorer chaque semaine dans différentes villes du pays.

« Quand il y a une alerte au bombardement, nous faisons tout pour que les enfants n’aient pas peur, explique avec émotion Tatiana, qui est professeure dans une école à Dnipro, à l’est. Nous n’avons pas d’abri dans notre établissement ni de cave. Avec les autres professeurs, nous scrutons les fils Telegram sur nos téléphones pendant l’alerte pour savoir si les attaques sont proches et si c’est le cas, les enfants sont réunis dans les couloirs près d’un mur porteur et nous prions, car notre école est religieuse. »

Dès les premiers jours de la guerre, les smartphones ont pris une importance majeure dans le quotidien des civils pour se prémunir et s’informer des alertes, notamment via l’application Air Alert. Créée rapidement après le début de l’invasion russe par des ingénieurs ukrainiens, elle prévient les habitants d’une attaque aérienne et de l’abri le plus proche. Très utilisée, l’application se veut même ludique et peut par exemple être personnalisée pour que ce soit la voix de Luke Skywalker (l’acteur américain Mark Hamill dans Star Wars) qui donne les indications.

Malgré ce détail amusant, la cadence et la violence des attaques usent la population. Certaines villes sont en alerte chaque nuit. « J’ai effacé Air Alert de mon téléphone et à l’écoute de l’alerte dehors, je vérifie sur mon téléphone la trajectoire des projectiles qui arrivent sur les chaînes Telegram, explique Pavlo. Être réveillé par les alarmes, c’est trop fatiguant au quotidien, d’autant que cela arrive la nuit généralement. Pendant plusieurs mois, c’était chaque nuit du dimanche au lundi, à croire que les Russes voulaient que l’on soit fatigué toute la semaine. »

Le jeune homme dit avoir participé à monter des barricades et à préparer des cocktails Molotov de peur de voir l’armée russe en bas de son appartement. Il parle malgré tout avec émotion des alertes. « En ce moment, je suis très stressé et victime de doomscrolling [fait de passer son temps à faire défiler des informations sur son téléphone, ndlr], continue-t-il. Être gay dans ce contexte, c’est une pression supplémentaire. Quelques semaines après le début de l’invasion, les autorités ukrainiennes ont prouvé que les Russes avaient des listes de personnes problématiques à leurs yeux. On m’a proposé d’aller en Suède avec mon ami, mais nous ne voulions pas abandonner notre travail. » En Russie, le régime de Vladimir Poutine s’attaque de plus en plus et depuis des années aux personnes LGBTQ.

18 février 2025 Guy Pichard

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