le pacte germano soviétique (lcr)
Le 23 août 1939 était signé le pacte germano-soviétique « le pacte du diable », la « bombe diplomatique du siècle », pour reprendre quelques expressions journalistiques.
Il importe avant toute chose de rapporter les faits essentiels qui ont mené à cet accord, car ils ont donné lieu à des interprétations diamétralement opposées.
LES FAITS
25 juillet : suite à l’invitation de Molotov, ministre soviétique des Affaires étrangères, les Français et les Britanniques décident d’envoyer une délégation pour discuter d’un éventuel accord entre Paris, Londres et Moscou.
5 août (onze jours plus tard) : départ des négociateurs…. par bateau lent qui arrive à Lenin- grad le 10 août. La délégation est dirigée par des militaires sans véritable pouvoir de négociation.
11 août : début des négociations tripartites. Les Russes demandent que la Pologne laisse passer l’Armée Rouge sur son territoire pour lui permettre d’affronter les forces armées allemandes. Consultés à ce sujet, les Polonais refusent.
17 août : les discussions sont reportées au 21 afin de laisser aux Alliés le temps de faire pression sur la Pologne. En vain.
19 août : un accord commercial est conclu entre les Allemands et les Russes. Dans la nuit du 20, Hitler propose que Ribentropp, ministre nazi des Affaires étrangères vienne à Moscou avec tout pouvoir pour conclure un accord.
21 août : les négociations franco-anglo-russes sont au point mort.
23 août : signature entre le Reich et l’URSS d’un pacte de non-agression de dix ans. Le pacte est accompagné d’un protocole secret prévoyant le partage de la Pologne entre les deux pays ainsi que le passage de la Finlande et des Etats baltes dans la sphère soviétique.
Il est complété le 28 septembre par un deuxième pacte « d’amitié et de frontières ».
LES DEUX INTERPRETATIONS CLASSIQUES
Pour les historiens bourgeois et les journalistes sociaux-démocrates, il s’agit d’un accord cynique, scandaleux, mais finalement guère étonnant puisqu’il lie deux « pays totalitaires ».
Grâce à ce pacte, Hitler a eu les mains libres pour attaquer la Pologne et ensuite les démocra- ties occidentales ; le protocole secret est l’expression achevée du mépris du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; les hésitations et les lenteurs des négociateurs franco-britanniques s’expliquent par un manque de lucidité des démocraties, par un manque de confiance dans la force de l’Armée Rouge ou par la répugnance à conclure un traité avec une puissance totalitaire.
On comprend l’indignation devant les clauses du protocole secret ; on la partagerait d’avantage si ces mêmes historiens et journalistes condamnaient avec la même vigueur le colonialisme, ou encore la mise sous mandat franco-britannique du Moyen-Orient à l’issue de la première guerre mondiale, pour nous limiter à ces deux exemples.
Parler de répugnance à se lier à une puissance totalitaire (l’URSS) alors que la Pologne de l’entre-deux guerres était tout sauf démocratique est assez piquant. De toute manières, s’il y avait des raisons valables de ne pas conclure, pourquoi avoir envoyé des négociateurs, et sans véritable mandat ?
Pour les staliniens, la faute incombe aux franco-britanniques. En 1938, lors des accords de Munich qui livraient la Tchécoslovaquie à Hitler, les occidentaux ont refusé l’aide que leur proposait Moscou pour arrêter l’expansionnisme nazi. Staline en a dès lors conclu que les franco-britanniques s’efforçaient d’orienter l’impérialisme allemand vers l’URSS. Le pacte germano-soviétique a alors permis de briser la coalition anti-soviétique des pays capitalistes ; et, en reportant jusqu’en 1941 l’entrée en guerre de l’URSS, il a fait gagner un temps précieux pour améliorer la défense de l’Etat ouvrier. Quant au protocole secret, c’est une « fable inventée par les anti-communistes ».
Concernant ce protocole secret, contentons-nous de relever qu’en son bulletin du 17 août 1989, l’agence de presse Novosti explique qu’il ne s’agit pas d’une invention. Parler d’une volonté occidentale d’orienter Hitler vers l’Est est par contre exact – mais incomplet, nous y reviendrons plus loin. Ce qui est carrément faux, par contre, c’est d’affirmer qu’avec ce traité Staline s’est consciemment ménagé un délai pour améliorer la défense de l’URSS.
Expliquons-nous. Pour un Etat ouvrier, la signature d’un traité avec une puissance impéria- liste agressive n’est pas en soi condamnable. En 1918, à Brest-Litovsk, les Bolcheviks n’avaient pas d’autre choix que de signer un accord de paix avec les Allemands : ils n’avaient pratiquement plus d’armée pour se défendre.
Mais d’abord Staline, ne s’est pas contenté d’un simple accord : en vertu du « deuxième pacte », il a livré à la Gestapo des Allemands anti-nazis réfugiés en URSS. Ensuite, il a étendu l’accord à l’Internationale Communiste. Celle-ci a cessé, dans sa propagande, de dénoncer le fascisme et a au contraire stigmatisé l’impérialisme franco-britannique (sur lequel elle faisait silence auparavant). Il existe de multiples témoignages de stupéfaction, de désarroi, de désil- lusion et de découragement qu’une telle attitude a semé parmi les militants communistes européens.
Dans les premiers temps de l’occupation allemande en France, par exemple, la direction du PCF entreprit des démarches auprès des nazis pour que l’Humanité ne soit pas interdite…. Enfin, Staline, qui avait fait liquider, entre 1937 et 1939, les meilleurs éléments de l’état-major de l’Armée Rouge, n’a absolument pas utilisé le répit offert par le pacte pour préparer l’armée et les partisans à résister à l’attaque nazie. Pour une raison bien simple : il ne croyait tout simplement pas à l’offensive allemande ! Même dans les premières heures de l’agression, refusant de se rendre à l’évidence, il donnait à ses troupes l’ordre formel de ne pas riposter aux « provocations » (1) !
NOTRE ANALYSE
Pour de larges secteurs de la bourgeoisie anglaise et française (belge aussi d’ailleurs), l’ennemi principal, ce n’était pas l’Allemagne nazie mais l’URSS. Les représentants politiques de ce courant – tels Neville Chamberlain, premier ministre britannique – cherchent bel et bien, dès lors, à orienter Hitler vers la Russie.
Cela explique l’envoi d’une délégation sans vrai pouvoir : Lord Halifax, ministre anglais des Affaires étrangères, estimait que tant que dureraient des négociations entre Paris, Lon- dres et Moscou, Staline ne signerait rien avec les nazis. Ils s’agissait dès lors de gagner du temps, le temps qu’arrivent les pluies d’automne qui auraient empêché la Wehrmacht d’atta- quer la Pologne en 1939. Et tant que la Pologne n’était pas attaquée, les franco-britanniques n’avaient pas à déclarer la guerre à l’Allemagne…
Pour Churchill, par contre, qui dirigea la Grande-Bretagne à partir du 10 mai 1940, il fallait agir autrement ; tout aussi anti-communiste que Chamberlain, il estimait que si les nazis arri- vaient à conquérir l’URSS, ils disposeraient de ressources formidables leur permettant d’abattre l’empire britannique. Churchill voulait gagner la guerre inter-impérialiste avant de « s’occuper » de l’URSS. Mais, pour que puisse éclater cette guerre impérialiste, il fallait qu’au préalable aient été brisées les montées révolutionnaires en Europe.
Et c’est ici que réside la véritable, la profonde responsabilité de Staline et de sa clique bureaucratique : après avoir empêché que se constitue un front entre communistes et socialistes allemands contre Hitler avant 1933 (2), le « petit père des peuples » a saboté la révolution espagnole de 1936 et a freiné les élans pré-révolutionnaires en France à la même époque. C’est grâce à l’apathie, au découragement ouvrier qui en ont résulté que les grandes puissances capitalistes ont pu se lancer dans la guerre pour la conquête de l’hégémonie mondiale… ainsi que dans l’attaque de l’URSS le 22 juin 1941.
C’est cette apathie qui a permis à Staline de conclure un accord d’Etat à Etat avec l’Allemagne nazie (ce qui revenait, de fait, à prendre position en faveur de l’impérialisme allemand), dans la perspective de tenir l’URSS à l’écart du conflit mondial imminent et de préserver ainsi le pouvoir de la bureaucratie. En ce sens, le pacte fut l’épilogue logique d’une politique contre-révolutionnaire, qui coûta finalement la vie à des dizaines de millions de Soviétiques.
(1) voir à ce sujet les témoignages d’auteurs russes que nous avons publiés dans La Gauche du 15 août 1989, ainsi que le livre « L’Armée Rouge assassinée », d’Alexandre Nekritch
(2) Ce qui ne disculpe nullement les dirigeants socialistes allemands : eux aussi sont responsables de la non-constitution d’un tel front.
mardi 19 février 2008 Luc Gérard, LCR Loiret
http://www.gauchemip.org/spip.php?article5524
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