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06 mars 2025 ~ 0 Commentaire

UKRAINE (NPA)

 

UKRAINE (NPA) dans Altermondialisme

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Avec l’Ukraine, contre le militarisme

Dans cet entretien percutant, Catarina Martins, figure de proue de la gauche portugaise et députée européenne, propose une analyse lucide qui transcende les clivages simplistes sur la guerre en Ukraine. Elle démontre comment la résistance légitime du peuple ukrainien s’inscrit dans une lutte plus large contre l’exploitation néolibérale et les intérêts des multinationales qui cherchent à profiter de la reconstruction.

Martins articule une vision de gauche cohérente qui reconnaît à la fois le droit des Ukrainiens à se défendre et la nécessité d’aller au-delà d’une réponse purement militaire. Elle expose comment les créanciers internationaux et les oligarques, tant russes qu’occidentaux, instrumentalisent la crise pour leurs propres intérêts, au détriment des travailleurs ukrainiens.

À travers son expérience au Portugal, où son parti a combattu l’austérité et défendu les services publics, elle montre qu’une autre voie est possible : celle d’une solidarité internationale basée sur la justice sociale, le logement public et la défense des droits des travailleurs. Une lecture essentielle pour comprendre comment construire une paix durable fondée sur la justice sociale.

Catarina Martins était la coordinatrice nationale du Bloc de Gauche, un parti politique socialiste démocratique au Portugal, de 2012 à 2023. Elle a été élue députée européenne lors des élections européennes de 2024 et siège au sein du groupe de la Gauche au Parlement européen — GUE/NGL. Catarina a une formation en linguistique et une carrière dans le théâtre.

Le Bloc de Gauche est l’un des initiateurs de la nouvelle coalition progressiste de gauche dans l’UE, l’Alliance européenne de la Gauche pour le Peuple et la Planète. Le parti exprime sa solidarité avec le peuple ukrainien face à l’invasion russe. En novembre 2024, Catarina Martins, accompagnée de deux autres députés européens et d’autres délégués des partis de gauche européens, s’est rendue en Ukraine. Nous nous sommes entretenus avec elle pour parler de la position de la Gauche sur l’Ukraine et de l’expérience politique portugaise, ainsi que des leçons urgentes pour notre pays dans le contexte de la crise économique.

Denys : Votre visite en Ukraine a été courte, mais très intense. Vous avez rencontré de nombreux représentants de différents mouvements de diverses sphères. Qu’est-ce qui vous a frappé lors de cette visite à Kiev ?

Catarina : J’ai beaucoup lu sur la guerre et sur la situation, donc j’avais déjà certaines informations. Mais c’est très différent quand on écoute les gens qui la vivent, car nous ne sommes pas uniquement gouvernés par la raison : il y a une partie émotionnelle. Je savais qu’il y avait beaucoup de détermination, mais c’est impressionnant quand on l’entend de personnes si différentes. J’ai rencontré des ONG qui travaillent avec le gouvernement, et j’ai rencontré des gens très critiques envers le gouvernement, et ceux qui travaillent avec le gouvernement tout en étant également critiques envers lui. Toutes ces personnes très différentes étaient déterminées à repousser Poutine. Cette détermination était vraiment impressionnante. Une autre chose qui m’est apparue était à quel point Poutine avait sous-estimé l’Ukraine.

Je savais que vous étiez déterminés, je savais que l’Ukraine était, bien sûr, une nation et que le fait qu’il y ait des Ukrainiens russophones ne signifiait pas qu’ils voulaient appartenir à la Russie. Par exemple, j’ai rencontré des gens qui défendaient que le russe était leur langue et ils m’ont dit : « Je suis un Ukrainien russophone ». L’Ukraine est une société plurilingue comme tant d’autres. Ce sont des choses que je savais avant, mais c’était différent quand j’ai entendu les gens le dire.

D’un côté, bien sûr, c’est impressionnant de voir comment l’Ukraine reste organisée tout au long de la guerre. Mais quand vous parlez à ceux qui travaillent avec les personnes déplacées, dans les soins de santé, dans le soutien en première ligne, vous voyez qu’il n’y a pratiquement pas d’État là-bas. C’est un exemple lucide des dangers du néolibéralisme, c’est clair. Prenez par exemple la situation du logement : il n’y a aucune perspective d’un programme public de logement pourtant nécessaire.

Ou un autre exemple des soins de santé : nous avons visité une association qui fait des soins palliatifs. Neuf femmes faisant un travail incroyable avec l’idée que s’il n’y avait pas elles, il n’y aurait personne. Et puis quand nous avons parlé aux infirmières, il était clair que ce n’était pas une exagération de l’ONG. C’était vraiment comme ça. Ou le processus d’évacuation en première ligne — il est principalement effectué par des ONG. Bien sûr, je comprends que les ressources de l’État sont fortement consommées par la guerre. Mais il est également évident que ces problèmes existaient même avant la guerre. L’Ukraine manque d’un État avec une structure aidant les citoyens pour les choses essentielles. C’est quelque chose que j’ai appris.

Vous représentez le Bloc de Gauche au Portugal tandis que vos collègues députés européens dans la délégation, Li Andersson et Jonas Sjöstedt, sont issus des partis de gauche nordiques. Non seulement vos forces politiques ont été assez claires à gauche dans leur soutien au peuple ukrainien dans cette guerre, mais aussi en général, tant dans les pays nordiques qu’au Portugal, si je ne me trompe pas, les sondages d’opinion montrent un niveau élevé de soutien et de solidarité envers le peuple ukrainien. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui se cache derrière ?

Je pense qu’il y a diverses raisons à cela. Les pays nordiques, parce qu’ils sont près de la frontière russe, et ils ont peur de la guerre. Au Portugal, je crois que c’est parce que nous avons une importante communauté ukrainienne, donc nous nous sentons très proches. Nous avons tous des gens qui sont venus d’Ukraine dans les années 90 ou maintenant. C’est la deuxième plus grande communauté au Portugal actuellement, après les Brésiliens.

Ce qui est en fait négligé par beaucoup de ceux qui affirment leur soutien à l’Ukraine, et ce qui est mis en évidence par les gens de gauche, tant en Ukraine qu’à l’extérieur de l’Ukraine, ce sont les défis sociaux et économiques auxquels le peuple ukrainien est confronté en temps de guerre. Et je pense que nous avons aussi cette expérience commune avec le cercle vicieux de la dette et le problème de la dette extérieure. Le Portugal a connu cette histoire avec la Troïka1, avec l’étouffement par les créanciers, faisant face à la pression des institutions financières internationales. La question de la dette peut-elle aider à construire une solidarité plus large entre les pays, entre les peuples qui ont été soumis à ce fardeau de la dette et au diktat de ces institutions, que ce soit l’Ukraine, le Portugal, la Grèce ou les pays d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie ? Que pouvons-nous faire pour construire cette solidarité ?

Je pense que la question de la dette publique et de son annulation est celle dont nous devons discuter et autour de laquelle nous devons construire la solidarité. Pour le Portugal, ce n’est pas un énorme problème maintenant comme ça l’a été, mais cela a des coûts importants. Et pour un pays qui subit la destruction de la guerre, c’est catastrophique de supporter également le coût de la dette publique. Il y a un point concernant le néolibéralisme que les gens devraient intérioriser : les créanciers prétendent aider l’Ukraine, mais en réalité ils ne le font pas. Ils font des affaires avec le malheur de l’Ukraine. Et ces accords sont payés par les contribuables et les travailleurs ukrainiens. C’est parce qu’au lieu d’un soutien explicite, une aide prétendue est utilisée une fois puis transformée en dette que l’Ukraine sera obligée de rembourser. Nous devrions faire l’inverse : contrairement à la dette que vous êtes obligé de rembourser plus tard, un soutien à grande échelle devrait être réel. L’Ukraine doit être soutenue parce que c’est important et l’annulation d’une partie de la dette en est une composante — pas l’accumulation de dettes.

Et l’autre chose est la privatisation de secteurs énormes de la reconstruction de l’Ukraine, et les intérêts multinationaux qui y sont liés. Ce n’est pas parce qu’ils [les multinationales] sont généreux, c’est parce qu’ils veulent contrôler l’Ukraine en tant qu’État avec d’immenses possibilités économiques. Votre pays est très important en raison de sa situation géographique, c’est-à-dire de vos richesses naturelles, de votre agriculture. Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles vous êtes une très bonne affaire. L’enjeu est que vous devriez avoir un bon accord pour le peuple ukrainien, pas pour quelques entreprises multinationales. Pas pour ceux qui viennent en proclamant leurs intentions d’aider à reconstruire et qui restent ensuite pour opérer là-bas, en payant de bas salaires, en faisant ce qu’ils veulent et en drainant l’argent hors d’Ukraine.

Et évidemment, vous voyez dans ces forums internationaux qui sont consacrés à la reconstruction de l’Ukraine que tout tourne autour des investisseurs. Donc, qu’il s’agisse du capital oligarchique ukrainien ou des multinationales, tout tourne autour des affaires. On ne parle presque pas du travail, de ceux qui en Ukraine souffrent réellement et paient le coût de la guerre.

C’est pourquoi je pense que la gauche devrait également aider à l’idée de renforcer et de maintenir les biens publics de l’Ukraine. Une chose dont nous avons discuté est la nécessité de travailler ensemble sur un projet de financement du logement public en Ukraine. Si cela n’est pas fait, un constructeur européen ou américain viendra en Ukraine pour reconstruire des maisons et s’enrichir.

Ou un promoteur ukrainien, qui est probablement aussi un oligarque très corrompu.
En effet, les villes pourraient être propriétaires des maisons, pourquoi pas ? Vous avez cinq millions et demi de personnes déplacées internes. C’est vraiment impressionnant pour un pays de 40 millions d’habitants. Certains réfugiés sont à l’étranger maintenant, néanmoins il y en a environ 5 millions encore dans le pays. Et certains de ceux qui sont hors du pays pourraient vouloir revenir. Ce serait bon pour la reconstruction de l’Ukraine si certains d’entre eux revenaient. Ils ont besoin d’un endroit où vivre, donc l’Ukraine a besoin d’un programme de logement public. Vous n’avez pas besoin de remplir les poches d’une poignée de constructeurs.

En parlant du néolibéralisme et de toutes ces politiques d’austérité, le Portugal a payé l’un des pires prix en Europe après la crise de 2008. Mais au moins quand votre parti et les communistes surveillaient le gouvernement socialiste d’António Costa après les élections de 2015, c’était le gouvernement le moins néolibéral de l’UE à cette époque2.

C’était aussi le gouvernement le plus populaire que le Portugal ait eu en ce siècle. Nous avons construit des logements publics, augmenté les salaires et les retraites. Nous avons introduit le droit aux livres dans les écoles, car au Portugal les familles devaient payer les livres scolaires, donc après ce droit, elles ne le faisaient plus. En résumé, nous avons agi conformément à des politiques sociales universelles.

C’était important. Mais ensuite nous avons eu des élections, et en raison de la sympathie des gens pour le gouvernement, les socialistes ont reçu plus de votes. Ainsi, lorsque les socialistes sont devenus moins dépendants des autres forces de gauche — le Parti communiste portugais et le Bloc de Gauche — qu’ils ne l’avaient été auparavant, ils ont commencé à faire ce que tous les socialistes font autour du monde : ils ont introduit des politiques néolibérales. C’était un problème. Nous aurions dû faire beaucoup plus, mais je crois que ces quatre années ont prouvé que si vous faites quelque chose de différent, l’économie ira mieux. L’austérité n’est pas une réponse.

L’austérité ne fait qu’aggraver les problèmes.

Oui. Au Portugal, il y avait une discussion selon laquelle le salaire minimum ne devait pas être augmenté, car cela tuerait l’économie. Au contraire, nous avons augmenté le salaire minimum chaque année. Et, vous voyez, parce que nous avons prouvé que cette politique n’avait pas tué l’économie, depuis lors le salaire minimum a été augmenté chaque année au Portugal. Je ne dis pas que tout va bien : il est encore bas. Mais l’argument selon lequel nous ne pouvions pas augmenter le salaire minimum parce que l’économie ne pouvait pas le supporter : c’est un argument que personne ne pouvait plus utiliser. Nous l’avons changé, nous avons prouvé que l’austérité ne fonctionnait pas. Les salaires ont fonctionné pour l’économie.

Mais maintenant vous avez un gouvernement de droite au Portugal après les élections de 2024 qui ont également montré la montée en flèche du parti d’extrême droite Chega. Quels sont les principaux défis selon vous pour le Bloc de Gauche et pour la gauche en général au Portugal en ce moment ? Comment pouvons-nous combattre ces forces de droite ?

Nous avons un problème parce que nous avons soutenu le gouvernement du Parti socialiste qui à un certain moment a décidé de ne plus coopérer avec les forces à sa gauche. Et il n’y a pas eu un jour où tout le monde a reconnu que cela se produisait. Donc les gens associaient encore ce que le Parti socialiste a fait après 2019 [quand il ne dépendait plus du soutien parlementaire du Bloc de Gauche et a dilué ses politiques sociales] avec la gauche. Avec le COVID et l’inflation post-2019, le gouvernement socialiste a décidé de maintenir les taux de déficit bas comme priorité principale. Ils n’ont fait aucun investissement dans les services publics, donc ces derniers se sont beaucoup affaiblis à cause de l’inflation. Puis le COVID, et toujours pas d’investissement. C’était une décision terrible. En même temps, le travail n’était pas non plus aussi protégé par la loi qu’il aurait dû l’être. Donc, les entreprises n’ont pas augmenté les salaires comme elles auraient dû le faire face à l’inflation. Au final, les gens ont associé ce manque d’investissement dans les services publics, et la façon dont leurs salaires n’ont pas suivi l’inflation avec les politiques de gauche. Mais ce n’était pas les forces de gauche. C’était un parti socialiste faisant la même chose que ce que les partis de droite avaient fait à travers l’Europe. Par conséquent, les gens ont cessé de soutenir ce qu’ils percevaient comme des politiques de gauche et ont commencé à faire confiance à la droite, espérant qu’elle pourrait apporter des changements.

Et donc nous avons maintenant un gouvernement de droite qui gagne du terrain. Nous avons une droite montante, mais cela a probablement à voir avec ces déceptions et ces espoirs, ainsi qu’avec le moment international. Je crois que ces espoirs se révéleront malheureusement faux. Tout cela est difficile, car les forces de droite sont bien financées. De plus, il y a une communication entre elles sur la scène internationale qui va de Bolsonaro à Poutine et Trump. Et bien sûr, le Portugal a des liens solides avec le Brésil. Tout cela rend la situation difficile et compliquée. Au Portugal, comme dans d’autres pays, les partis de droite gagnent des voix en s’appuyant sur des mensonges et sur des politiques destructrices.

Je crois que la gauche doit avoir de bonnes idées solides pour la classe ouvrière. Précisément pour la classe ouvrière telle qu’elle est. Parce que la classe ouvrière n’est pas uniquement composée d’hommes blancs hétérosexuels, mais plutôt de toute la diversité. Les femmes, les travailleurs non-blancs et immigrants sont plus exploités que tous les autres. Sachant cela, la gauche doit avoir des idées mobilisatrices efficaces qui, je crois, seront centrées sur l’inflation et les salaires. Aussi le logement, parce que ce n’est pas seulement l’Ukraine qui a un problème de logement. Je ne compare pas. Bien sûr, votre situation est différente, mais la tendance pénètre l’Europe : les gens ne peuvent pas se permettre une maison avec les salaires qu’ils gagnent.

Le Portugal était l’un des rares pays d’Europe qui n’avait pas de parti d’extrême droite ouvertement présent au parlement. Il semble qu’après la Révolution des Œillets qui a renversé la dictature de droite dure, ces idées ont été complètement discréditées, même parmi ceux de droite qui ont commencé à se nommer sociaux-démocrates comme le PSD. Alors que s’est-il passé, comment ces idées sont-elles devenues plus tolérables et l’extrême droite a-t-elle gagné une telle popularité ?

C’est un mélange de deux facteurs. Bien sûr, il y a des jeunes qui sont très éloignés des débats antifascistes, et ils sont très influencés par les réseaux sociaux. Particulièrement les jeunes garçons qui subissent l’influence du contenu propageant une masculinité toxique. C’est terrible. Mais ce qui est plus important, c’est que nous avons toujours eu ces figures de droite au Portugal, elles n’avaient simplement pas de parti. Et puis, le parti est apparu, donc ce public a gagné une force politique pour laquelle voter. Ils ont toujours été là, les racistes et les misogynes, se cachant dans certains partis conservateurs et partis traditionnels de droite. Parmi eux, même ceux qui ont la nostalgie de la dictature, de l’idée de l’Empire colonial portugais. Cela a toujours existé, bien qu’il n’y ait pas eu de parti pour les représenter. Maintenant, la scène internationale a fourni les moyens pour une construction de parti.

Il y a des gens qui font des comparaisons entre le Portugal de Salazar et la Russie moderne. Vous avez donc eu un dictateur de droite vieillissant, déconnecté de la réalité, essayant de mener des guerres coloniales pour préserver l’empire. Que pensent les gens au Portugal en général de la nature du régime russe ? Parce qu’il semble qu’au moins dans ce Parti communiste portugais suranné, beaucoup de gens pensent encore que la Russie est une sorte d’héritière de l’Union soviétique et que c’est encore une force antifasciste réelle.

Je ne pense pas qu’ils voient la vraie image. Je suis très critique sur la façon dont le Parti communiste traite ces choses. Ce qu’ils croient, c’est le monde divisé. Vous avez l’impérialisme nord-américain qui est très fort, qui a des moyens économiques et militaires qu’aucune autre force n’a sur notre planète, et c’est vrai. Et donc ce qu’ils croient, c’est que les forces qui sont contre l’impérialisme nord-américain peuvent donner une sorte d’équilibre. Je pense que c’est faux, parce que la Russie aujourd’hui est un capitalisme agressif et néolibéral avec des objectifs impérialistes, tout comme la Chine. Au Portugal, je pense qu’il est bon de rappeler que les grands alliés de Poutine sont toujours de droite.

La droite a créé le système des visas dorés que les oligarques utilisent pour obtenir la citoyenneté dans les pays de l’UE. C’étaient les ministres de droite qui sont allés en Russie dans le but de vendre ces visas dorés à l’oligarchie. Donc n’oubliez jamais que les vrais liens avec Poutine sont maintenus par la droite et, bien sûr, l’extrême droite. Par exemple, André Ventura de l’extrême droite Chega a une grande amie Marine Le Pen qui en une seule année a reçu un prêt de 9 millions d’euros de Poutine pour faire une campagne. Ou Salvini portant un t-shirt avec le visage de Poutine. N’oublions pas qui sont leurs amis.

Mais je suppose aussi que l’histoire traumatique suivante joue son rôle : que la dictature portugaise était un membre fondateur de l’OTAN et que les États-Unis soutenaient en fait les guerres coloniales que le Portugal menait.

C’est la raison pour laquelle il est très dangereux que quelqu’un croie que l’OTAN a quelque chose à voir avec la démocratie. Ce n’est pas le cas. Par exemple, l’OTAN a des pays qui suppriment la démocratie, comme la Turquie. Ceux qui freinent l’autodétermination des peuples : pensez aux Kurdes. L’OTAN a bombardé des pays contre le droit international sans aucune justification, les États-Unis en tant que force dirigeante ont menti sur les armes de destruction massive en Irak. Oui, le Portugal était membre fondateur de l’OTAN quand nous étions sous la dictature et néanmoins nous avions des guerres coloniales. Donc ce n’est pas une question de démocratie mais d’influence nord-américaine dans le monde. Je pense que tout le monde doit comprendre que l’OTAN est votre ami tant que vos intérêts s’alignent sur ceux des États-Unis. Sinon, l’OTAN pourrait attaquer.

Je pense qu’il faut être prudent quand les gens croient que l’OTAN est une bonne force démocratique qui défend la démocratie. Même les pays qui ont la démocratie utilisent l’armée principalement pour des raisons économiques et géostratégiques. Ils ne l’utilisent pas à des fins de démocratie. Si c’était le cas, l’OTAN serait en Israël pour sauver les Palestiniens. Est-elle là-bas ?

Et je pense que l’histoire des Kurdes syriens au Rojava était très révélatrice de la façon dont les États-Unis les ont abandonnés après qu’ils ont effectivement sauvé la région de l’EI.

C’était un bon exemple parce que les Kurdes étaient alliés de l’OTAN et quand cette dernière n’avait plus besoin d’eux, ils les ont simplement laissés tomber. En effet, les Kurdes syriens sont dans une position extrêmement mauvaise actuellement, étant attaqués de tous côtés. Personne ne les défend3.

Quand nous revenons à cette situation générale, vous représentez ces courants dans la gauche internationale qui reconnaissent effectivement les dangers de chaque impérialisme. Récemment, le Bloc de Gauche a été l’un des initiateurs de la nouvelle Alliance européenne de la Gauche pour le Peuple et la Planète. Parlez-moi de cette initiative et si vous voulez étendre l’union des forces à travers l’Europe ou peut-être au-delà de l’Europe, y compris le Mouvement Social/Sotsialnyi Rukh en Ukraine. Que pensez-vous des perspectives de cette nouvelle alliance ?

Nous ne sommes qu’au début et nous devons discuter et élargir. Cela ne fait que commencer. Je vous ai dit que la gauche a besoin d’un projet pour les travailleurs dans leur diversité, et c’est aussi quelque chose que nous avons en commun dans la nouvelle alliance. Parce que nous reconnaissons que la lutte anticapitaliste et antinéolibérale est en même temps féministe et antiraciste aussi. Alors que nous n’avons pas non plus de double standard concernant l’état de droit international et les droits humains.

Tout cela est très important dans le cas des questions environnementales et climatiques. L’un des énormes problèmes pour la sécurité des populations à travers le monde est que les gens continuent à ne rien faire concernant le climat. Et actuellement au Portugal — mais aussi en Espagne — tant de gens sont morts à cause du climat.

Le processus de formation de la nouvelle union de gauche n’a pas commencé non plus à cause de l’Ukraine ou de la Palestine. Nous travaillions ensemble sur toutes ces questions avant. Mais sans doute les nouvelles escalades sont l’une des questions importantes. Pas de double standard ! Je crois que nous pouvons avoir la gauche partageant des projets communs, parce qu’aujourd’hui, chaque gouvernement et chaque pays doit faire mieux.

Notre lutte est à la fois internationale et européenne. Ainsi, nous devons articuler nos luttes et nos forces pour avoir des projets mobilisateurs qui peuvent vaincre l’extrême droite et apporter l’espoir. Parce que la démocratie est une question d’espoir, c’est l’idée que vous pouvez construire quelque chose ensemble. L’extrême droite et les néolibéraux vivent de la peur : soit vous acceptez tout, soit ça deviendra pire. Donc, nous avons besoin d’un espace pour la gauche active dans la société, ayant des projets et des campagnes communes qui apporteraient l’espoir. C’est exactement ce que nous voulons faire.

Nous avons sept membres de parti pour l’instant, et donc nous commençons avec ça. Je pense que nous devrions avoir des membres observateurs qui pourraient être extérieurs à l’Union européenne. Par observateurs, je veux dire qu’ils n’ont pas à être des partis mais peuvent être aussi des mouvements. Je crois qu’un dialogue avec la gauche en Ukraine, qui est très important, est également nécessaire. Je pense que peut-être nous pouvons commencer à travailler avec le Mouvement Social en Ukraine. Voyons comment cela se passe. Cela vient juste de commencer mais je pense que ce serait très important.

Merci beaucoup. Peut-être avez-vous quelques remarques de conclusion. Souhaitez-vous adresser quelque chose aux Ukrainiens ?

Nous n’avons pas parlé des armes. Pour moi, c’est normal de savoir que la gauche a différentes positions sur les armes. Mais je crois que tout le monde reconnaît que l’Ukraine a le droit de résister à l’agression et de se défendre.

Et c’est important. On ne peut pas résister sans armes. Je pense qu’une autre discussion est de savoir si nous nous concentrons uniquement sur les armes ou si nous utilisons aussi les moyens financiers et diplomatiques pour arrêter la guerre. Prenez par exemple le problème de la flotte fantôme qui exporte toujours du carburant. Le manque de pression financière et d’efforts diplomatiques est problématique car au final il y a des généraux qui ne parlent que d’armes pour l’Ukraine et ne parlent de rien d’autre. Pourtant ce ne sont pas eux qui meurent.

Je crois qu’il est important de soutenir l’Ukraine, mais aussi de s’opposer à l’idée qu’on ne devrait avoir aucun projet contribuant à la fin de la guerre excepté concernant les armes. Parce qu’au final l’Ukraine sera totalement détruite, et quelqu’un aura gagné beaucoup d’argent en vendant des armes. Je suis sûre qu’il est vraiment important d’arrêter la guerre et cela présuppose également des sanctions et d’autres politiques. Cela doit être.

Et finalement, c’est aussi une question de donner du pouvoir à l’Ukraine en interne. Rendre l’économie ukrainienne équitable.

Oui, bien sûr. Les Ukrainiens prennent les décisions de ce qu’ils veulent faire de leurs vies. Les Ukrainiens doivent décider ce qu’ils veulent faire. Et je crois que les Ukrainiens devraient avoir leur mot à dire sur ce qu’ils veulent pour leur avenir.

Interview par Denys Pilash, traduction Adam Novak pour ESSF.

5 mars 2025  Catarina Martins

https://inprecor.fr

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05 mars 2025 ~ 0 Commentaire

Basta

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Le plan des États-Unis pour l’Ukraine, « fruit de 40 ans d’histoire entre Trump et la Russie »

Comment comprendre le rapprochement entre Trump et Poutine au sujet de l’Ukraine ? Quelles conséquences pour l’Europe ? Réponses avec Régis Genté, journaliste basé en Géorgie, auteur d’une enquête sur les relations de Trump avec le pouvoir russe.

Basta! : Comment analysez-vous l’incroyable altercation entre Trump et Zelensky lors de leur rencontre à la Maison blanche, le 28 février ?

Cette séquence dans le bureau ovale est probablement du jamais-vu dans l’histoire diplomatique. Pour autant, elle s’inscrit dans la droite ligne des déclarations outrancières de Trump au sujet de l’Ukraine depuis qu’il est revenu au pouvoir, quand il dit que « Zelensky est un dictateur sans élection », que c’est lui qui a commencé la guerre, etc.

Ce qui est faux, bien entendu. Ce qui est intéressant avec Trump, ce ne sont pas ses mots, mais les intentions qu’il y a derrière. Il apparaît assez clair que cette scène a été pensée à l’avance, tout cela n’est pas arrivé par accident.

Vu les conditions posées préalablement à l’accord de paix, sans la moindre contrainte pour Poutine, Trump se doutait que Zelensky ne signerait pas. La manipulation consiste à lui rendre les choses impossibles pour lui faire porter ensuite la responsabilité de l’échec des négociations, et avoir ainsi une pseudo-justification morale pour ne plus armer l’Ukraine – et peut-être même ne plus lui fournir de renseignements, si Musk décide également de ne plus utiliser ses satellites Starlink. Ce qui laisse les mains libres à Trump pour négocier directement avec Poutine et signer une paix favorable à la Russie, puisqu’il semble bien que ce soit son projet depuis le départ.

Ce rapprochement spectaculaire entre Trump et Poutine, qui s’est matérialisé ces derniers jours sur le dossier du cessez-le-feu en Ukraine, ne vous a pas surpris, il était même « prévisible », dites-vous. Pourquoi ?

Parce que c’est le fruit de plus de 40 ans d’histoire entre Trump et la Russie. Trump est dans le radar du KGB dès la fin des années 1970, lorsqu’il se marie avec Ivana, sa première épouse, qui est alors citoyenne tchécoslovaque, un pays satellite de l’URSS. La sécurité d’État tchécoslovaque, la STB, une sorte de filiale du KGB, avait identifié cet homme alors encore méconnu, mais déjà assez riche et remuant.

C’est le moment où le KGB va redéfinir et intensifier ses efforts de recrutement, principalement aux États-Unis, son principal ennemi. Les documents internes de l’époque sont très clairs, sur le sujet : Vladimir Krioutchkov, le patron de la première direction générale du KGB, la plus prestigieuse, en charge de l’espionnage politique extérieur, cible tout particulièrement les scientifiques et les personnalités du monde politique et des affaires comme de potentiels relais intéressants au service de l’URSS. Trump entre parfaitement dans ce spectre-là.

Ce travail d’approche se concrétise en juillet 1987, lors du tout premier voyage de Trump à Moscou, dans l’idée d’y vendre une Trump tower. Tous les éléments laissent à penser que l’opération est directement organisée par le KGB. D’ailleurs, à peine deux mois après son retour, Trump s’offre une campagne de communication, pour près de 100 000 dollars, dans les plus grands journaux américains [le New York Times, le Washington Post et le Boston Globe, ndlr] pour publier une lettre ouverte appelant à ce que les États-Unis « cessent de payer pour défendre des pays qui ont les moyens de se défendre eux-mêmes », en référence directe à l’Otan.

Vous voyez qu’il y a une certaine constance, chez Donald Trump, puisqu’il utilise encore quasiment les mêmes termes aujourd’hui. C’est simple, j’ai cherché, et on ne trouve guère de déclaration sérieuse de sa part où il se serait montré critique à l’égard de la Russie ou de Poutine. Au contraire, il est en permanence très élogieux.

Il y a également le précédent des suspicions de tentatives d’ingérence russe dans la présidentielle états-unienne de 2016, exposée par plusieurs enquêtes (ingérence qui visait notamment à discréditer l’opposante de Trump, Hillary Clinton)…

Le titre de mon livre, Notre homme à Washington, est directement tiré d’un e-mail découvert par le procureur spécial Robert Mueller, lors de son enquête sur ces soupçons de collusion. L’auteur de cette formule, Felix Sater, connaît bien Trump et est directement issu de la « mafia rouge », ces familles de mafieux qui ont émigré d’Union soviétique aux États-Unis dans les années 1970. En Russie, ces gens-là ne sont jamais bien loin de l’appareil d’État. Felix Sater est particulièrement bien connecté aux hautes sphères des services de sécurité russe.

La preuve quand il écrit en 2015 qu’il va tenter de convaincre Poutine qu’on pourrait « installer notre homme à la Maison blanche », en parlant de Trump. La formule est très révélatrice : on voit bien que ce n’est pas l’initiative de Vladimir Poutine. Il n’y a pas eu de grand plan décidé par le Kremlin à Moscou pour placer Trump à la tête des États-Unis. C’est arrivé de façon plus fortuite, grâce à tous ces gens en lien avec le pouvoir russe et qui cultivent des relations avec Trump – et qui agissent au moins autant dans leur propre intérêt que dans celui de l’État russe.

Le rapport Mueller, demandé par le département de justice américain, apporte des preuves très fortes sur cette influence, et sur la complaisance – pour ne pas dire plus – de Trump et de ses équipes à l’égard de tous ces gens parfaitement intégrés au système politique russe.

Vous parliez d’une campagne de « recrutement » du KGB : quelle est la nature exacte des relations que Trump entretient avec la Russie ? En est-il un « agent » comme on le laisse parfois entendre ?

Non, ce n’est pas un agent, au sens où ce n’est pas quelqu’un qui est rémunéré pour rendre des services et qui se sait missionné pour ça. C’est plus subtil. Il faut plutôt le voir comme une sorte de compagnonnage, quelqu’un qu’on va accompagner dans sa carrière parce qu’on a repéré qu’il pouvait être sur la même longueur d’ondes, partager une même vision du monde, et surtout qu’il pouvait être utile pour du renseignement ou de l’influence.

Dans le jargon soviétique, on appelle ça un « contact confidentiel », une notion qui apparaît dans les mêmes documents stratégiques du KGB, au moment d’établir les campagnes de recrutement dans les années 1980. Le contact confidentiel y est défini comme une personne « susceptible de fournir de l’information de valeur, mais aussi d’influencer activement la politique intérieure et extérieure ».

À ce moment-là, les velléités politiques de Donald Trump sont déjà claires. Il ne va pas devenir pour autant une marionnette, mais plutôt une sorte de relation intéressante qu’on entretient, qu’on flatte, qu’on aide. Trump a ainsi été « cultivé » par différents réseaux, pendant près de 40 ans, avec plus ou moins d’intensité. La banque d’État russe, la VTB, est parfois venue au soutien de la Trump Organization [le conglomérat de la famille Trump, ndlr], via la Deutsche Bank.

À chaque fois qu’il approchait de la faillite, on a vu des oligarques et des mafieux injecter de l’argent dans ses projets immobiliers ou blanchir de l’argent dans ses casinos. En Russie, ce genre de personnes agit toujours en symbiose avec l’État, il y a une connexion intrinsèque entre le monde du crime, la pègre, et le monde des services de sécurité. Trump est lié à cet « État profond » russe, cet État dans l’État : un mélange de pouvoir politique, de pouvoir financier, de pouvoir mafieux et de pouvoir sécuritaire.

Et quel était son intérêt à lui, Donald Trump ?

Cela a été une façon de se donner une surface internationale et de nourrir ainsi ses ambitions, aussi bien dans le business qu’en politique. Se retrouver à Moscou en 1987, c’est une manière de montrer qu’il ne se contente pas de développer de l’immobilier à New York, mais qu’il peut aller partout. Ce qui attire Trump à l’époque, c’est l’ascension, il veut être reconnu dans le grand monde de la jet-set politico-médiatique.

À l’époque, l’un des conseillers, le fameux avocat Roy Cohn, lui souffle l’idée de se proposer comme négociateur en chef auprès de Reagan sur le désarmement nucléaire entre la Russie et les États-Unis – une autre façon de jouer dans la cour des grands à Washington. Tout en reprenant les éléments de langage de Moscou sur le sujet…

« Trump dans la main des Russes », écrivez-vous en sous-titre de votre livre. Mais la relation est-elle à ce point aussi asymétrique, aujourd’hui ?

Force est de constater que, jusqu’à présent, les prises de position de Trump sont généralement favorables au Kremlin. Il faut se souvenir de l’épisode de leur rencontre à Helsinki en 2018 : interrogé sur les soupçons d’ingérence russe pendant la campagne de 2016, Trump répond qu’il fait plus confiance à Poutine qu’à la CIA ! Et on découvre un Trump, à l’attitude d’ordinaire si tonitruante et volontariste, qui ressemble d’un coup à un petit garçon à côté de Poutine.

En fait, Trump admire profondément Poutine, comme le décrit bien son ancienne conseillère sur la Russie, Fiona Hill, dans un livre (There is nothing for you here, 2021, non-traduit). Elle raconte comment elle a observé le président américain se mettre à, selon ses termes, « suivre le ‘‘mode d’emploi’’ autoritaire de Poutine ». C’est une image, mais ça en dit long sur l’influence qui s’exerce.

Trump est fasciné par la façon dont Poutine dirige son pays et par la mise en scène de son pouvoir. Il est un modèle, qui coche toutes les cases dont Trump rêve – puissance, richesse, célébrité – et avec qui il partage un même ADN sociopolitique : le culte de la puissance, des hommes forts, de la grandeur de l’État, une vraie aversion pour la démocratie libérale et le mépris des peuples qui va avec, la dénonciation des élites et la soumission de la vérité à la politique.

Comment interprétez-vous le choix de Donald Trump d’accélérer sur le dossier ukrainien ces tout derniers jours ?

Plusieurs hypothèses circulent à ce sujet. Certains lui prêtent une grande ambition géopolitique qui consisterait à casser l’alliance entre la Russie et la Chine pour mieux isoler cette dernière – qui serait sa véritable obsession sur le plan international. Quand on connaît un peu son fonctionnement et sa façon de prendre des décisions, tels qu’ils sont très bien décrits dans la biographie que lui a consacrée la journaliste Maggie Haberman par exemple, on peut douter qu’il soit animé d’une telle vision stratégique. Trump, c’est quelqu’un qui donne parfois raison au dernier qui a parlé, tout simplement…

Difficile aussi, à mon sens, de le justifier par un choix purement économique : les échanges entre la Russie et les États-Unis, pour l’heure, restent dérisoires au regard du commerce international, sans compter que ces deux pays sont en concurrence sur leurs exportations de gaz et de pétrole.

Un autre argument consiste à y voir un coup médiatique, avec l’envie d’apparaître pour un héros ou un faiseur de paix – quitte peut-être même à revendiquer le prix Nobel ensuite, qui sait. Pourquoi pas, c’est sûr que Trump est très attaché à montrer qu’il est efficace dans son action politique – c’était la même idée lorsqu’il disait qu’il allait régler le conflit à Gaza en 24 heures.

Je pense qu’il y a surtout un enjeu plus politique : en remettant en cause la démocratie américaine comme il le fait depuis son retour à la Maison blanche, et en s’attaquant directement à l’article 2 de la Constitution [qui définit les pouvoirs de l’exécutif, dont le président, ndlr] pour tenter de concentrer tous les pouvoirs, Trump sait bien qu’il va être attaqué. Chez lui par le camp démocrate et par l’establishment qui reste puissant, mais plus largement aussi par le camp des démocraties libérales.

Il a donc besoin de trouver de nouveaux alliés, à même de le légitimer dans son mouvement politique. Proposer un deal favorable à la Russie sur la question ukrainienne, c’est évidemment une bonne manière de plaire à Poutine et d’entretenir un lien fort avec lui.

Du côté de Poutine, est-ce une aubaine pour poursuivre sa stratégie d’expansion à l’égard de l’Europe ?

De la même façon, je crois que pour comprendre la politique étrangère de Poutine, il faut comprendre sa situation sur le plan intérieur. Poutine a besoin de légitimer son pouvoir et de justifier son autoritarisme absolu – le truquage des élections, l’emprisonnement des opposants, etc.

Dans les dictatures, on est toujours très attentif à l’opinion, et Poutine fait énormément de sondages pour prendre le pouls de la population. Il doit constamment s’assurer qu’il reste légitime, par-delà la peur, la violation des droits de l’Homme, l’État policier, etc.

De ce point de vue, l’Europe reste une voisine gênante, elle exhibe son modèle de liberté juste sous le nez des Russes et fait fantasmer les élites intellectuelles qui rêvent de démocratie – en témoignent toutes les révolutions colorées dans les anciens pays soviétiques. De ce fait, l’Europe menace directement les fondements de son régime, c’est pour ça que Moscou veille autant à préserver sa sphère d’influence sur l’ancien espace soviétique.

C’est par exemple tout l’enjeu de l’instrumentalisation des questions LGBT en Russie, mais également en Hongrie, en Géorgie et ailleurs : c’est devenu un outil géopolitique qui sert d’abord à diaboliser l’Occident.

Et Poutine connaît bien Trump. À travers ses récentes velléités expansionnistes sur le Canada ou le Groenland, Poutine l’observe réhabiliter à sa façon la vieille doctrine Monroe. Il lui propose un partage : tu as ton aire d’hégémonie sur le territoire américain, moi je veux la mienne sur l’Europe de l’Est !

Croyez-vous à l’hypothèse de l’extension de la guerre à l’intérieur même des frontières de l’Union européenne ou de l’Otan ?

Difficile à dire. Pour l’heure, je n’en suis pas convaincu, mais on ne peut pas tout à fait exclure l’hypothèse, concernant la Pologne notamment. Il y a une sorte de pensée profonde en Russie qui considère que la Pologne n’est pas légitime, qu’elle fait fondamentalement partie de la Russie, un peu comme la Crimée.

Le moteur, ce n’est pas tant de contrôler l’Europe que de l’affaiblir. C’est ce qu’a théorisé la doctrine Karaganov, qui fixe la ligne de la politique étrangère russe. L’enjeu pour Poutine, c’est tout ce qui pourrait alimenter la crise larvée du multilatéralisme, en obligeant l’Otan et les États-Unis à réagir – ou mieux, justement, à ne pas réagir. Ce qui tuerait de facto le fameux article 5 de l’Alliance [qui oblige chacun des membres à intervenir en cas d’agression contre un autre État membre, ndlr].

Qu’en est-il de la Géorgie, où vous habitez depuis plus de vingt ans ? L’année 2024 y a été émaillée d’importantes mobilisations contre l’ingérence russe.

Il ne faut jamais oublier que la guerre en Ukraine a commencé ici, en Géorgie, en 2008, avec le conflit autour de l’Ossétie du Sud. C’est le même mouvement et les mêmes motivations, la même guerre pour sécuriser un espace face à des territoires qui affirment de plus en plus leur désir d’Europe et d’Occident. On pourrait presque parler de guerre géorgo-ukrainienne, tant ce qui se passe actuellement en Ukraine en est le prolongement direct.

En Géorgie, l’homme qui règne aujourd’hui sur le pouvoir depuis plus de dix ans, Bidzina Ivanichvili, est un oligarque qui a construit toute sa fortune en Russie. C’est plus qu’un « contact confidentiel » en l’occurrence, car il émane du cœur du pouvoir à Moscou. De par son histoire, il ne peut pas échapper au contrôle du Kremlin.

C’est le principe même des élites et milliardaires russes, qui rêvent souvent de s’émanciper en rachetant des clubs de football, par exemple, mais qui ne peuvent le faire qu’à la condition de rester sous le contrôle de Moscou, au risque sinon d’avoir de gros problèmes.

Ce sont des fortunes qui sont là pour servir le régime, et c’est exactement ce que fait Ivanichvili en Géorgie, en instaurant progressivement les bases d’un régime autoritaire à la russe pour sortir le pays de l’orbite pro-européenne, contre la volonté de la population.

C’était tout l’enjeu de la loi sur les « agents étrangers », directement inspirée d’une loi russe, qui a été adoptée l’an dernier. C’est une façon d’installer un modèle dictatorial tout en éradiquant l’influence occidentale – car les ONG ou les médias indépendants ne peuvent pas vivre sans l’argent étranger. Et ainsi de faire avorter habilement le processus d’adhésion à l’Union européenne, qui ne peut que dire « non », dans ces conditions-là.

En octobre, les élections législatives géorgiennes ont été vivement contestées, après des soupçons de truquage, ce qui a engendré un long mouvement de protestation, avec des manifestations quotidiennes, pendant plus de deux mois. Où en est-on ?

Le mouvement s’est un peu essoufflé, même s’il reste vif. Il y a de la fatigue, d’autant que la répression ne faiblit pas, elle. Aujourd’hui, on risque des amendes de 1700 euros en tant que manifestant. Il y a eu beaucoup de passages à tabac, d’arrestations arbitraires, parfois même des enlèvements en pleine rue. À certains égards, cela rappelle ce qui s’est passé en Biélorussie, même si le degré de violence reste moindre.

On voit s’installer un régime de la peur, qui consiste à tuer ce mouvement de protestation. Lequel est par ailleurs très horizontal, sans leader, un peu comme le mouvement de la place Tahrir, en Égypte, en 2011. C’est probablement ce qui a contribué à mettre des dizaines de milliers de gens dans la rue chaque soir – ce qui est considérable dans un pays de trois millions d’habitants.

Face à l’usure du temps, cette horizontalité n’aide pas à engager de nouvelles stratégies dans le bras de fer avec le pouvoir. Ce qui s’y joue est pourtant fondamental : la Géorgie illustre non seulement le sort de l’Europe, mais plus encore, du modèle occidental, avec ses valeurs libérales et démocratiques, qui est aujourd’hui directement menacé par ces régimes populistes et dictatoriaux.

3 mars 2025 Barnabé Binctin

Journaliste indépendant basé à Tbilissi, en Géorgie, et spécialiste de l’ancien espace soviétique. Il est correspondant pour RFI, France 24 et Le Figaro. Il a publié une biographie de Volodymyr Zelensky, Poutine et le Caucase, et l’an dernier une enquête minutieuse sur les relations que Trump entretient historiquement avec le pouvoir russe : Notre homme à Washington. Trump dans la main des Russes.
©DR

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04 mars 2025 ~ 0 Commentaire

Ukraine (NPA)

 

Crédit Photo  DR Gin et Elias Vola

Pour la liberté de l’Ukraine, pour une internationale antifasciste !

Le 24 février 2025, l’Ukraine est entrée dans sa quatrième année de résistance face à l’agression à grande échelle de la Russie.

 Au cours des trois années écoulées, l’aide provenant des États-Unis et de l’UE a permis de bloquer l’offensive du Kremlin, mais a été insuffisante pour faire reculer l’armée russe.

On dénombre plus d’un million de victimes militaires (pour les forces russes, il s’agit principalement des populations racisées des régions périphériques) et civiles (ces dernières presque exclusivement du côté ukrainien). Auxquelles s’ajoute le déplacement forcé d’un quart de la population ukrainienne.

Poutine a entièrement remodelé l’économie autour de son objectif expansionniste : le budget militaire russe augmente sans cesse (43 % des dépenses publiques en 2025) au détriment des services publics. Dans l’économie de guerre, le capital des oligarques s’est concentré dans l’industrie militaire et l’extraction fossile, qui sont au cœur de la croissance économique du pays. Dès lors, rien ne laisse envisager que les négociations « pour la paix » que veut imposer Washington entraînent la fin de l’expansionnisme militaire russe, car « la Russie est devenue dépendante de la dépense militaire » 1.

Trump allié de Poutine face à la Chine

L’action de Trump accélère la redéfinition des alliances inter-impérialistes au détriment du droit à l’autodétermination du peuple ukrainien. Car aux yeux de Trump, la Russie est un potentiel point d’appui dans sa guerre d’hégémonie avec la Chine.

Après avoir ouvert les négociations avec l’agresseur en excluant l’agressé, Trump a entièrement épousé la propagande poutinienne, en attribuant à l’Ukraine la responsabilité de la guerre et en déniant la volonté de la majorité de la population de préserver un pays indépendant et libre de l’impérialisme russe.

La violence du chantage de Trump est manifeste : il demande à l’Ukraine de rembourser 500 milliards de dollars pour l’aide étatsunienne et de céder aux États-Unis le droit d’exploitation des ressources minières et des terres rares, et menace de restreindre l’accès de l’armée ukrainienne au système de communication Starlink, nécessaire pour se défendre des drones et de l’artillerie russes.

Alors que le gouvernement ukrainien refuse de céder sans obtenir en contrepartie des garanties de sécurité, Poutine n’a pas tardé à proposer à Trump un accord pour l’exploitation des terres rares russes et des territoires ukrainiens occupés…

Les impérialismes russe, israélien et étatsunien s’unissent

N’en déplaise aux campistes qui ne voient dans l’agression de l’Ukraine qu’une guerre inter-impérialiste par procuration, l’alliance inter-impérialiste USA-Russie s’est renforcée lors du vote le 24 février 2025 d’une motion de l’ONU pour une paix juste et durable : les États-Unis s’y sont opposés aux côtés de la Russie, du Bélarus, de la Hongrie, du Nicaragua et d’Israël, en affichant explicitement une convergence d’intérêts. Les impérialismes russe, israélien et étatsunien ne se combattent pas : ils s’unissent contre le droit international et le droit d’autodétermination des peuples.

Réaffirmer le droit à l’auto­détermination des peuples

Tandis que les gouvernements européens — et le capital dopé aux matières premières russes —peinent à résoudre leurs intérêts contradictoires vis-à-vis de la Russie poutinienne, la solidarité populaire avec la résistance ukrainienne ne doit pas fléchir : le 24 février, les manifestations ont été nombreuses contre l’axe Trump-Poutine, pour le droit des peuples à choisir leur présent et leur avenir, et pour défendre les espaces d’action et de contestation contre les impérialismes néofascistes — en Ukraine et au-delà.

La lutte de résistance ukrainienne est une lutte pour le droit d’existence et d’autodétermination du peuple ukrainien et de tous les peuples attaqués par les impérialismes meurtriers : aux côtés des UkrainienNEs comme des PalestinienNEs, soutenons la résistance contre l’offensive néofasciste internationale. Vive la résistance ukrainienne, vive l’antifascisme !

Gin et Elias Vola

https://lanticapitaliste.org/

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02 mars 2025 ~ 0 Commentaire

Salah Hamouri (ESSF)

Salah Hamouri (ESSF) dans Anticolonialisme

Salah Hamouri. Crédit Photo. Photothèque Rouge/JMB

Palestine : une lettre de Salah Hamouri avant sa nouvelle incarcération

L’État d’Israël a une nouvelle fois incarcéré notre camarade Salah Hamouri. Arrêté le 7 mars à son domicile, il a été ensuite condamné à une peine de détention administrative de quatre mois – ramenée quelques jours plus tard à trois mois. Le NPA et son candidat Philippe Poutou exigent la libération de Salah, et s’associeront à toutes les initiatives allant en ce sens. Nous reprenons à cette occasion des extraits d’un texte qu’il a publié récemment sur jacobinmag.org.

Le fait de grandir à Jérusalem au milieu d’une extrême injustice m’a poussé à protester, à trouver un moyen de résister. Enfant, j’ai été témoin de démolitions de maisons et d’arrestations, et j’ai vu quotidiennement les familles harcelées par les soldats israéliens au checkpoint israélien voisin. Dès mon plus jeune âge, j’ai su que je ne pouvais pas rester sans rien faire, et je me suis lancé dans l’activisme politique. À seize ans, j’ai reçu une balle dans la jambe et j’ai été arrêté pendant cinq mois simplement pour avoir distribué des tracts et avoir été membre d’un syndicat étudiant. J’ai été à nouveau arrêté en 2004 et détenu pendant cinq mois en vertu de la « détention administrative », une vieille loi britannique qui permet l’arrestation prolongée sans procès.

 Ne pas se soumettre au nettoyage ethnique

J’ai été de nouveau arrêté en 2005, accusé d’avoir tenté d’assassiner un politicien israélien d’extrême droite, ce que la police israélienne n’a pas pu prouver ; aucune arme, aucun plan, aucune preuve matérielle n’ont jamais été présentés, seulement le témoignage d’autres personnes obtenu sous la torture de la police israélienne. Sachant que je serais probablement condamné quel que soit le bien-fondé de l’affaire, j’ai négocié un plaidoyer pour sept ans. À l’époque, on m’a proposé l’alternative d’un exil de quinze ans en France, mais connaissant les intentions d’Israël de m’expulser, j’ai refusé.

Tout ce que le régime d’apartheid israélien a fait vise à me faire taire et à m’encourager à abandonner et à quitter le pays, comme ils le font avec tout Palestinien qui refuse de baisser la tête et de se soumettre au nettoyage ethnique. Les autorités israéliennes élaborent un plan de harcèlement sur mesure pour chaque personne politiquement active, en l’arrêtant et en la harcelant, et lorsque cela ne fonctionne pas, en lui retirant sa carte d’identité ou son assurance maladie et en ciblant sa famille et ses entreprises. Ils ciblent ceux qui s’expriment afin d’affaiblir notre résistance collective et de nous expulser plus facilement.

 Ce n’est pas ce que je veux pour mes enfants

Ma propre histoire démontre que le régime israélien est absolument impitoyable, qu’il agit avec une cruauté calculée qui ne connaît aucune limite. La séparation forcée de notre famille est destinée à infliger des souffrances, à priver mes enfants d’un père et des expériences et joies de grandir dans leur patrie avec l’amour de ma famille élargie. Les interactions avec mes enfants se limitent à des moments volés par appel vidéo, à des tentatives de créer et de maintenir un lien malgré la distance.

Ce n’est pas ce que je veux pour mes enfants. Mais il vaut mieux qu’ils sachent que je me suis battu pour la justice plutôt que d’accepter passivement le nettoyage ethnique, il vaut mieux que je fasse tout ce que je peux pour rester fermement ancré sur notre terre plutôt que d’acquiescer au harcèlement d’Israël. Je poursuis mon combat parce que je veux que tous les Palestiniens vivent dans la liberté et la dignité, et je sais que cela ne se fera pas sans combat, sans sacrifice de la part de ceux qui sont prêts à prendre position.

L’année dernière, les Palestiniens se sont levés par milliers pour défendre Jérusalem, déclenchant un soulèvement qui s’est étendu à toutes les communautés palestiniennes pour rejeter la colonisation israélienne. Une nouvelle génération a réitéré son engagement à poursuivre la lutte pour la justice, pour la libération et pour les droits des réfugiés palestiniens vivant depuis des décennies en exil. Comme notre peuple n’a pas abandonné, je ne peux pas non plus, et les millions de personnes dans le monde qui soutiennent la Palestine, et dont l’engagement à notre cause est plus important maintenant que jamais, ne peuvent pas non plus abandonner.

jeudi 17 mars 2022 HAMOURI Salah

 


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01 mars 2025 ~ 0 Commentaire

Bible (The Conversation)

Pins-Palestine-Bretagne

Les inspirations bibliques du plan de Trump pour Gaza

Le plan de Trump reflète le soutien de longue date des sionistes chrétiens des États-Unis à l’État d’Israël – un soutien ancré dans une lecture spécifique de la Bible et non dénué d’ambiguïtés.

Le plan de Donald Trump pour l’avenir de Gaza a surpris de nombreux observateurs et semble incompréhensible sur le plan géopolitique et stratégique. Cependant, il prend sens si l’on considère l’influence du sionisme chrétien au sein de son administration et d’une grande partie du monde évangélique américain. L’idée de déplacer la population palestinienne vers les pays arabes voisins et de confier le contrôle d’une partie du territoire palestinien à une puissance comme les États-Unis fait partie du discours sioniste chrétien depuis ses origines au milieu du XIXe siècle. Cette idée n’est donc pas nouvelle ; mais c’est la première fois qu’elle est exprimée au plus haut niveau politique américain.


Le 25 janvier dernier, Donald Trump a déclaré vouloir « nettoyer » Gaza en organisant un plan de déplacement massif de ses deux millions d’habitants (estimation avant le début de la guerre, en octobre 2023) vers la Jordanie ou l’Égypte. Cette annonce a réjoui l’extrême droite israélienne et les sionistes religieux juifs, comme Bezalel Smotrich, ministre des finances, et Itamar Ben Gvir, ministre de la sécurité nationale (2022-janvier 2025), qui défendent une politique d’encouragement à l’« émigration volontaire » des Gazaouis. Ce discours, en rupture avec le déni de l’expulsion des Arabes palestiniens très présent dans l’histoire officielle du sionisme depuis la Nakba, marque un tournant politique en Israël.

Cependant, les desiderata de l’administration Trump ne peuvent pas être considérés uniquement comme un simple alignement sur l’extrême droite israélienne ou un gage donné au gouvernement actuel en échange de son accord pour un cessez-le-feu avec le Hamas (en vigueur depuis le 19 janvier 2025). Le plan de Trump reflète également ce que certains sionistes chrétiens défendent politiquement depuis des décennies, sur la base d’interprétations spécifiques de la Bible.

Déplacer la population arabe pour séparer Arabes et Juifs, seul horizon de paix en Israël ?

L’idée de séparer deux peuples irréconciliables est présente dans les discours des sionistes chrétiens. En 1988, en pleine Intifada, William Lovell Hull (1897-1992), un pasteur pentecôtiste canadien et fervent partisan d’Israël, a soumis un plan de paix à Yitzhak Shamir, premier ministre israélien et ardent défenseur du « Grand Israël », et à Joe Clark, secrétaire d’État aux affaires extérieures du Canada.

Pour Hull, la paix ne pouvait être acquise qu’en séparant physiquement les Juifs et les Arabes. Il tirait cette conclusion de son interprétation du récit biblique de Jacob et Ésaü, des frères jumeaux dont l’inimitié rendait leur coexistence sur la terre de Canaan quasiment impossible. Comme il est courant chez les chrétiens fondamentalistes, Hull établissait un parallèle entre les temps bibliques et l’actualité contemporaine, associant la terre de Canaan à l’Israël contemporain, Jacob aux Juifs et Ésaü aux Arabes.

Hull considérait la décision d’Ésaü de quitter Canaan et d’y laisser vivre son frère pour se rendre sur le mont Seïr, dans l’actuelle Jordanie, comme « le seul moyen de sortir d’une situation impossible ». C’est précisément sur cette séparation volontaire et consentie par Ésaü – associé aux Arabes – que le pasteur Hull faisait reposer tout son espoir pour parvenir à la paix en Israël.

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Lors de la première Intifada, l’État israélien faisait face, comme aujourd’hui, à un choix cornélien entre deux options. La première, intégrer Gaza et la Cisjordanie à Israël, aurait transformé, selon Hull, le pays en une nation majoritairement arabe, le taux de natalité étant plus élevé au sein des populations arabes. Une telle situation pourrait conduire à l’adoption d’une loi d’apartheid, solution qu’il jugeait moralement inacceptable tant pour les Arabes que pour les Juifs. La deuxième option, la création d’un État arabe en Cisjordanie, n’était pas non plus viable pour Hull, car elle permettrait aux Palestiniens, membres de l’OLP à son époque ou du Hamas aujourd’hui, de stocker des armes près des villes israéliennes, menaçant ainsi directement les Juifs israéliens.

Face à cette alternative, Hull proposait une troisième option : que les Arabes palestiniens se déplacent en Jordanie en échange de compensations afin de préserver l’État d’Israël.

« Le seul espoir de paix, écrivait-il, serait que tous ceux d’Ésaü (les Arabes) rejoignent leurs frères dans la partie de la Palestine qui s’appelle aujourd’hui la Jordanie. Tout autre choix pourrait éventuellement conduire au même résultat, mais au prix d’une guerre ouverte et de la perte de nombreuses vies humaines. »

Cette solution apporterait, outre la paix en Israël, espérait-il:

« une nette amélioration des conditions de vie des Arabes vivant actuellement en Israël, et favoriserait une relation amicale entre les Juifs et les Arabes ».

Le défi, d’après le révérend, était que peu de gens étaient conscients de cette solution, qu’il s’agisse des responsables politiques ou de l’opinion publique.

Le coût économique et politique du plan Trump

Ce pasteur se serait peut-être réjoui d’entendre Donald Trump vouloir déplacer les Gazaouis dans les pays arabes voisins et d’ajouter, depuis la Maison Blanche aux côtés du premier ministre israélien, vouloir acquérir le contrôle de la bande de Gaza sur le long terme, pour en assurer la démilitarisation et la reconstruction. Tout cela pour la transformer en « Riviera du Moyen-Orient ». Ce nouvel Eldorado serait offert à d’autres qu’aux Gazaouis. Ces derniers, durement frappés, se verraient promettre un avenir meilleur en Jordanie et en Égypte et ne pourraient, selon Trump, que s’en trouver satisfaits, au point de ne plus vouloir revenir chez eux.

Que ce plan soit contraire au droit international humanitaire et méprise le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est indiscutable. Mais une fois passé l’effet de surprise de cette annonce qui, il faut le souligner, a été lue et donc préparée par l’administration Trump, une autre question s’est rapidement imposée dans les débats : qui va en assumer le coût financier et politique ? Les États-Unis ? Il n’en semble pas question. Dans le plan du pasteur Hull, la responsabilité du coût financier d’un tel transfert de population devait revenir à quelques Juifs aisés, mais surtout à l’État israélien, qui aurait pu alors mettre à profit son expérience d’aide au développement dans les pays africains, basée sur sa propre expérience de désert devenu « pays où coulent le lait et le miel ». L’argent et le flux de population, pensait-il, enrichiraient la Jordanie qui « gagnerait ainsi en importance et en respect dans le concert des nations ». Est-ce également le plan de Trump ? La question reste ouverte.

Jusqu’à présent, les principales décisions de Donald Trump susceptibles de satisfaire un électorat évangélique conservateur et sioniste chrétien (bien plus que l’électorat juif américain), comme la reconnaissance de la souveraineté d’Israël sur le Golan occupé (2019) et le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem (effectif en 2020), n’ont quasiment rien coûté.

Cette fois-ci, le plan de Trump pour Gaza, s’il se concrétise, pèsera certainement plus lourd sur le plan politique que sur le portefeuille. L’Égypte et la Jordanie ont déjà exprimé leur opposition. Il est peu probable que l’Arabie saoudite – que Trump aimerait bien ajouter à la liste des signataires des accords d’Abraham (normalisation des relations, en 2020, entre, d’une part, Israël, et de l’autre, avec les Émirats arabes unis, avec Bahreïn, avec le Maroc, pus avec le Soudan) qui ont cristallisé l’invisibilisation de la question palestinienne – prenne le risque de se mettre à dos une opinion publique arabe qui reste attachée à la création d’un État palestinien.

Mais rien n’est sûr : à ce stade, les Émirats arabes unis semblent ne pas voir d’autres solutions que celle prônée par Washington, tout en restant ouverts à de nouvelles idées.

Israël et les États-Unis, une relation très spéciale et une foi transactionnelle

Avec ce plan, Trump renonce-t-il à sa stratégie transactionnelle ? Oui, en apparence, non si on prend en compte l’influence du sionisme chrétien sur les relations spéciales entre les États-Unis et Israël.

L’un des principaux mantras des évangéliques sionistes est éminemment transactionnel : « Je bénirai ceux qui te béniront, et je maudirai ceux qui te maudiront. » (Genèse 12 : 3) Dans cette logique, le soutien à la politique du gouvernement israélien (de préférence d’extrême droite), considéré comme le représentant de tous les Juifs, est non seulement un devoir sacré pour son propre salut, mais aussi un devoir patriotique pour le bien de la nation.

Pour certains chrétiens sionistes américains, la puissance économique et militaire du pays est le signe de cette bénédiction divine liée à la relation spéciale avec Israël. En outre, à leurs yeux, l’histoire témoigne du sort réservé à ceux qui, comme le IIIe Reich allemand ou l’Union soviétique, ont persécuté leurs populations juives. Ceux qui osent critiquer Israël apparaissent alors comme autant de menaces pour les États-Unis ; cela vaut tout spécialement pour les Juifs américains hostiles à l’extrême droite israélienne, que Trump n’a pas hésité à qualifier de « mauvais Juifs », jugeant pendant la campagne électorale de 2024 que les Juifs se disant prêts à voter pour Joe Biden, puis pour Kamala Harris, étaient ingrats et déloyaux envers les États-Unis, car ils entendaient voter « pour l’ennemi » d’Israël et que, s’il venait à perdre l’élection présidentielle, ils en seraient les responsables directs. D’après Trump, sa victoire était la bonne solution pour les États-Unis, et donc pour Israël… et inversement.

Ce comportement antisémite décomplexé reflète l’ambiguïté permanente qui se cache derrière l’alliance indéfectible entre Israël et les États-Unis. D’un côté, les chrétiens sionistes ont besoin des Juifs, qu’ils considèrent à la fois comme les témoins vivants d’une alliance historique et unique entre Dieu et les êtres humains, mais aussi comme un moyen d’accomplir les prophéties et le retour de Jésus ainsi que son règne de paix : le millénium. Un accomplissement qui, selon leur interprétation, réserve un sort funeste aux Juifs qui ne reconnaîtraient pas Jésus comme leur sauveur.

D’un autre côté, l’État d’Israël, qui se considère officiellement comme l’État-nation des Juifs (loi de 2018) – une finalité en soi pour les sionistes d’extrême droite et sionistes religieux juifs – ne peut perdurer dans ce statut sans le soutien américain, et a fortiori des chrétiens évangéliques sionistes. En définitive, même si les intérêts des uns et des autres convergent, les objectifs finaux divergent sensiblement.

Le rêve américain de Gaza ou l’impérialisme biblique des États-Unis

En se présentant comme celui qui fera de Gaza un lieu idyllique, Trump s’inscrit dans une perspective politique semblable à celle du sionisme chrétien depuis le milieu du XIXe siècle : faire refleurir le désert, en permettant au peuple d’Israël de fouler de nouveau la terre qui lui a été promise.

En attendant, il a déjà publié sur Instagram une vidéo générée par IA qui a surpris même les observateurs les plus blasés de ses communiqués.

Mais plus encore, en exprimant sa volonté de prendre le « contrôle à long terme » de Gaza, Trump ne peut que satisfaire les espérances à tendance impérialiste des sionistes chrétiens.

De fait, un siècle après le début du mandat britannique, une partie de la Palestine se retrouverait de nouveau entre les mains d’une nation chrétienne (ou présentée comme telle) qui s’est fait un devoir d’aider le peuple juif à restaurer sa souveraineté sur la terre que Dieu lui a promise.

Faire respecter cette promesse divine, c’est justement ce à quoi se sont engagés des chrétiens sionistes au plus haut niveau politique depuis le milieu du XIXe siècle, sans discontinuer.

Aujourd’hui comme lors de son premier mandat, le soutien de Donald Trump et des États-Unis à l’État d’Israël ne peut être compris sans être resitué dans cette longue histoire. Benyamin Nétanyahou, peut-être plus que tout autre premier ministre israélien, et l’extrême droite religieuse l’ont bien compris, davantage pour leur profit que pour celui d’Israël, et encore moins pour celui des Palestiniens.

 27 février 2025, Laurent Tessier

Docteur en histoire, spécialiste du sionisme chrétien, École pratique des hautes études (EPHE)

https://theconversation.com/

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25 février 2025 ~ 0 Commentaire

Trump-Poutine (SOAS)

 

Trump-Poutine (SOAS) dans Altermondialisme

Paix entre néofascistes et guerre contre les peuples opprimés

Que Washington et Moscou aient choisi le royaume saoudien comme lieu de réunion entre leurs délégations pour discuter des perspectives de la guerre qui se déroule en Ukraine depuis que les forces russes ont envahi ce pays il y a trois ans, est une illustration claire des profonds changements qui se produisent sous nos yeux dans les affaires internationales.

La manière même dont la réunion a été organisée est tout à fait cohérente avec le lieu : l’administration néofasciste de Donald Trump n’a pas cherché à promouvoir la paix entre les parties belligérantes dans le cadre du droit international et des Nations unies, comme la Chine n’a cessé d’y appeler depuis le début du conflit, mais cherche plutôt à conclure un accord direct avec le régime également néofasciste de Vladimir Poutine aux dépens du peuple ukrainien.

Il est donc tout à fait naturel que les deux parties n’aient pas choisi une arène neutre et conforme au droit international, comme les Nations Unies, mais une arène conforme à leur nature, même si son régime despotique est de type traditionnel.

Ce qui rend la scène encore plus hideuse, c’est que les États-Unis sont un partenaire à part entière dans la guerre génocidaire menée contre le peuple palestinien à Gaza, qui se déplace actuellement en partie vers la Cisjordanie.

L’administration Trump s’est même empressée d’annuler les mesures limitées que l’administration précédente avait prises pour parer au blâme, en particulier le gel de l’exportation de bombes d’une tonne qui ont grandement contribué à la destruction de la bande de Gaza et à l’extermination de sa population, ainsi qu’à la guerre d’élimination qu’Israël a menée contre le Hezbollah au Liban.

Au contraire, comme prévu, excepté par ceux qui ont tenté d’échapper à l’amère réalité en projetant leurs désirs sur elle (voir « Deux mythes sur le cessez-le-feu à Gaza », 22 janvier 2025), la nouvelle administration a surpassé la précédente dans la surenchère sioniste avec l’appel de Trump à déporter sans retour les résidents de la bande de Gaza, c’est-à-dire à mettre en œuvre ce que le droit international appelle « nettoyage ethnique » – un crime contre l’humanité.

L’axe néofasciste sioniste-américain converge avec la Russie de Poutine dans la haine raciale des peuples opprimés. Moscou a excellé dans ce domaine, non seulement par son agression coloniale contre l’Ukraine, répudiant sa souveraineté nationale, mais aussi dans la région arabe, où elle a joué un rôle clé dans la destruction de la Syrie et l’extermination d’un grand nombre de ses habitants, tout en étant ouvertement complice de l’État sioniste en lui permettant de bombarder à volonté les sites iraniens en Syrie (dans le cadre de la rivalité entre les influences russes et iraniennes dans ce pays).

Le ministre russe des affaires étrangères a même comparé la guerre de Moscou contre l’Ukraine à la guerre d’Israël contre Gaza, assimilant la description poutiniste des dirigeants ukrainiens comme nazis à la description sioniste du Hamas comme nazis. Notons également que la réaction de Moscou au projet criminel d’expulsion énoncé par Trump a été modérée, même par rapport à la condamnation explicite émise par certains des alliés traditionnels de Washington, comme la France.

Voici maintenant les Américains impliqués dans le meurtre de centaines de milliers de Gazaouis qui rencontrent les Russes impliqués dans le meurtre de centaines de milliers de Syriens, les deux parties partageant avec l’État sioniste un mépris commun pour les droits territoriaux des peuples. Ils se rencontrent sur le territoire d’un État arabe qui, s’il se préoccupait vraiment du sort des peuples syrien et palestinien, aurait dû être si hostile aux deux parties qu’il ne leur serait même pas venu à l’idée de lui demander d’accueillir leur réunion.

Ce à quoi nous assistons en réalité n’est rien de moins qu’une refonte de la carte politique du monde, passant de la confrontation de la Guerre froide entre un bloc occidental qui prétendait défendre les valeurs de la démocratie libérale (et les a constamment trahies) et un bloc de l’Est dans lequel prévalaient des régimes dictatoriaux – de cette confrontation à la dissolution du système occidental, après le système oriental, par suite de la crise mortelle qui a frappé la démocratie libérale et de la montée mondiale du néofascisme (voir « L’ère du néofascisme et ses particularités », 5 février 2025).

L’ère de la Nouvelle Guerre froide, qui a suivi l’effondrement de l’Union soviétique et la dissolution de son bloc, a constitué la transition en combinant loi de la jungle et néolibéralisme effréné. Washington a joué le rôle principal dans la prédominance de ces deux caractéristiques sur le droit international et le développement fondé sur l’État social et la protection de l’environnement.

Nous assistons aujourd’hui à une convergence entre néofascistes aux dépens des peuples opprimés, car le nouveau fascisme, comme l’ancien, nie ouvertement le droit des peuples à l’autodétermination. Les gouvernements libéraux restants en Europe sont stupéfaits, après avoir compté pendant huit décennies sur la protection américaine du système occidental sans oser former un pôle mondial indépendant de Washington, non seulement militairement, mais principalement dans le domaine de la politique étrangère.

Le résultat est que les peuples opprimés du monde ne sont plus en mesure de profiter de la divergence entre grandes puissances qui existait dans le passé, mais doivent maintenant mener leurs luttes de résistance et de libération dans des conditions plus difficiles que jamais. Le cas de la Palestine en est la preuve la plus évidente.

Traduit de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d’abord paru en ligne le 18 février. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

Gilbert Achcar Professeur, SOAS, Université de Londres

Médiapart
https://blogs.mediapart.fr/

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24 février 2025 ~ 0 Commentaire

Elections allemandes (APLUTSOC)

 

Elections allemandes (APLUTSOC) dans A gauche du PS

Elections allemandes : entre deux eaux.

Ce matin les résultats, non totalement complets, annoncés des élections au Bundestag allemand sont : CDU-CSU 28,52%, 208 sièges, AfD 20,8 %, 152 sièges, SPD 16,41%, 120 sièges, Grünen 11,61%, 85 sièges, Die Linke 8,77%, 64 sièges, BSW 4,97%, pas de sièges, FDP 4,33% pas de sièges. Le taux de participation, de 83% est historiquement haut.

Les commentaires médiatiques sont axés sur la vague d’extrême droite. Elle est bien entendu réelle, mais la poussée de l’AfD correspond à ce qui était attendu : c’est évidemment une progression (11% aux Européennes, première percée), mais ce n’est plus une surprise, et le score n’a pas été dopé par Musk et J.D. Vance, qui l’ont peut-être même fait se tasser : les sondages donnaient ce score ou même un score légèrement supérieur depuis des semaines.

Alors que l’affaiblissement historique du SPD s’approfondit, le fait nouveau est la Remontada de Die Linke (5,5% aux Européennes), apparu, à son corps défendant (et c’est un enjeu qu’il soit ou non à la hauteur de cela), comme un vote de résistance aux forces anti-migrants et anti-ukrainiennes une fois la rupture faite avec le BSW, lequel, de très peu, ne franchit pas la barre des 5%.

Si le vote allemand ne constitue pas le basculement que voulaient Trump, Musk et Poutine, la carte du vote reconstitue de manière frappante la division de l’Allemagne d’avant 1989. Signalons qu’au forum du CPAC, aux Etats-Unis, auquel Bardella participait jusqu’au salut nazi de Steve Bannon, le vice-président J.D. Vance a déclaré que si l’Allemagne persistait dans la « censure » (?), les Etats-Unis retireraient leurs troupes : voila donc là une position impérialiste US suggérant le repartage de l’Allemagne en zones d’influences à Moscou, les même qu’avant 1989 !

Le probable chancelier CDU Friedrich Merz va dans l’immédiat tenter une coalition menant une politique capitaliste ne s’inscrivant pas dans les pressions de l’Axe Trump/Musk/Poutine, mais rappelons que c’est le même qui a opéré la première alliance parlementaire avec l’AfD, le 29 janvier, contre les migrants, alors que 28% des Allemands sont d’origine étrangère postérieure à 1945 (recensement de 2023).

Rien n’est donc joué et au final, ce ne sont ni un Merz ni un Macron qui résisteront à l’Axe Trump/Musk/Poutine, mais les peuples européens dont l’avant-garde est en Ukraine !

https://aplutsoc.org/

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23 février 2025 ~ 0 Commentaire

Algérie (Lutte Ouvrière)

algerie

Essais nucléaires français

Retombées coloniales au Sahara

Soixante-cinq ans après le premier essai nucléaire français dans le Sahara, le 13 février 1960, les autorités algériennes ont annoncé la préparation d’une « loi criminalisant le colonialisme français en Afrique ». Elles visent en particulier les conséquences des essais nucléaires menés par la France dans le désert algérien.

Entre 1960 et 1966, la France a mené 17 essais dans le Sahara algérien, les poursuivant même après l’indépendance de 1962. Encore aujourd’hui, des débris d’avions et de tanks et, surtout, des déchets radioactifs, qui ont une durée de vie de 24 000 ans, polluent cette zone du désert.

L’Algérie estime à 30 000 le nombre de personnes ayant subi les conséquences de ces essais. Le nombre exact de victimes n’est pas connu, car s’il est certain que les déchets et poussières radioactives provoquent des cancers et des malformations congénitales, la France n’a jamais ni organisé de suivi médical, ni mené d’enquête sérieuse, ni même fourni à l’Algérie de cartes précises des zones touchées.

En 2007, Sarkozy avait accepté la mise en place d’un comité algéro-français pour recenser les sites pollués et proposer un plan de réhabilitation, mais il n’a abouti à rien. En 2014, sous Hollande, un nouveau groupe de travail fut créé, sans plus de résultat. Un Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires en Polynésie et en Algérie a bien été lancé en 2010, mais un seul Algérien, sur 1 739 dossiers déposés, a réussi à obtenir une indemnisation. Il s’agit d’un militaire ; aucun civil n’a réussi à obtenir de reconnaissance, notamment parce que les dossiers sont très difficiles à constituer.

La remise en lumière actuelle de ce scandale par l’État algérien s’inscrit dans le contexte des tensions diplomatiques entre les deux pays, depuis la reconnaissance par Macron de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.

Ainsi, à l’occasion du 65e anniversaire du premier essai, l’Assemblée nationale algérienne a organisé une journée d’étude sur les « crimes nucléaires » français. Les dirigeants algériens réclament que la France fournisse toutes ses archives, qu’elle décontamine entièrement les sites touchés, qu’elle collecte et enfouisse définitivement les déchets et indemnise les victimes.

Ce serait la moindre des choses. Mais après avoir pollué le désert, rendu malades des dizaines de milliers d’habitants du Sahara, le refus des gouvernements français de rendre des comptes illustre leur mépris colonial persistant envers la population algérienne.

Claire Dunois 19/02/2025

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21 février 2025 ~ 0 Commentaire

Cameroun (Afrique en Lutte)

afrique

Cameroun, la vérité sur les violences coloniales de la France

« Le rapport sur le rôle et l’engagement de la France dans la lutte contre les mouvements indépendantistes et d’opposition au Cameroun de 1945 à 1971 » écrit par une commission mixte d’historienNEs camerounais et français sous la direction de l’universitaire Karine Ramondy, et remis le 28 janvier dernier aux président Macron et Biya, démontre avec précision et détail « la violence extrême » employée par la France pour maintenir sa domination.

Le Cameroun n’était pas une colonie de la France mais de l’Allemagne qui l’a perdue à l’issue de la Première Guerre mondiale. Ce pays d’Afrique centrale est alors placé sous tutelle de la Société des Nations (l’ancêtre des Nations unies), qui donne mandat à la Grande-Bretagne d’administrer deux territoires de taille réduite, frontaliers du Nigeria, et le reste, près des trois quarts du pays, à la France.

Décolonisation violente

Cette dernière gère le Cameroun à l’identique de ses autres colonies en exploitant les populations. Après la Seconde Guerre mondiale, les premières luttes anticoloniales se font jour. Au Cameroun, se créé l’Union des peuples du Cameroun (UPC) fondée essentiellement par des syndicalistes. Leurs exigences est double, la réunification du pays et l’indépendance immédiate.

Le rapport met en relief les efforts de l’administration coloniale pour tenter de limiter l’audience de l’UPC en stigmatisant ses militantEs et en créant des partis pro-français, mais en vain. Le pouvoir colonial a interdit l’UPC et s’est rendu coupable du massacre d’Ekité en 1956 attaquant des civilEs désarméEs. La répression ne fait ensuite que croître. Les officiers français, pour la plupart des anciens d’Indochine, appliquent les méthodes de la guerre contre-révolutionnaire, notamment en déplaçant les populations pour les couper des combattants anticoloniaux et en pratiquant une politique de terreur par l’utilisation de bombes incendiaires larguées sur les villages.

Histoire cachée

En France, cette violence coloniale au Cameroun est largement occultée, comme d’autres, que cela soit à Thiaroye contre les tirailleurs sénégalais en 1944, un an plus tard à Sétif, à Madagascar et à Casablanca en 1947 ou en Côte-d’Ivoire en 1949. Elle reste cependant fortement ancrée au Cameroun car bien après l’indépendance, sous le gouvernement d’Ahmadou Ahidjo, la France a continué aux côtés de l’armée camerounaise à combattre les maquis upécistes jusqu’à la fin des années 1960.

Si la commission a eu un accès libre aux archives en France, ce ne fut pas le cas au Cameroun, et pour cause. Le président en place, Paul Biya, était dès 1962 dans le gouvernement Ahidjo. Ainsi pendant des décennies, il était interdit de mentionner les noms de Ruben Um Nyobè, Félix-Roland Moumié ou Ernest Ouandié dirigeants de l’UPC assassinés par les sbires de la France coloniale.

Les recommandations du rapport tournent essentiellement sur la reconnaissance officielle de la violence coloniale de la France. Cela permettra au moins que des individus comme Fillon ne puissent plus déclarer : « Je dénie absolument que des forces françaises aient participé, en quoi que ce soit, à des assassinats au Cameroun. Tout cela, c’est de la pure invention ! »

Paul Martial

https://www.afriquesenlutte.org/

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19 février 2025 ~ 0 Commentaire

Guerre et Paix

 

Guerre et Paix dans Altermondialisme

Paix entre néofascistes et guerre contre les peuples opprimés

19 février 2025 par Gilbert Achcar

Que Washington et Moscou aient choisi le royaume saoudien comme lieu de réunion entre leurs délégations pour discuter des perspectives de la guerre qui se déroule en Ukraine depuis que les forces russes ont envahi ce pays il y a trois ans, est une illustration claire des profonds changements qui se produisent sous nos yeux dans les affaires internationales.

La manière même dont la réunion a été organisée est tout à fait cohérente avec le lieu : l’administration néofasciste de Donald Trump n’a pas cherché à promouvoir la paix entre les parties belligérantes dans le cadre du droit international et des Nations unies, comme la Chine n’a cessé d’y appeler depuis le début du conflit, mais cherche plutôt à conclure un accord direct avec le régime également néofasciste de Vladimir Poutine aux dépens du peuple ukrainien. Il est donc tout à fait naturel que les deux parties n’aient pas choisi une arène neutre et conforme au droit international, comme les Nations Unies, mais une arène conforme à leur nature, même si son régime despotique est de type traditionnel.

Ce qui rend la scène encore plus hideuse, c’est que les États-Unis sont un partenaire à part entière dans la guerre génocidaire menée contre le peuple palestinien à Gaza, qui se déplace actuellement en partie vers la Cisjordanie.

L’administration Trump s’est même empressée d’annuler les mesures limitées que l’administration précédente avait prises pour parer au blâme, en particulier le gel de l’exportation de bombes d’une tonne qui ont grandement contribué à la destruction de la bande de Gaza et à l’extermination de sa population, ainsi qu’à la guerre d’élimination qu’Israël a menée contre le Hezbollah au Liban.

Au contraire, comme prévu, excepté par ceux qui ont tenté d’échapper à l’amère réalité en projetant leurs désirs sur elle (voir « Deux mythes sur le cessez-le-feu à Gaza », 22 janvier 2025), la nouvelle administration a surpassé la précédente dans la surenchère sioniste avec l’appel de Trump à déporter sans retour les résidents de la bande de Gaza, c’est-à-dire à mettre en œuvre ce que le droit international appelle « nettoyage ethnique » – un crime contre l’humanité.

L’axe néofasciste sioniste-américain converge avec la Russie de Poutine dans la haine raciale des peuples opprimés. Moscou a excellé dans ce domaine, non seulement par son agression coloniale contre l’Ukraine, répudiant sa souveraineté nationale, mais aussi dans la région arabe, où elle a joué un rôle clé dans la destruction de la Syrie et l’extermination d’un grand nombre de ses habitants, tout en étant ouvertement complice de l’État sioniste en lui permettant de bombarder à volonté les sites iraniens en Syrie (dans le cadre de la rivalité entre les influences russes et iraniennes dans ce pays).

Le ministre russe des affaires étrangères a même comparé la guerre de Moscou contre l’Ukraine à la guerre d’Israël contre Gaza, assimilant la description poutiniste des dirigeants ukrainiens comme nazis à la description sioniste du Hamas comme nazis. Notons également que la réaction de Moscou au projet criminel d’expulsion énoncé par Trump a été modérée, même par rapport à la condamnation explicite émise par certains des alliés traditionnels de Washington, comme la France.

Voici maintenant les Américains impliqués dans le meurtre de centaines de milliers de Gazaouis qui rencontrent les Russes impliqués dans le meurtre de centaines de milliers de Syriens, les deux parties partageant avec l’État sioniste un mépris commun pour les droits territoriaux des peuples. Ils se rencontrent sur le territoire d’un État arabe qui, s’il se préoccupait vraiment du sort des peuples syrien et palestinien, aurait dû être si hostile aux deux parties qu’il ne leur serait même pas venu à l’idée de lui demander d’accueillir leur réunion.

Ce à quoi nous assistons en réalité n’est rien de moins qu’une refonte de la carte politique du monde, passant de la confrontation de la Guerre froide entre un bloc occidental qui prétendait défendre les valeurs de la démocratie libérale (et les a constamment trahies) et un bloc de l’Est dans lequel prévalaient des régimes dictatoriaux – de cette confrontation à la dissolution du système occidental, après le système oriental, par suite de la crise mortelle qui a frappé la démocratie libérale et de la montée mondiale du néofascisme (voir « L’ère du néofascisme et ses particularités », 5 février 2025).

L’ère de la Nouvelle Guerre froide, qui a suivi l’effondrement de l’Union soviétique et la dissolution de son bloc, a constitué la transition en combinant loi de la jungle et néolibéralisme effréné. Washington a joué le rôle principal dans la prédominance de ces deux caractéristiques sur le droit international et le développement fondé sur l’État social et la protection de l’environnement.

Nous assistons aujourd’hui à une convergence entre néofascistes aux dépens des peuples opprimés, car le nouveau fascisme, comme l’ancien, nie ouvertement le droit des peuples à l’autodétermination. Les gouvernements libéraux restants en Europe sont stupéfaits, après avoir compté pendant huit décennies sur la protection américaine du système occidental sans oser former un pôle mondial indépendant de Washington, non seulement militairement, mais principalement dans le domaine de la politique étrangère.

Le résultat est que les peuples opprimés du monde ne sont plus en mesure de profiter de la divergence entre grandes puissances qui existait dans le passé, mais doivent maintenant mener leurs luttes de résistance et de libération dans des conditions plus difficiles que jamais. Le cas de la Palestine en est la preuve la plus évidente.

Traduit de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d’abord paru en ligne le 18 février. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

https://inprecor.fr/

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