Strasbourg : rassemblement en mémoire du 17 octobre 1961
Rassemblement jeudi 17 octobre 2024 à 18h au pont du Corbeau à Strasbourg et en manifestation vers la place du 17 octobre 1961.
Massacre du 17 octobre 1961, un crime d’État à Paris. 63 ans après, vérité et justice.
A la mémoire de la répression sanglante de l’État français dont furent victimes les manifestantEs pacifiques algérienNEs en 1961.Le 17 octobre 1961, des dizaines de milliers de travailleurs algériens et leurs familles ont manifesté à Paris pour le droit à l’indépendance de l’Algérie, pour leur droit à l’égalité et à la dignité, contre le couvre-feu raciste qui leur était imposé. Ce jour-là et les jours suivants, plusieurs centaines d’entre eux furent massacrés, jetés dans la Seine ou gravement blessés par des policiers sous les ordres du préfet de Paris, Maurice Papon.
60 ans après, la France n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans les guerres coloniales qu’elle a menées en particulier la Guerre d’Algérie.
Informer, commémorer pour ne pas oublier. Cette journée sera dédiée à la lutte du peuple kanak.
Crédit Photo Extrait de la Une du quotidien l’Écho d’Alger le 7 novembre 1954
Édouard Soulier Hafiza b. Kreje An Gwesped
Revue L’Anticapitaliste n°159 (septembre 2024)
La gauche française et l’internationalisme
Les guerres impérialistes font de nouveau l’actualité. Dans ce contexte, l’importance de la France dans les équilibres internationaux oblige la gauche française à se positionner sur ces questions. Nous devons insister sur la libération des peuples de la domination impérialiste, israélienne comme russe, tout en maintenant une pression contre notre propre impérialisme à travers notre participation aux réseaux de solidarité qui soutiennent la gauche de rupture en Ukraine et les luttes palestiniennes sans flancher devant leur diversité.
Dans le Manifeste du parti communiste en 1848, la dernière phrase avait comme slogan : « Prolétaires de tous les pays unissez-vous ». A l’intérieur du manifeste lui-même plusieurs phrases éclairent ce slogan. Par exemple : « On a accusé les communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité. Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut pas les priver de ce qu’ils n’ont pas ». Ou encore sur l’attitude des communistes (de l’époque) :
« 1. Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat.
2. Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité ».
« Tandis que la bourgeoisie de chaque nation possède encore des intérêts nationaux particulier, la grande industrie créa une classe dont les intérêts sont les mêmes dans toutes les nations et pour laquelle la nationalité est déjà abolie, une classe qui s’est réellement débarrassée du monde ancien et qui s’oppose à lui en même temps ».
Dans les premiers écrits du marxisme, est décrit un phénomène d’uniformisation dû au capitalisme qui crée une seule classe aux intérêts communs et universels face à l’expansion et la domination d’une classe internationale de possédants. Ainsi les militantEs communistes ont pour tâche de développer la solidarité internationale et doivent lutter contre la concurrence entre travailleurEs dans l’entreprise, entre les entreprises et entre les États associés à ces entreprises. Iels soutiennent l’union de la classe par delà les frontières.
Pour autant, cette même théorie soutient des positions paternalistes quant aux pays jugés «arriérés» face au développement capitaliste. En effet, le capitalisme représenterait, dans ses contradictions, la matrice d’un progrès universel, téléologie qui entérine la continuité (critique) du marxisme avec les Lumières européennes.
Gauche coloniale
La gauche française, qui ne sera profondément influencée par le marxisme-léninisme qu’après le Congrès de Tours et la création d’une section communiste séparée, a ainsi exprimé des positions oscillant entre un soutien enthousiaste et une opposition a minima morale. Même la figure de Jaurès, souvent plébiscitée pour son pacifisme et sa position « Zimmerwaldienne», par exemple, a d’abord défendu les colonies avant de s’y opposer, tandis que les socialistes historiques (comme Jules Guesde) seront très friands de soutenir l’État français dans sa mission « civilisatrice»2.
Une importante clarification aura lieu lors de la Première Guerre Mondiale : la plupart des socialistes (sous-entendu révolutionnaires) se rangeront du côté de leur État et de leur bourgeoisie. C’est la première (si on oublie les colonies) « trahison» du camp socialiste et de la Deuxième Internationale qui avait pourtant promis la solidarité internationale contre sa propre bourgeoisie. Cet évènement est un tournant, et la gauche « socialiste» française ne se distanciera plus vraiment de la solidarité avec son État malgré le développement d’Internationale dite socialiste et quelques incantations morales sur l’internationalisme.
Dans une note qui demeure éclairante pour notre situation politique, Lénine3 écrit : « sur cette question [de l’immigration] également se fit jour en commission une tentative de soutenir d’étroites conceptions de corporation, d’interdire l’immigration d’ouvriers en provenance des pays arriérés [...]. C’est là le reflet de l’esprit « aristocratique » que l’on trouve chez les prolétaires de certains pays « civilisés » qui tirent certains avantages de leur situation privilégiée et qui sont pour cela enclins à oublier les impératifs de la solidarité de classe internationale ».
L’internationale communiste
À l’issue de cette trahison s’est développée l’Internationale communiste par opposition à la guerre et à la colonisation. Les communistes notamment français commencèrent à développer un argumentaire de soutien aux luttes de libérations nationales et d’indépendance.
Rapidement cependant, en France comme en URSS, la direction stalinienne met fin aux années de militantisme international et anticolonial pour s’aligner les positions sur les intérêts stratégiques de la Russie, et par extension de l’URSS. C’est le thème du « socialisme dans un seul pays ». On voit ainsi, dès après le Front populaire, toute la gauche française dont le PCF dénoncer les premières tentatives d’émancipation anticoloniale en Algérie, en Tunisie et en Indochine4. Pendant la vague de décolonisation post-Seconde Guerre mondiale, une partie de la gauche française va changer de statut.
De l’accompagnement au maintien de l’empire Français
D’accompagnatrice de l’empire français elle devient un supplétif de la colonisation, du maintien de l’empire et des intérêts français. Le cas le plus emblématique sera celui de Mitterrand qui, passé par les milieux de droite conservatrice avant guerre, deviendra ministre plusieurs fois. Dans plusieurs ouvrages sur la décolonisation, il explique sa stratégie qui est celle de redéployer la domination5.
Ainsi, il trouve un moyen de perpétuer la présence française qui, dans les années 1950, est mise à mal par la pression des mouvements de libération, mais aussi la compétition inter-impériale avec les États-Unis et l’URSS. Il sera ministre de « la France d’Outre-Mer », et poursuit son action coloniale comme ministre de l’Intérieur, puis de la Justice, pendant les premières années de la Guerre d’Algérie.
Il considère qu’il faut renoncer à la domination française en Indochine, trop coûteuse et incertaine, en mettant fin à la guerre contre le Viêt Minh. Mais ce retrait de l’Asie doit à ses yeux viser au renforcement de l’emprise française en Afrique. Il propose ainsi un assouplissement de la gouvernance coloniale blanche au bénéfice des élites colonisées à condition que ces dernières renoncent à toute séparation de la métropole.
Cette vision raciste et coloniale va imprégner une partie de la gauche française, appuyée sur la préservation de la « puissance » de l’État et sur le sentiment d’une légitimité de l’intervention du « pays des droits de l’homme ». Elle conduira bien plus tard Mitterrand Président de la République à rendre la France complice du génocide de 1994 (près d’un million de personnes tuées en trois mois) des Tutsis au Rwanda par son soutien indéfectible à la dictature rwandaise Hutu.
Il impose ainsi le soutien politique et militaire de la France au régime génocidaire, jusqu’au bout. Le Parti socialiste a donc une longue tradition « coloniale » et d’alliance de classe avec l’appareil étatique français dans son ensemble. Cette alliance est profonde et durable : le soutien du PS à Israël est indéfectible, tandis que le président socialiste Hollande ne se cachait pas d’être l’ami personnel de Blaise Compaoré et de Idriss Deby tous les deux dictateurs.
Pour la gauche communiste, le soutien à la décolonisation sera bien plus net quoique soumis aux fluctuations de l’URSS (par exemple pour l’Afghanistan). Un peu plus ancrés dans la solidarité ouvrière que les partis socialistes, il demeure que les communistes du PCF qui ont survécu à la crise de la fin de l’URSS ont conservé une conception teintée de colonialisme et de paternalisme dans leur rapport aux anciennes colonies, tout comme aux descendantEs de colonisé·es sur le sol français. Le consensus autour du potentiel émancipateur de l’État français demeure ainsi vivace.
Lutte de libération nationale
Sans retracer toute l’histoire concernant la gauche communiste révolutionnaire, les conceptions de la solidarité internationale ont elles aussi varié, en raison notamment de la difficulté de certaines traditions révolutionnaires à organiser le soutien à la lutte d’indépendance nationale qui est une alliance ponctuelle avec sa bourgeoisie ou sa petite bourgeoisie locale et arriver à organiser une certaine indépendance organisationnelle pour avoir assez d’influence pour poser les bases d’une alternative crédible face aux courants nationalistes.
Cette ligne de crête demeure une difficulté en raison des fondements du marxisme. Elle nous commande de nous situer dans une des contradictions des développements du capitalisme. D’un côté, le capitalisme uniformise et crée les conditions d’une classe ouvrière « unique » ayant des intérêts communs matériels. De l’autre côté, l’histoire montre que les dynamiques nationales même interdépendantes ont des particularités fortes, du fait du contexte socio-historique (colonialisme, impérialisme…) qui rendent difficile un positionnement qui ne tient compte que des « classes ».
Enfin, la neutralisation des individus et des cultures par le travail et la satisfaction des besoins ne représente plus tant pour nous un pays de Cocagne qu’un universel développement d’une société de consommation qui n’est plus ni soutenable ni souhaitable, tandis que la transformation post-coloniale des unités ethno-nationales interroge sur de nouvelles bases la formation de l’identité de classe du prolétariat et des minoriséEs oppriméEs par le Capital.
Il reste que le soutien internationaliste est une boussole transitoire qui indique l’importance de la lutte contre l’impérialisme notamment le nôtre et remettre au centre l’agentivité des opprimés comme base d’analyse, contre la social-démocratie accompagnatrice de l’impérialisme et contre un pseudo anti-impérialisme qui revient à soutenir un camp plutôt qu’un autre.
De Nantes à Brest, pour faire connaître le combat des internationalistes
Deux plaques seront dévoilées à Brest, ce samedi, en l’honneur de militants ouvriers, dont des Nantais et brestois, morts durant la guerre 39-45 « pour la fraternité entre les peuples. »
Résistance antinazie ouvrière et internationaliste, de Nantes à Brest, les Trotskistes dans la guerre. Ce livre coécrit par Robert Hirsch, Henri le Dem et François Preneau, connaît un vrai succès.
Dans l’ouvrage, les co-auteurs mettaient en exergue le travail d’’une poignée de militants de Nantes à Brest pour faire vivre l’esprit international ouvrier face au nazisme, en pleine Seconde Guerre mondiale.
Partis de Nantes, en 1943, quelques-uns d’entre eux, dont le postier trotskiste Robert Cruau, sont montés à Brest pour fraterniser avec quelques soldats allemands.
L’opposition farouche au nazisme et la volonté de préparer un changement radical pour l’après-guerre, les liaient. C’est ainsi qu’ont été diffusés et imprimés, à Brest, par quelques soldats allemands, des bulletins clandestins en allemand intitulés Zeitung für Soldat und arbeiter im Western. Ce travail à Brest fut mené en lien avec le juif berlinois résistant internationaliste Martin Monath, à l’origine, pour sa part, d’Arbeiter und soldat.
Leurs actions sont stoppées, avec l’arrestation les 6 et 7 octobre 1943, des militants français et allemands. Parmi eux, Robert Cruau, connu sous le nom de Max par la police Nazie (1). Il est abattu. D’autres résistants internationalistes sont arrêtés et déportés. Quatre – Georges Berthomé, Yves Bodenez, André Floch, Albert Gohovec – sont morts en déportation.
Quant aux soldats allemands, ils sont fusillés en catimini, sans procès. Leurs identités, encore aujourd’hui, ne sont pas connues avec certitude. Même si les noms de trois d’entre eux sont apparus dans le registre du cimetière brestois de Kerfautras.
Pour poursuivre ce travail de recherche et faire connaître le combat des internationalistes allemands et français, François Preneau et quelques militants français et allemands ont créé une association intitulée Les Amis d’Arbeiter und soldat.
Ils seront à Brest, ce samedi 5 octobre, pour dévoiler deux plaques en hommage à ces résistants français et allemands, « morts pour la fraternité entre les peuples ».
Cette pose de plaques sera suivie d’un colloque à Brest, à la salle des syndicats pour évoquer avec des historiens français et allemands, le combat très original d’Arbeiter und soldat. Ils traiteront aussi « de son actualité à une époque où la lutte pour la paix et la fraternité entre les peuples n’a jamais été aussi nécessaire..»
(1) Robert Cruau qui avait changé d’identité avait aussi pour pseudonyme, Pleton et Cosquer.
François Preneau présentera son livre « Résistance antinazie, ouvrière et internationaliste. De Nantes à Brest, les trotskistes dans la guerre (1939-1945) ».
Nathaniel Flakin, auteur d’une biographie de Martin Monath présentera son livre : « Un Juif berlinois organise la résistance dans la Wehrmacht. “Arbeiter und Soldat” ».
Olivier Doriane, de la rédaction de La Tribune des travailleurs, interviendra sur l’actualité du combat d’Arbeiter und Soldat.
Jean-Yves Guengant fera le point sur les recherches en cours pour l’identification des soldats allemands fusillés à Brest en octobre 1943.
Claudius Naumann traitera de la déclaration des « Communistes internationalistes de Buchenwald (IVe Internationale), avril 1945 ».
Samedi 5 octobre 2024 de 14:30 à 17:30 Salle des Syndicats – Maison du peuple Brest
Gilbert Achcar Professeur, SOAS, Université de Londres
25 septembre 2024
L’erreur de calcul du Hezbollah
La semaine dernière, nous nous demandions « si l’escalade soudaine de ce que nous avons appelé la “stratégie d’intimidation israélienne” prélude à une agression à grande échelle contre le Liban qui comprendrait des bombardements intensifs aveugles de toutes les zones où le Hezbollah est présent, y compris la banlieue sud densément peuplée de Beyrouth ». Cela nous amena à une autre question : le président américain Biden « fera-t-il suffisamment pression sur Netanyahu pour empêcher une guerre […] ou bien soutiendra-t-il une fois de plus l’entreprise criminelle de son ami, voire même en exprimant regret et rancœur afin d’esquiver le blâme de la manière hypocrite qui est habituellement la sienne et celle de son secrétaire d’État Blinken ? » (« Réflexions stratégiques sur l’escalade de l’intimidation israélienne au Liban », 24/9/2024).
La réponse à ces deux questions interdépendantes ne s’est pas fait attendre : le ministère israélien de l’Agression (faussement appelé ministère de la « Défense ») a annoncé mercredi dernier que son directeur général avait reçu un nouveau paquet d’aide d’une valeur de 8,7 milliards de dollars lors de sa visite au commandement militaire américain au Pentagone.
Le ministère a commenté en disant que cela confirmait « le partenariat stratégique fort et durable entre Israël et les États-Unis et l’engagement à toute épreuve envers la sécurité d’Israël ».
Deux jours plus tard, dans la nuit de vendredi, l’assaut en cours des forces armées sionistes contre le Hezbollah culminait avec l’assassinat du secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, et de plusieurs de ses dirigeants, achevant ce qui s’est avéré être une décapitation systématique du Hezbollah après avoir saboté son réseau de communication, en prélude à de nouvelles étapes sur la voie d’un assaut global sur les zones dominées par le parti, assaut qui a inclus jusqu’à présent des bombardements intensifs et concentrés et l’expansion progressive d’une invasion au sol qui, selon les sources israéliennes, devrait rester « limitée ».
Il devient clair ainsi que l’appel de l’administration américaine à un cessez-le-feu de trois semaines entre le Hezbollah et l’État sioniste, lancé sur incitation française et annoncé conjointement avec Paris, n’était nullement sincère, n’étant accompagné d’aucune pression américaine réelle.
Il convient de noter à cet égard que le Washington Post a publié mercredi dernier une enquête montrant que les opinions au sujet du cessez-le-feu divergeaient au sein de l’administration Biden, certains de ses membres voyant dans l’escalade militaire israélienne « un moyen potentiellement efficace de dégrader le groupe militant libanais ».
La réponse de l’administration à l’assassinat de Hassan Nasrallah, à commencer par Biden lui-même, a été d’applaudir l’opération et d’en faire l’éloge, la décrivant comme « une mesure de justice », et ce en qualifiant le Hezbollah et son secrétaire général de terroristes. Cette réaction a confirmé la complicité militaire et politique totale de Washington dans l’agression en cours contre le Liban, après sa complicité flagrante dans la guerre génocidaire en cours à Gaza.
L’hypocrisie de l’administration Biden a atteint avec cela un nouveau point bas, l’étiquetage du parti libanais comme organisation terroriste contrastant fortement avec les négociations qu’elle mène avec lui depuis plusieurs mois à la recherche de ce qu’elle a appelé une « solution diplomatique » au conflit entre lui et l’État sioniste. Comment Washington pouvait-il négocier avec une « organisation terroriste », par la médiation du président du Parlement libanais Nabih Berri, allié politique (mais pas militaire) du Hezbollah, et chercher un règlement diplomatique avec une telle organisation ?
Cela sans parler du fait qu’il n’y a aucun type d’acte qui pourrait être qualifié de terroriste que l’État sioniste n’a pas commis avec une intensité et une brutalité meurtrière qui surpassent tout ce que Washington a décrit et continue de décrire comme terroriste (en ignorant ce qu’il a lui-même commis, bien entendu).
Voici une fois de plus, après la guerre génocidaire en cours à Gaza, une justification sournoise apportée à une guerre visant à éradiquer une organisation de masse qui a des élus au parlement et supervise un vaste appareil civil quasi-étatique, en la qualifiant dans son ensemble de terroriste, sans même faire de distinction entre son aile militaire et ses institutions civiles.
Contrairement au cas du Hamas, dont l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » a été largement exploitée pour lui coller cette étiquette, le Hezbollah, sous la direction de Hassan Nasrallah, n’a commis aucun acte qui pourrait être qualifié de terroriste au sens d’attaquer délibérément des civils ou des non-combattants israéliens ou américains.
Du coup, on a rappelé les attentats de 1983 qui visaient l’ambassade des États-Unis, et les forces américaines et françaises participant à la « Force multinationale » au Liban, et on a même attribué ces attentats à Hassan Nasrallah, qui n’était pas membre de la direction du parti à l’époque et n’avait que 23 ans ! En réalité, Nasrallah a supervisé la transformation du parti vers l’engagement dans la vie politique libanaise avec sa participation pour la première fois aux élections législatives en 1992, l’année où il a assumé le poste de secrétaire général.
Nous avons montré la semaine dernière comment le calcul du Hezbollah menant à la conduite d’une bataille limitée contre Israël en soutien à Gaza avait commencé à se retourner contre lui, au point où il s’est retrouvé « piégé dans une dissuasion mutuelle, mais inégale » avec l’armée sioniste.
En vérité, le parti est tombé dans le piège que lui avait tendu Israël, en insistant pour continuer à échanger des tirs avec l’État sioniste « jusqu’à un cessez-le-feu à Gaza », alors qu’il devenait clair que le poids de la bataille se déplaçait de la bande de Gaza ravagée vers le Liban. Il aurait été plus indiqué pour le parti d’annoncer publiquement son acceptation de l’appel franco-américain à un cessez-le-feu de trois semaines (d’autant plus qu’il avait un besoin urgent de reprendre son souffle et de restaurer son appareil de direction après l’explosion de son réseau de communication) et la cessation des opérations militaires de sa part, ce qui aurait mis le gouvernement sioniste dans l’embarras et l’aurait exposé à d’intenses pressions internationales pour faire de même.
Ces derniers jours ont montré que la perception par le Hezbollah de la « dissuasion mutuelle » entre lui et l’État sioniste ne tenait pas suffisamment compte de la nature inégale de cette dissuasion (une erreur de calcul similaire à celle du Hamas, bien que beaucoup moins grave), et que sa perception de l’engagement de son parrain à Téhéran à le défendre était également illusoire, l’Iran n’ayant répondu aux attaques répétées qu’Israël a lancées directement contre lui qu’une seule fois, en avril dernier, et cela d’une manière presque symbolique.
Il semble que le Hezbollah ait confirmé sa volonté de revenir à la mise en œuvre de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU de 2006, qui appelle au retrait de ses forces au nord du fleuve Litani, reconnaissant ainsi l’inégalité des forces entre lui et l’État sioniste et acceptant la condition imposée par la médiation américaine. Cette volonté a été confirmée par le Premier ministre libanais par intérim, Najib Mikati, à l’issue de sa rencontre avec Nabih Berri. Il convient dès lors de s’interroger sur l’utilité d’insister pour continuer à se battre jusqu’à ce qu’un cessez-le-feu soit conclu à Gaza, offrant ainsi au gouvernement sioniste un prétexte pour intensifier son assaut contre le Liban, et contre le Hezbollah en particulier.
Personnage complexe et très croyant, Hassan Nasrallah a consacré sa vie à la défense de ses idéaux religieux et politiques, en particulier la lutte contre Israël, perdant dans ce combat des amis et des membres de sa famille au fil des décennies. A l’aune du 7 octobre 2023 du nouveau conflit israélo-palestinien, et face à un Iran et une Syrie peu enclins à réellement s’engager contre Israël, il s’était imposé comme le héraut régional de la lutte contre l’Etat hébreu, ouvrant un nouveau front au nord du territoire israélien afin de forcer l’armée israélienne à se diviser et à y maintenir une présence soutenue alors que la guerre à Gaza faisait rage.
Depuis 1992, année pendant laquelle il devient Secrétaire général du Hezbollah, le mouvement est devenu, de fait, une organisation politique et paramilitaire, aux ramifications régionales et mondiales quasi-inédites s’étendant jusqu’en Amérique latine : plus puissant politiquement et militairement que le gouvernement libanais lui-même, le mouvement chiite est devenu de facto la force dominante dans le pays. Son intervention au profit de Bachar al-Assad dès 2011 puis auprès des milices chiites en Syrie et en Irak s’est montrée déterminante, tant dans la lutte contre les différents mouvements insurgés (rébellion syrienne et organisations djihadistes comme l’Etat islamique notamment) que dans l’expansion de l’influence iranienne à travers la région. Puissamment armé grâce au soutien de l’Iran et disposant désormais d’un arsenal fourni et varié de missiles balistiques capables de frapper le territoire israélien, le Hezbollah est devenu l’une des plus importantes forces militaires du Moyen-Orient et, en conséquence, l’une des plus grandes « bêtes noires » d’Israël qui, plusieurs années avant le 7 octobre 2023, s’employait déjà à affaiblir les capacités opérationnelles de l’organisation chiite en ciblant ses bases en Syrie et en Irak.
En assassinant Hassan Nasrallah, qui s’exprimait encore à la télévision libanaise le 19 septembre, Israël est parvenu à se débarrasser de l’un de ses adversaires les plus redoutables, mais probablement pas de l’héritage qu’il laisse derrière lui : celui d’une organisation politique et militaire puissante, résiliente et se percevant comme la Némésis de l’Etat hébreu. De fait, alors que Hassan Nasrallah est élevé par ses alliés régionaux comme un martyr de la lutte contre Israël, le Hezbollah s’est d’ores et déjà engagé à « poursuivre la guerre sainte contre l’ennemi et en soutien à la Palestine » [2], illustrant sa promesse par un barrage de roquettes contre plusieurs villes au nord du territoire israélien [3].
Héros pour les uns, terroriste pour les autres, un personnage historique est mort ce samedi 28 septembre 2024 : le présent article en dressera donc la biographie, en présentant d’abord les premières années de sa vie (I), puis ses débuts au Hezbollah (II) ; son rôle-clé dans la « régionalisation » du Hezbollah conclura cet article (III).
I. Les premières années : du jeune clerc au secrétaire général du Hezbollah (1960-1992)
Hassan Nasrallah est né le 31 août 1960 à Bourj Hammoud, dans une banlieue orientale de Beyrouth connue pour sa mixité ethnoreligieuse. Il était le neuvième d’une fratrie de dix enfants. Bien que sa famille, chiite, ne se soit pas montrée particulièrement portée sur le fait religieux, le futur chef du Hezbollah s’est intéressé très tôt aux études de théologie. Il fréquente une école publique dans le quartier majoritairement chrétien de Sin el Fil jusqu’en 1975 où, à 15 ans, il se trouve contraint de fuir avec sa famille en raison de l’éclatement de la guerre civile libanaise (13 avril 1975-13 octobre 1990). Ils se réfugient dans le village de Bazourieh, dont était issu le père de Hassan, non de loin de Tyr, au sud du Liban. Nasrallah y termine ses études secondaires et y rejoint brièvement le Mouvement Amal, un groupe politique chiite libanais disposant alors de milices armées.
Déterminé à devenir clerc, Nasrallah part ensuite étudier au séminaire chiite de Baalbek, dans la vallée de la Beqaa. L’école suivait alors les enseignements de l’ayatollah d’origine irakienne Mohammad Baqir al-Sadr, qui avait fondé le mouvement Dawa [4] à Nadjaf, en Irak, au début des années 1960. En 1976, à l’âge de seize ans, Nasrallah se rend dès lors en Irak où il est admis au séminaire de l’ayatollah al-Sadr à Nadjaf, ville sainte majeure de l’islam chiite. Il n’y restera que deux ans : en 1978, il est expulsé d’Irak avec des dizaines d’autres étudiants libanais en raison de la répression baathiste s’abattant alors contre les mouvements chiites. Al-Sadr est quant à lui emprisonné, torturé et assassiné en 1980.
De retour au Liban, Nasrallah étudie et enseigne à l’école du leader d’Amal, Abbas al-Musawi, avant que ce dernier ne le choisisse comme délégué politique du parti dans la Beqaa en 1979 : les deux hommes s’étaient en effet connus au séminaire d’Al-Sadr à Nadjaf et avaient été expulsés ensemble d’Irak. Le début de la carrière politique de Hassan Nasrallah commence. En 1982, après l’invasion israélienne du Liban, l’intéressé rejoint le Hezbollah, alors formé par des clercs musulmans avec le soutien de l’Iran afin de combattre les Israéliens. A l’aune de son engagement pour le Hezbollah, il se rapproche de Téhéran et, en 1989, part pour Qom, en Iran, afin d’y poursuivre des études religieuses.
En 1991, Nasrallah retourne au Liban où il continue d’œuvrer comme cadre du Hezbollah avant que le secrétaire général du mouvement, son camarade Abbas al-Musawi (en poste depuis mai 1991), ne soit tué dans une frappe aérienne israélienne le 16 février 1992 : Hassan Nasrallah est appelé à le remplacer et prend alors la tête du mouvement à l’âge de 32 ans.
II. Des premières années résolument anti-israéliennes à la tête du Hezbollah (1992-2011)
L’une des premières actions de Nasrallah est de venger la mort d’al-Musawi. Grâce au soutien de l’Iran, il acquiert des roquettes à plus longue portée que celles déjà en possession du Hezbollah et frappe le nord d’Israël malgré l’occupation israélienne du sud du Liban. Dans le même temps, le 8 mars 1992, un attentat à la voiture piégée tue un employé de l’ambassade d’Israël en Turquie [5], tandis que le 17 mars de la même année, un kamikaze se fait exploser contre l’ambassade israélienne en Argentine, détruisant l’intégralité du bâtiment et tuant 29 personnes, dont 4 Israéliens [6].
En représailles, Israël conduit l’opération « Comptes à rendre » le 25 juillet 1993 : durant une semaine, le Liban est pilonné par l’armée israélienne, détruisant une grande partie des infrastructures militaires et civiles libanaises. Un accord est finalement conclu, par lequel Israël s’engage à mettre fin à ses attaques au Liban moyennant un engagement similaire du Hezbollah à l’égard du nord d’Israël. Après une courte pause, les hostilités reprennent : du 11 au 27 avril 1996, Israël lance l’opération « Raisins de la colère », mettant sous blocus d’importantes villes portuaires libanaises et conduisant plus de 1 100 missions de bombardements aériens à travers le territoire libanais. Après 16 jours de frappes, un nouvel accord de cessez-le-feu est conclu. Une fois de plus, le Hezbollah accepte de cesser ses tirs de roquettes en échange de l’arrêt des attaques israéliennes. Toutefois, comme en 1993, la paix ne durera pas longtemps et les escarmouches reprendront très rapidement.
L’utilité d’occuper militairement le sud du Liban est dès lors questionnée en Israël, où les autorités militaires constatent que cette « zone de sécurité » n’empêche finalement pas le Hezbollah d’atteindre le territoire israélien. Dans le même temps, les partisans de la paix défendent l’idée que le conflit ne prendra fin que si Israël se retire du Liban. Ce sera dès lors chose faite en 2000 : le Premier ministre israélien Ehud Barak annonce le 23 mai le retrait des troupes israéliennes du sud du Liban. Les différentes organisations armées entraînées par Israël (notamment « l’Armée du Liban du Sud » [ALS]) afin de s’opposer au Hezbollah ne résistent pas à ce dernier, qui investit sans difficulté l’ancienne zone d’occupation israélienne. Cet événement est perçu comme une grande victoire pour le Hezbollah sur Israël et accroît la popularité de Hassan Nasrallah et de son mouvement, tant au Liban qu’à travers le monde musulman.
En 2004, il sera crédité d’un nouveau succès après être parvenu à obtenir de Tel Aviv un échange de prisonniers aboutissant à la libération de centaines de détenus palestiniens et libanais et à la restitution au Liban des dépouilles de nombreux combattants, dont celui de son fils, Hadi Nasrallah, tué au combat le 12 septembre 1997 lors d’un accrochage avec les forces israéliennes [7]. L’accord sera alors perçu à nouveau comme une grande victoire pour le Hezbollah et notamment Hassan Nasrallah [8].
L’image de Nasrallah sera toutefois ternie lors du déclenchement de la guerre du Liban en 2006 : à la suite d’une embuscade tendue par le Hezbollah en territoire israélien ayant entraîné la mort de 3 soldats et l’enlèvement de 2 autres, Israël lance une vaste opération aéroterrestre au Liban qui durera du 12 juillet au 14 août 2006. Les bombardements israéliens causeront des dommages substantiels dans la banlieue sud de Beyrouth, bastion du Hezbollah, et provoqueront la mort de plus d’un millier de civils. Au cours du conflit, Nasrallah fera l’objet de vives critiques de la part des pays arabes, notamment de la Jordanie, de l’Égypte et de l’Arabie saoudite, qui critiqueront par exemple « l’aventurisme » du chef du Hezbollah et le risque que ce dernier ne nuise aux intérêts du monde arabe et à la population libanaise.
III. La montée en puissance régionale du Hezbollah (2011-2024)
Le début de la guerre civile syrienne en 2011 et les difficultés militaires rapidement rencontrées par Bachar al-Assad vont pousser le Hezbollah à entamer une métamorphose : le 25 mai 2013, Nasrallah annonce l’envoi de combattants du mouvement aux côtés de l’armée syrienne, affirmant que le Hezbollah entre dans « une phase complètement nouvelle » de son existence [9]. Au fur et à mesure de l’aggravation de la guerre civile et de l’intervention régulière de nouveaux acteurs (Al-Qaeda, Etat islamique, acteurs étrangers…), le Hezbollah enverra toujours plus de troupes et se montrera toujours indispensable dans la survie du régime syrien, rassemblant un total de 7 000 à 9 000 soldats sur ce théâtre d’opérations, dont des unités d’élite [10]. Le 26 juillet 2014, Hassan Nasrallah perdra l’un de ses neveux, Hamzah Yassine, tué lors de combats contre des groupes rebelles en Syrie [11].
Fort de son assise politique, économique et sécuritaire au Liban, dirigeant un véritable Etat dans l’Etat, Hassan Nasrallah ne sera que peu inquiété par les manifestations monstres organisées dans le pays au cours de l’année 2019 appelant à un changement de gouvernance et qui, à plusieurs reprises, le cibleront personnellement, notamment son rôle dans la situation politique et économique dégradée du Liban [12].
L’intervention décisive du Hezbollah en Syrie puis en Irak, tant auprès de Bachar al-Assad qu’au profit des milices chiites soutenues également par l’Iran, permettront au Hezbollah d’asseoir son rôle de puissance paramilitaire régionale. Hassan Nasrallah deviendra dès lors un acteur chiite de premier plan au Moyen-Orient et un des alliés les plus fiables de l’Iran. Il soutiendra ainsi d’autres proxies de Téhéran, tels que les Houthis [13], et participera au développement de réseaux économiques et politiques parallèles, voire clandestins (blanchiment d’argent par exemple [14]), au profit de la République islamique et du Hezbollah à travers le monde.
Le 8 octobre 2023, le lendemain de l’attaque du Hamas contre Israël et des premières frappes israéliennes dans la bande de Gaza, les combats jusque-là sporadiques entre le Hezbollah et Israël s’intensifieront à la frontière israélo-libanaise ; initialement attentiste, Hassan Nasrallah tentera autant que possible d’éviter une escalade militaire avec Israël sans l’assurance d’un soutien de l’Iran, qui ne viendra jamais véritablement. Prisonnier d’un mécanisme de surenchère de la riposte et de nécessité de préserver la crédibilité du Hezbollah auprès de ses alliés régionaux et du monde arabe, il autorisera progressivement ses militants à lancer des attaques toujours plus audacieuses et meurtrières, jusqu’aux tirs, pour la première fois, de missiles balistiques ces derniers jours contre Israël, provoquant une campagne massive de bombardements israéliens au Liban à l’origine de la mort de plusieurs centaines de civils puis, quelques jours plus tard, de la sienne, aux côtés de sa fille Zainab et de plusieurs de ses lieutenants dans la banlieue de Dahiyeh, au sud de Beyrouth.
Farouchement anti-impérialiste, le Parti communiste libanais est le plus grand parti du pays à la fin des années 1960, avant de décliner. Chiites pour la plupart, les communistes ont eu des relations difficiles avec le Hezbollah : unis dans la résistance à Israël, mais rivaux sur le plan politique. Ses militants cherchent un nouveau souffle avec le soulèvement populaire au Liban.
Sur la route qui mène au Sud-Liban le trafic est fluide ce matin-là, le temps radieux. Direction Deir Ez-Zahrani, à 75 kilomètres au sud de Beyrouth. Dans la voiture qui roule à vive allure le long d’une Méditerranée bleu azur, Maro, membre du Parti communiste libanais (PCL) et qui sera ma guide raconte ses souvenirs de jeune militante, engagée à 14 ans, formée au russe à Moscou, aux frais de l’Union soviétique. Elle y rencontrera son mari, Abdallah. Nostalgique et souriante, elle porte sa main à la poitrine et murmure pudiquement : « La Russie est ma deuxième patrie ».
Des racines au Sud-Liban
C’est au sud du pays, historiquement pauvre et à majorité chiite que le communisme libanais plonge ses racines. Dès les années 1930, la lutte contre les invasions à répétition de colons juifs façonne le combat des communistes libanais, dans une région déjà paupérisée par 400 ans de domination ottomane. Au fil de notre périple, nous remontons jusqu’en 1936, lorsque tombe le premier « martyr » du Parti, Assaf Al-Sabbagh, originaire d’Ibl El-Saqih, face aux gangs de la Haganah, organisation paramilitaire sioniste chargée de défendre les communautés juives en Palestine mandataire.
Un peu plus tard sera créée au Liban la Garde populaire, premier noyau de résistants communistes, afin de lutter contre les attaques sionistes sur les villages du sud. Le 16 septembre 1982, alors que l’armée israélienne pénètre dans Beyrouth, le PCL allié avec deux autres organisations de gauche, l’Organisation d’action communiste au Liban (OACL) et le Parti d’action socialiste arabe créent le Front de la résistance nationale libanaise, ou Jammoul selon l’acronyme arabe.
Abou Fayad est l’un de ceux-là. Autour d’un café au parfum de cardamome, l’homme de 72 ans à la silhouette élancée raconte, intarissable. Son père avant lui a affronté les Israéliens. Abou Fayad combat dès l’âge de douze ans, poussé par la perte douloureuse d’un oncle dans les combats. Il participe aux débuts de la Garde populaire dans son village de Kfarkila qu’il protège la nuit avec cinq personnes et deux mitraillettes de fortune. Par la suite, des Palestiniens réfugiés en Syrie et en Jordanie leur procureront des armes. Le regard vif l’homme, dont chaque ride du visage raconte les souvenirs d’une vie intense, se souvient : « Je faisais passer les armes par le mont Hermon et la région de Shebaa. Je devais repérer les positions des Israéliens en amont, c’était très dangereux ».
Cigarette aux lèvres, sous l’œil bienveillant de son épouse et d’une photo du Che, Abou Fayad explique qu’il est devenu chef de son groupe grâce à un entraînement de cinq mois avec l’armée libanaise, dans le but de se défendre contre les colons. Aguerri, il adhère l’année suivante au PCL et combattra jusqu’en 2006, lors de la guerre des 33 jours qui oppose le Liban à Israël.
À la prison d’Al-Khiyam, torture et humiliation
À Nabatiyeh, Nahida Homayed nous reçoit dans son salon réaménagé en atelier de couture. Dans la pénombre, l’unique fenêtre laisse filtrer un mince rayon de soleil. Entre deux gorgées de limonade maison, elle raconte avoir entendu le mot « communiste » pour la première fois à 11 ans lors d’une dispute entre deux voisines à Beyrouth. « Vous savez, au Liban c’est honteux d’être communiste », sourit-elle, un brin espiègle.
À 14 ans, la jeune fille adhère au PCL et distribue son journal quotidien Al-Nidaa. Puis vient le temps des combats. Nahida prend la route du sud, d’où elle planifie secrètement des opérations depuis sa maison. C’est là qu’elle est enlevée tôt un matin, devant chez elle, par des soldats de l’Armée du Liban Sud (ALS) : « Trois voitures sont arrivées et des soldats m’ont embarquée, sac sur la tête. Ils ne m’ont pas dit où ils m’emmenaient et je n’avais pas le droit de poser de questions. Je n’avais pas peur de mourir. Nous les communistes nous sommes prêts à ça psychologiquement ».
Après un court silence, Nahida reprend son récit. Son corps raidi et sa posture soudainement fermée trahissent son traumatisme. Destination : la prison d’Al-Khiyam, tristement célèbre pour les atrocités qui y sont commises. S’en suit une véritable descente aux enfers : interrogatoires de 72 h, intimidations, torture, tabassage jusqu’à perdre connaissance… Nahida se réveille dans une cellule avec neuf autres femmes. Tapotant nerveusement sa cigarette sur une étagère, elle ajoute, le ton grave :
« J’avais entendu parler de cette prison, mais lorsque je suis arrivée sur place, ça a été un choc. C’était inimaginable. Nous n’avions même pas de quoi nous protéger pendant nos règles, nos vêtements étaient tachés de sang ». Deux ans après son incarcération, Nahida est libérée après un échange de prisonniers. De cette période, elle affirme garder une grande fierté et reste déterminée : « S’ils viennent, je les attends ! » lance-t-elle dans un éclat de rire.
Un souvenir douloureux hante toujours les communistes libanais : celui des corps de disparus. Selon le PCL, ils sont 9 à ne jamais avoir été restitués à leurs familles. Tous sont morts dans des combats contre l’armée israélienne, et leurs familles n’ont de cesse de réclamer un fils, un frère ou un mari depuis plus de 30 ans. C’est le cas de Wissam Fouani, dentiste formée en Union soviétique et originaire de Kfar Remen, surnommé autrefois « Kfar Moscou » (« la banlieue de Moscou »), du fait de l’importante présence de combattants fidèles à l’URSS.
Elle nous reçoit chez elle, où des portraits de ses frères et sœurs trônent sur une table basse et côtoient un drapeau miniature du Parti et une photo du Che. Parmi les photos, celle de son frère, Faralajah Fouani, tué à 23 ans dans un affrontement avec l’ASL alors qu’il tentait de secourir l’un des siens. Sous la puissance de feu israélienne, impossible de récupérer son corps resté entre les mains de la milice libanaise dissoute en 2 000 lors du retrait israélien du Liban.
Rupture mortelle avec le Hezbollah
Unis par la résistance contre Israël et ses invasions récurrentes dans le sud, le PCL et le Hezbollah comptent toutefois de sérieuses divergences. Sur la route qui nous mène à la prison d’Al-Khiyam, l’ancien chef de la résistance du Sud-Liban (dont je tais le nom) nous rejoint. Lançant de temps à autre un regard furtif dans le rétroviseur, il revient sur les débuts difficiles entre les deux formations, sur fond de guerre civile : « Au départ, nous nous rencontrions dans des opérations, mais il n’y avait pas de coopération car nous, communistes, agissions dans le plus grand secret ». Après une entente manquée avec le Hezbollah, ce dernier noue finalement une alliance avec son ancien rival d’Amal ou Mouvement des déshérités créé par l’imam chiite libano-iranien Moussa Sadr.
Il poursuit : « S’en est suivi une série d’assassinats d’intellectuels, tous membres du PCL comme Khalil Nahous, Souheil Tawilé, Nour Toukan, Hussein Mroueh, Mahdi Amel. Ils souhaitaient avoir le monopole de la résistance ; de plus nous étions communistes, et donc athées. Eux, c’est comme s’ils vivaient pour Dieu ». Pour l’ancien chef de la résistance, emprisonné un an dans les geôles du mouvement chiite, il ne fait aucun doute qu’Amal était derrière ces assassinats ciblés. Mais le Hezbollah lui, en était le donneur d’ordre.
Assise sur le siège passager, Maro opine du chef. Elle aussi a été prisonnière du mouvement chiite pendant 40 jours. À partir de là, les communistes rompent tous leurs liens avec les deux mouvances chiites. « Aujourd’hui, seule la résistance nous lie. Nous sommes contre l’interventionnisme du Hezbollah en Syrie ou ailleurs. La résistance c’est au Liban, pas dans un pays qui n’est pas le nôtre », insistent-ils.
Les jeunes boudent le PCL
Interrogé sur les nombreux ralliements de communistes au parti chiite, l’ancien leader explique :« Beaucoup d’entre eux ont été influencés par leur communauté, surtout les jeunes qui ont des pressions des familles ou de leur entourage. En revanche d’autres sont seulement intéressés par la position et le travail que leur procure le mouvement ».
Interrogé à Beyrouth, Walid Charara, éditorialiste au journal Al-Akhbar et membre du Conseil consultatif pour les études et la recherche insiste lui sur le volet religieux :« L’islam a un potentiel important de résistance contre les occupations militaires et les oppressions, comme les expériences historiques l’ont démontré. L’islam est capable d’entraîner les masses dans la lutte. Dans un rapport de forces inégales, la partie la plus faible a besoin de mobiliser des ressources spirituelles et symboliques. Le Hezbollah a prouvé qu’il en était capable. »
Selon l’éditorialiste libanais, la révolution iranienne de 1979 a eu un impact déterminant. « Le régime du Shah était l’un des régimes les plus despotiques et autoritaires de la région. Que ce même régime soit renversé par une révolte populaire, la première du Proche-Orient qui réussit à renverser un régime aussi puissant, a fait l’effet d’un tremblement de terre. L’islam révolutionnaire permet de parler un langage que les masses populaires comprennent. »
Le temps de la reconquête
Sur le trajet embouteillé qui mène au siège du PCL, à Beyrouth, les stigmates des manifestations ornent les murs des bâtiments et le mobilier urbain. Parmi ces graffitis, le logo du Parti est fréquent et laisse deviner un regain de faveur pour la mouvance communiste, longtemps aux oubliettes de la politique libanaise.
Dans le soulèvement qui dure depuis octobre 2019 contre l’ensemble du personnel politique, le PCL entend jouer sa meilleure partition. Assis dans son bureau aux murs couverts de photos d’anciens leaders ou de théoriciens marxistes, son secrétaire général Hannah Gharib dresse le bilan des dernières semaines. « La gauche doit se renouveler, car elle est désormais en contact direct avec ces milliers de personnes, en particulier les jeunes qui viennent de tous les horizons. Le PCL est l’épine dorsale de la gauche libanaise, elle ne pourrait pas exister sans lui. Cela implique donc de grandes responsabilités, notamment pour le rassemblement de la gauche ».
Entre deux rassemblements populaires, le secrétaire général expose son plan de reconquête : arriver à un État démocratique et laïc, revendication phare des manifestants. Le PCL préconise l’adoption d’une nouvelle loi pour les élections législatives, de passer d’une économie rentière à un modèle productif, de promouvoir la protection sociale… la liste est longue.
Les ingérences extérieures sont également dans la ligne de mire d’Hanna Gharib : « Il y a une pression financière et économique américaine qui vise à mettre en œuvre « l’accord du siècle » et à piller nos richesses pétrolières et gazières au profit de l’ennemi israélien. Ce plan vise aussi à maintenir les Syriens déplacés sur le territoire libanais », faisant référence au plan Trump ainsi qu’aux récents travaux d’exploration et de forage qui doivent permettre de confirmer ou non le potentiel du Liban en termes d’hydrocarbures exploitables.
Le nouveau gouvernement du premier ministre Hassan Diab n’est pas épargné. Peu importe qu’il se revendique apolitique et technocrate :« Hassan Diab a adopté le budget approuvé par son prédécesseur Saad Hariri, qui est une continuation des politiques économiques et financières qui ont ruiné le pays ». Il poursuit : « Aujourd’hui 1 % de la population détient la moitié de la richesse nationale. L’écart de classe et les inégalités se sont creusés : les pauvres se sont appauvris, les services publics se sont détériorés, comme la santé, l’éducation, l’électricité, l’eau, les transports publics, les routes, les communications… jusqu’à atteindre des niveaux humiliants ».
Interrogé sur la perte d’influence du PCL au Liban ces dernières années, Hannah Gharib se justifie : « Au milieu des années 1980, le pays se trouvait dans une phase de grande confusion intellectuelle et politique. Parmi ces développements, il y a eu les assassinats semi-collectifs de chefs de parti et de cadres. Puis sont venues la confiscation et la perte d’indépendance du mouvement syndical à partir du milieu des années 1990, ainsi que la chute de l’Union soviétique ».
Aujourd’hui le secrétaire général se veut confiant, comptant sur l’engouement nouveau que les ralliements populaires du PCL suscitent. D’un ton serein, il affirme : « Notre parti a une histoire ancienne. Il a été fondé il y a 95 ans et était l’expression de la maturité révolutionnaire du Liban. À travers cet héritage et dans notre lutte quotidienne, nous construisons un avenir prometteur pour le parti ».
Meurtres, viols… Au Mozambique, des soldats protégeant TotalEnergies accusés d’atrocités
Les révélations sont glaçantes. Le média Politicoa publié le 26 septembre une enquête affirmant que des soldats mozambicains, qui travaillent pour un site de production de gaz naturel exploité par le groupe français TotalEnergies, ont enlevé, torturé, violé et tué des dizaines de personnes.
TotalEnergies est depuis 2019 l’opérateur principal d’un projet gazier au Mozambique particulièrement climaticide. Le terrain, situé au nord du pays dans une zone de conflits avec les rebelles islamistes, est protégé par de gigantesques clôtures de sécurité. Il est surveillé par « quelque 700 soldats mozambicains, commandos et policiers paramilitaires, payés, équipés et logés par Total », souligne l’enquête de Politico. La construction du projet a été mis à l’arrêt en 2021, date à laquelle les rebelles islamistes ont envahi la région, massacrant plus de 1 000 personnes.
La justice française avait déjà ouvert une enquête sur la gestion de TotalEnergies à la suite de la mort de sous-traitants lors de cette attaque. Mais l’enquête de Politico révèle aujourd’hui un second bain de sang, perpétré non pas par des islamistes mais par un commando mozambicain, dirigé par un officier qui a affirmé avoir pour mission de protéger « le projet de Total ».
Des hommes retenus dans des conteneurs pendant trois mois
Selon le média en ligne, à l’été 2021, des soldats ont enlevé des dizaines de villageois qui se cachaient dans la brousse pour échapper aux rebelles. Les militaires ont accusé les civils de faire partie des milices rebelles, avant de séparer les hommes (un groupe de 180 à 250 personnes) de leurs femmes et de leurs enfants. Les femmes ont été parfois violées, puis libérées au bout de quelques jours, tandis que les hommes ont été emmenés et entassés dans deux conteneurs situés de part et d’autre de l’entrée du site de production de gaz naturel de TotalEnergies. « Les soldats ont détenu ces hommes pendant trois mois. Ils les ont battus, affamés, torturés puis finalement exécutés. Seuls vingt-six prisonniers ont survécu », écrit Politico.
Les survivants décrivent des journées épouvantables, passées dans des conteneurs métalliques sans fenêtre, sous une chaleur de 30 °C. Ils affirment qu’ils n’avaient pas assez de place pour s’asseoir, ni d’endroit pour aller aux toilettes. Ils ont été privés d’eau et de nourriture pendant plusieurs jours. Un homme qui a tenté de s’enfuir « a été abattu et décapité », raconte un homme auprès de Politico, ce qui a dissuadé les autres de faire de même. Les hommes ont ensuite été emmenés par groupe, au fur et à mesure des jours, pour être exécutés à l’extérieur. Les survivants ont été libérés en septembre lorsqu’ils ont été découverts par l’armée rwandaise.
Le commando affirme défendre Total
Politico révèle qu’un brigadier anonyme du commando meurtrier a déclaré à la télévision publique du Mozambique, le 3 juillet, que sa mission était de défendre TotalEnergies. « L’ennemi est arrivé avec l’intention d’attaquer, d’entrer et d’occuper Afungi, le projet de Total. Nous avons avancé pour riposter à l’ennemi [qui] était encore dans la brousse et cherchait à s’abriter dans ses cachettes », a-t-il affirmé.
Interrogé par Politico, Maxime Rabilloud, directeur général de Mozambique LNG, la filiale de TotalEnergies dans le pays, a déclaré que son entreprise n’avait « aucune connaissance des événements présumés décrits » ni « aucune information indiquant que de tels événements ont eu lieu ».
Le colloque Victimes de 1944 en Bretagne sera centré sur les nombreuses victimes (résistants et maquisards, population civile) des derniers mois de l’Occupation, frappées par une répression de plus en plus féroce de l’armée allemande, des services policiers nazis et de leurs supplétifs étrangers, français ou bretons. Le sort des collaborateurs à la Libération ne sera pas non plus oublié.
9H30-10H00 : Christian Bougeard, Les trois temps de l’année 1944 en Bretagne
10H00-10H30 : QUESTIONS ET PAUSE
10H30-10H55 : Yannick Botrel, Occuper un pays militairement : moyens et méthodes de l’armée allemande en Bretagne
Seconde session (I) : victimes de 1944, une étude comparée
11H00-11H25 : Annie Pennetier-Surzur et Claude Pennetier, Fusillés, exécutés, massacrés, morts en action en Bretagne : bilan d’une enquête
11H25-11H55 : QUESTIONS
12H00-14H00 : DÉJEUNER
Seconde session (II) : victimes de 1944, une étude comparée
14H05-14H30 : Michel Chaumet, Dordogne 1944, une répression atypique ?
14h35-15H00 : Marie-Christine Hubert, Les victimes du nazisme en Normandie en 1944
15h00-15H30 : QUESTIONS ET PAUSE
Troisième session (I) : ébauche de typologie des victimes de la répression allemande en Bretagne
15H30-15H55 : Jean-Yves Guengant, Les forces de répression spécialisées dans la lutte anti-terroriste : SD et Kommando de Landerneau dans le Finistère, avril-août 1944
16h00-16H25 : Jean-Pierre et Jocelyne Husson, Les victimes de 1944 dans le Morbihan
16H30-16H55 : François Prigent, 1944, la Bretagne au prisme des terrains de sport : engagements, mémoires, ruptures
17H00-17H25 : Hervé Le Gall, 1944 en Morbihan, l’année de (presque) toutes les déportations
17H25 : QUESTIONS
Jour 2 : 25 octobre
Troisième session (II) : ébauche de typologie des victimes de la répression allemande en Bretagne
8H20-8H30 : ACCUEIL
8H30-8H55 : Gilles Grall, Saint-Pol-de-Léon, été 1944 : un sentiment de culpabilité permanente
9H00-9H25 : Pierrig Landrein, « Nul n’est propriétaire de la mémoire des disparus ». La fabrique mémorielle du maquis de Rohantic (1945-…)
9H25-9H55 : QUESTIONS
Quatrième session : victimes de l’épuration
10H00-10H25 : Marc Bergère, De quoi les épurés sont-ils « victimes » en Bretagne ? Retour sur les réalités et spécificités de l’épuration en Bretagne
10H25-10H45 : PAUSE
10H45-11H10 : Fabien Lostec, L’épuration des femmes en Bretagne : retour sur l’événement et sa mémoire
11H15-11H40 : Frédéric Le Moigne, Leurre victimaire. Mgr Serrand à la Libération
11H45 -12H10 : Sébastien Carney, Les victimes du mouvement breton (1944-aujourd’hui)
12H10-12H30 : QUESTIONS
12H30-14H00 : DÉJEUNER
Cinquième session : Enjeux mémoriels et reconnaissance
14H00-14H25 : Dimitri Poupon, Gouesnou, 7 août 1944, un massacre oublié ?
14h30-14H55 : Yann Celton, Les morts, la comtesse et le calice
14h55-15H15 : QUESTIONS ET PAUSE
15H15- 15H40 : Gildas Priol, Un chantier brestois d’histoire et de martyrologie : www.resistance-brest.net
15h45-16H10 : Isabelle Le Boulanger, L’expérience de la déportation : un fardeau qui se transmet
16H10-16H30 : QUESTIONS
16H30-16H45 : CONCLUSIONS
24-25 octobre 2024, UFR Lettres et Sciences humaines, salle B001, Brest.