islamophobie (anti-k)
Retour sur la Marche contre l’islamophobie
Entretien avec Omar Slaouti
Peux-tu d’abord rappeler comment la marche du 10 novembre contre l’islamophobie a été organisée et pourquoi ?
Il y a eu évidemment des éléments déclencheurs dans le contexte, dont le premier a été l’atten-tat contre la mosquée de Bayonne, mais aussi les propos racistes et humiliants d’un élu du RN au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté contre cette femme et son enfant, le vote au Sénat d’une loi contre des femmes musulmanes, la programmation par Macron d’une journée à l’Assemblée nationale consacrée à l’immigration, et enfin la programmation de Zemmour sur CNews alors qu’il a été condamné pour incitation à la haine raciale.
À voir l’ensemble, on a dans une même séquence une islamophobie qui émane de l’État, d’institutions politiques locales, des médias et d’un individu armé. Il y a une cohérence d’ensemble et pas simplement une juxtaposition d’actes. Lorsque la mosquée a été attaquée avec des personnes blessées, aucun premier couteau du gouvernement ne s’est déplacé sur les lieux. L’ensemble est chapeauté par la mise en place de « la société de vigilance » faisant des musulmans et musulmanes, des ennemi-es de l’intérieur et qu’il faudrait débusquer dans tous les espaces publics et privés.
Il fallait réagir. Nous nous sommes retrouvés à une trentaine à Saint-Denis dans une réunion présidée par un élu de la ville, Madjid Messaoudène, et en trois semaines, on n’a fait au final que répondre à une demande massive de mobilisation, tant les douleurs chez les premiers et premières concerné·e·s étaient profondes.
Il fallait urgemment collectiviser et politiser ces douleurs ; c’est ici que les initiateurs (dont le CCIF et La plateforme : Les Musulmans) de l’appel paru dans Libé ont joué un rôle fondamental et, on espère, fondateur. Nous avions une boussole bien orientée mais nous voulions, tout en étant inclusif dans la démarche, que ce soient les victimes directes de ces attaques qui tiennent la boussole.
Quel bilan tires-tu de cette marche ? En quoi est-elle « historique » comme l’ont dit bon nombre d’intervenant·e·s à la tribune ?
Là, pardon, les réponses des premiers concernés sont unanimes et balayent d’un souffle toutes les pseudo-analyses de « journalistes » à la Roufiol. Ce qu’on entend en direct dans nos famil-les, parmi nos collègues de travail, nos ami·e·s et ce qu’on lit sur les réseaux sociaux, c’est juste un immense retour de dignité.
Que les choses soient claires : lorsque sur quasiment toutes les ondes à presque toute heure de la journée, votre religion est jeté en pâture sur la place publique par et à des éditocrates, médias, intellectuels aux canines acérées, les blessures sont profondes. Les troubles psychia-triques dans nos quartiers ont à voir avec la violence d’un système raciste.
Des polémiqueurs vendeurs de haine ont reproché aux organisateurs, et à l’un d’entre nous en particulier, d’avoir prononcé au micro « Allah Akbar ». Rien d’étonnant, que beaucoup reprirent en cœur « Alla hAkbar ». Aucune volonté de provocation, mais juste pendant un instant, commu-nier ensemble, partager y compris avec des non-musulmans cette respiration d’humilité et pas d’humiliation.
Autre constat qualitatif, la grande majorité des lanceurs d’alerte contre l’islamophobie présents ce jour-là sont des quartiers populaires, beaucoup de confession ou de culture musulmane. Pour autant, d’autres étaient présents pour affirmer avec eux leur solidarité contre toutes les formes de racisme et pour rappeler en même temps que le problème, ce ne sont pas les musulmans mais les inégalités sociales. On a pu voir ainsi des Gilets Jaunes et notamment des porte-paroles.
Il fallait entendre les mots d’ordre, mais bien plus encore lire les pancartes confectionnées en famille où il n’était question que d’égalité et même de redistribution des richesses. Ce qui me fait dire que dans cette période de montée de nationalismes haineux, de divisions au sein même de notre classe sociale, il y a un espoir si on assume collectivement l’autonomie organisationnelle par les victimes d’une oppression donnée, non pas comme un but en soi, mais comme un outil pour se battre ensemble à égalité de regards contre ce système inégalitaire.
Après nous étions au moins 40 000 manifestants avec une majorité de manifestantes. Un nombre qui donnerait envie à des structures dites antiracistes comme SOS Racisme absent. Un constat qui révèle le positionnement politique d’une structure et qui n’a aucune prise, ni légitimité parmi les victimes du racisme structurel.
Comment analyses-tu le ralliement à cette initiative de l’essentiel de la gauche réformiste et révolutionnaire mais aussi des syndicats (du moins la CGT et Solidaires) ?
Tout d’abord, avant l’analyse, il faut s’en féliciter ! Mais dire aussitôt qu’au sein de ces différentes structures les postures sont parfois partagées, et que certains se réfugient dans une attitude abstentionniste préférant commenter l’histoire plutôt que de s’y frotter.
Les délires sémantiques sur le terme « islamophobie » sont juste une discussion de salon pseudo-intellectuelle indécente. Comme si l’essentiel eût été dans les années 1930 de disputer les termes « judéophobie » et « antisémitisme », au lieu de se battre contre la fascisation de la société.
La situation est jugée inquiétante par chacune de ces organisations, qui ont bien compris que les gouvernements en place en Occident montrent du doigt les migrants et les musulmans, alors qu’ils sont eux-mêmes à l’origine des crises économiques, sociales, écologiques, institutionnel-les. S’attaquer au Capital implique de s’attaquer aussi aux discours racialisants.
Ensuite, certains, disent que la posture de cette gauche signataire de l’appel contre l’islamopho-bie est opportuniste et que le fond de leur présence réside dans le potentiel de voix que repré-sentent les quartiers populaires, pour ne pas dire les musulmans, pour les prochaines élections. Si tenir un discours antiraciste et pour l’égalité est suspecté de clientélisme, perso je suis client !
Est-ce que cela peut constituer une 1re étape dans la constitution d’un front social et politique contre l’islamophobie, et même au-delà ? Quels en sont les obstacles ?
Les luttes antiracistes ne sont pas hermétiques aux autres luttes du moment et les mobilisations des Gilets Jaunes du samedi résonnaient en ce dimanche. La réciproque est vraie et la mobili-sation contre les violences sexistes et sexuelles, celle à venir du 5 décembre pour la défense de nos conquêtes sociales, ont vu et verront des pancartes, des banderoles, des slogans, des militants et militantes résolument antiracistes.
La période est traversée par des crises multiples, une inflation qualitative du racisme distillée du sommet vers les peuples et des résistances sociales. Nous sommes à la croisée des chemins, soit une fascisation de la société, soit un renversement du rapport de force en notre faveur pour l’égalité, toutes les égalités sociales.
Ce qui est certain, c’est que notre collectif y travaille et que nous allons nous retrouver avec un maximum de signataires pour envisager les suites de notre mobilisation. (Résumé)
Le 10 novembre dernier, une marche historique contre l’islamophobie a réuni, pour la première fois, des dizaines de milliers de manifestant·e·s, qui ont reçu le soutien de l’essentiel de la gauche sociale et politique. Le militant antiraciste Omar Slaouti a été l’un des organisateurs de cette marche ; après être revenu sur le contexte qui a motivé cette initiative, il en tire un premier bilan, revient sur les attaques médiatiques et politiques dont elle a fait l’objet, et en interroge les perspectives.
Propos recueillis par Ugo Palheta 2019-11-27