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11 septembre 2024 ~ 0 Commentaire

Algérie (Inprecor)

 

Algérie (Inprecor) dans Altermondialisme

Le peuple algérien réitère son rejet du régime militaire

Malgré la confusion qui a accompagné l’annonce des résultats des récentes élections présidentielles en Algérie, une chose est claire et certaine : le peuple algérien rejette massivement le régime militaire, après avoir consacré son Hirak il y a cinq ans à exiger la fin de ce régime et son remplacement par un pouvoir civil démocratique.

En effet, la confusion elle-même est une conséquence directe de ce fait, qui a émergé à travers le véritable enjeu de ces élections, personne n’ayant le moindre doute quant à la victoire du candidat de l’institution militaire, Abdelmadjid Tebboune.

Ce qui était vraiment en jeu, c’était l’ampleur de la participation du peuple algérien à ces élections, par rapport aux précédentes organisées fin 2019, que l’institution militaire avait imposées face au rejet et au boycott du Hirak. Le résultat ne fut pas alors celui escompté par les militaires, puisque le taux de participation fut inférieur à 40% (39,51% pour être exact, avec 9 755 340 personnes ayant voté, selon les chiffres officiels, sur 24 474 161 inscrites). Ce faible taux de participation s’est produit alors que les autorités avaient permis une plus grande diversité des candidats, avec cinq candidats en lice en 2019.

Quant aux élections de samedi dernier, le taux de participation y a été inférieur à celui de 2019, qui était lui-même inférieur aux chiffres officiels des élections précédentes. Selon le décompte officiel, le nombre total de votes exprimés samedi dernier pour les trois candidats en lice n’a été que de 5 630 196, une baisse importante par rapport au total des votes exprimés il y a cinq ans, tandis que le nombre des inscrits était presque inchangé (24 351 551), de sorte que le taux de participation est tombé à 23,12% seulement !

La tentative du chef de l’Autorité nationale « indépendante » des élections, Mohamed Charfi, de camoufler la défaite du gouvernement en affirmant que le taux de participation « moyen » était de 48 %, chiffre obtenu en divisant le taux de participation par le nombre de circonscriptions électorales (comme dire que le taux de participation moyen entre 10 % dans une ville de 100 000 électeurs et 90 % dans une ville de moins de 1 000 électeurs est de 50 %) a échoué au point que la propre campagne de Tebboune a dû protester contre la confusion ainsi causée.

Face à cette défaite politique désastreuse, les 94,65% des voix obtenues par Abdelmadjid Tebboune, selon les chiffres officiels, semblent bien maigres, sans parler du fait que les deux autres candidats n’ont pas tardé à accuser les autorités d’avoir falsifié les résultats.

Selon le décompte officiel, Tebboune a reçu 5 329 253 voix, contre 4 947 523 en 2019, soit une légère augmentation. Mais contrairement à certains commentaires qui ont vu dans le pourcentage obtenu par Tebboune une imitation de la tradition bien connue des dictatures régionales, qui exige d’accorder au président plus de 90% des voix, le pourcentage de 94,65% aux dernières élections algériennes n’a pas été combiné avec un taux de participation élevé comme c’est généralement le cas dans les dictatures, que ce soit en falsifiant les chiffres ou en imposant la participation à la population, ou les deux.

Au contraire, la faible participation a confirmé que le Hirak de 2019 – même si le régime militaire et les services de sécurité ont pu l’écraser par la répression et les arrestations arbitraires, saisissant initialement l’opportunité offerte par la pandémie de Covid en 2020 et poursuivant la même approche jusqu’à ce jour – le Hirak est toujours vivant comme un feu sous les cendres, attendant une occasion de s’enflammer à nouveau.

Il ne fait aucun doute que l’establishment militaro-sécuritaire au pouvoir considérera le résultat des élections comme une source d’inquiétude, surtout qu’il s’est produit bien que le gouverne-ment ait augmenté les dépenses sociales avec lesquelles il tente d’acheter l’assentiment du peuple, en profitant de la hausse des prix des hydrocarbures et de l’augmentation de ses revenus qui s’en est suivie, avec le besoin européen croissant de gaz algérien pour compenser le gaz russe.

Les hydrocarbures représentent en effet plus de 90% de la valeur des exportations algériennes, un pourcentage bien plus important que tous les pourcentages électoraux, car il indique l’échec lamentable des militaires à industrialiser le pays et à développer son agriculture, un objectif qu’ils ont déclaré prioritaire depuis qu’ils ont pris le pouvoir en 1965 sous la houlette de Houari Boumediene, notamment après la nationalisation du secteur des hydrocarbures en 1971.

Il est à craindre que la réaction de l’institution au pouvoir à son échec politique évident ne se traduise par une nouvelle restriction des libertés et ne conduise le pays sur la voie traditionnelle des dictatures régionales, avec davantage de fraude électorale, au lieu de répondre au désir clair du peuple algérien de voir les militaires retourner dans leurs casernes et faire place à un gouvernement civil démocratique issu d’élections libres et équitables.

Au contraire, des faits indiquent que le pays suit le modèle égyptien en élargissant le champ d’intervention de l’institution militaire dans la société civile, comme en témoigne la décision prise par la présidence au début de l’été de permettre aux officiers de l’armée d’occuper des postes dans l’administration civile sous prétexte de bénéficier de leurs qualifications.

En fin de compte, des deux vagues de soulèvements qu’a connues la région arabophone (il y a aussi plusieurs zones « berbère » ou « kabyle » ) en 2011 et 2019, les régimes en place n’ont tiré que des leçons répressives en resserrant leur emprise sur les sociétés.

Ce faisant, ils ne font qu’ouvrir la voie à des explosions encore plus grandes et plus dangereuses que ce que la région a connu jusqu’à présent, alors que la crise économique et sociale structurelle qui a constitué la base des deux vagues révolutionnaires précédentes continue de s’aggraver et s’aggravera inévitablement tant que les régimes de tyrannie et de corruption resteront en place.

11 septembre 2024 par Gilbert Achcar

https://inprecor.fr/

Traduction de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est paru le 10 septembre en ligne et dans le numéro imprimé du 11 septembre. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

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04 septembre 2024 ~ 0 Commentaire

Hypocrisie ( Inprecor )

Hypocrisie ( Inprecor ) dans Altermondialisme
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Hypocrisie : le conflit des faucons et des vautours sionistes

Sur quoi porte le conflit au sein de l’élite sioniste du pouvoir ?

N’allez pas croire qu’il s’agit d’un conflit entre faucons et colombes comme le dépeignent les médias occidentaux.

Non, ne croyez même pas que les masses israéliennes qui manifestent pour exiger un accord menant à un nouvel échange de captifs entre leur gouvernement et le Hamas, cherchent en majorité à mettre fin à la tragédie de Gaza et à en retirer l’armée d’occupation.

Non, comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, l’armée sioniste ne se retirera pas de la bande de Gaza une deuxième fois, puisque même les « modérés » dans ses rangs croient qu’un nouveau retrait signifierait une répétition de la même erreur.

Le conflit politique israélien n’est pas entre ceux qui appellent à un retrait complet de la bande de Gaza et ceux qui insistent pour y rester, mais plutôt entre l’extrême droite, qui appelle à l’annexion de la bande de Gaza à l’État sioniste en expulsant la plupart de ses habitants de la majeure partie de son territoire et en les remplaçant par des colons juifs, et le « centre » sioniste qui se rend compte que le prix de l’annexion et de l’expulsion est plus élevé que ce que son État peut supporter, et préfère donc adhérer au cadre du « Plan Allon » de 1967 qui régit la situation en Cisjordanie, où Israël contrôle des sites stratégiques et des routes entourant les zones de concentration de la population palestinienne.

En d’autres termes, le conflit politique au sein de l’élite du pouvoir sioniste, comme nous l’avons déjà dit, n’est pas entre faucons et colombes, mais entre faucons et vautours.

C’est le cas du conflit entre Benyamin Netanyahou et le « centre » sioniste, qui comprend les partis d’opposition au gouvernement actuel, ainsi qu’une minorité du Likoud lui-même, représentée dans le gouvernement par le ministre de la Guerre Yoav Galant.

La presse israélienne a rapporté la récente confrontation qui s’est déroulée lors d’une réunion du cabinet entre Galant et Netanyahu, en soulignant que le ministre exprimait le point de vue des appareils militaires et sécuritaires. Quel était l’objet de la confrontation ? La discussion a porté sur l’accord de cessez-le-feu que Washington, avec l’aide du Caire et de Doha, cherche à conclure entre le gouvernement et le Hamas.

Nous avons mis en garde dès le début contre toute illusion que cet accord pourrait mettre fin à l’occupation israélienne de Gaza, soulignant que le principal enjeu du point de vue israélien est l’acceptation d’une trêve temporaire avec un retrait limité des forces d’occupation de certaines parties de la bande de Gaza, afin de permettre la libération de la majorité des personnes détenues par le Hamas, et cela avant de poursuivre l’agression pour chercher à réaliser pleinement ses objectifs. Dans ce contexte, nous avons décrit le dilemme de Netanyahu comme suit :

« Ce dernier est pris entre deux feux dans la politique intérieure israélienne :

le feu de ceux qui appellent à donner la priorité à la libération des Israéliens détenus à Gaza, naturellement menés par les familles des détenus, et le feu de ceux qui rejettent toute trêve et insistent pour poursuivre la guerre sans interruption, menés par les ministres les plus extrémistes de l’extrême droite sioniste.

La plus grande pression à laquelle Netanyahu est exposé vient de Washington. Elle coïncide avec les souhaits des familles des prisonniers israéliens dans la quête d’une trêve “humanitaire” de quelques semaines qui permettrait à l’administration Biden de se montrer soucieuse de paix et préoccupée par le sort des civils, après qu’elle a été et reste coresponsable à part entière de la guerre génocidaire que mène Israël, qu’il n’aurait d’ailleurs pas été en mesure de mener sans le soutien militaire des États-Unis. »

Ce qui précède a été publié il y a exactement quatre mois (« La partie de poker entre le Hamas et Netanyahu », 7 mai 2024) et rien n’a changé dans l’équation politique depuis lors.

L’administration Biden doit encore réaliser quelque chose qui prouve sa bonne foi devant l’opinion publique américaine et internationale, et cela est maintenant devenu un besoin de la campagne électorale de Kamala Harris en faveur de laquelle Biden s’est retiré de la course.

Le « centre » sioniste est toujours désireux de créer une opportunité de libérer le plus grand nombre possible d’otages, d’autant plus que la pression populaire en ce sens implique principalement ses partisans. Cependant, ils sont tous d’accord sur le maintien du contrôle israélien sur Gaza à long terme. Ils diffèrent sur la forme et l’étendue du contrôle, et non sur son principe.

Il n’y a pas de preuve plus claire de la vérité du désaccord entre Galant et Netanyahou que ce que le ministre de la Guerre est reporté avoir dit lors de la réunion du cabinet sioniste au cours de laquelle les deux hommes se sont affrontés.

La discussion a porté sur la demande du Hamas, soutenue par Le Caire, de retrait de l’armée d’occupation du « couloir de Philadelphie » à la frontière entre Gaza et l’Égypte.

Alors que l’armée et les appareils de sécurité sionistes sont favorables à ce retrait, l’extrême droite sioniste représentée au cabinet le rejette catégoriquement et menace de dissoudre sa coalition avec Netanyahou s’il acceptait l’accord, ce qui forcerait de nouvelles élections qui pourraient mettre un terme définitif à la carrière politique de ce dernier.

Nous avons donc vu Netanyahou s’accrocher à sa position de refus du retrait du couloir frontalier avec des arguments de sécurité qu’aucun membre de l’élite du pouvoir sioniste ne peut réfuter, car ils savent tous que des armes et du matériel de construction de tunnels sont entrés dans la bande de Gaza depuis le Sinaï égyptien et ils n’ont aucune confiance dans la partie égyptienne en ce qui concerne la surveillance du couloir, ni  d’ailleurs en n’importe qui d’autre.

La réponse de Galant et de l’opposition sioniste n’a pas été qu’il n’était pas nécessaire qu’Israël contrôle le couloir.

Au lieu de cela, certains se sont appuyés sur la proposition des services de sécurité d’effectuer une surveillance électronique de la bande frontalière sans déploiement permanent de troupes israéliennes, tandis que Galant a résumé le désaccord entre lui et Netanyahu, selon ce qui a été rapporté par les médias israéliens, comme un choix « entre la vie des otages ou rester dans le couloir de Philadelphie pendant six semaines ».

En d’autres termes, selon Galant, il ne s’agit que d’un retrait du corridor durant six semaines, pour permettre la libération de la plupart des personnes détenues par le Hamas, sachant que l’armée d’occupation reprendrait le contrôle direct de la frontière après l’achèvement de la première étape de l’accord souhaité par Washington.

Tout le monde sait que la deuxième étape hypothétique de cet accord, qui porte sur le retrait complet de l’armée d’occupation de la bande de Gaza, ne se produira jamais. Ils sont tous hypocrites.

Traduction de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est paru le 3 septembre en ligne et dans le numéro imprimé du 4 septembre. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

4 septembre 2024 Gilbert Achcar

https://inprecor.fr

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01 septembre 2024 ~ 0 Commentaire

VENEZUELA ( LINKS)

VENEZUELA ( LINKS) dans A gauche du PS

Élections présidentielles au Venezuela : Tentative de coup d’État ou fraude ?

Écrivain, militant, sociologue et directeur du Centre d’études pour la démocratie socialiste, Reinaldo Antonio Iturriza López revient dans cet entretien réalisé par Federico Fuentes pour LINKS International Journal of Socialist Renewal sur les récits concurrents – et insatisfaisants – qui entourent l’élection présidentielle du 28 juillet au Venezuela.

L’élection présidentielle du 28 juillet semble être une répétition des élections précédentes, l’opposition dénonçant à nouveau des fraudes et le gouvernement dénonçant une fois de plus une tentative de coup d’État. Quelle est votre analyse ?

Permettez-moi tout d’abord de rappeler les analyses typiques qui sont faites à chaque fois qu’une élection a lieu au Venezuela. En règle générale, le point de départ – étayé par des preuves factuelles – est que chaque campagne voit s’affronter deux camps antagonistes : l’ensemble des forces alignées sur le programme de la révolution bolivarienne contre l’ensemble des forces qui s’y opposent.

À partir de là, les interprétations varient quant aux raisons pour lesquelles le premier camp est au pouvoir depuis 25 ans. Une partie de la gauche a tendance à considérer les victoires successives du chavisme comme la preuve de l’énorme capacité de résistance de sa base et de l’incontestable capacité politique de sa direction à neutraliser les attaques de l’impérialisme et à empêcher les forces les plus réactionnaires de revenir au pouvoir.

De son côté, la droite construit un récit selon lequel le maintien au pouvoir du chavisme ne peut s’expliquer que par son caractère autoritaire : toutes ses victoires électorales seraient forcément sujettes à caution ou dépourvues de légitimité et résulteraient de la manipulation des masses par le gouvernement, de l’utilisation abusive des ressources publiques lors des campagnes électorales et de la discrimination généralisée des leaders de l’opposition, ou encore de la fraude.

Une autre partie de la gauche reprend à son compte certains de ces points de vue pour se dissocier du chavisme, qu’elle considère comme autoritaire, irrespectueux du principe de l’alternance démocratique, usant de manœuvres contre l’opposition, réprimant les manifestations publiques, restreignant les libertés, contrôlant les institutions et portant la responsabilité des dérives économiques.

En réponse, la partie de la gauche qui a une évaluation plus positive de la révolution bolivarienne a tendance à dénoncer le système de deux poids, deux mesures qui prévaut lorsqu’il s’agit du Venezuela. Elle souligne que ce qui est identifié comme des erreurs, des faiblesses ou des excès du chavisme au pouvoir est considéré comme normal dans n’importe quel autre pays démocratique – sans même parler du silence lorsqu’il s’agit de sociétés soumises à des régimes véritablement dictatoriaux ou face au génocide à Gaza, par exemple.

Tels sont les faits et les différentes interprétations de ces faits, exposés de manière très résumée. Périodiquement, des élections ont lieu au Venezuela où des courants différents s’affrontent. Ensuite, une fois les résultats connus, nous passons à la phase de débat sur ce qui s’est passé, sur la base d’évaluations fondées sur des convictions politiques préexistantes. C’est normal, c’est comme cela que ça s’est passé et, en principe, tout indique que ça va continuer comme ça. Il ne semble donc pas utile d’essayer d’expliquer ces différentes interprétations, car nous savons déjà qu’elles ne font que refléter des positions politiques préexistantes, etc.

Si l’on veut vraiment comprendre ce qui se passe au Venezuela, il faut plutôt partir de ce qui s’est réellement passé, c’est-à-dire des faits incontestables. Comme il s’agissait d’une élection présidentielle, nous devons non seulement nous intéresser aux forces politiques en présence – ce qui inclut, bien sûr, l’influence pernicieuse exercée par l’impérialisme américain – mais aussi et surtout au détenteur de la souveraineté populaire, c’est-à-dire aux citoyens.

Le premier fait à garder à l’esprit est que les Vénézuéliens qui ont voté le 28 juillet l’ont fait dans un contexte de profonde crise de la représentation politique. D’une manière générale, la classe politique est dans le pire état qu’elle ait connu au cours des 25 dernières années.

D’une part, nous avons une classe politique anti-chaviste plombée par le poids accumulé des défaites successives, vilipendée par sa base sociale, en proie à ses propres contradictions, sans direction incontestée et fédératrice, avec peu de clairvoyance stratégique, sous la férule du gouvernement américain, et qui paie le prix de ses dérives anti-démocratiques qui ont dilapidé tout son capital politique.

D’autre part, nous avons une classe dirigeante qui est également en proie à ses propres contradictions. Cela a généré un conflit interne dans lequel les tendances les plus conservatrices et pragmatiques l’ont emporté et ont imposé ce que le marxiste italien Antonio Gramsci a appelé l’anti-programme de la révolution passive. La classe ouvrière a alors cessé de constituer l’épine dorsale du bloc de forces au pouvoir.

Depuis la défaite de la classe dirigeante aux élections législatives de 2015 (un signe clair de la fracturation de ce bloc hégémonique national et populaire), mais surtout à partir de septembre 2018 (lorsqu’elle a commencé à mettre en œuvre un programme économique d’un monétarisme orthodoxe), cette classe a tenté de recomposer son bloc dirigeant par le haut avec des fractions de la classe capitaliste.

Ce processus a créé les conditions d’une désintégration progressive de sa force politique qui lui venait d’en bas. Au cours de la dernière décennie, d’énormes contingents de ce qui était autrefois la base ouvrière du gouvernement se sont désaffiliés du chavisme.

Une partie importante de la société vénézuélienne se trouve à nouveau dans une « situación de vaciamiento ideológico » (situation de vide idéologique), pour reprendre une expression du marxiste bolivien René Zavaleta Mercado. Ce phénomène avait disparu du pays depuis les années 1990 et, il faut le souligner, il s’agissait d’un problème politique de premier ordre que le chavisme a réussi à résoudre.

Quelles sont les implications de tout cela pour les élections présidentielles du 28 juillet ? Tout d’abord, il est évident que les deux forces se sont lancées dans la campagne avec des bases sociales profondément affaiblies. Deuxièmement, le changement stratégique opéré par la classe dirigeante implique la remise en question d’un fait autrefois considéré comme acquis, à savoir que les élections sont un affrontement entre deux projets historiques opposés. Le débat programmatique a été pratiquement absent tout au long de la campagne.

Troisièmement, et en lien direct avec le point précédent, un important contingent de citoyens – ceux qui se trouvent dans une « situation de vide idéologique » – a exercé son droit de vote alors qu’il ne se sentait représenté par aucun candidat. Enfin, une part considérable du vote en faveur du candidat de l’opposition ne traduisait pas une identification avec l’anti-chavisme mais était fondamentalement un vote contre le gouvernement. L’inverse est également vrai : une partie du vote pour le candidat officiel n’était pas l’expression d’un soutien au gouvernement, mais plutôt d’un refus d’une victoire possible de l’ultra-droite.

Il est important de souligner que, dans une telle situation, il était crucial que l’arbitre électoral ne laisse aucune place au doute quant au résultat, en garantissant la réalisation des opérations de vérification requises et en publiant les résultats répartis par bureau de vote. Non seulement cela n’a pas eu lieu, mais les explications du Conseil national électoral (CNE) sur les raisons pour lesquelles il n’a pas été en mesure de remplir ses fonctions – à savoir un piratage du système de vote – ont été franchement insuffisantes, c’est le moins que l’on puisse dire.

Tout cela signifie que les interprétations habituelles sont totalement inadéquates pour évaluer ce qui s’est passé au Venezuela depuis le 28 juillet. Elles reposent, au mieux, sur des lectures superficielles et, au pire, sur une méconnaissance totale de ce qui s’est passé ces dernières années en termes d’équilibre des forces politiques.

Il est également manifeste qu’au-delà des versions opposées des événements (fraude ou tentative de coup d’État), nous nous trouvons dans une situation où le doute raisonnable, et avec lui un véritable sentiment de malaise, s’est installé au cœur de la société vénézuélienne. Les manifestations populaires du 29 juillet en sont le résultat direct. Il ne fait aucun doute que les deux camps ont cherché à peser sur le cours des événements de ce jour-là : l’un en cherchant à capitaliser sur le mécontentement et à attiser la violence, l’autre en imposant l’ordre. Nous pouvons clairement affirmer qu’aujourd’hui, l’ordre règne au Venezuela, même si des doutes subsistent et qu’un sentiment de malaise demeure.

Selon vous, pourquoi le CNE et le gouvernement n’ont-ils pas encore publié les résultats du vote et les feuilles de décompte ? Que pensez-vous de l’arrêt de la Cour suprême (TSJ) ?

Il convient de rappeler les mots exacts du dirigeant du conseil électoral, Elvis Amoroso, lorsqu’il a communiqué le premier bulletin officiel aux premières heures du 29 juillet. Il a déclaré : « Les résultats bureau de vote par bureau de vote seront disponibles sur le site web du Conseil National Electoral dans les prochaines heures, comme cela a toujours été le cas, grâce au système de vote automatisé. De même, les résultats seront remis aux organisations politiques sur CD, conformément à la loi ». Comme je l’ai déjà dit, non seulement cela n’a pas eu lieu, mais les explications ont été franchement insuffisantes.

J’ajouterai que la publication des résultats de manière détaillée et vérifiable n’est pas seulement une question technique, c’est une question de fond : nous parlons de quelque chose qui est à la fois une obligation de l’arbitre électoral et une chose à laquelle a droit le peuple vénézuélien, qui a le sentiment que ce droit lui a été volé. La situation n’a pas changé à la suite de la décision du TSJ, qui a validé les résultats du CNE tout en l’invitant à les publier conformément à la loi, c’est-à-dire dans les 30 jours suivant la nomination officielle du nouveau président de la République.

Comment voyez-vous le rôle qu’ont joué les gouvernements latino-américains ?

Je voudrais mettre l’accent sur le rôle joué par les gouvernements colombien, brésilien et mexicain. À mon avis, ils sont véritablement motivés par la volonté de jouer un rôle de médiateur entre les parties en présence, tout en accordant la priorité à la reconnaissance de la volonté du peuple. Leurs déclarations publiques ont été marquées, du moins jusqu’à présent, par le bon sens, ce qui me semble essentiel à l’heure actuelle. Je crois qu’il est juste de souligner la nécessité d’une « publication en toute transparence de résultats ventilés et vérifiables ». Une telle position est conforme aux intérêts de la majorité de la classe ouvrière de notre pays.

Avec un peu de recul, comment en sommes-nous arrivés à cette situation ? Plus précisément, comment qualifieriez-vous la voie suivie par le gouvernement de Nicolas Maduro au cours des dernières années ?

J’ai fourni quelques éléments de contexte importants pour nous aider à comprendre comment nous en sommes arrivés à la situation actuelle. Mais j’aimerais ajouter ce qui suit : Je comprends parfaitement pourquoi les impacts du blocus économique impérialiste sur le Venezuela sont si souvent invoqués pour expliquer l’agitation populaire. Qui plus est, je dirais que la raison en est évidente : en effet, ce blocus a multiplié de façon exponentielle les maux infligés à la population par la crise économique qui sévissait antérieurement, par exemple, à la mise en application des premières sanctions imposées à Petróleos de Venezuela en août 2017.

Nous parlons de mesures punitives et illégales qui visaient à accélérer l’effondrement de l’économie nationale et, pour dire les choses crûment, à engendrer des souffrances humaines et des morts. Confrontée à ces conditions, à une situation aussi extrême, une société comme celle du Venezuela – qui a vécu des années de politisation intense – mettra naturellement en balance les dommages causés par ces attaques et les décisions prises par les dirigeants politiques pour les contrer. Si l’on peut dire que quelque chose est profondément ancré dans la culture politique du citoyen vénézuélien moyen, c’est la conviction que ses dirigeants politiques doivent assumer leurs responsabilités face à de tels défis – Hugo Chávez a joué un rôle fondamental à cet égard.

La façon dont la classe dirigeante a fait face à ces difficultés a été de construire un récit selon lequel il n’y avait pas d’alternative aux mesures qu’elle a finalement adoptées, par exemple dans le domaine de la politique économique.

C’était le premier mauvais signal. En d’autres termes, aucun espace n’a été laissé aux délibérations publiques, aux débats contradictoires sur les différentes options, pour la simple raison qu’il n’y avait qu’une seule option. Et si la seule et unique option remettait en question les objectifs stratégiques de la révolution bolivarienne elle-même ? Manque de chance. Une fois cette logique installée au sein de la classe dirigeante, la seule solution pour contrôler l’hyperinflation, pour ne citer qu’un exemple, a été l’ensemble des mesures appliquées à partir de septembre 2018 : réduction drastique des dépenses publiques, dévaluation des salaires à un niveau historiquement bas, versement des rémunérations de la classe ouvrière sous forme de primes, etc.

Cette séquence d’événements qui ont entraîné un appauvrissement matériel (qui est toujours, en même temps, un appauvrissement spirituel et qui affecte radicalement les liens sociaux), combinée à un blocus impérialiste qui a amplifié de manière exponentielle l’appauvrissement matériel, et à l’appauvrissement politique résultant de l’exclusion de toute alternative pour faire face à la situation, le tout suivi d’un nouvel appauvrissement matériel, contribue à expliquer, au moins partiellement, le fait très grave qu’une partie importante des citoyens est allée jusqu’à considérer l’ultra-droite vénézuélienne comme une option politique valable.

Quelle(s) position(s) les forces politiques de la gauche radicale ont-elles adoptée(s) à l’égard des élections ? Quelles sont les possibilités de renforcer la gauche dans le contexte actuel ?

Je peux vous répondre en fonction de l’orientation de mes propres activités : il y a beaucoup de possibilités, et nous travaillons à les multiplier. Nous essayons de créer des espaces pour analyser la situation sur la base d’un minimum de rigueur intellectuelle et d’honnêteté. Dans ces espaces, nous essayons de sauver de l’oubli les aspects les plus précieux des traditions de la gauche révolutionnaire vénézuélienne, en cherchant à garantir leur transmission à la génération suivante, afin que ceux qui arrivent au militantisme ne considèrent pas qu’ils doient repartir de zéro. Il y a une énorme quantité de luttes et de connaissances qui peuvent nous éclairer sur ce que nous avons à faire aujourd’hui et à l’avenir.

Nous traversons incontestablement une période particulièrement difficile, mais ce ne sera ni la première ni la dernière fois que nous serons confrontés à une telle situation. Nous n’établissons pas seulement des liens avec des activistes dans de nombreuses régions du pays (et en dehors du Venezuela), mais nous nous efforçons également de mettre en place une structuration politique plus efficace.

En outre, nous sommes convaincus que, quelles que soient les circonstances, la gauche révolutionnaire ne peut en aucun cas se permettre de se concevoir comme un ghetto, comme une poignée d’activistes qui proposent des témoignages de luttes sacrificielles, et tout ce qui s’ensuit.

Comme nous l’a enseigné [le révolutionnaire vénézuélien] Alfredo Maneiro, la solution aux problèmes fondamentaux du pays passe par la gauche, mais aussi au-delà d’elle. La gauche révolutionnaire doit pouvoir parler à la majorité de la classe ouvrière et se faire remarquer par sa vocation à exercer le pouvoir, comme l’a expliqué Chávez.

Face à une situation confuse qui ressemble à un labyrinthe politique sans issue apparente, je crois que l’heure est à la retenue et à la force de caractère. Les actions motivées uniquement par l’indignation morale conduiront invariablement à des faux pas. Je suis convaincu que de nouvelles situations se présenteront. Comme je l’ai dit, l’ordre règne au Venezuela et avec lui le calme, mais c’est un calme plein d’inquiétude. Le peuple vénézuélien aura le dernier mot

Publié par LINKS Revue internationale du renouveau socialiste le 28 août 2024.

Traduit pour ESSF pr Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepL

1 septembre 2024 par Reinaldo Antonio Iturriza López

https://inprecor.fr/node/

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31 août 2024 ~ 0 Commentaire

Observatoire du Nucléaire (ODN)

nukehugger

- Dernière vilenie nucléaire avant dissolution !
- Électrons, Macron, corruption…
- Industrie nucléaire et médias : le bluff par la Chine
- La part du nucléaire toujours en baisse sur Terre !
- Pourquoi EDF avance inéluctablement vers la faillite
- Comme prévu, nouveau fiasco d’EDF en Tchéquie
- Prolonger le nucléaire actuel pour ne pas disparaître
- L’agitation continue pour les projets (fumeux) de SMR
- Nucléaire : des annonces délirantes sur le web
- Des délires aussi pour la fusion nucléaire !
- Un Tour de France du nucléaire avec Les Échos
- Nucléaire : déconfiture du site de La Hague
- Uranium au Niger : l’AFP aura fait de son mieux

https://www.observatoire-du-nucleaire.org/

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30 août 2024 ~ 0 Commentaire

Ukraine (ESSF)

ukraine

1917 : le drapeau ukrainien flotte sur le Kremlin

« Pendant les journées de février [1]… les soldats ukrainiens de la garnison de Petrograd ont été les premiers à se ranger du côté de la révolution, car nous avions suffisamment souffert de la persécution des Ukrainiens sous l’ancien régime » déclarera plus tard un soldat ukrainien stationné dans la capitale russe. Il fait partie des 30 000 soldats ukrainiens qui constituaient 1/5e de la garnison de la ville [2] et on estime que la communauté ukrainienne comptait à Petrograd 100 000 âmes. Le milieu militaire ukrainien est fortement politisé. Le Parti révolutionnaire ukrainien (RUP) devenu Parti ouvrier social-démocrate ukrainien (USDRP), a lancé depuis 1913 un travail révolutionnaire clandestin dans les unités militaires de la capitale russe. Surtout dans les régiments de garde. « Le travail dans les régiments Izmailovsky, Semenivskyi, Moscou, Zaliznychy et Preobrazhenskyi de la Garde était particulièrement bien organisé… le travail a commencé dans le régiment Volynskyi et dans certains autres… Les gardes du Premier régiment de mitrailleuses disposaient également de cercles de l’USDRP, où le travail révolutionnaire était également mené avec brio » explique Mykhaïlo Avdienko [3], l’un des dirigeants du parti, qui a lui-même servi dans le régiment d’Izmail. Selon son témoignage, le journal illégal de l’USDRP Notre Vie a contribué au travail révolutionnaire dans l’armée et parmi les ouvriers de la ville, ainsi qu’au front. Il a été publié dès 1915 et imprimé clandestinement à … l’état-major général de l’armée russe. Selon Oleksandr Lototskyi, chef du Conseil national ukrainien de Petrograd, « l’élément ukrainien le plus important dans la capitale et ses environs se trouvait au sein de l’armée. Les régiments de gardes étaient principalement, et certains presque exclusivement, composés d’Ukrainiens – qui avaient des traditions cosaques… dans les quartiers de la ville où se trouvaient des casernes… on pouvait toujours entendre la langue ukrainienne ».

Le jour de l’anniversaire du poète ukrainien Taras Chevtchenko, le 9 mars, une grève générale éclate à Petrograd. Les organisations de travailleurs ukrainiens de l’USDRP étaient présentes dans les usines plus importantes. Par exemple, dans l’une des plus importantes, Poutilov, l’organisation du parti comptait environ 400 membres qui participent activement au soulèvement ouvrier.

Le régiment Volinskyi, composé principalement d’Ukrainiens, est un des premiers à rejoindre les manifestations. Les étudiants ukrainiens forment un comité révolutionnaire qui déclare le jour de l’abdication de Nicolas 2 « « Dans la lutte de libération de ces derniers jours, les manifestations ukrainiennes ont joué un grand rôle en la personne des soldats ukrainiens des régiments qui ont rejoint le soulèvement. Les citoyens russes se souviendront un jour avec gratitude que dans les rangs de l’armée qui ont combattu pour liberté ainsi que les larges masses démocratiques de Petrograd, [étaient] composées en grande partie des fils… de la nation ukrainienne [4] ».

Le 22 mars 1917, la section de Petrograd de l’Association progressiste ukrainienne (TUP) exige dans une déclaration l’autonomie nationale-territoriale de l’Ukraine. Trois jours plus tard, les Ukrainiens de la ville organisent une manifestation pour commémorer l’anniversaire de Chevtchenko, à laquelle participent 30 000 civils et soldats. Le centième anniversaire de Chevtchenko avait déjà été célébré en 1914 dans la capitale du tsar mais par un « anniversaire silencieux », anniversaire interdit en Ukraine. Le comité organisateur de la célébration était composé principalement de jeunes révolutionnaires ukrainiens. L’USDRP soutient l’initiative et, selon Mykhaïlo Avdienko, fait venir 12 000 soldats et ouvriers. Mais en ce 22 mars 1917, célébrer l’anniversaire de Chevtchenko prend un sens particulier en cette période révolutionnaire. On peut en finir avec l’oppression russe, les droits nationaux de l’Ukraine peuvent être reconnus. Petro Kovaliv, diplomate écrira depuis Genève 20 ans après les événements : « Plus de 20 000 soldats ukrainiens se sont rassemblés… De nombreux rubans jaunes et bleus. De nombreux détachements de soldats de différents régiments ont apporté des drapeaux jaunes et bleus. Lorsque cette masse s’est alignée sur la Perspective Nevski, le spectacle était extrêmement majestueux et émouvant ». Après la cérémonie commémorative en l’honneur de Taras Chevtchenko, une manifestation parcourt la Perspective Nevski jusqu’au palais Tauride, où siège traditionnellement le Parlement russe. Le journal Russkaya Volya en rend compte ainsi : « Sous l’ordre des organisateurs, toute une masse immense de manifestants, atteignant 20 000 personnes, sans se mêler aux spectateurs, entourés d’une forte chaîne [de jeunes], commence à affluer sur la Perspective Nevski. Sur d’immenses drapeaux, des inscriptions sont sur fond jaune-bleu : « Vive l’Ukraine libre »…. L’orchestre joue la marche de Khmelnitski ». Le journal Rech décrit aussi la manifestation : « Les manifestants ont chanté des chants ukrainiens, tristes, envoûtants. Des orchestres militaires ont joué un mélange de musiques ukrainiennes. Des cris incessants de « hourra » ont été entendus. Une foule de plusieurs milliers de personnes est entrée dans la cour du palais et s’est tenue ici en rangées. Le représentant du comité exécutif du Conseil des députés ouvriers et soldats [Mykola Sokolov] a salué les manifestants au nom du Conseil. » Pendant la marche, toute la Perspective Nevski était recouverte de drapeaux ukrainiens et un grand portrait de Chevtchenko était porté devant. Cinq jours plus tard, le 30 mars, puis le 3 avril 1917, des délégations d’Ukrainiens de Petrograd, qui avaient alors organisé un comité national ukrainien, rendent visite au prince Lvov, premier ministre et ministre de l’intérieur du moment du gouvernement provisoire nouvellement créé. Ils demandent la nomination d’Ukrainiens à tous les postes de direction en Ukraine, la création d’un commissaire aux affaires ukrainiennes au sein du gouvernement provisoire, la satisfaction des besoins culturels et éducatifs et l’introduction de la langue ukrainienne dans l’administration des églises, des tribunaux et des écoles d’Ukraine. La nécessité de libérer les milliers d’Ukrainiens de Galicie et de Bucovine arrêtés et déportés est également discutée. Le Premier ministre tergiverse. Les nouvelles de l’effondrement du régime tsariste sont parvenues à Kyiv le 13 mars 1917 et déclenchent l’enthousiasme. Le 17 mars, le nouvel organe de la souveraineté ukrainienne, la Rada, est formé. Cette effervescence nationale inquiète le tout nouveau gouvernement provisoire russe. L’empire est menacé par ces poussées nationalitaires. Fin mai 1917, la Rada reçoit le soutien du premier congrès militaire ukrainien.

Congrès militaires panukrainiens

L’ukrainisation spontanée des unités militaires a effectivement commencé après la Révolution de Février, lorsque des conseils et comités de soldats ont commencé à apparaître en masse dans l’armée russe. Dans les régiments dominés par les Ukrainiens, ces derniers insistent pour faire reconnaître leurs unités comme ukrainiennes. Lorsque le 6e corps d’armée, commence à recevoir des quantités massives de recrues ukrainiennes, et que des officiers ukrainiens y ont été transférés à leur propre demande une vive résistance de la part des officiers russes s’y oppose. Ailleurs, l’ukrainisation a été menée avec des résultats variables [5]. Le 9 mars 1917, une réunion des militaires ukrainiens se tient à Kyiv, au cours de laquelle, en particulier, il est décidé de fonder un comité d’organisation militaire ukrainien dirigé par le colonel Glynsky, dont le but est de former des unités militaires ukrainiennes. Le 16 mars, lors d’une réunion des représentants de la garnison de Kyiv, le Club militaire ukrainien du nom de Pavlo Poloubotok est créé, et est dirigé par Mykola Mikhnovskyi [6]. Dans la charte du club, adoptée deux jours plus tard, il était indiqué qu’il « vise à unir et à se lier d’amitié dans une seule famille tous les soldats, médecins et responsables militaires du gouvernement de la nation ukrainienne sous le mot d’ordre : Russie fédérale – Ukraine autonome ». Des rassemblements similaires de représentants des Ukrainiens dans l’armée et de la marine ont également eu lieu en d’autres endroits. Le 6 mai, la session de la Rada accepte « la proposition du club militaire de convoquer un congrès des militaires ukrainiens représentant les unités, départements et organisations militaires ukrainiennes de l’arrière, du front et de la flotte ».

Le 1er Congrès militaire ukrainien se tient du 18 au 21 mai 1917 à Kyiv dans les locaux du Musée pédagogique. Environ 900 délégués de diverses unités militaires de tous les fronts, des flottes de la Baltique et de la mer Noire, ainsi que des garnisons d’Ukraine, représentant 1,5 million militaires ukrainiens, y participent. Le congrès est ouvert par le président de la Rada ukrainienne, Mykhaïlo Hrouchevsky, ensuite élu président d’honneur du congrès. Sont notamment discutées les questions suivantes : analyse des événements en cours, des positions du Gouvernement provisoire, des activités des Conseils des députés ouvriers et soldats, ainsi que de l’élaboration d’une stratégie d’action commune ; le problème de l’ukrainisation de l’armée et de la formation d’unités ukrainiennes. Parmi les autres questions traitées, celles de la terre et l’éducation tiennent une place importante. Dans la résolution concernant la première, il est déclaré que « le droit de propriété des terres et des ressources souterraines dans l’Ukraine autonome devrait appartenir exclusivement au peuple, et les conditions de répartition de ces terres entre les personnes qui y travaillent seront élaborées et déterminées » par la Rada ukrainienne, « sur la base de la justice et de l’égalité de toutes les personnes vivant sur le territoire de l’Ukraine ». Concernant le deuxième point, il est souligné que « l’éducation dans les écoles d’Ukraine » devrait être en langue ukrainienne et qu’elle devrait être assurée aux frais de l’État. Un Comité militaire général ukrainien, composé de 18 personnes et dirigé par Simon Petlioura est élu. Le comité doit coordonner ses actions avec l’état-major russe. En 1917, deux autres congrès similaires eurent lieu à Kyiv.

Le drapeau bleu-jaune flotte sur le Kremlin

Deux jours après la cérémonie commémorative de Chevtchenko, le Club militaire ukrainien de Moscou est créé « où les militaires ukrainiens doivent se réunir, comme dans leur maison natale, pour échanger des opinions, développer des tactiques, soutenir les revendications de leur peuple avec leur autorité et leurs forces armées ». Bientôt, un délégué du Club sera envoyé au Congrès national ukrainien, qui se tient à Kyiv du 6 au 8 avril 1917. Le Club envoie également ses félicitations à ce congrès :

« Nous, Ukrainiens – enseignants, soldats et officiers de la garnison de Moscou – saluons le Congrès ukrainien. Nous souhaitons entendre dans ses résolutions la volonté inébranlable du peuple ukrainien… Nous osons vous assurer que les Ukrainiens de la garnison de Moscou répondront sans crainte aux attaques de l’ennemi… Vive l’Ukraine libre. Combattez et vous gagnerez »

Lorsque la révolution atteint Moscou, les Ukrainiens locaux organisèrent « une immense manifestation avec le drapeau ukrainien près du monument de Gogol sur le boulevard qui porte son nom » (près de l’Arbat) et mènent « un travail parmi les Ukrainiens » notamment parmi les soldats stationnés dans les casernes de Moscou. Lors d’une des réunions, il est décidé de ne porter qu’un seul drapeau rouge… L’idée de « porter deux drapeaux – rouge et jaune-bleu » a été rejetée, car la majorité des socialistes « n’ont pas voulu entendre parler du drapeau national de l’Ukraine ». Plus tard, ils rejoindront les bolcheviks. Ce n’est que le jour même de la manifestation qu’« une partie de la jeunesse socialiste la plus orientée vers le nationalisme », a attaché des rubans jaunes et bleus au drapeau rouge. « Laissons, Moscou voir manifester les fils de l’Ukraine nouvellement ressuscitée » argument les jeunes révolutionnaires. Et les étudiants ukrainiens de brandir fièrement des symboles nationaux, dont l’usage était interdit sous le régime tsariste. De juillet à fin octobre 1917, « des unités ukrainiennes montaient la garde dans la garnison, et principalement au Kremlin », se souvient Smovsky. Et plus loin, il ajoute : « Puis sur la tour du Kremlin, à la place du drapeau du tsar à trois couleurs (noir-jaune-blanc), le drapeau ukrainien bleu-jaune a flotté jusqu’au moment où les bolcheviks ont pris Moscou ». Autrement dit, au lieu du drapeau de la famille Romanov, qui a abdiqué le trône, flottait sur le Kremlin le drapeau national ukrainien [7].

La Rada à Petrograd

À la fin mai 1917, la Rada décide de se rendre à Petrograd présenter ses revendications aux nouvelles autorités russes. Sa délégation de dix personnes, dirigée par Volodymyr Vynnytchenko [8], est accueillie à la gare par des représentants militaires ukrainiens de la garnison de Petrograd, accompagnés comme il se doit d’un orchestre militaire. Deux unités de soldats ukrainiens forment un garde d’honneur aux représentants ukrainiens. La délégation est porteuse de neuf revendications dont la reconnaissance du principe de l’autonomie de l’Ukraine et la participation de représentants ukrainiens aux négociations de paix, notamment en ce qui concerne la question des territoires ukrainiens en Galicie. La formation d’unités distinctes de l’armée ukrainienne à l’arrière et, dans la mesure du possible, au front est également exigée. Les délégués au congrès exigent que le gouvernement provisoire déclare immédiatement l’autonomie nationale et territoriale de l’Ukraine et soutienne à l’unanimité la Rada ukrainienne « le seul organe compétent, appelé à résoudre toutes les questions concernant l’ensemble de l’Ukraine [9] ».

« La délégation ukrainienne découvre rapidement que le principe de la « préservation de l’unité de l’État russe » guide les décisions non seulement des Cadets, mais aussi de la nouvelle direction russe en général. Il a fallu trois jours à la délégation pour organiser une réunion avec le comité exécutif du Soviet. Lorsqu’ils se rencontrèrent enfin, le Soviet évita de prendre position sur la question ukrainienne et renvoya la délégation au gouvernement provisoire. La délégation ukrainienne était particulièrement frustrée par le fait que « pas un seul » journal de la « démocratie révolutionnaire » russe (c’est-à-dire des socialistes) ne publia le mémorandum de la Rada. Les membres du gouvernement provisoire ont écouté poliment les demandes et les explications de la délégation, et ont ensuite transmis l’ensemble du problème à une commission d’experts judiciaires chargée d’examiner les aspects juridiques du problème ». Cette commission mit en doute la validité juridique de pratiquement toutes les demandes ukrainiennes et, après quelques réunions, la délégation quitte Petrograd les mains vides » déplore Wolodymyr Stojko [10].

La chute du gouvernement provisoire quelques mois plus tard, avec la prise du pouvoir par le parti bolchevique n’ouvrira pas de meilleures perspectives à l’Ukraine. Il est vrai que dans ce parti le texte de référence sur la question nationale était signé… par un certain Joseph Staline [11].


 mercredi 21 août 2024 LE TRÉHONDAT Patrick

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22 août 2024 ~ 0 Commentaire

soldats russes (france info)

Des prisonniers de guerre russes, capturés par l'armée ukrainienne à la frontière ukraino-russe dans la région de Koursk, dans un centre de détention temporaire dans la région de Soumy, en Ukraine, le 16 août 2024. (STR / MAXPPP)
Des prisonniers de guerre russes, capturés par l’armée ukrainienne à la frontière ukraino-russe dans la région de Koursk, dans un centre de détention temporaire dans la région de Soumy, en Ukraine, le 16 août 2024. (STR / MAXPPP)

« On n’attend qu’une chose, être échangés pour rentrer chez nous » : témoignages de soldats russes détenus dans une prison ukrainienne

Lors de l’offensive ukrainienne sur le territoire russe, début août, de jeunes soldats russes ont été faits prisonniers. Ils étaient à la frontière, dans la région de Koursk, pour effectuer leur service militaire. Nos envoyés spéciaux ont pu s’entretenir avec eux.

L’Ukraine continue d’avancer à petits pas dans la région de Koursk en Russie. Ce n’est en rien comparable avec la percée fulgurante réalisée lors des premiers jours de cette opération, début août, qui a surpris tout le monde, à commencer par les soldats russes peu expérimentés qui surveillaient la frontière. Plusieurs centaines d’entre eux ont été faits prisonniers.

C’est le cas des détenus d’une prison ukrainienne de la région de Soumy, à une cinquantaine de kilomètres de la frontière. Dans cet établissement, 80% des prisonniers russes sont des « appelés ». Ils effectuaient leur service militaire obligatoire quand ils ont été capturés. Dans une cellule d’environ 35 m², ils sont 15 prisonniers russes, assis sur des lits superposés. Âgés de 19, 20 et 21 ans, ils sortent à peine de l’adolescence. Ils ont la mine blafarde et le visage émacié.

« On était à la frontière pour faire notre service militaire », raconte l’un d’eux. Lors de la nuit du 6 août, lors de l’attaque surprise des Ukrainiens, « des missiles sont tombés, ensuite on a entendu les Ukrainiens arriver, des blindés, des soldats. On s’est tous éparpillés dans les bois, c’était la panique. On est restés cachés pendant quatre jours sans manger. Et puis les Ukrainiens nous ont trouvés. On a crié : ‘on se rend’. »

« Ici, en prison, on n’a pas subi de violence et la nourriture est bonne ».

Un prisonnier russe à franceinfo

« Ce n’est pas notre guerre, c’est celle de nos dirigeants. Nous, on attend qu’une chose : être échangés pour rentrer chez nous », assure un prisonnier. Dans le couloir, Volodymyr, le directeur adjoint de la prison éprouverait presque de la pitié en voyant ces jeunes prisonniers : « Pour moi, ce sont comme des enfants apeurés. On leur avait promis un service militaire normal, quelque part loin du front, sans voir la guerre. Mais ils ont été faits prisonniers et ils sont ici désormais ».

Les conditions de détention sont régulièrement contrôlées

Deux médecins passent dans le couloir. C’est l’occasion pour le directeur adjoint de rappeler que, dans son établissement, on respecte les droits des prisonniers de guerre. « La Croix-Rouge inspecte régulièrement la prison. On a aussi la représentante des droits de l’Homme de la région de Soumy qui nous rend visite deux à trois fois par semaine pour s’assurer que les conditions de détention des prisonniers sont correctes », affirme Volodymyr.

« On traite ces détenus russes humainement, comme on aimerait que les nôtres soient traités là-bas ». Volodymyr, directeur adjoint de la prison à franceinfo

Un jeune homme est escorté sous bonne garde vers une petite pièce. Il vient d’être fait prisonnier. Contrairement aux « appelés », lui s’est engagé volontairement pour combattre en Ukraine, « pour l’argent » dit-il. « On m’a proposé une grosse somme ». Les soldats l’accompa-gnent en cellule et il y restera sans doute plusieurs mois avant d’être échangé contre un prisonnier ukrainien.

Boris Loumagne – Marc Garvenes Radio France   22/08/2024

https://www.francetvinfo.fr/

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REPORTAGE. « Ma sœur m’a écrit que nous serons bientôt réunies » : l’avancée ukrainienne donne de l’espoir aux familles russo-ukrainiennes séparées par la guerre

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18 août 2024 ~ 0 Commentaire

Gilbert Ashcar ( FR 24)

4 août 2024

L’Iran, le Hamas, le Hezbollah, et les Houthis du Yémen menacent conjointement Israël, après l’assassinat de deux chefs du Hamas ainsi que d’un responsable militaire du Hezbollah.

« La véritable décision est à Téhéran » et « franchir un certain seuil dans la riposte c’est risquer un embrasement général, une véritable guerre non-seulement contre Israël mais aussi contre les États-Unis », estime Gilbert Achcar, professeur en relations internationales. Il était l’invité de France 24.

 

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18 août 2024 ~ 0 Commentaire

Corse (A Manca)

Corse (A Manca) dans A gauche du PS
© Yann Benard-France 3 Corse ViaStella

Incendie de Sarrola : le triomphe d’une logique de profit

L’incendie qui a ravagé l’entreprise de recyclage Rocca Environnement est la conséquence directe de la privatisation de toute la chaîne de traitement des déchets.

La logique du profit l’a emporté sur toute autre considération et ce, en portant de très graves atteintes à l’environnement dont toutes les conséquences sont encore à venir, et en particulier en termes de santé publique.

Nous observons que les autorités préfectorales étaient parfaitement informées des multiples manquements de l’entreprise concernée, laquelle après un appel d’offre a remporté un marché. Or dans le cahier des charges qu’elle se devait dès lors de respecter, figurent les conditions légales et réglementaires, à l’évidence totalement négligées puisque l’on parle de « manquements graves »

Ce n’est donc en rien une situation récente qui a prévalu à la catastrophe écologique occasionnée par l’incendie des lieux de stockage de déchets hautement toxiques. Tous les décideurs et acteurs impliqués à divers titres dans ce dossier partagent donc d’écrasantes responsabilités au regard de cet inacceptable événement.

Elles sont à la charge des autorités qui n’ont pas agi avec la célérité nécessaire au regard des risques encourus. Elles sont également à la charge de la CdC qui a opté pour une logique de privatisation dans un domaine où la loi du profit ne pouvait qu’immanquablement déboucher sur des infractions attentatoires à nos cadres de vie. Nous nous interrogeons également sur les positionnements de la commune concernée et de la CAPA, lesquelles institutions locales ne pouvaient en rien ignorer cette situation.

L’affaire ne peut se résumer à une unique procédure de justice. Certes, les responsables de l’entreprise concernée ont à l’évidence contrevenu à la loi. Mais ce qui prime avant tout autre aspect demeure la politique irresponsable de tous les décideurs en matière de traitement des déchets.

Une véritable attention portée à la notion de bien public aurait dû prévaloir sur tout autre aspect. En choisissant délibérément de transformer les dizaines de milliers de tonnes produites en pactole pour des intérêts privés, ils ont ouvert toutes grandes les portes à de multiples dérives pourtant aisément prévisibles.

C’est ainsi que l’argent public est dilapidé sans autre forme de précaution. Et c’est également ainsi que nos conditions de vie subissent de graves altérations du fait d’une avidité totalement incompatible avec le respect et la préservation de notre environnement.

Il est improductif et inefficace de ne s’en prendre qu’aux effets d’une catastrophe écologique. Un vrai souci de nos conditions de vie devrait se traduire par un changement radical de politique en ce domaine qui touche l’ensemble de notre pays.

Si la logique du profit continue de l’emporter sur la préservation de nos espaces naturels et sur tous les autres aspects de nos conditions de vie, alors d’autres catastrophes ne manqueront pas de produire d’autres dévastations jusqu’à des seuils hélas irréversibles.

L’heure n’est donc ni aux évitements de responsabilité, ni à une confiance placée exclusivement dans la justice pour que soit réglé un problème de nature prioritairement politique.

Seules des mobilisations populaires sont à même d’apporter les changements radicaux qui s’imposent. Il est plus que temps de prendre conscience collectivement que l’économie de marché est totalement incompatible avec les équilibres écologiques garantissant la préservation de nos vies.

 18 août 2024  A Manca

https://inprecor.fr/

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16 août 2024 ~ 0 Commentaire

Gilbert Ashcar (EESF)

gaza

L’antifascisme et la chute du libéralisme atlantiste – Le tournant de la guerre génocidaire de Gaza

Le masque libéral est enfin tombé à tout jamais de l’idéologie atlantiste en conséquence de la solidarité et de la collusion manifestées par ses dirigeants avec un État israélien dirigé par des factions néofascistes et néonazies du sionisme – un État qui commet dans la bande de Gaza la guerre génocidaire délibérée la plus odieuse menée par un État industrialisé depuis le génocide nazi.

L’historien français François Furet, communiste dans sa jeunesse devenu anticommuniste par la suite, est l’auteur d’une explication célèbre de la popularité du communisme après la Seconde Guerre mondiale, en particulier parmi les intellectuels, l’attribuant à l’antifascisme mis en valeur par le rôle majeur joué par l’Union soviétique dans la défaite du nazisme pendant la guerre.

Le stalinisme est ainsi passé d’un jumeau du nazisme dans leur affiliation commune au totalitarisme, stade suprême de la dictature, à son ennemi juré – un changement d’image qui a permis au stalinisme d’atteindre le sommet de son influence idéologique dans la décennie qui suivit la défaite complète de l’Axe fasciste.

L’antifascisme a continué à jouer un rôle central dans l’idéologie soviétique, mais avec une influence décroissante en raison de la marginalisation relative du fascisme dans les décennies qui ont immédiatement suivi la guerre mondiale, jusqu’au moment où le système soviétique est entré en agonie.

Cette interprétation du sort de l’idéologie soviétique est sans aucun doute correcte, car le rôle de l’Union soviétique dans la défaite du nazisme était en effet l’argument idéologique le plus fort du mouvement communiste après la Seconde Guerre mondiale, dépassant de loin la référence à l’héritage bolchevique de la Révolution russe.

Cependant, ce que Furet et d’autres anticommunistes ont négligé, c’est que le libéralisme auquel ils prétendaient appartenir, tout comme les staliniens prétendaient appartenir au marxisme, était également basé sur l’antifascisme, la différence étant qu’il combinait le fascisme avec le stalinisme dans la catégorie du totalitarisme.

C’était et cela reste la prétention centrale du libéralisme de type atlantiste, inauguré par la Charte de l’Atlantique que les États-Unis et la Grande-Bretagne ont conclue en 1941 pour cimenter leur alliance durant la Seconde Guerre mondiale, et qui est devenue la base de l’Alliance atlantique (OTAN) établie contre l’Union soviétique durant la Guerre froide.

Cette idéologie atlantiste a cependant fermé les yeux sur les racines coloniales impérialistes du fascisme telles qu’analysées par la grande penseuse juive germano-américaine Hannah Arendt, pour la raison évidente que l’OTAN a été créée alors que ses États membres régnaient encore sur des empires coloniaux dans l’ensemble du Sud mondial.

À tel point que le régime colonial fasciste d’après-guerre du Portugal a lui-même été l’un des fondateurs de l’OTAN. Alors que le monde entrait dans l’ère de la décolonisation, l’idéologie atlantiste s’est concentrée sur l’opposition au communisme soviétique sans abandonner son opposition au fascisme, mais en limitant quasiment ce dernier au nazisme et au génocide des Juifs européens qu’il a perpétré.

Ainsi, l’idéologie atlantiste a pu revendiquer le monopole de la représentation des valeurs de liberté politique et de démocratie défendues par le libéralisme historique, alors qu’elle piétinait et continue de piétiner ces mêmes valeurs dans les pays du Sud mondial.

Nous sommes arrivés aujourd’hui à un tournant historique où la prétention libérale que l’OTAN a portée comme un masque est tombée, au moment même où elle venait d’atteindre un nouveau sommet avec l’opposition de l’Alliance à l’invasion russe de l’Ukraine et sa prétention à représenter les valeurs libérales contre le régime néofasciste de Vladimir Poutine.

Cette dernière prétention a persisté malgré la montée du néofascisme dans les rangs de l’OTAN elle-même et son arrivée au pouvoir dans certains de ses États membres, dont les États-Unis sous la présidence de Donald Trump.

Les libéraux atlantistes ont continué à utiliser l’antitotalitarisme, y compris l’opposition au fascisme et au néofascisme, comme base de leur propre idéologie, dépeignant leur lutte comme une version moderne de la lutte du libéralisme (impérialiste) contre le fascisme dans les années 1930, qui s’est elle aussi déroulée dans divers pays du Nord mondial.

Aujourd’hui, le masque libéral est enfin tombé à tout jamais de l’idéologie atlantiste en conséquence de la solidarité et de la collusion manifestées par ses dirigeants avec un État israélien dirigé par des factions néofascistes et néonazies du mouvement colonial sioniste – un État qui commet dans la bande de Gaza la guerre génocidaire délibérée la plus odieuse menée par un État industrialisé depuis le génocide nazi, ainsi que des exactions criminelles continues contre le peuple palestinien en Cisjordanie ainsi que dans les prisons israéliennes, qui révèlent une violente hostilité raciste aux Palestiniens relégués au rang d’êtres sous-humains (Untermenschen) comme les Juifs l’ont été par les Nazis.

À la lumière de cette position des atlantistes, leur prétention libérale dans l’opposition à l’invasion russe de l’Ukraine a perdu toute crédibilité, tout comme leur prétention libérale de s’opposer au fascisme et au génocide, et d’adhérer à d’autres piliers de l’idéologie formulée par leurs prédécesseurs après la Seconde Guerre mondiale et inscrite dans la Charte des Nations Unies de 1945, est devenue sans valeur.

Le grand paradoxe de ce basculement historique est que les atlantistes utilisent le souci pour les victimes juives du nazisme comme prétexte pour justifier leur position. Ils tirent de l’histoire de la lutte contre le nazisme une leçon imprégnée de logique coloniale raciste, préférant la solidarité avec ceux qui prétendent représenter tous les Juifs, et que les atlantistes sont venus à considérer comme faisant partie de leur monde « blanc », même lorsqu’ils sont eux-mêmes devenus des criminels génocidaires, à la solidarité avec leurs victimes non « blanches ».

La théorie d’Hannah Arendt sur les origines du totalitarisme s’est ainsi trouvée confirmée, car un antitotalitarisme qui ne voit que l’hostilité antisémite aux Juifs comme la racine du mal, tout en ignorant l’héritage colonial qui n’est pas moins horrible que les crimes commis par le nazisme, un antitotalitarisme aussi incomplet est voué à s’effondrer, vicié par une incapacité à surmonter le complexe suprémaciste blanc qui a présidé aux plus grands crimes de l’ère moderne – y compris l’extermination nazie des Juifs européens, que les Nazis considéraient comme des intrus non blancs dans leur « espace vital » (Lebensraum) de l’Europe nordique blanche.

Gilbert Achcar

mercredi 14 août 2024 ACHCAR Gilbert

• Gilbert Achcar. BILLET DE BLOG (MEDIAPART) 14 AOÛT 2024 :
https://blogs.mediapart.fr/

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16 août 2024 ~ 0 Commentaire

GAZA (ELLLM)

gaza

Nous avons tout perdu, pour quoi ? La colère des habitant·es de Gaza à l’égard du Hamas grandit à mesure que la guerre s’éternise

Les Palestinien·nes de Gaza sont prêts à payer le prix de la libération, mais beaucoup s’interrogent sur le bien-fondé et le manque de prévoyance de l’attaque du Hamas du 7 octobre.

Pendant dix longs et éprouvants mois, les Palestinien·nes de la bande de Gaza ont été laissé·es seul·es face à un génocide. Nous, les habitant·es de Gaza, avons dû subir les conséquences de décisions auxquelles nous n’avons pas participé, supportant de graves épreuves auxquelles le monde s’est habitué et qu’il a largement oubliées.

Il ne fait aucun doute que la source première de notre misère est Israël – un État d’occupation et d’apartheid, dont les soldats tuent dans une indifférence brutale, et qui cherche à effacer les Palestinien·nes depuis 1948. Mais nous devons également tenir compte du rôle que jouent les factions palestiniennes dans nos souffrances actuelles.

Au cours des dix derniers mois, il est apparu clairement que les dirigeants palestiniens – tant le Fatah que le Hamas – ont abandonné le peuple sans aucune prévoyance ni plan cohérent. Alors que les habitant·es de Gaza sont confronté·es à des bombardements israéliens incessants et n’ont aucun endroit sûr vers lequel se tourner, le Hamas se soustrait à sa responsabilité de protéger la population et le Fatah est introuvable.

Au fur et à mesure que la guerre s’éternise, les manifestations publiques d’opposition ou de critique à l’égard du Hamas se multiplient parmi les Palestinien·nes de Gaza. Beaucoup accusent le Hamas de ne pas avoir anticipé la férocité de la réponse d’Israël aux attaques du 7 octobre, et tiennent le groupe partiellement responsable des conséquences désastreuses auxquelles elles et ils sont maintenant confrontés.

Pour le journaliste palestinien Ahmed Hadi (dont le nom a été modifié pour sa sécurité, comme pour toutes les personnes interrogées dans cet article), le 7 octobre a été « une décision folle pour nous en tant que Gazaouis ». L’attaque, affirme-t-il, et en particulier « l’assassinat et la capture d’Israélien·nes, dont certains étaient des civil·es et non des soldats, a malheureusement eu un effet contre-productif sur nous. Elle a permis à Israël de bénéficier d’une sympathie mondiale et lui a fourni une justification pour lancer une guerre brutale contre Gaza ».

Le Hamas, a affirmé M. Hadi, « n’a pas pris en compte l’impact que la réaction d’Israël aurait sur les civil·es palestinien·nes. Il est entré en guerre sans s’assurer de la nourriture, de l’eau ou des nécessités de la vie. Un mois après le début de la guerre, nous commencions déjà à mourir de faim et de maladie ».

Pourtant, malgré la colère généralisée à l’égard des dirigeants du Hamas, les habitants·e de Gaza ne tiennent pas les jeunes résistants pour responsables, reconnaissant qu’ils font également partie de la population qui a été forcée à entrer en guerre. « Nous sommes fiers de la résistance et de ses sacrifices, mais pour moi, la résistance fait partie du peuple – ce sont les mêmes qui souffrent et qui ont été forcés à entrer dans cette guerre », a déclaré M. Hadi. « Si nous ne pouvons pas rester silencieux [et devons] critiquer nos dirigeants comme Sinwar, nous ne pouvons pas non plus permettre aux forces israéliennes de simplement nous tuer ».

 Personne ne peut arrêter cette folie ?

Dans le cadre de la couverture médiatique de l’assaut israélien, largement répandue mais en perte de vitesse, les Palestinien·nes de la bande de Gaza ont souvent été décrit·es de l’une des deux manières réductrices suivantes.

La première traite les habitant·es de Gaza comme s’elles et ils étaient tous lié·es d’une manière ou d’une autre au Hamas, ou les tient au moins partiellement responsables des attaques du 7 octobre et du déclenchement de la guerre actuelle. Cette approche ne tient pas compte du fait que les Palestinien·nes, tant à Gaza qu’en Cisjordanie, sont privé·es du droit d’élire leur gouvernement et que les décisions qui influent sur leur vie sont dictées par des dirigeants palestiniens déconnectés des réalités de la guerre à Gaza et par un gouvernement israélien déterminé à effacer l’existence des Palestinien·nes.

La seconde perspective condamne à juste titre Israël pour sa campagne militaire brutale, mais dépeint les Palestinien·nes comme étant d’une résistance inépuisable. Elle ne reconnaît pas non plus notre humanité, nous dépeignant comme capables d’endurer une douleur infinie et prêt·es à tous les sacrifices pour la cause palestinienne.

Adel Sultan est un homme de 62 ans originaire du quartier Sheikh Radwan de la ville de Gaza. Il a parlé au magazine +972 de son désespoir absolu de voir la guerre prendre fin. « Sauvez celles et ceux d’entre nous qui sont encore en vie, mettez fin à la guerre et donnez-nous une chance de nous rétablir », s’exclame-t-il. « Nous ne nous reconnaissons plus ; nos visages ont changé à cause de cette guerre permanente qui nous consume ».

M. Sultan a exprimé sa frustration à l’égard des dirigeants palestiniens, les appelant à accepter d’urgence un cessez-le-feu avec le gouvernement israélien de Benjamin Netanyahu. « Ceux qui ont commencé devraient mettre fin à cette situation. Où sont nos dirigeants ? Qu’ils s’assoient avec le gouvernement d’occupation et mettent fin à la guerre avant qu’elle ne nous achève, comme le veut Netanyahou ».

Début novembre, M. Sultan a été blessé à la jambe lorsqu’une frappe aérienne israélienne a visé la maison de son voisin. Incapable de se faire soigner à l’hôpital Al-Shifa de Gaza, qui avait déjà été contraint de cesser toute activité à la suite du raid israélien, Sultan a profité du cessez-le-feu d’une semaine qui a eu lieu plus tard dans le mois pour s’enfuir vers le sud. Il a réussi à atteindre l’hôpital des martyrs d’Al-Aqsa, dans le camp de réfugié·es d’Al-Maghazi, au centre de Gaza.

Sultan espérait que la trêve temporaire déboucherait sur un cessez-le-feu total afin qu’il puisse retrouver sa famille : sa femme et son fils étaient bloqués en Turquie, où elle et ils s’étaient rendus pour recevoir un traitement médical avant la guerre, tandis que son autre fils était resté dans le nord de la bande de Gaza avec sa famille. Mais Sultan est toujours séparé de sa famille et se déplace seul d’un endroit à l’autre, sous la menace constante de la mort. Il vit actuellement dans une tente à l’ouest de Rafah.

« Je suis épuisé. Je n’ai plus rien à quoi me raccrocher, je n’ai plus de maison où retourner », a-t-il déclaré à +972, les larmes aux yeux. « Chaque nuit, je deviens presque fou. Pourquoi cela arrive-t-il ? Quel a été le résultat des actions du Hamas le 7 octobre ? Pourquoi avons-nous été laissé·es seul·es ? Où sont les nations arabes et musulmanes ? Est-il logique de laisser nos vies à un avis d’évacuation ? Où allons-nous et vers qui nous tournons-nous ? Personne ne peut arrêter cette folie ?

 J’ai le droit de parler. Ou devons-nous mourir en silence ?

De nombreuses Palestiniennes et de nombreux Palestiniens de Gaza considèrent l’attaque du 7 octobre menée par le Hamas comme le résultat de décennies d’occupation israélienne et d’un siège prolongé de la bande de Gaza. Elles et ils comprennent parfaitement le concept de sacrifice personnel pour atteindre l’objectif de libération nationale. Pourtant, elles et ils reprochent au Hamas son manque de préparation à la suite de son attaque et rejettent le fait d’avoir souffert sans gain apparent.

Au-delà de son manque de préparation à la riposte d’Israël, les habitant·es de Gaza critiquent également les dirigeants du Hamas pour leur manque de vision claire de l’avenir de la bande de Gaza après la guerre. « Nous voulons que l’un des dirigeants palestiniens nous dise où nous allons », a déclaré à +972 Dana Khalid, une étudiante universitaire de 19 ans déplacée dans une tente à Az-Zawayda, près de la ville centrale de Deir el-Balah. « Y a-t-il encore un avenir pour nous ? Qu’est-ce que [le chef du Hamas à Gaza, Yahya] Sinwar veut accomplir ? Où est-il ? »

« Mohammed Adnan, un Palestinien de 27 ans dont l’atelier de menuiserie a été détruit en février lorsque les forces israéliennes sont entrées dans le quartier de Zeitoun, à Gaza, s’est demandé pourquoi le 7 octobre s’est produit. « Bien sûr, rien ne justifie ce que fait Israël, et nous sommes toutes et tous contre Israël. Nous soutenons toutes et tous la décision [de lutter] pour la libération et la liberté, mais il doit s’agir d’une décision mûrement réfléchie.

« Lorsque j’exprime mon opinion, les gens me considèrent comme un traître qui ne se soucie pas des sacrifices de mon peuple », poursuit Adnan, qui vit actuellement dans le quartier Al-Rimal de la ville de Gaza. « Je fais partie du peuple qui souffre, je fais partie des nombreuses et nombreux affamés qui restent dans le nord. J’ai le droit de parler. Ou devons-nous mourir en silence ? »

« Si le résultat de la guerre est la liberté totale des Palestinien·nes, je ne me soucie pas de ma vie ou de ma maison. Mais si c’est moins que cela, alors la décision de partir en guerre est absurde ».

Ces sentiments se reflètent dans un récent sondage réalisé par l’Institut pour le progrès social et économique, un organisme de recherche palestinien indépendant. Selon cette étude, moins de 5% des Palestinien·nes de Gaza souhaitent que le Hamas dirige un gouvernement de transition après la guerre, et une majorité s’attend à ce que l’Autorité palestinienne, contrôlée par le Fatah, prenne le contrôle de la bande de Gaza. Près de 85% des habitant·es de Gaza s’opposent à Sinwar, et elles et ils sont à peine moins nombreux à s’opposer au chef politique du Hamas, Ismail Haniyeh, qui a été assassiné par Israël la semaine dernière à Téhéran.

Face à cette impopularité croissante, le Hamas a tenté de réduire au silence ceux qui le critiquent, avec des attaques et des passages à tabac qui n’ont fait qu’attiser le mécontentement de la population. Le 8 juillet, un groupe d’hommes masqués se réclamant des forces de sécurité du Hamas a attaqué Amin Abed, militant palestinien et critique notoire du Hamas, qui a ouvertement rejeté les attentats du 7 octobre.

Abed a déclaré aux médias qu’il avait été emmené de chez lui à un bâtiment partiellement détruit, où il a été battu. Le chef du groupe a demandé aux agresseurs d’Abed de lui briser les doigts pour l’empêcher de continuer à écrire publiquement contre le Hamas. Alors que le Fatah a condamné « l’agression flagrante » contre Abed, le Hamas n’a pas encore répondu à ces allégations.

 L’absence d’options n’est pas synonyme de résilience

Le Hamas et ses partisans affirment depuis longtemps que le groupe bénéficie du soutien de la population palestinienne pour combattre Israël. Mais il s’agit là d’une distorsion de la réalité et d’une fuite de leurs responsabilités morales et nationales envers leur peuple.

Comme l’a déclaré Adnan, le charpentier, à +972  : « Tout le monde nous a laissés seuls ; tout le monde veut que nous apparaissions comme des héros qui ne se fatiguent pas et n’ont pas faim. Mais personne ne sait que j’ai faim, que j’ai besoin d’eau potable ». La véritable résilience consiste à protéger les gens de la mort, à empêcher l’effondrement de l’ordre interne et des institutions, et à ne pas laisser le champ de bataille à l’armée israélienne criminelle.

Fin juin, Motaz Azaizeh, un influent journaliste palestinien de 24 ans qui a quitté Gaza après avoir couvert la guerre pendant 108 jours, a publié un message sur Facebook : « L’absence d’options n’est pas synonyme de résilience ». Sa description directe de la dure réalité de Gaza, sans glorifier les sacrifices et la douleur, a suscité des critiques de la part de certain·es, dont beaucoup se trouvaient à l’extérieur de Gaza et n’avaient jamais connu la vie sous une tente, ni vécu la peur et l’anxiété d’une évacuation forcée et d’une séparation d’avec des êtres cher·es. Mais Azaizeh a raison : Les habitant·es de Gaza sont pris·es au piège et endurent des difficultés parce qu’elles et ils n’ont pas d’autre choix.

Dans un autre message publié fin juillet, M. Azaizeh a critiqué les dirigeants palestiniens. » »e que je constate chez tous les hommes politiques, c’est qu’ils font d’abord leur propre promotion et qu’ils parlent ensuite de Gaza », écrit-il. « Même après l’anéantissement de Gaza et de ses habitant·es, plus de 40 000 martyr·es, et près de 100 000 personnes qui ont quitté la bande de Gaza pendant la guerre et bien plus encore avant ! Ils présentent d’abord leurs intérêts, puis ils parlent de nous, et je ne parle pas d’un parti ou d’un groupe, mais de tout le monde ».

« Tout le monde se préoccupe de la gouvernance et du « jour d’après » pour Gaza, mais ils ne parlent pas beaucoup du sang qui est versé aujourd’hui, hier et demain », poursuit Azaizeh. « Notre cause est dans l’abîme. Nous n’avons pas besoin de quelqu’un qui place les intérêts de son parti et les siens en premier et qui se souvient ensuite de son peuple. C’est mon opinion personnelle, à vous d’être d’accord ou non. Tous ceux qui sont sur la scène aujourd’hui ne peuvent pas renoncer à leurs intérêts pour arrêter l’effusion de sang. Cette guerre n’est pas une guerre de libération comme certains le croient ».

Même celles et ceux qui ont échappé à la guerre ne sont pas en sécurité à l’extérieur. Mahmoud Nazmi, 38 ans, a dépensé tout l’argent qu’il possédait pour fuir Gaza avec sa famille et tenter de survivre. « Pourquoi devons-nous toujours mentir ? Demande-t-il. « Pourquoi devons-nous présenter une image qui plaise aux dirigeants palestiniens aux dépens de notre mort et de nos mois de souffrance sans pitié ? Cela n’a aucun sens de dire que nous sommes résistant·es alors que nous restons sous le talon écrasant de l’orgueil israélien. Nous avons tout perdu, et pour quoi ? »

Fin juillet, des factions palestiniennes, dont le Hamas et le Fatah, ont signé un accord sous l’égide de la Chine pour former un gouvernement « d’unité nationale » pour Gaza après la fin de la guerre. Cet accord intervient après de multiples tentatives de rapprochement entre le Hamas et le Fatah depuis la guerre civile de 2007 à Gaza, qui n’ont jamais abouti à l’unité.

Pourtant, même cette évolution apparemment positive n’a fait qu’aggraver la frustration des habitant·es. De nombreuses et nombreux habitants de Gaza considèrent que l’accent mis sur la gouvernance d’après-guerre témoigne d’un mépris pour leurs souffrances immédiates et d’une occasion manquée de donner la priorité à la fin de la guerre, plaçant une fois de plus les intérêts des dirigeants au-dessus de ceux de la population.

Nous, Palestiniens·ne, devons réfléchir à tout ce que nous avons vécu au cours des dix derniers mois. Nous devons nous demander honnêtement ce que veulent vraiment les dirigeants palestiniens. Et que sommes-nous prêts à sacrifier ?

Les habitant·es de Gaza méritent de vivre dans la dignité et la sécurité, et d’entrevoir un avenir radieux, sans guerre ni destruction. Nous avons besoin de réponses claires de la part de nos négociateurs palestiniens. Nous avons besoin qu’ils donnent la priorité à la fin de la guerre avant tout, pour le bien des mères, des pères et des enfants – une génération entière au bord de l’anéantissement.

mardi 6 août 2024  MUSHTAHA Mahmoud

• Entre les lignes entre les mots. 15 août 2024 :
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/

Source : https://www.972mag.com/

• Mahmoud Mushtaha est un journaliste indépendant et un militant des droits des êtres humains de Gaza, actuellement basé au Caire.

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