Contre l’agrobusiness, quelle agriculture paysanne?
Pourquoi s’intéresser à l’agriculture et l’alimentation ?
Parce-que tout simplement, sans cultiver la terre et sans manger, un autre monde n’est pas possible. N’oublions pas que dans les pays en crise, se nourrir redevient une priorité absolue. Parce-que cette thématique est à cheval entre travail et nature (on produit depuis la nature avec elle), elle se situe donc entre social et écologique, elle combine revendications immédiates et projet émancipateur (demander de plafonner les aides de la PAC, c’est privilégier les modes de production plus respectueux de l’environnement par exemple). C’est une bataille globale mais se décline aussi en expériences locales (paniers de légumes, coopératives alimentaires…). Enfin elle est sectorielle (puisque il s’agit d’un combat syndical dans la paysannerie) et en même temps concerne l’ensemble de la population quand il s’agit d’alimentation. La question agricole n’est donc pas uniquement une question écologique, elle touche des travailleurs, certes plus si nombreux dans le Nord, mais très majoritaires dans le Sud. Je vais essayer de développer en quoi on peut tirer un bilan très négatif de l’industrialisation du travail agricole en termes d’exploitation et d’aliénation, et les implications de ce constat pour notre projet éco-socialiste. Aussi je m’attarderais sur les aspects, les innovations dans le monde agricole qui questionnent ce même projet : démocratie, propriété privée, relocalisation de la production, l’agriculture est un laboratoire plein de richesses !
- Industrialisation du travail agricole :
Depuis les années cinquante, après guerre on assiste à l’industrialisation du travail agricole, ce qui a des conséquences désastreuses.
- une fracture de classe au sein de la paysannerie apparaît clairement: disparition des petites fermes et énormes disparités entre petites et grandes exploitations et pauvreté dans les populations paysannes du Sud (ce sont les paysans ou anciens paysans dans le Sud qui sont les plus pauvres).
En France par exemple on assiste à une chute vertigineuse du nombre d’exploitations : de 2 millions en 1955 on est passés à moins de 300000 aujourd’hui. Ce phénomène s’accompagne d’une concentration des terres et du capital : moins de fermes signifie nécessairement que celles qui restent tendent à être plus grandes : En 1955, 80% des exploitations comptaient moins de 20 hectares de superficie agricole utilisée (SAU) et 0.8% seulement occupaient plus de 100 hectares. En 2000, 12% des exploitations dépassent 100 hectares et occupent 46% de la SAU. 30% d’exploitations comptent moins de 5 hectares mais représentent 1.5% de la SAU totale. Les disparités sont donc de plus en plus marquées, entre les grandes et les petites fermes, il s’agit de deux mondes qui se côtoient mais n’ont absolument pas les mêmes intérêts. Entre une exploitation de montagne, qui dégage un très petit revenu, et les céréaliers businessmen des plaines céréalières, il n’y a que le mythe de l’unité du monde agricole qui peut les rapprocher.
Et pendant que le monde agricole subit un plan social plus brutal que celui du monde industriel, le nombre de salariés agricoles augmente, ainsi que les formes sociétaires d’exploitations agricoles. Ce-ci signifie que le modèle de la petite paysannerie laisse la place à un modèle capitalistique de l’exploitation agricole, où le paysan devient chef d’exploitation, patron de salariés agricoles. Sa ferme devient une société complexe. La division de classe est également visible dans le monde agricole en fonction des revenus : les disparités sont très importantes. Pendant que le quart des agriculteurs a une revenu inférieur à 12 000 euros par an, le revenu moyen par actif non salarié a augmenté de 88%, étant entendu que la part des subventions dans la formation du revenu est considérable puisqu’elle atteint plus de 80% du revenu en 2004. Mais pourquoi donc ? La Politique Agricole Commune est un véritable levier de classe, puisque les subventions accordées dépendent des hectares possédés… Plus t’en a, plus tu touches. Dans ce contexte d’accroissements des disparités, la salarisation du travail agricole est inéluctable. Elle s’accompagne de précarisation, due à la difficulté d’organisation dans ses secteurs et à l’augmentation du travail saisonnier (causée aussi aux exonérations fiscales). En somme l’abandon du modèle de la ferme familiale, donne la place à des exploitations agricoles de taille importante, qui emploient une main d’œuvre extérieure dans des conditions de plus en plus difficiles. Par exemple, le risque de percevoir un bas salaire dans l’agroalimentaire est 2.5 fois plus élevé que dans l’industrie.
Ces données de base permettent de comprendre les mécanismes fondamentaux déterminant les conditions du travail paysan. La pression économique étrangle littéralement en permanence une partie de la paysannerie. Elle conditionne la surexploitation de ceux qui surnagent avec peine. La concurrence acharnée pèse aussi sur le niveau de rémunération du salariat agricole et à privilégier les salariés précaires. Au début des années 2000, 26.4% des ménages sont pauvres chez les agriculteurs et les salariés agricoles contre 14% dans l’ensemble de la population. La surexploitation économique de la petite paysannerie et du salariat agricole est donc un trait caractéristique de l’agriculture sous domination capitaliste. La phase de mondialisation du capital l’a puissamment accentuée.
- souffrance physique et psychique au travail dans l’agriculture et l’industrie agro-alimentaire
Cette surexploitation économique induit une surexploitation physique et psychique tant des petits paysans que des ouvriers agricoles. Le paysan pour survivre va devoir dépenser sa force de travail sans compter et sans souci de sa préservation. Se met ainsi en place un mécanisme d’autoexploitation. Qui peut conduire à la maladie professionnelle (travail agri pénible et difficile, produits dangereux…) En 2005, le taux de suicide des ouvriers agricoles de 25-54 ans est de 69/100 000, plus élevé que celui de 42/100 000 des agriculteurs exploitants, à comparer au taux de 33/100 000 dans la population générale. Quelles sont les spécificités du monde agricole qui aboutissent à cette situation : isolement social, misère affective et sexuelle, l’activité paysanne est une affaire de plusieurs générations, ce qui amplifie le sentiment d’échec. Un autre élément très important est la transformation du travail d’élevage en production animale est une source de souffrance pour les éleveurs et les travailleurs. La dépendance économique de nombreux éleveurs aux grands groupes agroalimentaires a pour effet de transformer le travail de l’éleveur en faux travail indépendant.
Intervention de Roxanne Mitralias à l’école anticapitaliste le 17/03/2013 Par Roxanne Mitralias le Dimanche, 26 Mai 2013