afrique du Sud: pas d’arc-en-ciel à marikana (jdd)
Nelson Mandela a été enterré dimanche dans son village natal de Qunu. Bien loin des mines de platine de Marikana, où l’an dernier la police avait tué 34 ouvriers noirs sur des terres confisquées aux Blancs.
Une ville du Far West, voilà ce que pourrait être Marikana. Avec une ligne de chemin de fer qui la traverse, le train qui siffle à chaque passage, des boutiques de vente d’alcool en pagaille en guise de saloons, et des Pakistanais, Nigérians et autres étrangers qui tiennent les commerces non plus de quincaillerie générale mais d’écrans plats ou de tablettes tactiles. Et d’énormes 4 x 4 ou pick-up à la place des chariots tirés par des chevaux. Marikana fut, il y a longtemps, une terre de fermes agricoles. Puis elle est devenue une ville minière.
Un eldorado pour certains, une ville de malheur pour d’autres.
Marikana est entrée dans l’Histoire l’année dernière, lorsque la police sud-africaine a tiré et tué 34 mineurs, lors d’une grève sauvage. Rappelant ainsi aux gens du pays le terrible massacre de Sharpeville de 1960. À 112 km au nord-ouest de Johannesburg, les mines de Marikana arrivent au troisième rang mondial de la production de platine. Le secteur minier représentait 38% des exportations du pays en 2012. Mais Marikana et d’autres mines moins connues ont fragilisé le secteur. Désormais, les investisseurs étrangers, rendus frileux par ces poussées de violence très médiatisées, préfèrent aller investir dans des pays où l’exploitation du sous-sol n’entraîne aucun mouvement social. La richesse aurait dû frapper aux portes de la ville. En réalité, Marikana est devenue l’envers de la carte postale, l’envers du décor économique rêvé par le « père de la nation arc-en-ciel », Nelson Mandela.
Les Blancs frappés au portefeuille
Et pour une fois, Blancs et Noirs sont quasi à égalité. À Marikana, près de la moitié de la population noire est au chômage, les mineurs employés localement venant du Mozambique, du Lesotho ou d’autres régions du pays. Les Blancs ont été frappés là où ça fait mal, au portefeuille.
On a pris leurs terres. Alors, il s’est passé quelque chose de très curieux à Marikana, où la mort de Nelson Mandela ne fait pas lever un cil. Malgré une méfiance ancestrale, des Blancs et des Noirs ont tenté de s’unir, face aux géants tentaculaires que sont les mines et le gouvernement.
Prenez Nina Barnar et Alet Swanpoel, toutes deux la quarantaine bien passée. La première est née à Marikana, la deuxième s’y est installée il y a des années. Ce sont deux Sud- Africaines blanches typiques, émaillant leurs discours de réflexions qui datent encore de l’apartheid. Mais la guerre qui les oppose aux mines a fait trembler leurs convictions, bousculer leurs habitudes comportementales. Désormais, elles franchissent cette barrière invisible et visible de la race. Elles parlent, pactisent même avec les Noirs pour les soutenir dans leur combat. « Vous m’imaginez, moi? » dit Nina, la coupe de cheveux impeccable, la peau laiteuse d’une femme qui se protège constamment du soleil meurtrier de la région. « Il y a un mois, j’ai défilé auprès d’eux afin de protester contre la mine. » On le sent bien, elle-même n’en revient pas.
Parce qu’un matin de 2008, le destin de cette femme aux rondeurs toutes maternelles s’est fracassé sur l’autel du capitalisme. Propriétaire d’un terrain de 8 ha qui regorge de platine, elle est désormais persona non grata, chez elle. « Je ne suis même plus autorisée à pénétrer les lieux. Je dois demander une autorisation au gardien! » Des barbelés clôturent sa propriété et la barrière a même été enlevée, et remplacée par d’autres barbelés sur lesquels on a posé une pancarte : « Mine Property ». « Au début de l’année 2013, le gouvernement a changé la loi et décrété que les terres regorgeant de minéraux appartenaient au gouvernement. » Nina contemple cette étendue désormais hors d’atteinte et soupire : « C’était de la bonne terre, on pouvait y faire pousser beaucoup de choses, il y a le soleil et suffisamment de pluie mais maintenant, quel désastre! »
La drogue a envahi la ville
Marikana aurait dû représenter le rêve de cette nouvelle Afrique du Sud. Des créations d’emplois, de l’argent qui entre dans les caisses du gouvernement, mais l’affaire a tourné au fiasco. Les « étrangers » ont fait exploser cette bourgade rurale en petite ville où le taux de criminalité affole les compteurs. On dit que la drogue a envahi la ville dont le marché serait tenu par les Pakistanais et les Nigérians. Les Blancs et les Noirs se barricadent chez eux. Marikana découvre la misère et la violence urbaine avec stupeur.
Au pied de la mine de platine, voici le bidonville de Madiclowe. Un ensemble de shacks, des cabanons, qui appartient au groupe Lonmin. Madiclowe, devait être temporaire, de solides maisons devaient suivre. C’était il y a plusieurs années. Il n’y a toujours pas d’électricité, les murs et les toits de tôle s’envolent au premier gros coup de vent, les points d’eau sont à l’extérieur des shacks, et les propriétaires des mines ont bitumé partout, rendant toute plantation impossible. Des Somaliens tiennent le magasin d’alimentation. Ce qui augmente le mécontentement local.
Le combat d’Alet contre les mines l’a un peu aidée. Comparée à la population locale noire, elle fut une femme riche. Elle et son mari possédaient un magasin et des terres. Et puis en 2010, les patrons des mines lui ont pris ses terres. Depuis, elle vit à la sortie de Marikana, dans une sorte de campement à la Robinson Crusoé. Ce qui lui fait dire, non sans humour : « Je suis la seule squatteuse blanche de la région. » Résultat, un bric-à-brac d’objets récupérés, pour une vie de sauvageonne pas prévue du tout dans le destin de cette Afrikaner, endurcie par la vie et les coups du sort. Nina, c’est un peu le pot de terre contre le pot de fer. Elle se présente comme une militante écolo, une whistle-blower (« lanceur d’alerte ») qui passe son temps à récolter des tas de données prouvant que les mines sont dans l’illégalité permanente.
Elle a monté Marikana Ekeforum, une association pour mener la vie dure aux dirigeants des mines de Lonmin, Tharisa et Aquarius. « Les mines ont offert de l’espoir aux gens, dit-elle. Ils y ont cru, mais la population noire locale n’est pas employée. Et nous les Blancs, on nous prend nos terres avec la complicité du gouvernement. » Alors pour espérer gagner, elle a compris qu’il fallait unir les forces. Elle avait organisé un meeting mais la mort de Nelson Mandela a chamboulé tous ses plans. Pas grave pour cette acharnée qui a repoussé la réunion à la semaine prochaine. Avec ses nouveaux compagnons de lutte. « Ici, les gens sont au bord du précipice. Une autre révolution est en marche. » samedi 14 décembre 2013