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11 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

validisme (ucl)

handicap

Militantisme handi : Les Dévalideuses, à l’assaut du validisme

Depuis 2019, le collectif Les Dévalideuses s’attaque à faire vivre les luttes handies-féministes. En septembre dernier, les militantes ont organisé une action de blocage au métro des Invalides qui a fait grand bruit. Retour sur cette action dont l’organisation permet de mettre en avant les enjeux d’accessibilité des luttes.

Le 17 septembre dernier, les Dévalideuses organisaient une action de blocage de la station de métro Invalides à Paris, pour dénoncer l’inaccessibilité du métro parisien, et plus largement de l’ensemble de la société. Cette action s’inscrivait dans le cadre d’un week-end de séminaire des Dévalideuses, premier et pour l’instant unique moment où les membres de ce collectif, qui existe depuis plus de 5 ans, ont pu se réunir en présentiel. C’est l’occasion de s’interroger sur l’impact de l’inaccessibilité de la société, comme des milieux militants, sur les luttes antivalidistes.

Des parcours militants semés d’obstacles

Le validisme désigne l’oppression structurelle subie par les personnes qui ne sont pas « valides », c’est à dire qui ne correspondent pas aux normes de capacités physiques, sensorielles, psychologiques ou émotionnelles imposées par la société. Depuis plus de 50 ans, des militant·es antivalidistes se mobilisent pour dénoncer les discriminations et la ségrégation qu’iels subissent et faire valoir leurs droits. Pourtant, ces luttes restent peu connues du grand public.

Le validisme est par ailleurs très lié aux autres rapports de domination, le capitalisme, le patriarcat et le racisme notamment. Pourtant, alors qu’on estime à 10 % la part de personnes handies dans la population, peu d’entre elles s’investissent dans les syndicats et autres contre-pouvoirs.

C’est qu’il faut d’abord prendre conscience de tous les freins rencontrés par les militant·es handi·es, pour pouvoir s’organiser et mener des actions dans une société qui leur est particulièrement inaccessible. Comment se réunir ou participer à des manifestations quand les transports, les lieux susceptibles d’accueillir des réunions et l’espace public en général, ne sont pas adaptés aux personnes à mobilité réduite ? [1] Comment communiquer avec des outils qui ne sont pas accessibles aux personnes sourdes ou aveugles par exemple ? Comment s’organiser face à l’exploitation quand on travaille en ESAT (Établissements et services d’aide par le travail) et qu’on n’a le droit ni de se syndiquer ni de faire grève ? [2] Il faut enfin prendre conscience des risques accrus, pour les personnes handies qui se mobilisent : risques graves sur la santé par le Covid dans des espaces où les protocoles sanitaires sont abandonnés ou peu suivis, risque d’être privé·e de soins ou de la présence de son auxiliaire de vie en cas de garde à vue…

Repenser les modes d’organisation

Les militant·es antivalidistes font souvent le choix de la non-mixité, comme c’est le cas pour les Dévalideuses. Pour toutes les raisons qui conduisent les militant·es féministes ou antiracistes à le faire, mais également parce qu’un travail indispensable d’adaptation des outils, du fonctionnement et des modalités d’action est nécessaire pour tenir compte des besoins d’accessibilité de leurs membres, qui peuvent être très divers.

Les Dévalideuses, c’est actuellement une quinzaine de membres actives, et beaucoup de demandes d’adhésion laissées en attente. Pourtant la volonté de s’agrandir et de massifier est bien présente. Mais à chaque nouvelle adhésion se pose la question des besoins de la nouvelle adhérente, et du travail à accomplir pour lui rendre le collectif accessible, ce qui peut parfois conduire à des changements importants d’outils ou de modes de fonctionnement interne. L’ampleur du travail qui doit ainsi être fait est à l’image de l’inaccessibilité de la société et des milieux militants ordinaires.

Depuis les années 1970, les militant·es antivalidistes se trouvent souvent contraint·es à des actions menées par un petit nombre, qui doivent prendre un caractère spectaculaire pour pouvoir aboutir : grèves de la faim, blocages et occupations… (par exemple le 504 sit-in en 1977 aux États-Unis [3], ou les blocages de train et avion menés par Handi-Social à Toulouse en 2018 [4]).

Recette pour une action antivalidiste réussie

L’action des Dévalideuses au métro Invalides a nécessité un important travail de préparation, sur plus de 6 mois en amont. Il a fallu trouver le moyen pour qu’un maximum de monde puisse venir, se loger, et participer à l’action en minimisant les risques. Il fallait aussi s’assurer de la portée médiatique de l’action puisqu’il était difficile de pouvoir compter sur une participation de masse comme sur la possibilité de faire durer le blocage.

Et de ce point de vue, cette action a été une réussite, et un exemple inspirant. Alors que c’était une première pour le collectif, mais aussi individuellement pour la grande majorité des participant·es, tout avait été minutieusement préparé en amont : repérage et transmission d’infos sur l’accessibilité, distribution des rôles, protocole sanitaire, communication, contacts presse, … Et la presse était effectivement bien là, ce qui a permis une visibilité médiatique importante.

À cette visibilité s’est ajoutée celle sur les réseaux sociaux, espace privilégié de militantisme pour nombre de personnes qui n’ont que difficilement accès à l’espace public. Et les retombées pour le collectif sont très prometteuses : les Dévalideuses ont reçu des centaines de messages de soutien, d’encouragement et de remerciement, et presque autant de personnes se sont signalées volontaires pour participer à d’autres actions de ce type. Un nouveau défi pour ce collectif qui depuis travaille d’arrache-pied à un changement d’échelle.

L’engouement qu’a reçu cette action, en particulier parmi les personnes concernées par le handicap révèle qu’il existe une envie et un besoin importants de défendre leurs droits et de lutter contre l’oppression qu’iels subissent. À nous, dans toutes nos luttes, de travailler à ce qu’iels y trouvent leur place !

Julie (UCL Fougères) 6 décembre 2023

https://www.unioncommunistelibertaire.org/

[2] En France, 120 000 personnes travaillent en ESAT mais sont considérées comme des « bénéficiaires » et non des salarié·es. Le droit de se syndiquer et de faire grève ne leur a été accordé que récemment, en novembre 2023 dans la loi « pour le plein emploi », qui attaque par bien d’autres aspects les droits des travailleurs et travailleuses handicapé·es. Nous y reviendrons dans un prochain numéro !

[3] 150 personnes ont occupé pendant 28 jours le bureau du Ministère de la santé à San Francisco, pour exiger l’application de l’article 504 de la loi sur la réadaptation prévoyant l’obligation d’accessibilité des espaces ouverts au public.

[4] Une quinzaine de personnes handicapées ont mené plusieurs actions, bloquant le départ d’un train et d’un avion pendant quelques heures, ainsi qu’un convoi Airbus pendant 24h, pour dénoncer l’inaccessibilité des transports et demander le retrait de la loi ELAN. Iels ont par la suite été ensuite poursuivi·es et condamné·es lors d’un « procès de la honte », dans des conditions indignes révélant l’inaccessibilité de la justice.

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11 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

russie ( aplutssoc)

caca colé

Qui a besoin d’attaques « de viande » ? Andrey Cherepanov : Poutine a besoin d’au moins un million de morts.

Nous publions la chronique des événements courants en Russie, réalisée par Karel, Jean-Pierre et Robert à partir de publications de sites d’opposition russes, exprimant une réalité éloignée des communiqués de la propagande poutinienne.

Document

Source : http://www.kasparov.ru/material.php?id=657254038731C

Selon les rapports officiels de l’état-major ukrainien, au 650e jour de l’ »opération spéciale » de Poutine sur le sol ukrainien, plus d’un tiers de million de militaires russes ont déjà été tués et, au cours des deux derniers mois, environ un millier d’entre eux ont perdu la vie chaque jour, soit une moyenne d’un soldat ou d’un officier par minute et demie.

Mais il ne vaut guère la peine d’être d’accord avec l’affirmation selon laquelle des pertes aussi importantes ont été obtenues en raison de l’indifférence totale à l’égard de leur nombre du chef du Kremlin, qui, selon les expressions figurées des experts militaires, jette littéralement de la viande humaine, chassant ses concitoyens dans le hachoir à viande ukrainien.

Je crois que Poutine n’est en aucun cas indifférent, mais qu’il a un intérêt tout à fait conscient à ce que le nombre de Russes tués et grièvement blessés au cours de « l’opération spéciale » augmente le plus possible. Bien sûr, en présence d’un tapis roulant actif pour pomper les ressources de mobilisation vers le front afin de reconstituer le personnel des unités militaires souvent battues.

Cela s’explique par le fait que lorsque Poutine s’est lancé dans l’aventure militaire, il n’est pas parti de son objectif publiquement annoncé de protéger la population civile du Donbass, prétendument souffrant des « ukronazis » et d’autres absurdités, mais uniquement du désir, à la veille à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire et du centenaire de la formation de l’URSS, pour capturer et soumettre l’Ukraine, la Moldavie, puis, en fonction de la réaction de l’Occident, les pays baltes, l’Arménie et la Géorgie.

Et s’assurant ainsi triomphalement une place dans l’histoire mondiale en tant que « rassembleur des terres russes » au lieu de la place qui lui a été préparée en tant que voleur en chef du Kremlin.

Cependant, un tel plan a échoué en raison d’une préparation incompétente de sa mise en œuvre, mais surtout grâce à la volonté et à la résistance courageuse des Ukrainiens et à l’aide du monde civilisé. Les soldats russes n’ont réussi à occuper qu’une partie de l’Ukraine.

Et maintenant, pour ne pas être connu pendant des siècles comme un perdant honteux, Poutine doit conserver les terres occupées pour la Russie, mettre fin à toute tentative des « traîtres nationaux » de les restituer à l’Ukraine pendant le reste du règne de Poutine et pour plusieurs décennies, idéalement des siècles après.

Cela peut être bien servi par un outil puissant, maîtrisé depuis la Seconde Guerre mondiale : la rhétorique du sang russe versé pour la terre « libérée ». Et plus le sang coulera, plus les prochains volumes de «livres de mémoire» avec les noms des Russes tués et grièvement blessés lors de «l’opération spéciale» seront volumineux – plus ils seront fiables.

Et pour cela, un tiers de million, voire un demi-million de morts de soldats et d’officiers russes semblent un peu minimes. Poutine a besoin d’au moins un million.

Cependant, un tel objectif en termes de morts ne sera pas atteint avec la victoire imminente de l’Ukraine par la libération complète de ses terres de l’occupation. C’est pourquoi la défaite de Poutine dans la guerre criminelle qu’il a déclenchée est d’une importance vitale et intéressante pour les Russes eux-mêmes. Du moins pour ceux qui sont capables de penser.

Andreï Tcherepanov.  10 décembre 2023

https://aplutsoc.org/

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11 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

gaza (the guardian)

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Par Amira Hass

Gaza. «Même si la guerre s’arrêtait demain, les personnes encore en vie n’auraient plus d’endroit où vivre»

A Ramallah [capitale administrative de facto de l’Autorité palestinienne], des représentants politiques ont exprimé leur admiration pour la ténacité des habitants de Gaza face aux plans israéliens, semi-officiels, prévoyant de les expulser de l’enclave et de les réinstaller en Egypte. Mais les habitants de Gaza eux-mêmes démentent ces discours. Ils disent à quel point ils aimeraient partir et échapper à la mort, aux blessures, à la faim, à la soif et à l’humiliation [1].

«Nous restons inébranlables bien malgré nous», disent-ils.

Dans une enquête réalisée en juin, bien avant la guerre, le Palestinian Center for Policy and Survey Research a constaté que 29% des habitant·e·s de Gaza souhaitaient émigrer en raison des conditions politiques, sécuritaires et économiques. En septembre, une série de reportages ont fait état d’une augmentation de l’émigration. Le 6 octobre, l’agence de presse turque Anadolu a décrit les difficultés auxquelles s’affrontent ceux qui partent et a cité un démenti des autorités du Hamas quant à l’existence d’un tel phénomène.

Ce désir de partir a-t-il diminué, pour des raisons nationalistes et patriotiques, au cours d’une guerre qui menace la vie de chaque homme, femme et enfant de Gaza?

Selon des informations parvenues à Ramallah, en Cisjordanie, les frais nécessaires pour organiser un départ par le point de passage de Rafah s’élèvent entre 6 000 et 7 000 dollars par personne, contre 4 000 à 5 000 dollars il y a un mois. L’une des personnes les plus riches de Gaza aurait payé environ 250 000 dollars pour faire sortir 25 membres de sa famille élargie.

Ces paiements sont connus sous le nom de «frais d’organisation», un euphémisme pour désigner un bakchich versé à des entités inconnues. On parle d’une société égyptienne qui coordonnerait les sorties. Un médiateur palestinien serait également impliqué.

Les habitants de Gaza qui doivent «organiser» leur sortie et payer des sommes considérables sont ceux qui n’ont pas la chance d’avoir la double nationalité ou d’avoir un parent au premier degré possédant une nationalité étrangère. Ils n’ont pas de visa pour vivre dans un autre pays, ou n’ont pas un emploi dans une organisation internationale qui leur a permis d’établir des liens avec une ambassade étrangère qui les a assistés pour sortir.

Comment une famille ordinaire de huit personnes qui n’a pas la chance d’appartenir à l’une de ces catégories peut-elle obtenir l’argent nécessaire pour payer un bakchich ou des «frais d’organisation»?

Partir, ou même parler de partir, est déchirant pour toutes les personnes concernées. Les rares personnes qui peuvent partir, quelle qu’en soit la raison, laissent derrière elles des parents, des frères et des sœurs plus âgés.

Souvent, ceux qui restent sont malades, handicapés et/ou dépendent de leur famille pour les transporter d’un abri à l’autre ou pour s’occuper de leur bouteille d’oxygène [les cas de détresse respiratoires sont nombreux, en partie liés aux bombardements]. Tous ceux qui partent savent que c’est peut-être la dernière fois qu’ils voient, serrent et embrassent leur mère de 80 ans ou leur sœur qui lutte contre un cancer.

Comme c’est le cas dans toutes les guerres, où qu’elles se déroulent, ceux qui disposent des ressources financières et/ou d’un statut social dû à leur origine familiale ou à un niveau d’éducation élevé sont généralement ceux qui sont les mieux à même de s’enfuir.

Mercredi 6 décembre, 723 personnes ont quitté la bande de Gaza, selon le rapport quotidien publié par les autorités du point de passage de Rafah. Trois d’entre elles étaient des blessés accompagnés de trois accompagnateurs, 20 membres d’une délégation italienne et 703 détenteurs de «passeports étrangers». (Les données indiquées dans le rapport ne correspondent pas au total mentionné).

Le 2 décembre, 862 personnes considérées comme «étrangères» sont parties; la plupart d’entre elles, mais pas toutes, sont des habitants de Gaza. En outre, 12 blessés et un malade nécessitant des soins médicaux à l’étranger sont sortis, accompagnés de 16 accompagnateurs, ainsi que de trois membres du personnel de l’ONU. En tout, 894 personnes. Le même jour, le nombre de personnes entrant à Gaza était de deux résidents et de «trois morts» (pour des raisons non expliquées).

L’admiration pour la ténacité des habitants de Gaza entre également en contradiction – sur le plan émotionnel et éthique – avec le fait que les Palestiniens sont convaincus qu’Israël mène une guerre d’anéantissement contre la population à Gaza. En d’autres termes, il commet un génocide. N’est-il pas logique que les gens fuient ceux qui ont l’intention de les anéantir, surtout lorsqu’il ne s’agit que de traverser la frontière?

«N’y a-t-il personne (dirigeant arabe/émissaire de l’ONU/émir/roi) qui puisse faire pression sur l’Egypte (soutenue par le Qatar, le Royaume d’Arabie saoudite et même la Jordanie) pour qu’elle autorise les civils de Gaza à franchir le point de passage de Rafah, où ils pourraient sortir de la zone de guerre et recevoir l’aide de l’ONU et du CICR?

C’est l’endroit logique où il faut aller.» C’est ce qu’un lecteur anonyme m’a écrit en anglais, faisant écho aux appels lancés par des hommes politiques, allant de la formation d’extrême droite Parti sioniste religieux jusqu’au parti Yesh Atid («Il y a un futur») de Yair Lapid. En fait, cette volonté israélienne d’expulser les Palestiniens est déguisée en préoccupation humanitaire. Quoi qu’il en soit, ces propos se sont un peu calmés, probablement face à l’opposition de l’Egypte et des Etats-Unis.

Mais lorsque Washington a opposé son veto à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU appelant à un cessez-le-feu immédiat [le vendredi 8 décembre], cela ne fait qu’accroître la pression sur l’Egypte pour qu’elle ouvre la frontière. Les bombardements et les combats ont détruit la plupart des bâtiments et des infrastructures de Gaza. Même si la guerre s’arrêtait demain, les personnes encore en vie n’auraient plus d’endroit où vivre [2].

Quel que soit le vainqueur, la reconstruction prendra de nombreuses années. Chaque habitant de Gaza est aujourd’hui confronté au dilemme suivant: quelle est la bonne chose à faire? Partir (si c’est possible) pour sauver sa vie ou rester dans une Gaza «bombardée jusqu’à revenir à l’âge de pierre» pour le bien du patriotisme et de la nation.

(Article publié dans le quotidien israélien Haaretz le 11 décembre 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

11 décembre 2023 Alencontre Amira Hass

https://alencontre.org/

[1] Parmi les nombreux témoignages traduisant les conditions infra-humaines dans lesquelles sont condamnés à survivre des dizaines de milliers de Palestiniens et Palestiniennes, forcés par l’armée israélienne de rejoindre la zone d’Al-Mawasi, on peut citer un de ceux reproduits par la BBC en date du 9 décembre: «Mona al-Astal, qui s’est également réfugiée à al-Mawasi, dit qu’elle est tenue éveillée toute la nuit par le bruit des bombardements. Médecin, elle dit avoir été forcée de quitter Khan Younès après que la maison de son voisin a été bombardée. Mona décrit également le manque d’eau, d’électricité et de fournitures dans cette zone “humanitaire”. Elle dit avoir été obligée d’acheter une tente et d’autres fournitures pour 300 dollars. Elle raconte qu’elle a vu des gens entrer par effraction dans un entrepôt de l’agence des Nations Unies parce qu’ils “avaient tellement faim, ils n’avaient rien à manger”. Pour ne rien arranger, des maladies liées à des parasites, ainsi que la varicelle et des infections intestinales se sont répandues parmi les enfants. “Chaque jour qui passe accroît le danger pour nous”, ajoute Mona.» (Réd.)

[2] Le quotidien canadien La Presse, en date du 9 décembre, rapporte ce que lui a communiqué rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à un logement: «Le niveau de destruction des bâtiments civils “rend tout retour à la normale à Gaza extrêmement difficile, voire impossible, une fois que le conflit sera terminé”, estime M. Rajagopal, qui appuie ses conclusions sur les relevés de destruction les plus récents et les commentaires de plusieurs dirigeants israéliens.» (Réd.)

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11 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

strasbourg (débat-manif)

strasburg

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11 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

obésité (the conversation-radio france)

porcs

Lutter contre l’obésité avec des fibres

Au niveau mondial, l’obésité a triplé depuis 1975. Selon les derniers chiffres de l’organisation mondiale de la santé, presque 2 milliards d’adultes étaient en surpoids ou obèses, et parmi eux, 650 millions obèses – soit 13 % de la population mondiale. Un surpoids est défini par un indice de masse corporel (IMC) compris entre 25 et 30, une obésité lorsque ce dernier dépasse 30.

En 2020, la prévalence de surpoids et de l’obésité est de 47,3 % dans la population française (17 % de personnes obèses), avec une tendance à la hausse. Du fait que l’occurrence de nombreuses pathologies chroniques est plus élevée chez des populations obèses ou en surpoids (diabète de type 2, pathologies cardiovasculaires…), de nombreuses politiques publiques se sont mises en place pour enrayer cette augmentation constante de l’obésité et du surpoids,notamment le PNNS (Programme national nutrition santé en France).

Parmi les repères nutritionnels et les objectifs du PNNS, il est recommandé d’augmenter la part des fibres dans notre alimentation pour prévenir l’occurence de l’obésité et des pathologies associées mais aussi pour lutter contre l’obésité installée. Cela passe notamment par une augmentation de l’ingestion des fruits et légumes, des céréales complètes ou des légumineuses par exemple.

En effet, il existe un écart important entre la consommation de fibres alimentaires dans la population française et les recommandations du PNNS (30 g). Or, une consommation accrue de fibres alimentaires est connue pour être inversement corrélée avec la prévalence des pathologies chroniques associées à l’obésité.

Du pain enrichi en fibres fermentescibles

L’augmentation de l’ingestion de fibres, en particulier fermentescibles (celles dégradées par le microbiote intestinal) ont montré, dans des études cliniques contrôlées, un effet bénéfique sur l’insulino-sensibilité et donc la diminution de l’apparition du diabète et des pathologies cardiovasculaires. Les fibres fermentescibles sont présentes dans les légumineuses, les céréales complètes, les fruits et les graines en particulier.

Pour corriger cette déficience, nous avons mis au point un pain enrichi en fibres fermentescibles potentiellement capable d’augmenter la sensibilité à l’insuline et donc limiter le développement du diabète. Un mélange de fibres fermentescibles a été développé sur une base de 20 % d’inuline, 20 % de pectine et 60 % d’amidon résistant.

Ainsi, la consommation de 250g (soit environ une baguette) de ce pain apporte 25g de fibres et permet d’atteindre, voire de dépasser, les recommandations du PNNS dans le cadre d’une alimentation saine.

Nous avons testé ce pain sur un modèle animal en cours de développement de l’obésité et nous sommes intéressés à la courbe de prise de poids des animaux en présence ou non du pain enrichi en fibre. Nous avons par ailleurs montré des effets métaboliques intéressants de ce pain enrichi en fibres sur le métabolisme de muscle et en particulier sur son métabolisme énergétique.

Nous avons utilisé comme modèle animal le mini porc, car ce dernier présente la particularité d’être relativement proche de l’humain du point de vue de la taille, la physiologie digestive, la composition de son microbiote intestinal et surtout de la réponse de nombreux paramètres physio-métaboliques à la surnutrition et à l’obésité.

Des résultats prometteurs chez l’animal

Ces mini porcs sont ainsi nourris afin qu’ils développent de l’obésité : ingestion de 800g d’un régime enrichi en graisse et sucre (apport énergétique largement supérieur à leurs besoins). Les mini porcs reçoivent de plus : soit 250 g de pain à base d’une farine raffinée pauvre en fibres, celle que l’on retrouve dans les baguettes blanches (T = Témoin) soit 250g d’un pain enrichi en fibres fermentescibles (F = Fibres).

Les fibres fermentescibles ont été choisies, car elles sont dégradées dans le colon par le microbiote intestinal, générant des molécules appelées acides gras à chaînes courtes (butyrate et propionate en particulier) connues pour avoir des effets bénéfiques sur la santé, en particulier sur la santé métabolique et la sensibilité à l’insuline. Nous avons choisi un mélange de fibres pour permettre la synthèse d’une grande variété d’acides gras à chaînes courtes.

Le pain enrichi en fibres a permis de limiter la prise de poids induite par le régime riche en graisse et sucre (-15 % de prise de poids chez les animaux F relativement à T). Ceci s’est également traduit par un moindre stockage des graisses dans leur foie. Par ailleurs, les fibres fermentescibles présentes dans le pain des animaux F ont aussi permis de stimuler, dans le muscle, l’expression de nombreux gènes impliqués dans la dégradation complète des acides gras (graisses) ainsi que dans l’activité mitochondriale (la centrale énergétique de nos cellules). En plus des enzymes impliquées directement dans la dégradation et l’utilisation des lipides dans les mitochondries, l’expression génique de nombreux facteurs de régulation des activités mitochondriales est également augmentée chez les animaux F, suggérant là encore une limitation du stockage des graisses et une augmentation de leur utilisation.

Parmi les éléments pouvant expliquer l’effet des fibres fermentescibles sur l’utilisation des graisses à des fins d’oxydation plutôt que de stockage dans le muscle, nous supposons l’action des acides gras à chaînes courtes (butyrate et propionate) connus pour limiter le diabète et augmenter l’insulino-sensibilité. En effet, sur ces mêmes animaux, nous avons vu, une augmentation du butyrate et du propionate dans les fécès ainsi que dans le sang émis par l’intestin en veine porte chez les animaux ayant eu le pain supplémenté en fibres fermentescibles. Par ailleurs, une augmentation de l’expression de récepteurs de ces mêmes acides gras dans le colon a également été montrée, suggérant une augmentation de la sensibilité des animaux supplémentés en fibres vis-à-vis acides gras à chaînes coutes.

L’ingestion de quantités raisonnables de pain enrichi en fibres fermentescibles est donc un moyen efficace de se rapprocher des apports recommandés en fibres par le PNNS, mais aussi de limiter la prise de poids en favorisant le catabolisme musculaire des lipides. Les effets de la supplémentation en fibres ne se limitent donc pas à la prise de poids mais ont des effets majeurs sur l’utilisation des lipides dans l’organisme, en particulier au niveau musculaire. Ce pain pourrait être recommandé pour les personnes en surpoids afin qu’elles puissent, sans régime amaigrissant, éviter de prendre du poids. La mise à disposition de ce type de pain pourrait également limiter l’arrivée de perturbations métaboliques associées à l’obésité comme le développement de l’insulino-résistance puis du diabète sur le long terme.

10 décembre 2023,  Université Clermont Auvergne apporte un financement en tant que membre adhérent de The Conversation FR. The Conversation France

Isabelle Savary-Auzeloux Chercheuse en nutrition, Université Clermont Auvergne (UCA)

https://theconversation.com/

Santé : l’obésité et le surpoids touchent près d’un Français sur deux

Le billet sciences Anne Le Gall
Près d’un Français sur deux se trouve en surpoids et le taux d’obésité a doublé en l’espace de 30 ans en France. C’est ce que rappelle une étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et du CHU de Montpellier.

Le surpoids touche 47% des Français, et l’obésité concerne 17% des adultes. Ces chiffres de 2020 (qui sont les derniers disponibles) montrent également des différences régionales : l’obésité concerne davantage les Hauts-de-France et le Grand-Est que l’Île-de-France, les Pays de Loire ou le Sud-Est.

Mais globalement, ces chiffres dessinent une trajectoire française inquiétante, explique Annick Fontbonne, chercheuse à l’Inserm, qui a co-dirigé cette étude* présentée lundi 20 février : « Les Français ont pendant longtemps gardé un poids à peu près normal par rapport à tous leurs voisins européens, mais là, on a une pente qui apparemment est plus forte que celle décrite par l’OMS pour la région Europe. » Cette hausse de l’obésité est particulièrement marquée chez les jeunes Français, les 18-34 ans. Depuis 1997, l’obésité chez les 18-24 ans a été multipliée par plus de quatre, et par près de trois chez les 25-34 ans. Avec, à la clé, une augmentation du risque à long terme de maladies cardiovasculaires, de diabète et de nombreuses formes de cancers.

Cette augmentation de l’obésité en France s’explique avant tout par l’alimentation, plus que par le manque d’exercice, disent ces chercheurs. Le problème, c’est l’augmentation de la part d’aliments industriels dans les menus, car un gramme d’aliment ultra-transformé a une densité calorique plus forte que le même aliment préparé à la maison.

Évidemment, derrière ce recours aux plats préparés, il y a la question du pouvoir d’achat et du manque de temps. C’est pour cela que les chercheurs insistent sur le rôle des politiques publiques, qui doivent aider les Français à faire des choix alimentaires plus sains. Le nutri-score est une bonne chose, mais ça ne suffit pas.

Une nouvelle génération de traitements

À côté des solutions chirurgicales, réservées aux cas d’obésité sévère, il y a actuellement une nouvelle génération de traitements qui arrive. Ces médicaments (déjà connus dans le traitement du diabète) miment l’action de certaines hormones intestinales et contribuent à réduire l’appétit.

Les essais cliniques montrent des effets encourageants avec une perte pouvant dépasser 10% du poids total, mais les médecins manquent encore de recul sur les effets secondaires. D’autres données de sécurité sont attendues, avant la mise sur le marché de ces nouveaux médicaments pour traiter l’obésité.

Anne Le Gall Radio France 21/02/2023

https://www.francetvinfo.fr/

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11 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

engrais (amis de la terre)

Le business des engrais, au mépris de l’environnement et de la justice sociale

Engrais chimiques et respect de l’environnement, l’équation impossible

Les engrais azotés sont intrinsèquement liés aux énergies fossiles, et donc à l’emballement climatique et aux évènements météorologiques extrêmes. Et pour cause : encore aujourd’hui, la quasi-totalité (98%) des engrais azotés industriels sont fabriqués à partir d’énergies fossiles. Résultat : à l’échelle mondiale, 30% de la consommation énergétique est dirigée vers l’agriculture1.

À l’échelle française également, le constat est édifiant : les engrais sont responsables de près d’un quart des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole2. Et les perspectives pour l’avenir ne sont guère enthousiasmantes. L’augmentation de la demande d’engrais de synthèse est telle que même dans le scénario le plus optimiste de l’AIE (Agence Internationale de l’Énergie), d’ici 2050, plus de la moitié du gaz fossile serait destiné à la production d’hydrogène, élément clé pour fabriquer de l’ammoniac, qui est à la base des engrais azotés3.

Par ailleurs, le engrais azotés, couplés avec l’élevage industriel, provoquent une surcharge de nitrates dans les nappes phréatiques, ce qui réduit la quantité d’oxygène présente dans les eaux des rivières. Ce phénomène a comme conséquence la prolifération des algues vertes.

Les engrais, synonymes d’injustices sociales

Le prix des engrais azotés étant fortement dépendant des aléas du marché des énergies fossiles, la guerre en Ukraine a entraîné une montée en flèche de ce prix. En 2022, le coût des engrais a ainsi atteint des pics qui n’avaient pas été tutoyés depuis 1997. Qui dit hausse du prix des engrais, dit hausse des coûts de production des produits alimentaires, et donc in fine, hausse du prix de l’alimentation pour les consommateur·ices. Ainsi, selon le Directeur du Programme Alimentaire Mondial, la guerre en Ukraine a poussé 70 millions de personnes au bord de la famine, principalement en raison de la hausse du prix des engrais4.

Et qui tire profit de phénomène ? Les grands industriels producteurs d’engrais tels que Yara, dont les bénéfices ont été multipliés par plus de six entre 2021 et 20225. Notons que pendant la crise des prix de l’énergie, les coûts grandissants des engrais ont été en partie absorbés par les États importateurs, à travers des dispositifs d’aides publiques pour venir en aide aux agriculteur·ices. En clair, c’est toute une partie de l’argent public qui est allée remplir les poches des actionnaires des puissances industrielles productrices d’engrais. Et si l’argent public était plutôt alloué à la transition et l’agro-écologie, pour une meilleure résilience et une plus juste répartition des richesses ?

Hausse des prix du gaz : notre dépendance aux engrais menace notre sécurité alimentaire.

Sarah Champagne

« Face à ce système à bout de souffle qui nous appauvrit collectivement et nous enfonce dans l’insécurité alimentaire, les multinationales tentent de verrouiller un système qui leur assure des profits mirobolants. Pour cela, elles ont forgé l’illusion des engrais décarbonés, illusion qui n’est rien de moins qu’une fausse solution. »

Sarah Champagne Chargée de campagne agriculture aux Amis de la Terre France

Le piège des engrais « décarbonés »

Alors que l’impact climatique des engrais azotés n’est plus à démontrer, les industriels redoublent de créativité pour maintenir leurs profits. C’est ainsi que le mythe des engrais « décarbonés », prétendue solution miracle pour le climat, a convaincu l’État (non sans l’intervention des lobbies). Hydrogène « bleu » (censé servir de transition vers l’hydrogène « vert »), capture et stockage de carbone (CCS, carbon capture and storage), ou encore compensation carbone… Ces technologies soi-disant « décarbonées » ne sont rien de moins qu’une illusion orchestrée de toute pièce par l’agro-industrie.

En effet, l’hydrogène « bleu » consiste simplement à ajouter un procédé de capture et stockage de carbone lors de la production d’hydrogène.

La technique de capture et stockage de carbone (CCS), qu’est-ce que c’est ?

C’est une technique qui consiste à neutraliser les émissions de CO2 via leur captation directement au niveau des postes d’émission, puis leur stockage dans des substrats géologiques, des mines, les fonds océaniques ou encore les sols. Or, ce procédé est immature, très coûteux, et constitue un argument de greenwashing massivement utilisé aujourd’hui par l’industrie fossile pour justifier le développement de nouveaux projets pétro-gaziers.

Loin de réduire les émissions de gaz à effet de serre, les équipements de CCS visant à produire de l’hydrogène « bleu » réclament, au contraire, plus d’énergie, et, par extension, plus de gaz fossile6.

Mais alors, qu’en est-il de l’hydrogène « vert » ? Issu d’une production à partir d’électrolyse (technique nécessitant de l’eau et de l’électricité issue de sources renouvelables), l’hydrogène vert coûte deux à trois fois plus cher que les méthodes traditionnelles plus polluantes7 et consomme énormément d’eau, ressource qui se raréfiera dans les prochaines décennies.

Les solutions ne peuvent être confiées aux mains de l’agro-industrie. Toute l’attention des pouvoirs publics doit se tourner vers les véritables solutions, qui existent et sont éprouvées.

L’agroécologie paysanne : l’urgente et nécessaire transition

Aux Amis de la Terre, nous revendiquons une réduction drastique et immédiate de la production et de l’usage des engrais azotés. Il est prouvé8 qu’il est possible de réduire drastiquement notre consommation d’engrais de synthèse, tout en assurant la sécurité alimentaire de la population mondiale. C’est pourquoi nous demandons immédiatement la mise en place des alternatives efficaces, éprouvées et respectueuses du vivant et des écosystèmes, que sont :

La sortie de l’élevage industriel et de l’agriculture intensive

L’agriculture biologique et la polyculture-élevage, moins dépendantes des engrais que l’élevage intensif et les monocultures, doivent bénéficier de davantage d’aides publiques. Par ailleurs, il est nécessaire de réduire drastiquement le nombre d’animaux d’élevage en France, surtout lorsque l’on sait que 80% des engrais servent à produire de l’alimentation pour les animaux d’élevages.

Une réforme de la Politique Agricole Commune (PAC)

Aujourd’hui, la PAC favorise l’agrandissement des exploitations et tend donc à renforcer un modèle agro-industriel délétère pour l’emploi paysan, le climat et la biodiversité. Avec le Collectif Nourrir, nous portons plusieurs propositions concrètes pour que la PAC assure un revenu décent aux agriculteur·ices et opère enfin un vrai tournant vers l’agroécologie.

Le développement des légumineuses

Contrairement aux engrais azotés, déployer les légumineuses dans les rotations de cultures assure un apport direct d’azote aux plantes, et sans dommages pour l’environnement. Ainsi, l’OCDE a calculé qu’en Finlande, une production intensive de légumineuses permettrait de réduire l’utilisation d’engrais azotés de 60%, ainsi que celle d’énergies fossiles9. En agroécologie, la culture des légumineuses permet également de piéger le carbone dans les sols. Peu gourmandes en eau, les légumineuses améliorent le rendement des cultures céréalières (de 20% en moyenne, et davantage en l’absence d’engrais azotés10) et permettent de réduire les émissions de protoxyde d’azote, par rapport aux engrais azotés.

Nous nous trouvons aujourd’hui face à un enjeu vital de justice climatique et de sécurité alimentaire. Engraisser les poches des actionnaires de l’agro-industrie ou respecter les limites planétaires en défendant l’emploi paysan, il faut choisir !

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10 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

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09 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

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Entre trêve et fuite en avant, un tournant dans la guerre génocidaire menée par Israël

La trêve n’aura donc duré qu’une semaine. Sitôt rompue, Israël a repris l’opération exterminatrice menée depuis le 7 octobre. Pourtant, il serait erroné de croire qu’elle n’aura été qu’une parenthèse sans conséquences sur la suite. En effet, la conclusion de la trêve en elle-même était un premier revers pour Israël, produit (temporaire) d’une dégradation du rapport de forces interne et externe, un revers que ses dirigeants essaient d’effacer en s’engageant dans une fuite en avant d’autant plus meurtrière et aveugle que les buts affichés par Israël (éradiquer le Hamas, et, de façon de plus en plus explicite, vider Gaza de sa population) apparaissent hors d’atteinte.

Un assaut génocidaire

Le premier résultat de cette trêve a pourtant été de permettre de mesurer l’ampleur du carnage que la population gazaouie subit depuis deux mois sous les yeux du monde entier et avec le soutien impavide de la quasi-totalité des gouvernements occidentaux. Plus froids que les images, les chiffres donnent littéralement le vertige : 15 000 morts au début de la trêve (16000 au 5 décembre), selon un décompte provisoire (des milliers de cadavres gisaient sous les décombres avant même la reprise de l’offensive israélienne), dont plus de 6 000 enfants et mineurs ; en y ajoutant les femmes, le chiffre (sous-estimé car le décompte séparé n’est disponible qu’à partir du 20 octobre) dépasse les 10 000, soit les deux-tiers du total des morts.

Selon les sources militaires israéliennes, le nombre de combattants palestiniens tués se situe dans une fourchette entre 1 000 et 3 000, soit (si l’on retient l’estimation la plus élevée) moins de 20% du total. A cela s’ajoutent : plus de 30 000 blessés qu’un système hospitalier presqu’entièrement détruit est incapable de prendre en charge ; la moitié du bâti de Gaza-nord à l’état de gravats ; l’ensemble des infrastructures vitales (réseaux d’approvisionnement en électricité, eau et carburant) détruites, avec un acharnement particulier sur le système de santé (25 des 36 hôpitaux et 47 des 72 centres de santé non-fonctionnels dès le 17 novembre).

Selon le directeur de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, 1,3 million de personnes (soit plus de la moitié de la population gazaouie) vivent actuellement dans des tentes et autres abris de fortunes (sur un total de 1,7 million de personnes déplacées, soit 74% de la population totale). Toujours selon Ghebreyesus, « la surpopulation et le manque de nourriture, d’eau, d’assainissement et d’hygiène de base, l’absence de gestion des déchets et d’accès aux médicaments entraînent une explosion de cas d’infections respiratoires aiguës (111 000), de gale (12 000), de diarrhée (75 000), (…) avec, de surcroît, un risque accru d’épidémies ». Ghebreyesus conclut que « compte tenu des conditions de vie et du manque de soins de santé, les maladies pourraient faire plus de victimes que les bombardements ».

« Jamais la Palestine n’a autant souffert » souligne Jean-Pierre Filiu constatant un niveau de pertes humaines civiles ayant déjà dépassé celui de la répression du soulèvement de 1936-39, de la Nakba de 1948, de la répression des deux Intifada ou des offensives menées depuis 2008 contre Gaza.  Encore faut-il relever la bascule dans la composition de ces pertes. Selon un article de Lauren Leatherby publié le 25 novembre dans le New York Times (un quotidien peu suspect de verser dans la propagande anti-israélienne), la proportion de femmes et d’enfants parmi les pertes humaines causées par les attaques menées par Israël depuis 2008 contre Gaza (leur total s’élève à 6621 morts entre 2008 et la veille du 7 octobre selon le décompte de l’ONU) est passée d’une moyenne de 40% à 70%. Mais l’essentiel de l’article de Leatherby est consacré aux types de munitions qu’Israël a utilisé au cours des 15 000 frappes effectuées jusqu’à la trêve. L’aviation de l’Etat sioniste a eu largement recours à des bombes de 900 kilogrammes, rarement utilisées depuis la Seconde Guerre mondiale et les guerres de Corée et du Viêt Nam.

Leatherby rapporte les propos de responsables militaires et d’experts étatsuniens qui affirment que même des bombes d’une puissance quatre fois moindre n’ont pas été utilisées au cours des conflits récents car considérées comme trop impactantes pour être lâchées sur des zones urbaines peuplées, comme à Mossoul en Irak ou à Raqqa en Syrie au cours des offensives contre Daech. Ainsi, selon les chiffres de divers organismes internationaux cités dans l’article, davantage de femmes et d’enfants ont été tués à Gaza en moins de deux mois que pendant toute la première année de l’invasion de l’Irak en 2003 par les forces américaines et leurs alliés. Quant au nombre de femmes et d’enfants gazaouis tués, il a déjà dépassé les quelque 12 400 civils tués par les États-Unis et leurs alliés en Afghanistan au cours de près de 20 ans de guerre.

Au-delà du nombre de morts, les conséquences de l’usage de ce type de munitions sur les humains sont inimaginables. Selon Rick Brennan, directeur de l’OMS pour la Méditerranée orientale, « [nous avons] plus de 28 000 personnes blessées [le chiffre date du 13 novembre], et il ne s’agit pas de simples blessures. Il s’agit de blessures de guerre complexes – brûlures, amputations, terribles blessures à la tête et à la poitrine – souvent associées à ce que nous appelons des incidents de masse où de nombreux patients traumatisés sont amenés dans notre établissement à un moment donné ». Brennan relève également que 108 raids aériens [à cette date du 13 novembre] ont ciblé des hôpitaux et centres de santé et qualifie la proportion de femmes et de mineurs parmi les pertes humaines (qu’il estime également autour de 70%) de « statistique stupéfiante », notant que la proportion attendue était d’environ 30%.

Lors d’une conférence de presse tenue à Gaza le 27 novembre, Ghassan Abou Sittah, un chirurgien palestinien-britannique exerçant dans plusieurs hôpitaux du territoire, a dénoncé l’usage de bombes incendiaires et de bombes au phosphore, dont l’usage contre des populations civiles est strictement interdit par les traités internationaux. Abou Sittah en avait déjà repéré les effets en 2009, lors de l’opération « plomb durci » menée par Israël contre Gaza, à partir des blessures très caractéristiques qu’elles infligent : « le phosphore brûle jusqu’à l’intérieur profond du corps et ne s’arrête que lorsqu’il n’est plus exposé à l’oxygène ». Il a également dénoncé l’usage extensif de bombes à fragmentation, également interdites par plus de 100 pays – mais pas par Israël, qui en est friand – qui rendent nécessaires de multiples amputations sur une même personne. Les bombardements au phosphore blanc au Liban-sud ont également été dénoncés dès le 31 octobre par Amnesty International, notamment dans le village de Dhayra. Un mois après, comme le révèle un reportage de Mediapart, dans le village dévasté, les feux ne sont pas entièrement éteints et sont susceptibles de repartir au moindre contact avec l’oxygène tandis que, dans cette zone agricole, la terre est empoisonnée pour une durée indéterminée.

L’intentionnalité, et même la planification méthodique, de ce carnage ne sauraient faire de doute. Elles étaient explicitement annoncées dans l’emblématique déclaration du ministre israélien de la défense Yoav Gallant dès le surlendemain des attaques du 7 octobre : « Pas d’électricité, pas de nourriture, pas de gaz (…). Nous combattons des animaux et nous agissons en conséquence ». Déclaration dont il faut souligner que la charge déshumanisante n’a rien d’exceptionnel pour les normes d’un dirigeant israélien : Menahem Begin, parlant des « terroristes » palestiniens qui s’en prennent aux enfants, avait déclaré à la Knesset le 8 juin 1982 : « Nous défendrons nos enfants. Si la main d’un animal à deux pieds se lève contre eux, cette main sera coupée ».

Le carnage génocidaire de ces dernières semaines n’est qu’une mise en œuvre paroxystique et, nous y revenons plus loin, actualisée avec le dernier cri de la technologie, de la « doctrine Dahiya » – également désignée par la formule « tondre la pelouse » (là encore, la connotation déshumanisante est flagrante), une doctrine élaborée en 2006, lors des opérations israéliennes au Sud-Liban. Son principe, selon les mots de son concepteur, le général Gadi Eisenkot, rapportés par Haaretz en 2008, consiste à déployer « une puissance disproportionnée contre chaque village d’où des coups de feu sont tirés sur Israël, et cause[r] d’immenses dégâts et destructions ». Faut-il dès lors s’étonner de voir ce même Eisenkot rejoindre le gouvernement d’« unité nationale » constitué dans la foulée du 7 octobre ou entendre le porte-parole de l’armée israélienne Daniel Hagari déclarer, dès le 9 octobre dernier, que : « des centaines de tonnes de bombes » avaient déjà été larguées, et d’ajouter que « l’accent est mis sur les dégâts et non sur la précision » – un « aveu surprenant » selon le commentaire du quotidien britannique The Guardian.

Une enquête du magazine israélien judéo-palestinien +972 (version française disponible ici) a révélé le fonctionnement précis de cette « usine d’assassinats de masse » selon les termes d’un ancien officier du renseignement israélien. Contentons-nous ici de reprendre ou de résumer quelques extraits :

« l’armée israélienne dispose de fichiers sur la grande majorité des cibles potentielles à Gaza – y compris les maisons d’habitation – qui stipulent le nombre de civils susceptibles d’être tués lors d’une attaque contre une cible particulière. Ce nombre est calculé et connu à l’avance des unités de renseignement de l’armée, qui savent donc, peu avant de lancer une attaque, combien de civils sont susceptibles d’être tués (…).  “Rien n’arrive par hasard”, a déclaré une autre source. “Lorsqu’une fillette de 3 ans est tuée dans une maison à Gaza, c’est parce que quelqu’un dans l’armée a décidé que ce n’était pas grave qu’elle soit tuée – que c’était un prix qui valait la peine d’être payé pour frapper [une autre] cible. Nous ne sommes pas le Hamas. Ce ne sont pas des fusées aléatoires. Tout est intentionnel. Nous savons exactement l’étendue des dommages collatéraux qu’il y aura dans chaque maison.” »

L’enquête montre dans la détail comment la « doctrine Dahiya » a été amplifiée et technologisée à l’extrême par l’utilisation généralisée d’un système appelé « Habsora » (« L’Évangile » !), qui repose en grande partie sur l’intelligence artificielle (IA). Ce système peut « générer » des cibles presque automatiquement à un rythme qui dépasse de loin ce qui était auparavant possible. [Il] est qualifié par un ancien officier du renseignement d’ ‘usine d’assassinats de masse’. (…) Les sources qui ont participé à la compilation des cibles de pouvoir lors des guerres précédentes, affirment que bien que le fichier des cibles contienne généralement un lien quelconque avec le Hamas ou avec d’autres groupes militants, la frappe de la cible fonctionne principalement comme un moyen permettant d’infliger des dommages à la société civile’. Les sources ont compris, certaines explicitement, d’autres implicitement, que le ‘véritable objectif de ces attaques est de nuire aux civils’ ».

La trêve dont Israël ne voulait pas

Le 28 octobre, annonçant le début de l’offensive terrestre contre Gaza, Netanyahou faisait allusion à un passage des Écritures : « Souviens-toi de ce qu’Amalek t’a fait, est-il écrit dans la Bible ; nous nous en souvenons et nous luttons ». Le texte biblique auquel se référait le premier ministre israélien est sans équivoque : « Maintenant, allez frapper Amalek, et détruisez tout ce qu’ils possèdent, sans les épargner ; tuez hommes et femmes, enfants et nourrissons, bœufs et moutons, chameaux et ânes » (1 Samuel 15:3). Depuis le 7 octobre, écrit Mark Landler dans le New York Times du 15 novembre, « les appels à “raser”, “écraser” ou “détruire” Gaza ont circulé environ 18 000 fois dans des messages en hébreu sur X (anciennement Twitter), selon FakeReporter, un groupe israélien qui surveille la désinformation et les discours de haine ». Avec Amalek, on ne peut négocier, seulement l’exterminer. Voilà pourquoi il ne pouvait être question d’un cessez-le-feu.

Au nom du « droit d’Israël à se défendre », les alliés d’Israël, à savoir les Occidentaux emmenés par l’hégémon états-unien, ne disaient pas autre chose. Le 13 octobre, le Département d’État états-unien a diffusé une note interne demandant à ses fonctionnaires de ne pas utiliser les couples de termes et expressions suivantes : « désescalade/cessez-le-feu », « fin de la violence/des effusions de sang » et « rétablissement du calme ». Quelques jours plus tard, une résolution du conseil de sécurité des Nations unies appelant à une « pause humanitaire » – dans une tentative d’obtenir le soutien des États-Unis le terme de « cessez-le feu » avait été enlevé – et à la création d’un « corridor sécurisé », qui aurait permis l’acheminement humanitaire de l’aide à Gaza, se heurtait, comme c’était prévisible, au veto états-unien.

Pour justifier son vote, le représentant des États-Unis a déclaré que le texte, qui condamnait pourtant les « crimes terroristes odieux commis par le Hamas », était « inacceptable car il ne faisait aucune mention du droit d’Israël à la légitime défense ». Pourtant un tel « droit » n’existe pas, car, selon les résolutions de l’ONU (résolution 242 de novembre 1967, confirmée à de multiples reprises, la dernière étant la résolution 2334 de 2016), Israël occupe illégalement les territoires conquis en 1967, à savoir Gaza, la Cisjordanie (dont Jérusalem-Est) et le Golan (le Sinaï ayant été rétrocédé à l’Egypte suite à l’accord bilatéral de septembre 1975). Le « droit » d’une puissance occupante à poursuivre son occupation est une contradiction dans les termes, tout comme celui d’imposer un siège à une population qui la prive des biens et services essentiels à sa survie.

Pourtant, l’option de « guerre totale » se heurtait à un obstacle de taille : la question des otages, dont la prise – dans la perspective d’un échange avec un maximum de prisonniers palestiniens mais aussi de l’endiguement de la furie vengeresse qu’elle ne manquerait pas de provoquer – était l’un des principaux objectifs de l’attaque du 7 octobre. Dès le lendemain, comme le rapportait Sylvain Cypel dans Orient XXI, des contradictions éclataient à ce propos au sein même du gouvernement et de l’establishment de l’État sioniste. Les ministres de l’extrême droite la plus radicale, Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich « pouss[ai]ent à raser Gaza, et tant pis pour les otages » tandis que l’ex-chef des renseignements, le général Amos Gilad, rétorquait « alors maintenant qu’il y a des dizaines et des dizaines d’otages, bien sûr que nous allons négocier ! Et nous n’allons pas réoccuper Gaza ». Ces deux options n’ont cessé dès lors de s’affronter au sein du cabinet et de l’armée, l’issue reflétant l’évolution du rapport de forces sur le terrain militaire mais aussi au niveau interne et international.

La question des otages a agi d’emblée comme le révélateur des contradictions de la politique israélienne et de son basculement vers une logique exterministe de plus en plus assumée. Comme le relève Yigal Levy, spécialiste des questions militaires, professeur à l’Open University d’Israël, la réticence à demander la libération des otages est « un phénomène nouveau », eu égard par exemple au précédent de la guerre du Liban de 2006, quand la libération de deux soldats enlevés était considérée comme une priorité absolue. Le changement traduit, selon Levy, le « phénomène de droitisation » qui marque la politique israélienne et qui conduit à faire de l’« éradication du Hamas la priorité des priorités, même si cela doit se faire en sacrifiant les otages ». Les otages eux/elles-mêmes sont vu.es par une partie de la société comme « des gens de gauche, ceux des kibboutz », toute négociation en vue de leur libération devenant alors une entrave à la poursuite de la guerre. Inversement, leurs familles se sont mobilisées, avec le soutien d’une partie de l’opinion, pour obtenir leur libération, organisant pendant plusieurs semaines des rassemblements massifs (jusqu’à 100 000 personnes le 24 novembre) devant le Musée d’Art de Tel Aviv, à proximité du ministère de la défense, dans ce qui a été nommé la « place des otages ».

C’est la raison pour laquelle la libération des premiers otages a suscité des sentiments pour le moins ambivalents. Selon l’envoyée spéciale du Monde « à Tel-Aviv, le silence est très vite retombé, vendredi soir [24 novembre], après la liesse des premiers moments. Car ces retours ne constituent pas seulement une victoire : ils sont aussi le signe d’une humiliation. Le rappel, violent, de la défaite subie par Israël, le 7 octobre, et du fait que la guerre est sans doute loin de se terminer… Tant qu’il reste encore des captifs en sa possession, le Hamas continue de tenir la dragée haute à ses ennemis, dans une enclave dont la partie Nord a pourtant été en grande partie détruite par les bombardements israéliens ».

Pour le dire autrement, le sentiment de revers est triple : le retour des otages réactive le traumatisme du 7 octobre, jour pendant lequel l’image d’invincibilité d’Israël et de sa capacité à assurer la sécurité de sa population juive s’est irréversiblement fracturée. Encore plus grave, il a fallu négocier avec l’ennemi absolu, qu’on se promet d’éradiquer, et qu’on assimile tantôt à Daech (selon le site de Tsahal), tantôt aux « nazis », selon les termes de l’ancien premier ministre Naftali Bennett, rapidement rejoint sur ce terrain par un Netanyahou comparant Yahya Sinouar (le chef de l’aile militaire du Hamas) à un « petit Hitler dans son bunker » et s’engageant à « dénazifier Gaza ». Enfin, la mise en œuvre concrète du processus de négociations a apporté la preuve de la résilience du Hamas, de son emprise maintenue sur un territoire théoriquement sous contrôle militaire israélien et de sa capacité à imposer la quasi-totalité de ses conditions en vue de la libération des otages : ratio de 1:3 entre otages et prisonniers palestiniens libérés (prioritairement des femmes et des mineurs) ; pas de libération de soldats israéliens ; acheminement de l’aide humanitaire via Rafah ; une trêve continue de plusieurs jours et non une pause quotidienne de quelques heures.

La trêve équivalait donc bien à une victoire politique (et, pour une part, militaire) du Hamas. Le 27 novembre, les correspondants du Monde à Beyrouth et à Jérusalem résumaient la situation en ces termes : « Après avoir signé l’attaque la plus brutale jamais menée contre Israël le 7 octobre, Yahya Sinouar est non seulement toujours en vie cinquante jours après le début de la guerre, mais il engrange une nouvelle victoire politique. A la brutalité de l’attaque, qui s’est soldée par la capture de 240 otages et la mort de 1 200 Israéliens, s’est ajoutée, pour Benyamin Netanyahou, l’humiliation d’avoir été berné par l’homme qu’il pensait avoir bridé depuis son accession au pouvoir, en 2017. Il aurait voulu le faire plier par la force. Mais la résilience du mouvement face à la violence des bombardements israéliens, qui ont fait plus de 14 800 morts depuis le début de la guerre, selon le Hamas, et la pression des familles des otages l’ont obligé à accepter la négociation ». Et, poursuivaient-ils, ce faisant, un précédent a été créé, qui ne peut être sans conséquences pour la suite : « En scellant un accord avec l’Etat hébreu, le Hamas s’impose comme un interlocuteur avec lequel il faut négocier : aujourd’hui une trêve, demain peut-être le ‘jour d’après’. Des responsables du Fatah estiment qu’il faudra composer avec le mouvement, partie intégrante du tissu social et politique palestinien ». Et, nous y reviendrons dans un instant, ils ne sont pas les seuls.

Vers une recomposition du mouvement national palestinien ?

Le dernier point évoqué par les correspondants du Monde est de ceux qui peuvent s’avérer décisifs dans la suite des événements. La restauration de l’unité du mouvement national palestinien, avec, en perspective, l’intégration du mouvement dans l’ Organisation de Libération de la Palestine (OLP), est en effet un objectif stratégique du Hamas depuis sa participation aux élections de 2006.

C’est le Fatah, confortablement installé dans l’Autorité palestinienne (AP) et la « coopération sécuritaire » avec Israël, qui a refusé de reconnaître la victoire du Hamas et renversé le gouvernement constitué dans la foulée des élections et présidé par Ismaïl Haniyeh. Avec l’appui décisif des États-Unis et d’Israël, l’AP s’est engagée dans une guerre civile qui a abouti à la séparation entre Gaza et la Cisjordanie et scellé la délitement de l’unité palestinienne pour toute une période. Le Hamas est pourtant revenu à la charge à plusieurs reprises, et l’objectif a pu paraître sur le point d’être atteint à au moins deux moments (en 2017 et 2021), avant de se heurter à chaque fois au refus de Mahmoud Abbas et d’une AP de plus en plus démonétisée, si ce n’est haïe, aux yeux de la population palestinienne.

En octobre 2017, un accord conclu entre le Fatah et le Hamas avait suscité de grands espoirs, mais sa mise en œuvre piétinait du fait de la politique de l’AP. En apparence, les divergences portaient sur les modalités du transfert du pouvoir à Gaza vers l’AP et sur la réforme de celle-ci. En réalité, comme le notait à l’époque le correspondant du Monde, « derrière cette querelle sur la mécanique de la transition se dessine une différence d’approche majeure. L’AP exige une reddition du Hamas, sans en préciser les termes. Aux yeux de M. Abbas, la seule stratégie possible est la poursuite de la coordination sécuritaire avec Israël et la recherche inlassable d’un nouveau cycle de négociations, en vue d’une solution à deux États. Le Hamas, lui, veut sortir par le haut de sa gestion désastreuse du quotidien des Gazaouis pendant une décennie. Le mouvement s’imagine intégrer l’OLP et contribuer à redéfinir une stratégie nationale face à Israël. Sans renoncer à l’arsenal de sa branche armée, les brigades Al-Qassam ».

La dégradation de la situation à Gaza, après 14 ans de blocus et plusieurs offensives israéliennes, conjuguée à l’effondrement politique et financier de l’AP, avec un Mahmoud Abbas à bout de course et un Fatah de plus en plus divisé, pousse tant le Hamas que l’AP vers un nouveau cycle de négociations. Un accord est ainsi signé au Caire en février 2021, censé conduire à de nouvelles élections – nouvelle confirmation de la volonté du Hamas de jouer le jeu du pluralisme et de la démocratie électorale. Mais, une fois de plus, deux mois plus tard, Abbas annonce le report sine die des élections prenant prétexte des difficultés d’organisation du scrutin à Jérusalem-Est. En fait, bien plus que les obstacles créés par Israël, Abbas, et leurs soutiens occidentaux craignaient une défaite non seulement à Gaza mais aussi en Cisjordanie, et la répétition, à une échelle encore plus large, du scénario de 2006. Les pertes essuyées par l’AP dans les quelques petites communes de Cisjordanie où le scrutin municipal a pu se tenir en décembre 2021 ont confirmé la validité de ces craintes. Comme le rapportait le correspondant du Monde Louis Imbert en décembre 2021, « L’AP courait le risque de ‘perdre’ symboliquement Jérusalem-Est, la part arabe de la ville occupée par Israël, qui y interdisait le scrutin. Washington et l’Union européenne n’ont rien fait pour l’y contraindre. Ils ne manifestaient qu’un enthousiasme limité pour ce vote, qui aurait tiré le Hamas de son isolement à Gaza. M. Abbas lui-même craignait de perdre la maîtrise d’un exercice démocratique qu’il s’était efforcé de contrôler de bout en bout ».

Ces échecs, dont la responsabilité incombe à l’AP, ont accentué la fragmentation du mouvement national palestinien et entériné son affaiblissement au moment même où Israël et les Etats-Unis repassaient à l’offensive sur le plan diplomatique, normalisant les relations entre Tel-Aviv et plusieurs pays arabes. En Cisjordanie même, l’AP, de plus en plus engluée dans la corruption et la collaboration avec Israël (avec son cortège de répression des militants palestiniens indociles, y compris de nombreux membres du Fatah) est de plus en plus contestée.

Selon une enquête publié en septembre dernier, à l’occasion des 30 ans des accords d’Oslo, conduite à Gaza et en Cisjordanie par le Palestinian Center for Policy and Survey Research, 62% des personnes interrogées pensent que l’AP est un « fardeau » pour le peuple palestinien, 78% appellent à la démission de M. Abbas (un pourcentage identique à Gaza et en Cisjordanie) et 53% privilégient la résistance armée comme moyen d’atteindre la libération, contre 20% qui accordent la priorité aux négociations et 24% à la résistance non-violente.

A Jénine, Naplouse, Jéricho et dans d’autres localités, des groupes auto-organisés de jeunes combattants se lancent dans la lutte armée, en dehors des cadres établis. Des secteurs militants du Fatah s’autonomisent de l’AP et de sa bureaucratie corrompue et collaborationniste. Face à un Mahmoud Abbas usé jusqu’à la corde, Marwan Barghouti, détenu dans les geôles israéliennes depuis 2002, apparaît comme une personnalité capable d’unifier le mouvement national sur des bases de combat. De leur côté, les États-Unis et leurs alliés du Golfe poussent leur « homme de confiance », Mohammed Dahlan, longtemps chargé de la « coopération sécuritaire » de l’AP avec Israël et exécutant de la stratégie étatsunienne d’affrontement armé avec le Hamas en 2006-2007, y compris la tentative d’assassinat d’Ismaïl Haniyeh (cf. les révélations de Vanity Fair en avril 2008). En exil depuis 2011 dans les Émirats, où il est devenu un richissime homme d’affaires, l’intime et le conseiller du régent d’Abou Dhabi Mohammed Ben Zayed (et a acquis la nationalité serbe), Dahlan conserve de puissants réseaux en Cisjordanie, dans plusieurs camps de réfugiés palestiniens et s’affirme comme un « agent d’influence international », aussi trouble que puissant.

Au début de cette année, des pourparlers au sommet entre le Hamas et l’AP avaient repris, sous la houlette de l’Egypte, dans la foulée d’une rencontre au Caire entre Abbas et Khaled Mechaal, dirigeant de la branche politique du Hamas. Les discussions s’étaient poursuivies cet été, avec une rencontre à la fin juillet entre Abbas et Ismaïl Haniyeh, en vue de relancer les tentatives d’organisation d’élections et de réforme de l’OLP, pour que le Hamas puisse l’intégrer. Mais le 7 octobre a bouleversé ces manœuvres au sommet. L’opération militaire dirigée par le Hamas, et la guerre génocidaire lancée par Israël, ont accentué les contradictions internes au Fatah et suscité des initiatives unitaires « par en bas », ou plus exactement venant de dirigeants, de cadres intermédiaires et de secteurs militants de l’organisation. Le 17 octobre, des manifestations de masse en soutien à Gaza éclatent dans toute la Cisjordanie, et se heurtent à une répression féroce des forces de sécurité de l’AP, qui tuent une jeune manifestante et blessent des dizaines d’autres, tandis que les branches armées du Fatah appellent publiquement à la démission de Abbas.

Le 1er novembre, Atta Abou Rmeileh, secrétaire du Fatah dans la région de Jénine, et personnalité politique de premier plan de la résistance palestinienne, apparaît dans une vidéo aux côtés de responsables du Hamas et du Jihad Islamique et appelle à une grève générale en Cisjordanie. Il est arrêté par les Israéliens dans les heures qui suivent, mais a le temps de déclarer : « La résistance pacifique a échoué. La guerre a commencé et elle ne s’arrêtera pas ». Louis Imbert souligne dans sa correspondance du 15 novembre que « ces cadres [du Fatah] sont conscients de l’immense popularité du Hamas. Ils n’imaginent pas qu’Israël puisse anéantir le mouvement islamiste, comme il le promet, ni l’empêcher de renaître. ‘On n’éradique pas une idée’, note un ministre [de l’AP], inquiet, qui souhaite demeurer anonyme. Ils estiment que le Fatah n’a d’autre choix que de renouer avec ses frères ennemis, après la guerre civile qui a déchiré les deux partis en 2007 ». Qadura Fares, ministre de l’AP chargé de la question des détenus en Israël, déclare, lui, ouvertement que « le Hamas fait partie de notre vie politique et de notre société ». Il œuvre activement, avec d’autres cadres du Fatah, à la réconciliation du Fatah et du Hamas et partage l’objectif d’intégrer le mouvement dirigé par Haniyeh et Mechaal dans l’OLP.

Imbert rapporte également ces propos d’Abbas Zaki, un vétéran du Fatah et membre de son comité central :

« Le Hamas a empêché que la question palestinienne ne disparaisse. Il l’a remise sur la table…. Des membres du Fatah à Gaza combattent aujourd’hui aux côtés du Hamas… Le principal obstacle aujourd’hui, c’est l’Autorité palestinienne et spécifiquement Mahmoud Abbas. C’est lui qui a mené le Fatah dans cette impasse, avec ses appels incessants à la résistance pacifique. Il doit déclarer qu’il a tout donné pour la paix, mais que, désormais, toutes les options sont sur la table ».  

Les positions de l’universitaire israélien, Menachem Klein, qui a participé à de nombreuses négociations informelles israélo-palestiniennes, n’apparaissent pas si éloignées. Dans un entretien à Mediapart du 4 décembre, Klein esquisse les grandes lignes d’un possible accord, qui irait au-delà du cadre d’Oslo (notamment sur les questions des colonies et des réfugiés) et affirme qu’« il est impossible de détruire le Hamas. Mais le Hamas politique et son aile militaire qui accepte la solution de deux États et un accord avec Israël peut faire partie de l’accord (…) ».

Il impute la responsabilité de l’échec de l’accord entre le Hamas et l’AP de février 2021 à l’opposition des États-Unis, d’Israël « et malheureusement aussi de l’Europe » et souligne l’importance du « changement de doctrine et de politique » du Hamas en 2017, lorsque, dans sa nouvelle charte, le mouvement a accepté comme « formule de consensus national » la solution à deux États et défini ses objectifs exclusivement en termes de lutte pour la libération nationale, de « construction d’institutions nationales palestiniennes fondées sur des principes démocratiques solides, au premier rang desquels figurent des élections libres et équitables », opérant une distinction explicite et précise entre l’adversaire sioniste et les Juifs[1].

La fuite en avant exterministe… et les moyens de l’arrêter

La trêve n’a jamais été acceptée par l’extrême droite la plus radicale du cabinet israélien mais aussi par les secteurs militaires et du renseignement les plus exposés par le désastre du 7 octobre, le tout sur fond d’affaiblissement politique de Netanyahou. Face à un Anthony Blinken venu l’implorer de mener à Gaza-Sud une guerre plus « propre » (i.e. faisant moins de victimes civiles), le ministre de la défense Yoav Gallant, « vêtu de noir de la tête au pied… a asséné le message qu’il répète depuis le début des hostilités : “C’est une guerre juste pour le futur du peuple juif, pour le futur d’Israël. Nous combattrons le Hamas jusqu’à ce que nous gagnions. Peu importe le temps que cela prendra” ».

Trois jours avant la reprise de la guerre, Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité et dirigeant d’une formation radicale d’extrême droite, menaçait de quitter le gouvernement si l’assaut contre Gaza ne reprenait pas immédiatement : « Arrêter la guerre équivaut à la dissolution du gouvernement ». Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, son concurrent dans l’extrême droite radicale, déclarait de son côté que l’arrêt de la guerre en échange de la libération de tous les détenus à Gaza était un « plan visant à détruire Israël ».

L’objectif actuel de Tsahal est d’avancer vers le sud de Gaza, d’organiser un nouveau déplacement forcé de la population vers la frontière égyptienne, vers une sorte de « zone tampon », en réalité une zone de mort et une antichambre vers une déportation massive. L’idée à peine voilée est de faire un chantage à l’Egypte et à d’autres pays arabes pour qu’ils acceptent le transfert massif de la population gazaouie. Selon « le journal Israel Hayom », rapportent les correspondants du Monde, Benyamin Nétanyahou a demandé à son conseiller Ron Dermer un plan pour « réduire la population de Gaza au niveau le plus bas possible », etautoriser l’ouverture des frontières maritimes de l’enclave, pour permettre « une fuite massive vers les pays européens et africains ».

L’imagination génocidaire des stratèges de l’État sioniste semble ne connaître aucune limite. Comme le rapporte l’hebdomadaire britannique (de centre-gauche) The Observer, des travailleurs humanitaires ont averti qu’Israël a commencé à utiliser son nouveau système de quadrillage pour les avertissements d’évacuation, qui divise Gaza en plus de 600 blocs, et qui est accessible grâce à un QR code figurant sur les tracts et les messages diffusés sur les médias sociaux. Ce système risque de transformer la vie dans le territoire en un « macabre jeu de bataille navale », précisent-ils.

Y a-t-il un moyen de contrer ces plans génocidaires ? Incontestablement, la force essentielle demeure la résistance palestinienne, à la fois sur le front militaire et celui de la capacité de la population civile à préserver sa vie et son courage dans cette épreuve terrifiante. Mais, l’expérience historique l’a montré, l’issue de conflits coloniaux ne se décide pas seulement, voire même pas principalement, sur le champ de bataille. La lutte de libération du Vietnam a été gagnée autant dans la métropole impériale, et grâce à l’immense mouvement mondial de solidarité, que sur le terrain.

En ce sens, la reprise des manifestations pour la libération des otages en Israël même, qui, pour la première fois, sont rejointes par des militants anti-guerre est un signe encourageant. Il en est de même, bien entendu, de la poursuite et de l’amplification du mouvement international de solidarité avec le peuple palestinien, qui, malgré la répression et une campagne incessante de diffamation, a déjà mobilisé des millions de personnes dans des centaines de villes de par le monde. La pression de ces mobilisations sur les gouvernements, y compris celui des États-Unis (où le soutien inconditionnel de Biden à Israël pourrait lui coûter sa réélection), peut s’avérer décisive pour arracher un véritable cessez-le feu, sanctionner Israël et obtenir la reconnaissance effective des droits du peuple palestinien à l’autodétermination.

Car une partie importante se joue bien sûr au niveau des relations internationales. Au sein même du camp occidental, des voix discordantes commencent à s’élever, notamment du côté de l’Espagne et de l’Irlande. Même Emmanuel Macron s’est senti obligé d’infléchir sa ligne de soutien inconditionnel à Israël, qui a déjà détruit le peu de crédibilité qu’il restait à la France sur la scène internationale. Confirmant la fracture avec le Nord déjà manifeste lors du conflit ukrainien, le Sud global affiche des positions qui vont de la désapprobation d’Israël à l’affirmation de la solidarité avec la cause palestinienne – à l’exception notable des pays dirigés par des forces d’extrême droite ou de droite radicale (comme l’Inde de Modi, l’Argentine de Milei, le Paraguay ou le Guatemala). Des pays comme la Colombie et le Chili ont rappelé leur ambassadeur en Israël, la Bolivie et l’Afrique du Sud ont rompu les relations diplomatiques avec Tel Aviv.

Disons-le une fois de plus. Ce qui se passe en Palestine va bien au-delà d’un conflit régional et ne concerne en rien un différend religieux. La Palestine est aujourd’hui le nom d’un lieu où se joue une part décisive de notre humanité. Un sursaut collectif peut mettre en échec la mécanique génocidaire déployée par Israël et ses soutiens et faire advenir une nouvelle conscience internationaliste. Plus que jamais, le combat du peuple palestinien est celui de la liberté et de la dignité humaines.

Stathis Kouvélakis 8 décembre 2023

https://www.contretemps.eu/

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09 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

george monbiot (reporterre)

George Monbiot : «<small class="fine d-inline"> </small>Derrière chaque mouvement fasciste, il y a un milliardaire<small class="fine d-inline"> </small>»George Monbiot à Paris, en octobre 2023. Son dernier livre Nourrir le monde vient d’être traduit en français. – © Mathieu Génon / Reporterre

George Monbiot : « Derrière chaque mouvement fasciste, il y a un milliardaire »

Reporterre — Êtes-vous optimiste ?

George Monbiot — Oui. L’une des raisons pour lesquelles les gens sont pessimistes est qu’ils pensent qu’il faut convaincre tout le monde pour que le changement se produise. De nombreux exemples historiques montrent que ce n’est pas vrai. Nous disposons de données [1] qui montrent combien de personnes doivent être persuadées pour qu’un changement sociétal se produise : environ 25 % de la population.

Si vous regardez les attitudes à l’égard de l’avortement, du mariage homosexuel, de la libération de la femme, du tabagisme, de la ceinture de sécurité, il suffit d’atteindre cette proportion pour que la bascule se fasse. Une fois qu’un nombre suffisant de personnes est engagé, le reste de la population se met soudain à suivre.

Alors pourquoi tant de gens en Grande-Bretagne, en France, en Pologne, en Allemagne… sont-ils opposés au mouvement écologique et votent-ils pour des partis très conservateurs ?

Malheureusement, l’extrême droite essaie d’atteindre son propre point de bascule et partout, elle s’est montrée extrêmement efficace dans la recherche de changements systémiques.

Le problème ne vient pas seulement de l’extrême droite, mais du fait qu’il existe une alliance entre les super-riches et l’extrême droite…

C’est vrai. Derrière chaque mouvement fasciste se cache un milliardaire qui le soutient discrètement. L’extrême droite désigne des boucs émissaires parmi les minorités : la colère du public n’est pas dirigée là où elle devrait l’être, c’est-à-dire vers les très riches qui sont les personnes qui détruisent nos moyens de survie.

Dans sa dernière encyclique sur l’écologie, le pape François parle de la nécessité de changer le « mode de vie irresponsable du modèle occidental ». Pourquoi les responsables politiques n’osent-ils pas dire la même chose ?

Aucun politicien ne semble prêt à le dire en dehors des partis Verts, alors que c’est une réalité à laquelle nous devons confronter les gens. Elle est présentée comme effrayante parce que nous avons normalisé des formes extrêmes de consommation, même si nous savons qu’elles ne nous rendent pas plus heureux.

Il faut que cela change, sinon cela conduira au plus grand malheur jamais connu dans l’histoire de l’humanité. Mais c’est considéré comme impensable, non pas parce que la grande majorité de la population ne pourrait pas le penser, mais parce qu’au Royaume-Uni, la plupart de nos journaux sont détenus par des milliardaires psychopathes qui ne vivent pas en Grande-Bretagne. Pourtant, ils nous disent comment penser et comment vivre, et ils ont plus d’influence sur les partis politiques que les électeurs. Ce sont eux qui rendent impensable de dire aux gens qu’il faut consommer moins.

Comment démanteler l’alliance entre les ploutocrates [2]– comme vous les avez désignés récemment dans The Guardian – et l’extrême droite ?

Il faut commencer par cesser de s’inquiéter de leur poids. Si les révolutionnaires avaient pensé : « Les forces de l’oppression sont si énormes que nous ne pouvons pas envisager de les renverser », rien ne se serait jamais produit. Ce que nous savons, c’est que nous pouvons atteindre très rapidement une masse critique. Ce qui semble impossible à un moment donné devient inévitable au moment suivant. Nous devons cesser de nous inquiéter d’eux et nous concentrer sur nos tactiques et notre stratégie. Bien sûr, ce sera extrêmement difficile. Au Royaume-Uni, des lois incroyablement oppressives ont été adoptées, en vertu desquelles vous pouvez être jeté en prison pendant dix ans simplement pour avoir manifesté.

Ont-elles été appliquées contre des écologistes ?

Oui. La loi sur la police de 2022 et la loi sur l’ordre public de 2023 sont les lois les plus répressives des protestations de toutes les soi-disant démocraties. Par ailleurs, en plus des poursuites pénales, les autorités publiques et les entreprises privées obtiennent désormais des injonctions à l’encontre de toute personne qu’elles n’aiment pas et ces personnes se voient contraintes de les payer. Certains de nos militants les plus efficaces voient leur vie entière détruite [3].

Les pouvoirs nous opposent tout ce qu’ils peuvent, mais c’est un signe de leur peur. Car à mesure que la crise environnementale devient évidente, il est de moins en moins possible de le nier. Cela devient une crise existentielle pour l’industrie des combustibles fossiles, l’industrie automobile, l’industrie de la viande, l’industrie aéronautique, l’industrie minière et bien d’autres encore.

Comment faire face à une répression aussi dure ?

On a fait bien pire à nos ancêtres politiques, aux femmes qui ont essayé d’obtenir le droit de vote, aux militants des droits civiques, à ceux qui ont essayé d’obtenir l’égalité des droits, aux campagnes pour l’indépendance. Des milliers de personnes ont été tuées ou torturées. Cela se produit encore : des centaines de militants écologistes sont assassinés chaque année dans le monde. Ce que nous demandons aux gens de faire — résister à ce système monstrueux — est très difficile, mais pas aussi difficile que ce que d’autres personnes ont dû affronter dans le passé.

En fait, lorsque les gens voient que d’autres personnes paient le prix fort pour leurs actions, ils les prennent plus au sérieux. Le courage des militants me donne de l’espoir. Chaque fois que les puissances oppressives pensent nous avoir écrasés, le courage des gens revient en force.

Vous semblez apprécier la stratégie d’Extinction Rebellion (XR).

XR est très stratégique. Mais la pandémie de Covid a interrompu sa campagne très efficace. On était proche d’un point de bascule. Malheureusement, tout le monde a dû rentrer chez soi. Nous devons reconstruire à partir de cette position et c’est très difficile, notamment parce que la police et les politiciens sont plus préparés cette fois-ci et qu’ils ont introduit des lois très répressives.

Vous avez débattu avec le géographe Andreas Malm, auteur de Comment saboter un pipeline. Que pensez-vous du sabotage comme tactique de lutte ?

Avec Andreas Malm, la question porte sur la tactique. Je ne suis pas opposé à ce que des personnes sabotent des biens appartenant à des entreprises ou détruisent des infrastructures, tant que personne n’est blessé. Mon principal souci, c’est que cela expose les gens à des peines très lourdes. Les peines encourues sont si élevées que je ne peux pas encourager d’autres personnes à le faire, parce que je ne suis pas prêt à le faire moi-même.

Vous avez commencé votre chronique dans le Guardian en 1995. Qu’est-il arrivé à l’Angleterre depuis cette date ?

Une catastrophe. On avait un pays raisonnablement bien géré dans ses fonctions de base, et tout cela a été détruit. Nos rivières sont pleines de merde parce que le système d’égout ne fonctionne plus, parce que pendant des années, aucun investissement n’y a été fait, parce que les compagnies des eaux privées qui le gèrent n’ont fait qu’aspirer l’argent pour le mettre dans les poches de leurs actionnaires. Nos chemins de fer ne fonctionnent plus pour la même raison. Nos écoles s’effondrent littéralement parce que certaines ont été construites avec un béton qui ne dure que trente ans. Nos hôpitaux tombent en ruine. Le système s’effondre sous nos yeux et il n’y a pas de mystère sur la cause de ceci : l’idéologie néolibérale a transformé un système qui fonctionnait plus ou moins dans l’intérêt de la population en un système qui fonctionne dans l’intérêt des grandes sociétés.

Comment imaginez-vous le monde en 2030 ?

Quand les politiciens disent 2050, ils veulent dire jamais. 2050 est devenu un synonyme de jamais. Il vaut mieux effectivement parler de 2030. Nous pourrions d’ici là avoir franchi des points de bascule environnementaux, et être confrontés à un effondrement des systèmes terrestres. Le type de changement possible est inimaginable. Les changements politiques auxquels nous pourrions assister sont aussi inimaginables.

Une possibilité réelle est que l’extrême droite prenne le pouvoir au Royaume-Uni en 2029, sous le drapeau du parti conservateur. Mais si ces mauvaises choses sont imaginables, les bonnes choses le sont aussi : nous pourrions voir des mouvements de masse irrépressibles et dont la pression force le changement politique. Qu’elle force, par exemple, le parti travailliste à réagir et à devenir un parti qui fait ce qu’il dit.

Récemment, l’ex-président français Nicolas Sarkozy a dit que le vrai problème n’était pas le changement climatique, mais la démographie.

C’est ce que la droite dit toujours. C’est une façon de rejeter la responsabilité des consommateurs du monde riche sur les personnes les plus pauvres de la planète. En fait, nous nous dirigeons vers un plateau démographique au milieu du siècle, puis la population est susceptible de diminuer à partir de 2070 environ, et ensuite de façon très marquée. C’est le seul indicateur environnemental qui ne soit pas en train de crever le plafond à l’heure actuelle. Cependant, il y a une véritable crise démographique, c’est celle du cheptel, qui augmente de 2,4 % par an.

Quelles sont les conséquences de cette explosion de bétail ?

D’ici 2050, si les tendances actuelles se poursuivent, nous aurons 100 millions de tonnes d’êtres humains sur terre et 400 millions de tonnes de bétail supplémentaires. Il s’agit d’une catastrophe absolue, car pour subvenir aux besoins de ce bétail, il faut faire l’une des deux choses suivantes, toutes deux dévastatrices : la première est de les entasser dans d’immenses usines et à cultiver de la nourriture ailleurs, puis à déverser cette nourriture dans ces usines, qui produisent alors d’énormes émissions de nutriments, ce qui tue n’importe quelle rivière. L’alternative de l’élevage extensif nécessite de vastes étendues de terre. Aucune zone terrestre ne peut survivre à un élevage extensif massif, et vous avez donc le choix entre supprimer les rivières ou supprimer les terres. La seule option est d’arrêter de manger des produits d’origine animale.

george monbiot (reporterre) dans Altermondialisme monbiot
« Le courage des militants écologistes me donne de l’espoir », dit George Monbiot, célèbre éditorialiste du quotidien The Guardian. Il évoque la « crise existentielle » que vivent les industries polluantes.

George Monbiot est le chroniqueur écologiste le plus en vue dans le monde anglo-saxon. Sa colonne régulière dans The Guardian pourfend les destructeurs de la planète. De passage à Paris pour présenter la traduction de son dernier livre Nourrir le monde (Les liens qui libèrent), il a répondu à Reporterre sans mâcher ses mots.

https://reporterre.net/

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09 décembre 2023 ~ 0 Commentaire

enfer (reporterre)

«<small class="fine d-inline"> </small>Porte de l'enfer<small class="fine d-inline"> </small>» : le patron de l'ONU va-t-il trop fort sur le climat<small class="fine d-inline"> </small>?

Antonio Guterres en 2023, lors du sommet de l’ONU sur les objectifs de développement durable. – © Richard Koek en Ministerie van Buitenlandse Zaken / CC BY 2.0 Flickr via Wikimedia Commons

« Porte de l’enfer » : le patron de l’ONU va-t-il trop fort sur le climat ?

« Effondrement », « ébullition », « portes de l’enfer »… Le Secrétaire général des Nations unies emploie un vocabulaire dramatique pour parler du climat. Un choix contesté par certains, mais plusieurs médias changent aussi leur langage sur le sujet.

Addicte aux énergies fossiles, l’humanité a « ouvert les portes de l’enfer ». Tel est du moins le réquisitoire dressé, en septembre, par le Secrétaire général de l’ONU. Les envolées dramatiques d’Antonio Guterres ne surprennent plus personne. À chaque nouvelle apparition, le M. Climat de la diplomatie internationale use d’adjectifs toujours plus alarmants quant au sort de la planète. Pas plus tard que le 30 novembre, à peine foulé le paillasson de la COP28, le diplomate portugais a mis en garde qui voudrait bien l’écouter de « la catastrophe totale » pointant le bout de son nez.

Alors que penser de ces remontrances ? Au sein de la communauté scientifique, certaines voix s’élèvent pour nuancer les propos du patron de l’ONU. « Je dois avouer que parfois son vocabulaire m’interroge, souffle Jean Jouzel. L’urgence est là, c’est indéniable, mais il n’y a pas vraiment matière à parler d’ébullition. » Ce paléoclimatologue fait ici référence à une déclaration d’Antonio Guterres, prononcée à l’heure des chaleurs extrêmes du mois de juillet : « L’ère du réchauffement climatique est terminée. Place à l’ère de l’ébullition mondiale. »

L’expression anglophone « climate breakdown », traduite en français par « effondrement » ou « bascule climatique », chagrine aussi. Et pour cause : elle ne renverrait à aucune preuve établie. En septembre 2018, le patron des Nations unies proclamait par ailleurs que les humains avaient deux ans pour agir, face à une « menace existentielle directe ». « Mettre des deadlines, déclarer que dans X années il sera trop tard… Cela n’a vraiment aucun sens », dit Olivier Hamant, biologiste et directeur de recherche à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement).

« Ces gesticulations ne servent à rien »

Aussi critiquable soit son vocable, personne ne retirera à Antonio Guterres sa sincérité, assure Romuald Sciora. Politologue à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), il raconte que le diplomate a saisi toute l’urgence de la crise climatique lorsqu’il dirigeait le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) : « Il n’y a aucune hypocrisie sortant de sa bouche. Ses convictions sont réelles. »

En revanche, le Secrétaire général est parfaitement conscient « du déclin, si ce n’est de la déliquescence » du système multilatéral, poursuit l’expert : « Aujourd’hui, l’ONU est une brindille sur la scène internationale. Elle n’a plus aucune influence décisionnelle, plus aucune influence politique tout court. Alors que reste-t-il à Guterres pour faire entendre sa voix ? » Le changement climatique. D’où la sémantique choc.

Cela a-t-il une quelconque répercussion ? Pas sur les grandes puissances, analyse Amy Dahan, historienne des politiques du changement climatique : « Il n’est pas aux manettes, c’est d’une certaine façon un simple lanceur d’alerte. » Preuve en est la dernière assemblée générale, à laquelle les dirigeants russe, indien, chinois, français et britannique manquaient à l’appel. Sur les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, seul Joe Biden a répondu présent. « Une première, insiste Romuald Sciora. Autant dire que les vociférations de Guterres ne semblent pas déranger. Ne nous leurrons pas, ces gesticulations ne servent à rien. »

Une révolution sémantique

Le porte-voix de l’ONU n’est pas le seul à s’être engagé dans une mutation linguistique plus ou moins prononcée. En mai 2019, le journal britannique The Guardian a acté l’abandon de la notion de « changement climatique » dans ses colonnes, lui préférant celle de « crise climatique ». Quelques mois plus tard, l’Oxford English Dictionary désignait « urgence climatique » mot de l’année. En dix ans, les médias français ont rangé au placard les formes interrogatives empreintes d’un certain climatoscepticisme — « faut-il s’inquiéter du changement climatique ? » — au profit d’une certitude alarmante sur l’état du climat.

Entamer ce virage sémantique était primordial, considère Olivier Hamant. « Se contenter de conserver notre lexique d’antan revenait à s’enferrer dans l’inaction. Les mots colonisent les esprits. » Le biologiste invite à bannir un vocabulaire toxique, relevant du déni, tel que la croissance verte ou le développement durable.

S’il faut retenir une chose des dizaines de travaux produits par la communauté scientifique, c’est que le XXIᵉ siècle sera turbulent, poursuit-il. « Nous quittons la stabilité pour un monde fluctuant, fait de crises sociales, écologiques et géopolitiques. Et cette fluctuation impose d’abandonner les concepts du monde stable dans lequel on vivait, et d’entamer une révolution sémantique. »

https://reporterre.net/

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