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08 mars 2025 ~ 0 Commentaire

Riche Proie (LO)

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Une riche proie à dépecer

En exigeant que l’Ukraine cède aux États-Unis un droit exclusif sur les ressources et les infrastructures du pays, pour un montant de 500 milliards de dollars, Trump a formulé crûment ce qui était un des enjeux de la guerre : le partage des richesses de l’Ukraine entre capitalistes américains et oligarques russes.

Ces richesses sont multiples. Il y a les centaines de milliers d’hectares de terres agricoles très fertiles, les « terres noires », qui faisaient de l’Ukraine, avant 2022, le quatrième pays exportateur agricole au monde.

La guerre a accéléré la prise de contrôle de ces terres par une poignée d’agro-holdings, dirigés par des oligarques ukrainiens mais contrôlés par des capitaux occidentaux, américains comme Goldman Sachs ou européens comme la BNP.

La guerre a permis à Zelensky de faire voter une loi autorisant des sociétés à capitaux étrangers d’acquérir ces terres, ce que la loi héritée de la période soviétique interdisait et que les dirigeants ukrainiens successifs, depuis l’éclatement de l’Union soviétique, n’avaient jamais réussi à imposer avant 2024.

Le sous-sol ukrainien regorge de minerais indispensables aux filières industrielles contemporaines, les télécommunications ou les batteries électriques, comme le titane, le lithium ou encore certains métaux appelés « terres rares », particulièrement convoités.

L’Ukraine possède de l’uranium, indispensable aux centrales nucléaires. L’enjeu des négociations en cours, avec un revolver tenu par Trump sur la tempe ukrainienne, ce sont les conditions financières et juridiques dans lesquelles des capitalistes américains vont pouvoir exploiter, et peut-être posséder, les mines et les usines pour extraire, traiter ou raffiner ces minerais.

Et les négociations avancent : le 25 février, la vice- Première ministre ukrainienne affirmait que « les équipes ukrainienne et américaine sont en phase finale des négociations concernant l’accord sur les minéraux », sans en donner la teneur.

Le contrôle de l’économie ukrainienne prend de multiples autres formes. Ainsi la société américaine Westinghouse a déjà mis la main sur le secteur nucléaire, pilier de la production électrique en Ukraine.

De son côté, le Crédit agricole Ukraine, qui appartient au même groupe que la banque française LCL, est devenu copropriétaire du principal fournisseur de télécommunications fixes et du troisième opérateur de téléphonie mobile du pays.

En 2024, elle a été élue meilleure banque du pays pour les prêts automobiles. Et elle n’est pas le plus puissant des prédateurs occidentaux à avoir jeté son dévolu sur l’économie ukrainienne. Outre les banques, d’autres capitalistes, à l’image du géant de la distribution Auchan, sont très présents en Ukraine… mais aussi en Russie.

En négociant en tête-à-tête avec Poutine, Trump et son équipe font d’une pierre deux coups. Ils écartent de la mangeoire ukrainienne les capitalistes des pays européens, ou ne leur laissent que les morceaux de second choix. Et ils se placent aux premières loges pour reprendre leurs affaires en Russie, entravées par la guerre mais qui n’ont jamais cessé.

En déclarant le 23 février : « Nous sommes prêts à attirer des partenaires étrangers dans les territoires historiques qui ont été restitués à la Russie, (…) nous sommes prêts à travailler avec nos partenaires, y compris américains, dans les nouvelles régions », Poutine a été explicite.

Après trois ans de guerre, des centaines de milliers de morts russes et ukrainiens, un fossé de haine creusé entre deux peuples frères, les bureaucrates, les oligarques et les capitalistes se pressent autour de la riche proie ukrainienne.

Xavier Lachau   26/02/2025

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07 mars 2025 ~ 0 Commentaire

Scientifiques ( Reporterre)

 

Les scientifiques debout contre l'obscurantisme, aux États-Unis comme en France

Les scientifiques debout contre l’obscurantisme, aux États-Unis comme en France

En réaction aux attaques de Donald Trump contre la science, des chercheurs du monde entier manifestent le 7 mars. Un mouvement d’ampleur pour bâtir une science loin des « régimes totalitaires ».

Les scientifiques contre-attaquent. Vendredi 7 mars, une marche pour défendre la science est organisée à Washington et dans des dizaines de villes aux États-Unis, par le mouvement Stand Up for Science (Debout pour les sciences). Celle-ci est relayée dans de nombreux pays, dont la France.

L’initiative est une réaction à la brutale offensive contre la recherche lancée par l’administration Trump depuis le 20 janvier et son investiture à la présidence des États-Unis. Coupes budgétaires et licenciements massifs dans les institutions et laboratoires de recherche, suppression de données scientifiques, censure et filtre idéologique des financements… La violence de l’attaque a pris de court la communauté des chercheurs.

« Il y a eu un moment de sidération aux États-Unis, témoigne Olivier Berné, astrophysicien au CNRS et co-initiateur en France de la mobilisation Debout pour les sciences. Mes collègues là-bas n’osent plus s’exprimer, ils ont peur, ils ne s’attendaient pas à être attaqués à ce point-là. »

Nommer la menace totalitaire

Les multiples mobilisations prévues le 7 mars doivent permettre de dépasser ce marasme. « Des chercheurs s’organisent au niveau fédéral et à l’international, de manière spontanée et populaire. Ce mouvement est le premier et le seul grand mouvement de contestation aujourd’hui aux États-Unis », dit Olivier Berné.

Le premier objectif est de mettre des mots sur le basculement en cours. « Obscurantisme », « mise en application littérale et affolante de la dystopie orwellienne », « attaques d’une ampleur inédite depuis la Seconde Guerre mondiale », disent les divers textes de collectifs de scientifiques.

« C’est du négationnisme scientifique d’extrême droite »

« On vit un moment illibéral, avec des méthodes faisant penser à des régimes totalitaires. Même si l’on n’a pas envie de sortir ce mot tout de suite, il faut attendre de voir la réaction des contre-pouvoirs, des États fédérés, de la justice, des mobilisations dans la rue », commente Emmanuelle Perez Tisserant, historienne spécialiste des États-Unis, également initiatrice de la mobilisation en France. Et d’ajouter : « Mais lorsque Trump menace de couper les financements aux universités qui autoriseraient des manifestations, cela fait clairement penser à de l’autoritarisme, voire à du fascisme. »

Toutes les sciences ne sont pas logées à la même enseigne : les sciences sociales, les travaux sur les discriminations ou sur le genre notamment, et les sciences de l’environnement, climat et biodiversité en tête, sont les cibles privilégiées.

« Ils cherchent à museler ou supprimer les sciences les plus critiques : celles qui alertent sur les inégalités sociales ou l’urgence écologique, et montrent qu’un changement radical de société est nécessaire », dit Odin Marc, chercheur en sciences de la Terre au CNRS, membre de Scientifiques en rébellion et du collectif scientifique toulousain Atécopol, les deux organisations soutenant la mobilisation. Il affirme : « C’est du négationnisme scientifique d’extrême droite et une dynamique de criminalisation des lanceurs d’alerte, scientifiques et au-delà. »

L’Europe sur la même pente glissante

L’appel aux chercheurs et aux citoyens à descendre massivement dans la rue vise aussi à alerter sur l’ampleur des conséquences de ces attaques contre la recherche, et à leurs répercussions mondiales. Sur le climat, par exemple, les études et les données étasuniennes sont cruciales pour la recherche mondiale, via notamment les observations de la Nasa ou le travail de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA).

Or, cette dernière vient d’être victime d’une vague de licenciements massifs, tandis que Katherine Calvin, scientifique en chef de la Nasa, a été interdite de participer à une réunion du Giec, dont elle est coprésidente d’un groupe de travail.

« Les données produites par les États-Unis sont étudiées dans le monde entier. Leur suppression ou restriction d’accès serait catastrophique. Cela montre notre très forte dépendance aux États-Unis et le besoin de repenser une forme d’autosuffisance dans la production des savoirs en Europe », dit Olivier Berné.

Ce qui suppose, a fortiori, que l’Europe ne suive pas le chemin des États-Unis. C’est l’autre signal d’alarme lancé par les chercheurs : « Ce qui se joue aujourd’hui aux États-Unis pourrait bien préfigurer ce qui nous attend si nous ne réagissons pas à temps », écrivent des scientifiques dans une tribune au Monde, qui appellent à rejoindre la mobilisation du 7 mars.

Les attaques frontales contre la science, et celles politiques et médiatiques, se multiplient aussi chez nous, en reprenant la rhétorique trumpiste : face à une crise, casser le thermomètre (ou les scientifiques) plutôt que de remettre en cause le modèle dominant. En France, sur l’écologie, le gouvernement comme l’extrême droite s’en sont pris brutalement ces derniers mois aux institutions scientifiques ou aux agences relayant les messages de la recherche.

Une mécanique délétère qui vise toute tentative de discours divergeant. « On le voit encore avec la décision de justice d’annulation du chantier de l’A69 [entre Toulouse et Castres]. Plusieurs journalistes ou élus s’en sont pris aux juges ou à la rapporteuse publique avec la même stratégie que Trump : décrédibiliser toute parole qui n’est pas la leur, quitte à inonder le débat de contre-vérités », souligne Odin Marc.

Bâtir une science ni fasciste ni capitaliste

La menace est aussi plus insidieuse. Elle passe par les politiques de destruction des moyens publics de la recherche depuis des décennies. « On sous-finance depuis vingt ans l’université. Des postes disparaissent chaque année au CNRS et il y a de moins en moins de financements par étudiant. Ce désengagement de l’État de la production de connaissances, c’est l’autre versant de cette pente glissante dans laquelle nous sommes engagés », prévient Olivier Berné.

Le collectif Scientifiques en rébellion dénonce également la multiplication des partenariats public-privé, les financements par projet au cas par cas, l’application d’une politique sélective « darwinienne » dans la recherche selon les performances des équipes, qui privilégie les gros projets et une science utilitariste, au service de l’industrie. En 2024, un rapport publié par un groupe de chercheurs alertait sur l’emprise croissante des intérêts privés sur la recherche publique en France. L’époque étant aux cures d’austérité drastiques, cette dynamique pourrait encore s’accélérer.

« Réclamer la liberté académique n’a pas de sens si on ne lui donne pas de budget. Sinon, la recherche est obligée de se lier à des intérêts privés. Il faut protéger la science du politique, en sécurisant son budget et en inventant des mécanismes pour qu’elle soit davantage en phase avec les besoins de la société », plaide Odin Marc.

Conventions citoyennes, forums citoyens et autres modalités d’interaction font partie des pistes avancées par Scientifiques en rébellion pour associer la société civile aux orientations de la recherche. « Protéger la science passe aussi pour nous par une critique de ses dérives actuelles. Il faut un vrai renouveau des relations entre science et société, pour que la production de connaissances soit vraiment au service de la démocratie et des nécessaires transitions écologique et sociétale », dit le chercheur.

Ce lien avec les citoyens est d’autant plus urgent à consolider face à la vague trumpiste. « Ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’un certain nombre de nos concitoyens ne conçoivent pas les libertés académiques comme un bien à défendre, relève Emmanuelle Perez Tisserant. Un discours populiste qui gagne du terrain considère la recherche publique comme un repère de privilégiés. Il faut mieux défendre et formuler notre vision d’une science comme bien commun, comme savoir critique qui échappe à l’injonction de rentabilité économique. Sinon, ce sera toujours trop facile de couper les financements. »

Lire aussi :

« Femme », « climat »… Trump interdit des mots dans les articles scientifiques

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07 mars 2025 ~ 0 Commentaire

Vague Féministe (NPA)

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Face à l’internationale d’extrême droite : que reste-t-il de la quatrième vague féministe ?

L’extrême droite est à l’offensive à l’échelle mondiale et les mouvements – et conquêtes – féministes sont l’une de ses cibles. Que peuvent ces mouvements face à la vague néo-réactionnaire portée par Trump, Milei et consorts ? Quelle stratégie adopter ? Aurore Koechlin propose une série de réponses en commençant par un bilan de ce qu’on a pu appeler la quatrième vague féministe.

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Il y a dix ans, en 2015, naissait le mouvement Ni Una Menos en Argentine, suite à une série de féminicides, dont celui de Chiara Páez. Les manifestations massives qui déclaraient « pas une femme de moins », constituaient le premier acte d’une mobilisation féministe internationale, qui allait bientôt embraser l’Amérique latine, puis le monde avec Me Too. La lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) devenait le centre de ce qu’on peut appeler « la quatrième vague du féminisme ».

Dans de nombreux pays d’Amérique latine, comme l’Argentine, le Mexique, ou la Colombie, ces luttes se sont traduites par des victoires, avec l’obtention par la mobilisation de la légalisation de l’avortement. Dix ans après pourtant, le tableau semble plus sombre. En Argentine comme aux États-Unis, l’extrême droite, via Milei et Trump, a pris le pouvoir. Leurs politiques s’attaquent directement aux luttes et aux acquis féministes et LGBTI+ de la décennie précédente. Tant et si bien qu’il semble légitime, en ce 8 mars 2025, de s’interroger : que reste-t-il de la quatrième vague féministe ?

Différentes réponses politiques à la crise de la reproduction sociale

La montée, puis la prise de pouvoir, par le fascisme dans les années 1920 et 1930 est classiquement interprétée comme une réponse à la force du mouvement ouvrier, et au risque d’une révolution imminente. Plus précisément, la crise politique ouverte par la crise économique de 1929 ne parvenait à être réglée ni par le maintien au pouvoir de la bourgeoisie, ni par la prise de pouvoir du prolétariat. Le fascisme est alors apparu comme une réponse crédible à une bourgeoisie en pleine crise d’hégémonie.

Elle faisait en quelque sorte d’une pierre deux coups : conserver son pouvoir économique via un gouvernement qui défendrait ses intérêts, et écraser toute contestation par la destruction physique du mouvement ouvrier. Cette corrélation entre montée de l’extrême droite et force du mouvement ouvrier est précisément ce qui a poussé ces dernières années une partie de l’extrême gauche à minimiser le danger de l’extrême droite : la bourgeoisie parvenant malgré tout à imposer ses contre-réformes libérales, l’extrême droite n’aurait pas été une réelle alternative aux yeux des classes dominantes. À tort malheureusement, comme l’évolution de la situation l’a montré.

Dans cette perspective, on pourrait alors relire la montée de l’extrême droite à l’échelle internationale dans les années 2010 et 2020 comme une réponse à la force non moins internationale du mouvement féministe et LGBTI+ : c’est par exemple l’analyse que propose Veronica Gago[1]. Le mouvement féministe aurait en quelque sorte pris la place d’un mouvement ouvrier affaibli, notamment en mettant en son centre l’arme de la grève féministe comme réponse aux attaques néolibérales et patriarcales contemporaines. Et de fait, l’extrême droite développe un discours très élaboré sur le genre et les sexualités, et apparaît comme cristallisant une forme de backlash contre la quatrième vague féministe.

Il est symptomatique que Milei arrive au pouvoir dans un des pays où le mouvement féministe a été le plus fort ces dernières années, l’Argentine. Dès son accession au pouvoir, Trump a immédiatement promu un ensemble de décrets anti-trans, transférant les femmes trans emprisonnées dans des prisons pour hommes, déremboursant les transitions pour les mineur·e·s, interdisant aux personnes trans le service militaire et les compétitions sportives, ou encore faisant annuler les passeports des personnes non binaires.

L’actrice Hunter Schafer, connue pour son interprétation dans la série Euphoria, a dénoncé récemment sur les réseaux sociaux que suite à son renouvellement de passeport, on lui a imposé la lettre « M », alors que son genre à l’état civil avait été changé depuis qu’elle était adolescente. Trump a également interdit l’usage par son administration ou par les recherches scientifiques financées par l’État de certains mots, désormais interdits – comme « genre », « femme », « LGBT », « race », ou encore « changement climatique ».

Mais la montée de l’extrême droite n’est pas d’abord une réponse à la force du mouvement féministe : si ces deux phénomènes sont effectivement corrélés, c’est qu’ils sont le produit d’un tiers facteur, la crise du capitalisme et de sa dernière mue néolibérale, crise qui est tant économique et sociale que sanitaire et écologique. Or, dans cette crise multiforme, la question du genre est centrale. En effet, un des aspects que revêt la crise du capitalisme néolibéral n’est autre que la crise de la reproduction sociale, également appelée « crise du care ».

Qu’entend-on par-là ? Le capitalisme est depuis toujours pris dans une contradiction indépassable entre sa recherche effrénée d’accumulation de la sur-valeur, produite par la force de travail, et la nécessité dans laquelle il se trouve de reproduire cette dernière, donc d’assigner une partie de la force de travail non à la production de la sur-valeur mais à la reproduction de la force de travail elle-même (historiquement, cette assignation a surtout été celle des femmes, des populations immigrées et aujourd’hui racisées). Nancy Fraser a bien montré comment à chaque époque du capitalisme, ce dernier est parvenu à résoudre cette contradiction de façon différente, mais toujours imparfaite[2].

Aujourd’hui, à un capitalisme néolibéral correspond une gestion néolibérale de la reproduction sociale. Celle-ci connaît alors un double mouvement. D’un côté, la prise en charge de la reproduction sociale par les services publics est remise en cause (baisse des financements, manque d’effectifs, fermetures, etc.) pour que se développe au contraire sa marchandisation. De l’autre, la reproduction sociale revient de plus en plus à la charge des femmes de façon gratuite et invisibilisée dans le cadre familial. C’est ce que souligne Nancy Fraser :

« Dans un contexte d’inégalités sociales croissantes, cela aboutit à une reproduction sociale à deux vitesses : utilisée comme marchandise pour celleux qui peuvent en payer le prix, restant à charge de celleux qui n’en ont pas les moyens »[3].

Si bien que la prise en charge de la contradiction passe par un dépassement de celle-ci, en faisant en partie au moins du travail reproductif un travail productif de sur-valeur sur le marché. Mais ce dépassement se fait au prix de la reproduction sociale elle-même : un certain nombre de travailleur·se·s ne parviennent plus à assurer leur propre reproduction sociale. C’est pourquoi on peut parler de crise de la reproduction sociale.

Or, ces évolutions ne se font pas sans une réponse du mouvement féministe et LGBTI+. La quatrième vague du féminisme, en soulignant combien la famille est le lieu de production de violences, combien la construction de deux genres uniques et opposés sert en définitive à la renforcer, remet en question cette structure comme unité économique de la société. Elle défend au contraire une autre prise en charge de la reproduction sociale, par sa socialisation, tout au contraire de ce que fait le néolibéralisme. La quatrième vague féministe propose ainsi de sortir de la crise de la reproduction sociale par le développement des services publics, mais aussi leur extension, par exemple par la mise en place de crèches et de cantines collectives dans les entreprises et dans les lieux de vie.

L’extrême droite propose une résolution bien différente à cette crise de la reproduction sociale, et en tout point opposée. De la même façon que dans le champ de la production elle propose un néolibéralisme autoritaire et identitaire, elle propose dans le champ de la reproduction sociale une version encore plus autoritaire et identitaire de ce qui existe déjà. Il va s’agir de poursuivre la destruction des services publics et leur mise sur le marché de façon accélérée, tout en en préservant une fraction de la population, du moins c’est ce qu’elle promet en discours.

Félicien Faury a effectivement montré que le RN défendait une forme de « protectionnisme reproductif » pour les classes moyennes blanches, ce qui pourrait d’ailleurs constituer une des raisons explicatives du vote des femmes pour le RN en France[4]. L’accès à ce qui reste de services publics ne serait ainsi assuré que pour les populations blanches. Mais au-delà, l’extrême droite propose une autre voie d’issue à la crise de la reproduction sociale, et qu’elle assume très largement – le retour des femmes au foyer, dont les trad wives sont la manifestation la plus spectaculaire sur les réseaux sociaux.

C’est pourquoi la production idéologique d’un discours réactionnaire et transphobe n’a pas uniquement pour but d’écraser les avancées de la nouvelle vague féministe, ni d’instrumentaliser ces thématiques dans un but électoral autour de « paniques morales » construites de toute pièce, même si ces deux dimensions sont évidemment importantes. Elle est aussi parfaitement en adéquation avec une vision du monde congruente entre la sphère de la production et la sphère de la reproduction.

La famille doit reprendre toute sa dimension économique, elle doit redevenir le lieu central de la reproduction sociale : pour ce faire, il faut une idéologie qui le justifie et qui réaffirme cette fiction qu’est la famille hétérosexuelle monogame composée d’un « homme » et d’une « femme », avec une division clairement genrée du travail.

Féminisme ou barbarie : une polarisation accrue

Regarder une telle situation en face a de quoi inquiéter. D’un certain côté, les années 2010 où nous connaissions un incroyable élan de mobilisations nationales – avec les mobilisations contre la Loi travail, celles des étudiant·e·s et des cheminot·e·s, ou encore celle des Gilets jaunes – et internationales – qu’on pense à Black Lives Matter ou à Me Too – semblent bien lointaines. Cette situation n’est pas effacée bien sûr, et nous devons nous rappeler qu’en France, la plus grande mobilisation de ces dernières années, celle contre la réforme des retraites, a eu lieu il y a seulement deux ans. Mais il est indéniable que la situation a évolué : il est difficile aujourd’hui de ne pas tenir compte dans l’équation politique du danger que représente cette internationale d’extrême droite qui s’est développée, qui gouverne dans de nombreux pays, et qui en menace d’autres.

Néanmoins, la montée de l’extrême droite ne met pas fin à la quatrième vague féministe. La particularité de la situation est que les deux ont lieu simultanément. En France, le mouvement Me Too continue de se développer dans toutes les sphères de la société : le procès Mazan en est une fois de plus la preuve, et avec l’affaire Bétharram, pose enfin à une échelle de masse la question de l’inceste et de l’oppression spécifique des enfants. Aux États-Unis, suite à la révocation de l’arrêt Roe vs Wade, une véritable mobilisation numérique s’est déployée sur Tik Tok afin de permettre aux femmes souhaitant avorter et ne pouvant plus le faire d’être hébergées dans un autre État, voire un autre pays, comme le Canada[5].

En Argentine, une manifestation massive a eu lieu le 1er février dernier pour répondre aux propos anti-féministes et anti-LGBTI+ de Milei. La situation est donc avant tout caractérisée par une très forte polarisation. Cette polarisation trouve d’ailleurs une expression dans certaines enquêtes scientifiques. Il y a quelques mois, Le Monde titrait « Les jeunes femmes sont de plus en plus progressistes, tandis que les hommes du même âge penchent du côté conservateur »[6] : ce constat effectué par plusieurs études concerne les jeunes générations, et a lieu simultanément à l’échelle internationale, puisqu’il se retrouve tout aussi bien en Europe, aux États-Unis, qu’en Corée du Sud, en Chine ou en Tunisie.

En France, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE) ne dit pas autre chose dans son dernier rapport de janvier 2025, intitulé significativement « À l’heure de la polarisation » : surtout chez les jeunes, les femmes sont plus féministes, et les hommes sont plus masculinistes[7].Dans un tel contexte de polarisation croissante, et de force de la quatrième vague féministe à l’échelle internationale, le mouvement féministe doit prendre la mesure de toutes ses responsabilités dans la lutte contre l’extrême droite.

Dans les pays où il est le plus fort, il doit être force d’impulsion pour des réponses unitaires contre l’extrême droite – manifestations, constitution de collectifs unitaires pour organiser la riposte, grèves féministes contre l’extrême droite. Dans les pays où il est plus faible, la question se pose un peu différemment. C’est le cas de la France, dont la particularité est double : d’une part, le mouvement social y est très fort, d’autre part, la quatrième vague ne s’y est pas développée autant que dans d’autres pays, y compris d’Europe (par exemple l’État espagnol, l’Italie, la Belgique ou la Suisse). Cela implique trois choses.

Premièrement, le mouvement féministe ne doit pas tomber dans le piège sectaire d’un repli sur lui-même à une heure où il peut se sentir très minoritaire. Cette tentation est toujours présente, elle peut l’être d’autant plus dans une période où le risque de démoralisation est fort. Parce que le mouvement féministe a le sentiment que son action politique ne parvient pas à influencer la société, il se tourne sur lui-même, sur ses débats internes, sur le niveau de responsabilité dans la situation de chaque collectif, pire, sur le degré de pureté militante de chacun·e de ses membres.

Quel groupe, quel·le individu a dit, a fait telle chose problématique ? Et dans une période au climat dégradé, on ajoute de la peur à la peur. Rien de plus démobilisateur. Nous devons nous le répéter une fois pour toute : nos pratiques et nos discours ne seront jamais « parfaits » tant que nous vivrons dans une société qui demeure inchangée par ailleurs. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas les politiser, mais cela veut dire qu’il est absurde de les moraliser.

Ensuite, le mouvement féministe doit réussir à se détacher au moins partiellement des critiques qui le créditent de tous les maux de la terre, et qui ne peuvent tout simplement là encore que mener à l’inaction. Les risques de récupération par l’État, le fait que les fractions les plus dotées du mouvement (en termes de race et de classe) soient celles qui soient le plus mises en avant, son caractère situé, etc., n’est pas le propre du mouvement féministe, il concerne tous les mouvements sociaux : que chacun·e balaye devant sa porte. Pourquoi n’interroge-t-on que le mouvement féministe ? Je vous laisse deviner la réponse.

Cela ne veut bien sûr pas dire qu’il ne faille pas œuvrer à améliorer cet état de fait, c’est une certitude. Mais cela ne doit pas servir de prétexte pour disqualifier l’entièreté du mouvement, comme c’est le cas depuis des années dans certains milieux d’extrême gauche, pourtant souvent bien moins prompts à critiquer les syndicats et les partis. Depuis Me Too, des femmes et des minorités de genre qui n’avaient jamais milité auparavant se sont politisé·e·s sur la question des VSS : plutôt que de leur reprocher de ne pas être suffisamment anti-carcéral·e·s, passons un cap en les convainquant que l’extrême droite, par sa vision du genre, des sexualités et de la famille, est notre ennemi mortel. Nos choix, nos corps, nos familles, nos vies sont en jeu. En tant que femmes, que LGBTI+, nous n’avons rien à prouver.

C’est donc tout le contraire qu’il faut faire. Il faut agir, et il faut le faire dans la démarche la plus large et unitaire possible. D’autant plus que, sous la pression de la situation, des clarifications ont lieu en accéléré. Dans le mouvement social, l’islamophobie, les attaques anti-trans, sont maintenant clairement identifiées à l’extrême droite. Parallèlement, le mirage d’un féminisme néolibéral, qui depuis les années 1980 avait fait tant de promesses, est en train de s’effondrer sous nos yeux, avec le ralliement des secteurs du capitalisme réputés « progressistes » à Trump.

Le plus marquant est sans doute celui du secteur de la Tech, avec l’exemple de Mark Zuckerberg, qui a, du jour au lendemain, mis fin à toute politique de diversité au sein de son entreprise, et tenu un discours crypto-masculiniste. Ce faisant, nous avons la démonstration éclatante que le capitalisme n’a jamais été que tactiquement et en apparence un allié des femmes et des minorités de genre.

Enfin, le mouvement féministe doit sortir de son isolement, et renforcer ses alliances. La première et la plus évidente vu le danger de l’extrême droite est bien sûr avec le mouvement antiraciste. Une autre est également d’une grande importance – celle avec les syndicats, à l’heure actuelle première organisation des travailleur·se·s. Aucune riposte contre l’extrême droite ne pourra se faire sans les syndicats. Et concernant les liens entre mouvement féministe et syndicats, beaucoup reste encore à faire.

Le dernier mouvement contre la réforme des retraites en France l’a mis dramatiquement en lumière lors du 8 mars 2023. Dans une sorte d’alignement des étoiles, non seulement le mouvement féministe l’avait tout particulièrement préparé, mais l’intersyndicale s’en était emparée pour faire du 7 et du 8 des journées de mobilisation, afin d’essayer de porter le départ en grève reconductible. Ce fut effectivement un immense succès féministe : en tout, près de 150 000 personnes ont manifesté le 8 mars dans toute la France. Mais on était très loin des 3 millions et demi de la veille… Et l’histoire a montré qu’il n’y a pas eu de départ en grève reconductible.

Les causes en sont multiples, et ont été analysées depuis, mais au-delà de ça, ce qui a très certainement joué, et que nous devons regarder en face également, c’est un manque de conviction de la part des syndiqué·e·s de la pertinence des revendications féministes, et de la grève pour le 8 mars en particulier. Ce travail reste encore très largement à faire, et c’est à nous de le porter, pour ce 8 mars, en construisant l’échéance avec les équipes syndicales, en s’en emparant pour tisser de nouvelles convergences, mais bien sûr également au-delà.

Pour cela, nous pouvons nous inspirer de la démarche de la Coordination féministe, qui a appelé à la grève féministe pour battre l’extrême droite pour le 25 janvier et le 8 mars[8]. Ce type d’initiatives doivent être prolongées dans les mois qui viennent. Nous devons bien en avoir conscience, la polarisation dans laquelle nous nous trouvons ne peut mener qu’à une chose : féminisme ou barbarie. Mais rien n’est encore écrit. En ce 8 mars 2025, même si la situation a changé, que reste-t-il de la quatrième vague féministe ?

Tout. Et pour cette raison, tout est encore possible.

Aurore Koechlin 7 mars 2025

https://www.contretemps.eu/

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06 mars 2025 ~ 0 Commentaire

UKRAINE (NPA)

 

UKRAINE (NPA) dans Altermondialisme

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Avec l’Ukraine, contre le militarisme

Dans cet entretien percutant, Catarina Martins, figure de proue de la gauche portugaise et députée européenne, propose une analyse lucide qui transcende les clivages simplistes sur la guerre en Ukraine. Elle démontre comment la résistance légitime du peuple ukrainien s’inscrit dans une lutte plus large contre l’exploitation néolibérale et les intérêts des multinationales qui cherchent à profiter de la reconstruction.

Martins articule une vision de gauche cohérente qui reconnaît à la fois le droit des Ukrainiens à se défendre et la nécessité d’aller au-delà d’une réponse purement militaire. Elle expose comment les créanciers internationaux et les oligarques, tant russes qu’occidentaux, instrumentalisent la crise pour leurs propres intérêts, au détriment des travailleurs ukrainiens.

À travers son expérience au Portugal, où son parti a combattu l’austérité et défendu les services publics, elle montre qu’une autre voie est possible : celle d’une solidarité internationale basée sur la justice sociale, le logement public et la défense des droits des travailleurs. Une lecture essentielle pour comprendre comment construire une paix durable fondée sur la justice sociale.

Catarina Martins était la coordinatrice nationale du Bloc de Gauche, un parti politique socialiste démocratique au Portugal, de 2012 à 2023. Elle a été élue députée européenne lors des élections européennes de 2024 et siège au sein du groupe de la Gauche au Parlement européen — GUE/NGL. Catarina a une formation en linguistique et une carrière dans le théâtre.

Le Bloc de Gauche est l’un des initiateurs de la nouvelle coalition progressiste de gauche dans l’UE, l’Alliance européenne de la Gauche pour le Peuple et la Planète. Le parti exprime sa solidarité avec le peuple ukrainien face à l’invasion russe. En novembre 2024, Catarina Martins, accompagnée de deux autres députés européens et d’autres délégués des partis de gauche européens, s’est rendue en Ukraine. Nous nous sommes entretenus avec elle pour parler de la position de la Gauche sur l’Ukraine et de l’expérience politique portugaise, ainsi que des leçons urgentes pour notre pays dans le contexte de la crise économique.

Denys : Votre visite en Ukraine a été courte, mais très intense. Vous avez rencontré de nombreux représentants de différents mouvements de diverses sphères. Qu’est-ce qui vous a frappé lors de cette visite à Kiev ?

Catarina : J’ai beaucoup lu sur la guerre et sur la situation, donc j’avais déjà certaines informations. Mais c’est très différent quand on écoute les gens qui la vivent, car nous ne sommes pas uniquement gouvernés par la raison : il y a une partie émotionnelle. Je savais qu’il y avait beaucoup de détermination, mais c’est impressionnant quand on l’entend de personnes si différentes. J’ai rencontré des ONG qui travaillent avec le gouvernement, et j’ai rencontré des gens très critiques envers le gouvernement, et ceux qui travaillent avec le gouvernement tout en étant également critiques envers lui. Toutes ces personnes très différentes étaient déterminées à repousser Poutine. Cette détermination était vraiment impressionnante. Une autre chose qui m’est apparue était à quel point Poutine avait sous-estimé l’Ukraine.

Je savais que vous étiez déterminés, je savais que l’Ukraine était, bien sûr, une nation et que le fait qu’il y ait des Ukrainiens russophones ne signifiait pas qu’ils voulaient appartenir à la Russie. Par exemple, j’ai rencontré des gens qui défendaient que le russe était leur langue et ils m’ont dit : « Je suis un Ukrainien russophone ». L’Ukraine est une société plurilingue comme tant d’autres. Ce sont des choses que je savais avant, mais c’était différent quand j’ai entendu les gens le dire.

D’un côté, bien sûr, c’est impressionnant de voir comment l’Ukraine reste organisée tout au long de la guerre. Mais quand vous parlez à ceux qui travaillent avec les personnes déplacées, dans les soins de santé, dans le soutien en première ligne, vous voyez qu’il n’y a pratiquement pas d’État là-bas. C’est un exemple lucide des dangers du néolibéralisme, c’est clair. Prenez par exemple la situation du logement : il n’y a aucune perspective d’un programme public de logement pourtant nécessaire.

Ou un autre exemple des soins de santé : nous avons visité une association qui fait des soins palliatifs. Neuf femmes faisant un travail incroyable avec l’idée que s’il n’y avait pas elles, il n’y aurait personne. Et puis quand nous avons parlé aux infirmières, il était clair que ce n’était pas une exagération de l’ONG. C’était vraiment comme ça. Ou le processus d’évacuation en première ligne — il est principalement effectué par des ONG. Bien sûr, je comprends que les ressources de l’État sont fortement consommées par la guerre. Mais il est également évident que ces problèmes existaient même avant la guerre. L’Ukraine manque d’un État avec une structure aidant les citoyens pour les choses essentielles. C’est quelque chose que j’ai appris.

Vous représentez le Bloc de Gauche au Portugal tandis que vos collègues députés européens dans la délégation, Li Andersson et Jonas Sjöstedt, sont issus des partis de gauche nordiques. Non seulement vos forces politiques ont été assez claires à gauche dans leur soutien au peuple ukrainien dans cette guerre, mais aussi en général, tant dans les pays nordiques qu’au Portugal, si je ne me trompe pas, les sondages d’opinion montrent un niveau élevé de soutien et de solidarité envers le peuple ukrainien. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui se cache derrière ?

Je pense qu’il y a diverses raisons à cela. Les pays nordiques, parce qu’ils sont près de la frontière russe, et ils ont peur de la guerre. Au Portugal, je crois que c’est parce que nous avons une importante communauté ukrainienne, donc nous nous sentons très proches. Nous avons tous des gens qui sont venus d’Ukraine dans les années 90 ou maintenant. C’est la deuxième plus grande communauté au Portugal actuellement, après les Brésiliens.

Ce qui est en fait négligé par beaucoup de ceux qui affirment leur soutien à l’Ukraine, et ce qui est mis en évidence par les gens de gauche, tant en Ukraine qu’à l’extérieur de l’Ukraine, ce sont les défis sociaux et économiques auxquels le peuple ukrainien est confronté en temps de guerre. Et je pense que nous avons aussi cette expérience commune avec le cercle vicieux de la dette et le problème de la dette extérieure. Le Portugal a connu cette histoire avec la Troïka1, avec l’étouffement par les créanciers, faisant face à la pression des institutions financières internationales. La question de la dette peut-elle aider à construire une solidarité plus large entre les pays, entre les peuples qui ont été soumis à ce fardeau de la dette et au diktat de ces institutions, que ce soit l’Ukraine, le Portugal, la Grèce ou les pays d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie ? Que pouvons-nous faire pour construire cette solidarité ?

Je pense que la question de la dette publique et de son annulation est celle dont nous devons discuter et autour de laquelle nous devons construire la solidarité. Pour le Portugal, ce n’est pas un énorme problème maintenant comme ça l’a été, mais cela a des coûts importants. Et pour un pays qui subit la destruction de la guerre, c’est catastrophique de supporter également le coût de la dette publique. Il y a un point concernant le néolibéralisme que les gens devraient intérioriser : les créanciers prétendent aider l’Ukraine, mais en réalité ils ne le font pas. Ils font des affaires avec le malheur de l’Ukraine. Et ces accords sont payés par les contribuables et les travailleurs ukrainiens. C’est parce qu’au lieu d’un soutien explicite, une aide prétendue est utilisée une fois puis transformée en dette que l’Ukraine sera obligée de rembourser. Nous devrions faire l’inverse : contrairement à la dette que vous êtes obligé de rembourser plus tard, un soutien à grande échelle devrait être réel. L’Ukraine doit être soutenue parce que c’est important et l’annulation d’une partie de la dette en est une composante — pas l’accumulation de dettes.

Et l’autre chose est la privatisation de secteurs énormes de la reconstruction de l’Ukraine, et les intérêts multinationaux qui y sont liés. Ce n’est pas parce qu’ils [les multinationales] sont généreux, c’est parce qu’ils veulent contrôler l’Ukraine en tant qu’État avec d’immenses possibilités économiques. Votre pays est très important en raison de sa situation géographique, c’est-à-dire de vos richesses naturelles, de votre agriculture. Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles vous êtes une très bonne affaire. L’enjeu est que vous devriez avoir un bon accord pour le peuple ukrainien, pas pour quelques entreprises multinationales. Pas pour ceux qui viennent en proclamant leurs intentions d’aider à reconstruire et qui restent ensuite pour opérer là-bas, en payant de bas salaires, en faisant ce qu’ils veulent et en drainant l’argent hors d’Ukraine.

Et évidemment, vous voyez dans ces forums internationaux qui sont consacrés à la reconstruction de l’Ukraine que tout tourne autour des investisseurs. Donc, qu’il s’agisse du capital oligarchique ukrainien ou des multinationales, tout tourne autour des affaires. On ne parle presque pas du travail, de ceux qui en Ukraine souffrent réellement et paient le coût de la guerre.

C’est pourquoi je pense que la gauche devrait également aider à l’idée de renforcer et de maintenir les biens publics de l’Ukraine. Une chose dont nous avons discuté est la nécessité de travailler ensemble sur un projet de financement du logement public en Ukraine. Si cela n’est pas fait, un constructeur européen ou américain viendra en Ukraine pour reconstruire des maisons et s’enrichir.

Ou un promoteur ukrainien, qui est probablement aussi un oligarque très corrompu.
En effet, les villes pourraient être propriétaires des maisons, pourquoi pas ? Vous avez cinq millions et demi de personnes déplacées internes. C’est vraiment impressionnant pour un pays de 40 millions d’habitants. Certains réfugiés sont à l’étranger maintenant, néanmoins il y en a environ 5 millions encore dans le pays. Et certains de ceux qui sont hors du pays pourraient vouloir revenir. Ce serait bon pour la reconstruction de l’Ukraine si certains d’entre eux revenaient. Ils ont besoin d’un endroit où vivre, donc l’Ukraine a besoin d’un programme de logement public. Vous n’avez pas besoin de remplir les poches d’une poignée de constructeurs.

En parlant du néolibéralisme et de toutes ces politiques d’austérité, le Portugal a payé l’un des pires prix en Europe après la crise de 2008. Mais au moins quand votre parti et les communistes surveillaient le gouvernement socialiste d’António Costa après les élections de 2015, c’était le gouvernement le moins néolibéral de l’UE à cette époque2.

C’était aussi le gouvernement le plus populaire que le Portugal ait eu en ce siècle. Nous avons construit des logements publics, augmenté les salaires et les retraites. Nous avons introduit le droit aux livres dans les écoles, car au Portugal les familles devaient payer les livres scolaires, donc après ce droit, elles ne le faisaient plus. En résumé, nous avons agi conformément à des politiques sociales universelles.

C’était important. Mais ensuite nous avons eu des élections, et en raison de la sympathie des gens pour le gouvernement, les socialistes ont reçu plus de votes. Ainsi, lorsque les socialistes sont devenus moins dépendants des autres forces de gauche — le Parti communiste portugais et le Bloc de Gauche — qu’ils ne l’avaient été auparavant, ils ont commencé à faire ce que tous les socialistes font autour du monde : ils ont introduit des politiques néolibérales. C’était un problème. Nous aurions dû faire beaucoup plus, mais je crois que ces quatre années ont prouvé que si vous faites quelque chose de différent, l’économie ira mieux. L’austérité n’est pas une réponse.

L’austérité ne fait qu’aggraver les problèmes.

Oui. Au Portugal, il y avait une discussion selon laquelle le salaire minimum ne devait pas être augmenté, car cela tuerait l’économie. Au contraire, nous avons augmenté le salaire minimum chaque année. Et, vous voyez, parce que nous avons prouvé que cette politique n’avait pas tué l’économie, depuis lors le salaire minimum a été augmenté chaque année au Portugal. Je ne dis pas que tout va bien : il est encore bas. Mais l’argument selon lequel nous ne pouvions pas augmenter le salaire minimum parce que l’économie ne pouvait pas le supporter : c’est un argument que personne ne pouvait plus utiliser. Nous l’avons changé, nous avons prouvé que l’austérité ne fonctionnait pas. Les salaires ont fonctionné pour l’économie.

Mais maintenant vous avez un gouvernement de droite au Portugal après les élections de 2024 qui ont également montré la montée en flèche du parti d’extrême droite Chega. Quels sont les principaux défis selon vous pour le Bloc de Gauche et pour la gauche en général au Portugal en ce moment ? Comment pouvons-nous combattre ces forces de droite ?

Nous avons un problème parce que nous avons soutenu le gouvernement du Parti socialiste qui à un certain moment a décidé de ne plus coopérer avec les forces à sa gauche. Et il n’y a pas eu un jour où tout le monde a reconnu que cela se produisait. Donc les gens associaient encore ce que le Parti socialiste a fait après 2019 [quand il ne dépendait plus du soutien parlementaire du Bloc de Gauche et a dilué ses politiques sociales] avec la gauche. Avec le COVID et l’inflation post-2019, le gouvernement socialiste a décidé de maintenir les taux de déficit bas comme priorité principale. Ils n’ont fait aucun investissement dans les services publics, donc ces derniers se sont beaucoup affaiblis à cause de l’inflation. Puis le COVID, et toujours pas d’investissement. C’était une décision terrible. En même temps, le travail n’était pas non plus aussi protégé par la loi qu’il aurait dû l’être. Donc, les entreprises n’ont pas augmenté les salaires comme elles auraient dû le faire face à l’inflation. Au final, les gens ont associé ce manque d’investissement dans les services publics, et la façon dont leurs salaires n’ont pas suivi l’inflation avec les politiques de gauche. Mais ce n’était pas les forces de gauche. C’était un parti socialiste faisant la même chose que ce que les partis de droite avaient fait à travers l’Europe. Par conséquent, les gens ont cessé de soutenir ce qu’ils percevaient comme des politiques de gauche et ont commencé à faire confiance à la droite, espérant qu’elle pourrait apporter des changements.

Et donc nous avons maintenant un gouvernement de droite qui gagne du terrain. Nous avons une droite montante, mais cela a probablement à voir avec ces déceptions et ces espoirs, ainsi qu’avec le moment international. Je crois que ces espoirs se révéleront malheureusement faux. Tout cela est difficile, car les forces de droite sont bien financées. De plus, il y a une communication entre elles sur la scène internationale qui va de Bolsonaro à Poutine et Trump. Et bien sûr, le Portugal a des liens solides avec le Brésil. Tout cela rend la situation difficile et compliquée. Au Portugal, comme dans d’autres pays, les partis de droite gagnent des voix en s’appuyant sur des mensonges et sur des politiques destructrices.

Je crois que la gauche doit avoir de bonnes idées solides pour la classe ouvrière. Précisément pour la classe ouvrière telle qu’elle est. Parce que la classe ouvrière n’est pas uniquement composée d’hommes blancs hétérosexuels, mais plutôt de toute la diversité. Les femmes, les travailleurs non-blancs et immigrants sont plus exploités que tous les autres. Sachant cela, la gauche doit avoir des idées mobilisatrices efficaces qui, je crois, seront centrées sur l’inflation et les salaires. Aussi le logement, parce que ce n’est pas seulement l’Ukraine qui a un problème de logement. Je ne compare pas. Bien sûr, votre situation est différente, mais la tendance pénètre l’Europe : les gens ne peuvent pas se permettre une maison avec les salaires qu’ils gagnent.

Le Portugal était l’un des rares pays d’Europe qui n’avait pas de parti d’extrême droite ouvertement présent au parlement. Il semble qu’après la Révolution des Œillets qui a renversé la dictature de droite dure, ces idées ont été complètement discréditées, même parmi ceux de droite qui ont commencé à se nommer sociaux-démocrates comme le PSD. Alors que s’est-il passé, comment ces idées sont-elles devenues plus tolérables et l’extrême droite a-t-elle gagné une telle popularité ?

C’est un mélange de deux facteurs. Bien sûr, il y a des jeunes qui sont très éloignés des débats antifascistes, et ils sont très influencés par les réseaux sociaux. Particulièrement les jeunes garçons qui subissent l’influence du contenu propageant une masculinité toxique. C’est terrible. Mais ce qui est plus important, c’est que nous avons toujours eu ces figures de droite au Portugal, elles n’avaient simplement pas de parti. Et puis, le parti est apparu, donc ce public a gagné une force politique pour laquelle voter. Ils ont toujours été là, les racistes et les misogynes, se cachant dans certains partis conservateurs et partis traditionnels de droite. Parmi eux, même ceux qui ont la nostalgie de la dictature, de l’idée de l’Empire colonial portugais. Cela a toujours existé, bien qu’il n’y ait pas eu de parti pour les représenter. Maintenant, la scène internationale a fourni les moyens pour une construction de parti.

Il y a des gens qui font des comparaisons entre le Portugal de Salazar et la Russie moderne. Vous avez donc eu un dictateur de droite vieillissant, déconnecté de la réalité, essayant de mener des guerres coloniales pour préserver l’empire. Que pensent les gens au Portugal en général de la nature du régime russe ? Parce qu’il semble qu’au moins dans ce Parti communiste portugais suranné, beaucoup de gens pensent encore que la Russie est une sorte d’héritière de l’Union soviétique et que c’est encore une force antifasciste réelle.

Je ne pense pas qu’ils voient la vraie image. Je suis très critique sur la façon dont le Parti communiste traite ces choses. Ce qu’ils croient, c’est le monde divisé. Vous avez l’impérialisme nord-américain qui est très fort, qui a des moyens économiques et militaires qu’aucune autre force n’a sur notre planète, et c’est vrai. Et donc ce qu’ils croient, c’est que les forces qui sont contre l’impérialisme nord-américain peuvent donner une sorte d’équilibre. Je pense que c’est faux, parce que la Russie aujourd’hui est un capitalisme agressif et néolibéral avec des objectifs impérialistes, tout comme la Chine. Au Portugal, je pense qu’il est bon de rappeler que les grands alliés de Poutine sont toujours de droite.

La droite a créé le système des visas dorés que les oligarques utilisent pour obtenir la citoyenneté dans les pays de l’UE. C’étaient les ministres de droite qui sont allés en Russie dans le but de vendre ces visas dorés à l’oligarchie. Donc n’oubliez jamais que les vrais liens avec Poutine sont maintenus par la droite et, bien sûr, l’extrême droite. Par exemple, André Ventura de l’extrême droite Chega a une grande amie Marine Le Pen qui en une seule année a reçu un prêt de 9 millions d’euros de Poutine pour faire une campagne. Ou Salvini portant un t-shirt avec le visage de Poutine. N’oublions pas qui sont leurs amis.

Mais je suppose aussi que l’histoire traumatique suivante joue son rôle : que la dictature portugaise était un membre fondateur de l’OTAN et que les États-Unis soutenaient en fait les guerres coloniales que le Portugal menait.

C’est la raison pour laquelle il est très dangereux que quelqu’un croie que l’OTAN a quelque chose à voir avec la démocratie. Ce n’est pas le cas. Par exemple, l’OTAN a des pays qui suppriment la démocratie, comme la Turquie. Ceux qui freinent l’autodétermination des peuples : pensez aux Kurdes. L’OTAN a bombardé des pays contre le droit international sans aucune justification, les États-Unis en tant que force dirigeante ont menti sur les armes de destruction massive en Irak. Oui, le Portugal était membre fondateur de l’OTAN quand nous étions sous la dictature et néanmoins nous avions des guerres coloniales. Donc ce n’est pas une question de démocratie mais d’influence nord-américaine dans le monde. Je pense que tout le monde doit comprendre que l’OTAN est votre ami tant que vos intérêts s’alignent sur ceux des États-Unis. Sinon, l’OTAN pourrait attaquer.

Je pense qu’il faut être prudent quand les gens croient que l’OTAN est une bonne force démocratique qui défend la démocratie. Même les pays qui ont la démocratie utilisent l’armée principalement pour des raisons économiques et géostratégiques. Ils ne l’utilisent pas à des fins de démocratie. Si c’était le cas, l’OTAN serait en Israël pour sauver les Palestiniens. Est-elle là-bas ?

Et je pense que l’histoire des Kurdes syriens au Rojava était très révélatrice de la façon dont les États-Unis les ont abandonnés après qu’ils ont effectivement sauvé la région de l’EI.

C’était un bon exemple parce que les Kurdes étaient alliés de l’OTAN et quand cette dernière n’avait plus besoin d’eux, ils les ont simplement laissés tomber. En effet, les Kurdes syriens sont dans une position extrêmement mauvaise actuellement, étant attaqués de tous côtés. Personne ne les défend3.

Quand nous revenons à cette situation générale, vous représentez ces courants dans la gauche internationale qui reconnaissent effectivement les dangers de chaque impérialisme. Récemment, le Bloc de Gauche a été l’un des initiateurs de la nouvelle Alliance européenne de la Gauche pour le Peuple et la Planète. Parlez-moi de cette initiative et si vous voulez étendre l’union des forces à travers l’Europe ou peut-être au-delà de l’Europe, y compris le Mouvement Social/Sotsialnyi Rukh en Ukraine. Que pensez-vous des perspectives de cette nouvelle alliance ?

Nous ne sommes qu’au début et nous devons discuter et élargir. Cela ne fait que commencer. Je vous ai dit que la gauche a besoin d’un projet pour les travailleurs dans leur diversité, et c’est aussi quelque chose que nous avons en commun dans la nouvelle alliance. Parce que nous reconnaissons que la lutte anticapitaliste et antinéolibérale est en même temps féministe et antiraciste aussi. Alors que nous n’avons pas non plus de double standard concernant l’état de droit international et les droits humains.

Tout cela est très important dans le cas des questions environnementales et climatiques. L’un des énormes problèmes pour la sécurité des populations à travers le monde est que les gens continuent à ne rien faire concernant le climat. Et actuellement au Portugal — mais aussi en Espagne — tant de gens sont morts à cause du climat.

Le processus de formation de la nouvelle union de gauche n’a pas commencé non plus à cause de l’Ukraine ou de la Palestine. Nous travaillions ensemble sur toutes ces questions avant. Mais sans doute les nouvelles escalades sont l’une des questions importantes. Pas de double standard ! Je crois que nous pouvons avoir la gauche partageant des projets communs, parce qu’aujourd’hui, chaque gouvernement et chaque pays doit faire mieux.

Notre lutte est à la fois internationale et européenne. Ainsi, nous devons articuler nos luttes et nos forces pour avoir des projets mobilisateurs qui peuvent vaincre l’extrême droite et apporter l’espoir. Parce que la démocratie est une question d’espoir, c’est l’idée que vous pouvez construire quelque chose ensemble. L’extrême droite et les néolibéraux vivent de la peur : soit vous acceptez tout, soit ça deviendra pire. Donc, nous avons besoin d’un espace pour la gauche active dans la société, ayant des projets et des campagnes communes qui apporteraient l’espoir. C’est exactement ce que nous voulons faire.

Nous avons sept membres de parti pour l’instant, et donc nous commençons avec ça. Je pense que nous devrions avoir des membres observateurs qui pourraient être extérieurs à l’Union européenne. Par observateurs, je veux dire qu’ils n’ont pas à être des partis mais peuvent être aussi des mouvements. Je crois qu’un dialogue avec la gauche en Ukraine, qui est très important, est également nécessaire. Je pense que peut-être nous pouvons commencer à travailler avec le Mouvement Social en Ukraine. Voyons comment cela se passe. Cela vient juste de commencer mais je pense que ce serait très important.

Merci beaucoup. Peut-être avez-vous quelques remarques de conclusion. Souhaitez-vous adresser quelque chose aux Ukrainiens ?

Nous n’avons pas parlé des armes. Pour moi, c’est normal de savoir que la gauche a différentes positions sur les armes. Mais je crois que tout le monde reconnaît que l’Ukraine a le droit de résister à l’agression et de se défendre.

Et c’est important. On ne peut pas résister sans armes. Je pense qu’une autre discussion est de savoir si nous nous concentrons uniquement sur les armes ou si nous utilisons aussi les moyens financiers et diplomatiques pour arrêter la guerre. Prenez par exemple le problème de la flotte fantôme qui exporte toujours du carburant. Le manque de pression financière et d’efforts diplomatiques est problématique car au final il y a des généraux qui ne parlent que d’armes pour l’Ukraine et ne parlent de rien d’autre. Pourtant ce ne sont pas eux qui meurent.

Je crois qu’il est important de soutenir l’Ukraine, mais aussi de s’opposer à l’idée qu’on ne devrait avoir aucun projet contribuant à la fin de la guerre excepté concernant les armes. Parce qu’au final l’Ukraine sera totalement détruite, et quelqu’un aura gagné beaucoup d’argent en vendant des armes. Je suis sûre qu’il est vraiment important d’arrêter la guerre et cela présuppose également des sanctions et d’autres politiques. Cela doit être.

Et finalement, c’est aussi une question de donner du pouvoir à l’Ukraine en interne. Rendre l’économie ukrainienne équitable.

Oui, bien sûr. Les Ukrainiens prennent les décisions de ce qu’ils veulent faire de leurs vies. Les Ukrainiens doivent décider ce qu’ils veulent faire. Et je crois que les Ukrainiens devraient avoir leur mot à dire sur ce qu’ils veulent pour leur avenir.

Interview par Denys Pilash, traduction Adam Novak pour ESSF.

5 mars 2025  Catarina Martins

https://inprecor.fr

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06 mars 2025 ~ 0 Commentaire

Kerosen (Reporterre)

avion train

« Le carburant des avions est mieux remboursé que nos médicaments »

L’Union européenne va subventionner les compagnies aériennes qui utilisent des « carburants d’aviation durables ». 1,6 milliard d’euros de cadeaux supplémentaires pour le secteur, dénonce l’UFCNA dans cette tribune.

L’Union française contre les nuisances des aéronefs (UFCNA) est une organisation qui regroupe les principales associations françaises de défense de l’environnement, de protection de la qualité de vie et de la santé des riverains des aéroports.

Le lobby aérien s’active et presse les élus pour obtenir aides, subventions et exonérations, pour adoucir l’impact financier d’une nouvelle réglementation qui s’imposera à partir de 2026 : l’obligation d’acheter des quotas d’émission de gaz à effet de serre.

Pour lui répondre, la Commission européenne a adopté le 6 février un généreux programme de soutien à l’achat de « carburants d’aviation durables » (Sustainable Aviation Fuels, SAF, en anglais), des hydrocarbures liquides qui peuvent être utilisés par les avions à la place du kérosène dérivé du pétrole. L’appellation regroupe les biocarburants produits à partir de biomasse et les carburants synthétiques (e-carburants) produits à partir de sources non biologiques (principalement l’hydrogène). Si les premiers empiètent sur les ressources naturelles (terres agricoles et déforestations), et menacent l’environnement et la biodiversité, la production des seconds nécessite des quantités considérables d’énergie.

La Commission européenne impose pour l’aviation un taux d’utilisation progressif de 2 % de SAF en 2025, et jusqu’à 70 % en 2050. Mais depuis vingt ans, l’industrie aéronautique n’a cessé de décaler ou modifier à la hausse ses engagements [1]. Résultat, en 2024, les carburants durables n’ont représenté que 0,53 % de la consommation mondiale. Et les émissions liées au transport aérien explosent de 33 % depuis 2013. Dès lors, de nombreuses voix s’élèvent pour alerter que la croissance du trafic aérien est incompatible avec ces objectifs, et fera peser un poids insupportable sur les ressources naturelles d’intérêt général.

« Il faut maintenant subventionner le carburant des avions ! »

Dans son projet présenté en février, la Commission européenne propose de financer elle-même la croissance des carburants synthétiques, en offrant aux compagnies aériennes une compensation financière qui amortira la différence de prix avec le kérosène classique. Cette aide leur sera versée sous la forme de nouveaux droits à polluer : 20 millions de tonnes de quotas carbone seront offertes. Au prix de 80 euros la tonne de carbone, cela représente 1,6 milliard d’euros de cadeaux supplémentaires pour les compagnies aériennes, et 2 à 3 fois plus en coûts collatéraux pour la société.

Alors que l’absence de taxe sur le kérosène représente un manque à gagner de presque 27 milliards d’euros pour les pays de l’UE et 4,7 milliards par an pour la France, il faut maintenant subventionner le carburant des avions !

Et ensuite ? Les contribuables devront-ils aussi compenser les surcoûts des 20 % de SAF en 2035 et faire monter la facture à plusieurs dizaines de milliards d’euros, alors que la majorité ne prend jamais l’avion ou rarement ?

Le contribuable paie deux fois

Ce n’est pas tout, car ce cadeau ne porte « que » sur les vols intra-européens. Une poignée de députés et sénateurs de droite n’ont donc pas trouvé d’autre priorité que d’étendre cette niche fiscale aux vols internationaux au départ de France.

Vincent Capo-Canellas et sept parlementaires [2] ont fait adopter un amendement au projet de loi de finances 2025, prévoyant que l’État rembourse 50 % de la différence entre le prix d’achat des carburants d’aviation « durables » et celui du kérosène, pour les vols hors UE. Nos élus ont ainsi, selon leur propre estimation, alourdi les dépenses de l’État de 150 à 200 millions d’euros en 2025.

Les économies liées à l’enterrement du plan vélo vont donc servir à payer une année de carburant pour les avions. Les coupes sur le Fonds vert, adoptées juste avant la censure du gouvernement, entérinent une baisse de 400 millions d’euros de dotations. La baisse de 5 % des remboursements de la Sécu sur les consultations médicales et les médicaments en 2025 devait permettre d’économiser 900 millions d’euros… Toutes économies qui seront vite balayées par ces nouvelles subventions offertes aux carburants des avions !

« Ne plus céder aux intérêts corporatistes et aux lobbies »

Car nul n’ignore qu’une fois une niche installée, il devient impossible de revenir en arrière puisque l’effet d’aubaine fait se développer une activité économique dépendante. Et c’est bien déjà le problème pour l’aviation qui ne peut proposer des billets low cost à des tarifs ridicules que grâce aux multiples subventions, exonérations et aides publiques.

L’Association du transport aérien international (Iata) se vante dans son dernier rapport que les compagnies aériennes devraient réaliser 36,6 milliards de dollars de bénéfices à l’échelle mondiale. Plus de 10 milliards d’euros de dividendes ont été versés entre 2010 et 2020 par les groupes aéronautiques français à leurs actionnaires.

Quelle aubaine de bénéficier d’un carburant mieux remboursé par l’État que de nombreux médicaments, pour maintenir des prix artificiellement hauts et engranger de somptueux bénéfices. Ce sont des milliards d’euros d’argent public perdus au seul service d’une corporation championne du greenwashing, et qui continuent d’en demander encore et toujours plus.

Ainsi le contribuable paie deux fois : la première pour subventionner des intérêts industriels corporatistes, puis pour réparer les dégâts environnementaux qu’ils ont générés. L’explosion du coût pour la société des catastrophes climatiques, des coûts sociaux et de santé causés par les pollutions aériennes va dépasser de très loin les bénéfices privés.

Nous appelons les élus de la République à ne plus céder aux intérêts corporatistes et aux lobbies, à mettre fin aux niches fiscales et exonérations qui grèvent les finances publiques et à œuvrer pour une meilleure protection des populations face aux pollutions aériennes.

https://reporterre.net/

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05 mars 2025 ~ 0 Commentaire

Basta

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Le plan des États-Unis pour l’Ukraine, « fruit de 40 ans d’histoire entre Trump et la Russie »

Comment comprendre le rapprochement entre Trump et Poutine au sujet de l’Ukraine ? Quelles conséquences pour l’Europe ? Réponses avec Régis Genté, journaliste basé en Géorgie, auteur d’une enquête sur les relations de Trump avec le pouvoir russe.

Basta! : Comment analysez-vous l’incroyable altercation entre Trump et Zelensky lors de leur rencontre à la Maison blanche, le 28 février ?

Cette séquence dans le bureau ovale est probablement du jamais-vu dans l’histoire diplomatique. Pour autant, elle s’inscrit dans la droite ligne des déclarations outrancières de Trump au sujet de l’Ukraine depuis qu’il est revenu au pouvoir, quand il dit que « Zelensky est un dictateur sans élection », que c’est lui qui a commencé la guerre, etc.

Ce qui est faux, bien entendu. Ce qui est intéressant avec Trump, ce ne sont pas ses mots, mais les intentions qu’il y a derrière. Il apparaît assez clair que cette scène a été pensée à l’avance, tout cela n’est pas arrivé par accident.

Vu les conditions posées préalablement à l’accord de paix, sans la moindre contrainte pour Poutine, Trump se doutait que Zelensky ne signerait pas. La manipulation consiste à lui rendre les choses impossibles pour lui faire porter ensuite la responsabilité de l’échec des négociations, et avoir ainsi une pseudo-justification morale pour ne plus armer l’Ukraine – et peut-être même ne plus lui fournir de renseignements, si Musk décide également de ne plus utiliser ses satellites Starlink. Ce qui laisse les mains libres à Trump pour négocier directement avec Poutine et signer une paix favorable à la Russie, puisqu’il semble bien que ce soit son projet depuis le départ.

Ce rapprochement spectaculaire entre Trump et Poutine, qui s’est matérialisé ces derniers jours sur le dossier du cessez-le-feu en Ukraine, ne vous a pas surpris, il était même « prévisible », dites-vous. Pourquoi ?

Parce que c’est le fruit de plus de 40 ans d’histoire entre Trump et la Russie. Trump est dans le radar du KGB dès la fin des années 1970, lorsqu’il se marie avec Ivana, sa première épouse, qui est alors citoyenne tchécoslovaque, un pays satellite de l’URSS. La sécurité d’État tchécoslovaque, la STB, une sorte de filiale du KGB, avait identifié cet homme alors encore méconnu, mais déjà assez riche et remuant.

C’est le moment où le KGB va redéfinir et intensifier ses efforts de recrutement, principalement aux États-Unis, son principal ennemi. Les documents internes de l’époque sont très clairs, sur le sujet : Vladimir Krioutchkov, le patron de la première direction générale du KGB, la plus prestigieuse, en charge de l’espionnage politique extérieur, cible tout particulièrement les scientifiques et les personnalités du monde politique et des affaires comme de potentiels relais intéressants au service de l’URSS. Trump entre parfaitement dans ce spectre-là.

Ce travail d’approche se concrétise en juillet 1987, lors du tout premier voyage de Trump à Moscou, dans l’idée d’y vendre une Trump tower. Tous les éléments laissent à penser que l’opération est directement organisée par le KGB. D’ailleurs, à peine deux mois après son retour, Trump s’offre une campagne de communication, pour près de 100 000 dollars, dans les plus grands journaux américains [le New York Times, le Washington Post et le Boston Globe, ndlr] pour publier une lettre ouverte appelant à ce que les États-Unis « cessent de payer pour défendre des pays qui ont les moyens de se défendre eux-mêmes », en référence directe à l’Otan.

Vous voyez qu’il y a une certaine constance, chez Donald Trump, puisqu’il utilise encore quasiment les mêmes termes aujourd’hui. C’est simple, j’ai cherché, et on ne trouve guère de déclaration sérieuse de sa part où il se serait montré critique à l’égard de la Russie ou de Poutine. Au contraire, il est en permanence très élogieux.

Il y a également le précédent des suspicions de tentatives d’ingérence russe dans la présidentielle états-unienne de 2016, exposée par plusieurs enquêtes (ingérence qui visait notamment à discréditer l’opposante de Trump, Hillary Clinton)…

Le titre de mon livre, Notre homme à Washington, est directement tiré d’un e-mail découvert par le procureur spécial Robert Mueller, lors de son enquête sur ces soupçons de collusion. L’auteur de cette formule, Felix Sater, connaît bien Trump et est directement issu de la « mafia rouge », ces familles de mafieux qui ont émigré d’Union soviétique aux États-Unis dans les années 1970. En Russie, ces gens-là ne sont jamais bien loin de l’appareil d’État. Felix Sater est particulièrement bien connecté aux hautes sphères des services de sécurité russe.

La preuve quand il écrit en 2015 qu’il va tenter de convaincre Poutine qu’on pourrait « installer notre homme à la Maison blanche », en parlant de Trump. La formule est très révélatrice : on voit bien que ce n’est pas l’initiative de Vladimir Poutine. Il n’y a pas eu de grand plan décidé par le Kremlin à Moscou pour placer Trump à la tête des États-Unis. C’est arrivé de façon plus fortuite, grâce à tous ces gens en lien avec le pouvoir russe et qui cultivent des relations avec Trump – et qui agissent au moins autant dans leur propre intérêt que dans celui de l’État russe.

Le rapport Mueller, demandé par le département de justice américain, apporte des preuves très fortes sur cette influence, et sur la complaisance – pour ne pas dire plus – de Trump et de ses équipes à l’égard de tous ces gens parfaitement intégrés au système politique russe.

Vous parliez d’une campagne de « recrutement » du KGB : quelle est la nature exacte des relations que Trump entretient avec la Russie ? En est-il un « agent » comme on le laisse parfois entendre ?

Non, ce n’est pas un agent, au sens où ce n’est pas quelqu’un qui est rémunéré pour rendre des services et qui se sait missionné pour ça. C’est plus subtil. Il faut plutôt le voir comme une sorte de compagnonnage, quelqu’un qu’on va accompagner dans sa carrière parce qu’on a repéré qu’il pouvait être sur la même longueur d’ondes, partager une même vision du monde, et surtout qu’il pouvait être utile pour du renseignement ou de l’influence.

Dans le jargon soviétique, on appelle ça un « contact confidentiel », une notion qui apparaît dans les mêmes documents stratégiques du KGB, au moment d’établir les campagnes de recrutement dans les années 1980. Le contact confidentiel y est défini comme une personne « susceptible de fournir de l’information de valeur, mais aussi d’influencer activement la politique intérieure et extérieure ».

À ce moment-là, les velléités politiques de Donald Trump sont déjà claires. Il ne va pas devenir pour autant une marionnette, mais plutôt une sorte de relation intéressante qu’on entretient, qu’on flatte, qu’on aide. Trump a ainsi été « cultivé » par différents réseaux, pendant près de 40 ans, avec plus ou moins d’intensité. La banque d’État russe, la VTB, est parfois venue au soutien de la Trump Organization [le conglomérat de la famille Trump, ndlr], via la Deutsche Bank.

À chaque fois qu’il approchait de la faillite, on a vu des oligarques et des mafieux injecter de l’argent dans ses projets immobiliers ou blanchir de l’argent dans ses casinos. En Russie, ce genre de personnes agit toujours en symbiose avec l’État, il y a une connexion intrinsèque entre le monde du crime, la pègre, et le monde des services de sécurité. Trump est lié à cet « État profond » russe, cet État dans l’État : un mélange de pouvoir politique, de pouvoir financier, de pouvoir mafieux et de pouvoir sécuritaire.

Et quel était son intérêt à lui, Donald Trump ?

Cela a été une façon de se donner une surface internationale et de nourrir ainsi ses ambitions, aussi bien dans le business qu’en politique. Se retrouver à Moscou en 1987, c’est une manière de montrer qu’il ne se contente pas de développer de l’immobilier à New York, mais qu’il peut aller partout. Ce qui attire Trump à l’époque, c’est l’ascension, il veut être reconnu dans le grand monde de la jet-set politico-médiatique.

À l’époque, l’un des conseillers, le fameux avocat Roy Cohn, lui souffle l’idée de se proposer comme négociateur en chef auprès de Reagan sur le désarmement nucléaire entre la Russie et les États-Unis – une autre façon de jouer dans la cour des grands à Washington. Tout en reprenant les éléments de langage de Moscou sur le sujet…

« Trump dans la main des Russes », écrivez-vous en sous-titre de votre livre. Mais la relation est-elle à ce point aussi asymétrique, aujourd’hui ?

Force est de constater que, jusqu’à présent, les prises de position de Trump sont généralement favorables au Kremlin. Il faut se souvenir de l’épisode de leur rencontre à Helsinki en 2018 : interrogé sur les soupçons d’ingérence russe pendant la campagne de 2016, Trump répond qu’il fait plus confiance à Poutine qu’à la CIA ! Et on découvre un Trump, à l’attitude d’ordinaire si tonitruante et volontariste, qui ressemble d’un coup à un petit garçon à côté de Poutine.

En fait, Trump admire profondément Poutine, comme le décrit bien son ancienne conseillère sur la Russie, Fiona Hill, dans un livre (There is nothing for you here, 2021, non-traduit). Elle raconte comment elle a observé le président américain se mettre à, selon ses termes, « suivre le ‘‘mode d’emploi’’ autoritaire de Poutine ». C’est une image, mais ça en dit long sur l’influence qui s’exerce.

Trump est fasciné par la façon dont Poutine dirige son pays et par la mise en scène de son pouvoir. Il est un modèle, qui coche toutes les cases dont Trump rêve – puissance, richesse, célébrité – et avec qui il partage un même ADN sociopolitique : le culte de la puissance, des hommes forts, de la grandeur de l’État, une vraie aversion pour la démocratie libérale et le mépris des peuples qui va avec, la dénonciation des élites et la soumission de la vérité à la politique.

Comment interprétez-vous le choix de Donald Trump d’accélérer sur le dossier ukrainien ces tout derniers jours ?

Plusieurs hypothèses circulent à ce sujet. Certains lui prêtent une grande ambition géopolitique qui consisterait à casser l’alliance entre la Russie et la Chine pour mieux isoler cette dernière – qui serait sa véritable obsession sur le plan international. Quand on connaît un peu son fonctionnement et sa façon de prendre des décisions, tels qu’ils sont très bien décrits dans la biographie que lui a consacrée la journaliste Maggie Haberman par exemple, on peut douter qu’il soit animé d’une telle vision stratégique. Trump, c’est quelqu’un qui donne parfois raison au dernier qui a parlé, tout simplement…

Difficile aussi, à mon sens, de le justifier par un choix purement économique : les échanges entre la Russie et les États-Unis, pour l’heure, restent dérisoires au regard du commerce international, sans compter que ces deux pays sont en concurrence sur leurs exportations de gaz et de pétrole.

Un autre argument consiste à y voir un coup médiatique, avec l’envie d’apparaître pour un héros ou un faiseur de paix – quitte peut-être même à revendiquer le prix Nobel ensuite, qui sait. Pourquoi pas, c’est sûr que Trump est très attaché à montrer qu’il est efficace dans son action politique – c’était la même idée lorsqu’il disait qu’il allait régler le conflit à Gaza en 24 heures.

Je pense qu’il y a surtout un enjeu plus politique : en remettant en cause la démocratie américaine comme il le fait depuis son retour à la Maison blanche, et en s’attaquant directement à l’article 2 de la Constitution [qui définit les pouvoirs de l’exécutif, dont le président, ndlr] pour tenter de concentrer tous les pouvoirs, Trump sait bien qu’il va être attaqué. Chez lui par le camp démocrate et par l’establishment qui reste puissant, mais plus largement aussi par le camp des démocraties libérales.

Il a donc besoin de trouver de nouveaux alliés, à même de le légitimer dans son mouvement politique. Proposer un deal favorable à la Russie sur la question ukrainienne, c’est évidemment une bonne manière de plaire à Poutine et d’entretenir un lien fort avec lui.

Du côté de Poutine, est-ce une aubaine pour poursuivre sa stratégie d’expansion à l’égard de l’Europe ?

De la même façon, je crois que pour comprendre la politique étrangère de Poutine, il faut comprendre sa situation sur le plan intérieur. Poutine a besoin de légitimer son pouvoir et de justifier son autoritarisme absolu – le truquage des élections, l’emprisonnement des opposants, etc.

Dans les dictatures, on est toujours très attentif à l’opinion, et Poutine fait énormément de sondages pour prendre le pouls de la population. Il doit constamment s’assurer qu’il reste légitime, par-delà la peur, la violation des droits de l’Homme, l’État policier, etc.

De ce point de vue, l’Europe reste une voisine gênante, elle exhibe son modèle de liberté juste sous le nez des Russes et fait fantasmer les élites intellectuelles qui rêvent de démocratie – en témoignent toutes les révolutions colorées dans les anciens pays soviétiques. De ce fait, l’Europe menace directement les fondements de son régime, c’est pour ça que Moscou veille autant à préserver sa sphère d’influence sur l’ancien espace soviétique.

C’est par exemple tout l’enjeu de l’instrumentalisation des questions LGBT en Russie, mais également en Hongrie, en Géorgie et ailleurs : c’est devenu un outil géopolitique qui sert d’abord à diaboliser l’Occident.

Et Poutine connaît bien Trump. À travers ses récentes velléités expansionnistes sur le Canada ou le Groenland, Poutine l’observe réhabiliter à sa façon la vieille doctrine Monroe. Il lui propose un partage : tu as ton aire d’hégémonie sur le territoire américain, moi je veux la mienne sur l’Europe de l’Est !

Croyez-vous à l’hypothèse de l’extension de la guerre à l’intérieur même des frontières de l’Union européenne ou de l’Otan ?

Difficile à dire. Pour l’heure, je n’en suis pas convaincu, mais on ne peut pas tout à fait exclure l’hypothèse, concernant la Pologne notamment. Il y a une sorte de pensée profonde en Russie qui considère que la Pologne n’est pas légitime, qu’elle fait fondamentalement partie de la Russie, un peu comme la Crimée.

Le moteur, ce n’est pas tant de contrôler l’Europe que de l’affaiblir. C’est ce qu’a théorisé la doctrine Karaganov, qui fixe la ligne de la politique étrangère russe. L’enjeu pour Poutine, c’est tout ce qui pourrait alimenter la crise larvée du multilatéralisme, en obligeant l’Otan et les États-Unis à réagir – ou mieux, justement, à ne pas réagir. Ce qui tuerait de facto le fameux article 5 de l’Alliance [qui oblige chacun des membres à intervenir en cas d’agression contre un autre État membre, ndlr].

Qu’en est-il de la Géorgie, où vous habitez depuis plus de vingt ans ? L’année 2024 y a été émaillée d’importantes mobilisations contre l’ingérence russe.

Il ne faut jamais oublier que la guerre en Ukraine a commencé ici, en Géorgie, en 2008, avec le conflit autour de l’Ossétie du Sud. C’est le même mouvement et les mêmes motivations, la même guerre pour sécuriser un espace face à des territoires qui affirment de plus en plus leur désir d’Europe et d’Occident. On pourrait presque parler de guerre géorgo-ukrainienne, tant ce qui se passe actuellement en Ukraine en est le prolongement direct.

En Géorgie, l’homme qui règne aujourd’hui sur le pouvoir depuis plus de dix ans, Bidzina Ivanichvili, est un oligarque qui a construit toute sa fortune en Russie. C’est plus qu’un « contact confidentiel » en l’occurrence, car il émane du cœur du pouvoir à Moscou. De par son histoire, il ne peut pas échapper au contrôle du Kremlin.

C’est le principe même des élites et milliardaires russes, qui rêvent souvent de s’émanciper en rachetant des clubs de football, par exemple, mais qui ne peuvent le faire qu’à la condition de rester sous le contrôle de Moscou, au risque sinon d’avoir de gros problèmes.

Ce sont des fortunes qui sont là pour servir le régime, et c’est exactement ce que fait Ivanichvili en Géorgie, en instaurant progressivement les bases d’un régime autoritaire à la russe pour sortir le pays de l’orbite pro-européenne, contre la volonté de la population.

C’était tout l’enjeu de la loi sur les « agents étrangers », directement inspirée d’une loi russe, qui a été adoptée l’an dernier. C’est une façon d’installer un modèle dictatorial tout en éradiquant l’influence occidentale – car les ONG ou les médias indépendants ne peuvent pas vivre sans l’argent étranger. Et ainsi de faire avorter habilement le processus d’adhésion à l’Union européenne, qui ne peut que dire « non », dans ces conditions-là.

En octobre, les élections législatives géorgiennes ont été vivement contestées, après des soupçons de truquage, ce qui a engendré un long mouvement de protestation, avec des manifestations quotidiennes, pendant plus de deux mois. Où en est-on ?

Le mouvement s’est un peu essoufflé, même s’il reste vif. Il y a de la fatigue, d’autant que la répression ne faiblit pas, elle. Aujourd’hui, on risque des amendes de 1700 euros en tant que manifestant. Il y a eu beaucoup de passages à tabac, d’arrestations arbitraires, parfois même des enlèvements en pleine rue. À certains égards, cela rappelle ce qui s’est passé en Biélorussie, même si le degré de violence reste moindre.

On voit s’installer un régime de la peur, qui consiste à tuer ce mouvement de protestation. Lequel est par ailleurs très horizontal, sans leader, un peu comme le mouvement de la place Tahrir, en Égypte, en 2011. C’est probablement ce qui a contribué à mettre des dizaines de milliers de gens dans la rue chaque soir – ce qui est considérable dans un pays de trois millions d’habitants.

Face à l’usure du temps, cette horizontalité n’aide pas à engager de nouvelles stratégies dans le bras de fer avec le pouvoir. Ce qui s’y joue est pourtant fondamental : la Géorgie illustre non seulement le sort de l’Europe, mais plus encore, du modèle occidental, avec ses valeurs libérales et démocratiques, qui est aujourd’hui directement menacé par ces régimes populistes et dictatoriaux.

3 mars 2025 Barnabé Binctin

Journaliste indépendant basé à Tbilissi, en Géorgie, et spécialiste de l’ancien espace soviétique. Il est correspondant pour RFI, France 24 et Le Figaro. Il a publié une biographie de Volodymyr Zelensky, Poutine et le Caucase, et l’an dernier une enquête minutieuse sur les relations que Trump entretient historiquement avec le pouvoir russe : Notre homme à Washington. Trump dans la main des Russes.
©DR

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04 mars 2025 ~ 0 Commentaire

Ukraine (NPA)

 

Crédit Photo  DR Gin et Elias Vola

Pour la liberté de l’Ukraine, pour une internationale antifasciste !

Le 24 février 2025, l’Ukraine est entrée dans sa quatrième année de résistance face à l’agression à grande échelle de la Russie.

 Au cours des trois années écoulées, l’aide provenant des États-Unis et de l’UE a permis de bloquer l’offensive du Kremlin, mais a été insuffisante pour faire reculer l’armée russe.

On dénombre plus d’un million de victimes militaires (pour les forces russes, il s’agit principalement des populations racisées des régions périphériques) et civiles (ces dernières presque exclusivement du côté ukrainien). Auxquelles s’ajoute le déplacement forcé d’un quart de la population ukrainienne.

Poutine a entièrement remodelé l’économie autour de son objectif expansionniste : le budget militaire russe augmente sans cesse (43 % des dépenses publiques en 2025) au détriment des services publics. Dans l’économie de guerre, le capital des oligarques s’est concentré dans l’industrie militaire et l’extraction fossile, qui sont au cœur de la croissance économique du pays. Dès lors, rien ne laisse envisager que les négociations « pour la paix » que veut imposer Washington entraînent la fin de l’expansionnisme militaire russe, car « la Russie est devenue dépendante de la dépense militaire » 1.

Trump allié de Poutine face à la Chine

L’action de Trump accélère la redéfinition des alliances inter-impérialistes au détriment du droit à l’autodétermination du peuple ukrainien. Car aux yeux de Trump, la Russie est un potentiel point d’appui dans sa guerre d’hégémonie avec la Chine.

Après avoir ouvert les négociations avec l’agresseur en excluant l’agressé, Trump a entièrement épousé la propagande poutinienne, en attribuant à l’Ukraine la responsabilité de la guerre et en déniant la volonté de la majorité de la population de préserver un pays indépendant et libre de l’impérialisme russe.

La violence du chantage de Trump est manifeste : il demande à l’Ukraine de rembourser 500 milliards de dollars pour l’aide étatsunienne et de céder aux États-Unis le droit d’exploitation des ressources minières et des terres rares, et menace de restreindre l’accès de l’armée ukrainienne au système de communication Starlink, nécessaire pour se défendre des drones et de l’artillerie russes.

Alors que le gouvernement ukrainien refuse de céder sans obtenir en contrepartie des garanties de sécurité, Poutine n’a pas tardé à proposer à Trump un accord pour l’exploitation des terres rares russes et des territoires ukrainiens occupés…

Les impérialismes russe, israélien et étatsunien s’unissent

N’en déplaise aux campistes qui ne voient dans l’agression de l’Ukraine qu’une guerre inter-impérialiste par procuration, l’alliance inter-impérialiste USA-Russie s’est renforcée lors du vote le 24 février 2025 d’une motion de l’ONU pour une paix juste et durable : les États-Unis s’y sont opposés aux côtés de la Russie, du Bélarus, de la Hongrie, du Nicaragua et d’Israël, en affichant explicitement une convergence d’intérêts. Les impérialismes russe, israélien et étatsunien ne se combattent pas : ils s’unissent contre le droit international et le droit d’autodétermination des peuples.

Réaffirmer le droit à l’auto­détermination des peuples

Tandis que les gouvernements européens — et le capital dopé aux matières premières russes —peinent à résoudre leurs intérêts contradictoires vis-à-vis de la Russie poutinienne, la solidarité populaire avec la résistance ukrainienne ne doit pas fléchir : le 24 février, les manifestations ont été nombreuses contre l’axe Trump-Poutine, pour le droit des peuples à choisir leur présent et leur avenir, et pour défendre les espaces d’action et de contestation contre les impérialismes néofascistes — en Ukraine et au-delà.

La lutte de résistance ukrainienne est une lutte pour le droit d’existence et d’autodétermination du peuple ukrainien et de tous les peuples attaqués par les impérialismes meurtriers : aux côtés des UkrainienNEs comme des PalestinienNEs, soutenons la résistance contre l’offensive néofasciste internationale. Vive la résistance ukrainienne, vive l’antifascisme !

Gin et Elias Vola

https://lanticapitaliste.org/

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04 mars 2025 ~ 0 Commentaire

Allemagne (NPA)

 

Allemagne : Après les élections fédérales, résister au lieu de s’adapter !

Les résultats des élections fédérales du 23 février 2025 confirment le glissement vers la droite, qui peut être stoppé dans le pays. Au Parlement, les conservateurs de la CDU/CSU, avec 208 sièges, et les fascistes de l’AfD, avec 152 sièges, ont obtenu les positions les plus fortes. Ensemble, ils représentent une large majorité des 630 députéEs.

LAfD se considère comme le véritable vainqueur, car elle a plus que doublé ses voix, passant de 10,3 % des voix à 20,8 % aujourd’hui.

Fascisme, poussée à droite et bellicisme

Poussée par l’AfD, la question de l’immigration « irrégulière » a été au centre de la campagne électorale. Le racisme inhumain propagé de manière agressive par l’AfD a conduit à un déplacement politique massif vers la droite du « centre démocratique ». En revanche, les intérêts élémentaires de la classe ouvrière n’ont joué qu’un rôle secondaire pour ces partis — si tant est qu’ils en aient joué un.

Le « changement d’époque » proclamé par le chancelier Scholz (SPD) après l’invasion russe de l’Ukraine il y a trois ans, est également susceptible de réunir une majorité en Allemagne. Le réarmement et le bellicisme sont largement acceptés sans être contredits. Seuls les votes en faveur du BSW (Alliance Sahra Wagenknecht) et de Die Linke ont pu être considérés comme un refus fondamental de la militarisation de la société.

L’effondrement du SPD

Les partis de la coalition brisée, Ampel (rouge, orange, vert comme les feux de signalisation) sont les grands perdants de ces élections. Avec 16,4 % des voix, le SPD a enregistré de loin son plus mauvais résultat depuis 1949. Le FDP (les libéraux), qui avait provoqué les élections anticipées au Bundestag, a clairement échoué à franchir la barre des 5 % et n’est plus représenté au Parlement. Les Verts ont été les moins sanctionnés. Avec 11,6 %, ils ont tout de même obtenu le deuxième meilleur résultat de leur histoire.

Le BSW, la scission de droite de Die Linke, a raté de très peu son entrée au Bundestag. En revanche, Die Linke qui, il y a encore quelques semaines, risquait également de ne pas passer la barrière des 5 %, a obtenu son troisième meilleur résultat à ce jour avec 8,8 %. C’est plus qu’une lueur d’espoir, d’autant plus qu’il a pu gagner des dizaines de milliers de nouveaux membres, jeunes pour la plupart. Ces deux phénomènes sont dus à la polarisation politique accrue par le coup de Merz au Bundestag et à l’essor consécutif des protestations antifascistes d’environ 1,5 million de personnes (voir l’Anticapitaliste n° 741 du 13 février 2025).

Mobiliser la société et vaincre le fascisme

Merz, le « candidat à la chancellerie » de la CDU/CSU, a exclu une coalition avec l’AfD le soir des élections. Son objectif officiellement annoncé est de former rapidement une coalition avec le SPD. Celui-ci joue toutefois pour l’instant la montre afin d’affaiblir les critiques au sein du parti concernant une alliance avec la droite conservatrice dirigée par Merz.

Malheureusement, les mobilisations de masse contre le fascisme qui ont eu lieu jusqu’à présent n’ont pas encore suffi à stopper le glissement vers la droite. Le slogan « Ensemble contre le fascisme » ne portera durablement que s’il est rempli d’une perspective sociale d’espoir.

Le moment est d’autant plus venu d’« annoncer la couleur », de s’engager, de participer de manière active et organisée. Transformer cet élan en un travail politique continu dans tous les domaines de la société — dans les quartiers, sur les lieux de travail, dans les écoles et les universités, mais aussi dans les syndicats et les autres mouvements sociaux —, tel sera le grand défi.

La résistance extraparlementaire est maintenant de mise, et non l’espoir d’un « mur de feu » ou d’un « rempart » parlementaire contre l’AfD. Ce mouvement extraparlementaire devrait s’opposer au racisme, au nationalisme, au fascisme, au bellicisme et défendre les intérêts sociaux et écologiques de la grande majorité de la population.

H. Neuhaus, J. H. Wassermann

https://lanticapitaliste.org/

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04 mars 2025 ~ 0 Commentaire

Cameroun (Reporterre)

 

Au Cameroun, la révolte des travailleurs du sucre

Au Cameroun, la révolte des travailleurs du sucre

Une grève dans une filiale camerounaise du géant français Castel a été violemment réprimée en février, causant la mort d’un ouvrier et d’un policier. Depuis, la situation reste précaire.

« On n’avait jamais perdu de camarade jusqu’ici, mais voilà, c’est arrivé. Cela montre bien que la situation va de mal en pis », s’indigne un membre du Syndicat des travailleurs saisonniers de la filière canne à sucre (Strascas), au Cameroun. Le 4 février, un mouvement de grève des ouvriers de la Société sucrière du Cameroun (Sosucam) a été violemment réprimé par les forces de sécurité à Nkoteng, dans le centre du pays, tournant au drame : un employé d’une vingtaine d’années, Gaston Djora, a été tué par balle et un policier a succombé à ses blessures.

Tous les Camerounais connaissent la Sosucam, installée dans le département de la Haute-Sanaga, à une centaine de kilomètres au nord de Yaoundé : ils consomment son sucre depuis des décennies. Créée en 1964, l’entreprise appartient à 26 % à l’État du Cameroun et à 74 % au groupe français Somdia, lui-même propriété de la multinationale française Castel, principal producteur de vin dans le monde. Il contrôle aussi 80 % du marché de la bière au Cameroun.

La Sosucam produit annuellement environ 100 000 tonnes de sucre. Elle possède deux usines et 25 000 hectares de plantations de canne à sucre, réparties sur plusieurs arrondissements : Mbandjock, Nkoteng et Lembe-Yezoum. Près de 8 000 personnes travaillent sur ces sites, dont 90 % sont des saisonniers, employés comme manœuvres pendant la campagne sucrière (novembre-mai), et parfois aussi pendant l’intercampagne (juillet-août). Une grande partie d’entre eux, soit environ 3 500 personnes, sont dans les champs pour planter, glaner ou couper, les autres officient dans les usines et le transport des récoltes.

« Travailler sans être payé, ce n’est pas possible »

Pour ces saisonniers, originaires pour beaucoup du nord du pays, une région défavorisée, les conditions de travail sont très pénibles : « Aucune couverture médicale, pas de logement décent pour certains, salaires très bas, manque d’équipements de protection, non-respect du cadre légal limitant le travail temporaire », a résumé dans un rapport de 2023 le Strascas, qui rend aussi compte d’entraves à ses activités et d’accidents du travail récurrents.

Lorsque la grève a débuté le 26 janvier, le salaire mensuel de base d’un manœuvre agricole était de 56 000 francs CFA (85 euros) — une somme ne permettant pas de vivre décemment. Au niveau national, le salaire minimum garanti pour les ouvriers agricoles est de 45 000 francs CFA (69 euros).

En février 2022, les saisonniers avaient déjà fait grève pour dénoncer des licenciements abusifs et leurs conditions de travail. Il y avait eu des violences. L’entreprise, déjà mise en cause pour des problèmes environnementaux et sociaux par les populations riveraines, avait dû suspendre les licenciements. Elle avait aussi augmenté de 75 francs CFA (0,11 centime d’euro) une « prime de coupe », parfois donnée en fin de journée aux coupeurs de canne (elle était ainsi passée de 0,27 à 0,38 centime d’euro), et accordé une « prime de campagne » de 15 000 francs CFA (23 euros).

Cette année, les ouvriers se sont révoltés en raison d’un changement dans les dates et modalités de paie, un retard de paiement, et des rétrogradations inexpliquées d’échelons sur la grille salariale ayant entraîné des baisses de salaire. « Le travail est très dur et l’est de plus en plus. Travailler sans être payé, ce n’est pas possible. Les gens se sont rassemblés pour dire : “Pas de travail s’il n’y a pas d’argent ! Trop, c’est trop” », explique à Reporterre le président du Strascas, Mahamat Zoulgue.

Ils ont ramassé « des gars en ville pour les mettre de force dans des bus »

Le mouvement a commencé à Mbandjock, suivi par 2 000 personnes, et s’est propagé le 29 janvier à Nkoteng avec 1 500 grévistes supplémentaires. « Les premiers jours, tout était calme, on se rassemblait le matin, puis chacun rentrait chez lui », témoignent des saisonniers, pour qui « cette crise couvait depuis longtemps ». Au bout de quelques jours, la direction de la Sosucam a renoncé à changer le système de paiement des salaires. Mais elle n’a pas répondu aux revendications concernant le niveau de la rémunération, si bien que les grévistes n’ont pas repris le chemin des plantations.

La situation a fini par dégénérer le 4 février à Nkoteng, lorsque les forces de sécurité ont entrepris, selon des témoignages, de « ramasser des gars en ville pour les mettre de force dans des bus qui devaient les conduire aux champs. La population a dit non et s’est levée comme un seul homme. C’est à ce moment-là que la police a commencé à tirer avec de vraies balles et que l’un des nôtres est tombé ». Durant les affrontements, un policier a reçu un coup mortel à la tête, un nombre indéterminé de personnes ont été blessées, et des champs de canne à sucre ont été incendiés.

« Ce qui était à l’origine une réclamation relative à la date de paiement des acomptes d’une partie du personnel, à laquelle il a été répondu favorablement, est devenue progressivement une entrave au travail accompagnée de tensions et heurts urbains et échappant totalement au cadre de l’entreprise », a commenté la Sosucam dans un communiqué.

Disant avoir mené une « concertation » avec « les délégués du personnel, les présidents des syndicats, les représentants désignés des manœuvres agricoles coupeurs », elle a ensuite annoncé, le 7 février, une augmentation du salaire de base des coupeurs de canne de… 1 000 francs CFA (1,5 euro). Elle a invité dans la foulée les employés à reprendre le travail. « La reprise en marche ! » a-t-elle posté les jours suivants, en lettres capitales, sur son compte LinkedIn, avec une vidéo de camions chargeant des tiges de canne à sucre — sans faire aucune allusion à l’ouvrier et au policier tués.

Pression et chantage

Si une partie des travailleurs sont retournés dans les champs, plusieurs centaines d’autres sont restés chez eux. « On ne peut pas se satisfaire des mesures annoncées par Sosucam », commente un membre du Strascas, qui revendique 450 adhérents et 2 000 sympathisants. « Nous n’avons pas été invités aux présumées réunions de concertation. Pourtant, nous avions écrit pour dire que notre syndicat souhaitait participer. La direction a préféré discuter avec des syndicats qui lui sont inféodés », précise un autre.

Le 15 février, la compagnie, qui a dit avoir comptabilisé treize jours d’arrêt de production, 970 hectares de plantations partis en fumée et une perte de plus de 5 milliards de francs CFA (7,6 millions d’euros), a adressé une note aux « collaborateurs de Sosucam » pour constater « un taux d’absentéisme élevé ». Ajoutant : « Seront considérés comme démissionnaires et remplacés » ceux qui n’auront pas repris le travail « sous vingt-quatre heures ».

Quelques jours après, elle a été obligée de lancer une campagne de recrutement pour trouver 600 ouvriers agricoles. « La répression et le remplacement des travailleurs saisonniers absents ne sauraient être une option pour trouver des solutions durables à la crise », laquelle « reste la même, irrésolue et latente », a réagi le Strascas, qui réclame un « dialogue inclusif » et plaide pour un salaire de base d’au moins 70 000 francs CFA (107 euros) pour les manœuvres agricoles.

« Nous ne baissons pas les bras »

« Les travailleurs ont toujours la même colère », constate un syndicaliste, qui s’exprime comme d’autres sous anonymat par crainte de représailles. « Dans cette société, rien ne change jamais. Même pour obtenir une augmentation symbolique de 5 francs CFA [moins de 1 centime d’euro], on est obligé de faire grève. Jusqu’à perdre un camarade… » soupire un autre.

Les saisonniers ont reçu l’appui de la députée européenne Marina Mesure, membre de La France insoumise (LFI), qui a demandé à la Commission européenne d’examiner la situation au regard de la directive européenne adoptée en 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises — la maison mère de la Sosucam étant installée dans un État membre de l’Union européenne, la France. Contacté par message électronique, le groupe Castel n’a pas réagi.

Les autorités camerounaises, elles, n’ont guère manifesté d’empathie pour les employés de la société : s’il a parlé de la nécessité d’un « dialogue franc et sincère », le ministre du Travail et de la Sécurité sociale, Grégoire Owona, a fustigé des « mouvements sociaux sauvages ».

« Nous ne baissons pas les bras, répond Mahamat Zoulgue, le président du Strascas. Le combat continue pour trouver des solutions. »

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03 mars 2025 ~ 0 Commentaire

Contre-Salon ( FR3 )

paysans

Salon de l’agriculture. Dans les campagnes, des « contre-salons » pour les paysans qui ne s’y reconnaissent pas

Alors que la fin du Salon de l’agriculture se profile porte de Versailles à Paris, des agriculteurs, paysans, proposent leur propre événement, ne se reconnaissant pas dans le grand rassemblement parisien. Des « contre-salons », à l’initiative de La Confédération paysanne. Cette année, un Gaec de maraîchers installés à Romillé, au nord de Rennes, accueille les visiteurs.

« Faut-il replanter des haies, comment lutter contre les attaques d’insectes… » les questions fusent, devant les rangs de choux, de salades, de navets, d’oignons ou d’ail.

Bien loin de la Porte de Versailles à Paris et du salon de l’agriculture, porte ouverte dans une ferme maraîchère, pour une autre approche. Les visiteurs ont fait le choix de ne pas aller à Paris, ce sont des voisins, des clients de la ferme, des curieux.

« Une histoire de sens » pour les visiteurs

Luc est venu chercher des conseils. Ce restaurateur rennais rêve de produire lui-même ses légumes, « C’est plus une histoire de sens, de ressentir une exploitation et de rencontrer et de pouvoir échanger avec des gens qui se sont lancés récemment, et qui ne sont pas forcément du secteur, ça inspire », reconnaît-il.

Un couple, à côté, qui se dit assez urbain et loin de la terre, comprend que de la cultiver est assez technique, et ils apprécient « le rapport avec le local, avec ce qui se fait autour de nous, les jeunes qui s’installent, de nouvelles techniques aussi », avancent-ils, « et puis on arrive à un âge où on se pose plus de questions, on a plus le temps et plus les moyens aussi, donc on va faire plus attention (à notre façon de consommer) », précise encore la dame. 

Et pour eux, peu importe la bannière syndicale, en l’occurrence la Confédération paysanne.

« D’autres agricultures possibles »

Ce Gaec certifié en bio, installé à Romillé, près de Rennes, en Ille-et-Vilaine, fait vivre trois personnes depuis bientôt deux ans. Un retour à la terre, sur deux hectares et demi, pour des cultures de plein champ ou sous serre. L’idée pour les trois associés, c’est de respecter le vivant et le paysan. Un modèle qui, selon les gérants, est invisible au Salon de l’agriculture. « Ici, il faut venir en bottes, s’amuse Vincent Robine, l’un des trois maraîchers, ça a plus de sens et c’est l’occasion de faire venir les gens sur nos fermes, pour qu’ils comprennent ce qu’on fait et nos problématiques. »

« Le salon à Paris, poursuit-il, c’est la vitrine d’une agriculture, mais pas de l’agriculture. C’est d’ailleurs l’objet de ces ‘salons à la ferme’, c’est de montrer qu’il y a d’autres agricultures possibles, c’est celles-là qu’on a envie de promouvoir. » C’est-à-dire des fermes à taille humaine, en lien avec les habitants du territoire, pour des productions locales et des pratiques respectueuses de l’environnement. « On n’a pas la même définition de souveraineté alimentaire que certains, assure encore le jeune maraîcher, et l’idée, c’est que les citoyens et les citoyennes aient une autonomie et la décision sur le modèle agricole qui les nourrit. »

« Il faudrait revenir vers des fermes à taille humaine »

« On est représentatif d’une génération qui n’est pas issue du milieu agricole, poursuit Pierre Lebrun, son associé et on est quand même nombreux à faire le pas de revenir vers une agriculture. Il y a tout un mouvement de gens comme nous qui retrouvent du sens dans ce métier », ajoute le jeune agriculteur, en précisant

« Et il y a tout de même un souci dans l’évolution du paysage agricole, c’est que la grosse majorité des terres vont vers un agrandissement, alors qu’il faudrait revenir vers des fermes à tailles humaines. Il y a de moins en moins d’agriculteurs, parce qu’un agriculteur tient un nombre d’hectares de plus en plus important. Et le mouvement ne s’inverse toujours pas, c’est ça qui est un peu malheureux ! »

Les organisateurs le savent bien. Ceux qui poussent la porte sont acquis à leur cause, au bio et au local. Reste à sensibiliser tous les autres. Alors, ils se tiennent prêts à rouvrir leur ferme, avec ou sans salon à Paris.

(Avec Charles Lemercier)  Krystel Veillard 02/03/2025

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