Kerosen (Reporterre)
« Le carburant des avions est mieux remboursé que nos médicaments »
L’Union européenne va subventionner les compagnies aériennes qui utilisent des « carburants d’aviation durables ». 1,6 milliard d’euros de cadeaux supplémentaires pour le secteur, dénonce l’UFCNA dans cette tribune.
L’Union française contre les nuisances des aéronefs (UFCNA) est une organisation qui regroupe les principales associations françaises de défense de l’environnement, de protection de la qualité de vie et de la santé des riverains des aéroports.
Le lobby aérien s’active et presse les élus pour obtenir aides, subventions et exonérations, pour adoucir l’impact financier d’une nouvelle réglementation qui s’imposera à partir de 2026 : l’obligation d’acheter des quotas d’émission de gaz à effet de serre.
Pour lui répondre, la Commission européenne a adopté le 6 février un généreux programme de soutien à l’achat de « carburants d’aviation durables » (Sustainable Aviation Fuels, SAF, en anglais), des hydrocarbures liquides qui peuvent être utilisés par les avions à la place du kérosène dérivé du pétrole. L’appellation regroupe les biocarburants produits à partir de biomasse et les carburants synthétiques (e-carburants) produits à partir de sources non biologiques (principalement l’hydrogène). Si les premiers empiètent sur les ressources naturelles (terres agricoles et déforestations), et menacent l’environnement et la biodiversité, la production des seconds nécessite des quantités considérables d’énergie.
La Commission européenne impose pour l’aviation un taux d’utilisation progressif de 2 % de SAF en 2025, et jusqu’à 70 % en 2050. Mais depuis vingt ans, l’industrie aéronautique n’a cessé de décaler ou modifier à la hausse ses engagements [1]. Résultat, en 2024, les carburants durables n’ont représenté que 0,53 % de la consommation mondiale. Et les émissions liées au transport aérien explosent de 33 % depuis 2013. Dès lors, de nombreuses voix s’élèvent pour alerter que la croissance du trafic aérien est incompatible avec ces objectifs, et fera peser un poids insupportable sur les ressources naturelles d’intérêt général.
« Il faut maintenant subventionner le carburant des avions ! »
Dans son projet présenté en février, la Commission européenne propose de financer elle-même la croissance des carburants synthétiques, en offrant aux compagnies aériennes une compensation financière qui amortira la différence de prix avec le kérosène classique. Cette aide leur sera versée sous la forme de nouveaux droits à polluer : 20 millions de tonnes de quotas carbone seront offertes. Au prix de 80 euros la tonne de carbone, cela représente 1,6 milliard d’euros de cadeaux supplémentaires pour les compagnies aériennes, et 2 à 3 fois plus en coûts collatéraux pour la société.
Alors que l’absence de taxe sur le kérosène représente un manque à gagner de presque 27 milliards d’euros pour les pays de l’UE et 4,7 milliards par an pour la France, il faut maintenant subventionner le carburant des avions !
Et ensuite ? Les contribuables devront-ils aussi compenser les surcoûts des 20 % de SAF en 2035 et faire monter la facture à plusieurs dizaines de milliards d’euros, alors que la majorité ne prend jamais l’avion ou rarement ?
Le contribuable paie deux fois
Ce n’est pas tout, car ce cadeau ne porte « que » sur les vols intra-européens. Une poignée de députés et sénateurs de droite n’ont donc pas trouvé d’autre priorité que d’étendre cette niche fiscale aux vols internationaux au départ de France.
Vincent Capo-Canellas et sept parlementaires [2] ont fait adopter un amendement au projet de loi de finances 2025, prévoyant que l’État rembourse 50 % de la différence entre le prix d’achat des carburants d’aviation « durables » et celui du kérosène, pour les vols hors UE. Nos élus ont ainsi, selon leur propre estimation, alourdi les dépenses de l’État de 150 à 200 millions d’euros en 2025.
Les économies liées à l’enterrement du plan vélo vont donc servir à payer une année de carburant pour les avions. Les coupes sur le Fonds vert, adoptées juste avant la censure du gouvernement, entérinent une baisse de 400 millions d’euros de dotations. La baisse de 5 % des remboursements de la Sécu sur les consultations médicales et les médicaments en 2025 devait permettre d’économiser 900 millions d’euros… Toutes économies qui seront vite balayées par ces nouvelles subventions offertes aux carburants des avions !
« Ne plus céder aux intérêts corporatistes et aux lobbies »
Car nul n’ignore qu’une fois une niche installée, il devient impossible de revenir en arrière puisque l’effet d’aubaine fait se développer une activité économique dépendante. Et c’est bien déjà le problème pour l’aviation qui ne peut proposer des billets low cost à des tarifs ridicules que grâce aux multiples subventions, exonérations et aides publiques.
L’Association du transport aérien international (Iata) se vante dans son dernier rapport que les compagnies aériennes devraient réaliser 36,6 milliards de dollars de bénéfices à l’échelle mondiale. Plus de 10 milliards d’euros de dividendes ont été versés entre 2010 et 2020 par les groupes aéronautiques français à leurs actionnaires.
Quelle aubaine de bénéficier d’un carburant mieux remboursé par l’État que de nombreux médicaments, pour maintenir des prix artificiellement hauts et engranger de somptueux bénéfices. Ce sont des milliards d’euros d’argent public perdus au seul service d’une corporation championne du greenwashing, et qui continuent d’en demander encore et toujours plus.
Ainsi le contribuable paie deux fois : la première pour subventionner des intérêts industriels corporatistes, puis pour réparer les dégâts environnementaux qu’ils ont générés. L’explosion du coût pour la société des catastrophes climatiques, des coûts sociaux et de santé causés par les pollutions aériennes va dépasser de très loin les bénéfices privés.
Nous appelons les élus de la République à ne plus céder aux intérêts corporatistes et aux lobbies, à mettre fin aux niches fiscales et exonérations qui grèvent les finances publiques et à œuvrer pour une meilleure protection des populations face aux pollutions aériennes.