Roulotte (Reporterre)
« Gens du voyage, tiny houses… Il faut protéger tous ceux qui vivent en habitat léger »
Alors que les habitants des tiny houses bénéficient d’une image positive dans le milieu écologiste, les gens des voyages et leurs caravanes sont victimes de discrimination. Une situation que dénonce l’auteur de cette tribune.
Les tiny houses suscitent un engouement croissant en France. Présentées comme une alternative écologique, minimaliste et économique, elles bénéficient d’une image positive dans la presse et le milieu écologiste. Qualifiées de « petites maisons nomades et écologiques », elles promettent une « vie de bohème avec tout le confort ».
Mais pourquoi les gens du voyage, les Voyageurs, dont l’habitat mobile est bien antérieur à cette tendance, ne sont-ils jamais perçus comme des promoteurs d’un mode de vie respectueux de l’environnement ? Pourquoi la presse multiplie-t-elle les articles élogieux sur les tiny houses, tout en ignorant la réalité des caravanes et les obstacles rencontrés par ceux qui y vivent ?
D’un point de vue juridique, tiny houses et caravanes relèvent des mêmes restrictions urbanistiques. Elles sont toutes deux des résidences mobiles, une fois les roues enlevées elles deviennent éventuellement des résidences démontables. Dans les deux cas, leur installation sur un terrain privé est soumise aux règles du Plan local d’urbanisme (PLU) et à l’accord du maire. Une installation sans autorisation expose à des sanctions pénales, astreintes et lourdes amendes.
Le racisme, un facteur de poids
Si les tiny houses ne sont pas épargnées par les refus d’installation (il ne faudrait pas nier les difficultés rencontrées par ceux qui y vivent), elles bénéficient parfois d’une certaine tolérance ou d’adaptations du PLU sur demande. Globalement, leur image positive leur permet d’être mieux acceptées qu’une caravane, a fortiori lorsque celle-ci est habitée par des gens du voyage. Car il y a un facteur de poids entre les deux situations : le racisme.
Là où la tiny house est perçue comme un choix de vie alternatif, la résidence mobile n’en est pas un pour les Voyageurs. Il ne s’agit pas d’un choix, mais d’un type d’habitat hérité, qui va de pair avec une façon de vivre, qui croise des pratiques itinérantes, des pratiques culturelles anciennes et des traditions séculaires, et qui permet d’évoluer dans une sphère de sociabilisation que les Voyageurs appellent « être sur le voyage ».
Le rejet de la caravane est le corollaire du rejet des gens du voyage. Ce n’est pas seulement un problème d’urbanisme, mais une exclusion systémique, qui produit de la relégation avec tous les effets qu’on lui connaît, notamment sur la santé. Les conséquences de cette exclusion vont bien au-delà : accès limité à l’eau et à l’électricité, refus de scolarisation, impossibilité de se domicilier, difficultés à recevoir du courrier ou à bénéficier de services publics. Là où la tiny house est valorisée comme un choix innovant, la caravane reste un marqueur de discrimination systémique.
Un héritage antitzigane profondément enraciné
Ce traitement différencié trouve ses racines dans un passé de répression des Voyageurs. En 1912, la France instaure un statut ethnique de nomade, visant explicitement les Bohémiens, les Romanichels, les Tziganes et les Gitanos. Ce statut, qui imposait un fichage strict, servira de base aux persécutions raciales entre 1940 et 1946. Après la guerre, face à une sédentarisation croissante des Voyageurs, l’urbanisme devient progressivement un outil d’exclusion : la réglementation limite drastiquement la durée de stationnement des caravanes, rendant impossible toute installation pérenne.
En 2012, l’Association nationale des gens du voyage citoyens (ANGVC) révélait que 95 % des communes interdisent de manière absolue et générale le stationnement des résidences mobiles dans leur PLU, contraignant des milliers de Voyageurs (ceux qui ne voyagent plus et les plus modestes) à vivre dans des aires d’accueil inadaptées. Faute de perspectives légales en matière de logement, certains naissent et meurent sur des aires d’accueil sommaires, proches d’usines polluantes et à l’écart des villes.
Lorsqu’ils achètent un terrain, les Voyageurs restent sous la menace de l’arbitraire municipal. Se maintenir sur un terrain relève donc de la tolérance des élus locaux, d’un miracle administratif ou des rares PLU qui ne prévoient aucune interdiction. Les refus de raccordement à l’eau et à l’électricité, les batailles judiciaires pour obtenir une autorisation d’installation, ou encore l’action des Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) pour bloquer spécifiquement leurs acquisitions foncières témoignent de cette difficulté.
L’écologie, un prétexte à l’exclusion ?
En parallèle, l’écologie est un levier régulièrement utilisé pour justifier l’exclusion des Voyageurs. Là où les tiny houses sont célébrées pour leur sobriété énergétique, les caravanes sont perçues comme des éléments indésirables, polluant par leur simple présence. Il suffit de taper « gens du voyage » dans un moteur de recherche pour trouver des dizaines d’exemples récents. Ces articles sont, par exemple, assez représentatifs : « Les gens du voyage s’installent à côté d’un hôpital : “nous craignons la pollution des eaux qui alimentent les 285 résidents” » ; « Des toilettes à ciel ouvert : un grand rassemblement des gens du voyage inquiète un maire de Gironde » ; « La future aire de grand passage suscite l’inquiétude chez les habitants. [...] Selon eux, le bois de Frontenex n’est pas adapté à l’accueil des caravanes : risques de pollution, d’incivilités mais aussi de crues qui mettraient les occupants en péril en cas d’orage violent » ; etc.
L’argument environnemental est parfois utilisé comme un levier de relégation, soit que les gens du voyage polluent, soit que l’environnement serait trop pollué pour les accueillir, soit que leur accueil pourrait porter atteinte à l’environnement. Dans tous les cas le résultat est le même : les gens du voyage d’accord, mais pas ici. C’est dans cette logique que s’inscrit de nombreuses interventions de parlementaires à l’Assemblée nationale, ainsi que la récente proposition de loi du député macroniste Ludovic Mendes, missionné par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau.
Déposée en février 2025, elle vise à instaurer un « préjudice écologique avéré ou imminent » comme nouveau motif légal d’évacuation forcée des gens du voyage. Ce texte assimile implicitement les installations des Voyageurs à des atteintes à l’environnement, sans preuve tangible de dommages réels. Il ajoute un outil juridique de criminalisation, renforçant l’exclusion sous couvert de protection environnementale. Il est urgent de repenser politiquement la question de l’habitat léger. Trop souvent, la gauche hésite à défendre l’habitat léger, craignant d’affaiblir la revendication du droit au logement ou de légitimer un modèle qui serait le reflet d’une précarité qui prend de l’ampleur.
« Les luttes écologistes doivent s’emparer du sujet »
Il n’est évidemment pas question de nier la crise du logement qui frappe les plus précaires, ni qu’une part importante des personnes qui vivent en caravane, tiny house, mobil’home ou autre habitat léger, subissent cet habitat et y vivent pour des raisons de pauvreté. Mais il faut articuler ces différentes réalités : celles qui résultent du choix, celles qui résultent du subi, celles qui résultent de l’héritage culturel. Toutes les personnes qui vivent en habitat léger ont intérêt à se soucier des droits des Voyageurs, car les restrictions créées contre eux finissent toujours par porter atteintes aux libertés de tous.
Il est indispensable de penser cette question sous l’angle du racisme environnemental. Ne pas le faire, c’est ignorer que l’exclusion des Voyageurs ne repose pas uniquement sur des considérations urbanistiques ou économiques, mais bien sur des logiques de discrimination structurelle. En somme, éviter le sujet c’est maintenir les Voyageurs à l’écart. Par ailleurs, il faut offrir une protection plus grande à celles et ceux qui vivent en habitat léger. L’urgence est d’intégrer ces formes d’habitat dans les documents d’urbanisme, d’accorder aux résidences mobiles des garanties similaires à celles d’un logement traditionnel et d’adapter les dispositifs d’aide existants.
Si la tiny house est valorisée comme un modèle écologique et innovant, alors les luttes écologistes doivent s’emparer du sujet dans une logique de justice environnementale, sociale et antiraciste. Sauf à vouloir contribuer à l’oppression des Voyageurs, la gauche écologiste doit mener la bataille de l’habitat léger pour tous — tout en reconnaissant les discriminations spécifiques qui frappent les Voyageurs. L’habitat léger n’est pas un simple débat urbanistique : c’est une question politique, qui touche à la justice sociale, à l’égalité des droits et à la lutte contre le racisme environnemental.