14 février 2025 ~ 0 Commentaire

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Dans les Côtes-d’Armor, on s’interroge : la langue bretonne est-elle en danger ?

Une étude révèle que le nombre de locuteurs du breton a chuté. A Guingamp, Francis Favereau, écrivain et ancien professeur, analyse la situation. A Lannion, un débat s’organise.

Le Guingampais Francis Favereau, écrivain, universitaire, ancien professeur de langue et littérature bretonne, est également président du Conseil Scientifique de l’Office public de la langue bretonne. ©Laurent LE FUR

Une récente enquête, commandée par la Région Bretagne et réalisée par l’institut de sondage TMO, fait apparaître une chute importante du nombre de locuteurs du breton en quelques années. Elle révèle qu’environ 107 000 personnes parlaient breton en 2024, contre 214 000 en 2018, dans les cinq départements de la Bretagne historique. Soit une baisse de moitié, en seulement six ans.

Faut-il s’alarmer des conclusions de cette enquête ? Faut-il s’inquiéter pour l’avenir même de la langue bretonne dans notre région ? Y a-t-il des signes d’espoir ? À Guingamp, Francis Favereau, écrivain, universitaire, ancien professeur de langue et littérature bretonne, également président du Conseil Scientifique de l’Office public de la langue bretonne, nous livre son analyse.

→ Francis Favereau, les résultats de cette enquête publiée fin janvier, qui révèle que le nombre de personnes parlant breton a baissé de moitié en six ans, vous ont-ils surpris ?

Oui et non. Non, parce que c’était attendu, plusieurs commentateurs avisés avaient déjà prédit cette baisse, en raison de la démographie et du fait que les bretonnants, dans les études, constituaient une population qui prenait de l’âge. Mais ce qui me surprend, quand même, c’est que l’étude précédente, qui datait de moins de dix ans, laissait entrevoir une légère augmentation du nombre de locuteurs. On peut s’interroger sur la méthode de sondage et la prise en compte des différentes catégories de bretonnants : entre les gens qui parlent très bien et les apprenants, ou ceux qui parlent occasionnellement, qui est vraiment compté et comment ?

Je parle en breton avec des gens autant qu’avant Francis Favereau

→ Ce constat, que les gens sont de moins en moins nombreux à parler breton, vous le faites aussi sur le terrain ?

Non, pas du tout. Rien qu’en regardant autour de chez moi. Dans ma rue, il y a une famille avec quatre enfants, ils parlent tous breton. Une autre voisine, plus âgée, connaît bien le breton aussi. J’ai plein d’exemples autour de chez moi. Au-delà, quand je vais sur le marché de Guingamp, je parle en breton avec des gens autant qu’avant. Au supermarché, j’entends parfois aussi des conversations en breton. Sur les réseaux aussi, internet et téléphone, j’ai beaucoup d’échanges en breton. J’assiste encore à des rencontres en breton dans différentes communes, où les gens se retrouvent autour du breton. Dans la pratique sociale et dans l’usage de proximité, je ne m’aperçois pas d’une diminution de la pratique.

→ La dernière grande rupture linguistique des années 1950 a-t-elle provoqué cette situation actuelle ? Lorsque beaucoup de parents bretonnants ont choisi d’élever leurs enfants en français, interrompant ainsi la transmission directe entre générations ?

Il y a eu des évolutions majeures depuis la moitié du siècle dernier. Jusque dans les années 50, on estime qu’environ un million de personnes parlaient breton. En 1975, certaines études annonçaient que le breton allait disparaître en 2000. Mais il y a eu une rémanence, un regain d’intérêt, un regain militant, un allongement de la durée de vie, peut-être aussi un retour de néo-ruraux.

En ville aujourd’hui, on s’aperçoit que la langue bretonne vit aussi. À Rennes, à Nantes, à Brest même (au centre), ou encore dans des plus petites villes comme Saint-Brieuc, avec un Ti ar vro ou dans des cafés. À Saint-Malo et Dinan également. Dans le Trégor (lannionnais), il y a une dizaine de groupes de conversation réguliers en breton. On en voit un peu partout.

Cela montre qu’il y a de l’intérêt pour la langue et c’est une bonne solution, je pense. Le dynamisme social est important et cela montre que les gens s’y intéressent. […] Il faut cependant comprendre que le modèle du siècle dernier, quand on parlait breton à la ferme, aux battages… est perdu. Mais ce mode de vie est perdu aussi.

→ Quels sont les signes positifs pour l’avenir du breton ?

Le breton est visible aujourd’hui, audible aussi. À la télé, à la radio, dans les journaux, les panneaux de signalisation, les bulletins des collectivités… Le breton depuis 20 ou 30 ans a acquis une légitimité. Les Bretons sont attachés à leur langue même si tout le monde ne le parle pas. Le breton s’est patrimonialisé, ce qui n’était pas du tout gagné il y a une cinquantaine d’années. Aujourd’hui, il y a un bon maillage des centres Ti Ar Vro ou équivalents. Il y a des cours, des animations, des veillées… La Redadeg aussi. Tout ceci apporte une vitalité, une sympathie aussi, voir une empathie. Je me souviens, quand le breton est revenu en grâce, avec le Kan ar bobl, par exemple, le fait d’avoir vu des petits chanter en breton a été quelque chose de très attendrissant pour des grands-mères qui, elles-mêmes, n’avaient pas appris le breton à leurs enfants.

→ Comment peut-on vivre le breton aujourd’hui et sur qui repose l’avenir de la langue ?

À mon avis, il faut intérioriser et développer l’idée que le breton est un plus aujourd’hui, une valeur-ajoutée. Cela ne retire rien à personne. C’est une déclinaison de l’humanité qui doit être suffisamment cohérente pour perdurer, mais suffisamment ouverte aussi. Sur qui repose l’avenir de langue ? Les tout-petits, ce sont les parents qui décident s’ils vont apprendre le breton ou pas à l’école. Ensuite, au collège, ça peut déjà évoluer. Donc à mon avis, cela relève plutôt de jeunes adultes qui font des choix. Je reste assez optimiste, selon moi le breton ne peut pas disparaître dès lors qu’il conserve un socle, une présence dans les écoles, les médias, dans la sphère publique… À mon avis, ce socle est suffisamment fort aujourd’hui. Et n’oublions pas que la vie sociale passe aussi par les réseaux aujourd’hui. On a un large éventail de choix sur internet pour échanger en breton ou pratiquer la langue. Moi, j’échange énormément aussi avec des amis sur les réseaux aujourd’hui, en plus des discussions dans la rue avec les gens. Il y a une vraie diaspora. Et ce qui compte beaucoup également, c’est la création : on a les festoù-noz, la chanson, la musique, le théâtre en breton, le cinéma en breton… tout ceci aussi est important pour la pérennité du breton.

Une conférence débat le 14 février à Lannion

La silencieuse mort de la langue ? Le centre culturel breton de Lannion organise une conférence débat autour des résultats de cette enquête sociolinguistique sur les langues de Bretagne, le vendredi 14 février à 18h (salle Santez Anna). Cet échange sera suivi d’un débat avec le public et d’une ouverture sur les perspectives d’actions en Pays de Lannion.

Laurent Le Fur Publié l11 févr. 2025

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