29 septembre 2024 ~ 0 Commentaire

Liban (Orient 21)

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Sur les traces des communistes du Liban

Farouchement anti-impérialiste, le Parti communiste libanais est le plus grand parti du pays à la fin des années 1960, avant de décliner. Chiites pour la plupart, les communistes ont eu des relations difficiles avec le Hezbollah : unis dans la résistance à Israël, mais rivaux sur le plan politique. Ses militants cherchent un nouveau souffle avec le soulèvement populaire au Liban.

Sur la route qui mène au Sud-Liban le trafic est fluide ce matin-là, le temps radieux. Direction Deir Ez-Zahrani, à 75 kilomètres au sud de Beyrouth. Dans la voiture qui roule à vive allure le long d’une Méditerranée bleu azur, Maro, membre du Parti communiste libanais (PCL) et qui sera ma guide raconte ses souvenirs de jeune militante, engagée à 14 ans, formée au russe à Moscou, aux frais de l’Union soviétique. Elle y rencontrera son mari, Abdallah. Nostalgique et souriante, elle porte sa main à la poitrine et murmure pudiquement : « La Russie est ma deuxième patrie ».

Des racines au Sud-Liban

C’est au sud du pays, historiquement pauvre et à majorité chiite que le communisme libanais plonge ses racines. Dès les années 1930, la lutte contre les invasions à répétition de colons juifs façonne le combat des communistes libanais, dans une région déjà paupérisée par 400 ans de domination ottomane. Au fil de notre périple, nous remontons jusqu’en 1936, lorsque tombe le premier « martyr » du Parti, Assaf Al-Sabbagh, originaire d’Ibl El-Saqih, face aux gangs de la Haganah, organisation paramilitaire sioniste chargée de défendre les communautés juives en Palestine mandataire.

Un peu plus tard sera créée au Liban la Garde populaire, premier noyau de résistants communistes, afin de lutter contre les attaques sionistes sur les villages du sud. Le 16 septembre 1982, alors que l’armée israélienne pénètre dans Beyrouth, le PCL allié avec deux autres organisations de gauche, l’Organisation d’action communiste au Liban (OACL) et le Parti d’action socialiste arabe créent le Front de la résistance nationale libanaise, ou Jammoul selon l’acronyme arabe.

Abou Fayad est l’un de ceux-là. Autour d’un café au parfum de cardamome, l’homme de 72 ans à la silhouette élancée raconte, intarissable. Son père avant lui a affronté les Israéliens. Abou Fayad combat dès l’âge de douze ans, poussé par la perte douloureuse d’un oncle dans les combats. Il participe aux débuts de la Garde populaire dans son village de Kfarkila qu’il protège la nuit avec cinq personnes et deux mitraillettes de fortune. Par la suite, des Palestiniens réfugiés en Syrie et en Jordanie leur procureront des armes. Le regard vif l’homme, dont chaque ride du visage raconte les souvenirs d’une vie intense, se souvient : « Je faisais passer les armes par le mont Hermon et la région de Shebaa. Je devais repérer les positions des Israéliens en amont, c’était très dangereux ».

Cigarette aux lèvres, sous l’œil bienveillant de son épouse et d’une photo du Che, Abou Fayad explique qu’il est devenu chef de son groupe grâce à un entraînement de cinq mois avec l’armée libanaise, dans le but de se défendre contre les colons. Aguerri, il adhère l’année suivante au PCL et combattra jusqu’en 2006, lors de la guerre des 33 jours qui oppose le Liban à Israël.

À la prison d’Al-Khiyam, torture et humiliation

À Nabatiyeh, Nahida Homayed nous reçoit dans son salon réaménagé en atelier de couture. Dans la pénombre, l’unique fenêtre laisse filtrer un mince rayon de soleil. Entre deux gorgées de limonade maison, elle raconte avoir entendu le mot « communiste » pour la première fois à 11 ans lors d’une dispute entre deux voisines à Beyrouth. « Vous savez, au Liban c’est honteux d’être communiste », sourit-elle, un brin espiègle.

À 14 ans, la jeune fille adhère au PCL et distribue son journal quotidien Al-Nidaa. Puis vient le temps des combats. Nahida prend la route du sud, d’où elle planifie secrètement des opérations depuis sa maison. C’est là qu’elle est enlevée tôt un matin, devant chez elle, par des soldats de l’Armée du Liban Sud (ALS) : « Trois voitures sont arrivées et des soldats m’ont embarquée, sac sur la tête. Ils ne m’ont pas dit où ils m’emmenaient et je n’avais pas le droit de poser de questions. Je n’avais pas peur de mourir. Nous les communistes nous sommes prêts à ça psychologiquement ».

Après un court silence, Nahida reprend son récit. Son corps raidi et sa posture soudainement fermée trahissent son traumatisme. Destination : la prison d’Al-Khiyam, tristement célèbre pour les atrocités qui y sont commises. S’en suit une véritable descente aux enfers : interrogatoires de 72 h, intimidations, torture, tabassage jusqu’à perdre connaissance… Nahida se réveille dans une cellule avec neuf autres femmes. Tapotant nerveusement sa cigarette sur une étagère, elle ajoute, le ton grave :

« J’avais entendu parler de cette prison, mais lorsque je suis arrivée sur place, ça a été un choc. C’était inimaginable. Nous n’avions même pas de quoi nous protéger pendant nos règles, nos vêtements étaient tachés de sang ». Deux ans après son incarcération, Nahida est libérée après un échange de prisonniers. De cette période, elle affirme garder une grande fierté et reste déterminée : « S’ils viennent, je les attends ! » lance-t-elle dans un éclat de rire.

Un souvenir douloureux hante toujours les communistes libanais : celui des corps de disparus. Selon le PCL, ils sont 9 à ne jamais avoir été restitués à leurs familles. Tous sont morts dans des combats contre l’armée israélienne, et leurs familles n’ont de cesse de réclamer un fils, un frère ou un mari depuis plus de 30 ans. C’est le cas de Wissam Fouani, dentiste formée en Union soviétique et originaire de Kfar Remen, surnommé autrefois « Kfar Moscou » (« la banlieue de Moscou »), du fait de l’importante présence de combattants fidèles à l’URSS.

Elle nous reçoit chez elle, où des portraits de ses frères et sœurs trônent sur une table basse et côtoient un drapeau miniature du Parti et une photo du Che. Parmi les photos, celle de son frère, Faralajah Fouani, tué à 23 ans dans un affrontement avec l’ASL alors qu’il tentait de secourir l’un des siens. Sous la puissance de feu israélienne, impossible de récupérer son corps resté entre les mains de la milice libanaise dissoute en 2 000 lors du retrait israélien du Liban.

Rupture mortelle avec le Hezbollah

Unis par la résistance contre Israël et ses invasions récurrentes dans le sud, le PCL et le Hezbollah comptent toutefois de sérieuses divergences. Sur la route qui nous mène à la prison d’Al-Khiyam, l’ancien chef de la résistance du Sud-Liban (dont je tais le nom) nous rejoint. Lançant de temps à autre un regard furtif dans le rétroviseur, il revient sur les débuts difficiles entre les deux formations, sur fond de guerre civile : « Au départ, nous nous rencontrions dans des opérations, mais il n’y avait pas de coopération car nous, communistes, agissions dans le plus grand secret ». Après une entente manquée avec le Hezbollah, ce dernier noue finalement une alliance avec son ancien rival d’Amal ou Mouvement des déshérités créé par l’imam chiite libano-iranien Moussa Sadr.

Il poursuit : « S’en est suivi une série d’assassinats d’intellectuels, tous membres du PCL comme Khalil Nahous, Souheil Tawilé, Nour Toukan, Hussein Mroueh, Mahdi Amel. Ils souhaitaient avoir le monopole de la résistance ; de plus nous étions communistes, et donc athées. Eux, c’est comme s’ils vivaient pour Dieu ». Pour l’ancien chef de la résistance, emprisonné un an dans les geôles du mouvement chiite, il ne fait aucun doute qu’Amal était derrière ces assassinats ciblés. Mais le Hezbollah lui, en était le donneur d’ordre.

Assise sur le siège passager, Maro opine du chef. Elle aussi a été prisonnière du mouvement chiite pendant 40 jours. À partir de là, les communistes rompent tous leurs liens avec les deux mouvances chiites. « Aujourd’hui, seule la résistance nous lie. Nous sommes contre l’interventionnisme du Hezbollah en Syrie ou ailleurs. La résistance c’est au Liban, pas dans un pays qui n’est pas le nôtre », insistent-ils.

Les jeunes boudent le PCL

Interrogé sur les nombreux ralliements de communistes au parti chiite, l’ancien leader explique :« Beaucoup d’entre eux ont été influencés par leur communauté, surtout les jeunes qui ont des pressions des familles ou de leur entourage. En revanche d’autres sont seulement intéressés par la position et le travail que leur procure le mouvement ».

Interrogé à Beyrouth, Walid Charara, éditorialiste au journal Al-Akhbar et membre du Conseil consultatif pour les études et la recherche insiste lui sur le volet religieux :« L’islam a un potentiel important de résistance contre les occupations militaires et les oppressions, comme les expériences historiques l’ont démontré. L’islam est capable d’entraîner les masses dans la lutte. Dans un rapport de forces inégales, la partie la plus faible a besoin de mobiliser des ressources spirituelles et symboliques. Le Hezbollah a prouvé qu’il en était capable. »

Selon l’éditorialiste libanais, la révolution iranienne de 1979 a eu un impact déterminant. « Le régime du Shah était l’un des régimes les plus despotiques et autoritaires de la région. Que ce même régime soit renversé par une révolte populaire, la première du Proche-Orient qui réussit à renverser un régime aussi puissant, a fait l’effet d’un tremblement de terre. L’islam révolutionnaire permet de parler un langage que les masses populaires comprennent. »

Le temps de la reconquête

Sur le trajet embouteillé qui mène au siège du PCL, à Beyrouth, les stigmates des manifestations ornent les murs des bâtiments et le mobilier urbain. Parmi ces graffitis, le logo du Parti est fréquent et laisse deviner un regain de faveur pour la mouvance communiste, longtemps aux oubliettes de la politique libanaise.

Dans le soulèvement qui dure depuis octobre 2019 contre l’ensemble du personnel politique, le PCL entend jouer sa meilleure partition. Assis dans son bureau aux murs couverts de photos d’anciens leaders ou de théoriciens marxistes, son secrétaire général Hannah Gharib dresse le bilan des dernières semaines. « La gauche doit se renouveler, car elle est désormais en contact direct avec ces milliers de personnes, en particulier les jeunes qui viennent de tous les horizons. Le PCL est l’épine dorsale de la gauche libanaise, elle ne pourrait pas exister sans lui. Cela implique donc de grandes responsabilités, notamment pour le rassemblement de la gauche ».

Entre deux rassemblements populaires, le secrétaire général expose son plan de reconquête : arriver à un État démocratique et laïc, revendication phare des manifestants. Le PCL préconise l’adoption d’une nouvelle loi pour les élections législatives, de passer d’une économie rentière à un modèle productif, de promouvoir la protection sociale… la liste est longue.

Les ingérences extérieures sont également dans la ligne de mire d’Hanna Gharib : « Il y a une pression financière et économique américaine qui vise à mettre en œuvre « l’accord du siècle » et à piller nos richesses pétrolières et gazières au profit de l’ennemi israélien. Ce plan vise aussi à maintenir les Syriens déplacés sur le territoire libanais », faisant référence au plan Trump ainsi qu’aux récents travaux d’exploration et de forage qui doivent permettre de confirmer ou non le potentiel du Liban en termes d’hydrocarbures exploitables.

Le nouveau gouvernement du premier ministre Hassan Diab n’est pas épargné. Peu importe qu’il se revendique apolitique et technocrate :« Hassan Diab a adopté le budget approuvé par son prédécesseur Saad Hariri, qui est une continuation des politiques économiques et financières qui ont ruiné le pays ». Il poursuit : « Aujourd’hui 1 % de la population détient la moitié de la richesse nationale. L’écart de classe et les inégalités se sont creusés : les pauvres se sont appauvris, les services publics se sont détériorés, comme la santé, l’éducation, l’électricité, l’eau, les transports publics, les routes, les communications… jusqu’à atteindre des niveaux humiliants ».

Interrogé sur la perte d’influence du PCL au Liban ces dernières années, Hannah Gharib se justifie : « Au milieu des années 1980, le pays se trouvait dans une phase de grande confusion intellectuelle et politique. Parmi ces développements, il y a eu les assassinats semi-collectifs de chefs de parti et de cadres. Puis sont venues la confiscation et la perte d’indépendance du mouvement syndical à partir du milieu des années 1990, ainsi que la chute de l’Union soviétique ».

Aujourd’hui le secrétaire général se veut confiant, comptant sur l’engouement nouveau que les ralliements populaires du PCL suscitent. D’un ton serein, il affirme : « Notre parti a une histoire ancienne. Il a été fondé il y a 95 ans et était l’expression de la maturité révolutionnaire du Liban. À travers cet héritage et dans notre lutte quotidienne, nous construisons un avenir prometteur pour le parti ».

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