Urgence ( Reporterre)
« Michel Barnier n’est pas l’homme de l’urgence écologique »
Choisi par Emmanuel Macron pour appliquer l’austérité, Michel Barnier n’est pas un homme de l’urgence écologique, explique la politiste Vanessa Jérôme. Volonté et budget risquent fort de manquer aux politiques climatiques. Vanessa Jérome est politiste, spécialiste du parti vert français, docteure associée au CESSP/université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Reporterre — Le nouveau Premier ministre, Michel Barnier, peut se targuer d’une sensibilité écologique. Quelle écologie incarne-t-il ?
Vanessa Jérome — Michel Barnier a un bilan en matière environnementale. Un bilan qui s’inscrit dans un contexte particulier : sous des gouvernements de droite peu engagés sur l’écologie — Balladur et Fillon — et à un moment où l’on pensait qu’on avait le temps. Dans les années 1990, il faisait ainsi figure d’écolo avant-gardiste, mais ce temps est révolu. Le monde s’est transformé et l’urgence climatique est là. Michel Barnier est un homme du temps long, de l’écologie des petits pas.
Il porte une écologie prise dans l’acceptation du capitalisme et des politiques sociales et économiques néolibérales. Sa contribution s’est surtout faite au niveau du droit de l’environnement et de la fiscalité. Il a instauré des mesures dont on a ensuite pu percevoir la relativité. La Commission nationale du débat public est une avancée, mais qui n’a pas empêché nombre de projets polluants de se faire. Le principe pollueur-payeur ne fonctionne pas correctement…
Il a une sensibilité sur cette question, mais il n’est clairement pas l’homme du moment écologique que nous vivons. Il n’est pas l’homme de l’urgence écologique.
« L’écologie n’est pas la propriété d’un groupe, d’un clan ou d’un parti politique », déclarait Michel Barnier en 2021. Dans quelle mesure peut-on dire que l’écologie peut être de « droite » ?
L’écologie de droite, c’est une formule compliquée car elle nécessite de distribuer des bons et des mauvais points. Il s’agit d’une écologie qui se satisfait des structures du libéralisme. Mais ce qui m’interpelle dans la séquence politique actuelle, ce n’est pas tellement de savoir si Michel Barnier est écologiste mais plutôt de savoir s’il va avoir les moyens de l’être.
La configuration dans laquelle il est pris va extrêmement limiter sa portée écologique, si tant est qu’il en ait une. Il va être obligé de composer un gouvernement, avec le Rassemblement national en embuscade, des contraintes budgétaires énormes fixées par Emmanuel Macron, et toujours avec la menace d’une motion de censure.
Clairement, il n’a pas été nommé pour sa fibre écologique. Sa lettre de mission, c’est l’austérité budgétaire, qui risque d’ailleurs de toucher de plein fouet les politiques écologiques — avec des coupes envisagées pour l’Ademe ou l’électrification des véhicules. Ma crainte, c’est que Macron fâche tout le monde. Les écologistes de gauche, bien sûr, qui trouveront qu’il n’en fait pas assez. Mais aussi les écologistes de droite — qui prônent les véhicules électriques et le nucléaire — car pour les contenter, il faudrait beaucoup d’argent. La transition écologique nécessite des sommes colossales. Or, vu les contraintes budgétaires imposées par le chef de l’État, on n’y arrivera pas.
Donc les conditions ne sont pas idéales — c’est le moins qu’on puisse dire — pour avoir une politique écologique. Rien dans sa nomination ne constitue un signal en faveur de la transformation écologique de la société.
En juin dernier, plus de 30 % des Français ont voté en faveur d’un programme écologique ambitieux, celui du NFP. Pourtant, depuis, l’écologie s’est retrouvée complètement éclipsée des débats…
Quelles ont été les dernières élections où l’écologie était au centre des débats ? Depuis plusieurs scrutins, elle fait plutôt figure de grande absente. Ça fait une séquence politique très longue entièrement cadrée par la menace — ou l’opportunité, selon vos convictions — de l’arrivée du Rassemblement national au pouvoir.
L’écologie n’est mise à l’agenda que par les militants de terrain. Car, en attendant, les luttes sur le terrain se sont multipliées. D’une certaine manière, plus on a des gouvernements qui ignorent l’écologie, plus il y a des raisons objectives de lutter localement. Il faudra voir comment le nouveau gouvernement va se comporter avec les luttes écologiques. Mais il y a fort à parier que Michel Barnier ne reviendra pas sur la tendance à la criminalisation des militants écologistes, sur cette forme de cornérisation des activistes autour de l’idée de radicalité et de désordre.
L’écologie politique de gauche sort-elle abîmée de cette séquence ?
La dernière séquence est une bonne séquence pour la gauche, même si ça ne se voit pas d’un point de vue institutionnel. La gauche peut sortir grandie de cette période, parce qu’elle a démenti ce reproche de désunion qu’on lui fait sans cesse. Les partis de gauche ont été d’une intelligence politique remarquable, ils ont gagné en légitimité et en crédibilité. C’est une victoire, mais une victoire reportée, car ils ne peuvent pas en tirer le bénéfice institutionnel.
En revanche, les manœuvres de Macron ont abîmé la démocratie, à un point tel que la gauche pourrait ne jamais récolter les fruits de ce qu’elle a semé cet été. Emmanuel Macron vient de délégitimer l’acte de vote auprès de celles et ceux qui étaient les plus ardents défenseurs de l’élection et du front républicain. Clairement, en agissant ainsi, il a ouvert la voie au RN. Et clairement, cela va avoir des conséquences sur la démocratie, sur la gauche et de fils en aiguilles sur l’écologie.
Emmanuel Macron n’a rien résolu, c’est un créateur de risques. Outre qu’il n’a pas l’étoffe d’un président de la République, il nous a montré qu’il n’a jamais cessé d’être un banquier. Il joue son risque, comme les banquiers quand ils spéculent. Mais in fine, on perd un temps précieux, un temps qui nous manque déjà pour faire face à la crise écologique.