Ardèche (Reporterre)
« On détourne l’eau de la Loire pour soutenir le surtourisme dans l’Ardèche »
Depuis les années 1950, l’eau de la Loire est transférée vers la rivière Ardèche. Ce prélèvement, à l’origine destiné à produire de l’électricité, soutient aujourd’hui l’industrie touristique, en particulier celle des canoës.
Reporterre — Beaucoup de gens l’ignorent, mais de l’eau de la Loire est transférée depuis plusieurs décennies pour renflouer l’Ardèche. Pouvez-vous nous raconter cette histoire ?
Roberto Epple — Après guerre, dans les années 1950, on avait besoin d’énergie de pointe – autrement dit, de produire beaucoup à un moment précis. Le complexe hydroélectrique de Montpezat est né dans ce contexte. Il s’agissait de collecter l’eau de la Loire, et de la conduire jusqu’à une chute naturelle de 630 mètres. Grâce à une conduite forcée, on turbinait l’eau qui produisait alors de l’énergie, avant de la rejeter dans l’Ardèche. Qui est une rivière d’un autre bassin versant que celui de la Loire [Atlantique pour la Loire, Méditerranée pour l’Ardèche].
Depuis les années 1990, l’été, on lâche aussi de l’eau de la Loire pour alimenter la rivière Ardèche. C’est ce qu’on appelle le soutien d’étiage. L’eau de l’Ardèche est très utilisée pour l’irrigation agricole et le tourisme, les descentes en canoë notamment. Sans cette eau de la Loire, elle aurait de gros problèmes.
Pourquoi cette pratique pose-t-elle problème aujourd’hui ?
Les premières cinquante années, les conséquences négatives sont restées limitées. Les réservoirs nécessaires à ce transfert [cf. carte] et les prélèvements effectués ont légèrement modifié les crues morphogènes de la Loire. Ces crues moyennes, qui peuvent déplacer les sédiments, et ainsi procéder à une forme de toilettage en douceur, sont importantes pour la santé d’une rivière. Ceci dit, on prélevait entre 100 millions à 200 millions de m³ dans la Loire, principalement au printemps et en automne – une quantité relativement négligeable.

Depuis les années 1990, on voit clairement un effet positif pour l’Ardèche : l’eau de la Loire a sauvé la rivière, au moins pour sa partie en amont d’Aubenas. Avec un prix : la Loire commence à manquer d’eau, car les précipitations ne sont plus les mêmes. L’effet négatif demeure pour l’instant relativement modéré, mais avec l’aggravation du changement climatique, cela pourrait changer.
« D’abord, l’eau potable pour les habitants, puis les écosystèmes et enfin les usages économiques »
Détourner des fleuves « abondants » pour soutenir des cours d’eau plus fragiles, cela semble logique, quel est le problème selon vous ?
On ne peut pas être contre tout transfert d’eau ni être dans le « allons-y » partout. La question, c’est : pour quelle raison détourner de l’eau ? Si on crée un transfert pour que les gens aient de l’eau potable, ce n’est pas la même chose que pour faire de l’agriculture intensive ou du surtourisme.
Il faut appliquer la pyramide des critères pour arbitrer quant à la pertinence d’un projet : d’abord, l’eau potable pour habitants ; ensuite, il s’agit de laisser suffisamment d’eau pour les écosystèmes ; en dernier – et seulement en dernier – les usages économiques. Le problème, c’est que cette pyramide se retrouve souvent inversée. Pourquoi prend-on de l’eau à la Loire pour soutenir le surtourisme dans l’Ardèche ? Les dégâts de ce tourisme sont considérables, y compris sur la rivière elle-même. C’est un modèle économique à questionner.
Très souvent, ces projets de transfert d’eau ont un effet d’aménagement du territoire, un peu comme quand on construit une autoroute : on influence l’avenir d’un espace. On va ainsi possiblement induire un développement contreproductif. Comme pousser le tourisme en Ardèche ou l’irrigation de la vigne dans le Languedoc.
Roberto Epple est président de l’association SOS Loire vivante.