09 août 2024 ~ 0 Commentaire

Plan Climat (Reporterre)

Plan d'adaptation climatique : le report dont n'avait (vraiment) pas besoin la France

Plan d’adaptation climatique : le report dont n’avait (vraiment) pas besoin la France

Après la dissolution de l’Assemblée nationale, la présentation du troisième plan national d’adaptation au changement climatique a, de nouveau, été repoussée par l’exécutif. De quoi aggraver un retard déjà alarmant.

C’est l’une des victimes de la dissolution de l’Assemblée nationale et de la crise politique qui n’en finit pas depuis : la France n’a toujours pas de plan pour s’adapter au changement climatique. Prévue pour fin 2023, puis décalée à avril 2024, puis à mai, puis à juin, la présentation du troisième plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC 3) de la France a de nouveau été repoussée sine die.

« À cette heure, les conditions politiques ne sont plus réunies pour que le gouvernement endosse la responsabilité d’une stratégie qui engage l’avenir du pays sur plusieurs décennies », a acté dans une lettre datée du 17 juillet le ministre démissionnaire de la Transition écologique, Christophe Béchu. Le texte était pourtant prêt à être présenté et ouvert à une phase de consultation publique, mais Gabriel Attal y aurait finalement mis son veto, selon le média Contexte.

« Tristesse, colère et impuissance »

Les réactions à cette annonce ont été à la hauteur de l’urgence climatique. « Nous ne sommes pas prêts à faire face au choc climatique. Et la situation s’aggravera tant que la neutralité des émissions ne sera pas atteinte. Aussi imparfait fût-il, ce 3ᵉ plan d’adaptation s’appuyait sur les faits scientifiques. Tristesse, colère et impuissance », a par exemple posté sur X Magali Reghezza, géographe et membre jusqu’en 2023 du Haut Conseil pour le climat.

« C’est un gâchis politique. C’est extrêmement triste et dommage, nous dit également Quentin Ghesquière, coauteur d’un rapport sur le même sujet publié par Oxfam France le 12 juillet. Ce n’est pas uniquement la faute au contexte politique : le PNACC a été mis aux oubliettes alors que d’autres textes ont été publiés après les élections européennes. C’est un choix politique d’avoir enterré le sujet et de ne pas en faire une priorité. »

« Ce qui m’inquiète le plus, ce sont les canicules et leurs impacts sur la santé »

Plusieurs institutions majeures avaient pourtant martelé, ces derniers mois, l’urgence de passer à la vitesse supérieure. En juin dernier, dans son rapport annuel, le Haut Conseil pour le climat alertait sur le retard pris par la France dans la publication de plusieurs textes climatiques clés, dont le PNACC, qui « entraîne des dérives de calendrier et un manque de clarté », suscitant chez le Haut Conseil « une vive préoccupation sur ces délais qui fragilisent la crédibilité de la politique climatique de la France ».

En mars, c’était la Cour des comptes qui soulignait le retard de l’État face au défi « colossal » que représente l’adaptation au changement climatique. Un appel à « avoir des politiques plus fortes » était lancé au même moment par l’Agence européenne pour l’environnement (AEE). Quant au rapport d’Oxfam France, il détaillait les conséquences de notre absence de préparation aux catastrophes à venir. Entre autres : 1,3 million d’enfants français exposés à une chaleur supérieure à 35 °C dans les classes d’ici 2030, 5 % des hôpitaux français menacés de fermeture à cause des submersions marines, d’inadaptation aux canicules et autres aléas climatiques extrêmes d’ici 2100, 3 % des écoles primaires et 2,3 % des maisons de retraite également affectées par la montée des eaux à cette échéance.

« Ce qui m’inquiète le plus, ce sont les canicules et leurs impacts sur la santé. Pour le moment, on a plutôt eu de la chance en France, dit Gonéri Le Cozannet, géographe, coauteur du volet consacré à l’adaptation du 6ᵉ rapport du Giec et membre du Haut Conseil pour le climat. Les sécheresses et leurs impacts sur l’agriculture, sur les forêts et les écosystèmes sont aussi très inquiétants. De même que les inondations et la montée du niveau de la mer, qui vont nous confronter aux limites des possibilités d’adaptation. Je ne suis pas sûr qu’on ait pris la mesure de tout ce que cela implique en termes de moyens. »

Peu de financements, pas de vision

Les besoins financiers sont en effet immenses. Selon les estimations de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), les investissements publics nécessaires seraient, a minima, de 2,3 milliards d’euros par an. Bien loin des 600 millions d’euros annuels dépensés entre 2018 et 2022 via la mise en œuvre du deuxième plan national d’adaptation.

Le PNACC 3, en l’espèce, présentait quelques avancées, tout en restant largement insuffisant. « Seule mesure explicitement financée : la prévention du risque de retrait-gonflement des argiles, affectant 10 millions de logements en France, à hauteur de 150 millions d’euros supplémentaires en 2025. […] Devait s’ajouter un abondement du fonds Barnier [le fonds de prévention des risques naturels majeurs mis en place en 1995], à hauteur de 650 millions d’euros », résume Contexte, qui a publié le 12 juillet la dernière version du PNACC en cours d’élaboration.

Autre limite du plan concocté par le gouvernement démissionnaire : très peu de mesures étaient contraignantes. Selon le projet, seules les « entreprises publiques majeures » de transport et de mobilité devraient achever leurs études de vulnérabilité au réchauffement climatique « en 2025 », tandis que les grandes entreprises de l’énergie, des transports et les opérateurs d’importance vitale auraient l’obligation d’adopter un plan d’adaptation d’ici 2026.

« L’État échoue à mettre en œuvre les solutions »

Pour le reste, le brouillon du PNACC 3 invite surtout à engager des « diagnostics », des « consultations », des « études » et autres « réflexions ». « L’État français est très bon pour identifier les enjeux, mais échoue à mettre en œuvre les solutions », résume Quentin Ghesquière, au diapason des chercheurs de l’I4CE, qui préviennent : « Nous ne pourrons pas attendre cinq ans de plus et le PNACC 4 pour tenir compte du résultat de ces analyses. Le PNACC 3 doit dès maintenant prévoir la suite des opérations. »

Le risque, c’est que l’État se dédouane de ses responsabilités sur les collectivités territoriales, au moment de passer à l’action. « Le PNACC 3 dit que c’est aux collectivités locales de décider, mais je ne suis pas sûr qu’elles soient équipées pour ça », note Gonéri Le Cozannet. C’est l’État qui doit porter une vision d’ensemble, systémique, disent en substance les observateurs. Il faut un « État stratège » qui puisse assumer un rôle de « planification », ajoute la Cour des comptes. Pour faire monter d’urgence les collectivités en compétences, l’État doit les accompagner en moyens humains : les besoins sont d’une telle ampleur que l’I4CE évoque la nécessité de créer un nouveau service public dédié à l’adaptation.

Des choix politiques indispensables

Le gouvernement est d’autant plus renvoyé à ses responsabilités que les décisions à prendre, en termes d’adaptation, sont de nature éminemment politique. « Face à l’élévation du niveau de la mer, par exemple, qui sera forte à très long terme, est-ce qu’on protège les côtes avec des digues et des infrastructures à plusieurs milliards d’euros, ou est-ce qu’on relocalise certaines villes, avec un coût sociétal et économique aussi énorme ? Ce genre de choix a une dimension politique extrêmement importante », souligne Gonéri Le Cozannet.

« Pour l’instant, l’adaptation est présentée de manière sectorielle et administrative. On protège par exemple les ouvriers des canicules dans le BTP au lieu de prendre une mesure d’ensemble pour les nombreux métiers vulnérables aux canicules. L’absence d’engagement systémique nous prive d’un débat public essentiel sur la manière d’adapter notre territoire dans les trente prochaines années. Comment on adapte notre économie ? Nos habitats ? Notre Sécurité sociale ? », questionne également Quentin Ghesquière.

Un plan loin d’être parfait, « qui a le mérite d’exister »

Malgré ces multiples limites, ONG et chercheurs plaident pour une présentation au plus vite du PNACC 3, et sa mise en consultation publique. « Rien n’empêche de publier ce plan maintenant et d’avancer. Il sera critiqué et il y aura des améliorations. L’adaptation est forcément un processus itératif : on apprend en faisant et on améliore au fur et à mesure », explique Gonéri Le Cozannet.

« Ce plan est loin d’être parfait, il ne prend notamment pas en compte de manière systémique les inégalités, renforcées sur les enjeux d’adaptation. Mais il a le mérite d’exister et d’être meilleur que les précédents. Le prochain gouvernement doit prendre la mesure de l’urgence et en faire une priorité », renchérit Quentin Ghesquière.

Après un mois de juin marqué par de violentes inondations, la première vague de chaleur intense de 2024 a traversé la France fin juillet. Un rappel fort à propos de l’urgence de s’adapter aux dangers climatiques déjà là. En 2023, les catastrophes climatiques avaient coûté 6,5 milliards d’euros aux assureurs en France.

Vincent Lucchese 7 août 2024

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