17 juillet 2024 ~ 0 Commentaire

Jean Petit (France Culture)

Rädern des Hans Spiess, 1513

Jean Petit, le dernier des croquants

En 1643, Jean Petit est supplicié pour avoir mené une révolte paysanne. L’histoire de ce héros d’un soulèvement populaire contre l’injustice des puissants est devenue une comptine pour enfants, « Jean Petit qui danse » — dont la chorégraphie morbide est en fait celle de ses membres brisés un à un.

La comptine « Jean Petit qui danse », que vous avez peut-être fredonnée enfant, est issue d’une chanson populaire du XVe siècle. Lors de chaque couplet chanté par un soliste, les danseurs devaient frapper sur la partie du corps qu’il venait de nommer : le pied, le genou, la main, le nez. Mais dans la mémoire collective occitane, « Jean Petit qui danse » évoque un événement beaucoup plus tragique : le supplice qu’a subi Jean Petit, l’un des chefs du soulèvement populaire qui a eu lieu à Villefranche-de-Rouergue en 1643. « Le bourreau lève une lourde barre de fer qu’il abat puissamment sur le membre dénudé du condamné, brisant mollet après mollet, cuisse après cuisse, poignet après poignet, bras après bras ».

Contre la « tyrannie des Parisiens »

Jean Petit fait partie de ces nombreux héros populaires que les archives mettent en lumière pendant un court instant – en général lorsqu’éclate une révolte contre l’ordre établi – et qui sombrent ensuite dans le néant, victimes de la répression qui s’est abattue sur eux. De la vie de Jean Petit, nous ne connaissons en effet que les derniers mois, entre le moment où il s’est imposé comme l’un des chefs de la révolte (en juin 1643) et la date de son exécution (le 8 octobre 1643).

Or le soulèvement de Villefranche-de-Rouergue a marqué la fin de l’une des plus grandes luttes populaires de notre histoire. Le refus de l’impôt en a été la revendication centrale. Mais l’exemple des gilets jaunes nous a appris que le rejet d’une taxe pouvait déboucher sur une contestation beaucoup plus large de l’ordre établi. La révolte des dizaines de milliers de paysans – que les autorités surnommaient alors « les croquants » pour les discréditer – illustre la même logique.

En 1643, quand Jean Petit prend la tête de la contestation, c’est d’abord pour refuser la nouvelle hausse des impôts que vient de décider le pouvoir royal. Mais c’est aussi pour des raisons politiques qui engagent tout l’avenir de la nation française. Jean Petit et ses troupes combattent l’emprise croissante qu’exerce sur le peuple occitan un État central dont les principaux rouages se trouvent à Paris.

Un barbier chef de la révolte

Qu’est-ce qui peut expliquer qu’un barbier-chirugien prenne la tête d’une troupe de révoltés composée surtout de paysans ? Jean Petit n’avait pas le profil des leaders qui ont dirigé la révolte des communes du Périgord. Néanmoins, il s’est produit à Villefranche-de-Rouergue un événement tragique qui explique peut-être pourquoi Jean Petit est devenu un héros populaire, avant même que n’éclate le soulèvement des Croquants dans cette ville.

En 1628, Villefranche, capitale du Rouergue – une province qui correspondait approximativement à l’actuel département de l’Aveyron – a été confrontée à une terrible épidémie de peste. En quelques mois, le tiers de la population disparait victime du terrible fléau. Pour tenter de stopper la progression du mal, les portes de la ville sont fermées, les échanges avec l’extérieur brutalement stoppés. La rupture des liens avec la campagne environnante provoque le rationnement. Et les privations de nourriture s’ajoutent aux affres de la maladie.

Confinés dans leur maison, les habitants sont confrontés au spectacle quotidien des cadavres que les fossoyeurs, surnommés les « corbeaux », déversent tous les jours dans la fosse commune. Les malades sont enfermés dans un enclos composé de quelques cabanes en bois, qu’on appelle la « boudoumie ». Les chroniques de l’époque ajoutent que l’explosion brutale de l’épidémie a provoqué une pénurie de médecins et de chirurgiens. Les autorités locales envoient alors des émissaires jusqu’à Toulouse et à Lyon, mais aussi à Cahors, pour tenter de recruter du personnel médical. On peut imaginer que Jean Petit a quitté à ce moment-là son village de Montpezat pour s’installer comme barbier-chirurgien à Villefranche-de-Rouergue.

« Jean Petit monte sans faiblir vers son instrument de supplice et s’écrie une dernière fois « Je suis ici pour avoir voulu bien faire ». Puis, il est attaché à la roue face au sol, jambes et bras écartés. Le bourreau lève une lourde barre de fer qu’il abat puissamment sur le membre dénudé du condamné. Au cri de celui-ci répond celui de sa femme qui s’évanouit à l’angle de la Rue du Consulat, serrant toujours sa petite fille en pleurs. Mais le bourreau continue son œuvre, brisant mollet après mollet, cuisse après cuisse, poignet après poignet, bras après bras. Tous meurent courageusement comme le remarque, surpris, le chroniqueur. Durant trois ans, les corps décapités devaient rester exposés jusqu’à complète dissolution. Interdiction sous peine de mort d’y toucher. » D’après Jacques Serieys, Jean Petit et les croquants de Villefranche, extrait du supplice de Jean Petit (Midi insoumis, populaire et citoyen)

À visiter, la place Jean Petit à Villefranche de Rouergue, avec l’emplacement où se trouvait sa maison.

La Fabrique de l’Histoire
51 min
16 min

Bibliographie

  • Une histoire populaire de la France, Gérard Noiriel, éditions Agone, 2018.
  • Histoire des Croquants, Yves-Marie Bercé, éditions du Seuil, 2016.
  • Documents inédits sur le siège de Villefranche-de-Rouergue par les Croquants (1643), Jean Cabrol, éditions Hachette-BNF, 1907.

Eléments sonores

  • Lectures par Nadine Berland et Gora Diakhaté
  • Récit anonyme de la révolte des paysans d’Angoumois et de Saintonge, en 1636, d’après Y.M. Bercé, Histoire des croquants.
  • Témoignage de Jean Cabrol, un bourgeois de Villefranche de Rouergue.
  • Extrait du supplice de Jean Petit, d’après Jacques Serieys, Jean Petit et les croquans de Villefranche.

Pour aller plus loin

Gérard Noiriel Historien, directeur d’études à l’EHESS, spécialiste de l’immigration et de l’histoire de la classe ouvrière.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/

Elle est connue sous le titre Joan Petit en occitan et catalan. Elle a par la suite été adaptée en français mais aussi en breton sous le titre de Yann Gorig o tañsal.

Laisser un commentaire

Vous devez être Identifiez-vous poster un commentaire.

Rocutozig |
Tysniq |
Connorwyatt120 |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Rafredipen
| Agirensemblespourpierrevert
| Buradownchin