Méditerranée (Reporterre)
La Méditerranée à l’épreuve d’un réchauffement extrêmement rapide
Le pourtour de la Méditerranée est l’une des régions qui se réchauffe le plus vite au monde, subissant une sécheresse critique. De la Sicile à la Tunisie, en passant par l’Andalousie, le manque d’eau devient une triste habitude. Sicile (Italie), Andalousie (Espagne), Sousse (Tunisie), reportage
C’est l’une des zones les plus touchées par le changement climatique sur notre planète. Le bassin méditerranéen subit des « conditions critiques » de sécheresse, ont alerté dès le mois de février les scientifiques du Centre commun de recherche de la Commission européenne. De la Sardaigne au Portugal, en passant par le sud de la France et l’Espagne, ces régions manquent cruellement d’eau. Le Maghreb est même considéré en « extrême gravité » par ce rapport.
Il ne s’agit pas d’un épisode exceptionnel, mais bien d’un phénomène durable, installé depuis plusieurs années et dû à une combinaison de températures élevées et de manque de précipitations. « L’augmentation observée des températures dans cette zone est plus importante que la moyenne mondiale, expliquait en mai 2023 à Reporterre l’hydroclimatologue Yves Tramblay, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement et coauteur d’un chapitre du sixième rapport du Giec consacré à la région. La planète se réchauffe, et la Méditerranée un peu plus vite. »
Le printemps avance désormais et, malgré quelques pluies, la situation ne s’améliore pas sur le pourtour méditerranéen, laissant craindre le pire pour l’été à venir.
En Sicile, des réservoirs d’eau vides
En Sicile, la plus grande île de la mer Méditerranée, nombre de réservoirs d’eau qui alimentent villes et champs sont déjà presque vides. La situation a poussé le gouvernement italien à décréter l’état d’urgence dans la région le 7 mai, pour une durée d’un an, tandis que des restrictions d’eau ont été établies pour un million d’habitants, sur les 5 millions que compte l’île.
« On parlait justement du fait qu’il ne pleut pas depuis longtemps », confie Mirella, 65 ans, accompagnée de son ami Vincenzo, en marchant dans la réserve naturelle de Santo Pietro, dans l’est de l’île. Entre septembre 2023 et avril 2024, il n’y est tombé que 191,2 mm d’eau, soit l’une des pires séries enregistrées depuis le début des relevés en 1916. Ce bois a perdu des dizaines de chênes-lièges ravagés par divers incendies estivaux ces dernières années. Mirella dit se sentir « très triste et impuissante face à la raréfaction de l’eau ».
Ces dernières décennies, les conséquences de la sécheresse sont d’ailleurs aggravées par une mauvaise gestion et l’état préoccupant de nombreuses infrastructures hydrauliques : sur les vingt-six barrages de l’île, plusieurs sont depuis longtemps hors service, et de très nombreuses canalisations sont vétustes. « Je m’inquiète beaucoup pour l’avenir des plus jeunes », assure la sexagénaire avant de souffler : « Malheureusement il y a beaucoup d’ignorance. »
« Les Siciliens n’ont pour la majorité toujours pas compris qu’il ne s’agit pas d’une urgence, mais d’un fait établi », assène Pepe Amato, membre de l’association écologiste Legambiente depuis quarante ans. La province voisine de Caltanissetta risque de se retrouver sans eau à partir du 6 juillet, le lac de barrage ressemblant davantage à une flaque qu’à un lac.
Dans les terres intérieures de cette île très agricole, les nuances de vert des blés ont disparu. À la place, des champs aux trop courts épis couleur or, brûlés par le soleil, s’étendent à perte de vue. La situation des agriculteurs est alarmante.
« À ce rythme, je devrai moissonner d’ici dix jours, car les tiges sont déjà sèches. Elles ne vont plus pousser », s’inquiète Alessio, jeune agriculteur de 25 ans, les pieds sur une terre déjà craquelée. Outre des pommes de terre et melons irrigués, il cultive au sein de l’exploitation familiale de plus en plus de céréales, car elles ne nécessitent pas d’irrigation. Il est conscient que l’on « ne pourra plus cultiver partout en Sicile à l’avenir ».
« Le jour où on n’aura plus du tout d’eau, on verra ce qu’on fait »
Face au dérèglement climatique, qui amène aussi son lot de pluies diluviennes — à l’image du printemps 2023 quand, en quelques minutes, la plupart de ses cultures ont été dévastées —, Alessio a diversifié ses cultures et teste des variétés plus résistantes à la sécheresse.
Un peu plus loin, en plein épandage d’insecticide au milieu de ses pêchers aux fruits réduits, Massimo, un agriculteur de 48 ans, ne sait pas ce que les nappes phréatiques où il pompe l’eau ont encore à offrir. « Le jour où on n’aura plus du tout d’eau, on verra ce qu’on fait et comment on s’adapte », dit-il. Alessio, lui, a peur « qu’au mois d’août, il ne reste ici qu’un désert ».
En Tunisie, cinq ans de sécheresse
À des centaines de kilomètres de là, sur la côte sud de la Méditerranée, l’inquiétude est la même. « Tout ce qu’on demande, c’est que Dieu fasse revenir la pluie », s’exclame Béchir, le doigt pointé vers le ciel. Le quinquagénaire fait passer un long tuyau noir entre des oliviers, jusqu’à ses plants de pommes de terre, dans l’est de la Tunisie.
Dans son village de Kondar, comme dans le reste du Sahel tunisien, on dépendait de l’eau provenant des barrages de la région voisine de Kairouan. Avec la sécheresse que connaît le pays depuis cinq ans, les taux de remplissage ne sont plus suffisants pour répondre aux besoins. « La seule solution, ce sont les puits », s’alarme Béchir.
Les agriculteurs de Kondar reconnaissent qu’ils ne sont pas les plus touchés. « Dans mon village, c’est pire : il n’y a plus d’eau pour faire pousser les plantes », dit un ami de Béchir, originaire de Kairouan et venu à Kondar pour fuir la sécheresse. Cependant, ils subissent déjà les conséquences de la raréfaction de l’eau : « L’année dernière, le prix du mètre cube est passé de 200 à 400 millimes [de 6 à 12 centimes d’euros] ! », lance Béchir.
L’agriculteur exploite un forage autorisé par le gouvernement, mais dans la région, certains ruraux n’hésitent plus à utiliser des forages ou des raccordements illégaux pour faire des économies.
Sur la côte, Sousse, troisième ville de Tunisie, subit aussi la baisse de la pluviométrie. Najoua et Tarek, un couple de septuagénaires, vivent avec des coupures d’eau à répétition. « Elles ont commencé en 2023 », se souvient Najoua. Régulièrement, l’approvisionnement en eau est interrompu dans l’ensemble du quartier. « D’habitude, c’est surtout la nuit. Mais en février, l’eau est restée coupée trois jours », dit Tarek.
Sur le perron, sa fille scrute l’arrivée d’un petit camion-citerne. Son conducteur explique qu’il vend de « l’eau de source » à un tarif préférentiel. Deux fois par semaine, il fait le tour des quartiers populaires. « On ne sait pas d’où ça vient, on n’achète pas », confie Najoua. Mais d’autres habitants, à court de ressources, n’ont plus le luxe de la prudence.
En Andalousie, des prières pour le retour de l’eau
En Espagne, en décembre 2023, des écoliers sont allés jusqu’à écrire aux rois mages pour réclamer de l’eau. « Cette année, je ne veux ni un portable, ni une trottinette électrique », a tracé une jeune adolescente devant sa feuille. « Ce que je veux, c’est ouvrir le robinet et qu’il en sorte une eau propre », a complété une autre. « Prendre ma douche sans que ma peau ne démange », « Que mes grands-parents puissent cuisiner sans devoir porter de lourds jerricanes »…
Quelques jours avant Noël, dans les montagnes du nord de la province de Cordoue, en Andalousie, douze écoles du secteur ont publié une vidéo où les élèves demandaient de l’eau. Depuis neuf mois, un liquide malodorant, parfois saumâtre, coulait aux robinets des quelques 80 000 habitants des comarques de Los Pedroches et de Guadiato, en raison de la sécheresse.
« Le pantano [grand lac de barrage comme il en existe beaucoup en Espagne] de Sierra Boyera, qui nous alimente normalement, est le premier du pays à s’être asséché complètement, en avril 2023 », raconte Miguel Aparicio, fondateur de la plateforme Unidos por el agua (Unis pour l’eau), lancée durant cet épisode. Les pantanos sont la base du système d’approvisionnement dans ce pays sec. Quand leur niveau est trop bas, l’eau devient impropre à la consommation, en raison de la matière organique qui se concentre au fond.
« Il n’y a pas de vraies mesures d’adaptation à la nouvelle réalité climatique »
« Quand on ouvrait le robinet, s’échappait un filet d’eau marron ou jaune qui sentait le poisson pourri », poursuit Miguel Aparicio. En urgence, le gouvernement espagnol a connecté en mars le lac artificiel de Sierra Boyera à celui, voisin, de La Colada. « Mais ça fait vingt ans qu’il reçoit les eaux usées de plusieurs villages et que la pollution de l’élevage intensif y ruisselle. Notre station d’épuration ne peut assainir cela ».
« Les parents martelaient aux enfants de fermer les yeux et la bouche pour éviter le contact avec les muqueuses sous la douche, certains ont fait des réactions allergiques sur tout le corps, poursuit-il. Ma femme et moi louons une maison de tourisme rural. Dans ces conditions, personne n’est venu pendant plus d’un an. » Pour la consommation humaine, des camions-citernes se relayaient dans le centre des communes. Les habitants venaient faire la queue pour remplir bidons et bouteilles.
La solution est enfin tombée du ciel, fin mars, durant la Semaine sainte, très suivie en Andalousie. De très fortes pluies ont rechargé à 70 % le pantano de Sierra Boyera. L’eau a été déclarée potable le 22 avril. « Mais tout le monde pense que ça se reproduira, car il n’y a pas de vraies mesures d’adaptation à la nouvelle réalité climatique », avertit Miguel Aparicio, regrettant que l’Espagne continue de ne compter que sur le ciel.
À l’avenir, selon le chapitre 4 du sixième rapport du Giec, consacré au bassin méditerranéen, les sécheresses devraient devenir « plus sévères, plus fréquentes et plus longues » en cas d’émissions de gaz à effet de serre modérées. Elles s’intensifieront « fortement » si notre recours aux énergies fossiles se poursuit de manière débridée.