23 avril 2024 ~ 0 Commentaire

chemtrails (Reporterre)

Pourquoi les chemtrails n'existent pas

En anglais, le mot chemtrails signifie « traînées chimiques ». – Flickr/CC BY-SA 2.0 Deed/Dimitrio Lewis

Pourquoi les chemtrails n’existent pas

Les chemtrails n’existent pas. Les traînées blanches laissées par le passage des avions ne répandent pas de produits chimiques mais participent, en revanche, à accentuer l’effet de serre du transport aérien.

Depuis maintenant plusieurs décennies, la théorie des « chemtrails » revient régulièrement dans l’actualité, au gré de l’émergence de rumeurs virales répandues par divers médias ou réseaux sociaux. Ces derniers jours, une vidéo massivement partagée prétendait démontrer l’existence d’une commande à chemtrails dans un cockpit d’avion. Dans la foulée des fortes inondations qui ont touché les pays du Golfe les 16 et 17 avril, la rumeur de la responsabilité des chemtrails a également ressurgi.

Mais de quoi s’agit-il ? Le mot chemtrails est un condensé, en anglais, de « traînées chimiques ». L’expression fait référence à l’idée selon laquelle les longues traînées blanches observées après le passage des avions dans le ciel seraient générées par des produits chimiques épandus à dessein par ces appareils, dans un but caché et malfaisant, dont la nature varie selon les théories.

Certains prétendent que les chemtrails sont utilisés pour contrôler secrètement le climat, d’autres qu’ils servent à stériliser la population, à lui administrer le vaccin contre le Covid-19 à son insu ou à l’empoisonner pour divers autres raisons occultes. Les commanditaires de l’opération varient également selon les occurrences : l’ONU, les nations, le complexe militaro-industriel, les Rothschild, ou la communauté scientifique sont, entre autres, pointés du doigt.

Un fantasme nourri par les projets militaires

Cette théorie complotiste — qualifiée ainsi puisque sa véracité supposerait l’existence d’un vaste complot coordonné à l’échelle mondiale — n’est étayée par aucune donnée sérieuse ni source fiable. Ses origines sont difficiles à retracer, mais remonteraient au moins à la fin des années 1990, lorsque des rumeurs d’empoisonnement apparaissent.

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Plus le trafic aérien est dense, plus les traces sont nombreuses. Leur forme et leur persistance sont variables selon l’altitude, le type d’avion et les conditions météorologiques. Maje Ojala / CC BY-SA 2.0 Deed / Flickr

Les craintes auraient été nourries par la publication en 1996 d’une étude intitulée Le climat comme un multiplicateur de force : posséder le temps en 2025, commandée par l’armée de l’Air des États-Unis. Il s’agissait alors d’évaluer si l’aviation pourrait, à l’avenir, « maîtriser le climat ».

Les études sur la possibilité de manipuler l’atmosphère à des fins stratégiques militaires, en influençant la météo, sont en effet une réalité. Menés notamment à l’époque de la guerre froide, ces programmes alimentèrent nombre de fantasmes, souvent déconnectés des faits.

Plus récemment, des technologies de contrôle de la pluie ont recommencé à susciter l’intérêt d’États comme la Chine, mais son efficacité est encore douteuse.

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Exemple de partage viral, en février 2024, de vidéo affirmant montrer le production de « chemtrails ». Capture d’écran/X (anciennement Twitter)

On voit également se multiplier les initiatives technosolutionnistes cherchant à lutter contre le changement climatique par la géoingénierie. Mais, là encore, ces expérimentations sont balbutiantes et très décriées. Et elles sont, surtout, sans rapport avec les traînées observées tous les jours dans le ciel.

Une théorie peu plausible

On ne peut pas, par définition, démontrer qu’une chose n’existe pas. La science ne peut rien contre les croyances, mais, l’une des rares fois où elle s’est penchée sur la rumeur des chemtrails, cela fut à l’initiative de Ken Caldeira, chercheur au département écologie de l’institution Carnegie pour la science (États-Unis).

Celui-ci sollicita l’avis de dizaines de spécialistes en chimie atmosphérique et autres géochimistes sur l’existence des chemtrails. L’analyse des 77 chercheurs ayant répondu à cette enquête, synthétisée dans une étude publiée en 2016, conclut à l’absence d’éléments probants pouvant justifier la théorie des chemtrails.

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Les traînées de condensation générées par un avion, photographié en 2015. Cyril Hauthier / CC BY 2.0 Deed / Flickr

De manière plus prosaïque, il est difficilement concevable d’imaginer que les traînées générées par les plus de 100 000 avions qui parcourent, chaque jour, le ciel soient le fruit d’une opération orchestrée en secret depuis au moins une trentaine d’années, sans qu’aucun groupe rigoureux d’investigation n’en ait jamais trouvé la preuve.

David Robert Grimes, physicien à Oxford, s’est amusé dans une étude en 2016 à étudier les complots, réels ceux-ci, ayant eu lieu dans l’histoire et ayant fini par être découverts. Il a ensuite calculé combien de temps une conspiration pouvait espérer être tenue secrète en fonction du nombre de personnes impliquées.

Plus il y a de personnes concernées, plus les risques de fuites augmentent. Résultat : au-delà de mille conspirateurs, le secret n’a plus guère de probabilité de tenir plus de quelques années. Ce qui limite la plausibilité de bon nombre de théories complotistes mondiales, de la « fausse » conquête de la Lune à l’empoisonnement aux chemtrails.

Les contrails : des nuages problématiques sans complot

Cette théorie n’est, surtout, pas nécessaire. Car ces traînées s’expliquent de manière bien plus simple : on évoque des « contrails » au lieu des chemtrails pour parler des «  traînées de condensation ». Il s’agit essentiellement de vapeur d’eau, naturellement présente dans l’atmosphère, qui se transforme en petites particules de glace, dans des conditions de température et de pression spécifiques et, en l’occurrence, à cause de variations de pression à l’arrière des réacteurs des avions.

Les avions injectent également de la vapeur d’eau supplémentaire dans l’atmosphère ainsi que des particules de suie, issues de la combustion du kérosène. Autant d’éléments qui participent aussi à la formation de ces glaces, ainsi que cela a été établi dans la littérature scientifique.

De nombreuses équipes de recherche, comme celle de Climaviation, qui associe une trentaine de chercheurs de l’Institut Pierre-Simon Laplace et de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales, travaillent encore à comprendre la complexité des mécanismes en jeu.

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Synthèse, réalisée par les chercheurs de l’équipe Climaviation, des impacts de l’aviation sur le climat. Les particules de suie, en noir, favorisent l’apparition de cristaux de glace. © Climaviation

Selon le niveau de saturation de l’atmosphère en humidité, ainsi que selon le modèle d’avion et la nature du carburant, ces contrails, qui se changent en nuages de type cirrus, mettent plus ou moins de temps à apparaître et persistent plus ou moins longtemps. Cette variabilité est aussi à l’origine de la suspicion de certains théoriciens des chemtrails.

La moitié de l’impact de l’aviation sur le climat due aux contrails

Ces contrails ne sont, cela dit, pas non plus anodins. Car ces traînées et cirrus induits participent à accentuer l’effet de serre. Leur influence est difficile à quantifier, mais les traînées et les cirrus générés contribueraient au moins à la moitié de l’impact de l’aviation sur le climat, à égalité avec les émissions de CO₂ issues de ses carburants, voire aux trois quarts de l’impact selon un rapport de synthèse sur le sujet publié par l’Ademe en 2021.

Le problème est d’autant plus prégnant que, même si les projets « d’avion vert » alimentés en carburants durables voyaient le jour à temps – perspective à la crédibilité fortement contestée – cela ne ferait pas disparaître les contrails ni leur pouvoir réchauffant sur le climat. Une étude de février 2024 publiée dans la revue Atmospheric Chemistry and Physics estimait tout de même que les contrails issus de réacteurs remplis de carburants à base d’hydrogène, n’émettant pas de suie comme le kérosène, pouvaient être réduits de 80 à 90 %.

Mais ils pouvaient en contrepartie se former à plus basse altitude. D’autres études ont des résultats plus mitigés, en raison notamment de la plus grande vapeur d’eau générée par l’hydrogène.

Les études sur ces phénomènes complexes restent à approfondir. En l’état, ce pouvoir de nuisance des contrails n’est en tout cas pas pris en compte dans la comptabilité de l’empreinte carbone des vols. La prochaine fois que vous lèverez les yeux vers un ciel quadrillé de traînées blanches, vous aurez donc raison d’être inquiets. Même si les chemtrails n’existent pas.

Vincent Lucchese 23 avril 2024

https://reporterre.net/

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