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.Total Énergies fête ses 100 ans : retour sur ses méfaits en 5 dates clés
« TotalÉnergies, pionniers depuis cent ans. » Sur son site, la multinationale française du pétrole célèbre fièrement son anniversaire : en mars 1924 était créée la Compagnie française des pétroles, ancêtre de l’entreprise actuelle. Le 26 mars dernier, elle fêtait son bilan centennal en grande pompe en organisant une réception de luxe pour ses partenaires au château de Versailles, où des militants d’Alternatiba Paris, Greenpeace et des Amis de la Terre ont tenté de gâcher la fête.
Présente dans le club des cinq plus grandes compagnies pétrolières du monde, TotalÉnergies a réalisé des bénéfices records ces dernières années, à l’instar des plus de 19 milliards d’euros comptabilisés pour 2022. L’entreprise, à ce titre, est également l’un des acteurs majeurs du changement climatique, via la combustion d’hydrocarbures – pétrole et gaz – qu’elle vend autour du monde. Retour en cinq dates sur les pires méfaits de l’entreprise de Patrick Pouyanné.
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1971 : la désinformation climatosceptique
« Total savait » : dans une étude publiée en 2021, les chercheurs français Christophe Bonneuil, Pierre-Louis Choquet et l’Étasunien Benjamin Franta racontent comment l’entreprise avait connaissance, a minima dès 1971, du lien entre ses activités, la hausse des émissions de gaz à effet de serre, et le réchauffement en cours de la planète, aux « conséquences catastrophiques ».
Ainsi que Reporterre vous le rapportait à l’époque, les chercheurs ont épluché les archives du géant pétrolier et mené des entretiens avec d’anciens dirigeants de Total et d’Elf (compagnie absorbée par Total en 1999). Il en ressort que, malgré cette prise de conscience précoce, les deux entreprises sont entrées dans un état de « cécité volontaire », évitant scrupuleusement de mentionner le sujet, renforçant au contraire les investissements dans les énergies fossiles. Pire : les pétroliers français participèrent par la suite à la « fabrique du doute », cette propagande climatosceptique des industriels fossiles.
La stratégie s’est affinée à partir des années 1990 : au lieu de nier frontalement la réalité du changement climatique, Total et Elf ont affiché leur volonté de façade de combattre le phénomène. Reconnaissant officiellement le message des scientifiques, Total communiquait plus subtilement en tentant de minimiser l’urgence, affichait ses investissements croissants dans les énergies renouvelables et peaufinait son greenwashing. « Cela [a permis] à Total de gagner du temps, de continuer à investir massivement dans les énergies fossiles », nous résumait en 2021 Christophe Bonneuil.
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1992 : le torpillage de la taxe carbone
Malgré les puissants efforts de lobbying climatosceptique, un vent d’optimisme soufflait à la fin des années 1980 dans les négociations internationales pour le climat. Un projet de taxe carbone, portée par l’Europe et dont la France était l’élément moteur, devait être déployée à l’échelle mondiale après l’échéance du Sommet de la Terre de Rio de 1992. De quoi « assécher la demande mondiale en pétrole » et sortir le plus rapidement possible des énergies fossiles.
C’est ce que raconte une enquête de Mediapart qui révèle comment Total a réussi à saboter ce projet, faisant « perdre trente ans à l’action climatique ». On y apprend comment, en pleine effervescence diplomatique autour de cette future taxe carbone, les industriels des hydrocarbures, et notamment Total, ont mené ce qui sera qualifié par The Economist de « lobbying le plus féroce jamais vu à Bruxelles ».
Le projet a fini par être enterré juste avant le Sommet de Rio et durablement décrédibilisé. Les intérêts de Total avaient finalement reçu le soutien direct de l’État français, le nouveau ministre français de l’Industrie d’alors, Dominique Strauss-Kahn, s’opposant frontalement à un projet remanié de taxe carbone, lors d’un conseil européen, un mois avant Rio.
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1998 : les profits sulfureux en Birmanie et ailleurs…
Dès le début des années 1990, Total a collaboré au projet d’exploitation gazière Yadana, en Birmanie, pays alors dirigé par une junte militaire. Le groupe français a commencé à exploiter le gisement en 1998, au grand dam des militants locaux prodémocratie, qui dénoncaient le soutien financier apporté à la junte par l’activité de l’entreprise. Total a été également attaqué en justice pour le « travail forcé » auquel la junte aurait eu recours sur le chantier de Yadana.
L’entreprise s’est défendue de ses multiples accusations, arguant notamment qu’elle était bien obligée de s’acquitter de ses obligations financières envers l’État birman. Un discours mis à mal par des documents consultés par Le Monde en 2021. Loin de s’acquitter passivement de ses obligations, Total aurait activement participé à un montage d’énorme optimisation fiscale, permettant de maximiser ses profits au détriment des finances birmanes en contrepartie d’une rétribution des généraux au pouvoir via des comptes offshore.
Une brève expérience démocratique birmane dans les années 2010 a été interrompue par un coup d’État militaire en 2021. La répression a alors fait des centaines de morts mais Total a maintenu ses activités dans le pays avant de se retirer, en 2022, sous la pression internationale face aux dégradations des droits humains.
Un an après le début de la guerre en Ukraine, TotalÉnergies continuait malgré les sanctions de fournir du gaz russe à l’Europe. Début 2024, la major n’avait toujours pas renoncé à sa présence indirecte dans le pays.
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1999 : la catastrophe de l’« Erika »
Le 12 décembre 1999, le navire pétrolier Erika, affrété par Total, a fait naufrage au large de la Bretagne. Plus de 20 000 tonnes de fioul lourd se sont échappées et une marée noire historique a frappé la France. Le pétrole a souillé plus de 400 km de côtes, du Finistère à la Charente-Maritime. La catastrophe écologique est massive ; entre 100 000 et 300 000 oiseaux auraient été tués, selon les estimations réalisées quelques mois plus tard.
En 2008, le groupe Total a été condamné à l’amende maximale de 375 000 euros mais n’a pas assumé sa responsabilité et décidé de faire appel. La confirmation de la condamnation en cassation en 2012 a marqué la consécration de la notion de « préjudice écologique » dans le droit français.
Cette marée noire emblématique n’est, hélas, pas la seule catastrophe écologique majeure à laquelle le nom de Total est associé. En 2023, une enquête de L’Obs montre comment un bassin pétrolier exploité par Total au Yémen pendant vingt ans a provoqué une série de pollutions, affectant l’environnement et la santé de milliers de Yéménites.
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2023 : les nouvelles bombes climatiques de Total
Le bilan est déjà bien fourni, mais TotalÉnergies ne compte pas s’arrêter là. Son bilan carbone en 2023 s’élevait à environ 400 millions de tonnes de CO2, soit l’équivalent, en ordre de grandeur, des émissions de la France. Et encore, ces émissions pourraient être largement sous-estimées selon une enquête de Greenpeace.
L’entreprise continue d’investir dans de nouveaux projets d’exploitation d’énergies fossiles : l’un des plus récents, le projet gazier Papua LNG, est en attente d’une décision imminente d’investissement. Le plus emblématique et contesté est aussi Eacop, son projet pétrolier en Ouganda et Tanzanie.
Alors qu’en 2021, l’Agence internationale de l’énergie soulignait dans son rapport Net Zero 2050 la nécessité de ne plus investir dans aucun nouveau projet pétrogazier, TotalÉnergies a, depuis cette date, développé au moins soixante-huit nouveaux projets que Reporterre recensait sous forme de carte.
Vincent Lucchese 28 mars 2024