16 septembre 2023 ~ 0 Commentaire

narita (reporterre)

japon

Zad contre aéroport : au Japon, le combat dure depuis plus de 50 ans

Le Japon abrite une zad depuis plus longtemps que la France : depuis les années 1960, agriculteurs, étudiants et ouvriers s’opposent à la construction d’un aéroport. Un lieu qui continue de fédérer différentes luttes.

Narita (Japon), reportage

Heureusement que les cigales japonaises cymbalisent fort : elles font presque oublier les rugissements des avions qui fendent le ciel toutes les dix minutes. Drôle d’endroit pour cultiver son potager. Mais c’est que les champs de Takao Shito, un septuagénaire aussi jovial que bourru, étaient là avant que s’implante l’aéroport international de Narita, le principal point d’entrée dans l’archipel.

« Il y a quelques mois, la police a érigé un mur qui condamne l’accès à une partie de mon potager ; alors, on a construit des serres et maintenant je cultive une partie de mes légumes ici », raconte le fermier d’un air placide, tandis qu’un ventilateur ronronne sans parvenir à rendre la fournaise estivale supportable.

Si l’État japonais s’acharne à récupérer ces quelques hectares de potager, c’est parce que les terres de Takao Shito sont tout ce qu’il reste de la plus ancienne zone à défendre (zad) du pays. L’histoire est peu connue des touristes, et la plupart des Japonais l’ont déjà oubliée : le développement de l’aéroport de Narita, à une heure de route de la capitale Tokyo, a été l’objet d’une des plus féroces luttes écologistes de l’archipel.

Coincés entre des pistes d’atterrissage et de décollage, les lopins de terre sont aujourd’hui séparés par des palissades et des barbelés ; les quelques maisons qui abritent encore des résistants sur place profitent de l’ombre d’un bosquet rescapé. À première vue, la zad ressemble à quelques friches isolées ; il faut prendre le temps d’y naviguer pour comprendre le tissu qui unit — et fortifie — ces dernières poches de résistance contre l’aéroport.

Le berceau de la lutte écologiste japonaise

Projet emblématique du développement économique du Japon d’après-guerre, l’aéroport de Narita visait à désengorger celui de Haneda, planté au milieu de la mégapole. Seul hic : les terres où il devait s’installer, sur le plateau de Shimōsa dans la préfecture de Chiba, étaient déjà occupées. Or les paysans du plateau de Shimōsa ont la réputation d’être prompts à la révolte : à l’époque où Tokyo s’appelait encore Edo (1603-1868), le plateau était hors de la juridiction impériale ; héritage de l’époque, la préfecture a connu plusieurs révoltes populaires d’ampleur au cours des derniers siècles.

Aussi, lorsque les paysans ont découvert dans le journal local le projet d’aéroport, ils n’ont pas tardé à s’unir, formant l’Union de Sanrizuka contre la construction de l’aéroport de Narita, en 1966. Ambiance pré-1968 : le pays est en ébullition, ce conflit de David contre Goliath a cristallisé les mécontentements d’une société en pleine mue modernisatrice. Les paysans ont ensuite reçu le soutien des étudiants de Tokyo, des ouvriers des préfectures voisines, et du Parti communiste alors au faîte de son influence.

Les années et décennies qui suivent ont été ponctuées par une série de manifestations de plus en plus intenses : le conflit a fait une dizaine de morts, côté manifestants comme policiers ; au mitan des années 70, une manifestation a réuni plusieurs dizaines de milliers de personnes ; des coups d’éclat ont forgé un récit quasi légendaire, comme lorsqu’un groupe de manifestants est parvenu à s’introduire dans la tour de contrôle, à détruire les ordinateurs flambants neufs, avant de se retrancher sur le toit de l’édifice. Entre l’ouverture de l’aéroport, en 1978, et 2017, plus de 511 incidents ont été recensés : le conflit a changé de forme, mais ne s’est pas éteint.

« Notre détermination n’a pas faibli »

« Au début, nous luttions contre l’aéroport parce qu’il devait servir à faire la guerre, et beaucoup de militants étaient des pacifistes, se souvient Hagiwara, qui vit sur le terrain depuis vingt ans. Mais aujourd’hui, il y a aussi la conscience que l’environnement s’effondre, et la lutte contre l’aéroport est devenue une lutte écologiste. »

Le paysan est venu à Sanrizuka pour la première fois en 1988, attiré par une militante dont il était amoureux et qui est devenue sa femme. À l’époque, il y avait une vingtaine d’agriculteurs sur place à l’année, et un millier de sympathisants qui venaient régulièrement ici ; aujourd’hui, il en reste à peu près la moitié. Mais, assure Hagiwara, « notre détermination n’a pas faibli ; tout nous conforte aujourd’hui dans notre volonté de montrer qu’il y a d’autres modèles que celui que propose le capitalisme ».

Hagiwara cultive ses légumes en agriculture biologique et les vend directement auprès de ses voisins : un modèle plus que minoritaire au Japon, mais qui sert d’inspiration à de nombreux jeunes militants en quête d’alternatives. L’heure du repas approche et la discussion se poursuit dans un Sukiya, une chaîne de fast-food qui est au restaurant local ce que le Roundup est à la permaculture.

« C’est souvent mal vu de parler politique au Japon »

Dans le restaurant, la plupart des clients prennent leur repas seul à leur table, l’attention rivée sur leur smartphone : l’individualisme qui façonne le Japon depuis un demi-siècle explique, pour les militants historiques, le faible taux de mobilisation au Japon. « C’est dur d’expliquer le sens de notre lutte, parce que c’est souvent mal vu de parler politique au Japon, soupire Hagiwara. En France, vous avez José Bové qui a démonté un McDonald’s ; ce genre d’action ne serait pas du tout soutenue ici. »

Matsumoto, une étudiante qui a rejoint le mouvement de Sanrizuka depuis deux ans, est quant à elle persuadée que le Japon est « au creux de la vague » : le jour de notre rencontre, elle est affairée à préparer une manifestation antinucléaire à Hiroshima, mêlant le principal syndicat étudiant nippon et plusieurs organisations syndicales.

Quelques mois plus tôt, elle faisait partie de ceux qui avaient perturbé le sommet du G7 (lui aussi organisé à Hiroshima), et qui ont été repoussés sans ménagement par la police. « Les gens vont voir la violence avec laquelle la police réprime les mouvements sociaux, ils vont en être indignés, et ils vont rejoindre notre cause », veut-elle croire.

Cette zad, « une sacrée épine dans le pied du gouvernement »

De retour sur les champs, on prend mesure de l’ampleur du dispositif policier déployé pour surveiller la poignée d’irréductibles agriculteurs : la terre semble plus fertile pour y faire pousser caméras et barbelés que tournesols et courgettes. Entre deux chicanes, un mirador abrite en permanence une équipe de policiers chargée de veiller sur une parcelle de terre que Hagiwara destine aux carottes.

En février, plus d’un millier de policiers antiémeute sont venus interpeller Takao Shito ; les manifestants étaient une centaine et ils ont essayé de former une chaîne humaine pour résister, mais elle n’a pas duré longtemps. Shito a donc été embarqué pour une garde à vue de trois semaines, qu’il évoque comme un détail de l’histoire. « Sanrizuka, c’est le lieu où se fédère une alliance entre paysans, ouvriers et paysans, essentielle pour animer un mouvement social », maintient-il.

Détour par le quartier général de Sanrizuka, une maison perdue au milieu d’un bosquet, protégée par une grille surveillée par une caméra — les militants ont appris à se méfier des visites à l’improviste des forces de police. Une quinzaine d’activistes historiques aux cheveux grisonnants — quand il leur en reste — vient d’y imprimer une série de tracts, que les plus jeunes embarquent pour une distribution devant la gare de train de Narita. Comme un symbole du passage de témoin entre deux générations.

Hagiwara a fini de labourer son champ et vient discuter tranquillement. Une journée a suffi : on s’est déjà habitué au vrombissement des avions. Reste une question qui nous taraude : qu’est-ce qu’il trouve à aimer dans ces quelques lopins de terre éparpillés entre des pistes d’atterrissage ? Hagiwara réfléchit un long moment, puis affiche un grand sourire malicieux : « Ce que j’aime, c’est précisément qu’elles sont en plein milieu de l’aéroport. Et que c’est une sacrée épine dans le pied du gouvernement. »

Les expropriations débutèrent en 1971, et occasionnèrent de violents affrontements, connus comme la lutte de Sanrizuka. Il y eut officiellement 13 morts, dont 5 policiers, 291 paysans arrêtés, et plus d’un millier d’étudiants venus soutenir les paysans blessés et arrêtés lors des combats2. Ces affrontements sont documentés par la série de films documentaires de Shinsuke Ogawa, dont Front de libération du Japon – L’Été à Sanrizuka, sorti en 1968, ainsi que par les vingt dernières minutes du documentaire français Kashima Paradise de Yann Le Masson et Bénie Deswarte, sorti en 1973.

Il devait y avoir à l’ouverture trois pistes, une de 4 000 m, la seconde de 2 500 m et la troisième de 3 000 m mais, seule celle de 4 000 m demeure achevée jusqu’en 2002. La seconde piste est finalement ouverte mais elle ne fait que 2 180 m de long parce que l’expropriation nécessaire n’a pas abouti3. En 2009 cette piste, la 16L/34R, a pu être prolongée aux 2 500 m prévus. La finalisation d’une troisième piste de 3 200 mètres est à l’étude et serait située sur le côté des terminaux T1 et T2 néanmoins, l’aéroport se heurte toujours à la résistance d’agriculteurs ne souhaitant pas céder leurs terrains3. En 2023, des études reprennent avec le projet d’un grand terminal global4 et la construction de la piste 3, etc.. L’objectif est de mener certains travaux à terme avec une inauguration envisagée en mars 2029.

Le 1er avril 2004, l’aéroport est privatisé et son nom officiel New Tokyo International Airport est changé en Narita International Airport.

https://reporterre.net/

Laisser un commentaire

Vous devez être Identifiez-vous poster un commentaire.

Rocutozig |
Tysniq |
Connorwyatt120 |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Rafredipen
| Agirensemblespourpierrevert
| Buradownchin