brest sans abri (le télégramme)
À Brest, Marion Maury dénonce « l’inhumanité » du déplacement des sans-abri
Marion Maury est l’adjointe au maire de Brest chargée des affaires sociales et la présidente du SIAO29 (Service intégré d’accueil et d’orientation du Finistère), qui gère notamment le 115 dans le département.
Dans les deux prochaines années, Brest devrait accueillir une partie des sans-abri déplacés de la région parisienne vers Rennes. Marion Maury, adjointe au maire chargée des affaires sociales, dénonce une méthode « inhumaine ».
La ville de Brest a-t-elle déjà été sollicitée pour accueillir des sans-abri déplacés de Paris vers la Bretagne, ou de Montgermont (35), où un centre d’hébergement a été vidé pour accueillir ces populations ?
« Oui, dix personnes (*) déplacées dans ce cadre ont été accueillies sur le territoire de Brest Métropole ces derniers jours, pour une trentaine dans le Finistère. Ce qui avait été annoncé, c’était non pas de faire place nette pour les Jeux olympiques comme chacun l’a bien compris, mais d’organiser une politique d’accueil répartie de façon équitable au niveau national pour lutter contre la précarité face à l’hébergement. Ce qui paraît clair à l’issue des premières opérations de déplacement, c’est que les collectivités territoriales et notre commune n’ont pas été intégrées à une préparation avec l’État pour organiser un accueil digne de ces personnes ».
Avez-vous une visibilité sur le nombre de sans-abri que pourrait accueillir Brest ?
« Non. Aujourd’hui, l’objectif en matière de nombre et de profils de personnes à accueillir n’est pas clairement annoncé. Pas plus que les capacités d’accompagnement social et d’hébergement qui y seront associées. On est dans une impréparation inacceptable ».
Le Télégramme a évoqué le cas d’une famille comorienne évacuée de Montgermont vers Brest, alors que leur fille de 14 ans était scolarisée en Ille-et-Vilaine et y préparait le brevet des collèges. Vous confirmez ?
« Dans ce cas précis, au final, l’enfant a été placée à proximité de son établissement, tandis que la mère a été déplacée sur le territoire de Brest métropole. Ce n’est pas la seule situation de ce type que nous avons accueillie.
Le scénario est le même : ils reçoivent un SMS de trois phrases qui leur fait croire que l’accueil est bien préparé, que l’hébergement est assuré à leur arrivée et que l’aide alimentaire sera organisée. Mais dans les faits, ces personnes sont hébergées par l’État et le 115 pendant une, deux ou trois nuits à l’hôtel, et remises à la rue, dans une ville qu’elles ne connaissent pas, sans avoir le moindre relais organisé, et parfois en rupture de soins : j’ai connaissance, dans le Sud-Finistère, du cas d’une personne qui a subi une rupture de soins VIH par ce déplacement ». On est dans un manque d’humanité totale, une simple politique de déplacement et de remise à la rue
Que se passe-t-il pour ces personnes déplacées, après ces deux ou trois nuits à l’hôtel ?
« Dans l’expérience constatée pour l’instant, les personnes se retrouvent à la rue et repartent. Parce qu’elles ont été séparées de leur enfant, ou veulent retrouver les relais ou appuis dont elles bénéficiaient avant d’être déplacées. C’est donc un échec total : tout cela n’est qu’une politique cynique de déplacement de sans-abri, qui met en danger ces personnes. On est dans un manque d’humanité totale, une simple politique de déplacement et de remise à la rue ».
Brest est-elle réellement prête à prendre sa part de l’effort, si les conditions sont réunies ?
« Oui, Brest est une ville de solidarité qui entend prendre sa part de l’effort d’accueil des personnes vulnérables et exilées, dès lors que cette solidarité est organisée dans des conditions qui permettent de le faire de façon digne, et dans le respect de ces personnes ».
Craignez-vous des réactions hostiles à ces arrivées à Brest ?
« Toute impréparation en matière d’accueil de personnes vulnérables ou exilées est susceptible d’exacerber les fragilités sociales présentes sur notre territoire. Donc si ça revient à remettre ces populations à la rue, cela peut créer un rejet, oui, par rapport à cet accueil qui est pourtant nécessaire. Mais j’ai aussi une pensée pour les travailleurs sociaux, aujourd’hui confrontés à des situations qui les heurtent dans leur mission, par ce manque d’éthique. C’est une perte de sens terrible pour eux, dans un contexte où le travail social n’est déjà pas suffisamment valorisé ».
Peut-on quantifier la population de sans-abri à Brest aujourd’hui ?
« On l’avait fait début 2022, avec la première Nuit de la Solidarité à Brest. À l’époque, on avait relativement peu de situations de sans-abrisme pur et dur à la rue, mais on avait recensé entre 500 et 700 personnes en situation de précarité face au logement, c’est-à-dire sans solution à un horizon de plus de trois mois. Un phénomène relativement peu visible grâce à l’énorme travail de solidarité des associations, qui prenaient leur part avec plus de 200 personnes hébergées, aux côtés des hébergements du 115 ».
* L’entretien a été réalisé le jeudi 1er juin 2023.
Pierre Chapin le 06 juin 2023