02 juin 2023 ~ 0 Commentaire

maïs (jdd)

Land-Grab

Climat, sécheresse, pesticides… C’est quoi le problème avec le maïs ?

Épouvantail de « l’agrobusiness » pour les uns, bouc émissaire injustement accusé pour les autres, le maïs enflamme les débats. Adaptation au dérèglement climatique, consommation d’eau, impact de l’élevage… Il est au cœur des dilemmes qu’affronte l’agriculture française actuellement.

L’extrait vidéo a été visionné plus d’un million de fois sur Twitter. Invitée de Public Sénat le 14 avril, la députée La France insoumise Aurélie Trouvé déclare : « Je voudrais donner un chiffre qu’on oublie parfois : 25 % de l’eau consommée en France est consommée par le maïs. » Cette ingénieure agronome de formation, ancienne activiste altermondialiste, dénonce un « agrobusiness du maïs » : « En soixante ans, on a remplacé les prairies par le maïs et le soja pour nourrir les bêtes. […] On ne peut pas continuer avec ce modèle agricole. »

Rapidement, ses propos déclenchent une bataille de chiffres sur les réseaux sociaux. L’Association générale des producteurs de maïs (AGPM), affiliée à la FNSEA, répond en remettant ce pourcentage en perspective, sans le contester. Les articles de fact-checking se multiplient. Ils concluent que le calcul de la députée est hâtif et que l’ordre de grandeur est surévalué. Il n’empêche : « Environ 18 % de l’eau consommée l’est pour le maïs », rectifie Alain Charcosset, directeur de recherche à l’Inrae, généticien et spécialiste du maïs.

Le maïs en France, c’est environ 11 % de la surface agricole utile, 40 % de la production destinée à l’export, un excédent commercial d’1 milliard d’euros et de hauts rendements. Mais c’est aussi – tous nos interlocuteurs le confirment – un sujet inflammable. Car les épis jaune vif figurent parmi les cultures les plus secouées par la crise environnementale.

La guerre de l’eau

Première controverse : l’eau. « Contrairement à ce que l’on croit, le maïs valorise très bien l’eau, martèle Franck Laborde, président de l’AGPM. Il en faut environ 450 litres pour produire un kilo de maïs, contre 590 litres pour un kilo de pommes de terre ou 900 litres pour un kilo de soja. »

Le problème est ailleurs. Comme le sorgho ou le tournesol, ses graines sont semées au printemps et les plantes atteignent leur phase reproductive et leur taille maximale en juillet. Résultat, « le maïs a besoin d’eau à une période où les précipitations peuvent être inexistantes », indique Alain Charcosset. Et où les conflits sur la ressource sont de plus en plus aigus.

Tant que le pays était bien arrosé, ce calendrier ne gênait pas. Mais la ressource en eau a diminué de 14 % ces dernières décennies, selon le ministère de la Transition écologique, et le réchauffement climatique rendra les précipitations moins régulières.

Avec la sécheresse de 2022, la récolte de maïs grain et semences a été la plus faible depuis 1990 et la production de maïs pour le fourrage a reculé, selon Agreste, le service statistique du ministère de l’Agriculture. Entre risque hydrique et cours en baisse, les semis pour 2023 sont au plus bas depuis trente ans.

La France, premier producteur européen de maïs en 2022 (source : Maiz’Europ’).

  • Maïs fourrage (plante entière) et ensilage (en silos) : 1,4 million d’hectares. Destiné à l’alimentation animale (ovins et bovins).
  • Maïs grain : 1,27 million d’hectares. Destiné à l’alimentation animale, à l’alimentation humaine (semoulerie, amidonnerie) et à l’industrie (bioéthanol, bioplastiques).
  • Maïs semence : 84 500 hectares.
  • Maïs doux : 23 800 hectares. Destiné à l’alimentation humaine.
  • Pop-corn : 9 000 hectares.

Dans ce contexte, l’irrigation irrite. Alain Charcosset tempère : « En 2020, 23 % des cultures de maïs étaient irriguées et cette proportion est en baisse. Donc la majorité des parcelles ne sont pas irriguées… Mais parmi les surfaces agricoles irriguées, il y a beaucoup de maïs ! »

Ingénieur agronome au sein de l’association Solagro, Sylvain Doublet appelle à changer la focale. « Quand on regarde de plus près, on s’aperçoit que les surfaces de maïs irriguées sont souvent situées autour de l’Adour-Garonne, le bassin le plus exposé au changement climatique en France », pointe-t-il.

Le Sud-Ouest est la région phare de la céréale jaune, qui nourrit aussi toute la filière volaille. « L’irrigation pose un impact majeur sur le fonctionnement du cycle de l’eau dans cette région, affirme-t-il. Plus les années climatiquement compliquées s’enchaînent, plus ça devient tendu. Parce que ces agriculteurs ont investi et ne peuvent plus faire demi-tour. »

S’adapter… ou tout changer ?

Le maïs pourra-t-il résister ? Franck Laborde en est convaincu et mise sur des variétés plus résistantes, une irrigation plus performante et le stockage de l’eau en hiver, controversé.

L’une des pistes les plus prometteuses consiste à semer plus tôt avec « des variétés à floraison précoce qui font l’essentiel de leur cycle avant les périodes de stress hydrique », souligne Alain Charcosset. « Il restera en France des régions adaptées à la culture du maïs », assure le généticien.

Mais quid des régions les plus exposées au réchauffement comme le Sud-Ouest ? Et avec quels rendements ? « Dans certains territoires, le manque d’eau peut, à la marge, modifier des assolements », reconnaît Franck Laborde à demi-mot, même si ce maïsiculteur et éleveur des Pyrénées-Orientales insiste sur l’importance économique et culturelle des épis jaunes dans sa région et invite à « ne pas balayer tout d’un revers de main ». « Sous 40 °C, la génétique ne pourra pas tout faire, avertit Sylvain Doublet. Les défis environnementaux sont tels que, cette fois, cela ne suffira pas. »

La bataille des pesticides

Car la nouvelle donne environnementale amène d’autres nuages sur les parcelles, notamment la nécessité de réduire la consommation de produits phytosanitaires. L’Union européenne veut la diviser par deux d’ici à 2030. Un défi pour le maïs, même s’il ne figure pas parmi les cancres.

Selon les données de l’Agreste, en 2017, respectivement 1 et 25 % des surfaces de maïs grain ont été traitées avec des fongicides (contre les champignons) et des insecticides, contre 94 et 23 % pour le blé tendre par exemple. « C’est l’une des espèces les plus propices à l’agriculture biologique, complète Alain Charcosset, car elle développe peu de maladies. »

En revanche, 98 % des parcelles ont reçu un herbicide, comme pour le blé. La filière s’est élevée contre l’interdiction du S-métolachlore. Au sein de l’AGPM, Franck Laborde s’explique : « C’est l’une des seules molécules autorisées comme herbicide du maïs. Sans ce produit, nous n’avons pas de solution efficace et nous subirons une distorsion de concurrence au niveau européen. »

Le carburant de l’élevage

Les rejets de carbone, justement, c’est le troisième point noir. Parce que cette plante fait carburer l’élevage français, responsable d’environ 14 % des émissions nationales de gaz à effet de serre.

En fourrage ou en silos, il complète l’herbe que broutent les bovins. Selon l’Agreste, 24 % du fourrage utilisé en France est du maïs. Quant au maïs grain, 62 % des stocks consommés en France sont destinés à l’alimentation des ruminants, des volailles et des porcs.

 Dire qu’il faudrait produire moins de maïs en France pour moins irriguer et employer moins d’herbicides, ce serait mentir au consommateur . Franck Laborde

Pour Sylvain Doublet, le maïs est « la clé de voûte des filières d’engraissement des animaux, un système hyper optimisé dont l’objectif est de produire le plus possible dans le moins de temps possible ».

« Elles sont très dépendantes de la combinaison maïs/soja qui permet des croissances rapides », précise-t-il. D’après l’Agreste, le maïs pèse pour 16,2 % des aliments composés donnés au bétail, derrière le blé (22,3 %), suivi des tourteaux de soja (11,3 %). De quoi occasionner d’autres émissions de CO2, puisque « ce soja est lié à la déforestation au Brésil », ajoute l’ingénieur agronome.

Entre pression sur la ressource en eau et empreinte carbone de l’élevage, est-il raisonnable de continuer à cultiver autant de maïs ? La question est mal posée pour Franck Laborde. « Dire qu’il faudrait produire moins de maïs en France pour moins irriguer et employer moins d’herbicides, ce serait mentir au consommateur, prévient-il. Cela reviendrait à importer plus depuis l’est de l’Europe ou le Brésil, en fermant les yeux sur les conditions de production locales. »

Pour Sylvain Doublet, au contraire, « la porte de sortie, c’est de produire moins mais mieux ». Moins de viande, mais en prairies, et convertir les parcelles de maïs en cultures destinées à l’alimentation humaine. Dans un récent rapport, la Cour des comptes suggérait également de réduire le cheptel bovin.

Dans l’étude prospective Afterres 2050, Solagro imagine quel paysage agricole concilierait environnement, souveraineté alimentaire et santé. Il aboutit à une forte diminution des surfaces de maïs ensilage (qui passeraient d’1,2 million d’hectares en 2020 à 0,4 million en 2050) et un recul léger du maïs grain (d’1,4 à 1,2 million). Une condition pour que ça fonctionne : un régime alimentaire moins carné, sous peine de booster les importations de viande et de détruire la filière nationale. Dans ce climat tendu, cette menace met tout le monde d’accord.

Aude Le Gentil 02/06/2023

https://www.lejdd.fr/

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