02 mai 2023 ~ 0 Commentaire

grèves (à l’encontre)

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La dynamique des grèves et la faiblesse de l’infrastructure militante

(…)La stratégie de l’intersyndicale, qui n’a jamais appelé à la grève générale, a-t-elle empêché le durcissement du mouvement par l’extension de la grève?

Je ne partage pas la thèse de la «trahison des directions syndicales» car de fait elles n’ont pas été «poussées» par la montée des grèves et par des demandes pressantes des salarié·e·s de se lancer dans la grève.

Les AG de grévistes étaient relativement faibles. Et si l’idée de la grève et du blocage de l’économie était majoritaire dans l’opinion, on n’est pas sorti d’une logique de «grève par procuration». Dans ce contexte de faiblesse des équipes militantes dans les entreprises, on comprend que les syndicats plus combatifs (CGT, FSU, Solidaires, FO) aient joué la carte de l’unité syndicale et ont suivi la stratégie de Laurent Berger et de la CFDT de gagner la bataille de l’opinion. De fait, la CFDT n’aurait pas appelé à la grève générale reconductible.

Toutefois, il n’est pas inutile de questionner la stratégie de ces syndicats notamment lorsqu’il s’est agi d’enclencher une dynamique de grèves: tout le monde ayant bien compris que Macron ne céderait pas face aux manifestations massives. En dehors des quelques fédérations et syndicats qui ont l’habitude de construire la grève (cheminot·e·s, ouvriers des raffineries, etc.), on aurait pu imaginer une politique de la grève plus volontaire, parallèlement aux communiqués de l’intersyndicale.

La seule mise en avant des secteurs les plus coutumiers de la grève a, peut-être, été trop peu articulée à une pédagogie de la grève pour tous et toutes contre l’idée que la «grève par procuration».

C’est d’ailleurs l’ambiguïté de la médiatisation des caisses de grève: d’un côté, leur succès met en lumière le soutien populaire à la mobilisation, ces caisses donnent confiance et apportent une aide financière à ceux et celles engagés dans la grève, de l’autre côté, elles peuvent parfois légitimer la «délégation» de la grève à d’autres. J’ai été étonné, par exemple, que les leaders des syndicats plus combatifs n’aient pas rendu exemplaires, par leur présence sur les piquets, les grèves le 7 puis le 8 mars.

La belle idée de la «grève féministe» du 8 mars n’a ainsi pas trouvé de traduction visible, même de façon minoritaire, par la mise en avant de grèves ou d’assemblées de femmes grévistes. Au passage, ceci aurait été une bonne occasion de mettre en avant des responsables syndicales car on a surtout vu des responsables syndicaux dans ce mouvement, ce qui est en décalage avec la forte féminisation du prolétariat contemporain.

On peut également s’interroger sur la préparation du 7 mars et de ses suites dans le cadre des AG. On en revient là aux capacités d’action des équipes syndicales. Il semble qu’il y ait eu peu d’AG de salarié·e·s dans les entreprises et sur les lieux de travail et lorsqu’il y en a eu, elles se sont souvent résumées à quelques interventions des responsables syndicaux sans véritables débats et sans appropriation de la stratégie par les travailleurs/ses. Cette délégation de la lutte est un problème et constituera sûrement un point de questionnement à l’avenir.

De ce fait, le calendrier de la mobilisation a été dicté uniquement par l’intersyndicale, et en son sein par la CFDT, sans qu’un autre agenda, autour de la construction des grèves et de blocages, puisse se mettre en place à grande échelle, après le 7 mars ou au moment du 49.3 lorsque le mouvement pouvait basculer.

Enfin, des formes de substitution à la grève ont pu émerger ici ou là, comme le blocage de plateformes logistiques (Nice) ou des incinérateurs, en appui aux éboueurs grévistes de la région parisienne, mais sans appels à y participer au-delà des secteurs militants organisés. Or, on avait vu pendant les Gilets Jaunes que ces formes de blocage de l’économie permettaient à des salarié·e·s ne pouvant pas faire grève (aides à domicile, infirmières, ouvriers et ouvrières dans l’artisanat et dans les PME, chômeurs/ses, etc.) de participer concrètement à la lutte et de se relayer.

De même, il n’y a pas eu vraiment de tentatives d’élargir le front des revendications à la question des salaires et des prix alors même que c’est une urgence immédiate pour les classes populaires et qu’il y a eu des grèves locales ou d’entreprises (Intermarché, groupe Rexel, etc.).

Reste que même si ces pistes avaient été suivies, leur effet sur la dynamique demeure très incertain dans un contexte de faiblesse structurelle des équipes syndicales. La force du mouvement ouvre toutefois des perspectives positives: la relégitimation des syndicats, qui semble se traduire par de nouvelles adhésions, la reconnexion d’une grande partie du salariat avec des pratiques combatives et la politisation que la mobilisation suscite peuvent constituer une base de renouvellement de l’action syndicale et l’intérêt d’adopter des politiques de syndicalisation dans les franges du prolétariat qui en sont exclues.

La déclinaison néolibérale du capitalisme est en crise. Les cycles de mobilisations et de protestations sont sûrement devant nous. (Publié par la revue L’Anticapitaliste, avril 2023)

Etienne Pénissat est chercheur au CNRS et membres du Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales de Lille.

[1] Tristan Haute, Etienne Pénissat, «Le 7 mars et après: la grève reste une arme centrale pour la classe travailleuse», Contretemps, 4 mars 2023. https://www.contretemps…

[2] Source enquête REPONSE, DARES.

[3] Source SRCV, INSEE,

[4] Enquête réalisée par le collectif Quantité critique. Lire https://qcritique.hypoth…

[5] https://www.contretemps…

https://alencontre.org/europe

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