retraites (à l’encontre)

«Bataille pour les retraites: les discordances du mouvement»
L’intersyndicale appelle à une nouvelle journée le jeudi 13 avril, mais sans avancer d’autre perspective pour le mouvement que d’attendre les décisions du Conseil constitutionnel. Redonner de la vigueur au rapport de force imposerait de donner des échéances propres, comme une manifestation nationale ou la préparation d’une nouvelle vague de grève reconductible.
Un autre problème est de plus en plus évident.
Si, en creux, le mouvement est un mouvement de classe, rassemblant dans l’action ou le soutien l’immense majorité des salarié·e·s avec, en toile de fond, le refus de continuer à payer pour le maintien d’un système qui frappe les classes populaires, ne se dégage pas dans le mouvement l’expression d’exigences qui dépassent la question des 64 ans.
La dynamique large créée par l’unité de tous les syndicats a comme limite immédiate l’impossibilité d’aller plus loin que la question des 64 ans, la CFDT, même sur la question des retraites, ayant déjà accepté la réforme Touraine de janvier 2014 qui mène aux 43 annuités [Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, sous la présidence de François Hollande].
Dès lors, l’intersyndicale n’avance pas non plus d’exigences sur le financement des retraites, comme la fin des exonérations [exonérations de cotisations sociales qui coûtent environ 20 milliards par an] et l’augmentation des cotisations patronales, ni bien sûr le retour sur la réforme Touraine et celle d’Eric Woerth en 2010 [sous la présidence de Nicolas Sarkozy] qui a décidé de la retraite à 62 ans.
De même, il n’y a pas au niveau confédéral de socle intersyndical commun sur les autres questions sociales urgentes, bien présentes dans les manifestations, sur les allocations chômage ou la lutte pour les salaires et contre les hausses des prix.
La place de l’intersyndicale nationale a servi de point d’appui dans les villes mais a aussi limité l’extension de la plateforme des intersyndicales locales. Cela pourrait sembler une question secondaire qui n’a pas empêché le développement d’une mobilisation d’une profondeur sans doute inédite.
Mais chacun comprend bien que le rapport de forces de classe ne peut se maintenir que si, dans la conscience de celles et ceux qui participent au mouvement ou le soutiennent, est clairement posée la question de à qui on s’affronte.
La question des 64 ans n’est pas la lubie d’un autocrate délirant, c’est bien un choix politique de classe correspondant aux intérêts des groupes capitalistes qui ont fait aboutir des contre-réformes identiques dans les autres pays européens. Il s’agit donc bien de remettre en cause la répartition des richesses et les choix faits dans l’intérêt des capitalistes, choix faits en Europe par les partis soutien du néo-libéralisme, y compris l’extrême-droite de partis similaires au RN, comme Fratelli d’Italia de Meloni qui applique la retraite à taux plein à 67 ans dans le cadre des exigences budgétaires de l’Union européenne.
Combattre la supercherie du RN défenseur des retraites ne peut pas se faire sans appuyer le mouvement sur une plate-forme qui remette en cause les choix capitalistes du gouvernement et avance des exigences conformes aux intérêts des classes populaires. Absent du mouvement, muet sur toute plate-forme politique pour la défense des retraites, à part le natalisme et les mesures anti-immigrés, le RN se positionne pour cueillir les fruits d’une mobilisation sociale qui, objectivement, vise les capitalistes.
Macron et Darmanin, eux, n’ont de cesse de tisser en pointillé des passerelles vers les Républicains et l’extrême droite, tout en criminalisant et diabolisant la NUPES.
D’ailleurs, lors d’une élection partielle en Ariège, le deuxième tour [2 avril] a vu un front commun du parti de Macron, des Républicains, du Rassemblement national derrière une candidate socialiste opposée à la NUPES pour battre la candidate de la France insoumise.
La situation est évidemment aussi rendue difficile par l’absence de construction d’un front commun social et politique au cœur de ce mouvement, par l’absence même, en dehors de l’Assemblée nationale, d’initiative politique unitaire large permettant de mener un débat et d’avancer des propositions unitaires pour construire dans les villes et nationalement des structures unitaires sur les questions sociales et démocratiques de l’heure, en phase avec la mobilisation sociale.
La force du mouvement et des dizaines de milliers de militant·e·s qui le structurent aura peut-être la force de dépasser ces obstacles dans les prochaines semaines.
(Article reçu le 9 avril 2023)
Par Léon Crémieux 9 avril 2023