crise (france culture)
Réforme des retraites, méga-bassines : diagnostic philosophique d’une crise démocratique
Des manifestations contre la réforme des retraites ces dernières semaines, aux mobilisations contre la construction de méga-bassines dans les Deux-Sèvres ce week-end, quelles sont les racines philosophiques et politiques des contestations dans la démocratie actuelle ?
- Myriam Revault d’Allonnes Philosophe, chercheure associée au CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences Po) et professeure émérite des universités à l’École pratique des hautes études.
- Francis Wolff professeur émérite à l’Ecole Normale Supérieure ULM.
Myriam Revault d’Allones et Francis Wolff mentionnent l’intervention médiatique d’Emmanuel Macron le mercredi 22 mars et analysent la notion de « monopole de la violence légitime » développée par Max Weber. Ils soulignent l’importance de la culture démocratique du conflit et des limites au pouvoir politique personnel.
Violence des manifestants ou violence de la police ?
Pour Myriam Revault d’Allones, “c’est un antagonisme qui est aussi vieux que l’histoire de la philosophie. Il y a deux lignes interprétatives. La première, la plus classique, c’est que quand on entre en politique, on cesse la violence. L’entrée en institution, c’est l’entrée dans une rationalité, dans le logos, qui fait qu’on échappe à la violence aveugle, pour rentrer dans des rapports politiques et sociaux, ce qui ne veut pas dire que la violence disparaît, mais qu’elle est orientée, qu’elle est canalisée. »
« Mais ce qui est plus compliqué, précise la philosophe, c’est qu’effectivement, non seulement elle ne disparaît mais elle peut d’une certaine façon être mobilisée, au service d’un pouvoir qui est nécessairement un pouvoir de contrainte. Tout pouvoir, même un pouvoir démocratique, est un pouvoir de contrainte.
Max Weber dit la célèbre phrase “le pouvoir détient le monopole de la force légitime ». Mais précisément, la force ce n’est pas la violence. (…) Tout le problème c’est de voir aujourd’hui quelle est la position d’un pouvoir qui prétend à lui seul détenir une légitimité qui lui a été conférée par les urnes, face à des citoyens qui protestent, et de manière tout à fait légitime, parce que dans une démocratie, la légitimité ne s’arrête pas à la délégation de pouvoir que l’on a donnée à ceux qui gouvernent. Une fois que les citoyens ont voté, ils ont le droit et le devoir d’exprimer leur opinion.”
Peut-on comparer les mobilisations contre la réforme des retraites et celle contre la construction de méga-bassines ?
Francis Wolff estime que “l’on a affaire à deux situations, deux luttes, deux formes de manifestation et de violence qui ne relèvent pas de la même source. Dans les deux cas, les choses sont tout à fait différentes. Si l’on parle de la violence qui a éclaté ce week-end, elle n’a guère de rapport avec l’autre, sauf dans l’esprit de quelques militants qui rêvent à la convergence des luttes.
Dans un cas, on a un conflit social presque classique, et d’une certaine manière rassurant dans son fondement, puisque l’on a un front syndical uni d’un côté contre un pouvoir inflexible de l’autre. Les camps sont clairs. Mais dans le cas des méga bassines, on a des militants qui sont les héritiers des zadistes, qui eux-mêmes sont des héritiers lointains des altermondialistes. Là, d’un côté, on sait bien que la police française est particulièrement mal formée au maintien de l’ordre et de l’autre côté on a des militants dont certains étaient là pour en découdre.”
L’espoir manque à l’appel dans le champ du politique
“Ce qu’il manque au politique, que ce soit celui qui l’incarne aujourd’hui, ou presque tout autre possible, c’est qu’il est extrêmement difficile de dessiner quelque chose qui serait une idée du bien, constate Francis Wolff. C’est ce qui manque profondément à la politique et à la mobilisation, l’idée que d’un côté nous ne savons pas vers quoi nous souhaiterions aller, nous savons que nous sommes contre, nous savons dire ce qu’il y a comme injustices, mais nous ne savons pas exactement dire ce que serait la justice, ce que serait une société juste”, ajoute-t-il.
« C’est l’une des très rares fois dans l’histoire de notre pays où il n’y a pas un horizon du bien qui soit clair. Ce que l’on appelle la crise du politique c’est avant tout la crise de l’idée même qu’il y a un bien à chercher. Les grands récits que nous avons à transmettre à nos enfants sont des récits négatifs.”
De son côté, Myriam Revault d’Allones pense que “le fait de n’avoir plus un avenir dessiné à l’avance, l’idée que l’avenir est incertain, que nous devons tâtonner pour trouver des perspectives, n’est pas en soi une idée négative. Parce que l’incertitude est la condition même de l’action. Peut-être que nous avons maintenant des possibilités d’élaborer de manière plus modeste, plus fragmentaire, des éléments qui permettent de construire autrement la démocratie”.
Lundi 27 mars 2023