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Ces enfants ukrainiens que Moscou enlève pour les « dénazifier »
Des milliers de mineurs auraient été enlevés par la Russie avec peu d’espoir pour leurs familles de les retrouver.
Du haut de ses 15 ans, Nastya a déjà vécu mille vies. L’adolescente ukrainienne, séparée de sa famille dans les premiers mois de la guerre, a été déportée dans un camp dit « de filtration » en Crimée, péninsule annexée par la Russie en 2014, avant de rejoindre Kherson, dans les territoires ukrainiens occupés à l’est du pays.
Là-bas, Nastya a été violemment frappée à la tête, forcée à apprendre le russe et une « nouvelle histoire ». Les autorités lui ont également fait miroiter la possibilité d’obtenir gratuitement un appartement dans les montagnes de l’Oural, à ses 18 ans, si elle adoptait la nationalité russe…
La jeune fille, sweat-shirt jaune poussin et cheveux noir de jais, a accepté que son histoire soit rendue publique lors d’une table ronde organisée mercredi par l’ambassade des États-Unis à Kiev. Pour elle, l’histoire se finit bien : Nastya est miraculeusement revenue en Ukraine cette semaine. Après l’avoir cherchée pendant des mois sans relâche, sa mère a fini par la retrouver grâce aux réseaux sociaux.
« Une campagne d’État »
D’autres n’ont pas cette chance. Selon Lesia Zaburanna, députée ukrainienne, au moins 16 000 enfants ont été recensés comme « déportés » en Russie ou dans les territoires occupés par les forces russes.
Des dizaines de milliers d’autres pourraient être concernés, volés à leurs parents à des barrages ou enlevés dans des maternités, des orphelinats ou des centres sociaux d’aide à l’enfance. Le phénomène, qui a débuté en 2014 après l’annexion de la Crimée et les premiers combats dans le Donbass, s’est amplifié depuis l’invasion du reste du pays l’an dernier.
« Les Russes les kidnappent, leur lavent le cerveau et leur donnent des armes en les manipulant pour qu’ils se battent du côté russe, assure la parlementaire, originaire de Kiev. Il sera très difficile de retrouver et d’identifier ces enfants, car la Russie leur octroie la nationalité russe et les fait adopter. » En gratifiant parfois d’un pécule les familles candidates…
Pour Mykola Kuleba, président de l’ONG Save Ukraine, qui a pris en charge Nastya, ces enlèvements sont orchestrés « au plus haut niveau politique » dans ce qui s’apparente à une « campagne d’État ». Pour preuve : en mai 2022, Vladimir Poutine en personne a promulgué un décret présidentiel pour faciliter la naturalisation de ces mineurs.
« Pour chaque soldat russe tué, sept ou huit enfants ukrainiens doivent être déportés et rééduqués, détaille l’humanitaire. Cela permet au gouvernement de raconter une histoire aux Russes ordinaires, en leur disant que “la nation sauve les enfants ukrainiens des nazis”. »
16 000 enfants ont été recensés comme « déportés » en Russie
La commissaire russe aux droits de l’enfant et égérie conservatrice du régime, Maria Lviva-Belova, a elle-même mis en pratique la propagande nationale en annonçant en octobre avoir accueilli dans son foyer un garçon kidnappé à Marioupol. « Des dispositions ont été prises pour permettre à des familles russes de pouvoir adopter ces enfants plus facilement, au mépris du droit international », confirme Amnesty International dans un rapport paru l’an dernier à ce sujet qui associe ces rapts à des « crimes contre l’humanité ».
L’association française Pour l’Ukraine, pour leur Liberté et la Nôtre ! a de son côté déposé fin décembre, sur les mêmes bases argumentaires, un dossier auprès de la Cour pénale internationale (CPI) afin de solliciter l’ouverture d’une enquête pour « génocide ».
Camille Neveux 13/02/2023